Jonathan Sturel est auteur, éditeur et vient de publier un très beau recueil de nouvelles : "L’arrière-petit-fils". Grâce à une écriture classique de haut vol, l'auteur nous emmène dans cinq récits dont les sources d’inspiration communes sont la Lorraine et Barrès. Dans les décors d’une France qui se dissipe, au milieu de couleurs familières et attachantes, l’auteur aborde entre autres la question de la mort et du deuil, de la transmission et de l’héritage, de la gloire invisible de Dieu et de la paix de l’esprit, de l’ambition littéraire et des mirages de la notoriété. Après avoir réédité des incontournables de la littérature et de la pensée enracinée (Péguy, Saine, Montesquiou), Jonathan Sturel a franchi le pas de l’écriture. Ce premier recueil est un coup de maître !
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00:00 Il est auteur, il est éditeur, il vient de publier un délicat recueil de nouvelles.
00:10 L'arrière petit fils, c'est aux éditions du Verbe Eau et c'est en vente sur le site TVL,
00:15 bien évidemment, dans la rubrique boutique, sur boutiquetvl.fr.
00:20 Bonjour Jonathan Sturel.
00:22 Bonjour Martial Bild.
00:23 Alors vous avez souvent réédité des incontournables de la littérature et de la pensée enracinée.
00:28 Je pense à Peggy Athen de Montesquieu.
00:30 Mais est-ce que c'est ce goût de la lecture qui vous a donné l'envie de l'écriture ?
00:36 Oui, de la même manière que j'imagine que ceux qui se sont lancés dans une carrière de gastronome
00:42 ont d'abord été des gourmands.
00:43 Moi, avant d'être un auteur, j'ai été un lecteur et j'imagine qu'à force de se frotter aux lettres,
00:48 surtout lorsqu'on a pris l'habitude de lire les plus grands des lettres,
00:52 parce que j'ai la prétention de m'être intéressé très vite aux grands auteurs,
00:55 c'est-à-dire aux grands auteurs classiques,
00:57 il est difficile, lorsque l'on s'est frotté à ces grands auteurs,
00:59 de ne pas vouloir, non pas les égaler, on n'aura jamais cette prétention,
01:02 je fais partie de ceux qui pensent que nos prédécesseurs sont des maîtres inégalables,
01:07 mais de se frotter au même genre littéraire qu'eux et surtout de manier la même langue qu'eux,
01:12 parce que c'est une logique de filiation aussi.
01:14 J'aime l'idée que l'on puisse écrire aujourd'hui, en 2023 ou en 2022,
01:17 dans la même langue que celle qu'utilisait un auteur il y a 100 ans ou 150 ans ou même 200 ans,
01:21 c'est-à-dire cette langue française qui se transmet de génération en génération
01:25 et que nous tâchons de faire vivre en l'utilisant à notre tour dans nos propres livres.
01:29 C'est vrai que vous soulevez cet aspect-là, que j'ai retenu aussi,
01:32 parce que ce livre est composé de cinq nouvelles aux histoires d'ailleurs bien différentes,
01:36 et quand j'ai cherché quels étaient les points communs, je me suis dit sur la forme.
01:40 Tout d'abord, vous déployez ce que j'appellerais une écriture classique,
01:43 un style simple, clair, concis, un vocabulaire qui est souvent choisi sans être préçu,
01:48 ou même daté, est-ce qu'on peut affirmer, vous accepter cette filiation d'être un écrivain classique ?
01:55 J'espère que la postérité, si j'en ai une, retiendra que j'ai essayé de le faire en tout cas.
02:00 Ce que j'ai essayé de ne pas faire, c'est une écriture justement moderne,
02:03 une écriture welbeckienne par exemple, c'est-à-dire une écriture qui a complètement intégré les codes,
02:07 y compris les lexicaux de l'époque.
02:09 J'ai essayé de faire une écriture, alors qui n'est pas datée pour le coup,
02:12 mais justement intemporelle, si je peux me permettre de croire que j'ai pu le faire,
02:16 c'est-à-dire une nouvelle qui pourrait avoir été écrite l'année dernière
02:19 comme elle pourrait avoir été écrite il y a 50 ou 100 ans,
02:22 c'est-à-dire en utilisant des codes stylistiques,
02:24 pas intemporels évidemment, mais relativement classiques en effet.
