• l’année dernière
Transcription
00:00 [Musique]
00:22 Merci beaucoup. Bonjour tout le monde.
00:26 Alors, heureux de vous retrouver après cette courte pause hivernale,
00:32 avec le cycle de conférences qu'on a entamé il y a de cela plusieurs mois.
00:36 Et aujourd'hui, c'est la deuxième fois qu'on va aborder la pensée d'un philosophe.
00:40 On avait commencé par Baruch Spinoza et aujourd'hui on va entamer la pensée de Friedrich Nietzsche.
00:47 Alors, je ne vais pas faire une analyse textuelle de l'œuvre de Nietzsche,
00:52 tout simplement parce que je n'en suis pas capable. C'est une œuvre extrêmement prolifique,
00:57 qui a évolué dans le temps, mais également parce qu'il faudrait toute une vie
01:03 pour entrer dans la profondeur de l'œuvre de Nietzsche.
01:06 D'autant plus que qui peut prétendre qu'il a compris Nietzsche ?
01:09 On ne peut confronter que des interprétations de l'œuvre de Nietzsche.
01:13 Alors, premièrement, au niveau du titre, effectivement, il y a deux éléments.
01:16 Il y a philosophe actuel et il y a philosophe, un terme dans le terme.
01:20 Alors, j'hésite honnêtement à qualifier Nietzsche de philosophe.
01:23 Certains même le qualifient d'anti-philosophe, c'est-à-dire qu'il est venu avec le marteau
01:28 casser toutes les idoles, dont peut-être même la philosophie.
01:32 D'où le fait que je préfère le qualifier de chaman, de prophète,
01:37 de prophète des dieux souterrains, des dieux ktoniens.
01:40 D'ailleurs, des fois, il signait ses lettres et ses œuvres sous le nom de Dionysos,
01:45 c'est-à-dire le nom du dieu grec Dionysos, qui est le dieu orgiastique,
01:49 le dieu de la démence, de la folie, de ce vitalisme qui sort des profondeurs de la terre,
01:54 de ce dieu du désordre et de la jouissance sans limite.
01:58 Non pas qu'il croyait être un dieu, mais c'était une manière de signer son œuvre,
02:04 c'est-à-dire de lui donner un ton, de lui donner un caractère bien prononcé,
02:10 c'est-à-dire de refuser une forme de neutralité au nom d'une rationalité.
02:13 Donc, il assume ses subjectivités dionysiaques.
02:16 Alors, pourquoi je dis également prophète ?
02:19 Parce que quelque part, il est le complément du prophète Abraham en quelque sorte.
02:23 C'est que le prophète Abraham est connu, entre autres, pour avoir cassé les idoles que son peuple adorait,
02:29 mais c'était des idoles extérieures, des idoles de bois, de pierre,
02:33 qui étaient sculptées par le peuple d'Abraham qui y croyait.
02:37 Au nom du monothéisme, il les a cassées.
02:40 Et Nietzsche prétend vouloir casser les idoles intérieures,
02:44 c'est-à-dire que l'on porte dans notre esprit, dans nos croyances, dans notre rapport au monde et vision du monde.
02:50 Et ces idoles intérieures ne sont pas des divinités,
02:53 c'est-à-dire qu'il ne faut pas prendre le terme "idole" à la lettre,
02:56 mais ce sont un ensemble de croyances que l'on considère comme acquises et vraies une fois pour toutes,
03:01 et qu'on arrête d'interroger.
03:04 Et donc, avec le marteau, il vient casser toutes les certitudes,
03:07 toutes les croyances aveugles qui font de nous ce qu'il appelle un troupeau,
03:11 incapable de prendre une autonomie, une forme de souveraineté individuelle,
03:16 une forme de détachement pour interroger un certain nombre de concepts.
03:19 Et c'est également un sage.
03:21 D'ailleurs, dans l'un de ses célèbres ouvrages, ainsi parlé "Zarathoustra",
03:25 il a fait parler un prophète perse,
03:29 un prophète du manichéisme,
03:32 pour faire naître une partie de son œuvre et une partie de ses idées.
03:37 Donc, il a une dimension quasi mystique dans son approche de la philosophie.
03:41 Deuxièmement, la forme d'écriture.
03:44 Il n'écrit pas de traités, il n'a pas écrit d'essais,
03:47 c'est-à-dire de livres avec une structuration linéaire,
03:50 producés en chapitre 1.
03:52 Ce sont des livres en apparence fragmentés, éclatés,
03:55 avec de très courts textes qu'on appelle aphorismes,
03:59 et où chacune de ces phrases prises séparément contient une infinité de livres, des fois.
04:05 C'est-à-dire que ce sont des concentrés de pensées, de concepts,
04:08 qu'il arrive à conjuguer et à mettre en synergie à l'intérieur d'une seule phrase.
04:13 Deuxième élément, Nietzsche est un peu le philosophe favori des jeunes,
04:17 notamment autour de la vingtaine,
04:20 parce qu'il incarne ce sentiment de rébellion, de révolte,
04:24 qui est propre d'ailleurs à l'adolescence,
04:26 qui incarne une forme de renouveau et de fraîcheur intellectuelle,
04:30 et qui fait que la plupart des jeunes,
04:32 qu'ils soient de gauche ou aujourd'hui de droite, politiquement parlant,
04:35 se retrouvent dans la pensée de Nietzsche.
04:37 Seulement le problème, c'est que là où les jeunes devraient voir
04:42 dans l'œuvre de Nietzsche une œuvre totale où les aphorismes communiquent entre eux,
04:47 ils préfèrent y voir un ensemble de punchlines,
04:50 qu'ils peuvent extraire du contexte et aller la balancer contre les croyants sur Internet
04:54 en se croyant intelligents et supérieurs en le faisant.
04:57 Notamment en faisant le parallèle,
04:58 puisque Nietzsche est énormément attaqué au christianisme,
05:00 et donc les Marocains, par exemple, qui deviennent athées,
05:03 vont puiser chez Nietzsche une forme d'arsenal ou d'armement
05:06 pour bombarder l'islam ou les croyants, en croyant avoir compris Nietzsche,
05:10 alors qu'ils n'ont fait que tranquer et décontextualiser des aphorismes de l'œuvre de Nietzsche.
05:16 Parce qu'on verra dans le détail,
05:18 c'est que même dans le contexte chrétien ou judéo-chrétien
05:20 dans lequel a grandi et vécu Friedrich Nietzsche,
05:24 Nietzsche faisait très bien la distinction entre le Christ et le christianisme.
05:28 Pour lui, le Christ est un être supérieur.
05:31 Il dit même qu'il n'y a eu qu'un seul chrétien dans toute l'histoire de l'humanité,
05:35 et il a été cloué sur une croix.
05:37 C'est-à-dire que le seul vrai chrétien de toute l'histoire de la chrétienté, c'est le Christ.
05:40 Tous les autres, c'est des faux chrétiens.
05:42 Parce que le christianisme a été inventé par Saint Paul
05:44 pour fonder une autorité et un pouvoir,
05:47 alors que le Christ n'est pas venu pour nous offrir une doctrine politique
05:51 ou une structure politique, mais il est venu offrir la bonne nouvelle,
05:54 ce qu'on appelle "évangile", qui en grec veut dire "la bonne nouvelle", "Evangelos",
05:58 et qu'il est venu mettre en pratique des enseignements.
06:01 D'ailleurs, quand on lit les évangiles, c'est une forme de suivi permanent des pas du Christ,
06:07 et c'est à travers les actions du Christ que l'on peut déduire une morale.
06:10 Mais il n'est pas venu révéler une morale clé en main qui serait valable pour tout le monde.
06:15 Parce que pour Nietzsche, la morale, c'est fait pour le troupeau,
06:18 et pas pour des individus pleinement réalisés.
06:21 Et on verra en quoi la morale lui pose problème et qu'est-ce qu'il propose comme alternative.
06:26 Deuxième élément, Nietzsche a été récupéré par tout le monde, politiquement parlant.
06:31 Il a été récupéré par la gauche, notamment par les anarchistes,
06:34 et là encore, comme pour la jeunesse dont j'ai parlé tout à l'heure,
06:37 chacun va puiser les phrases qu'il arrange.
06:39 Les anarchistes vont prendre, par exemple, les anarchistes en pour l'abolition de l'État.
06:43 C'est-à-dire qu'ils considèrent que l'autorité n'a pas à prendre une forme verticale,
06:47 et que la société doit se structurer horizontalement.
06:50 Ils vont prendre l'aphorisme de Nietzsche qui dit "L'État est un monstre froid,
06:55 le plus froid de tous les monstres froids.
06:58 Et voilà que rampe de sa bouche le mensonge "Moi, l'État, je suis le peuple".
07:04 On prend cette phrase, on est anarchiste, c'est génial, on fait de Nietzsche un anarchiste.
07:09 Les gens de droite ou d'extrême droite vont également puiser chez Nietzsche
07:12 l'idée de surhumain ou de surhomme.
07:15 Cette idée d'un homme incarnant une noblesse et une aristocratie
07:19 qui fait de lui une forme de dieu sur terre qui dépasserait le statut d'humain.
07:23 Alors que chez Nietzsche, c'est beaucoup plus complexe et beaucoup plus subtil.
07:27 Pareil, par exemple, les communistes ou l'extrême gauche vont prendre chez Nietzsche
07:31 le fait qu'ils vomissent la société bourgeoise,
07:35 qui était la société dominante de son époque,
07:38 et que Nietzsche considérait comme étant des esclaves.
07:41 Alors, ils pouvaient être riches et puissants, mais mentalement, c'est des esclaves,
07:45 porteurs d'une fausse morale, d'une bigoterie, d'une moraline, comme ils l'appellent,
07:50 et qui n'ont fait pas des seigneurs ou des nobles ou des guerriers.
07:54 Donc, chacun va récupérer Nietzsche à sa manière, ce qui le rend problématique.
07:58 D'ailleurs, même les nazis, par la médiation de la sœur de Nietzsche,
08:02 qui va rejoindre le mouvement nazi, qui va retricoter un peu l'œuvre de Nietzsche
08:08 qui était mort entre temps, et qui va proposer à Hitler directement
08:12 « Voilà la pensée de mon frère, vous pouvez en faire une forme d'armature,
08:16 ou une forme d'échafaudage intellectuel, pour fonder la supériorité de la race aryenne. »
08:21 Et qu'en fait, mon frère, quand il parlait du surhumain,
08:24 il parlait de l'avènement de la race aryenne, de l'allemand pur,
08:28 et donc, c'est conforme à l'idéologie nazie.
