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Qu'est-ce que la précarité et surtout est-elle inéluctable ? Quelle place pour l'environnement dans cette lutte ? L'économiste Esther Duflo est l'invitée de la matinale à l'occasion de la sortie de cinq albums illustrés par Chevenne Olivier, sur la pauvreté expliquée aux enfants. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end/l-invite-de-8h20-du-we-du-samedi-02-septembre-2023-9929829

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00:00 France Inter, Alibado, Marion Lourdes, le 6/9.
00:07 Invité du grand entretien du 6/9 ce samedi, elle est économiste prix Nobel, professeure
00:11 au très prestigieux MIT aux Etats-Unis et au Collège de France.
00:15 Elle est spécialiste de la lutte contre la pauvreté, mondialement reconnue pour ses
00:20 travaux et c'est une nouveauté le week-end.
00:22 Cette saison place à l'interactivité.
00:25 Intervenez chers auditeurs, posez vos questions à Esther Duflo au 01 45 24 7000 ou sur l'application
00:31 France Inter.
00:32 Bonjour Esther Duflo.
00:33 Bonjour.
00:34 Et bienvenue, la série continue.
00:36 Vous êtes aussi autrice de livres pour enfants, vous venez de publier 5 nouveaux albums sur
00:41 la pauvreté expliqués aux enfants, toujours illustrés par votre amie Cheyenne Olivier.
00:46 C'est aux éditions du Seuil Jeunesse, Célény, Toumpa et Meuni.
00:51 La famille s'élargit, pourquoi ?
00:52 Depuis le début, c'était une série qui était prévue pour avoir 10 volumes.
00:59 Ces thèmes qui sont traités dans ces 5 volumes, c'est beaucoup sur l'environnement, ce qui
01:06 n'était pas traité dans les 5 d'avant, la communauté, l'entreprenariat avec Meuni.
01:10 Et on va en parler justement.
01:11 Quel est le lien que vous faites Esther Duflo entre lutte contre la pauvreté et la question
01:17 environnementale ? On sait que les deux sont difficiles à croiser et en l'occurrence,
01:21 c'est aussi le sujet qui était au cœur d'une conférence que vous avez donnée à
01:25 Sciences Po hier ou avant-hier.
01:27 Oui, ce qu'on oublie un petit peu depuis la France, c'est le fait que le changement
01:35 climatique va essentiellement faire ses victimes dans les pays du Sud.
01:39 Pays qui sont déjà chauds, puisqu'ils ont tendance à être au Sud, et proches de
01:45 l'équateur ou des tropiques.
01:46 Et pays aussi où il y a moins de ressources pour s'adapter à ces nouvelles températures
01:50 élevées.
01:51 Et où il y a un risque de plus en plus certain, malheureusement, que dans les prochaines décennies,
01:57 le changement climatique défasse une partie des progrès qui a été fait contre la pauvreté
02:02 dans le monde jusque-là.
02:03 Oui, justement, parce que vous parlez de progrès et on peut dire que les dernières
02:06 décennies ont sorti des centaines de millions de personnes de la pauvreté.
02:10 La question climatique, aujourd'hui, remet en cause fondamentalement ces progrès qui
02:15 ont pu être accomplis.
02:16 Oui, dans les 30 dernières années, il y a eu énormément de progrès jusqu'au Covid.
02:20 Une diminution de la pauvreté.
02:22 C'est une césure.
02:23 On ne sait pas si le Covid est une césure ou pas.
02:25 Ça peut être conjoncturel.
02:26 On ne sait pas encore.
02:27 On n'en est pas sortis.
02:28 Justement parce qu'il y a eu le Covid, puis l'Ukraine, puis la remontée des taux d'intérêt
02:31 pour lutter contre l'inflation qui a lié à des crises d'endettement.
02:34 Donc on a une série de chocs conjoncturels qui a mis fin à de gros progrès dans la
02:40 vie des plus pauvres dans le monde.
