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Aujourd'hui, on reçoit Rachid Laïreche pour le questionner sur l'utilité des journalistes politiques. Entre-soi, logiques de calculs, copinages avec les dirigeants... On leur en reproche beaucoup, alors à quoi servent-ils ?

Retrouvez la question qui fâche de Marie Misset sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-question-qui-fache

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😹
Amusant
Transcription
00:00 de passer au sujet qui fâche. Alors on a eu une idée aujourd'hui, mais avant de se mettre d'accord,
00:03 on a évoqué pas mal de sujets auxquels vous avez échappé. Les voici !
00:07 La coupe du monde de rugby commence aujourd'hui. Si on se fait plier par les All Blacks, aurons-nous le All Blues ?
00:13 Hier, à Rosepordin, en Bretagne, une femme a été agressée et ligotée par un homme sur un sentier de marche.
00:17 Elle a réussi à appeler les secours, mais on connaissait le harcèlement de rue. Visiblement, le harcèlement de sentier, c'est pire !
00:23 Le patron de la compagnie aérienne Ryanair a été entarté par des militantes écolo
00:27 devant les bâtiments de la Commission européenne de Bruxelles. C'est bien la première fois qu'il y aura eu de la nourriture gratuite chez Ryanair.
00:32 Et puis Emmanuel Macron a envoyé une lettre de récap aux partis qui avaient participé à sa petite sauterie de la semaine dernière.
00:37 Lettre qui est évidemment sortie immédiatement dans la presse. Alors l'Ibé nous a annoncé que, je cite,
00:42 "la présidence regrettait une rupture de confiance". Pardon, mais on a un président ou on a un contrat avec Darty ?
00:47 C'est parce qu'il y avait une pub de Darty. Le contrat de confiance, j'explique. La blague.
00:52 Cette blague avait un petit rapport avec notre question qui fâche du jour qui va fâcher des gens, qui va faire plaisir à d'autres gens.
00:58 Peut-être nous créer des ennuis dans notre propre corporation puisque nous allons nous demander...
01:03 Les journalistes politiques servent-ils à quelque chose ?
01:09 Si on pose la question, c'est qu'on peut avoir l'impression qu'il s'agit surtout de relayer des histoires d'embrouille
01:13 et qu'on parle rarement des projets politiques derrière les disputes de untel ou untel.
01:17 Que des hommes et femmes politiques sont tellement attrainés à ne pas répondre aux questions, à ne pas déraper ou au contraire à sciemment déraper,
01:23 qu'on ne voit pas comment les journalistes politiques peuvent se distinguer les uns des autres autrement que par la culture de la petite phrase.
01:28 Ou alors que le travail des journalistes politiques, tel qu'il existe encore aujourd'hui, exige une telle proximité avec les hommes et les femmes politiques
01:34 qu'on a du mal à croire que la distance minimale de sécurité est respectée entre les uns et les autres.
01:39 La question qui fâche du jour, c'est donc...
01:42 *Musique*
01:47 Le journalisme politique sert-il à quelque chose ?
01:50 Si on pose cette question, c'est aussi parce qu'un journaliste qui a suivi la politique pendant 8 ans vient d'écrire un livre pour dézinguer le journalisme politique
01:57 comme une certaine Charline Vanhoenacker d'ailleurs, il y a quelques années, en 2012, dans un billet au Vitriol,
02:02 quand elle suivait la politique française pour les Belges et la RTBF.
02:05 Alors, pour répondre à cette question, on a évidemment demandé à ce journaliste politique de venir.
02:10 Il s'appelle Rachid Laïrech, il est journaliste à l'IBE et il a été journaliste politique pendant 8 ans.
02:15 Le livre s'appelle "Y'a que moi que ça choque" et c'est aux éditions Les Arènes.
02:18 Bonsoir Rachid.
02:20 Bonsoir.
02:21 Alors, avant de rentrer dans le vif du sujet, vous avez une moude dubitative, vous avez peur.
02:26 Faire partie du service politique de libération, ça consiste en quoi pour ceux qui ne savent pas trop comment ça marche ?
02:31 Alors, en fait on est séparés.
02:36 Chaque personne suit un parti.
02:38 Moi, je suis de l'IBE, je suis de la gauche.
02:40 Il y en a deux qui suivent Macron, un qui suit la droite, deux qui suivent le RN.
02:43 Et donc, chacun a son couloir, chacun a son candidat, son parti.
02:49 Et c'est une machine à laver.
02:52 C'est une machine à laver quotidienne.
02:54 Quotidienne. On s'ennuie jamais. Il y a toujours de l'actu.
02:57 Toujours, toujours, toujours.
02:59 Et donc, je reviens le matin et je dis "Tiens, Mélenchon, qu'est-ce qu'il fait aujourd'hui ?"
03:02 C'est un train, on grimpe dedans et ça ne s'arrête jamais.
03:06 Ce que vous décrivez dans votre livre beaucoup, c'est une bulle dans laquelle vous rentrez.
03:10 C'est une bulle qui vous coupe du reste.
03:12 Qui vous coupe des gens de votre enfance, qui vous coupe même peut-être des autres journalistes de la rédac.