02:27 Ce que je veux absolument éviter, ce sont les écueils de l'époque,
02:30 et faire une littérature qui soit vulgaire, qui est généralement la littérature d'aujourd'hui,
02:34 ou qui soit graveleuse ou qui descende dans le caniveau.
02:37 Ce que j'ai voulu faire, c'est une écriture qui élève le lecteur
02:40 et qui ne l'abaisse pas au niveau de l'époque.
02:42 – Mais est-ce que Welbeck abaisse les lecteurs ?
02:44 – Alors je ne sais pas s'il les abaisse,
02:46 mais je suis à peu près sûr qu'il ne les grandit pas en tout cas.
02:48 Et je pense qu'un certain nombre de lecteurs vont lire Welbeck justement
02:51 parce que ça leur renvoie l'image qu'ils se font eux-mêmes du monde moderne.
02:54 Et la prétention de Welbeck, c'est de décrire le monde moderne,
02:56 et beaucoup de gens vont chercher cette description du monde moderne.
02:58 – Pour le dénoncer.
02:59 – Pour le dénoncer, peut-être, mais il y a dans la littérature de Welbeck
03:03 beaucoup de mots qui sont relativement sales,
03:07 des descriptions qui sont très directes, très frontales,
03:10 pour ne pas utiliser un autre mot.
03:13 Et ce n'est pas l'idée que je me fais de la littérature,
03:15 enfin ce n'est pas l'idée de la littérature que je veux faire en tout cas.
03:18 Après que des gens le fassent, c'est libre à eux évidemment,
03:20 de toute façon il n'y a pas de police de l'écriture en France.
03:23 – Je vais essayer de venger Welbeck, pourquoi un recueil de nouvelles ?
03:25 Vous ne vous sentez pas, vous, la capacité de vous livrer un roman ?
03:29 – Pas tout de suite en effet.
03:30 Et ce n'est pas parce que j'ai une piètre opinion de moi-même,
03:33 parce qu'il faut s'aimer un petit peu quand même,
03:34 mais c'est parce que j'ai peut-être trop haute opinion du roman,
03:37 au point que par respect pour le roman, l'exercice romanesque
03:41 que je place vraiment pour moi qui est l'un des sommets de la littérature,
03:45 avant de m'y frotter, avant d'avoir cette prétention,
03:47 j'ai voulu d'abord m'essayer à ce qu'on pourrait appeler
03:50 peut-être le petit frère du roman, c'est-à-dire la nouvelle,
03:53 pas par incompétence revendiquée,
03:55 mais vraiment parce que j'ai trop de respect pour le roman
03:57 pour me lancer dans cette aventure et prendre le risque de salir l'exercice,
04:00 ou en tout cas de ne pas être à la hauteur de l'exercice.
04:03 – Alors dans l'ensemble des nouvelles,
04:05 il y a des sources d'inspiration communes,
04:08 nées sûrement de vos influences, et en tout premier lieu,
04:11 peut-être que les téléspectateurs s'en sont d'ailleurs déjà aperçus,
04:15 il y a la Lorraine, l'accent, "Fier enfant de la Lorraine,
04:19 des montagnes à la plaine, sur vous, plane, ombreux, serène,
04:24 jeune d'arc, vierge, souveraine."
04:27 La Lorraine, c'est important pour vous ?
04:29 – La Lorraine, c'est tout pour moi, j'en viens,
04:31 et j'en viens littéralement et strictement,
04:33 ce sens que j'ai fait ma propre généalogie,
04:36 aussi loin que j'ai pu remonter, c'est-à-dire 400 ans,
04:37 parce que malheureusement je ne suis pas issu de famille noble,
04:40 donc je n'ai pas une généalogie qui peut remonter jusqu'au XIIe siècle,
04:42 comme certains ont la chance de l'avoir.
04:44 Moi j'ai une généalogie qui dépend des registres par ratio,
04:46 et le plus loin que j'ai pu aller c'était 400 ans à peu près.