02:41 C'est mesuré aujourd'hui, ça, Esther Duflo ? On a les chiffres qui nous montrent
02:44 que finalement, on repart en arrière, en quelque sorte ?
02:46 Ce n'est pas très bien mesuré parce que ça prend toujours un petit peu de temps d'avoir
02:50 un recul sur ce qui est vraiment la pauvreté.
02:52 Mais on sait qu'au mieux, il y a eu un arrêt de la réduction et plus probablement un progrès
02:58 de la pauvreté.
02:59 Peut-être même de l'ordre de centaines de millions de gens qui seraient retombés
03:03 dans la pauvreté.
03:04 Mais avec un petit peu de chance, on ne sait pas encore.
03:07 Évidemment, si ce serait le cas, on serait reparti dans une trajectoire positive d'ici
03:11 2, 3, 5 ans.
03:12 Par contre, le changement climatique, ce n'est pas conjoncturel, c'est structurel.
03:16 C'est-à-dire que ce qu'on va avoir dans les décennies à venir, au fur et à mesure
03:19 que les températures augmentent, c'est que pour les pays pauvres, ça va conduire à
03:26 une augmentation de la mortalité, tout simplement, qui pourrait être aussi importante que toutes
03:32 les maladies infectieuses combinées aujourd'hui.
03:35 C'est-à-dire plus de 6 millions de morts en plus chaque année.
03:39 Vous en parlez de l'environnement dans vos livres, par exemple, il y a Tumpa, à l'ombre
03:42 des arbres, un de vos livres où il y a une petite fille qui se mobilise pour sauver les
03:45 arbres, dont la coupe rapporterait pourtant de l'argent immédiatement.
03:49 C'est cette question du court terme et du long terme.
03:52 Couper les arbres pour faire de l'argent, arroser son riz, ça c'est dans un autre livre,
03:56 en ponctionnant la nappe phréatique.
03:58 Comment on passe de ces raisonnements de court terme à des raisonnements de long terme,
04:02 vu le temps politique actuel qui est quand même très rapide ?
04:05 Justement, pour les personnes qui vivent dans la pauvreté, ce n'est pas seulement le raisonnement
04:09 de court terme versus le raisonnement de long terme.
04:11 Il faut aussi finir ses fins de mois.
04:15 Et justement, dans Tumpa, on voit un moment où, grâce à son courage, elle réussit
04:21 à empêcher que les médias viennent et finalement les bûcherons qui allaient couper les arbres
04:28 ne les coupent pas.
04:29 Et peut-être que dans un livre pour enfants traditionnels, on serait arrêtés là, c'est
04:31 la victoire.
04:32 Mais là, ce que j'essaye de faire dans mes livres, c'est de réouvrir un petit peu en
04:38 disant que c'est un peu compliqué que ça, parce que quand même la question qui avait
04:41 conduit au projet de couper les arbres est encore là.
04:44 C'est-à-dire comment on va vivre ? La chaleur a brûlé les cultures, comment on va vivre
04:48 ? Cette question se pose et du coup, ça ramène sur le dépassement possible du court terme
04:54 et du long terme, qui ne peut pas se faire par le village tout seul.
04:57 Il y a besoin de la communauté internationale dans ce cas-là, qui est, via les crédits
05:03 carbone, il est possible de soutenir les communautés financièrement pour qu'elles gardent leurs
05:09 arbres.
05:10 Rappelez-nous définition crédit carbone, Esther Duflo ?
05:13 Les crédits carbone, c'est par exemple quand vous voyagez, vous prenez l'avion, vous pouvez
05:19 annuler votre contribution climat.
05:23 Ce qui se passe quand vous faites ça, quand vous cliquez sur "dépenser un petit peu plus
05:27 de sous sur votre billet", c'est donner à des organisations qui ensuite les redistribuent
05:34 vers des projets qui sont censés protéger la planète.