08:31 Et donc, après la Deuxième Guerre mondiale, Nietzsche est devenu un sujet tabou.
08:35 Il faudra attendre les années 1970, notamment avec le philosophe français Gilles Deleuze,
08:40 que Nietzsche soit réhabilité, et qu'on puisse découvrir une nouvelle lecture de Nietzsche
08:44 qui n'a rien à voir avec la récupération qui en a été faite par les nazis.
08:48 Donc Nietzsche n'a été épargné par personne, et les morts ne peuvent pas se plaindre.
08:53 Donc effectivement, il n'était plus de ce monde-là pour pouvoir rectifier l'usage qui a été fait de sa pensée.
09:00 Alors, pourquoi Nietzsche est problématique ?
09:03 Premièrement, parce que le format de l'œuvre dont j'ai parlé tout à l'heure est en apparence fragmenté,
09:07 mais également parce qu'on ne peut pas comprendre Nietzsche
09:11 si on n'a pas lu quasiment toute la philosophie qu'il a précédée.
09:15 Parce que quasiment toute l'œuvre de Nietzsche est un dialogue avec des philosophes qui l'ont précédée.
09:21 Il répond à Hegel, il répond à Kant, il répond à Platon, il répond à Socrate, il répond à Spinoza,
09:27 des fois sans les nommer, des fois il les tourne en dérision.
09:30 Par exemple, quand il parle de Kant, je ne sais pas qui s'est déjà aventuré à lire
09:34 "Critique de la raison pure" ou "Critique de la raison pratique" de Kant,
09:38 au bout de deux pages, vous avez "L'ami Gren", le livre vous tente des mains, c'est illisible.
09:42 Et Nietzsche l'appelait "le chinois de Königsberg", parce que personne ne comprenait réellement ce qu'il voulait dire.
09:48 Et pour lui, c'était une supercherie, Kant.
09:50 C'est-à-dire que c'était une manière conceptuelle de déguiser la morale chrétienne.
09:54 La morale chrétienne est morte, on va la revivifier,
09:57 mais avec un nouvel arsenal plus intellectuel, plus complexe, plus sophistiqué.
10:02 Et donc voilà, quand je parle des jeunes, ce n'est pas une insulte,
10:05 je dis tout simplement que quand un jeune veut lire Nietzsche,
10:08 il peut comprendre ce qu'il comprend en le lisant,
10:10 mais qu'il ne croit pas avoir tout compris avant d'avoir lu la pensée de Hegel, de Kant, etc.
10:15 Donc là, c'est le premier prémice par rapport à Nietzsche.
10:19 Par exemple, pour Hegel, quel est le problème ?
10:22 Alors, rapidement, c'est une introduction pour aller directement vers la dimension actuelle,
10:25 mais il faut d'abord situer la pensée de Nietzsche.
10:27 Par rapport à Hegel, dans la pensée d'Hegel,
10:31 il y a cette idée que la raison, avec un grand R, que l'esprit du monde,
10:35 s'exprime à travers l'homme.
10:39 Pourquoi ? Parce qu'il n'y a que l'homme qui a conscience de lui-même.
10:43 L'animal a une conscience limitée, les plantes, les pierres,
10:45 donc il n'y a que l'homme qui puisse être le médium, ou le média, ou l'intermédiaire
10:50 entre l'esprit du monde et le monde.
10:52 Et donc, le progrès de l'humanité,
10:55 c'est le déploiement de plus en plus important de la raison dans l'histoire.
10:59 C'est-à-dire que l'esprit du monde, en fait, se déploie, se développe
11:03 à travers le progrès de l'humanité.
11:06 Je prends énormément de raccourcis, c'est pour faire très simple.
11:09 Et que la finalité, c'est la fin de l'histoire.
11:13 C'est-à-dire qu'une fois que la raison va être établie dans le monde intégralement,
11:17 que toutes les illusions, les croyances erronées, etc., seront déconstruites,
11:22 eh bien, on aura une forme de fin de l'histoire,
11:25 où le monde sera enfin adéquat lui-même, et où la raison triomphera.
11:29 Alors Nietzsche, il entend tout ça, il y voit du charabia qui n'a ni queue ni tête.
11:34 Tout simplement parce qu'il part de l'idée que le progrès est un mythe,
11:38 que le progrès technique n'équivaut pas du tout même
11:42 à un progrès moral ou éthique de l'humanité.
11:45 Est-ce qu'on peut dire aujourd'hui qu'un contemporain est plus éthique ou moral
11:50 qu'un citoyen romain, ou grec, ou musulman à Bagdad,
11:54 ou chrétien à l'époque du Moyen-Âge ?
11:56 Non, on a toujours les mêmes perversions, on a toujours la même méchanceté,
12:00 la même bêtise, la même avarice, la même jalousie, la même haine.
12:05 L'homme n'a pas changé. Ce qui a changé, c'est son environnement.
12:09 Et le changement de l'environnement de l'homme, avec de nouveaux immeubles,
12:12 de nouvelles technologies, pour Nietzsche, ce n'est pas un progrès,
12:15 c'est juste un changement, un renouvellement permanent de la forme du monde.
12:19 Mais le progrès, pour lui, est un mensonge.
12:21 C'est une lecture religieuse du monde du progrès, pour Nietzsche.
12:24 Et donc, il l'a déconstruit et s'attaque à la pensée de Hegel.
12:28 Donc, il ne croit pas au progrès. Il ne croit pas non plus à la raison.
12:32 Pour Nietzsche, les faits dont la science parle n'existent pas.
12:37 Il n'y a que des interprétations de faits.
12:40 On ne peut pas dire tel événement a eu lieu ou tel phénomène est réel.
12:43 On dit j'ai une interprétation, à travers l'essence que j'ai,
12:46 à travers l'intellect que j'ai, de ce que j'appelle un fait.
12:50 Mais les faits n'existent pas pour Nietzsche.
12:52 Et donc, la raison est incapable de percevoir la vérité des choses.
12:56 Et donc, la vérité avec un grand V n'existe pas.
13:00 On peut la fonder, on peut l'instituer,
13:03 mais ne pas la cacher, attendant d'être découverte par l'homme.
13:08 Et donc, les deux piliers de la modernité, c'est-à-dire le progrès et la raison,
13:13 vont être attaqués à coups de marteau, intellectuellement parlant, par Nietzsche.
13:17 Et donc, Hegel est la proie immédiate de cela.
13:21 Deuxième idole intellectuel que Nietzsche va casser, c'est Kant, Emmanuel Kant.
13:27 Alors, Emmanuel Kant, étant conscient du fait que le christianisme
13:34 était devenu, à son époque, plutôt superficiel,
13:40 c'est-à-dire que plus personne ne croyait réellement,
13:42 même si tout le monde faisait semblant de croire en allant à l'église, etc.,
13:45 eh bien la morale chrétienne était devenue inefficiente.
13:48 Il n'arrive plus à convaincre les gens de faire le bien, de ne pas faire le mal, etc.
13:52 Mais étant profondément chrétien et croyant,
13:55 il va tenter, effectivement, d'opérer un sauvetage de la morale chrétienne
13:59 en la reformulant autrement, de manière rationnelle.
14:02 Donc, il va tenter de rationaliser la morale chrétienne, mais sans parler du christianisme.
14:07 Et donc, on a l'impératif catégorique de Kant.
14:09 Que veut dire l'impératif catégorique de Kant ?
14:11 C'est-à-dire que, quand vous voulez faire quelque chose,
14:14 je vais dire très simplement, imaginez que tout le monde fait la même chose.
14:18 Et dites-vous, est-ce que vous aimeriez vivre dans ce monde ?
14:21 Par exemple, je veux brûler un feu rouge, parce que je suis pressé, il n'y a pas beaucoup de monde,
14:25 ou même il n'y a personne, la rue est déserte, donc je ne risque de frapper personne.
14:28 Eh bien, Kant nous dit, vous devez vous dire, dans ce cas,
14:31 alors je veux brûler le feu rouge,
14:33 mais imaginons si tout le monde décide de le faire tout le temps, de brûler le feu rouge.
14:36 Est-ce que j'aimerais vivre dans ce monde ? Non.
14:38 Donc, fais en sorte, nous dit Kant,
14:41 que ton intention puisse devenir une loi universelle.
14:46 Et là, tu sauras si ton intention est bonne ou mauvaise.
14:49 Si, par exemple, je veux donner à un mendiant de l'argent,
14:52 et que je me dis, si tout le monde fait la même chose,
14:55 je me dis, c'est bien, j'aimerais bien vivre dans un monde où tout le monde est généreux,
14:58 donc je peux donner, c'est une bonne action, moralement acceptable.
15:01 Mais si, par exemple, je veux voler, et je me dis, si tout le monde devient voleur,
15:04 je n'aimerais pas vivre dans un monde où tout le monde devient voleur,
15:06 et donc je ne le fais pas.
15:08 Donc, c'est une nouvelle articulation intellectuelle,
15:10 tout simplement, voilà, pour revenir à une morale très basique,
15:13 qui est celle du bien et du mal.
15:15 La mesure est l'instrument qui va permettre de l'évoluer chez Kant.
15:18 Ce n'est plus la peur de Dieu ou le désir du paradis,
15:20 mais c'est tout simplement une forme d'instrument rationnel
15:23 qui permet de séparer les bonnes des mauvaises actions.
15:26 Donc là, encore, Nietzsche, il y voit tout simplement un nouveau déguisement
15:30 pour la métaphysique et pour la théologie chrétienne,
15:33 à qui il reproche un certain nombre de choses.
15:35 Ce qu'il reproche au christianisme, principalement,
15:37 c'est le fait d'avoir inventé un arrière-monde,
15:40 c'est-à-dire une vie après la mort, avec un enfer, un paradis,
15:43 afin d'obtenir des gens des comportements similaires,
15:46 ce qu'il appelle une psychologie de troupeau.
