''Black Music'' Des chaines de fer aux chaines en or
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00:00:00 Et maintenant c'est la musique qui rythme le combat des noirs des chants de coton au
00:00:28 ghetto du Bronx.
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00:02:27 On était allés les chercher en Afrique. On les avait arrachés à leur terre. On les avait jetés dans des bateaux. On les avait débarquer comme du bétail. Là-bas, de l'autre côté de l'océan, dans le pays de George Washington et de la Déclaration d'indépendance, sur ce sol d'Amérique où il n'était plus que des marchandises, des esclaves. Des esclaves exploités dans les chants de coton du Vieux Sud, sous les injures et les coups de fouet.
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00:03:09 Et tandis qu'ils peinaient, une sourde pulsation montait de leur cœur. Chanter était leur seule liberté.
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00:03:22 Aux yeux de leurs maîtres, les esclaves n'étaient que des bêtes. Mais c'est leur humanité qui chantait lorsqu'ils reprenaient ces chansons de travail, les "work songs".
00:03:31 Tout ce que voyaient les maîtres, c'est que lorsqu'ils reprenaient ces chants qui cadençaient leurs gestes, ils travaillaient plus vite. Et c'est tout ce qui comptait pour eux.
00:03:39 Ils ne se rendaient pas compte que lorsqu'ils chantaient, les esclaves se parlaient. Ils s'encouragaient en reprenant les quantiques d'espoir qu'on leur avait appris, les "negro spirituals".
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00:04:03 Les maîtres n'avaient pas pu leur interdire Dieu. Pas plus qu'ils n'avaient pu leur interdire de chanter.
00:04:08 Tous ces quantiques parlaient d'eux, d'eux et de leurs conditions, d'eux et de leurs souffrances, d'eux et de la liberté qu'ils connaîtraient un jour, peut-être, dans cette vie ou dans une autre.
00:04:17 Un des plus puissants "negro spirituals" est "Steal Away", une chanson aux paroles cryptées, véritable appel à l'évasion.
00:04:24 "Je ne resterai pas longtemps ici", disait la chanson.
00:04:28 Et c'est avec ces mots dans le cœur que les esclaves s'enfuyaient, cheminant vers le nord grâce à l'Underground Railroad, cette route symbolique qui les menait tout là-haut, à New York ou à Baltimore, vers la liberté.
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00:04:46 La liberté triompha en 1865 avec la guerre de Sécession et l'abolition de l'esclavage.
00:04:52 Mais les canons du Nord auraient-ils tenu sans les "spirituals", sans leur beauté tragique qui avait infiltré le cœur des Blancs, qui leur avait fait ressentir dans leur corps la douleur des esclaves et la noblesse de leur âme.
00:05:06 Le Nord avait libéré les esclaves, mais pour le Vieux Sud, ils étaient toujours des nègres, des sous-hommes à traquer et à pendre pour préserver le pouvoir blanc.
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00:05:21 C'est l'âge de la ségrégation, une période sombre qui durera 90 ans, durant laquelle les Noirs du Sud vivront un enfer légal de tous les jours, avec l'assentiment hypocrite du Nord.
00:05:33 Magasins interdits, restaurants interdits, droits de vote interdits, Blancs et Noirs ne devaient se mélanger à aucun prix, et dès l'enfance, chacun grandissait dans la peur de l'autre.
00:05:42 Les Blancs vivaient dans la peur panique du métissage, les Noirs dans la terreur de l'arbitraire.
00:05:49 Cette époque sera appelée l'ère Jim Crow, en référence à l'un des plus célèbres personnages de Minstrel Show, Jim Crow.
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00:06:05 Les Minstrel Show, les spectacles les plus populaires du pays.
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00:06:12 Des spectacles comiques, où le visage peint, des Blancs s'amusent à caricaturer les manières des Noirs des villes et des campagnes.
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00:06:33 De tout temps en Amérique, les Noirs et les Blancs se sont observés en musique.
00:06:37 Les maîtres dansaient le menuet, les esclaves les imitaient, inventant le cakewalk.
00:06:41 Ces imitations étaient comiques, les Blancs les reproduisaient sur scène, inventant le Minstrel Show.
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00:06:52 Et bientôt, ce sont de vrais Noirs qu'on fait monter sur scène.
00:06:55 Des Blancs qui imitent des Noirs pour faire rire les Blancs.
00:06:58 Des Noirs qui imitent des Blancs qui imitent des Noirs et font rire les Noirs.
00:07:02 Des Noirs qui font rire les Blancs en s'imitant eux-mêmes.
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00:07:09 Le show business américain est né de ces bouffonneries où le racisme se mêlait à l'admiration.
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00:07:18 C'est du spectacle des Minstrel Show que l'on peut faire remonter cette difficulté de l'Amérique blanche à prendre les Noirs au sérieux.
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00:07:25 Étrange époque en vérité où les Blancs d'Amérique, fascinés par le corps des Noirs, par leurs attitudes et par leur parler,
00:07:31 refusaient de les voir s'asseoir à côté d'eux et les pendaient pour un regard jeté sur une femme blanche.
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00:07:41 Les Noirs d'Amérique étaient toujours des Nègres et pour la plupart d'entre eux, l'abolition de l'esclavage n'avait été qu'une illusion.
00:07:47 Dans le sud de Jim Crow, l'exploitation avait simplement changé de forme.
00:07:52 Sans argent, les familles restaient enchaînées aux maîtres et la justice raciste jetait dans les chaingangs tous ceux qui refusaient de se conformer.
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00:08:04 Dans cette époque de malheurs et de regrets, les plus libres finalement étaient encore les musiciens.
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00:08:23 Parce qu'ils vivaient à leur guise sur les routes et les chemins, loin du travail et de ses obligations,
00:08:29 loin des facéties des minstrelshows, ils jouaient une musique simple, rude, hantée par les espoirs déçus de l'émancipation.
00:08:37 Ils jouaient le blues.
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00:08:46 Les négros spirituals avaient ouvert le ciel au peuple noir. Le blues leur amenait sur terre.
00:08:52 Sur terre, dans un monde de douleurs et de tentations, auxquelles les douze mesures du blues répétées à l'infini renvoyaient sans cesse.
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00:09:06 Mais dans son dénuement, dans sa trivialité primale, cette musique avait une force mystérieuse.
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00:09:13 Une capacité de susciter tant d'émotions avec si peu de moyens.
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00:09:20 Cette force allait irriguer la conscience du peuple noir, bien au-delà de sa musique, bien au-delà de lui-même.
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00:09:28 Né du malheur des Noirs américains, le blues était leur don au monde.
00:09:32 Ils l'avaient vécu, ils l'avaient porté, ils étaient nés comme cela, dans les plantations et sur les routes.
00:09:37 Sans doute la première musique née sur le sol américain.
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00:09:43 Une musique qui resta longtemps cachée, ignorée, dans le secret des campagnes du sud,
00:09:48 jusqu'à ce que le blues rencontre la ville, où il pourrait donner libre cours à toutes ces passions triviales qu'il chantait depuis l'émancipation.
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00:10:01 La Nouvelle Orléans, une ville où l'on danse aux enterrements, où bourgeois et prostituées,
00:10:05 créoles, anglo-saxons, fanfares napoléoniennes, tambours africains et chansons espagnoles,
00:10:10 se mélangeaient depuis un siècle dans la moiteur du delta du Mississippi.
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00:10:17 A la fin du 19e siècle, les accents rugueux du blues se mirent à courir dans les ruelles du quartier noir
00:10:22 où pullulaient les musiciens aux instruments de fortune.
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00:10:38 Et les accents du blues ont fini par s'installer dans ces salles de balle aux noms colorés,
00:10:42 comme le Funky Butthole, la salle au cul crade, où le héros de la ville, le trompettiste Buddy Bolden,
00:10:48 accompagnait les danseurs avec des morceaux au rythme simple et au titré grillard,
00:10:52 d'ariation virtuose sur la gamme du blues.
00:10:55 De Buddy Bolden, il ne reste plus que cette unique photographie.
00:10:59 Il n'a jamais été enregistré, il est devenu fou en 1907, et il mourut 25 ans plus tard sans avoir retouché sa trompette.