04:50 Et bien pendant 400 ans mes ancêtres sont nés, ont vécu, sont morts,
04:55 se sont mariés, ont baptisé leurs enfants dans un périmètre
04:58 de 50 à 60 km autour de Verdun,
05:00 donc vraiment le pur produit de la Lorraine,
05:02 et je suis, comme disait Barès à propos du nationalisme,
05:07 l'acceptation d'un déterminisme,
05:08 et bien j'accepte que le destin est fait de moi un Lorrain,
05:10 c'est peut-être pas le destin, c'est peut-être le bon Dieu,
05:12 c'est peut-être quelque chose qui est fait de moi un Lorrain,
05:13 j'accepte cet héritage et j'aime la Lorraine.
05:16 J'ai beaucoup voyagé dans ma vie, en France et à l'étranger,
05:18 le seul endroit où je me sens chez moi,
05:20 c'est vraiment la Lorraine et c'est viscéral.
05:23 – Plutôt Metz ou plutôt Nancy ? C'est une question de piège.
05:26 – J'ai vécu plus près de Nancy, mais j'ai une partie de ma famille
05:30 qui est plus proche de Metz, sinon c'est plutôt Verdun, donc la Meuse,
05:33 mais Nancy est évidemment un des fleurons de la Lorraine,
05:36 et il est inévitable d'aimer la Lorraine sans aimer Nancy.
05:42 – Alors si on parle de la Lorraine, vous l'avez évoqué aussi,
05:44 votre source d'inspiration revendiquée, c'est Barès qui a magnifié cette Lorraine,
05:50 d'où souffle l'esprit Barès, dont nous fêterons
05:53 le centième anniversaire de la mort, le 4 décembre prochain.
05:56 C'est un écrivain pour vous incontournable,
05:58 de la colline inspirée au déraciné, en passant par le culte du moi.
06:02 – Oui, c'est vraiment Barès, c'est vraiment un écrivain
06:06 que je mets au sommet de mon panthéon personnel pour plein de raisons,
06:09 et une raison en particulière, c'est la raison que j'explique toujours
06:12 à ceux qui me demandent pourquoi j'aime Barès,
06:13 c'est parce que je considère que Barès était capable,
06:16 je me répète, parce que je le dis à chaque fois,
06:18 était capable de dire avec sensibilité des choses intelligentes,
06:20 et avec intelligence des choses sensibles,
06:22 c'est-à-dire que c'est un homme qui marchait sur ses deux jambes,
06:24 il était à la fois un cœur, donc une sensibilité,
06:26 et un esprit, c'est-à-dire un cerveau.
06:28 Et il a réussi dans sa littérature, enfin dans son œuvre éditée,
06:31 qui est quand même relativement vaste, puisqu'il y a des cahiers,
06:33 il y a des journaux, enfin il y a des romans,
06:35 il y a des livres politiques, il y a des livres polémiques,
06:37 – Des discours.
06:38 – Exactement, il a réussi à embrasser un certain nombre de genres littéraires,
06:41 mais dans tout ce qu'il a fait, on ressent à la lecture,
06:46 à la fois de la sensibilité et de l'intelligence,
06:47 donc ça, ça me le fait beaucoup aimer,
06:49 parce que je considère que la littérature,
06:50 c'est quelque chose qui doit à la fois parler au cœur et à l'esprit.
06:53 Barès le faisait très bien, et évidemment,
06:56 le point commun entre moi et Barès, c'est la Lorraine,
06:59 évidemment, qu'il a lui-même magnifiée, comme vous venez de le préciser,
07:03 quelqu'un qui aime la Lorraine, pour moi, n'est pas forcément quelqu'un de bien.
07:06 Et si en plus, il réussit l'exploit d'être le grand littérateur qu'il a été,
07:10 le grand esprit, puis le grand patriote qu'il a été,
07:13 ça fait beaucoup trop de points communs avec Barès,
07:15 pour que je l'ignore et que je n'en fasse pas l'un de mes maîtres.
07:17 – Barès était un républicain, et pourtant,
07:19 il ne bénéficiera pas en 2023 des ors de la République,
07:23 on ne lui reconnaîtra pas son rôle d'écrivain,
07:25 de grand écrivain, qui a eu des obsèques nationales,
07:28 – Oui, c'est exact.
07:29 – A Notre-Dame de Paris, il n'a pas eu tant que ça,
07:31 c'était Victor Hugo avant lui, et il y a Césaire après lui.
