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Face au déterminisme, pas de fatalité : tel est le message de Moussa Camara, fondateur en 2015 de l'association Les Déterminés. Celle-ci vise à aider les habitants de quartier et de campagne à monter leur entreprise pour s'en sortir, et s'élever socialement.
Une vision entrepreneuriale que Moussa Camara raconte dans un livre, à paraître le 14 septembre : Déterminé - Comment on s'en sort (Presses de la Cité, 160 pages, 19€), écrit avec la collaboration de Sébastien Le Fol. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/on-n-arrete-pas-l-eco/on-n-arrete-pas-l-eco-du-samedi-09-septembre-2023-6108267

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Transcription
00:00 Notre invité ce samedi, c'est le fondateur de l'association Les Déterminés, qui aide
00:04 les habitants des banlieues et des campagnes à lancer leur entreprise.
00:07 Bonjour et bienvenue Moussa Kamara.
00:10 Bonjour.
00:11 Alors Les Déterminés, vous y faites quoi ?
00:12 Les Déterminés, c'est un programme d'accompagnement et de formation à toutes celles et ceux qui
00:18 veulent entreprendre partout en France.
00:20 Et pas que, parce qu'eux aussi, on accompagne, on fait du mentorat et on fait du temps à
00:26 la personne pour des jeunes qui sont très éloignés de l'emploi et qui veulent aller
00:30 vers l'emploi.
00:31 Alors on va en parler de l'emploi.
00:32 Vous avez publié ce livre, vous publiez ça paraît jeudi prochain en librairie.
00:36 Déterminés, comment on s'en sort ? C'est aux presses de la Cité.
00:39 Je vous lis et vous avez été en lycée pro.
00:42 On a écouté le reportage ensemble.
00:44 C'est un débat tendu.
00:46 Vous vous écrivez un patron, ça n'est pas le diable.
00:48 Oui, parce que moi-même je suis chef d'entreprise, j'accompagne des chefs d'entreprise partout,
00:54 tout le temps, dans toute la France.
00:56 Et au contraire, c'est des gens qui créent de l'emploi, c'est des gens qui permettent
01:00 aussi à des femmes et des hommes de construire et développer et de créer leur destin, de
01:06 concrétiser leurs rêves.
01:07 Et surtout, nous on parle de l'entreprise d'une manière différente.
01:11 Parce que c'est quelque chose qui t'élève, qui aussi te rend de la dignité quand trop
01:16 longtemps tu as été sur le banc de touche.
01:18 Finalement, parfois ça peut être aussi un levier d'inclusion qui est assez puissant.
01:24 Mais vous qui avez été en lycée professionnel, ce débat tendu, quand on a écouté le reportage,
01:28 vous m'avez dit "oui, je sais".
01:29 Est-ce que rapprocher l'école de l'entreprise, ça vous paraît être une bonne idée ?
01:32 Pour moi c'est une très bonne idée, rapprocher l'école de l'entreprise.
01:35 Parce qu'aujourd'hui, on a vocation après nos études d'aller à un emploi.
01:41 Et aujourd'hui, ce n'est pas la promesse pour tous.
01:43 Combien de jeunes, moi-même je suis passé par un lycée professionnel où j'allais
01:48 en lycée sans forcément avoir des perspectives, des débouchés d'emplois derrière.
01:53 Donc finalement, ça crée quoi ?
01:55 Ça crée des jeunes en décrochage qui n'ont pas forcément de solution ni de diplôme.
01:59 Surtout quand on n'a pas notre diplôme à la fin.
02:01 Et finalement, ça ne crée pas des bonnes choses.
02:06 Surtout nous, dans nos quartiers.
02:08 Et du coup, pour moi, si on arrive à préparer au mieux une jeunesse qui au lieu à la fin
02:15 de leurs études vont se retrouver sans solution, de leur permettre d'avoir un vrai levier
02:19 dans une entreprise pour apprendre un métier, etc.
02:21 Je pense que ça peut aussi servir à ça et ça doit servir à ça.
02:24 Ce que vous dites, c'est que si l'école ne marche pas, et vous, vous avez été décrocheur,
02:29 l'entreprenariat, ça peut être un bon ascenseur social.
02:32 Aujourd'hui, ça peut être aussi un ascenseur social.
02:35 C'est un levier.
02:37 Mais ce n'est pas que l'entreprenariat.
02:38 Ça peut être aussi apprendre un métier, se former, avoir une passion, découvrir des métiers.