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00:11:08 Mais dans la mémoire de tous les musiciens de la Nouvelle Orléans, il est ce pionnier légendaire qui leur a appris la beauté du blues.
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00:11:17 Il est celui que des dizaines d'autres musiciens ont imité pour accoucher d'un genre nouveau, cru et spontané, le jazz.
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00:11:30 Un art vulgaire et scandaleux qui submergera le monde au sortir de la grande guerre.
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00:11:39 Le jazz est un genre de musique qui a été conçue par les musiciens de la Nouvelle Orléans.
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00:11:46 Le jazz est un genre de musique qui a été conçue par les musiciens de la Nouvelle Orléans.
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00:11:54 Le jazz est un genre de musique qui a été conçue par les musiciens de la Nouvelle Orléans.
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00:12:01 Le premier rouge de la Nouvelle Orléans, fils de prostituées et petits délinquants, qui sera couronné roi de cette nouvelle musique, Louis Armstrong.
00:12:08 Sa trompette le mena des bordels de Storyville au Vatican, des bateaux d'agrément du Mississippi à Hollywood, en ambassadeur rigolard de son art.
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00:12:35 Il était la personnification du jazz, cette nonchalance libératrice avec laquelle il abordait toute chose, la musique, les chansons, les gens ou les institutions.
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00:12:48 Il se prêtait aux jeux des blancs et du show business, sans se soucier de leur condescendance, eux pour qui un noir même génial était toujours un sauvage.
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00:13:02 Avec lui, la réalité la plus tragique se transformait en note légère, sans cesse différente, et tant pis pour ceux que son succès épouvantait.
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00:13:15 Armstrong feignait de les ignorer, mais sa trompette et ses chansons leur répondaient avec une tristesse joyeuse empruntée au blues.
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00:14:24 Porté par la trompette de Louis Armstrong, le jazz allait être la bande son des années 20.
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00:14:42 Depuis la grande guerre où l'Amérique était entrée en 1917, les grandes villes du nord aspiraient chaque année des centaines de milliers de noirs du sud,
00:14:49 et parmi eux, des milliers de musiciens qui remplirent bientôt la scène des nightclubs de New York et de Chicago.
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00:14:59 La prohibition avait fait exploser la vie nocturne.
00:15:02 Excité par le goût de l'interdit, les foules s'enivraient d'alcool et de danses frénétiques, Charleston, Foxtrot, Black Bottom,
00:15:08 et les disques et la radio propageaient partout la sensualité provocante du jazz.
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00:15:16 Les jazzmen faisaient danser toute l'Amérique, l'Angleterre était à leurs pieds, la France les adulait.
00:15:21 Mais les clubs de la musique de New York et de Chicago étaient les meilleurs clubs de la vie.
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00:15:30 Les clubs de New York et de Chicago étaient les meilleurs clubs de la vie.
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00:15:38 Les clubs de New York et de Chicago étaient les meilleurs clubs de la vie.
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00:15:46 Le jazz a réalisé ainsi le rêve du grand intellectuel noir W.E.B. Du Bois,
00:15:51 qui écrivait dans son journal à l'orée des années 20,
00:15:54 "Assez de ces chaînes mentales qui nous rapetissent l'âme, entraînons-nous à voir la beauté dans le noir."
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00:16:05 Le jazz des années 20 était cette célébration explosive et joyeuse de la "beauty in black"
00:16:10 à laquelle Duke Ellington dédia nombre de ses compositions.
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00:17:23 Harlem était la capitale de cette extraordinaire renaissance.
00:17:27 Ses artistes rivalisaient de talent, ses femmes étaient les plus élégantes, ses boîtes les plus courues.
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00:17:39 Le Cotton Club était le night club le plus célèbre du monde.
00:17:42 Duke Ellington immortalisera ses nuits avec son célèbre "Jungle Nights in Harlem",
00:17:46 qui ravissait un public uniformément blanc.
00:17:49 Car en ce temps-là, les musiciens noirs pouvaient dominer la scène dans les clubs chics,
00:17:53 mais ils n'avaient pas le droit d'y entrer comme clients.
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00:18:22 C'était la face cachée des années folles.
00:18:24 Le vilain secret dont les musiciens qui souriaient en regardant leur public ne devaient pas parler.
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00:19:08 Tandis que les blancs s'enthousiasmaient pour le jazz, une musique festive et joyeuse,
00:19:12 la musique la plus populaire au sein de la communauté noire dans les années 20 restait le blues.
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00:19:20 Le blues des chanteuses, le blues de Bessie Smith, qui dominait largement les ventes de la race music.
00:19:25 Ce ghetto musical où l'industrie blanche cantonnait les disques destinés au public noir.
00:19:30 Comme si la musique pouvait être assignée à résidence.
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00:19:47 Bessie Smith, que son public avait couronné impératrice du blues.
00:19:51 Elle, l'orpheline, la fille boulette qui avait grandi dans une troupe minstrel
00:19:55 et avait appris dans sa chair de quoi était fait le blues.
00:19:58 Mais c'est aussi pour cela que la communauté noire se reconnaissait dans les chansons lentes et tristes qu'elle chantait de sa voix si émouvante.
00:20:05 Les femmes y retrouvaient les faiblesses des hommes, les hommes la légèreté des femmes.
00:20:09 Et tous la dureté de la vie sous le joug de la pauvreté alors que la société blanche s'enivrait de sa prospérité illusoire.
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00:21:20 Mais la crise de 1929 fracassa l'hédonisme joyeux des années folles.
00:21:24 Bientôt les rues étaient remplies de millions de chômeurs et pour la communauté noire il n'était plus question d'inventer de nouvelles danses ou de composer de nouveaux titres mais simplement de survivre.
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00:21:42 Les orchestres se séparaient, les studios fermaient, les artistes retournaient travailler dans les chants ou à l'usine.
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00:21:50 Dans le sud ravagé par la crise c'est toute une génération de musiciens de blues qui cessa d'enregistrer des disques.
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00:21:58 Mais l'esprit du blues ne mourut pas, il était trop ancré dans la vie et l'expérience des noirs d'Amérique.
00:22:04 De cette Amérique où les arbres du sud portaient ces fruits étranges, le corps martyrisé des noirs pendus.
00:22:10 "Strange Fruit"
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00:23:05 "Strange Fruit" était bien plus qu'une chanson pour Billie Holiday. Elle fut bouleversée lorsqu'elle découvrit ce texte,
00:23:12 qui deviendra grâce à elle l'une des plus puissantes dénonciations du lynchage.
00:23:17 Elle se battit pour l'enregistrer, elle se l'appropria, elle fit de "Strange Fruit" la chanson de sa vie.
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00:24:37 La force de "Strange Fruit" résidait probablement dans ce simple fait.
00:24:43 A cette époque, personne, absolument personne ne chantait ça.
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00:24:52 Personne n'osait parce que trop douloureux, trop polémique, et parce que le grand public ne voulait pas entendre parler de ça.
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00:25:43 Dans la crise, dans la tourmente, ce que les gens voulaient c'était toujours plus d'énergie, de gaieté,
00:25:48 une musique simple, rythmée, qui les ferait tournoyer et oublier tous leurs soucis, qui les ferait swinguer.
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00:26:04 Dans les dancing aux dimensions de Holdegard, les danses étaient de plus en plus spectaculaires, de plus en plus aériennes.
00:26:10 Les orchestres, tout entier dédiés à l'étourdissement des danseurs, comptaient désormais 20, 30, 40 musiciens,
00:26:16 même si le show business et sa grande machine à blanchir mettait systématiquement en avant les artistes blancs, Benny Goodman plutôt que Count Basie.
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00:26:50 Mais ce swing si gai, si léger, si universel, était encore trop nègre pour les racistes.
00:26:56 Dans l'Allemagne nazie, Goebbels traitait le jazz de musique dégénérée, et il fit interdire les danses swing partout où régnait l'ordre nazi.
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00:27:26 Pour les peuples du monde qui souffraient dans la guerre, l'exil, les privations, le swing était l'incarnation joyeuse de la liberté,
00:27:33 de l'insouciance dont chacun aspirait le retour.