05:37 Pour être honnête, ces projets, il y en a à prendre et à laisser.
05:42 Mais certains de ces projets sont justement de soutenir les gens financièrement pour
05:48 protéger leurs arbres.
05:49 Donc ce projet qui est évoqué à la fin, ça a justement été testé dans une expérience
05:54 où on paye les communautés pour garder leurs arbres en place, ce qui permet de garder
05:59 leurs arbres et donc de protéger la planète pour tous.
06:02 On est dans la même logique que la fiscalité que veut mettre en œuvre la fiscalité verte
06:06 que veut mettre en œuvre le gouvernement en France avec cette idée de taxer les avions
06:12 pour financer le ferroviaire, non ? On est un peu dans cette logique vertueuse environnementale
06:16 d'aller à un niveau abstrait ? Oui, on est dans cette même logique là.
06:21 Les crédits carbone, c'est en général volontaire.
06:25 Là c'est imposé par le haut.
06:28 Plutôt qu'être une imposition, mais sinon oui, c'est un peu la même idée.
06:31 Il y a une question qui est importante et qui revient régulièrement ces dernières
06:35 années et particulièrement ces derniers mois, c'est la question des réparations,
06:38 c'est la question de l'aide apportée par les pays riches aux pays les plus pauvres
06:42 de ce qu'on appelle les réparations climatiques.
06:44 Les Etats-Unis ne paieront en aucun cas des réparations climatiques.
06:49 C'était la déclaration de John Kerry, qui est l'envoyé spécial de Joe Biden pour
06:55 le climat.
06:56 Il l'a dit devant le congrès au Capitole à Washington.
06:59 Les Etats-Unis ne paieront pas de réparations aux pays en développement.
07:02 Qu'est-ce que vous pensez de cette déclaration, de cette fin de non-recevoir ?
07:07 Elle ne m'étonne absolument pas d'un point de vue réaliste.
07:13 C'est clair pour moi que les Etats-Unis ne paieront jamais de réparations, simplement
07:17 parce que ça ouvrirait la porte potentiellement à des réparations dans tous les sens.
07:23 Nous aussi d'ailleurs on a des réparations pour l'histoire coloniale, des réparations
07:26 pour ce qu'on a fait à Haïti, ce que les Anglais ont fait à l'Inde, ce que les
07:31 Etats-Unis ont fait avec l'esclavage.
07:34 On peut en avoir une opinion philosophique ou historique sur cette question, mais politiquement,
07:40 ce n'est pas du tout étonnant que quelqu'un comme Kerry dise "on ne le fera pas".
07:44 Donc pour moi, au point de vue pratique, comment on avance pratiquement, c'est de
07:49 dire "très bien, vous ne voulez pas payer de réparations pour le passé, on va laisser
07:52 ça de côté pour l'instant".
07:53 D'accord, même s'il y a une responsabilité historique, Estabuflo ?
07:56 Des pays industrialisés pour compenser les pays touchés par les catastrophes ?
08:02 Il y a une très très forte responsabilité historique puisque le carbone en fait c'est
08:06 un stock dans l'atmosphère.
08:08 Et donc tout notre chemin de développement dans la révolution industrielle, etc., accumulé
08:15 est responsable de la situation dans laquelle on vit aujourd'hui.
08:17 Donc il y a une responsabilité historique.
08:19 Mais il y a aussi une responsabilité actuelle, courante.
08:23 Donc même si quelqu'un comme John Kerry dit "on ne va pas payer de réparations",
08:28 on peut lui dire "très bien, laissons ce sujet sur le côté".
08:32 Qu'est-ce qu'on fait après ?
08:33 Qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui ?
08:34 C'est-à-dire les émissions que nous émettons aujourd'hui sont responsables du changement
08:40 climatique aujourd'hui.
08:41 Si vous ne voulez pas être responsable des fautes de vos ancêtres, très bien.