02:43 Le fait de découvrir des métiers.
02:45 Moi, quand j'ai terminé le lycée pro, je ne savais même pas exactement.
02:49 Quand je suis arrivé en lycée pro, je suis arrivé après le collège parce qu'on nous
02:53 disait « si vous ne travaillez pas très bien, vous allez aller en lycée pro ».
02:56 Déjà, la valorisation du lycée pro était déjà mal vue.
03:00 Et quand on regarde, moi je suis arrivé dans un lycée pro, à Sarkoville, dans le 78,
03:07 j'avais l'impression de me retrouver dans mon quartier en fait.
03:09 - Alors, vous dites, ça c'est intéressant.
03:12 Vous, vous avez grandi dans le quartier de la Croix-Petit à Sergie-Pontoise.
03:15 Vous écrivez « dans les écoles de mon quartier, on n'apprenait pas la même chose, on ne bénéficiait
03:20 pas de la même qualité d'accompagnement ».
03:22 - Oui, moi je l'ai vécu parce que j'ai eu la chance de changer d'école très tôt.
03:28 Et en fait, à une école qui était à 10 minutes de chez moi, j'avais accès à la
03:33 culture, j'avais accès à des sorties, j'avais accès à des voyages.
03:37 La première fois que je voyageais, c'était avec l'école.
03:39 Et qu'est-ce qui se passait entre 10 minutes, entre mon ancienne école et ma nouvelle école
03:44 ? C'était pas la même qualité, y'avait pas les mêmes moyens, parce que j'étais
03:49 dans un quartier un peu plus compliqué.
03:51 Et aujourd'hui, ça aussi, ça crée des inégalités.
03:54 Malheureusement, pour moi, ça doit être normal d'avoir accès à la culture à l'école,
03:58 ça doit être normal d'avoir accès au sport à l'école, ça doit être tout ce qui est
04:03 basique.
04:04 Même accès à la découverte de métiers, de dire « ouais, j'aimerais être astronaute,
04:07 j'aimerais être pilote d'avion, j'aimerais être journaliste, j'aimerais être peut-être
04:12 chef d'entreprise », ça je les découvrais après.
04:14 Alors justement, à quel moment, est-ce que votre association s'appelle « Les Déterminés
04:19 », à quel moment vous vous êtes dit pour la première fois « je suis déterminé,
04:23 il y a un déterminisme ».
04:24 La première fois que je me suis dit que j'étais déterminé, c'était… En fait, depuis
04:29 très tôt, je savais que j'étais déterminé.
04:30 Vous savez, moi j'ai grandi…
04:32 Et qu'est-ce qui vous déterminait ?
04:33 Ce qui me déterminait, c'était ma force et ma capacité de créer des choses dans
04:37 mon environnement.
04:38 Une petite histoire, nous il y avait une brocante deux fois par an, et dans cette brocante,
04:44 moi mon père il avait une caisse à outils, et on récupérait des vélos, on les réparait
04:48 et on attendait le jour de la brocante pour pouvoir aller les vendre.
04:51 Ça c'est une forme de détermination, on se débrouillait, on savait que nos parents
04:55 n'avaient pas beaucoup de moyens pour nous, et finalement on essayait de trouver des idées
04:59 pour pouvoir se faire un peu d'argent de poche.
05:01 Mais là c'est déterminé dans le sens de déter.
05:03 Moi je vous parle de déterminisme.
05:06 À quel moment vous vous êtes dit « je suis victime de déterminisme » ?
05:10 Très tôt, parce qu'en fait quand on est assigné un peu à son quartier, quand on
05:16 vit un peu, on ne voit pas forcément d'exemples positifs autour de nous, de réussite, et
05:22 c'est très compliqué de pouvoir se projeter.
05:24 Et en gros, moi je savais que finalement, en étant plus jeune, ma vie allait être
05:29 comme celle de mes « grands frères » on va dire, pas avec des perspectives d'évolution
05:35 de carrière professionnelle.
05:36 Et en fait j'ai réussi à déjouer tout ça le jour où j'ai monté ma première
05:39 entreprise, à 20 ans.
05:41 J'ai eu une opportunité, une rencontre, dans les télécoms et de l'informatique,
05:44 j'ai monté cette première entreprise.
05:45 Sans rien savoir, vous racontez très bien dans le livre.