00:27:37 Et c'est aussi pour cela que les Européens accueillirent en héros ces soldats noirs qui avaient traversé l'Atlantique pour les libérer.
00:27:44 C'est un peu le jazz qui débarquait avec eux.
00:27:47 Et pour eux aussi, cette rencontre fut une libération.
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00:28:41 Dans l'esprit nouveau de l'après-guerre, le bebop déchirait de ses street-dances le jazz de papa et le swing délavé des orchestres blancs.
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00:29:16 La mélodie se brisait, les sons s'entrechoquaient,
00:29:19 et au milieu des dissonances en liberté de leurs héros, Dizzy Gillespie et Charlie Parker, les boppers s'affirmaient violemment nègres.
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00:29:35 Emporté par ce vent de renouveau, le blues du Delta avait quitté sa campagne pour remonter jusqu'à Chicago et se brancher sur l'électricité des villes du Nord.
00:29:43 Devant leurs amplis, Muddy Waters et John Lee Walker enchaînaient des riffs de guitare qui, 15 ans plus tard, secourant toute une jeunesse blanche à qui ils apprendront le blues sur les planches des festivals d'Amérique et d'Europe.
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00:31:51 Dans les églises, les voix explosaient. La lente noblesse des spirituoses avait été remplacée par l'extravagance du gospel qui soulevait les corps dans la communion de la musique.
00:32:01 *Musique*
00:32:30 *Musique*
00:32:46 Dans chaque ville où ils tournaient sans cesse, les groupes de gospel étaient à chaque fois accueillis par des foules qu'ils transportaient jusqu'à l'extase. Des extases qui n'avaient rien de mystique.
00:32:56 L'exaltation de Dieu, les concerts de gospel se muaient en exercice collectif d'adoration de ces chanteurs et chanteuses à la voix si puissante.
00:33:04 *Musique*
00:33:13 Tout était chamboulé et une nouvelle musique était en train de naître. Une musique qui puisait autant dans le gospel que dans le swing et dans le blues. Le rhythm and blues.
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00:33:26 L'économie repartait comme jamais. Partout on rêvait d'automobiles, de frigos, de télévision. Les adolescents vivaient l'oreille collée à la radio, achetaient leur premier disque et s'enthousiasmaient pour cette nouvelle musique si explicite, si excitante, si mélangée,
00:33:40 dont les stars s'appelaient BB King, les Domino's ou Rose Gorm.
00:33:45 *Musique*
00:34:07 *Applaudissements*
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00:34:41 Le rhythm and blues annonçait une nouvelle ère où les barrières raciales s'effondraient une à une. Dans les salles de concert où jouait Rose Gorm, blanc et noir étaient séparés par une corde gardée par des policiers.
00:34:53 Méhappés par la chaleur de la musique, la foule se mélangeait, provoquant la police qui finissait par arrêter danseurs et musiciens. Jusqu'au prochain concert où tout recommencerait de nouveau.
00:35:04 Le rhythm and blues faisait se rencontrer les jeunesses blanches et noires et en 1954, la cour suprême rendit ce rapprochement obligatoire lorsqu'elle déclara que la ségrégation dans les écoles était contraire à la constitution.
00:35:17 Tous ces signes annonçaient des temps nouveaux, des temps où noir et blanc pourraient vivre ensemble, étudier ensemble, travailler ensemble, danser ensemble ou simplement s'ignorer comme deux inconnus seniors. Sans se haïr, sans se craindre, en oubliant qu'ils sont noirs ou qu'ils sont blancs.
00:35:33 Tous ces signes étaient les prémices d'un bouleversement immense, bien plus grand qu'eux, qui allait balayer l'Amérique pendant presque 20 ans et dont elle sortirait profondément transformée.
00:35:43 Un bouleversement que la musique a célébré et chanté, tantôt en pressé dans le mouvement, tantôt en le suivant, mais en l'accompagnant toujours dans un élan phénoménal de créativité et d'émotion.
00:35:54 Ce bouleversement a commencé quand tous ces blancs passionnés de rhythm and blues se sont mis à en faire à leur tour.
00:36:00 "Get out of my kitchen and rattle those pots and pans"
00:36:14 Lancé par Milt Gabler, celui qui avait permis à Billy Holiday d'enregistrer Strange Foot, Bill Alley leur montra la voie en 1954, quand il reprenait Big Joe Turner, le plus grand shouter de blues de Kansas City.
00:36:26 "Well over there, way down underneath"
00:36:37 "Baby roll my eyes, baby, baby, grip my teeth"
00:36:42 "I said shake, rattle and roll"
00:36:47 Bill Alley était vieux, poli et vaguement ridicule dans ses costumes de cow-boy d'opérette, mais il introduisit le rhythm and blues auprès des millions de teenagers blancs qui n'osaient pas ou ne pouvaient pas en écouter, et pour cela il devint mondialement célèbre en quelques mois.
00:37:03 Mais ce n'était pas lui qui déchaînait les foules, c'était la musique qu'il jouait, le rock and roll.
00:37:10 Une musique sauvage, simpliste, gorgée d'hormones et d'électricité, un des calques brutales du rhythm and blues que célébraient des prophètes délirants qui débarquaient en rute dans la salle à manger familiale.
00:37:21 Et ces prophètes étaient des noirs. Des noirs qui ne cherchaient pas à faire oublier qu'ils étaient noirs. Au contraire, tout dans leur attitude extravagante venait râper au bien-pensant leur plus grande terreur.
00:37:33 Il y avait Chuck Berry, les yeux écarquillés, la bouche humide, qui célébrait avec jubilation les déhanchements des pucelles de 16 ans de Boston à Pittsburgh jusqu'à la Nouvelle-Orléans.
00:37:43 [Musique]
00:38:11 [Musique]
00:38:18 Il y avait cette grande folle de Little Richard qui célébrait les plaisirs douloureux de l'amour à l'envers dans un déluge de cris suraigus et de nomatopées délirantes.
00:38:26 [Musique]
00:38:47 [Applaudissements]
00:39:03 Et puis il y avait Elvis. Elvis qu'on disait blanc mais qui s'habillait comme un macro du gâteau de Memphis, qui chantait comme un possédé et qui exhalait la vulgarité, le sexe et l'urgence par tous les pores de sa peau.
00:39:16 Elvis qui était au-delà des races. Elvis qui plaisait aux blancs. Elvis qui plaisait aux noirs. Et c'est ce qui effrayait tous les tenants de la ségrégation. Cette musique menaçait l'ordre établi.
00:39:28 [Musique]
00:39:56 [Musique]
00:40:19 Le rock'n'roll rassemblait les jeunesses blanches et noires. Les racistes luttaient pour qu'elles restent à jamais séparées.
00:40:25 [Musique]
00:40:36 Lorsque, fort de la décision de la Cour suprême, les premiers étudiants noirs voulurent s'inscrire dans les établissements jusque-là réservés aux blancs, c'est avec des pierres et des insultes qu'ils furent accueillis.
00:40:46 [Cris de la foule]
00:40:53 Le racisme était là, palpable, odieux sur les visages et dans les mots. Il était là même chez ces jeunes qui, comme tous les teenagers des années 50, devaient écouter du rock'n'roll et qui pourtant crachaient leur haine sur Elisabeth Hackford simplement parce qu'elle était noire.
00:41:07 [Cris de la foule]
00:41:13 Elisabeth Hackford, la petite lycéenne, si calme, si droite, si sûre de son bon droit face aux insultes et à la bêtise de ces adolescents de son âge qui ne voyaient en elle que la couleur de sa peau.
00:41:25 Signe que, malgré sa puissance intégratrice, le rock'n'roll n'était finalement que cela, une musique, et que, à elle seule, une musique ne pouvait renverser 300 ans de préjugés.
00:41:36 [Musique]
00:41:49 La musique ne peut pas vaincre l'injustice, mais elle peut faire rêver, elle peut donner du courage, elle peut entraîner.
00:41:56 Elle avait réchauffé le cœur des Noirs d'Amérique au temps de l'esclavage, et elle était toujours là, le jour où ils décidèrent de se lever contre les lois Jim Crow.