07:35 – Oui, c'est vrai, c'est vrai, c'est l'un des paradoxes du temps,
07:38 ce qui veut dire qu'en fait, lorsque l'on dit la République,
07:40 c'est un terme tellement générique, en 230 ans d'existence,
07:42 la République a été protéiforme, puisque la République d'aujourd'hui
07:45 ne se sent plus le devoir, ne se sent plus concernée
07:47 par le républicain Barès, c'est la preuve, la démonstration à mon avis,
07:52 qu'il y a eu une modification entre la République de Barès
07:54 et la République de François Hollande par exemple,
07:55 et que celle que revendiquait Barès,
07:58 et que celle dans laquelle un Barès pouvait s'inscrire,
08:00 n'est pas du tout celle d'un François Hollande,
08:02 et que si Barès était là aujourd'hui,
08:04 je pense qu'il aurait à l'égard de la République d'aujourd'hui
08:06 le même genre de critique que nous formulons nous-mêmes à son égard.
08:10 Donc je déplore en quelque sorte que la République d'aujourd'hui
08:13 n'honore pas Barès, mais en même temps le fait qu'elle ne l'honore pas
08:17 me donne l'impression que c'est une raison supplémentaire
08:19 d'aimer le Barès d'hier.
08:21 – Assez d'amour pour votre terre, Lorraine,
08:24 mais votre passion que vous avez là, évoquée pour Barès,
08:27 c'est bien évidemment une passion pour la pensée enracinée,
08:30 et tout ça, ça naît de valeur, bien évidemment,
08:33 et à ce terme de valeur, je vous ai entendu dire
08:35 que vous préfériez un autre mot, celui de "force".
08:39 – Oui, c'est vrai, et je vais vous dire pourquoi et depuis quand
08:42 je préfère le mot "force" au mot de "valeur",
08:44 puisque j'ai utilisé le mot "valeur" comme tout le monde pendant des années,
08:46 mais ce mot est tellement galvaudé en ce sens que tous les courants d'opinion,
08:50 y compris les plus contradictoires et les plus contestataires
08:53 les uns contre les autres, utilisent le même terme,
08:56 ça m'avait conduit à penser qu'un terme aussi fourre-tout
08:59 ne pouvait finalement pas pouvoir dire grand-chose.
09:02 Puis dans mes activités d'éditeur, j'ai réédité un petit livre
09:05 qui a été écrit par un prêtre, un aumônier,
09:07 qui s'appelle "Les forces morales du sol de la chrétien",
09:10 ça date de la première guerre mondiale,
09:11 et la description qu'il donne des forces,
09:13 c'est-à-dire quelque chose qui vous élève,
09:16 qui vous lève, qui vous tient debout.
09:18 Une force, c'est quelque chose qui fait tout ça,
09:20 alors qu'une valeur, c'est déjà beaucoup plus intellectualisant,
09:23 je ne sais pas exactement ce que veut dire "valeur" finalement,
09:25 puisque tout le monde utilise ce terme
09:27 et que ça a fini par le galvauder complètement,
09:29 alors qu'une force, je sais très bien ce qu'est une force,
09:31 je sais très bien quelle force je puise dans les livres de Barès par exemple,
09:35 et ce ne sont pas des valeurs à proprement parler,
09:36 mais ce sont vraiment des forces,
09:37 c'est-à-dire quelque chose qui, lorsque vous êtes un peu raplapla,
09:40 vont vous lever, et lorsque vous êtes déjà levé,
09:42 vont vous tenir debout.
09:44 C'est vraiment la distinction que je fais,
09:45 il faudrait que je développe évidemment pendant très longtemps,
09:47 mais au terme de valeur, effectivement je préfère le terme de force
09:51 qui est peut-être aussi plus antique et plus martial.
09:55 – Oui, parmi ces valeurs ou ces forces donc,
09:57 il y a la transmission, c'est le cœur d'une de premières nouvelles
10:01 qui donne d'ailleurs son titre au livre "L'arrière petit fils",
10:05 la transmission là aussi c'est important,
10:07 parce que Barès dit "on est à un moment d'une chose éternelle,
10:09 on est un lien entre ce qui nous a précédé et ce qui va nous suivre",
10:13 vous êtes toujours dans la pensée barésienne.