03:17 Ou de l'info et de la société.
03:19 Il faut comprendre le truc un peu.
03:21 Moi, je commence, je ne connais rien à la politique et j'arrive dans le service.
03:24 Et au bout d'un mois, je suis avec François Hollande à l'Elysée.
03:27 On déjeune, on est quatre, pendant deux heures et on se marre.
03:30 C'est quand même fou quand même.
03:32 On est là et on parle de tout, de rien.
03:35 "Alors, ça va l'Ibée ? Tout va bien ? Ouais, ça va. Et vous, ça va ? Le costume pas trop large ? La pression ? Les frondeurs ?"
03:42 Et on discute, pas comme des potes, c'est pas vrai.
03:44 Mais il y a un truc de...
03:47 Avec du recul. Je ne suis pas un contre-pouvoir.
03:49 Je ne suis pas là pour dire "Mec, là tu déconnes, là ça va pas, là ça part en vrille."
03:53 Je dis en gros "Comment ça va aujourd'hui ?"
03:55 Et à force, on y prend goût.
03:57 Donc après on rentre au quartier et je leur dis un peu au quartier que j'ai vu Hollande.
04:00 "T'as mangé Hollande toi aujourd'hui ?"
04:02 Je dis rien, mais je le sais. Je suis un peu hautain, je me la raconte sans le dire.
04:04 Et donc petit à petit, quand un mec vient me dire "Ouais, j'ai un problème là, mon logement, et des cafards."
04:10 Je me fous quoi en fait. Ce qui m'intéresse c'est Hollande.
04:12 Qu'est-ce qu'il a mangé, avec qui il traîne, et ce qui lui...
04:14 - Vous critiquez tout ça aujourd'hui Rachid, mais ça vous équivaut à l'époque.
04:18 Ça vous équivaut aussi d'avoir l'impression de tout comprendre aux ficelles du pouvoir.
04:21 Et c'est quand même important pour un journaliste de pouvoir expliquer ses ficelles,
04:24 de pouvoir expliquer ce qui se passe derrière les grandes phrases, derrière les programmes politiques.
04:29 Tout est important. La stratégie est importante.
04:31 Le portrait des politiques est important.
04:34 Et moi ce que je reproche aujourd'hui, c'est qu'on ne suit pas la politique, mais on suit les politiques.
04:39 Tout au perso. C'est-à-dire que un mec de droite par exemple va dire "Moi j'aime pas les Arabes."
04:46 On va dire "Ah, en fait ce n'est pas raciste."
04:48 Il dit ça, c'est une stratégie. Il dit ça pour convaincre ceux qui votent le PN de venir avec lui.
04:53 Donc nous on voit tout sous ce prisme de la stratégie, on analyse et tout.
04:57 Et on rentre là-dedans. Et quand je parle de bulles, on s'enferme là-dedans, entre politiques, entre journalistes.
05:02 On discute, on parle de stratégie, de confidence.
05:04 Et on se coupe du rien petit à petit. Donc on parle de sujets hyper importants,
05:07 qui concernent tout le monde, mais par le prisme du trou de la série.
05:11 - Mais est-ce qu'il y a d'autres manières de faire ? Est-ce qu'il y a d'autres manières d'avoir des informations là-dessus ?
05:15 On voit dans votre livre que même ceux qui se réclament de sortir de ce système,
05:18 comme Sophia Chikirou de la France Insoumise, qui refuse le lien avec les journalistes,
05:22 qui met de la distance, elle finit par rentrer dans le jeu.
05:24 Elle finit par vous montrer des photos de sa nièce.
05:26 On voit que François Ruffin, qui poste face votre livre,
05:30 il est tout le temps quand même en train d'utiliser ces mises en scène médiatiques.
05:33 Il l'utilise peut-être malgré lui, mais il le fait quand même.
05:36 On a l'impression que vous parlez d'un système
05:38 que même ceux qui ne veulent pas participer, ils y participent quand même.
05:42 Est-ce qu'il y aurait une autre manière d'avoir ces informations, qui sont quand même importantes ?
05:45 - C'est deux choses différentes. Il y a un truc, pour moi c'est une pièce de théâtre.
05:48 Une grande pièce de théâtre où chacun a un rôle.
05:50 Donc Chikirou dans la pièce de théâtre, c'est la méchante.
05:52 Moi dans la pièce de théâtre, je suis journaliste, cool.
05:54 Pas de chemise, pas de cravate, pas de télé, par exemple.
05:57 - Mais de la radio ?
05:58 - Pour le livre, il faut qu'il se vende.
06:00 Et chacun a un rôle particulier.
06:02 Et moi aussi j'ai mon propre rôle.
06:04 Donc c'est pas que... En fait chacun est dans le système.
06:06 Ruffin dans le système, c'est le rebelle.
06:08 Mélenchon, c'est le mec qui a eu tempête.
06:10 Et chacun a un rôle. Et moi j'avais aussi mon rôle.
06:12 - Mais ça il faut bien le raconter en fait, cette pièce de théâtre.
06:14 - Il faut la raconter, mais il faut aussi
06:16 comprendre que des fois on raconte des trucs dont tout le monde se fout complètement.