08:44 Mais ce que nous faisons aujourd'hui continue de causer du changement climatique qui cause
08:51 des morts.
08:52 Et donc on pourrait, on devrait à mon avis, moralement compenser les pays pauvres pour
08:58 cela.
08:59 Et là-dessus, Estabuflo, vous avez l'impression...
09:01 Pardon, excusez-moi.
09:02 Estabuflo, vous avez l'impression d'être entendu par les gouvernants ?
09:06 C'est très difficile à dire parce qu'il y a un niveau, disons, abstrait et poli auquel
09:14 on est entendu.
09:15 Donc il y a eu par exemple...
09:17 Vous êtes reçu dans tous les plus grands forums, par les branches d'État...
09:21 Oui mais est-ce qu'on avance ?
09:22 Ça c'est ce que je ne sais pas encore.
09:25 C'est-à-dire concrètement, pas réellement pour l'instant, mais en même temps sur un
09:32 sujet grand comme celui-là, on peut se dire que les avances sont peut-être souterraines
09:38 pendant longtemps jusqu'à ce qu'on fasse un progrès rapide.
09:42 Et donc le fait même que le sujet soit évoqué dans des forums, par exemple comme le forum
09:47 de juin à Paris, en juin dernier, sur le nouveau pacte financier dans les pays en développement,
09:57 comme la COP, qu'on commence à poser ces questions.
09:59 On va déjà dans le bon sens, mais on y va à un pas tellement lent qu'est-ce qu'on arrivera
10:07 là où il faut arriver dans des temps limités, je ne sais pas encore.
10:09 Alors justement, Estabuflo, vous écrivez pour les enfants et puisqu'on a ouvert l'interactivité
10:15 avec nos auditeurs, un jeune auditeur qui souhaite vous poser une question, il a 12
10:19 ans.
10:20 Bonjour Andrea !
10:21 Bonjour !
10:22 Merci d'être avec nous dans le 6/9 d'Inter.
10:24 Vous avez une question Andrea, ou tu as une question Andrea, pour Estabuflo ?
10:29 J'ai une question.
10:31 Est-ce que malgré tous les problèmes dans le monde, dont la guerre, le climat, le Covid
10:38 et l'inflation, la pauvreté diminue ?
10:41 Andrea, merci de poser cette question parce qu'il faut toujours voir justement si pouvoir
10:52 dépasser tous les problèmes qui se passent pour voir si dans l'ensemble on va dans une
10:57 trajectoire positive.
10:58 Martin Luther King disait "l'arc de l'histoire est long, mais il tend vers la justice".
11:04 Et pour ce qui concerne la pauvreté, oui, c'est-à-dire si tu regardes les 30 dernières
11:09 années, la pauvreté a été divisée par deux jusqu'à 2018.
11:15 Et non seulement la pauvreté a été divisée dans le monde, la grande pauvreté, mais non
11:20 seulement la pauvreté a été divisée par deux en termes de pauvreté de revenus, mais
11:24 la qualité de vie des pauvres s'est aussi améliorée.
11:26 La mortalité infantile, la mortalité maternelle ont aussi été divisées par deux.
11:33 Il y a beaucoup moins de morts du paludisme, du sida, etc.
11:36 Donc dans l'ensemble on va quand même dans une trajectoire de progrès.
11:39 J'ai envie de recentrer Esther Duflo, la situation française avec cette inflation,
11:46 c'est en Europe aussi et aux Etats-Unis d'ailleurs, presque 5% sur un an en France, 11% dans l'alimentaire.
11:52 Est-ce que c'est soutenable ? Est-ce que ça, ça peut faire basculer des gens dans
11:56 la pauvreté ?
11:57 D'abord ça peut faire basculer les gens dans la pauvreté en France, en particulier
12:02 les gens dont le revenu est fixe, c'est-à-dire ceux qui sont le plus touchés par l'inflation,
12:10 c'est ceux dont les salaires ne s'ajustent pas bien à l'inflation, les salaires ou
12:15 les revenus.