00:42:04 [Musique]
00:42:07 Depuis ce jour de 1954, où à Montgomery, dans l'Alabama, une petite couturière, Rosa Parks, refusa de céder sa place de bus à un monsieur blanc.
00:42:16 Ce n'était pas plus que cela, et pourtant c'était énorme, car le geste de Rosa Parks mit en mouvement toute la communauté noire de Montgomery,
00:42:24 qui boycotta pendant des mois les bus municipaux pour la soutenir.
00:42:28 Et de ce petit boycott local allait sortir le grand mouvement des droits civiques.
00:42:33 Un mouvement qui partit de ces églises noires où la communauté se retrouvait autour des religieux qui le conduisaient,
00:42:39 où l'on venait écouter ce révérend charismatique Martin Luther King.
00:42:43 [Vidéo en anglais]
00:43:11 [Applaudissements]
00:43:31 À chaque meeting, les gens chantaient dans ces églises où la musique avait toujours été chez elles.
00:43:35 Ils chantaient la liberté, joyeusement, simplement, avec l'assurance tranquille de ceux qui sont sûrs de leur foi et croient en leur cause.
00:43:43 [Chant]
00:43:45 Il y avait dans ces chants faits pour être chantés ensemble, dans la chaleur d'une église, l'énergie d'une manifestation,
00:43:51 une puissance formidable, une force qui venait du cœur et de l'âme du peuple noir.
00:43:56 Et ces chants sont devenus l'un des moteurs les plus puissants du mouvement.
00:44:00 [Chant]
00:44:10 Un mouvement qui subirait dix années durant la répression et les brutalités policières.
00:44:16 [Chant]
00:44:40 Et pendant toutes ces années, les militants des droits civiques chanteront dans la rue, face à la police, en prison,
00:44:46 ils chanteront ces chansons si simples et si puissantes que l'on appellera les "Freedom Songs".
00:44:51 [Chant]
00:44:56 Les "Freedom Songs" ont pris une importance plus grande encore avec l'entrée en lutte de la jeunesse étudiante à partir de 1960.
00:45:04 Dans leur bus de la liberté, les "Freedom Riders" sillonnaient le sud pour défier ces lois imbéciles.
00:45:10 Ils apportaient au mouvement leur idéalisme, leur enthousiasme et leur amour de la musique.
00:45:15 De la musique de leur temps.
00:45:17 Leurs chansons puisaient autant dans le répertoire traditionnel que dans les hit-parades "Rhythm and Blues".
00:45:22 Et c'est toute l'histoire de la chanson noire américaine qu'ils parcouraient ainsi.
00:45:26 [Chant]
00:45:31 Le groupe de chanteurs du Congrès pour l'égalité raciale détourna par exemple "Hit the Road Jack",
00:45:36 le tube de Ray Charles, en "Get Your Rights Jack" pour en faire un appel à la mobilisation civique contre la ségrégation.
00:45:43 [Chant]
00:45:47 [Chant]
00:45:50 [Chant]
00:45:55 [Chant]
00:46:20 [Chant]
00:46:39 [Chant]
00:46:45 Rien n'aurait pu éteindre la flamme de cette musique venue du fin fond de l'histoire américaine.
00:46:50 [Chant]
00:46:52 La jeunesse la redécouvrait grâce à ces chanteurs folk dont les airs se mêlaient aux airs de la liberté des marches pour les droits civiques.
00:46:59 [Chant]
00:47:11 Les temps étaient en train de changer. Cette lutte de plusieurs siècles semblait maintenant sur le point d'aboutir.
00:47:16 [Chant]
00:47:19 [Chant]
00:47:48 [Chant]
00:47:50 [Chant]
00:47:52 [Chant]
00:47:54 [Chant]
00:47:56 [Chant]
00:48:24 [Chant]
00:48:26 [Chant]
00:48:28 [Chant]
00:48:30 [Chant]
00:48:32 [Chant]
00:48:34 [Chant]
00:48:36 Les mots d'ordre du mouvement étaient des titres de chansons comme "We Shall Overcome",
00:48:41 ce chant grave et profond qui allait devenir l'hymne des militants pour l'égalité.
00:48:45 [Chant]
00:49:08 En ce bel été 1963, la plus belle et la plus large des marches convergea jusqu'à Washington pour marquer ce moment décisif.
00:49:16 Ce moment où bientôt le rêve de liberté de tout un peuple allait se réaliser.
00:49:22 [Chant]
00:49:51 [Chant]
00:50:14 [Chant]
00:50:21 [Chant]
00:50:48 [Chant]
00:50:55 Toutes les couleurs et toutes les religions d'Amérique unies par une chanson,
00:51:00 un spiritual venu du plus profond de l'histoire américaine.
00:51:03 La marche sur Washington s'acheva sur cet envolé lyrique.
00:51:07 Sur ce rêve d'une société unie, enfin réconciliée avec elle-même,
00:51:12 que viendra couronner l'année suivante la signature de la loi sur les droits civiques par le président Johnson.
00:51:19 Le Droit Civil est un défi pour nous tous,
00:51:23 de travailler dans nos communautés et nos États, dans nos maisons et dans nos cœurs,
00:51:29 pour éliminer les derniers vestiges d'injustice dans notre belle et chère pays.
00:51:37 [Musique]
00:51:59 Un rêve. Il s'agissait bien de cela à cette époque où dans les États du Sud,
00:52:04 la violence se déchaînait comme jamais contre le mouvement des droits civiques.
00:52:08 Birmingham, Alabama 1964.
00:52:10 Une bombe explose dans une église noire et tue quatre jeunes filles.
00:52:14 Selma, Alabama 1965.
00:52:16 Les marcheurs pacifiques inspirés par Martin Luther King sont dispersés avec une brutalité incroyable par une police armée jusqu'au dent.
00:52:24 Le discours d'espoir de Martin Luther King se heurtait durement à la réalité raciste du vieux Sud.
00:52:30 Et dans le Nord, son rêve paraissait bien loin, dans ces ghettos surpeuplés
00:52:34 qui vivaient au rythme des arrestations arbitraires et des bavures policières.
00:52:40 [Musique]
00:52:46 Et pourtant, il y avait un endroit où ce rêve d'intégration et de fraternité semblait déjà réalisé.
00:52:51 Cet endroit, c'était la musique.
00:52:54 Depuis le début des années 60, sous l'impulsion de Berry Gordy, un ancien ouvrier automobile,
00:53:00 une extraordinaire usine à hits s'était mise à fonctionner dans le ghetto de Détroit.
00:53:04 Tamla, Motown.
00:53:06 [Musique]
00:53:35 Chaque mois, de nouveaux morceaux sortaient des chaînes de Motown.
00:53:38 Des chansons que reprenaient avec grâce et énergie ces jeunes filles habillées de robes de soirée
00:53:43 à qui Berry Gordy avait promis qu'elles deviendraient des stars.
00:53:46 [Musique]
00:53:54 Des stars comme Martin De Vandellaz, qui ferait danser dans la rue la jeunesse noire et la jeunesse blanche.
00:53:59 Dans toutes les villes d'Amérique et au-dessus de la tour de l'Europe.
00:54:03 Toutes les villes d'Amérique et au-dessus de l'Atlantique jusqu'en Europe
00:54:06 où la force de ces chansons les emmena insouciantes et joyeuses comme Diana Ross et les Supremes
00:54:12 descendant les Champs-Élysées au milieu des embouteillages sur l'air de "Where did our love go".
00:54:17 [Musique]
00:54:20 C'était la magie de la musique noire du début des années 60.
00:54:23 Ces compositeurs et ces musiciens savaient effacer toute la brutalité de leur époque avec élégance et simplicité.
00:54:29 L'élégance d'une mélodie, la simplicité d'un refrain, chanter avec ce sourire si rassurant et si séduisant.
00:54:35 Le sourire de Diana Ross, radieuse avec les Supremes.
00:54:39 Le sourire enjôleur et charmeur de Sam Cooke.
00:54:42 Sam Cooke, il avait été l'enfant chéri du gospel et maintenant il voulait tout.
00:54:47 L'indépendance financière, le succès discographique, le public noir, le public blanc.
00:54:52 Il fut le premier chanteur noir à créer un label et le premier artiste de R&B à reprendre Bob Dylan.