15:48 C'est-à-dire que le mal, cette chose est mal,
15:50 elle est mal de la même manière pour tout le monde.
15:52 Cette chose est bien de la même manière pour tout le monde.
15:54 Donc lui, il n'arrive pas, il ne veut pas intégrer
15:58 cette idée d'homogénéisation morale de tous les individus,
16:02 parce que pour lui, il y a différents types d'individus.
16:04 Il y a effectivement les seigneurs, les nobles,
16:06 alors pas nobles par le sang, mais nobles par l'âme, on va le voir,
16:09 et puis il y a les esclaves, qui peuvent être des chefs d'État,
16:11 qui peuvent être des ministres, qui peuvent être riches,
16:13 qui peuvent être puissants, mais mentalement, ce sont des esclaves.
16:16 Ils ne portent en eux aucune intensité, aucune puissance, aucun désir,
16:20 aucun vitalisme.
16:22 Ce sont des gens qui sont morts intérieurement,
16:23 ils ont beau être riches et puissants.
16:25 Et donc pour lui, le christianisme est la religion des esclaves,
16:28 c'est la religion des faibles.
16:30 Et Nietzsche déteste la faiblesse.
16:33 Non pas qu'il soit cruel, ou qu'il veuille tuer les pauvres, etc.,
16:37 mais il déteste la faiblesse, pas la faiblesse biologique ou physique,
16:40 mais la faiblesse mentale.
16:42 Il dit que quand votre ami est malade, offrez-lui votre asile,
16:46 c'est-à-dire qu'il peut venir chez vous.
16:48 Prenez soin de lui, mais prenez soin de lui avec la dureté d'un lit de camp.
16:53 Vous savez, le lit militaire, c'est très inconfortable de dormir dessus.
16:57 Et donc il dit, mais soyez durs avec lui en l'aidant,
17:01 comme un lit de camp.
17:03 Parce que c'est comme cela que vous allez lui faire du bien.
17:06 C'est-à-dire qu'il est contre la victimisation,
17:09 il est contre le discours victimeur.
17:11 J'ai raté ma vie parce que de ou là l'État n'a rien fait pour moi,
17:15 parce que mes parents ne m'ont pas aimé quand j'étais petit,
17:17 parce que ça, c'est pour lui une mentalité d'esclave.
17:20 C'est toujours chercher en dehors de soi les causes de sa faiblesse.
17:25 Alors que pour Nietzsche, c'est une pensée de l'affirmation, du vitalisme.
17:30 C'est-à-dire, si je suis médiocre, je vais voir le meilleur dans ma médiocrité.
17:35 C'est que déjà, c'est une invitation à dépasser cette médiocrité.
17:38 Si j'ai mal, cette douleur, elle a une raison d'être,
17:41 elle m'enseigne des choses.
17:42 Et donc elle va m'apprendre à connaître mes limites et à les dépasser.
17:46 Et donc tous les discours victimeurs de Gauche,
17:48 sur les différentes thématiques qui dominent aujourd'hui,
17:51 pour lui, c'est une idéologie d'esclave.
17:54 Et donc, il y a une idée de la société,
17:56 et c'est ce que je veux dire par rapport à ce discours.
17:58 C'est-à-dire, il y a une idée de la société,
18:00 et c'est ce que je veux dire par rapport à ce discours.
18:02 Et donc, il y a une idée de la société,
18:04 et c'est ce que je veux dire par rapport à ce discours.
18:06 Et donc, il y a une idée de la société,
18:08 et c'est ce que je veux dire par rapport à ce discours.
18:10 Et donc, il y a une idée de la société,
18:12 et c'est ce que je veux dire par rapport à ce discours.
18:14 Et donc, il y a une idée de la société,
18:16 et c'est ce que je veux dire par rapport à ce discours.
18:18 Et donc, il y a une idée de la société,
18:20 et c'est ce que je veux dire par rapport à ce discours.
18:22 Et comme j'ai dit en introduction,
18:43 il distingue la figure du Christ,
18:45 qui pour lui est effectivement quelque part un surhumain,
18:47 du christianisme et de la trajectoire historique
18:49 que va connaître le christianisme.
18:51 Et d'ailleurs, la pensée de Nietzsche
18:53 rejoint la pensée de Léon Bloy
18:55 quand il dit qu'effectivement,
18:57 il y a eu un seul chrétien dans l'histoire du christianisme,
18:59 et il a été cloué sur une croix,
19:01 c'est-à-dire que c'est le Christ,
19:03 et que tous les autres, c'est des désirpateurs,
19:05 des faux chrétiens.
19:07 Ce qui est valable pour lui,
19:09 pour la plupart des religions.
19:11 Donc, maintenant,
19:13 il s'attaque également à Platon,
19:15 pour une raison qui est similaire
19:17 à celle des critiques qu'il fait.
19:19 C'est-à-dire similaire à celle des critiques
19:21 qu'il formule à l'encontre des religions.
19:23 C'est que dans la pensée de Platon,
19:25 il y a une distinction entre le monde matériel,
19:27 le monde sensible, le nôtre,
19:29 et le monde idéal,
19:31 le monde des idées,
19:33 qui est un monde intelligible, pur,
19:35 où il n'y a que des concepts abstraits,
19:37 immatériels, qui sont les vérités
19:39 des choses ici sur Terre.
19:41 Et Platon établit une hiérarchie entre ces deux mondes.
19:43 C'est-à-dire qu'au-dessus de la hiérarchie
19:45 trône le monde des idées,
19:47 le monde des âmes, le monde pur,
19:49 un peu comme le paradis,
19:51 ou le monde divin, ou le monde des anges dans les religions.
19:53 Et le monde matériel est un monde difforme,
19:55 est un monde incomplet,
19:57 est un monde défiguré.
19:59 Donc, ce monde-là dans lequel on évolue
20:01 est, entre guillemets,
20:03 méprisé par la pensée platonicienne.
20:05 Et donc, en cela, pour lui,
20:07 le christianisme,
20:09 c'est un platonisme pour les pauvres.
20:11 C'est le platonisme des incultes,
20:13 des esclaves.
20:15 Pour Platon, c'est complexe, quiconque ne peut pas y aller.
20:17 Et donc, il y a une formule soft
20:19 pour le peuple, il appelle ça
20:21 le platonisme des pauvres. C'est le christianisme.
20:23 Socrate,
20:25 ce qu'il lui reproche également,
20:27 c'est de castrer l'intelligence.
20:29 Quand vous lisez les dialogues
20:31 relatés par Platon
20:33 qui font parler Socrate,
20:35 alors Socrate marche dans le marché, il va parler aux poissonniers,
20:37 il va parler à un sophiste,
20:39 il parle de la beauté,
20:41 et Socrate commence à poser des questions, il lui dit "qu'est-ce que le beau ?"
20:43 A priori, tout le monde
20:45 a l'impression de savoir "qu'est-ce que le beau ?"
20:47 puisque vous dites "ça c'est beau, ça c'est pas beau".
20:49 Mais si je vous demande de me définir "qu'est-ce que le beau ?"
20:51 là, il y a un bug.
20:53 C'est un peu comme le temps.
20:55 Comme disait Saint-Augustin, le temps, T-E-M-P-S.
20:57 Saint-Augustin disait, par rapport au temps,
20:59 "quand on ne me demande pas ce que ça veut dire,
21:01 je le sais.
21:03 Mais dès qu'on me demande ce que ça veut dire, je ne sais plus.
21:05 Je ne peux pas définir le temps."
21:07 Ça veut dire quoi, le temps ? Ça veut dire quoi, la beauté ?
21:09 Ça veut dire quoi, la vie ? Ça veut dire quoi, la mort ?
21:11 On ne comprend pas à qui.
21:13 Mais on ne peut pas les définir si on nous demande ce que veut dire la beauté.
21:15 Et donc Socrate s'amusait à interpeller les gens,
21:17 à les "humilier"
21:19 ou pas les tourner en dérision,
21:21 mais à leur montrer leur ignorance.
21:23 C'est qu'en fait, ils croient savoir tout,
21:25 mais en fait, ils ne savent rien.
21:27 Donc ils n'ont que des simulacres de définition
21:29 par rapport à des catégories
21:31 importantes comme la beauté, la vérité, etc.
21:33 Et donc, il établit un dialogue
21:35 où à la fin,
21:37 Socrate gagne à chaque fois,
21:39 déconstruit tous les arguments de l'autre
21:41 et on aboutit toujours à une définition du concept.
21:43 La beauté n'a qu'une définition,
21:45 c'est celle à laquelle aboutit Socrate
21:47 par le dialogue qu'il établit
21:49 avec telle ou telle personne à Athènes
21:51 à l'époque.
21:53 Et donc, cette idée d'enfermer la définition des concepts
21:55 dans une vérité,
21:57 pour lui, c'est une manière de castrer
21:59 la vie qui déborde
22:01 intellectuellement et qui déborde même physiquement
22:03 et qui est dans la pluralité,
22:05 qui est dans la réinvention,
22:07 qui est dans un schéma
22:09 que l'on ne peut pas enfermer dans une définition
22:11 ou dans un seul concept.
22:13 Et donc, pour lui,
22:15 Socrate a tué la philosophie pour Nietzsche.
22:17 Et là, c'est intéressant.
22:19 C'est que pour Hegel et pour la plupart
22:21 des philosophes contemporains qui ont précédé
22:23 de peu Nietzsche, la philosophie
22:25 commence avec Socrate.
22:27 On dit que le premier philosophe, c'est Socrate
22:29 et avant, il y a une catégorie,
22:31 un magma, un petit forme
22:33 qu'on appelle les pré-socratiques. On les met dans une boîte,
22:35 on les appelle les parménides,
22:37 les raclites, etc. On les met dans une boîte
22:39 qu'on appelle pré-socratique. Un peu comme
22:41 avant Jésus-Christ et après Jésus-Christ.
22:43 En philosophie, il y a l'avant Socrate.
22:45 Ce n'est pas tout à fait de la philosophie, c'est du bricolage avec
22:47 Socrate, comment c'est la vraie philosophie.
22:49 Donc Nietzsche, c'est tout le contraire.
22:51 Pour Nietzsche, avec Socrate, c'est la mort de la philosophie.
22:53 Et que la philosophie, la vraie,
22:55 existait avant Socrate, notamment
22:57 chez les pré-socratiques.