12:16 Donc les minima sociaux, quand ils ne sont pas indexés, font que les gens peuvent rentrer
12:20 dans la pauvreté.
12:21 Donc cette conférence annoncée pour augmenter les salaires, conférence annoncée par l'exécutif,
12:25 ça va dans le bon sens pour éviter justement qu'il y ait un basculement vers la pauvreté ?
12:29 La difficulté de l'indexation, disons, mécanique des salaires, c'est qu'on peut rentrer dans
12:36 des espèces de cycles où les salaires augmentent, donc les prix augmentent, donc les salaires
12:40 augmentent, donc les prix augmentent.
12:41 Mais je voudrais rappeler aussi une chose, c'est que l'inflation dans nos pays conduit
12:46 aussi à la pauvreté dans les pays pauvres.
12:49 Expliquez-nous ça.
12:50 Bien sûr, sans minimiser du tout le malaise et la pauvreté que ça peut causer en France,
12:57 il faut aussi se souvenir de ça.
12:58 Parce qu'en fait, pour lutter contre l'inflation, ce que les banques centrales font, que ce
13:02 soit aux Etats-Unis ou en Europe, c'est d'augmenter les taux d'intérêt.
13:05 Quand elles augmentent les taux d'intérêt, ça augmente le coût de rembourser la dette
13:11 pour les pays pauvres.
13:12 En plus, ça augmente le cours du dollar vis-à-vis des autres devises dans lesquelles
13:17 la dette est en général dénominée, ce qui augmente encore le coût de la rembourser.
13:23 Ce qui fait que pour les pays pauvres, le fardeau de rembourser la dette est de plus
13:27 en plus large, ce qui fait qu'aujourd'hui, il y a une soixantaine de pays qui sont soit
13:31 dans des crises de dette, soit très proches de crises de dette.
13:33 Et quand ça arrive dans un pays pauvre, ça veut dire que tout ce que doit financer le
13:40 pays, l'éducation, la santé, leurs minima sociaux, ils sont obligés de les couper.
13:44 Et donc l'effet de l'inflation chez nous, indirectement, c'est aussi un effet très
13:50 fort sur la pauvreté dans les pays pauvres.
13:52 Estère du Flot, question de Christophe qui nous appelle depuis la Manche.
13:56 Bonjour Christophe.
13:57 Oui bonjour.
13:58 Bienvenue dans le 6.9 d'Inter.
13:59 Merci beaucoup, merci pour votre entrée.
14:00 J'avais posé une question à Estère du Flot au printemps sur ce fantasme qu'est l'impôt
14:08 progressif sur les très grosses fortunes.
14:10 J'avais fait une analogie avec Roosevelt pour savoir si ce n'est pas un Roosevelt
14:14 qui nous manquait aujourd'hui pour mettre de l'équité dans le système fiscal.
14:18 Donc ma question est autour de ça.
14:19 Est-ce que Estère du Flot pense que notre système fiscal est équitable ? Et je crois
14:24 que vous avez un ministre du budget qui vient après votre émission.
14:27 Qu'est-ce que la Nobel d'économie aurait comme conseil à donner à un ministre en
14:33 charge du budget pour contribuer au rétablissement de cette équité ?
14:37 Juste sur la question du revenu, je complète peut-être avec la question de Margot qui
14:40 a écrit sur l'appli.
14:41 Bonjour Madame du Flot, il existe un seuil de pauvreté, nous faudrait-il un seuil maximum
14:44 de richesse au-delà duquel un niveau de richesse individuelle n'est plus soutenable ?
14:48 Deux questions différentes, c'est ça du Flot.
14:53 Différentes mais reliées et auxquelles on peut apporter une même réponse.
14:56 Je pense qu'il ne faut pas surestimer le rôle des économistes prix Nobel ou pas.