00:54:59 [Applaudissements]
00:55:02 [Musique]
00:55:30 [Applaudissements]
00:55:38 Motown chantait encore l'amour et la danse.
00:55:40 Sam Cooke chantait déjà les temps qui changent.
00:55:42 Ce vent de renouveau qui soufflait sur sa communauté auquel il donnera son hymne définitif
00:55:47 peu avant d'être assassiné dans des circonstances obscures en décembre 64.
00:55:51 A change is gonna come.
00:55:53 [Musique]
00:56:22 [Musique]
00:56:47 Mais ce changement là, en 1965, n'était plus le changement pacifique des paroissiens provinciaux de Martin Luther King.
00:56:54 [Musique]
00:57:07 C'était le changement d'une jeunesse qui voulait être noir et ne plus baisser la tête devant le blanc.
00:57:12 Une jeunesse dont le héros était Cassius Clay qui faisait trembler les rings et scandalisait les bien-pensants en refusant de rester à sa place.
00:57:19 Sa place de nègre, tout juste bon à se battre sur un ring.
00:57:22 Parce qu'il était bien plus qu'un boxeur, il était la plus grande gueule d'Amérique.
00:57:25 Il était la jeunesse, l'arrogance, la révolte.
00:57:27 [Musique]
00:57:39 C'était le changement de tous ceux qui étaient fatigués d'attendre.
00:57:42 Fatigués de tendre l'autre joue.
00:57:44 Fatigués des marches et des sit-ins.
00:57:46 C'était le changement de Malcolm X.
00:57:48 [Musique]
00:58:17 [Musique]
00:58:21 Malcolm X, un New-Yorkais, un mec de Harlem, costard de Marlowe et petites embrouilles, élevé au swing et à l'école de la rue,
00:58:28 qui changea radicalement de vie lorsque dans les années 50, il rencontra en prison le radicalisme de la Nation of Islam.
00:58:35 Il en devint le porte-parole avant d'en rejeter les tendances racistes.
00:58:39 [Musique]
00:59:04 [Musique]
00:59:16 Son éloquence tranchante en fera le leader moral incontesté de cette nouvelle génération décider à ne plus accepter les compromis.
00:59:23 [Musique]
00:59:34 Dire les choses, sans compromis, sans prendre de gants, c'est ce que faisait Nina Simone, la plus engagée des chanteuses de jazz,
00:59:40 quand sur Mississippi Goddam, elle jetait le nom des États du Vieux Sud avec tout le dégoût que leur racisme imbécile lui inspirait.
00:59:47 [Musique]
01:00:12 Ses paroles de résistance résonnaient puissamment auprès de tous ces militants qui à Harlem et ailleurs,
01:00:17 commençaient à afficher fièrement leurs racines africaines.
01:00:20 Ce n'était encore qu'une petite avant-garde, mais elle bouillonnait.
01:00:23 [Musique]
01:00:26 Elle bouillonnait comme ces jazzmen qui renouaient avec le blues et rêvaient d'Afrique et de spiritualité avec John Coltrane,
01:00:32 qui jouait Afro-Blue sur son saxophone.
01:00:35 [Musique]
01:01:04 [Musique]
01:01:12 Et derrière John Coltrane, Archie Shepp ou Charlie Mingus, les maîtres furieux du free jazz,
01:01:17 une nouvelle génération de musiciens se levait, plus durs, plus radicaux, plus jalousement noirs.
01:01:22 Ils jetaient dans leur musique leur fierté d'être des fils d'Afrique et toute l'énergie de leur colère.
01:01:27 Fierté et colère, il ne sera plus question que de cela désormais.
01:01:31 Fierté de Cassius Clay, qu'en 1964, il annonçait à la face de l'Amérique blanche qu'il s'appelait désormais Mohamed Ali et qu'il était un musulman noir.
01:01:39 [Musique]
01:01:49 Fierté de Stockley Carmichael, le jeune leader de la branche étudiante du mouvement des droits civiques,
01:01:54 lorsqu'il marchait aux côtés de Martin Luther King durant l'été 1966 et revendiquait, lui, un pouvoir noir.
01:02:00 Ici, maintenant, tout de suite.
01:02:02 [Musique]
01:02:29 [Musique]
01:02:32 Les jeunes qui l'entouraient ne chantaient plus la liberté comme leurs parents ou leurs grands frères.
01:02:36 Autour de Stockley Carmichael, leur liberté serait sans compromis, elle serait urgente.
01:02:41 Leur liberté à eux, elle serait armée.
01:02:43 [Musique]
01:02:47 Dans ce sud où l'utopie non violente de Martin Luther King était en train d'exploser,
01:02:51 toute la jeunesse partageait ce sentiment d'urgence, cette impatience à exister, à crier, à chanter,
01:02:57 à laisser exploser toute cette énergie accumulée depuis 350 ans.
01:03:01 Et parce que depuis 350 ans, l'âme du peuple noir était sa musique,
01:03:05 cette explosion qui avait commencé avec Sam Cooke s'appellera Soul, Soul Music.
01:03:10 [Musique]
01:03:21 Ce n'étaient plus les accords de Motown,
01:03:23 étincelants comme les angeliveurs d'une cadiac carrossée pour l'Amérique blanche.
01:03:27 C'était l'exubérance du sud, la chaleur, la transpiration, la douleur, la beauté de l'âme des noirs du sud.
01:03:33 Le sud dont la capitale musicale était Memphis, Tennessee,
01:03:37 où dans les studios de Stax Records s'épanouit la plus formidable voix des années 60,
01:03:42 Otis Redding.
01:03:44 [Musique]
01:04:13 [Musique]
01:04:37 Otis Redding, le géant débonaire qui avait tant admiré Sam Cooke
01:04:41 et qui sur scène, le micro à la main, devenait un autre homme.
01:04:44 [Musique]
01:04:45 Il devenait la Soul.
01:04:47 [Musique]
01:04:49 Sa voix contenait tout le tumulte des années 60,
01:04:52 cette assurance nouvelle des noirs d'Amérique qui les faisait oser.
01:04:55 [Musique]
01:05:01 Oser aller au devant du blanc, oser lui prendre ses chansons et les réussir mieux que lui.
01:05:06 [Musique]
01:05:08 Comme à Monterrey en 1967 où il enflamma le public en s'emparant du tube des Rolling Stones, Satisfaction.
01:05:15 [Musique]
01:05:44 [Musique]
01:05:51 Otis chantait, la basse grondait, la batterie frappait.
01:05:54 Elle frappait comme jamais une batterie n'avait frappé.
01:05:57 C'était une pulsation nouvelle, la célébration d'un rythme brutal dont le grand prêtre était James Brown, le parrain de la Soul.
01:06:04 [Musique]
01:06:17 C'était la pulsation du funk, le rythme sauvage de cette colère qui était en train de monter de l'Amérique noire.
01:06:23 [Musique]
01:06:35 Colère contre l'arbitraire de la police raciste.
01:06:38 Colère contre les politiciens qui exploitaient les peurs de la majorité blanche.
01:06:43 Colère qui fit exploser la belle unité du mouvement des droits civiques et sa croyance sereine en la force de la non-violence.
01:06:50 C'était une rage muette qui vous prenait à la gorge, l'intensité sourde de la jeunesse qui grondait.
01:06:57 [Musique]
01:07:02 Le premier qui sut saisir cette vibration nouvelle était James Brown.
01:07:05 [Musique]
01:07:09 Parce qu'il ne le fit pas avec des mots mais avec des rythmes.
01:07:12 [Musique]
01:07:14 Des rythmes qui enflaient, qui enflaient chaque année un peu plus brutaux, un peu plus simplistes, un peu plus funk.
01:07:20 Et à chaque fois qu'ils enflaient, l'Amérique noire s'embrasait un peu plus.
01:07:24 [Musique]
01:07:26 Harlem 64, Watts 65, Détroit, Newark 67, le scénario était partout le même.
01:07:32 Après des années de vexations policières, une arrestation tourne mal, la foule, la rumeur et le ghetto explose.
01:07:39 Violence, pillages, la police dépassée, l'armée, les blindés, les fusils et au final des quartiers dévastés et des dizaines de morts.