22:59 Et il est intéressant de voir que la manière
23:01 d'écrire de Nietzsche, qui est très
23:03 poétique, était celle des pré-socratiques.
23:05 Alors malheureusement, on a perdu
23:07 quasiment tous les traités des pré-socratiques,
23:09 mais on a des fragments, quelques phrases,
23:11 quelques petits paragraphes de parménides, etc.
23:13 Et c'est à chaque fois
23:15 écrit de manière musicale,
23:17 de manière poétique, il n'y a pas de
23:19 traité sur la beauté, mais il n'y a
23:21 que des phrases, des
23:23 dynamites intellectuels.
23:25 On a une phrase, d'ailleurs Nietzsche disait de lui-même,
23:27 "Je ne suis pas un homme, je suis de la dynamite."
23:29 Et par exemple, il y a
23:31 la phrase "la nature
23:33 aime à se cacher."
23:35 Chez les pré-socratiques, c'est magnifique, la nature
23:37 aime à se cacher. Il y a
23:39 toute une philosophie à partir de là.
23:41 Qu'est-ce que ça veut dire, la nature aime à se cacher ?
23:43 C'est-à-dire, pour donner
23:45 une définition rapide et simple,
23:47 quand vous marchez dans une forêt,
23:49 vous ne voyez pas la nature.
23:51 Vous voyez des arbres, vous voyez des plantes,
23:53 vous voyez des fleurs, vous voyez un animal passer,
23:55 mais vous ne voyez pas la nature en train de bouger,
23:57 en train de marcher sur deux pattes, etc.
23:59 Donc pour les pré-socratiques,
24:01 la physis, ou la nature,
24:03 est une force
24:05 créatrice qui crée en permanence
24:07 et qui se cache derrière ce qu'elle crée.
24:09 C'est-à-dire, entre nous
24:11 et les objets qu'on voit dans la forêt
24:13 et la nature, il y a les arbres,
24:15 les plantes, les animaux, qui sont
24:17 créés par la nature, et la nature se cache derrière.
24:19 Donc la force créatrice qu'on appelle
24:21 nature, vous ne pouvez pas la voir,
24:23 mais vous voyez ce qu'elle crée en permanence,
24:25 comme un voile pour se cacher.
24:27 Pareil, on ne nage jamais deux fois
24:29 dans la même rivière, chez Héraclite.
24:31 Il n'y a de permanent que l'impermanence.
24:33 Et c'est vrai,
24:35 vous nagez dans une rivière,
24:37 le lendemain, vous venez nager dans la même rivière,
24:39 mais ce n'est plus tout à fait la même rivière.
24:41 Les cailloux ont bougé, la température
24:43 a changé, il y a peut-être
24:45 cette fois des petits poissons qui n'y avaient pas hier,
24:47 donc ce n'est pas tout à fait la même.
24:49 Même vous, vous n'arrêtez pas de changer.
24:51 A chaque seconde, il y a des cellules qui meurent,
24:53 d'autres qui apparaissent, vous perdez des neurones,
24:55 vous changez, vous n'en avez pas conscience,
24:57 mais vous changez en permanence, vous n'êtes jamais le même.
24:59 Même si quand vous voyez une photo de vous en étant enfant
25:01 à l'âge de 4 ans, vous dites "ça c'est moi",
25:03 mais physiquement, ce n'est plus vous.
25:05 Même mentalement, ce n'est plus vous.
25:07 Donc tout change en permanence.
25:09 Cette idée d'une idée pure figée dans le ciel,
25:11 chez Platon, chez les prêts socratiques,
25:13 ça ne voulait strictement rien dire.
25:15 Et donc, quelque part,
25:17 Nietzsche est un prêt socratique.
25:19 Bien qu'il ait existé
25:21 plusieurs millénaires après,
25:23 intellectuellement, dans sa manière,
25:25 dans son rapport à la philosophie,
25:27 c'est un prêt socratique.
25:29 Maintenant, allons vers les concepts clés
25:31 de Nietzsche pour venir à la dimension contemporaine.
25:33 Le premier concept,
25:35 c'est l'éternel retour.
25:37 Je pense que vous avez déjà entendu parler
25:39 de l'éternel retour chez Nietzsche.
25:41 Nietzsche va tenter
25:43 de dépasser la morale.
25:45 Il a un marteau, mais il cherche également
25:47 à fonder quelque chose. Il a cassé la morale
25:49 chrétienne, la morale kantienne,
25:51 la morale hégélienne, mais il veut tenter
25:53 de proposer une alternative.
25:55 Comment décider
25:57 ce qu'on doit faire
25:59 sans en référer à un dieu
26:01 ou à une peur de l'enfer
26:03 ou à un désir de paradis,
26:05 et sans ériger mon désir en loi universelle
26:07 comme chez Kant ?
26:09 Alors, il invente le concept de l'éternel retour.
26:11 C'est un impératif moral,
26:13 ce n'est pas une dimension cosmique.
26:15 Nietzsche ne croit pas que l'histoire est cyclique
26:17 et qu'elle se répète à l'infini,
26:19 comme certaines traditions, notamment en Inde et ailleurs.
26:21 Pour lui, il n'y a pas
26:23 de mouvement de l'histoire.
26:25 Elle n'est ni cyclique ni linéaire.
26:27 Mais l'éternel retour est un fondement
26:29 pour fonder une nouvelle morale.
26:31 Peut-être même pas, il ne faut même pas l'appeler morale,
26:33 Nietzsche n'aimait pas ça, mais une nouvelle règle
26:35 d'existence dans le monde.
26:37 Et il dit un truc très simple, en fait.
26:39 Il dit à chaque fois
26:41 que vous voulez faire quelque chose,
26:43 faire un choix, faire une action,
26:45 dites-vous, est-ce que cette action
26:47 est assez belle, assez agréable
26:49 et assez intense
26:51 pour que vous acceptiez
26:53 de la revivre éternellement
26:55 pour l'éternité dans une logique cyclique ?
26:57 Par exemple, vous tombez amoureux,
26:59 vous me dites,
27:01 oui, j'aimerais revivre ce sentiment
27:03 pour l'éternité de manière cyclique, cyclique, cyclique, cyclique.
27:05 Mais vous faites quelque chose
27:07 qui engendre de la tristesse ou du malheur,
27:09 vous l'avez vécu une fois,
27:11 déjà c'était douloureux et pénible,
27:13 vous n'allez pas aimer le revivre
27:15 de manière cyclique par un éternel retour
27:17 du même moment,
27:19 de la même action.
27:21 Et donc il dit, inscrivez l'action que vous voulez faire
27:23 dans une éternité renouvelée
27:25 à l'infini
27:27 et là vous saurez si vous devez le faire ou pas.
27:29 Et donc pour lui, une action vaut la peine
27:31 d'être revécue
27:33 à l'infini si elle est intense,
27:35 l'intensité centrale
27:37 chez Nietzsche, si elle procure
27:39 de la joie, de la jouissance,
27:41 de la beauté, de la légèreté
27:43 et là vous savez
27:45 que vous devez la faire et que vous accepteriez
27:47 de la revivre pour l'éternité
27:49 dans une logique d'éternel recommencement.
27:51 Donc là, c'est
27:53 l'un des fondements
27:55 de l'éternel retour.
27:57 L'autre aspect en rapport avec l'éternel retour
27:59 c'est l'amor fati.
28:01 Amor fati en latin, ça veut dire "aime ton destin".
28:03 Il part de l'idée
28:05 que ce que tu as vécu, tu l'as vécu,
28:07 chaque chose de ton vécu
28:09 est porteuse de sens, d'enseignement,
28:11 a des choses à vous apprendre sur vous-même,
28:13 sur votre entourage, votre environnement
28:15 et donc, acceptez
28:17 d'aimer votre destin.
28:19 C'est la première étape, donc il est de ce point de vue
28:21 assez déterministe, c'est un peu plus complexe
28:23 mais il dit, vous voulez ressentir
28:25 de la légèreté, de l'intensité, de la joie,
28:27 eh bien apprenez
28:29 à aimer votre destin.
28:31 Mais ça ne veut pas dire subir votre destin.
28:33 Parce que Nietzsche
28:35 propose également une manière d'agir
28:37 sur le destin. D'ailleurs il a une phrase magnifique
28:39 où il dit "deviens ce que tu es".
28:41 Tout le monde connaît la maxime
28:43 grecque "connais-toi toi-même".
28:45 Alors Nietzsche, c'est un peu
28:47 l'équivalent, c'est "deviens ce que tu es".
28:49 A priori, c'est paradoxal.
28:51 Si je suis déjà, je ne vais pas devenir
28:53 ce que je suis déjà.
28:55 Mais en fait, je propose une lecture
28:57 de "deviens
28:59 ce que tu es",
29:01 c'est-à-dire pas "deviens ce que
29:03 tu crois être maintenant"
29:05 mais "deviens ce que tu es
29:07 autant que potentiel inexploité".
29:09 Donc quand Nietzsche
29:11 dit "tu es", c'est pas
29:13 "tu es là maintenant avec ton corps,
29:15 avec tes idoles, avec tes concepts, avec tes
29:17 croyances", mais il voit en chacun
29:19 de nous un potentiel
29:21 encore inexploité, qui
29:23 n'attend que de s'exprimer. Et donc "deviens
29:25 ce que tu es", devient en plein un potentiel.
29:27 Et donc là,
29:29 on n'est pas dans
29:31 le déterminisme. Le déterminisme, c'est ce qu'on a
29:33 vécu. Effectivement, une fois
29:35 inscrit dans le passé, ça relève du
29:37 déterminisme. Je ne peux pas changer le passé.
29:39 Et donc je vais apprendre à l'aimer. Je vais apprendre
29:41 à puiser des enseignements. Mais par rapport aux
29:43 actions que je vais faire
29:45 au moment présent, je vais être animé
29:47 par le principe de l'éternel retour
29:49 et plus j'aurai des moments intenses,
29:51 débordants de vie et de vitalisme,
29:53 et bien plus je vais devenir moi-même.
29:55 Autre idée centrale
29:57 chez Nietzsche, et là on est dans le moment contemporain,
29:59 c'est la mort de Dieu.