05:46 Sans rien savoir, sans rien connaître, et ça, clairement, ça m'a ouvert l'esprit,
05:52 la porte, et c'est là où j'ai su qu'en fait c'était une manière de lutter contre
05:57 le déterminisme social, d'être déterminé, et d'avoir eu cette opportunité de créer
06:01 ma première entreprise.
06:02 - Moussa Kamara, on est deux mois après les émeutes.
06:05 Alors, vous parlez d'émeuteurs parce que ça a aussi beaucoup joué dans votre parcours,
06:09 vous avez monté des associations.
06:11 Vous évoquez dans le livre celle de 2005, est-ce que ce sentiment de déterminisme,
06:16 et peut-être cette frustration qu'on entend à travers ce que vous dites, c'est aussi
06:20 ce qui alimente ces explosions ?
06:21 - Ouais, c'est peut-être un sentiment d'injustice, un sentiment aussi d'être pas pris en considération,
06:32 de ne pas respecter à sa juste valeur.
06:33 Peut-être que ça crée ce sentiment-là.
06:35 Mais aujourd'hui, moi, je ne suis pas le représentant de la banlieue, donc j'ai un
06:40 regard assez éloigné, mais même si on a, à l'époque, agi à ce niveau-là parce
06:45 qu'il fallait agir, moi, à l'époque, la seule réponse était de créer une association.
06:49 Quand il y a eu les émeutes, il y a près de 20 ans, avec mes amis, on s'est dit, créons
06:55 une association pour essayer de faire en sorte de conscientiser, de faire en sorte que les
06:59 jeunes et les habitants s'engagent dans la vie citoyenne et qu'on soit plus spectateur
07:04 de ce qui se passe.
07:05 - Mais vous sillonnez toujours la France.
07:08 - Aujourd'hui ?
07:09 - Les habitants des banlieues, vous allez toujours les voir et vous dites, il n'y a pas que les
07:12 banlieues d'ailleurs, il y a aussi les campagnes.
07:15 - Voilà.
07:16 Moi, je m'adresse à toute la France, à tous les Français, à tous ceux et celles qui
07:19 pensent qu'ils ont l'impression que dans notre société, dans notre pays, ils ne peuvent
07:24 pas forcément réussir.
07:25 Et vous voyez la différence quand je vais dans un village dans le Grand Est et quand
07:32 je vais dans un quartier nord à Marseille, c'est les mêmes problématiques, les problématiques
07:36 de mobilité sociale, des freins périphériques, où il y a des problématiques, on ne peut
07:41 pas se déplacer parce qu'on n'a pas le permis, les transports passent très rarement, qu'on
07:46 veut trouver un travail et qu'on a des enfants à charge, qu'on n'a pas les moyens de se
07:49 payer une place en crèche.
07:51 Tout ça, c'est des problèmes de la vie.
07:52 Et moi, c'est ce que je vois et en fait, je constate ces mêmes inégalités partout.
07:56 Donc, mon action, bien évidemment, elle doit être beaucoup plus large.
07:59 Aujourd'hui, je trouve que dans notre pays, malheureusement, parfois, il y a trop de voies
08:03 de garage.
08:04 Il n'y a pas assez de pistes de décollage.
08:06 - Et c'est ce que vous voulez leur offrir ?
08:07 - Avec les déterminés, on veut avoir plus de pistes de décollage.
08:11 - Et ce n'est pas si dur de décoller en France ? On peut monter son entreprise ? Ce n'est
08:14 pas un enfer ?
08:15 - Moi, je pense qu'en France, en même temps, on a aussi un magnifique tissu social,
08:22 modèle social, qui permet aussi à des personnes, même quand ils n'ont pas les moyens de pouvoir
08:26 entreprendre.
08:27 Ça va être dur parce qu'ils auront besoin d'accompagnement.
08:29 C'est ce qu'on leur apporte.
08:31 Ils auront besoin aussi de réseaux.
08:32 Quand vous n'avez pas de réseau économique autour de vous, c'est très compliqué.
08:35 Mais ça, partout où vous êtes.
08:37 Et du coup, être dans des structures d'accompagnement comme les déterminés ou comme d'autres,
08:43 finalement, ça permet de faciliter ça.
08:45 Et je ne suis pas sûr qu'on le retrouve dans tous les pays du monde.
08:49 Mais en France, il y a vraiment un tissu qui favorise tout ça.
08:52 - Dans votre livre, il y a énormément de témoignages de déterminés que vous avez
08:56 accompagnés.