06:20 - Moi aussi, si je réalise, on est un petit peu à la mi-temps de cette question qui fâche.
06:23 Cette question c'est "le journalisme politique s'est retiré de la quelque chose".
06:26 Et ce que vous racontez c'est que, être journaliste politique,
06:29 si j'ai bien compris, c'est stalker les politiques,
06:31 sans mettre plein la pence à l'église avec des dirigeants.
06:33 En gros, les journalistes ne sont pas un contre-pouvoir.
06:35 Vous suivez pas la politique, mais les politiques.
06:38 C'est bien ça.
06:39 - C'est ça. La réponse, est-ce qu'il sera quelque chose ?
06:41 La réponse c'est oui.
06:42 Des fois j'ai fait des papiers dont je suis fier.
06:44 J'ai fait des grandes interviews qui étaient hyper intéressantes.
06:46 Je dis pas que tout est pourri, tout est naze, tout est nul.
06:48 C'est juste que, en fait, le problème qu'on a aujourd'hui,
06:50 on est journaliste.
06:52 On passe notre temps à poser des questions aux gens.
06:54 Mais jamais on s'interroge nous-mêmes pour se dire "attends, là je travaille,
06:56 qu'est-ce que je fais ? C'est bien, c'est naze, ça intéresse qui ?
06:59 Est-ce qu'on est au niveau ?"
07:00 Jamais on se pose la question.
07:01 - Vous interrogez le système médiatique, la machine à laver qui fait qu'il faut qu'on
07:04 projette de l'information en permanence, en partie pour que le média vive
07:08 et pour qu'il vende des articles, des journaux.
07:11 Je cite, il y a quand même Yael Gouz de France Inter.
07:13 Il le disait après, justement, la tribune de...
07:16 Gouz, pardon, Yael Gouz de France Inter.
07:18 Il le cite après la tribune de Charline Vanhoenacker en 2010.
07:21 Il disait "une campagne c'est proche du journalisme sportif.
07:24 Tu suis le candidat, tu chroniques les revirements de sa campagne,
07:26 tu racontes qui il recrute autour de lui pour mieux performer.
07:29 Ça peut créer le sentiment de quelque chose d'un peu sale par rapport aux grandes idées,
07:32 mais tu ne peux pas changer les règles.
07:33 Il faut faire le récit du match tel qu'il est joué.
07:35 Est-ce qu'on n'a pas besoin aussi de ça pour comprendre ?"
07:38 - Aujourd'hui, il y a un film, un livre qui vient de sortir.
07:41 Merde, je la promets pour les autres.
07:43 Et donc, de Piketty et KG.
07:45 - Qui disent que la gauche peut gagner.
07:47 - Ouais, mais ils disent autre chose.
07:49 Ils disent que le vote que nous on se raconte, les journalistes politiques,
07:51 c'est en le dire en fait, on ne parle que d'immigration et tout.
07:53 Et les gens votent sur autre chose.
07:55 Et nous, dans nos pages, dans nos émissions, on ne parle que de ça.
07:59 Et on se dit, je ne sais pas, au pif, on se dit...
08:02 Le déclic, le truc important, c'est ça demain.
08:06 On est persuadés, on est convaincus.
08:08 On s'en parle entre nous, on se dit, c'est ça le truc.
08:11 On fonce toute tête baissée sur ça.
08:14 Alors qu'à côté, ils sont ailleurs.
08:16 Et moi, des fois, je parle dans le livre, je raconte, c'est un de Gonzo,
08:19 je raconte ma vie au bureau, ma vie avec les collègues,
08:21 et ma vie dans ma vraie vie, voir le décalage.
08:24 Des fois, je suis au bureau des journal-entiers,
08:26 comme un fou furieux sur une info dont tout le monde se fout.
08:28 Je rentre au quartier, j'en parle, mais personne n'est au courant.
08:30 - Personne n'a jamais entendu parler de ça.
08:31 - Personne n'est au courant.
08:32 - La vraie question, on va finir par la poser, c'est,
08:34 est-ce qu'il y a quelque chose, aujourd'hui, dans le débat démocratique,
08:36 le journalisme politique tel qu'il est pratiqué, Rachid Lahrech ?
08:39 - Tel qu'il est pratiqué, ça sert à moitié.
08:42 Il y a du boulot, il y a du travail,
08:45 et on doit vraiment tous, collectivement, se remettre en question.
08:47 - Donc, en gros, le journalisme politique, sert-il à quelque chose ?
08:50 Selon vous, à moitié ?
08:52 En tout cas, pas comme il est actuellement.
08:53 Moi, je ne peux pas dire la même chose,
08:55 parce que je ne veux pas que mes collègues du service politique
08:57 me cassent la gueule à la cantine, parce que ici, tout le monde est super !
09:00 Merci, Rachid Lahrech, vous êtes toujours un journaliste à libération,
09:03 vous n'êtes plus au service politique.
09:04 Vous retournez sur le terrain pour des reportages,
09:06 et votre livre s'appelle « Il n'y a que moi, que ça choque »,
09:09 c'est aux éditions Les Arènes.

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