30:01 Alors là encore, les gens de gauche,
30:03 les athées, les anarchistes
30:05 qui se précipitent en
30:07 croyant avoir compris Nietzsche,
30:09 ils voient une forme d'athéisme militant
30:11 que l'on va utiliser pour combattre
30:13 les religions. Alors qu'il suffit
30:15 de lire tout simplement les phrases,
30:17 le contexte
30:19 de cette phrase-là, et il dit
30:21 "Dieu est mort et nous l'avons
30:23 tué." Il dit
30:25 que nous sommes des meurtriers.
30:27 Après, il est habité par une angoisse.
30:29 Il dit "Que va-t-il advenir de
30:31 nous ? Qu'a-t-on fait ?"
30:33 Il est évident qu'il ne parle pas du Dieu-Dieu,
30:35 du vrai Dieu, mais il parle du Dieu
30:37 en tant que concept
30:39 qui fend une morale, qui est la morale
30:41 chrétienne. Et bien effectivement,
30:43 la modernité va déconstruire
30:45 cette croyance de Dieu dans les sociétés
30:47 occidentales, et donc Dieu est une chimère,
30:49 c'est une croyance erronée, etc.
30:51 Mais en tuant cette idée de Dieu,
30:53 ils ont sapé le fondement de
30:55 toute la morale chrétienne. Ils ont
30:57 sapé le fondement sémantique
30:59 du monde, c'est que ce monde-là n'a plus
31:01 de sens. Le monde chrétien
31:03 avait plein de défauts pour Nietzsche,
31:05 mais au moins, il avait
31:07 le mérite d'avoir une cohérence en termes
31:09 de sens. La mort avait un sens.
31:11 La mort était le début
31:13 de tout et pas la fin de tout.
31:15 On mourait, on accédait à un corps glorieux
31:17 et puis on entre au paradis, à la droive du Seigneur.
31:19 Si on est méchant, on va en enfer.
31:21 La maladie a un sens.
31:23 Tout avait un sens au moins. Donc le monde n'était
31:25 pas absurde. Mais en tuant l'idée de Dieu,
31:27 vous ne pouvez pas tuer l'idée de Dieu
31:29 tout en ne tuant pas
31:31 de manière corollaire la morale
31:33 qui en découle. Et donc on entre
31:35 dans cette société bourgeoise
31:37
31:39 la foi, qui elle-même
31:41 a remplacé le concept
31:43 de l'Antiquité, va elle-même être remplacée
31:45 par le concept d'utilité.
31:47 Donc la valeur des choses n'est plus
31:49 une valeur spirituelle, n'est plus une valeur
31:51 métaphysique, n'est plus une valeur
31:53 conceptuelle, comme chez les philosophes, mais c'est
31:55 une valeur utilitariste.
31:57 Plus un objet est utile, plus il a de valeur.
31:59 Et plus il coûte cher.
32:01 Donc on est entré dans l'homo economicus,
32:03 comme on dit aujourd'hui, dans la société marchande
32:05 où les gens sont payés en fonction
32:07 des heures travaillées et en fonction
32:09 de leur contribution à la plus-value. On trouve tout ça
32:11 chez Karl Marx. Et d'ailleurs Karl Marx
32:13 est également le grand
32:15 critique de la société bourgeoise et du mode de production
32:17 capitaliste. Alors Nietzsche
32:19 n'était pas dans ce schéma-là,
32:21 mais il s'attaquait à
32:23 ces sociétés qui étaient
32:25 naissantes à son époque et qui aujourd'hui sont à son
32:27 apogée, mais au niveau
32:29 conceptuel, au niveau philosophique.
32:31 Et donc pour lui, la mort de Dieu
32:33 est une catastrophe, il ne s'en réjouit pas.
32:35 Et donc il cherche, comme
32:37 pour la morale, il casse la morale
32:39 chrétienne ou les résidus de la morale chrétienne,
32:41 il tente de les remplacer par les ténèbres autour.
32:43 Et bien il a constaté que de son époque
32:45 on a tué Dieu, l'idée de Dieu, et la
32:47 morale donc chrétienne, et donc il faut remplacer
32:49 l'idée de Dieu.
32:51 Et là, que faire ?
32:53 Va-t-on inventer de nouveaux dieux ?
32:55 Non. Va-t-on inventer
32:57 un nouveau dieu ? C'est fini.
32:59 L'histoire ne repasse pas les plats,
33:01 comme disait Karl Marx, et que toute
33:03 tentative réactionnaire de réhabiliter
33:05 le passé dans sa forme historique ne
33:07 produit que des caricatures, historiquement
33:09 parlant. Et donc il dit
33:11 au fait, devenons nous-mêmes des
33:13 dieux. Et c'est là où il
33:15 parle, pas des dieux réellement, je veux dire,
33:17 il faut respecter l'intelligence de
33:19 Nietzsche, c'est beaucoup plus subtil,
33:21 mais devenons des surhumains, c'est-à-dire
33:23 accomplissant le projet de l'homme
33:25 en le dépassant. Pour lui, l'homme
33:27 est un animal
33:29 qui
33:31 a un potentiel d'achèvement
33:33 et de déploiement, le deviens-ce que tu es,
33:35 mais qui est encore inachevé.
33:37 Et donc, parachévant
33:39 le potentiel de l'homme, afin de
33:41 dépasser l'homme et d'aller vers un
33:43 surhumain. Alors le surhumain de Nietzsche,
33:45 c'est pas le larien chez
33:47 les nazis, pas du tout. C'est pas un surhumain
33:49 racialement parlant, c'est pas un surhumain
33:51 génétiquement, financièrement,
33:53 professionnellement parlant, mais c'est
33:55 un surhumain du point de vue des valeurs.
33:57 Et là, Nietzsche
33:59 propose de fonder de nouvelles valeurs.
34:01 Donc toutes les valeurs de pitié,
34:03 de compassion
34:05 que le christianisme véhiculait, pour lui, c'est
34:07 des valeurs d'esclaves. Et donc maintenant, il est
34:09 temps de fonder des valeurs
34:11 de seigneur, de noble, des valeurs
34:13 de guerrier, des valeurs de
34:15 dureté, pas de cruauté là encore,
34:17 des valeurs de verticalité
34:19 qui permettent à la vie,
34:21 à cette vie qui déborde et qui n'attend
34:23 que de s'exprimer, qui attend d'être
34:25 libérée. Et donc libérant là, en lui
34:27 offrant les valeurs qui lui permettent de s'exprimer.
34:29 Parce que les valeurs de la pitié, de la
34:31 compassion, etc., non seulement
34:33 enferment l'individu qui est l'objet
34:35 de la pitié, mais en plus, elles
34:37 refrènent cet élan vital
34:39 qui est de s'exprimer et qui est à l'origine
34:41 de toutes les grandes civilisations.
34:43 Les grandes civilisations naissent
34:45 dans le sang et dans le fer.
34:47 Elles naissent dans la dureté, dans la verticalité.
34:49 Quand on voit les Romains, c'était une machine à
34:51 broyer militairement parlant. Pareil pour
34:53 l'islam, pareil pour même le christianisme.
34:55 Très rapidement, ça va donner les croisades, ça va donner
34:57 etc. Donc on ne peut pas
34:59 fonder une civilisation qui se tient,
35:01 qui est cohérente, en la fondant
35:03 sur des valeurs de la pitié et de la compassion.
35:05 Ça peut être des valeurs individuelles. Ça peut pas
35:07 être des valeurs fondatrices d'un
35:09 nouvel humain, d'un parachèvement
35:11 de l'homme et d'un dépassement
35:13 de l'homme.
35:15 Et
35:17 dans ce schéma-là,
35:19 en quoi il est également contemporain, c'est qu'il annonce
35:21 l'avènement du nihilisme.
35:23 Nietzsche n'est
35:25 pas nihiliste.
35:27 Mais il constate le nihilisme.
35:29 Que veut dire le nihilisme ? Ça vient du
35:31 latin qui veut "nihil", qui veut dire
35:33 "il n'y a rien". Donc quelqu'un de
35:35 nihiliste, "ad ami" en arabe, c'est quelqu'un
35:37 qui croit que rien n'a
35:39 de la valeur. C'est pas quelqu'un de méchant, c'est quelqu'un
35:41 qui n'a pas d'illusion, qui
35:43 croit que rien n'a de valeur, que les gens n'ont
35:45 pas de valeur, que les objets n'ont pas de valeur, que la vie,
35:47 le monde n'a pas de sens, que rien n'a pas de sens.
35:49 Que tout ce qui existe
35:51 n'a pas de sens. C'est un nihiliste.
35:53 Nietzsche, en fait, il dit "moi je
35:55 constate le nihilisme
35:57 qui est en devenir, qui n'est pas à son époque
35:59 pleinement achevé, mais
36:01 il voit que ce nihilisme
36:03 est caché derrière
36:05 des écorces qu'il appelle
36:07 "l'idée morale chrétienne", qu'il appelle
36:09 "le conformisme bourgeois",
36:11 qu'il appelle "l'État". Et donc, en
36:13 prenant le marteau pour attaquer le christianisme,
36:15 il n'attaque pas le christianisme
36:17 médiéval qui était porteuse
36:19 de vitalisme, mais il attaque les
36:21 résidus de christianisme
36:23 qui, comme un maquillage,
36:25 camouflent le fait que les gens ne croient plus en rien.
36:27 Ils vont à l'église, ils ne croient plus en rien.
36:29 On dira "à la mosquée
36:31 aujourd'hui", dans le cas du monde.
36:33 Mais ils ne croient plus en rien, ils vont pour s'adorer
36:35 en train d'adorer.
36:37 "Ah, je suis beau, je fais ma prière."
36:39 Donc, le nihilisme était déjà là,
36:41 mais il était caché. Et donc, il va casser
36:43 cette écorce-là pour
36:45 déconfler ce nihilisme, pour le dévoiler
36:47 au monde et pour le pousser à sa perte
36:49 afin d'accélérer un peu
36:51 cette dynamique-là et pouvoir enfin
36:53 fonder un nouveau paradigme
36:55 de nouvelles valeurs et un nouvel homme
36:57 qu'il appelle le surhumain ou le surhomme.
36:59 Donc, il n'est pas nihiliste,
37:01 mais il constate son nihilisme.