01:07:47 [Musique]
01:07:49 Et en 68, à Memphis.
01:07:52 [Applaudissements]
01:07:54 [Musique]
01:08:21 Martin Luther King avait 39 ans.
01:08:24 Quatre ans plus tôt, il avait reçu le prix Nobel de la paix et il avait vu le président Johnson signer la loi sur les droits civiques.
01:08:30 Il rêvait maintenant de mettre fin à la pauvreté, au ghetto, à la guerre au Vietnam.
01:08:34 Mais son discours avait déjà les accents d'un testament.
01:08:37 [Musique]
01:08:48 Le lendemain, dans un motel à deux pas des studios Stax, il était assassiné.
01:08:52 [Musique]
01:09:08 Et plus de 100 villes s'embrasèrent.
01:09:10 [Musique]
01:09:17 James Brown et ses musiciens étaient à Boston en cette brûlante soirée d'avril 1968.
01:09:22 La tension était extrême.
01:09:24 Le concert faillit être annulé par la mairie par crainte des violences.
01:09:27 Mais James Brown était sûr de pouvoir empêcher les émeutes.
01:09:30 Parce qu'il était James Brown.
01:09:32 Parce qu'il était le funk.
01:09:34 Parce qu'il connaissait son peuple et qu'il saurait lui parler.
01:09:36 Et le concert eut lieu.
01:09:38 Mais James Brown se trompait.
01:09:40 Celui que son public vit sur la scène ce soir-là, ce n'était pas le parrain de l'assaut impérial et souverain.
01:09:44 C'était juste un homme de couleur qui se tenait derrière un politicien blanc
01:09:47 qui leur disait de se calmer alors que leur plus grand leader avait été assassiné.
01:09:51 Je suis le président de l'Assemblée nationale de l'Amérique du Nord.
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01:10:51 Ce jour-là, James Brown compris qu'il ne pourrait plus se contenter de chanter, de danser, de ne rien faire d'autre.
01:10:57 Il compris que ces rythmes monstrueux qui avaient complètement dévoré ses chansons voulaient dire quelque chose.
01:11:02 Il compris qu'ils étaient la pulsation de son peuple fier et en colère, et qu'il était temps de mettre des paroles dessus.
01:11:08 Quatre mois plus tard, il enregistrait "Say it Loud and Black and I'm Proud".
01:11:14 Say it loud and black and I'm proud.
01:11:20 Some people say we got a lot of malice, some say it's a lot of pride.
01:11:24 Fier d'être noir, un mot d'ordre dont le symbole sera un point levé.
01:11:27 Le point du pouvoir noir, le point que dressait Tommy Smith dans "La nuit de Mexico".
01:11:31 And we've been scorned.
01:11:33 We've been fed up.
01:11:35 Le point de Stockley Carmichael, le point des Panthères Noirs.
01:11:38 Après les émeutes de Watts, Ewen Newton et Bobby Seale avaient eux aussi fait un rêve lorsqu'ils avaient fondé en 1966 le parti de la Panthère Noire pour l'autodéfense.
01:11:47 Ce n'était pas le rêve de compréhension de Martin Luther King.
01:11:55 Leur rêve à eux portait un uniforme.
01:11:57 Ils parlaient de révolution, de socialisme.
01:11:59 Ils paradaient devant les bâtiments publics, un fusil à la main.
01:12:02 Mais il était noir avant tout.
01:12:04 Noir et fier.
01:12:06 Nous sommes sur le bord d'une révolution noire, frères.
01:12:10 Des masses de notre peuple sont dans les rues.
01:12:12 Ils se battent pour un peu, deux pour deux.
01:12:15 Un oeil pour un oeil et une lumière pour une lumière.
01:12:18 Les rebellions que nous voyons sont seulement des réunions pour la révolution qui vient.
01:12:24 Il vaut mieux qu'on se mette des armes et qu'on se prépare.
01:12:27 Les Panthères avaient cette arrogance canaille de la rue.
01:12:30 Cette jeunesse des ghettos qui vibrait au funk de James Brown.
01:12:33 Qui haïssait ses ports de flics racistes et qui n'avait plus peur de le dire.
01:12:38 Nous allons commencer par nous-mêmes de nous réunir en 1000 personnes qui occupent nos unités.
01:12:44 C'est mieux que de partir.
01:12:46 Mais j'ai vu tout et quelqu'un a sa tête sur le sol.
01:12:49 Ils tentent de voler la musique et nous la laissons partir.
01:12:53 Ils tentent de apprendre le rythme et leur tête ne change pas.
01:12:57 Le temps est arrivé, nous avons eu assez.
01:12:59 Maintenant, nous avons de la chance.
01:13:01 Ils ne nous donnent pas ce rythme parce que c'est un travail de la loi.
01:13:04 L'Amérique noire n'écoutait plus ses avocats ni ses pasteurs.
01:13:07 Elle écoutait la rue.
01:13:09 Et la rue lui disait qu'ils en avaient marre de la pauvreté, marre du racisme, marre de la guerre.
01:13:14 Et la musique reprenait ce que la rue disait.
01:13:17 Les hits parades sonnaient désormais aussi dramatiquement que les pages d'actualité des journaux.
01:13:21 Quand Edwin Starr lançait Motown contre la guerre du Vietnam.
01:13:25 La guerre du Vietnam ou l'escalade que prônaient les stratèges de Washington
01:13:40 était en train d'entraîner toute la jeunesse du pays.
01:13:42 Une guerre sauvage, injuste, contre laquelle Martin Luther King risqua sa popularité
01:13:47 et Mohamed Ali sa carrière en refusant de partir faire la guerre contre les vietnamiens.
01:13:53 Le pouvoir était souillé du sang des morts du Vietnam.
01:13:57 L'espoir des droits civiques avait été assassiné.
01:14:00 L'Amérique noire ne croyait plus qu'en elle-même.
01:14:03 Elle ne vibrait plus qu'au son du pouvoir noir.
01:14:06 Ou plutôt de ce soul power que le funk faisait exploser comme un cri.
01:14:11 *Musique*
01:14:15 *Musique*
01:14:25 *Musique*
01:14:50 *Musique*
01:15:15 Un cri repris par Jesse Jackson, ce jeune pasteur qui avait été le compagnon de Martin Luther King.
01:15:20 *Musique*
01:15:32 Jesse Jackson qui devint le nouveau visage de cette Amérique noire ravite de reconnaissance et d'autonomie.
01:15:37 De ce soul power qu'il rêvait de construire économiquement, socialement, politiquement.
01:15:42 *Musique*
01:15:57 Les noirs d'Amérique ne se cachaient plus.
01:15:59 Ils marchaient, fiers de leurs couleurs et de leurs origines.
01:16:02 Avec leurs vêtements africains et leurs coiffures afro.
01:16:04 Avec cette extravagance funky qui disait aux blancs d'aller se faire foutre avec son bon goût, ses costumes et sa morale.
01:16:10 *Musique*
01:16:18 Partout le corps noir s'affichait.
01:16:20 De plus en plus dénudé, de plus en plus voluptueux, de plus en plus libre.
01:16:24 Et cette liberté était une déclaration, l'affirmation insolente de l'individualité de tout un peuple.
01:16:30 Une liberté que Jesse Jackson résuma lorsqu'il ouvrit cette apothéose joyeuse du soul power en acte.
01:16:36 Le festival What's Tax de 1972 qu'il résuma en trois mots tout simples.
01:16:41 *Musique*
01:17:05 *Musique*
01:17:16 What's Tax ?
01:17:17 Une grande messe funky, célébrée par des musiciens de Stax Records au sommet de leur excentricité.
01:17:23 A l'image des barcays en afro et chaînes en or.
01:17:26 Pour rendre un hommage ludique et délirant aux shafts de leur ami Isaac Heiss.
01:17:30 *Musique*
01:17:34 *Musique*
01:17:49 *Musique*
01:18:02 *Musique*
01:18:13 Après 15 ans de lutte pour les droits civiques, les noirs d'Amérique pouvaient enfin dire ces trois mots si simples et pourtant si révolutionnaires.
01:18:20 "Oui, je suis quelqu'un et je suis fier de ce que je suis."
