À l'occasion de la Journée nationale d'Action contre l'Illettrisme, nous avons reçus Aline Le Guluche, qui a été illettrée jusqu'à ses 50 ans. Pour neo, elle est revenu sur son histoire inspirante, de femme illettrée à auteur. ✍️
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00:00 L'illettrisme, on ne le naît pas comme ça, on le devient.
00:03 Et être illettré, ça ne veut pas dire être imbécile non plus.
00:06 Ça veut dire avoir un handicap, au même titre qu'un autre handicap.
00:10 C'est une barrière intellectuelle, c'est un empêcheur d'avancer.
00:14 On demande aux autres, les autres ne sont pas toujours de bons conseils.
00:18 Ils voient d'abord leur intérêt et ça, c'est dangereux.
00:21 Salut Néo, je suis Aline Le Guluche.
00:23 Aujourd'hui, je viens vous raconter mon histoire,
00:25 celle d'une ancienne illettrée devenue auteur.
00:28 Être illettrée, c'est une personne qui est allée à l'école,
00:32 jusqu'à l'âge de 16 ans, comme moi.
00:34 Et moi, j'en suis sortie en situation d'illettrisme
00:38 parce que je n'avais pas les compétences de base.
00:40 Alors, je suis née dans un milieu rural.
00:43 Il faut savoir aussi que la pauvreté, les milieux ruraux,
00:47 l'exclusion de là où on est, comment on évolue dans notre famille,
00:52 ça fait partie aussi de l'illettrisme.
00:53 Il y a aussi les problèmes arrivés à l'école.
00:57 J'étais dyslexique, mais à l'époque,
00:59 ce n'était pas un problème que l'on reconnaissait.
01:02 Mon enseignant, quand j'étais en CP,
01:06 il arrivait derrière mon dos et tout de suite,
01:09 il jugeait ce que j'avais écrit.
01:11 La moindre tâche, c'était des coups de règle sur les doigts,
01:14 tirer les cheveux, punition au coin ou à la cave.
01:17 C'était vraiment pour lui une espèce de jouissance de rabaisser les enfants.
01:22 Et ça a vraiment été un handicap pour moi.
01:25 Forcément, lorsqu'on quitte l'école de bonheur,
01:28 on va travailler tôt aussi.
01:30 À 16 ans, j'ai commencé à travailler en usine.
01:33 Des situations embarrassantes lorsqu'on est illettré,
01:36 il y en a tous les jours.
01:37 Quand je travaillais en usine, j'étais assez sereine,
01:39 mais il s'est quand même passé des choses.
01:41 C'était l'hiver, il fallait qu'on fasse des essais de croissants,
01:45 c'était nouveau dans cette entreprise.
01:47 On les congelait et il n'y avait pas d'étiquette.
01:50 J'ai recopié sur une collègue qui avait écrit le mot "croissant".
01:54 J'ai loupé une lettre et du coup, ça faisait "croissant".
01:57 Et donc, une dame qui travaillait avec moi, sans me regarder dans les yeux,
02:00 elle s'est permise de m'insulter en disant qu'il y en a dans cette entreprise
02:05 qui sont vraiment bêtes, imbéciles.
02:08 Ils ne valent pas grand-chose
02:11 parce qu'ils ne savent même pas écrire le mot "croissant".
02:13 Tout ça, c'était des séances humiliantes que j'ai malheureusement subies.
02:18 L'illettrisse, c'est vraiment une honte que j'ai traînée pendant 50 ans.
02:23 Il faut le cacher à sa famille.
02:24 Tout au moins, même si les gens le savent, en famille, on n'en parle pas.
02:29 C'est tabou.
02:30 Avec mes enfants, quand ils étaient petits, j'ai toujours fait semblant de savoir.
02:34 Je les ai fait lire à ma place.
02:36 Je leur ai raconté des histoires plutôt que de les lire les histoires.
02:39 Et c'était ça ma grande force, de pouvoir cacher, de bluffer en fait, de mentir.
02:44 Ils l'ont appris petit à petit.
02:46 Ils l'ont surtout appris quand j'ai divorcé,
02:47 quand j'ai quitté le foyer familial avec eux d'ailleurs.
02:50 Et c'est là qu'ils ont vraiment compris mon handicap.
02:55 Parce que jusqu'à présent, j'avais besoin de quelque chose.
02:58 Je demandais aux pères de mes enfants de rédiger une lettre importante pour le foyer.
03:02 J'ai quitté ce foyer et là, j'ai eu besoin de l'assistance sociale, bien sûr,
03:08 pour remplir certains documents et aussi de mes enfants,
03:11 pour les lire aussi, les comprendre.
03:13 J'ai eu besoin de mes enfants à maintes reprises.
03:17 Mais ils n'ont jamais parté de jugement.
03:19 Ils m'ont toujours aidée.
03:21 Lorsqu'on est illettré, c'est vrai qu'on est obligé de faire confiance.