37:03 Et aujourd'hui, on est dans l'apogée
37:05 de ce nihilisme où
37:07 on a commencé par déconstruire
37:09 les religions, puis on a commencé
37:11 par déconstruire les identités collectives,
37:13 les clans,
37:15 les tribus, la famille, même l'État.
37:17 On a commencé à le déconstruire par la bonne gouvernance.
37:19 On ne parle plus de gouvernement ou de pouvoir.
37:21 Pouvoir est devenu un mot tabou.
37:23 C'est violent le mot pouvoir, il faut dire
37:25 la bonne gouvernance de l'État.
37:27 Et aujourd'hui, on va même plus loin et on
37:29 déconstruit même le genre. Hommes, femmes,
37:31 ça ne veut rien dire, c'est une question de choix.
37:33 Ça n'a pas de réalité intrinsèque, ça n'a pas de valeur réelle.
37:35 Un homme est un homme parce qu'il a décidé,
37:37 il peut décider d'être une femme, il peut être un homme.
37:39 Les transgenres, les fluides genres,
37:41 les non-binaires, donc là,
37:43 on est dans l'avant-garde du nihilisme.
37:45 Plus rien n'est vrai. Tout est subjectif.
37:47 Il n'y a plus d'objet réel,
37:49 il n'y a pas de valeur des choses.
37:51 Tout devient fluide, tout devient liquide
37:53 et donc tout devient nil.
37:55 Donc, on est dans la phase avancée
37:57 du nihilisme que Nietzsche avait déjà vu à son époque.
37:59 Et d'ailleurs, il disait de lui-même,
38:01 je ne vais pas le citer à la lettre,
38:03 mais il disait indirectement "je ne vais être
38:05 compris qu'en l'an 2000".
38:07 En fait, littéralement, ce qu'il avait dit,
38:09 c'est que je n'écris pas pour mes contemporains,
38:11 mais j'écris pour les gens
38:13 des deux siècles à venir.
38:15 Pour les deux siècles à venir. Alors, vous ajoutez
38:17 deux siècles, c'est aujourd'hui.
38:19 Jusqu'à 2030. Il est mort en 1900.
38:21 On est dans le deuxième siècle dont il parle.
38:23 Donc déjà, il s'est adressé au siècle dernier.
38:25 Il avait dit que ce nihilisme
38:27 qu'il voyait, là, il est né en 1848,
38:29 il est mort en 1900.
38:31 Donc, vers les années 60
38:33 du 19ème siècle,
38:35 il avait dit que ce nihilisme allait faire en sorte
38:37 qu'on allait connaître des guerres
38:39 comme jamais on n'en a connues dans l'histoire.
38:41 Effectivement. Après sa mort,
38:43 on a eu la Première Guerre mondiale,
38:45 la Deuxième Guerre mondiale.
38:47 Il a parlé de désordre, etc.
38:49 Donc, il a vu les germes
38:51 de ce qui allait advenir.
38:53 Et donc, aujourd'hui, quelque part,
38:55 on peut revenir vers Nietzsche
38:57 dans une perspective de contemporanéité.
38:59 C'est un peu de réhabiliter Nietzsche
39:01 en le libérant de toute la bêtise
39:03 et de toutes les récupérations
39:05 qui ont été faites.
39:07 Et de se prémunir également
39:09 contre les alternatives qu'on nous propose
39:11 pour le monde actuel.
39:13 Parce que même dans la pensée de Nietzsche,
39:15 il y a les gens qui sont porteurs d'un vitalisme,
39:17 qui sont des élans de la vie,
39:19 de cette vie débordante qui veut exister.
39:21 Et de l'autre côté, il y a les forces de la réaction
39:23 qui veulent empêcher ce vitalisme de s'exprimer.
39:25 Les gens qui utilisent la morale,
39:27 qui utilisent la loi, qui utilisent l'État,
39:29 qui utilisent tous les carcans,
39:31 toutes les chaînes qu'ils peuvent trouver
39:33 pour limiter l'homme,
39:35 pour le maintenir dans le statut d'esclave,
39:37 mentalement parlant.
39:39 Nietzsche ne veut pas détruire
39:41 les réactionnaires, les gens qui veulent freiner,
39:43 qui voudraient freiner.
39:45 Parce que Nietzsche ne propose pas une doctrine collective.
39:47 Ça, également, c'est important de le dire,
39:49 ça m'est venu à l'esprit maintenant,
39:51 c'est que quand Nietzsche combat le christianisme,
39:53 il ne le combat pas en dehors de lui.
39:55 Ce n'est pas aller prenant les armes et aller encaisser les églises.
39:57 Il le combat à l'intérieur de lui-même.
39:59 Il combat l'élément chrétien
40:01 dans lequel il a grandi
40:03 et qui continue de l'affecter ou de l'infecter
40:05 en fonction du point de vue.
40:07 Et donc, c'est le chrétien qui vit en lui
40:09 qui combat avant tout.
40:11 C'est le nihiliste qu'il voit en lui,
40:13 qu'il constate
40:15 et dont il annonce l'avènement.
40:17 Mais, naturellement, c'est valable également
40:19 pour ses contemporains,
40:21 mais ne pas voir Nietzsche comme étant ce qu'il combattait lui-même,
40:23 c'est-à-dire une idole.
40:25 Nietzsche n'est pas une idole.
40:27 Ce n'est pas un prophète qu'il faut suivre.
40:29 C'est un prophète qui dévoile, tout simplement,
40:31 qui déchire le voile, pas prophète de Dieu,
40:33 mais prophète d'une lecture du monde,
40:35 qui déchire le voile du mensonge et des illusions
40:37 et des idoles pour nous montrer le monde tel qu'il est,
40:39 c'est-à-dire absurde.
40:41 C'est-à-dire qu'il n'a pas de finalité,
40:43 qu'il ne va pas quelque part.
40:45 Il n'y a pas de fin de l'histoire, il n'y a pas de début de l'histoire.
40:47 Dans la nature, il n'y a ni ordre ni désordre,
40:49 mais il y a un désir de vivre,
40:51 une volonté de puissance, nous dit Nietzsche.
40:53 C'est un autre concept clé chez Nietzsche
40:55 qui a été très mal interprété,
40:57 notamment par les nazis, par la médiation de la soeur de Nietzsche,
40:59 comme je l'ai dit tout à l'heure.
41:01 Mais la volonté de la puissance,
41:03 c'est un concept qui a été inspiré
41:05 par l'œuvre d'un autre philosophe allemand
41:07 que Nietzsche a lu intégralement
41:09 et qu'il adorait, c'est Schopenhauer.
41:11 Arthur Schopenhauer.
41:13 Dans un célèbre livre qui fait plus de 2500 pages,
41:15 "Le monde comme volonté et comme représentation",
41:17 c'est le titre du livre.
41:19 Pareil, Schopenhauer est un antichrétien,
41:21 c'est un pessimiste,
41:23 il croit que la nature humaine est fondamentalement mauvaise.
41:25 Il dit que le monde est fait de deux choses,
41:27 d'une volonté, d'un désir d'être.
41:29 Il y a quelque chose qui veut ce qu'il veut,
41:31 qui veut exister.
41:33 Appelez-la comme vous voulez,
41:35 Dieu, ce que vous voulez, mais c'est une volonté qui est là,
41:37 qui fait que le monde est.
41:39 Elle est absurde, elle n'a pas de finalité,
41:41 elle n'a pas d'objectif, elle ne veut pas de morale, elle ne veut rien.
41:43 Cette volonté créatrice
41:45 qui engendre le monde et qui veut ce qu'elle veut
41:47 de manière arbitraire,
41:49 on ne peut pas l'apercevoir directement, c'est comme la nature aime à se cacher.
41:51 Et on l'aperçoit à travers des représentations
41:55 que l'on se fait de cette volonté.
41:57 Et donc notre rapport au monde
41:59 est un rapport pas de réalité,
42:01 pas de vérité, mais de représentation.
42:03 La religion est une représentation du monde,
42:05 mais le monde en tant que tel
42:07 nous est inaccessible dans sa vérité.
42:09 La science est une représentation du monde,
42:11 que l'on cherche à enfermer dans des catégories mathématiques,
42:13 des méthodes, une épistémologie, etc.
42:15 Mais si la science,
42:17 la démarche scientifique
42:19 pouvait atteindre
42:21 la vérité, le monde, le réel,
42:23 elle ne serait pas en train d'évoluer.
42:25 Le fait que la science évolue en permanence
42:27 et que chaque théorie vient infirmer
42:29 celle qui l'a précédée en la rendant obsolète,
42:31 c'est qu'elle n'est jamais dans la vérité.
42:33 Mais qu'elle est peut-être de plus en plus proche de la vérité,
42:35 mais elle ne pourra jamais atteindre la vérité,
42:37 c'est la fin de la science.
42:39 Ce qui est structurellement impossible.
42:41 Et donc même la science est une représentation du monde.
42:43 Une représentation efficace,
42:45 c'est-à-dire qui permet d'agir sur le monde,
42:47 mais ne permet pas
42:49 de capter le monde, de toucher le monde,
42:51 de voir le monde tel qu'il est réellement.
42:53 Alors la différence entre Schopenhauer et Nietzsche,
42:55 c'est que pour Nietzsche,
42:57 cette volonté de vie, d'être, d'existence,
42:59 pour lui, elle n'est pas absurde,
43:01 comme chez Schopenhauer.
43:03 Elle n'est pas arbitraire.
43:05 Mais elle est une volonté de vie,
43:07 elle n'est pas arbitraire.
43:09 Mais elle a pour objectif la puissance.
43:11 Elle veut exister de plus en plus,
43:13 en augmentant sa propre puissance.
43:15 Et d'ailleurs, vous vous souvenez,
43:17 on avait vu avec Spinoza, dans l'éthique de Spinoza,
43:19 pareil, Spinoza déconstruit la morale
43:21 avec les catégories du bien et du mal.
43:23 Il propose comme alternative une éthique
43:25 avec le bon et le mauvais,
43:27 une éthique relative,
43:29 et pour lui, "et bon, tout ce qui augmente ma puissance".
43:31 Il ne parle pas de la musculation.
43:33 Il parle de la puissance
43:35 comme étant la capacité d'affecter et d'être affecté.