10:15 – Mais oui, effectivement la filiation
10:17 et le fait d'hériter de quelque chose,
10:18 et lorsqu'on me demande pourquoi j'écris,
10:20 pourquoi j'écris, la réponse que je me plaide à faire,
10:23 il y a beaucoup de réponses que l'on peut faire à la question
10:25 "pourquoi avez-vous écrit ?"
10:26 je vais répondre de manière, enfin je fais un tout petit développement,
10:29 je suis d'un pays, d'une civilisation, comme vous d'ailleurs, la France,
10:33 qui a eu la particularité, ce n'est pas le seul pays à l'avoir fait dans le monde,
10:36 mais la France est l'un de ceux qui l'ont fait le plus et le mieux,
10:39 à savoir élever au rang d'art tout ce qui lui est passé entre les mains,
10:42 c'est-à-dire qu'il y a quelque chose comme le fait de s'alimenter,
10:45 besoin physiologique au combien primaire,
10:47 et bien de ça on a fait la gastronomie,
10:49 quelque chose d'aussi utilitaire que de mettre un toit sur sa tête
10:52 et des murs pour se protéger de la pluie et du vent,
10:55 on a fait l'architecture.
10:56 Et on peut dérouler comme ça l'exemple sur une quantité de disciplines,
11:01 jusqu'à la littérature, en fait la littérature qu'est-ce que c'est ?
11:04 C'est le fait de sublimer les mots,
11:05 au départ les mots ça sert pour que deux personnes communiquent entre elles,
11:09 "bonjour Martial, avez-vous l'heure ?
11:11 dans quelle direction je peux aller pour rejoindre telle ville ?" etc.
11:13 L'utilisation, enfin vraiment un outil purement utilitaire au départ le langage,
11:18 et bien même quelque chose d'aussi utilitaire et d'aussi "primaire"
11:22 nous avons réussi à l'élever au rang de littérature.
11:24 Et bien moi en tant que Français j'ai hérité de tout ça
11:26 et je considère qu'au nom de ce dont vous venez de parler,
11:28 cette force qui s'appelle l'affiliation,
11:29 qui consiste à hériter de quelque chose pour le transmettre ensuite,
11:32 j'ai voulu, en écrivant à mon tour, rendre un petit peu de ce que j'avais reçu
11:35 et j'ai beaucoup reçu de la civilisation française,
11:38 mais comme le destin ne m'a pas mis sur les routes des ateliers de peinture
11:43 ou des laboratoires de cuisine, je n'ai pas été dans ces disciplines,
11:46 mais le destin a mis très tôt entre mes mains des livres
11:49 et dans mon cœur le goût des livres lorsqu'il s'agit pour moi
11:52 de rendre une partie de ce que j'avais reçu,
11:54 c'est tout naturellement la littérature que j'ai choisie.
11:57 - En plus qu'il y a des valeurs, il y a aussi des attitudes dans la vie.
11:59 Alors là, vous avez la dénonciation des cuistres.
12:03 Je pense par exemple toujours aux cuistres BHL.
12:05 Vous voyez Bernard-Henri Lévy, je trouve que ça correspond bien.
12:08 Et là, ça prend toute son ampleur dans une de vos nouvelles
12:10 qui s'appelle "Le Maringouin".
12:12 - Oui, "Le Maringouin".
12:13 - Vous pouvez m'expliquer le mot d'ailleurs.
12:14 - "Le Maringouin", c'est un terme des sciences de la biologie en fait.
12:18 C'est un dérivé ou un nom scientifique du moustique.
12:21 C'est-à-dire quelque chose qui se pose sur vous
12:22 et qui vous suce le sang sans que vous lui ayez demandé de le faire
12:26 et qui d'ailleurs ne vous demande pas votre avis.
12:27 C'est un petit peu comme ça que se comportent la plupart des gens
12:29 qui aujourd'hui ont préempté le domaine de la pensée,
12:32 le domaine de la réflexion, le domaine médiatique en France.
12:34 Ce sont des gens à qui on n'a rien demandé.
12:36 Personne n'a jamais demandé à BHL, puisque vous venez de le citer,
12:39 mais ça vaudrait pour des cents.
12:40 - C'est un Maringouin.