15:01 Pour moi ces questions-là, ces questions de redistribution, ces questions de forme
15:05 de l'impôt, ces questions de revenus minimales ou même maximales, ce sont des questions
15:11 qui sont essentiellement des questions politiques.
15:13 C'est-à-dire que ce n'est pas à moi, économiste, de donner des conseils au ministre
15:16 de budget, c'est à vous électeur de voter pour des gens qui reflètent vos préférences
15:24 en termes de fiscalité.
15:25 Oui mais vous avez entendu Christophe qui l'a cité, un président américain.
15:27 Roosevelt, FDR et Pate et Odor, pourquoi le New Deal ? C'est un modèle, c'est quelque
15:34 chose qu'il faudrait avoir en tête aujourd'hui pour lutter contre la pauvreté partout ?
15:37 Ce que ça nous dit c'est que historiquement c'était parfaitement possible d'avoir
15:41 des taux d'imposition qui étaient très élevés au sommet, la construction d'un
15:47 programme social pour les plus désavantagés qui n'a conduit ni les plus riches ni les
15:53 plus pauvres à devenir paresseux.
15:55 Donc ce que les économistes peuvent dire c'est que c'est possible, sans détruire
15:59 le fonctionnement de l'économie, d'avoir des impôts plus élevés ou plus progressifs
16:04 et d'avoir un système social plus généreux.
16:07 Mais après c'est aux électeurs de décider où est-ce qu'ils veulent se placer dans
16:13 cet axe.
16:14 Moi j'ai mon opinion de citoyen sur la question, de citoyenne sur la question, mais c'est
16:19 vraiment très important de ne pas se défausser vers les experts pour la décision politique.
16:26 Je rebondis sur ce que vous dites, lors d'une visite d'entreprise la semaine dernière,
16:29 le ministre de l'économie a déclaré que notre modèle social ne devait pas être
16:32 une trappe à inactivité.
16:34 On peut préférer l'inactivité aujourd'hui vu notre système social ?
16:37 Ça c'est quelque chose qu'on entend beaucoup.
16:41 C'est quelque chose qui est très présent, cette idée que si le système social est trop
16:48 généreux ça peut rendre les gens paresseux, qu'il y aurait un effet désincitatif.
16:53 On parle de l'assistanat.
16:54 Voilà, de l'assistanat.
16:55 Qu'il faut des contraintes peut-être sur le RSA par exemple, des engagements pour obliger.
17:00 Par exemple, les contraintes sur le RSA, empiriquement, en regardant toutes les expériences qui ont
17:06 été faites dans le monde, que ce soit les pays riches ou les pays pauvres, il y a en
17:09 fait très très peu de données qui montrent que ce soit vraiment un risque.
17:12 C'est-à-dire que partout dans le monde il y a cette peur, mais partout dans le monde
17:19 quand ça a été testé, que ce soit dans des expériences aléatoires ou que ce soit
17:25 en regardant ce qui a été fait en termes de politique, les effets, on voit très peu
17:30 d'impact négatif de systèmes sociaux plus généreux sur l'offre de travail, la volonté
17:38 des gens de travailler.
17:39 En fait, les gens ont envie de travailler, ont besoin de travailler, parce que le travail
17:43 c'est la dignité, c'est l'insertion dans une communauté.
17:49 Et donc, si on leur donne le choix entre ne pas travailler et être payé, et travailler
17:56 et être payé aussi, en fait si les gens le peuvent, ils vont choisir de travailler
18:01 aussi.
18:02 Donc si on vous écoute, les contraintes qui existent sur le RSA qui sont expérimentées
18:06 dans un certain nombre de départements ne sont pas utiles en fait ?
18:10 Avant de les généraliser, disons qu'il faudrait au moins tester les effets.