43:37 Et j'avais donné l'exemple des microbes.
43:39 Avant que l'on découvre l'existence
43:41 des microbes et des virus,
43:43 on n'avait pas de moyens d'agir dessus.
43:45 On ne pouvait pas les combattre,
43:47 on ne pouvait pas développer des antibiotiques, des antiviraux.
43:49 Et donc, qu'en subissait, dans un schéma déterministe,
43:51 les maladies.
43:53 On cherchait des explications
43:55 dans les arrière-monde, comme dit Nietzsche.
43:57 "Ah, ben, il y a la paix, c'est Dieu qui est en colère."
43:59 Comme aujourd'hui, encore, certains crétins,
44:01 "Tremblement de zéro en Turquie, c'est Dieu qui a voulu ça."
44:03 Non, ce n'est pas Dieu qui a puni les Turcs
44:05 d'exister, etc.
44:07 Ce sont des lois dans la nature
44:09 que, du point de vue croyant, on peut dire que Dieu
44:11 autorise ces lois à avoir une autonomie.
44:13 Mais ce n'est pas la finalité de Dieu
44:15 de tuer 25 000 personnes,
44:17 dont des bébés et des enfants qui n'ont rien demandé à personne.
44:19 Donc, au fait,
44:21 plus on augmente le savoir et la science
44:23 chez Spinoza, plus on augmente notre puissance.
44:25 C'est-à-dire notre capacité d'affecter
44:27 ce qui nous entoure
44:29 et notre capacité d'être affecté
44:31 par les choses qui nous entourent.
44:33 D'ailleurs, Nietzsche a dit, en découvrant cette idée
44:35 chez Spinoza, "J'ai enfin trouvé
44:37 un frère en philosophie."
44:39 Parce qu'effectivement, il s'est retrouvé pleinement
44:41 dans l'éthique de Spinoza.
44:43 Donc, cette volonté de puissance, c'est une volonté
44:45 qui s'exprime à travers nous
44:47 et qui cherche à créer en nous
44:49 un élan vital,
44:51 un élan d'héroïsme, un élan chevaleresque
44:53 qui doit faire
44:55 de notre vie une vie
44:57 esthétique, une vie belle, une vie
44:59 intense, une vie qui mériterait
45:01 d'être revécue à l'identique
45:03 pour l'éternité.
45:05 Et d'ailleurs, l'esthétique et la beauté sont centrales
45:07 chez Nietzsche, notamment la musique, dont il parle
45:09 beaucoup. Il dit que sans la
45:11 musique, la vie serait une erreur.
45:13 Il dit,
45:15 "Je ne pourrais croire
45:17 qu'en un Dieu qui sache danser, ou qui aime
45:19 danser." Donc, pour lui, cette
45:21 folie, cette légèreté de la danse,
45:23 de la musique, etc., c'est la vie.
45:25 Ce n'est pas la science,
45:27 ce ne sont pas les catégories de la logique
45:29 chez Aristote, froide, etc.,
45:31 qui veulent enfermer le monde dans des tiroirs.
45:33 Ce n'est pas ça, la vie. Pour lui, c'est l'antivit,
45:35 c'est l'antivitalisme. La vie, c'est la légèreté,
45:37 c'est la beauté, c'est l'héroïsme, c'est le chevaleresque,
45:39 c'est la tragédie.
45:41 La tragédie grecque,
45:43 les héros dans la tragédie grecque,
45:45 qu'il s'agisse d'Achille, qu'il s'agisse d'Oedipe,
45:47 ont une vie
45:49 de rebondissement, une vie
45:51 intense à chaque étape. Déjà, leur
45:53 manière de naître est une manière extrêmement intense.
45:55 Oedipe est né
45:57 d'un roi et d'une reine. Le roi, qui est le père
45:59 d'Oedipe, avait fait un cauchemar
46:01 où il voyait qu'un tourbillon
46:03 allait détruire son royaume
46:05 et que son fils était celui qui allait détruire son royaume.
46:07 Et donc, réveillé,
46:09 il dit à sa femme son cauchemar,
46:11 il partage son cauchemar, et à la naissance d'Oedipe,
46:13 il décide de l'abandonner dans la forêt pour que les loups
46:15 le dévorent. Eh bien, il y a un pêcheur
46:17 qui passe par là, il trouve le bébé, il prend pitié de lui,
46:19 il l'adopte, il grandit, et puis,
46:21 il va rencontrer le sphinx,
46:23 etc., et puis il va revenir,
46:25 et puis il va tuer son père, et il va épouser
46:27 sa mère en ne sachant pas qu'il a tué son père
46:29 et qu'il a épousé sa mère, et à la fin, quand il va le savoir,
46:31 il va se crever les yeux.
46:33 Mais pour Nietzsche, c'est génial !
46:35 On ne s'ennuie pas !
46:37 C'est une vie, voilà, c'est pas une vie
46:39 de fonctionnaire, voilà, tous les jours,
46:41 la même tâche, etc.
46:43 Excel, je remplis le fichier, je reviens, je dîne,
46:45 je dors, caca, pipi, popo...
46:47 Non, pour lui, c'est une vie d'esclave.
46:49 L'esclave, il travaille, il va aux toilettes,
46:51 il mange, il dort. Qu'est-ce qui diffère d'un animal ?
46:53 Pour lui, une vie,
46:55 elle doit être subie, elle doit être héroïque, et elle doit être
46:57 tragique, c'est qu'elle doit mal se finir.
46:59 C'est pas les héros de Marvel,
47:01 c'est pas Spider-Man qui gagne à la fin,
47:03 c'est pas Batman, c'est pas les héros du bien contre le mal,
47:05 et le bien, il souffre au début beaucoup,
47:07 mais à la fin, il gagne. Non, non, la tragédie,
47:09 c'est le bien peut ne pas gagner,
47:11 mais c'est le panache,
47:13 c'est la dimension esthétique et belle
47:15 de la trajectoire de vie.
47:17 Et donc, le fait qu'en Califini, je suis un philosophe
47:19 tragique, c'est pas un philosophe pessimiste
47:21 comme Schopenhauer,
47:23 où tout est mausé, voilà, bon, on vit parce qu'on vit,
47:25 et puis voilà, on va bricoler avec la vie jusqu'à la fin,
47:27 et y a rien après,
47:29 et c'est pas un philosophe optimiste,
47:31 que l'homme est bon par nature et c'est la culture qui le corrompt,
47:33 non, non, non, c'est un philosophe tragique.
47:35 Donc, c'est une vie
47:37 belle. Donc,
47:39 sculptez votre vie, nous dit Nietzsche.
47:41 Comme vous sculptez une statue.
47:43 Ça peut faire mal, mais c'est pas grave.
47:45 Dans cette douleur, je vais voir un moyen de la dépasser.
47:47 Un moyen de devenir plus fort. Ceux qui ne vous tuent pas
47:49 vous rendent plus forts. Dans la joie,
47:51 je vais voir une intensité. Enfin, j'ai un
47:53 moment que j'aimerais revivre pour l'éternité de manière
47:55 cyclique. Donc, c'est ça à quoi
47:57 invite Nietzsche. Dernier élément
47:59 contemporain de Nietzsche, d'ailleurs, aujourd'hui,
48:01 pourquoi je dis aujourd'hui ? Aujourd'hui, notre vie,
48:03 elle est nulle. On est dans des smartphones
48:05 toute la journée, on a une vie linéaire,
48:07 on choisit nos études en fonction
48:09 de la carrière qu'on veut avoir. À la fin, notre but,
48:11 c'est d'avoir une bagnole, une maison,
48:13 voyager pour faire des selfies,
48:15 et puis voilà, mourir le plus tard possible.
48:17 C'est profondément nueux.
48:19 Donc, sculptez votre vie, faites-en une vie intéressante.
48:21 Ne crevez pas, ne vous crevez pas les yeux,
48:23 n'allez pas jusque-là,
48:25 mais il y a des manières moins dangereuses d'avoir une vie
48:27 débordante d'intensité, etc.,
48:29 sans faire de mal aux autres.
48:31 Parce qu'on peut, des fois, déduire des idées
48:33 de Nietzsche que Nietzsche n'a pas dit par des parallèles.
48:35 Alors, Nietzsche dit, Spinoza est mon frère,
48:37 intellectuellement parlant.
48:39 Spinoza, il dit que quand vous faites
48:41 quelque chose qui est bon et qui augmente
48:43 votre puissance, qu'est-ce qui est mauvais ?
48:45 C'est ce qui réduit la puissance
48:47 de l'autre. Quand vous provoquez le malheur
48:49 chez quelqu'un, ou de la tristesse chez quelqu'un,
48:51 en fait, vous ne le punissez
48:53 pas que lui, mais vous vous punissez
48:55 vous-même, car même votre puissance va diminuer.
48:57 Donc, ne faites pas de mal.
48:59 Vous pouvez avoir une vie intense
49:01 sans pour autant humilier,
49:03 être arriviste, jaloux, profiter.
49:05 C'est des passions tristes, nous dit Spinoza,
49:07 et c'est des vertus d'esclaves, nous dit Nietzsche.
49:09 Donc, débordez de vie,
49:11 et sculptez votre vie.
49:13 Et puis, il y a un autre élément, c'est qu'aujourd'hui,
49:15 on est à un stade avancé de décomposition
49:17 du cadavre
49:19 du monde moderne dont
49:21 Nietzsche avait vu l'avènement, qu'il appelait
49:23 nihilisme, cette mort,
49:25 cette décomposition d'ordre, et qu'il a tenté d'accélérer
49:27 à sa manière. Aujourd'hui, le monde n'a pas
49:29 de sens. Les gens s'accrochent
49:31 encore à de la croyance,
49:33 mais vous êtes d'accord qu'on ne peut pas être croyant aujourd'hui
49:35 comme l'étaient nos grands-parents, ou nos arrière-grands-parents.
49:37 On a perdu cette naïveté.
49:39 On a perdu ce rapport
49:41 de candeur, ce rapport de spontanéité
49:43 avec Dieu. Donc, quelque part, même
49:45 si on est croyant, que l'on fait des prières,
49:47 on est toujours rangé par une forme de doute
49:49 latent que l'on refoule, que l'on refuse de voir.