12:41 - Bah, c'en est un d'une certaine manière,
12:43 puisque c'est quelqu'un qui est venu se poser là
12:45 sur la surface de nos vies, de la France,
12:48 et puis qui est venu en sucer la sève, le sang, etc.
12:52 alors que personne ne lui avait rien demandé.
12:53 C'est ce que je décris dans "Le Maringouin",
12:55 c'est-à-dire une attitude de gens qui se croient déterminés
12:58 par je ne sais quelle force, par je ne sais quel destin,
13:00 et qui s'imaginent avoir le droit de commander au destiné d'une nation,
13:04 d'un peuple tout entier, alors que personne ne leur a jamais rien demandé.
13:06 C'est cette attitude que j'ai voulu dénoncer,
13:09 parce qu'en réalité, quand bien même nous serions en démocratie,
13:11 comme la légende le prétend,
13:13 la plupart des gens qui commandent à nos destinées
13:15 n'ont jamais été véritablement, spontanément et amoureusement
13:18 choisis par la majorité des gens.
13:20 Ce sont toujours des choix par défaut,
13:21 ou des gens qui se sont imposés par le jeu des réseaux,
13:24 par le jeu des cooptations, etc.
13:25 Donc il faut évidemment, idéalement,
13:28 c'est une posture très très idéaliste,
13:30 mais il faut le dénoncer, ça vaut ce que ça vaut,
13:32 mais en tout cas c'est ce que j'ai décidé de faire,
13:33 puisque la littérature n'est pas seulement une œuvre de divertissement
13:37 qui est là pour nous reposer,
13:38 c'est aussi quelque chose qui doit nous faire réfléchir
13:40 et doit allumer quelque chose chez le lecteur.
13:42 On ira lire "Le Maringouin" comme je l'ai fait.
13:44 La très belle nouvelle aussi, nous prierons pour lui,
13:48 mais on exerce votre attachement à,
13:50 ce qu'on va dire, à la religion chrétienne,
13:51 ou à l'idée de remettre l'Église au centre du village.
13:56 Et pourtant votre histoire, on ne va rien dévoiler,
13:58 intitulée "Nous prierons pour lui",
14:01 c'est quand même celle d'un échec de l'Église, on va dire.
14:05 Et pourtant, on a le sentiment que,
14:10 face à l'Église, en confrontation avec l'Église,
14:13 il y a le fatum, la fatalité,
14:16 et que celle-ci, elle prend le dessus de manière inévitable.
14:21 Effectivement, et ceux qui ont lu,
14:23 ceux qui liront cette nouvelle,
14:25 pourront aussi faire une autre lecture,
14:27 en plus de celle-ci, qui d'ailleurs ne la contredit pas,
14:29 et la complète plutôt,
14:31 c'est qu'il y a la surface des choses,
14:32 il y a la profondeur des choses,
14:33 et que le personnage que nous suivons dans cette nouvelle,
14:38 c'est d'ailleurs, c'est décrit dans la nouvelle,
14:40 n'est jamais allé dans les profondeurs des choses,
14:43 c'est-à-dire que lorsqu'il a eu besoin du recours de l'Église,
14:45 ça a été à un certain moment de sa vie,
14:48 lorsqu'il lui est arrivé une certaine chose dans la vie,
14:50 mais que ce n'était pas quelque chose
14:51 qui faisait partie de ses habitudes préalablement.
14:54 Donc, il s'est rattaché au secours de l'Église,
14:56 et ce que cette nouvelle veut aussi démontrer ou signifier,
15:00 c'est que ça ne suffit pas de se raccrocher à l'écume des choses,
15:04 et que si l'on veut le secours, par exemple, de l'Église,
15:06 ou de la foi, ou du bon Dieu,
15:08 ce n'est pas seulement lorsque l'on a un genou à terre
15:10 qu'il faut se tourner vers ses forces,
15:12 mais c'est bien avant,
15:15 c'est pour préparer les épreuves,
15:17 et non pas attendre que les épreuves nous tombent dessus
15:19 en espérant que l'Église pourra,
15:21 à la mer d'un médicament ou d'un baume,
15:22 nous guérir spontanément.
15:24 Donc, évidemment, dit comme ça,
15:26 pour les lecteurs qui n'ont pas encore lu la nouvelle,
15:28 ça paraît opaque, ce que je suis en train de dire,
15:29 mais s'ils la lisent et qu'ils réécoutent ce que je dis,
15:32 tout ça prendra son sens, effectivement.