18:15 Il y a un constat qui est réel, c'est que le RSA qui était censé être non seulement
18:23 un revenu, mais aussi tout un système d'assistance pour des gens qui étaient en grande difficulté
18:28 sociale, pas seulement qu'elles n'avaient pas de travail, mais que les choses étaient
18:31 difficiles pour elles pour tout un tas de raisons, de se remettre le pied à l'étrier.
18:35 Et dans la mise en œuvre du RSA en pratique depuis son existence, ce volet assistance
18:44 sociale est devenu de plus en plus petit en termes de budget.
18:49 Donc si l'idée c'est de dire "on va continuer à donner un revenu, mais en plus on va essayer
18:54 d'encourager les gens à se lancer dans des activités d'insertion, qui peuvent être
18:58 une formation, ou même d'écrire son CV ou un stage, etc.
19:06 Très bien.
19:07 Le fait de dire "il faut que ce soit obligatoire", je pense qu'avant de généraliser, il faudrait
19:11 tester.
19:12 Une question sur l'application France Inter et Serre du Flot, question que vous pose
19:16 Souza.
19:17 La fiscalité verte doit-elle reposer uniquement sur les particuliers et particulièrement
19:21 sur les classes moyennes ? Autrement dit, les ménages qui payent l'impôt sur le revenu,
19:25 qui sont un peu moins de la moitié des ménages français par exemple ?
19:29 De manière générale, la réponse est non.
19:35 La réponse est non ?
19:36 La réponse est non, c'est-à-dire qu'on pourrait, par exemple, poser la question de
19:43 la compensation des dommages que nous imposons aux pays les plus pauvres.
19:49 Une fois qu'on se dit "on doit de l'argent aux pays les plus pauvres", collectivement
19:54 les pays riches doivent de l'argent aux pays pauvres, je me suis un petit peu posé la question
19:57 d'où pourrait venir cet argent.
20:00 Un endroit possible, ce serait justement au lieu de le faire peser sur les ménages,
20:08 de le faire peser plutôt sur les entreprises.
20:12 Les pays de l'OCDE se sont déjà mis d'accord sur un système de taxation international,
20:18 un système de taxation planché sur les grandes corporations multinationales.
20:23 Donc ça doit se faire au niveau international ?
20:26 Il y a déjà un accord international de l'OCDE d'une taxation minimale de 15% sur les entreprises.
20:32 Mais ça ne peut pas se faire à l'échelle d'un pays seulement ?
20:33 Cet accord-là, c'est très difficile de le faire à l'échelle d'un pays, sinon
20:38 un autre pays va dire "moi je vais avoir un régime particulièrement favorable" et
20:42 les entreprises comme Google s'installent en Irlande.
20:44 C'est pour ça que l'OCDE a mis en place, il y a eu un très très long travail qui
20:48 est en train d'aboutir, d'une taxation minimale de 15%.
20:54 Mon idée c'était de dire "bon, il y a déjà cette taxation minimale de 15%, est-ce
20:59 qu'on pourrait rajouter 1%, 2% qui ne sont pas affectés, qui mettraient la taxation
21:05 des multinationales en dessous du seuil où elle est déjà en France aujourd'hui, donc
21:09 ce n'est pas irréaliste ou irraisonnable, et qui lèveraient des fonds assez importants
21:19 qui permettraient d'être utilisés soit pour la transition, soit pour simplement la
21:23 compensation des pays pauvres pour ce qu'on leur doit.
21:25 J'ai lu Esther Duflo que vous avez toujours été étonnée de ne pas être née dans
21:30 un désert, au Tchad, mais d'être née dans un tout autre contexte.
21:34 La naissance c'est le moment de la non-décision par excellence, c'est une forme de fatalité,
21:40 on peut vous dire que vous êtes idéaliste, qu'il y aura toujours des riches et toujours
21:43 des pauvres.
21:44 Qu'est-ce que vous répondez à cette objection-là ?