49:51 Et donc, dès qu'on est confronté à quelqu'un
49:53 qui apporte la contradiction sur le Coran,
49:55 Dieu, etc., on veut fermer la porte,
49:57 on ne veut pas, on ne veut pas entendre.
49:59 Laisse-moi le peu de foi que j'ai encore,
50:01 ne me volez pas, ce qui permet encore
50:03 de donner des sens à ma vie, etc.
50:05 Donc, on est dans ce schéma-là
50:07 de perte de sens de plus en plus avancée.
50:09 Alors, comment
50:11 aujourd'hui, dans un monde où les États
50:13 perdent de plus en plus leur souveraineté,
50:15 leur pouvoir,
50:17 au nom du FMI, de la Banque mondiale,
50:19 de l'ONU, des superpuissances comme les États-Unis,
50:21 de l'hégémonie, etc.,
50:23 dans un monde où la culture est en train d'être
50:25 absorbée et liquidée par le marché,
50:27 par la logique économique, où un livre n'est édité
50:29 que parce qu'il est vendable, et un autre livre
50:31 qui est brillant ne va pas être édité parce qu'il n'est pas
50:33 vendable, etc., parce qu'il faut...
50:35 Et qu'est-ce qui est vendable ? Ce qui est vulgaire.
50:37 Ce qui est flamboyant,
50:39 brillant, et donc vulgaire. C'est-à-dire que c'est
50:41 pas "odoko" et "odot". Vous savez, c'est un truc que tout le monde
50:43 peut lire, tout le monde peut comprendre. Mais un truc
50:45 qui a de la valeur, qui est complexe, qui est profond,
50:47 qui va le lire ? Une centaine de personnes,
50:49 donc on ne va pas le publier. Et donc, il y a un abrutissement,
50:51 il y a une barbarisation des
50:53 sociétés modernes, que
50:55 Barricot, un dramaturge italien,
50:57 a très bien décrit dans un livre qu'il appelle
50:59 "Les barbares", "les barbares modernes",
51:01 ceux d'aujourd'hui, qui sont les modernes
51:03 dans leurs smartphones, etc.,
51:05 dans les fast-foods, à manger la même chose
51:07 que tous les autres, etc.
51:09 Et bien, comment utiliser Nietzsche aujourd'hui ?
51:11 Ce n'est pas en tirant sur des ambulances
51:13 comme font certains athées en allant
51:15 puiser des phrases pour balancer... Non,
51:17 c'est pas ça. Je veux dire,
51:19 bon, c'est un autre sujet.
51:21 Mais c'est en essayant de
51:23 fonder votre souveraineté
51:25 individuelle. Si la
51:27 souveraineté à l'échelle de l'État
51:29 vous dépasse, et qu'elle dépasserait
51:31 à lui-même, que vous ne pouvez rien faire pour l'aider
51:33 à la restaurer, si la souveraineté identitaire,
51:35 culturelle vous échappe parce qu'il y a
51:37 des phénomènes mondiaux, de multinationalité,
51:39 vous avez encore entre les mains
51:41 votre souveraineté individuelle,
51:43 la capacité de dire non.
51:45 Le non
51:47 est l'affirmation de la souveraineté,
51:49 autant que le oui.
51:51 La dimension fondadrice de la souveraineté va
51:53 de pair avec la capacité de dire non
51:55 à quelque chose qui va réduire ma puissance,
51:57 qui va faire de moi
51:59 davantage un esclave.
52:01 Combattez en vous ce qui relève de l'esclave
52:03 et cultivez en vous
52:05 ce qui relève de l'héroïsme,
52:07 ce qui relève de la verticalité.
52:09 Pourquoi j'ai dit que c'est un autre sujet quand j'ai parlé
52:11 de l'athéisme et de la foi ? Parce que Nietzsche
52:13 est propre à son contexte
52:15 historique. Nietzsche n'a pas grandi
52:17 au Maroc, il n'a pas grandi à Bagdad à l'époque des
52:19 abbassides, il n'a pas grandi à Rome
52:21 ou à Paris à l'époque médiévale,
52:23 il a grandi dans la Prusse qui va devenir l'Empire allemand,
52:25 dominée par le protestantisme
52:27 avec un rapport très mortifère à la foi
52:29 et à la religion, où le catholicisme
52:31 de l'autre côté est devenu une religion
52:33 folklorique et liturgique,
52:35 où les messes étaient faites en latin et où personne ne comprenait rien.
52:37 Donc il s'est attaqué à cette foi-là,
52:39 à ce Dieu-là. Il ne faut pas
52:41 universaliser l'attaque qu'il fait
52:43 du christianisme en l'approchant sur
52:45 toutes les religions. D'ailleurs il a des passages très
52:47 intéressants sur l'islam également en Nietzsche où il voyait
52:49 dans les conquérants musulmans de
52:51 l'Andalousie notamment, cette figure
52:53 de la verticalité, de la virilité,
52:55 de la rectitude, etc.
52:57 Donc il est très nuancé
52:59 dans son rapport à la religion. Quelque part, j'ai l'impression
53:01 que Nietzsche avait envie de croire.
53:03 Mais que le Dieu qu'on lui proposait était un Dieu
53:05 auquel on ne pouvait pas croire. C'est le Dieu
53:07 qu'on lui proposait, pas Dieu avec un grand "B".
53:09 Donc de mon point de vue,
53:11 on ne peut pas être croyant
53:13 et nietzchéen
53:15 parce qu'il faut être un allemand
53:17 prussien protestant pour devenir nietzchéen.
53:19 Mais on peut être un croyant
53:21 qui utilise
53:23 certaines idées de Nietzsche,
53:25 qui peuvent être utiles et qui peuvent être adéquates.
53:27 L'un n'empêche pas l'autre.
53:29 La souveraineté individuelle
53:31 part des valeurs héroïques qui échappent
53:33 à la société marchande,
53:35 qui maintiennent, qui continuent de donner
53:37 de la valeur aux choses et aux êtres
53:39 qui ne dépendent pas de leur utilité, de leur valeur
53:41 pécuniaire, mais qui dépendent de valeurs
53:43 supérieures, de valeurs d'affirmation
53:45 de la vie. Parce que Nietzsche
53:47 est le grand chanteur qui chante
53:49 l'éloge de la vie, d'où le fait
53:51 qu'il reprochait à Platon d'avoir inventé
53:53 un autre monde qui a dénigré celui-là.
53:55 Pour lui, Platon déteste la vie.
53:57 Il la déteste tellement qu'il a tenté
53:59 de lui échapper en inventant un autre monde.
54:01 Pour lui, le christianisme, pas le Christ,
54:03 le christianisme, pas Jésus,
54:05 mais le christianisme déteste la vie.
54:07 C'est pour cela qu'il a inventé
54:09 un arrière-monde et qu'il dit aux pauvres
54:11 d'accepter sa pauvreté parce qu'il sera
54:13 riche au paradis. Ce que d'ailleurs, certains
54:15 font avec amusement, "toi aussi, t'es pauvre,
54:17 tu auras au paradis".
54:19 C'est un peu chaud quand même, ce n'est pas ce que dit le Coran.
54:21 Par rapport au fait de théoriser l'argent,
54:23 par rapport au fait de ne pas distribuer, de ne pas faire
54:25 circuler l'argent, tout cela est condamné,
54:27 mais il y a une différence entre le texte
54:29 ou entre la figure du Christ, dans le cas
54:31 de Nietzsche, et entre ce qui en a été fait
54:33 par les hommes après.
54:35 C'est que les hommes ont fait de Christ
54:37 un dieu, ce que d'ailleurs Nietzsche reproche,
54:39 en en faisant une forme d'idole
54:41 au nom de laquelle ils vont justifier
54:43 un certain nombre de choses, ce que toutes les religions ont fait.
54:45 Et donc Nietzsche, quelque part,
54:47 nous invite également à revenir
54:49 aux sources. D'ailleurs, l'idée
54:51 de généalogie, elle est centrale
54:53 dans la pensée de Nietzsche. Il fait une généalogie
54:55 de la morale pour montrer qu'elle est mensongère
54:57 dès ses débuts.
54:59 Et que Saint Paul,
55:01 qui est le fondateur du christianisme politique
55:03 qui va se développer après dans l'Empire romain,
55:05 va fonder toute la morale chrétienne
55:07 sur un mensonge, celui de la résurrection
55:09 du Christ, nous dit Nietzsche.
55:11 Mais ce n'est pas là pour toutes les religions.
55:13 Et donc affirmer votre individualité,
55:15 pardon, pas votre individu,
55:17 Nietzsche détestait l'individu également.
55:19 Pour lui, c'est un élément du troupeau,
55:21 tout simplement.
55:23 Mais Nietzsche nous invite à une individuation,
55:25 à devenir nous-mêmes, c'est-à-dire à devenir
55:27 souverain. Souverain de tout
55:29 idole, souverain de tout mensonge,
55:31 de toute illusion, souverain de tout troupeau.
55:33 N'appartenant à aucun troupeau,
55:35 nous dit Nietzsche. Et donc, c'est en cela
55:37 qu'une vie esthétique,
55:39 une vie belle et une vie intense, peut être une vie
55:41 qui n'est pas aux autres, au contraire, qui est partagée
55:43 par les autres. La joie,
55:45 contrairement au malheur,
55:47 ne peut être vécue que partagée.
55:49 Le malheur, vous pouvez vivre tout seul
55:51 dans votre coin. Vous pouvez vous lamenter
55:53 en vous informant dans votre chambre,
55:55 en baissant des rideaux, en vivant une dépression,
55:57 etc. Ça, vous pouvez vivre tout seul, il n'y a aucun problème.
55:59 Mais quand vous avez une bonne nouvelle,
56:01 instinctivement, la première chose
56:03 que vous avez envie de faire, c'est d'aller partager
56:05 cette bonne nouvelle, d'appeler vos parents,
56:07 d'appeler vos amis, d'appeler vos proches et de la partager.
56:09 Le bonheur se partage, le malheur peut se partager,
56:11 mais il peut très bien se vivre seul.
56:13 Et donc une vie esthétique, c'est également une vie
56:15 de jouissance partagée, avec les autres,
56:17 et une vie de beauté. Voilà, je vous remercie.
56:19 [Applaudissements]
56:21 [Musique]