15:34 – Henri est un personnage qui reste, qui reste,
15:38 voilà, j'en ai gardé encore le souvenir,
15:40 c'est pas mal de jours que j'ai lu l'ouvrage.
15:44 Mais je reviens à ça quand même,
15:45 vous êtes sûr, il n'y a pas de fatalité,
15:47 comme il n'y a pas de sens de l'histoire,
15:48 c'est-à-dire qu'ils font le sens de l'histoire,
15:50 il n'y a pas de sens de l'histoire, il n'y a pas de fatalité,
15:52 s'il faut penser cela, c'est pas parisien.
15:54 – Que si, mais en fait, moi je pense qu'on est le fruit
15:56 de nos déterminismes en réalité,
15:58 et à mesure que l'on va accepter ces déterminismes
16:01 et les embrasser et en faire des éléments constitutifs
16:04 de notre existence au quotidien,
16:05 on va, alors non pas s'empêcher de subir des épreuves
16:09 et de recevoir des coups, mais en tout cas,
16:10 on va se préparer à mieux les recevoir,
16:12 c'est le sens que je veux donner aussi à ces choses-là dans ma nouvelle.
16:17 Mais qu'une fatalité, oui, ça nous emmènerait peut-être
16:19 dans une discussion quasiment philosophique et même théologique,
16:22 qui nous emmènerait très loin aujourd'hui, mais…
16:24 – On a un interne mission, qui était une mission religieuse
16:27 à laquelle vous seriez très bien reçus,
16:30 donc n'hésitez pas à venir reparler de cela,
16:33 même si effectivement aujourd'hui,
16:35 ça ne va pas être le cas en raison du temps
16:36 qui nous est un parti à peine sorti,
16:40 notre ouvrage à peine sorti,
16:41 c'est que dans quelques minutes,
16:42 vous allez aller le présenter à la nouvelle librairie à Paris,
16:46 nous enregistrons à la mi-septembre.
16:49 Quelle va être la suite pour l'écrivain prodige que vous êtes ?
16:52 Alors, bien évidemment, j'utilise ce terme-là à dessein
16:55 parce que dans une de vos nouvelles intitulée "L'écrivain prodige",
16:58 vous dites que votre héros, pour votre héros,
17:01 son objectif avéré était d'être publié
17:04 dans une vraie maison d'édition
17:06 et pour y parvenir, il tirait toutes les ficelles qu'il pouvait.
17:09 – Oui. – C'est votre cas ?
17:10 – Ben, c'est mon cas, en tout cas,
17:12 lui, il a fait dans de mauvaises intentions, je crois,
17:15 en tout cas, lorsqu'il a eu l'occasion de le faire
17:17 et que les choses ne se sont pas passées comme il l'avait espéré,
17:20 il n'a pas tiré les bonnes conclusions de ce qui lui est arrivé.
17:23 – Quand je viens de vous dire "écrivain prodige",
17:25 je ne m'avais pas dit non.
17:25 – Non, mais en fait…
17:26 – Non, je m'attendais à ce que vous m'en disez,
17:28 qui n'y aimait pas du tout, ça ne me concerne pas,
17:30 c'est donc bien vous l'écrivain prodige ?
17:31 – Non, ce n'est pas moi, mais c'est quelqu'un que peut-être vous connaissez,
17:34 que je ne dévoilerai pas son nom,
17:35 mais c'est quelqu'un dont je me suis inspiré,
17:37 que je connais, que vous connaissez peut-être,
17:40 que beaucoup de gens connaissent.
17:41 Je me suis inspiré de lui, parce qu'en fait,
17:43 c'est quelqu'un dont j'ai observé le développement de la carrière,
17:47 entre guillemets, et j'ai vu qu'il se comportait comme lui,
17:50 et j'ai tout de suite vu qu'en fait, ce n'était pas caractéristique de lui,
17:54 que ça n'était pas circonscrit à sa seule personne,
17:56 mais qu'un certain nombre d'écrivains,
17:58 ou pas d'ailleurs, ça peut valoir aussi pour des acteurs,
18:01 des gens qui sont dans la création de quelque chose,
18:04 qui s'imaginent être tout de suite un écrivain prodige,
18:08 ou un comédien prodige, etc.,
18:09 et qui se rendent compte que, s'ils le sont,
18:11 ce n'est pas dans la réalité, mais c'est simplement dans leur rêve,
18:13 parce qu'ils avaient autour d'eux un petit auditoire de groupies
18:17 qui leur faisaient croire qu'ils étaient ce qu'ils n'étaient pas.