21:46 Je ne sais pas si j'étais étonnée de ne pas être née au Tchad, mais en tout cas
21:53 il me semblait que ça me donnait une responsabilité.
21:55 Une responsabilité ?
21:56 Oui, parce que c'est quand même une chance incroyable.
21:59 C'est une chance incroyable qu'on a d'être née en France, dans un pays où il y a quand
22:06 même des ressources, pour moi d'être née en plus dans une famille aisée.
22:13 Et je pense que ça nous donne d'être née avec ces chances une responsabilité incroyable
22:19 vis-à-vis de ceux qui n'ont pas eu cette chance.
22:20 Et c'est pour ça que j'ai choisi la carrière que j'ai choisie.
22:25 Maintenant, est-ce qu'il y aura toujours des pauvres ?
22:27 En quelque sorte, j'espère qu'il y aura toujours des pauvres, parce que j'espère
22:31 qu'on se préoccupera toujours de la personne la plus pauvre de la planète.
22:35 Il y a toujours quelqu'un qui est plus pauvre.
22:37 La pauvreté est à la fois absolue, c'est-à-dire il y a des gens qui vivent avec moins de 2
22:42 dollars par jour et par personne, ou 2 euros par jour et par personne, mais elle est aussi
22:45 relative.
22:46 Dans la France, quelqu'un peut vivre avec beaucoup plus de 2 euros par jour et par personne,
22:51 mais néanmoins être pauvre.
22:52 Et c'est toujours notre responsabilité de se préoccuper de la qualité de vie de
22:58 cette personne.
22:59 Je reviens à des questions peut-être plus terre à terre et très françaises sur l'inflation.
23:03 La réponse du ministre de l'économie qui annonce cette semaine le plafonnement de 5000
23:08 produits, la reprise des négociations commerciales, les répercussions obligatoires des baisses
23:11 de prix des industriels par les supermarchés, ce sont des mesures de nature à éviter
23:16 que certains tombent dans la pauvreté et peut-être à éviter la contagion de l'inflation
23:20 dont on parlait tout à l'heure ?
23:21 J'aimerais pouvoir vous répondre avec précision, mais ça sort un peu de mon domaine d'expertise.
23:28 Comment exactement lutter contre l'inflation ? Et pour vous dire la vérité, je crois
23:32 qu'on navigue un petit peu à vue.
23:35 Non seulement ça sort de mon domaine d'expertise, mais c'est quelque chose sur lequel, que
23:39 ce soit les politiques ou les macro-économistes, ont un petit peu du mal à voir quel est
23:44 le meilleur moyen de procéder dans le très court terme.
23:48 Est-ce qu'on peut bloquer les prix pour combien de temps, etc.
23:51 Peut-être plus fondamentalement, il faudrait se poser la question de ce que ça veut dire
23:58 qu'on vive dans une société où quand les prix augmentent de 10%, les gens ne peuvent
24:04 plus faire face aux besoins essentiels.
24:06 Et est-ce qu'on ne peut pas se dire plus structurellement, en revenant à la question
24:10 que votre auditeur avait posée, il ne faut pas redistribuer de manière plus systématique
24:16 pour que tout le monde soit capable de faire face à des fluctuations de ce type en général.
24:20 Merci Esther Duflo, il y a de très nombreux auditeurs qui auraient encore aimé dialoguer
24:25 avec vous.
24:26 Et je suis très content qu'on ait pu ouvrir cette page d'interactivité dans le 6/9 d'Inter,
24:31 ça n'est qu'un début.
24:32 Merci infiniment d'avoir été notre invitée.
24:34 Merci Esther Duflo.
24:35 Et je rappelle qu'il y a ses livres pour enfants aux éditions Seuil Jeunesse et puis
24:41 je rappelle que vous avez un podcast sur France Culture, un édito à 7h56 le…
24:46 Lundi.
24:47 Exactement, pour bien commencer la semaine.
24:50 Merci d'avoir été l'invité d'Inter.

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