03:25 Alors je me suis mariée, bien sûr.
03:28 Et mon mari, il prenait cette force que lui avait plus de compétences que moi,
03:33 pour être sûr que je reste à la maison.
03:35 Il a profité de m'emprisonner quelque part.
03:38 Quelques années après mon divorce, bien sûr, j'ai refait ma vie,
03:42 parce que la vie continue.
03:43 Et j'ai refait cette vie avec une personne qui travaillait avec moi.
03:47 Donc il savait que je manquais de compétences.
03:50 Et lui, par contre, il a bien calculé dès le début
03:52 pour être sûr d'en tirer le meilleur.
03:54 J'ai signé des crédits.
03:56 J'ai mis mon argent dans sa maison.
04:00 Moi, je pensais être propriétaire de la maison.
04:02 Et non, pas du tout.
04:04 Elle n'était qu'à son nom.
04:05 J'ai fait un crédit maison qui a ensuite été changé en crédit à la consommation.
04:10 J'ai essayé de me battre pour récupérer mes biens,
04:14 mais pas moyen.
04:16 Non, j'ai perdu, mais bon,
04:18 le clé d'argent n'est pas mortelle.
04:20 À l'âge de 50 ans, je suis retournée à l'école
04:22 parce que j'étais fatiguée de ma vie que je menais personnelle.
04:26 Ma vie au travail, j'étais usée.
04:28 Je voyais toujours mes collègues évoluer,
04:31 et moi, je ne bougeais pas.
04:33 Et je ne trouvais pas ça juste, parce que mon travail était correct.
04:36 Donc je suis allée directement aux ressources humaines,
04:39 j'ai toqué à la porte et j'ai vidé mon sac.
04:43 Et parler de ça, ça a été difficile.
04:46 J'ai eu les larmes qui sont montées,
04:48 j'étais très angoissée.
04:49 C'était vraiment une épreuve.
04:51 Ça m'a fait du bien parce que la personne devant moi était attentive.
04:54 Elle m'a écoutée et surtout, elle m'a compris.
04:56 Cette personne, elle m'a dit,
04:58 "Écoutez, Aline, je vais faire de mon mieux,
05:01 je vais vous donner une réponse dans la semaine."
05:03 Elle m'a rappelée dans la semaine pour me proposer une école à Paris.
05:06 Et dans cette nouvelle épreuve,
05:08 j'ai rencontré des jeunes qui étaient là.
05:10 Et ça m'a touchée parce que c'était des jeunes de 20 ans.
05:13 Et j'ai dit, "Mais comment c'est possible ça ?"
05:15 Ça m'a vraiment interpellée.
05:17 Alors, certains avaient peur de rentrer dans la classe,
05:19 moi aussi.
05:20 Mais comme j'étais plus vieille,
05:22 j'avais tendance à les prendre par la main et puis de leur dire,
05:25 "Allons-y, tous ensemble."
05:26 On s'est créé un lien, une amitié.
05:28 Je pense encore à eux.
05:29 Et quand j'écris, tout ce que je fais,
05:32 c'est justement parce qu'eux, eux, ils m'ont touchée.
05:35 J'ai décidé, en sortant de l'école,
05:37 de rencontrer des bonnes personnes.
05:39 Déjà, j'ai écarté de moi toutes les personnes
05:41 qui ne croyaient pas en moi.
05:42 Je voulais passer un CAP.
05:44 J'ai passé un CAP.
05:46 Pour moi, avoir eu ce CAP, c'était un fait d'artifice.
05:48 C'était ma première grosse victoire.
05:50 J'ai passé une VAE, donc, avec mon ordinateur.
05:54 J'ai pris de la confiance en moi.
05:56 Et j'ai aussi réalisé,
05:58 avec toutes les rencontres que j'ai faites
06:00 avec la lutte contre l'illettrisme,
06:01 qu'il était très important d'écrire son parcours,
06:04 qu'il était très important de continuer à se battre pour cette cause.
06:07 J'ai un combat à mener et pour le mener,
06:09 je suis obligée d'écrire.
06:11 Et j'aime écrire.
06:12 J'aime raconter les belles rencontres que je fais à présent.
06:17 Alors, un petit mot pour mes amis illettrés.
06:20 Ne stressez pas parce que vous faites trop de fautes.
06:21 Ne vous mettez pas de barrière, surtout pas.
06:23 Il faut lire, lire doucement, prendre confiance en vous.
06:27 Je vous conseille d'y aller, de foncer,
06:29 parce que c'est impératif.
06:30 On ne peut pas vivre sans, à l'heure actuelle.
06:32 Si vous avez besoin de papier pour les allocations familiales,
06:36 si vous avez besoin pour avoir un appartement,
06:39 pour votre liberté de penser, de choisir,
06:44 travaillez comme moi avec un ordinateur ou un téléphone.
06:47 On en a tous.
06:48 [Générique de fin]
06:50 Merci.