01:18:23 "Je ne suis peut-être pas éduqué", disait Jesse Jackson.
01:18:26 "Je suis peut-être en prison, mais je suis quelqu'un."
01:18:29 Noir, fier et beau.
01:18:32 Comme ces super-héros noirs qui colonisèrent les salles de cinéma des centres-villes.
01:18:36 *Musique*
01:18:38 Cela avait commencé avec "Sweet Sweet Back" de Melvin Van Peebles.
01:18:42 Un film qui bouillonnait de la rage des Black Panthers.
01:18:45 *Musique*
01:18:48 Et derrière "Sweet Back" apparurent "Shaft", "Coffee", "Superfly" et des dizaines d'autres qui réalisaient à l'écran tous les fantasmes de leurs millions de spectateurs.
01:18:57 Botter les fesses du blanc, punir les flics racistes, coucher avec la fille du patron, se tirer avec l'oseille.
01:19:02 *Musique*
01:19:12 Mais tous ces personnages saturés de sexe et de cool n'étaient que des figures de cinéma.
01:19:16 Derrière le spectacle de leur rébellion, ils exaltaient la réussite individuelle, le rêve américain, un certain retour à la norme.
01:19:24 *Musique*
01:19:26 C'était le milieu des années 70.
01:19:28 La répression policière et les querelles de personnes avaient brisé l'élan des Panthers noirs.
01:19:33 Les militants rentraient chez eux.
01:19:35 Chacun cherchait à retrouver une place dans la société, une société où l'on élisait les premiers maires noirs,
01:19:41 mais où, pour la plupart des noirs d'Amérique, c'était d'abord la crise qui ravageait les grandes villes et déchirait les communautés.
01:19:47 *Musique*
01:19:54 Pour les anarchistes et les leaders des civil rights, l'amertume avait remplacé l'énergie du soul power.
01:19:59 *Musique*
01:20:01 C'était la crise et l'Amérique avait besoin d'évasion, de plaisir, de danse.
01:20:06 *Musique*
01:20:08 Comme elle avait eu le swing pour oublier la dépression, elle eut le disco pour oublier le chômage, l'insécurité et l'inflation.
01:20:15 *Musique*
01:20:33 La fièvre disco, un tourbillon de basse surpuissante, un grand mix où toute la société se retrouvait,
01:20:39 où se mélangeaient les noirs et les blancs, les homos et les hétéros, les riches et les pauvres,
01:20:45 entraînés jusqu'au bout de la nuit par les rythmes métronomiques des disjockey.
01:20:49 *Musique*
01:20:58 Loin du studio 54 et de la fièvre du samedi soir, dans les ghettos ravagés par la crise, une autre vibration faisait bouger la rue.
01:21:06 *Musique*
01:21:13 Le rêve hallucinogène d'un chanteur de doo-wop transfiguré par le LSD, George Clinton.
01:21:19 *Musique*
01:21:30 Le funk recyclait le funk de James Brown, les guitares de Hendrix, l'élasticité dansante du disco,
01:21:35 et envoyait tout ça dans l'espace, loin de toute cette misère.
01:21:39 *Musique*
01:21:50 Pour la jeunesse noire, ce qui restait de l'esprit du soul power résidait là,
01:21:54 dans ces chansons surréalistes avec lesquelles George Clinton et sa tribu bariolée inondèrent les hits parades à la fin des années 70.
01:22:01 *Musique*
01:22:20 Dans ces shows délirants, il recréait dans l'espace cette terre promise utopique
01:22:25 que la musique noire n'avait cessé de promettre depuis sa naissance, au temps des négros spirituoses.
01:22:30 *Musique*
01:22:59 *Musique*
01:23:06 Pour tous ces mômes des ghettos qui formaient son public enthousiaste,
01:23:09 les promesses imaginaires du P-Funk étaient plus réelles que tous les hymnes en plastique du disco.
01:23:14 George Clinton leur disait que l'imagination pouvait tout.
01:23:18 Et de l'imagination, ils en avaient à revendre tous ces mômes qui n'avaient rien.
01:23:23 *Musique*
01:23:52 *Musique*
01:24:03 Ils n'avaient rien. Rien d'autre qu'un tourne-disque,
01:24:06 quelques 33 tours et un bout de lino avec lesquels ils inventèrent une nouvelle culture,
01:24:10 une nouvelle façon de jouer de la musique, de faire de la musique avec celle des autres,
01:24:15 une nouvelle façon de chanter, de danser.
01:24:18 *Musique*
01:24:20 Ils avaient 12 ou 15 ans, ils habitaient dans le coin le plus pourri de l'Amérique des années 70,
01:24:24 ce Bronx dévasté par les incendies criminels et la drogue.
01:24:28 Personne ne s'intéressait à eux.
01:24:30 Il n'était rien dans cette Amérique de Reagan qui ne pensait qu'aux riches et se fichait de l'avancement des noirs.
01:24:35 *Musique*
01:24:37 Et comme personne d'autre ne voulait parler à leur place, et que parler ça ne coûtait rien,
01:24:41 ils ne firent plus que cela, parler, parler ou plutôt raper, le micro en main.
01:24:47 *Musique*
01:24:58 Un mythe était en train de naître, le mythe du hip-hop,
01:25:01 cette fleur sauvage sortie du béton qui allait bientôt essaimer sur la terre entière
01:25:05 et qui avait fleuri là, dans ces quartiers délabrés qui vivaient au rythme de la criminalité.
01:25:09 *Musique*
01:25:17 Une criminalité décuplée par l'arrivée du crack,
01:25:19 un dérivé bon marché de la cocaïne dont le commerce et la consommation explosa au début des années 80.
01:25:25 *Musique*
01:25:27 Cette réalité là, on la trouvait à l'état brut dans les disques de rap.
01:25:31 *Musique*
01:25:59 *Musique*
01:26:02 Avec cette chanson, "The Message", Grand Master Flash and The Furious Five,
01:26:06 démontrait que le rap n'était pas juste une curiosité du folklore urbain,
01:26:10 mais qu'il était au contraire une forme d'expression à part entière,
01:26:13 capable de convoquer les images les plus puissantes au service d'un message.
01:26:17 *Musique*
01:26:20 Des mots d'argot plein la bouche, les rappeurs affrontaient la réalité en face.
01:26:24 Avec leurs rimes, ils plongeaient leur public de gré ou de force dans la réalité brutale du ghetto.
01:26:29 *Musique*
01:26:39 C'est ce que prétendaient faire Chuck D et Flever Flave, les deux leaders de Public Enemy.
01:26:44 Avec ses titres en forme de slogans, "Rebel Without a Pause", "Bring the Noise",
01:26:48 sa musique frénétique, son décorum paramilitaire directement inspiré des Black Panthers,
01:26:53 le groupe produisit pendant quelques années la plus extraordinaire machine d'agit' prop' à danser
01:26:58 depuis "I'm Black and I'm Proud" de James Brown.
01:27:01 *Musique*
01:27:10 Et parfois, ils faisaient encore plus que cela.
01:27:13 A eux seuls, ils espéraient ressusciter la fureur et le feu des années 60.
01:27:18 *Musique*
01:27:46 *Musique*
01:28:02 Et ils seront nombreux, bien au-delà de la communauté noire et même de l'Amérique,
01:28:06 à s'inspirer de leurs exemples pour trouver un sens à leur vie.
01:28:09 Derrière Chuck D et Flever Flave, c'est une nouvelle génération d'artistes et de leaders noirs qui surgit,
01:28:15 investis de cette même rage de renverser les barrières, de briser les habitudes et les bonnes manières pour s'imposer.
01:28:21 *Musique*
01:28:48 En 1989, c'est même le FBI qui s'offusque d'une chanson d'un nouveau groupe dont le nom est déjà par lui-même une énorme provocation.
01:28:55 N.W.A. - Niggas With Attitude.
01:28:58 Des négros en colère.
01:29:00 Cinq rappeurs de Los Angeles qui instruisent le procès de la police locale avec une chanson
01:29:05 dont le titre se retrouvera bientôt écrit sur les murs de tous les ghettos du monde.
01:29:09 "Fuck the Police".