18:19 Et ce que j'ai voulu dénoncer, entre guillemets,
18:22 j'ai l'impression de vouloir tout dénoncer dans ce livre,
18:24 ce que j'ai voulu montrer plus exactement,
18:26 parce que je ne suis pas un moraliste ou un moralisateur,
18:28 c'est qu'il faut faire très attention aux compliments que l'on reçoit,
18:30 parce que certains des compliments que l'on reçoit,
18:32 qui nous sont adressés de bonne foi par des gens qui nous apprécient
18:34 et qui ne nous les adressent pas pour nous nuire,
18:37 peuvent nous nuire néanmoins.
18:38 Il faut faire attention aux compliments,
18:40 les compliments peuvent nous endormir,
18:44 et puis surtout, certains compliments ne sont pas mérités.
18:46 C'est pour ça que j'espère ne pas être l'écrivain prodige de ma nouvelle,
18:50 puisque on découvre, mais je ne peux pas le dire,
18:53 que les compliments qu'il recevait,
18:55 et qu'il avait fini par le convaincre qu'il était le grand écrivain du nouveau siècle,
19:01 n'étaient pas mérités,
19:02 et j'espère que je mérite les compliments que je reçois,
19:04 et j'en reçois quelques-uns,
19:05 j'espère que certains en tout cas sont justifiés.
19:07 – Vous acceptez les compliments, vous acceptez…
19:09 – Les critiques aussi.
19:10 – D'être reconnu, ce n'est pas être connu, c'est le disant.
19:13 – Oui, être reconnu, encore faut-il l'être pour les bonnes raisons.
19:16 L'écrivain dont je parle dans cette nouvelle est reconnu en tant qu'écrivain,
19:21 mais pour des raisons qui ne sont pas littéraires en fait.
19:23 Évidemment là encore, c'est opaque pour celui qui ne va lire le livre,
19:26 c'est très difficile de parler d'un roman ou de nouvelles,
19:28 parce qu'il faut qu'on dise juste ce qu'il faut,
19:29 sans dévoiler les nœuds de l'intrigue.
19:31 – C'est forcé à le faire aussi.
19:32 – Bien sûr, et je suis là, je suis entre deux chaises,
19:35 à chaque fois j'essaye de ne pas dire ce qu'il ne faudrait surtout pas dire.
19:38 – C'est un très beau livre, c'est un livre qui mérite d'être lu,
19:41 "L'arrière-petit-fils" et autres nouvelles.
19:43 Alors, une fois que j'ai dit cela, ça vous pousse à faire ce roman ?
19:48 – Effectivement, oui, bien sûr, mais j'y pense,
19:50 et puis ça prend forme petit à petit,
19:53 et si le retour que je continue de recevoir
19:56 après la publication de ce livre se confirme…
19:58 – Les compliments.
19:59 – Les compliments, voilà, en l'occurrence, s'il se confirme,
20:01 et si j'ai la sensation qu'ils sont sincères
20:03 et qu'ils me donnent la force et non pas la valeur,
20:06 vous voyez la distinction par exemple.
20:07 La force de continuer, eh bien peut-être que,
20:09 comme je disais tout à l'heure, je n'ai pas voulu me frotter au roman
20:11 par respect pour le roman,
20:12 parce que je voulais être sûr d'avoir fait mes gammes avant.
20:14 Si on me dit que j'ai commencé à faire mes gammes avec ce livre,
20:16 c'est peut-être qu'il est temps que je m'essaye au roman,
20:18 en tout cas c'est un projet, c'est un projet.
20:22 – Merci Jonathan Surel,
20:23 vous êtes passé par TV Liberté de la Lorraine à Paris,
20:27 d'autres, et importants, ont fait ce chemin-là.
20:29 – J'espère que j'aurai la même postérité que vous.
20:32 Merci en tout cas, merci de m'avoir invité.
20:34 [Générique]