08:57 Des Français dont les parents sont souvent venus d'ailleurs pour travailler, pour fuir
09:02 une guerre civile.
09:03 Peut-être que certains d'entre eux n'avaient pas leur papier.
09:04 Alors, je vous posais cette question qui est d'actualité et qui divise la majorité en
09:08 ce moment.
09:09 Faut-il régulariser ou non les sans-papiers qui travaillent dans les métiers en tension ?
09:13 - On constate qu'il y a un vrai besoin de la part des entreprises à recruter.
09:20 À recruter des gens pour pouvoir les insérer, etc.
09:25 Et aujourd'hui, qu'est-ce qu'on fait de tous ces gens qui viennent dans notre pays ?
09:28 On les laisse errer comme ça, sans solution, sachant qu'il y a des besoins.
09:32 Moi, ce que je propose, c'est de pouvoir les former, de les accompagner et aussi de
09:36 les faire évoluer.
09:37 Ce n'est pas parce qu'on a besoin de la main d'œuvre qu'on utilise et qu'on jette
09:40 quand on n'en a plus besoin.
09:41 Non, c'est comment ils évoluent, comment ils s'intègrent économiquement dans notre
09:46 société.
09:47 Et je pense que c'est ça qui pourra, à un moment donné, peut-être clore un peu
09:52 ce débat.
09:53 Après, ce sont des débats...
09:54 Moi, je ne suis pas politique, mais mon avis à ce que je pense, c'est qu'à l'époque,
09:57 il y a toujours eu de l'immigration en France.
09:59 Mes parents, ils sont originaux de l'immigration.
10:02 Ils sont venus en France et aujourd'hui, ils ont travaillé, ils ont élevé.
10:06 Moi et mes frères et sœurs, on est nés ici, on a fait l'école française et aujourd'hui,
10:09 on s'engage.
10:10 On fait partie de cette société, on essaie de contribuer et je pense que c'est important.
10:14 - Vous dites "je ne suis pas politique".
10:16 Ce qui n'est pas tout à fait vrai.
10:18 Maintenant, vous participez à des groupes de travail à Bercy, vous êtes invité au
10:21 Medef, vous connaissez bien apparemment Pierre Gattaz.
10:24 Ça fait quoi de passer de Sergi Pontoise, le quartier de la Croix-Petit, à ces mondes-là ?
10:29 - Voilà, moi je pense que c'est intéressant parce qu'aujourd'hui, c'est le parcours
10:34 d'un déterminé.
10:36 Mon parcours, c'est quelqu'un qui n'a rien de prédestiné à être là où je suis.
10:40 Mais aujourd'hui, on arrive à être dans des sphères qui sont différentes parce que…
10:46 - Mais ça vous plaît ? Est-ce que parfois vous n'avez pas envie de bousculer ?
10:50 - Non, c'est même pas une question de plaire ou pas plaire.
10:52 J'aurais pu rester de mon côté, dans mon quartier, à faire mon action.
10:55 Mais moi, je me suis toujours dit qu'il était important de sortir du quartier.
11:01 Moi aujourd'hui, les formations que je propose, elles ne sont jamais dans les quartiers ou
11:05 dans les campagnes.
11:06 Elles sont toujours dans les cœurs économiques.
11:08 C'est moins que les personnes qu'on accompagne puissent sortir, rencontrer des gens différents,
11:12 qu'on soit d'accord ou pas d'accord avec eux.
11:13 Mais le fait que les gens échangent, discutent entre eux, ça apporte énormément.
11:18 Moi, le fait de sortir de mon quartier, ça m'a fait beaucoup de bien.
11:21 Ça m'a permis de rencontrer des gens différents qui n'avaient pas forcément la même vie
11:24 que moi.
11:25 Et finalement, ma vision, elle a échangé et ça crée des opportunités.
11:28 Et c'est pour ça que quand je suis dans tous ces réunions, ces rencontres que vous
11:32 parlez, c'est pour faire avancer le sujet que je porte, comment on arrive à mettre
11:38 plus d'inclusion, plus de gens avec des parcours différents, comment on arrive à
11:44 montrer des modèles de réussite différents.
11:46 Moussa Kamara, merci d'avoir accepté l'invitation de l'On Arrête Pas l'Écho.
11:52 Déterminer comment on s'en sort, c'est aux presses de la Cité.
11:54 C'est donc jeudi prochain en librairie.

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