01:29:11 *Musique*
01:29:16 *Musique*
01:29:37 N.W.A. exprimait la rage de ces jeunes contre cette société
01:29:41 et voyait plus qu'au travers du halo des projecteurs des hélicoptères de la police.
01:29:46 *Musique*
01:30:00 Bientôt, presque tous les disques de rap vont se trouver ornés du sticker infamant
01:30:04 "Parental Advisory - Explicit Lyrics"
01:30:07 "Accord parental - Parole explicite"
01:30:09 ce qui ne les rendra que plus populaires.
01:30:11 La réalité allait montrer que l'outrance n'était pas du côté des rappeurs
01:30:16 lorsqu'en 1992, un caméraman amateur saisit le tabassage de Rodney King,
01:30:21 un automobiliste noir, par une poignée de policiers blancs de Los Angeles.
01:30:25 Et quand quelques mois plus tard, un jury 100% blanc acquitte les policiers,
01:30:30 la ville renoue brutalement avec les émeutes, 27 ans après Watts.
01:30:34 *Musique*
01:30:56 Pendant 3 jours, le monde regardera effarer ces images de chaos et de violence
01:31:00 diffusées en boucle sur toutes les télévisions.
01:31:03 *Musique*
01:31:06 Mais les années 90-2000 n'étaient pas les années 60-70.
01:31:10 30 ans après les droits civiques, de nombreux noirs avaient accédé à des niveaux inédits
01:31:14 de responsabilité et de succès.
01:31:16 Dans le sport, le cinéma, la politique.
01:31:19 Et la majorité de la communauté profitait de l'exceptionnelle expansion économique
01:31:23 des années Clinton.
01:31:25 Les temps n'étaient plus à la révolution, mais à la réussite matérielle
01:31:28 et au plaisir individuel.
01:31:30 *Musique*
01:31:53 Dans le Los Angeles, d'après les émeutes, les rappeurs avaient abandonné
01:31:57 slogans et discours pour ne plus célébrer que les plaisirs prosaïques
01:32:00 de la vie des voyous.
01:32:02 L'hédonisme scandaleux du gangsta rap fascinera la jeunesse du monde.
01:32:06 *Musique*
01:32:26 Sur des airs inspirés du P-Funk de George Clinton, que Dr. Dre rejouait sur ses claviers,
01:32:31 cette musique avait le visage de Snoop Doggy Dogg.
01:32:34 Avec sa silhouette déjingandée, son air placide et cette façon si cool
01:32:38 de dire des choses choquantes.
01:32:41 Ils catapulteront le gangsta rap en haut des hits parades.
01:32:45 *Musique*
01:32:48 Mais c'est 2Pac qui donnera au gangsta rap son hymne définitif en 1995
01:32:52 avec California Love.
01:32:55 Dans le miroir déformant de ces vidéos extravagantes,
01:32:58 la mairie vit se construire un nouveau mythe.
01:33:01 Le mythe du capitalisme hors-la-loi des dealers et des gangsters,
01:33:04 où le bonheur se mesurait en voiture, en billets, en diamants,
01:33:08 et en filles aux corps moulés selon les canons de l'industrie pornographique.
01:33:12 *Musique*
01:33:41 *Musique*
01:33:48 2Pac venait juste de passer 8 mois en prison lorsqu'il enregistra ce morceau
01:33:52 qui le fit renaître en héros intense de cette racaille dont il fantasmait la vie.
01:33:56 Mais lorsque les spectateurs découvrirent ces images,
01:33:59 ils ne virent pas le jeune homme perturbé.
01:34:02 Ils s'enthousiasmèrent pour le premier clip de rap à 1 million de dollars.
01:34:06 *Musique*
01:34:08 Et New York répondait aussi à la demande de mythologie gangsta
01:34:11 avec Notorious Big et le label Bad Boy.
01:34:14 *Musique*
01:34:40 *Musique*
01:35:00 Une mythologie à laquelle 2Pac à Los Angeles et Notorious Big à New York
01:35:04 prêterent leur mot et donnèrent leur vie,
01:35:06 eux qui jouaient aux gangsters millionnaires à la télévision
01:35:09 et tombèrent assassinés dans la rue comme les voyous qui les fascinaient
01:35:12 en messie de la racaille,
01:35:14 sacrifiés sur l'autel de cette vie à 100 à l'heure.
01:35:17 *Musique*
01:35:26 Derrière 2Pac et Biggie Smalls, de nouveaux empereurs se levaient.
01:35:29 Puff Daddy, Jay-Z, rappeurs businessmen qui cultivaient le fantasme criminel
01:35:34 de la jeunesse blanche sur une musique toujours plus dansante,
01:35:37 toujours plus simple et efficace.
01:35:39 *Musique*
01:35:51 Une esthétique urbaine, hedoniste, qui contaminait toute la musique noire
01:35:55 jusqu'aux lointaines descendantes des divas de la soul,
01:35:58 ces stars sensuelles du R&B.
01:36:00 *Musique*
01:36:14 Un R&B qui n'avait plus grand chose à voir avec son ancêtre le Rhythm & Blues,
01:36:18 à l'exception de son incroyable capacité à réunir les filles et les garçons,
01:36:23 les noirs et les blancs.
01:36:25 *Musique*
01:36:42 Mais tandis que des empires capitalistes se bâtissaient sur les mouvements de hanches
01:36:46 des poupées couleur miel du R&B, l'esprit originel de la musique noire,
01:36:50 cette musique née dans la pauvreté la plus extrême,
01:36:53 était toujours vivant dans le Sud, là où elle était née.
01:36:57 *Musique*
01:37:00 Jusqu'en 2005, les rappeurs à l'accent traînant du Dirty South
01:37:04 sont probablement ceux qui ont le plus montré la réalité de ce Sud,
01:37:08 où vit toujours la grande majorité de leur communauté.
01:37:11 La réalité de ces prisons surpeuplées par une politique judiciaire incroyablement répressive.
01:37:16 La réalité de ces quartiers délabrés, sans espoir,
01:37:19 la réalité numérique préférée ignorer l'existence lorsqu'elle pensait à la Nouvelle Orléans, Memphis ou Atlanta.
01:37:25 *Musique*
01:37:44 Bien sûr, ces rappeurs du Sud avaient cette même avidité de richesse et de plaisir violent
01:37:48 qu'ils avaient appris du gangsta rap.
01:37:50 Mais leur rime, leur vidéo, leur tatouage même,
01:37:52 étaient aussi pleins d'une fierté sincère pour leur région, pour leur quartier et pour tous ceux qui y habitaient.
01:37:58 Ces enfants, ces vieillards, ces familles que l'Amérique ne découvrira qu'en septembre 2005,
01:38:03 lorsqu'ils fuiront la Nouvelle Orléans dans la débandade de l'ouragan Katrina.
01:38:07 Katrina, qui dénudera toute l'hypocrisie et l'incompétence d'un gouvernement
01:38:12 dont il est effectivement difficile de soutenir qu'il se préoccupe des Noirs.
01:38:16 *Musique*
01:38:38 *Musique*
01:38:57 Mais la colère de Kanye West ne doit pas masquer les immenses progrès
01:39:01 que la communauté noire a réalisé depuis son émancipation en 1865.
01:39:05 En 2008, 45 ans après le "I have a dream" plein d'espoir de Martin Luther King,
01:39:11 Barack Obama, un homme à la peau noire, est désigné comme candidat à la présidence des Etats-Unis
01:39:16 par l'un des deux grands partis politiques américains.
01:39:19 *Musique*
01:39:31 Le temps des premières fois n'est pas encore terminé pour les Noirs d'Amérique.
01:39:35 *Musique*
01:39:40 *Musique*
01:40:09 *Musique*
01:40:36 *Musique*
01:40:48 *Musique*
01:40:58 C'est une chose de mentir à propos d'un sujet qui n'a pas d'importance pour les gens.
01:41:03 Mais c'en est une autre de mentir sur un sujet intrinsèque à leur identité.
01:41:07 Ces controverses risquent d'ébranler les fondements même du récit biblique.
01:41:12 Les Trésors perdus de Salomon, samedi à 21h sur Arte.
01:41:16 [Musique]