• il y a 17 heures
Chères lectrices, chers lecteurs,

Voici la captation de la rencontre de Philippe manévy autour de son deuxième roman La colline qui travaille, paru aux excellentes éditions phocéennes le Bruit du Monde.

Discussion animée par Édouard Leroy, et enregistrée le mercredi 5 mars 2025.

Vous souhaitant de belles lectures,

L'écume

La Quatrième :

« J’écris pour que les êtres et les liens qui les unissent cessent de se distendre et de disparaître. »

Le bruit d’un téléphone, l’odeur de l’eau de Javel, le goût d’un nescafé… Philippe Manevy tire le fil du souvenir et tisse l’étoffe d’un roman familial sur quatre générations en commençant justement par le personnage d’Alice, sa grand-mère maternelle, tisseuse de métier. Pointilleuse et déterminée, elle devint la figure de proue d’un mouvement ouvrier au lendemain de la victoire du Front Populaire. Très vite, René, son époux, fait son apparition dans le récit. Ancien sportif, il fut un typographe possiblement engagé, avec d’autres héros de l’ombre, dans un acte spectaculaire de résistance. Tous deux parents dévoués de Martine, ils seront prêts à tout pour assurer le futur de leur fille studieuse et appliquée.
Chaque chapitre met en lumière un membre de la famille aux prises avec les épreuves que lui réservent son époque et l’existence. Apparaissent progressivement des liens entre eux et des échos que l’auteur consigne ici, sans rien cacher des doutes qui surgissent au fil de son travail d’écriture. Et l’on traverse ainsi deux guerres mondiales, des crises économiques, les Trente glorieuses, les espoirs et les désillusions du XXème siècle.
Déclaration d’amour et hommage vibrant à la classe ouvrière, La colline qui travaille revigore le genre de la chronique familiale et offre au lecteur un sentiment de réconfort et de douce nostalgie

À propos de l'auteur
Né en 1980 à Clermont-Ferrand, Philippe Manevy s’est s’installé à Montréal où il est professeur de français et de théâtre. Passionné d’écriture, il est l’auteur de deux livres dont La colline qui travaille, premier roman de l’auteur à être publié en France. Il est également l’auteur de Ton pays sera mon pays (Leméac, 2021).

On en parle
« Un récit d’une grande justesse qui repense la valeur de la mémoire »
Étienne Kern - En attendant Nadeau

« Un regard empreint de curiosité, de pudeur et d’amour »
Christian Desmeules - Le Devoir
Transcription
00:00Bonsoir, merci d'être là ce soir, pas forcément au premier rang, mais d'être venu parler de La Colline qui Travaille, le livre de Philippe,
00:11et ensuite de parler de la maison d'édition Le Bruit du Monde, parce que c'est aussi l'occasion de voir sur scène, si on peut appeler ça une scène,
00:20plusieurs acteurs du livre, les auteurs, les éditeurs et les libraires.
00:25Donc voilà comment la soirée va se passer, j'ai quelques questions pour Philippe, ensuite j'en aurai d'autres pour nos amis du Bruit du Monde,
00:33et ensuite, si vous êtes d'accord, Philippe vous édicatera quelques-uns de vos livres.
00:38Génial.
00:40Bon, ma première question Philippe, c'est, est-ce que votre vie à Montréal, je vais te tutoyer, est-ce que votre vie à Montréal a changé depuis ton passage à la Grande Librairie ?
00:51Oui, c'est une question qu'on ne m'a jamais posée, oui elle a changé, parce qu'il m'est beaucoup plus facile de demander à ma direction de venir en France,
01:00parce qu'il voit bien que ce n'est pas juste une lubie que j'ai, et que ce n'est pas quelque chose que je fais dans ma cuisine pour moi seul et mes chats,
01:07et donc oui, ça m'aide à appuyer mes demandes et à pouvoir venir ici.
01:14Je me doutais, parce que vraiment ce passage à la Grande Librairie, qui est une émission qui adoube aujourd'hui beaucoup la littérature,
01:23on l'a senti nous aussi en librairie, et en tout cas tu souriais de manière magnifique à la caméra, donc ça, ça a été aussi remarqué de nos clients ici.
01:33Alors, pour parler plus du livre, tu as mis beaucoup d'effets sensoriels dans ton écriture, notamment sur le souvenir,
01:41est-ce qu'on doit y voir une influence proustienne ?
01:44Oui, évidemment, ça serait Proust, mais dans une version où la madeleine serait remplacée par du banania, par exemple, ou une biscotte.
01:55Oui, même si ce n'était pas forcément conscient au moment de l'écriture, parce qu'étant ex-étudiant en lettres et professeur de français,
02:05je me suis rendu compte tout de même que si je réfléchissais trop à mes influences et à ce en regard de quoi j'écrivais,
02:11je m'arrêtais assez vite en me disant que c'était très inférieur à mes modèles.
02:15Donc, il y a quand même un moment où j'ai éprouvé un certain blocage dans l'écriture, et pour dépasser ce blocage,
02:22je me suis autorisé à écrire les choses, dans un premier temps, assez spontanément.
02:26Évidemment, une fois que je me suis aperçu qu'un travail mémoriel s'enclenchait à partir, par exemple, des sièges brûlants en skye d'une Peugeot 305,
02:35là, je me suis autorisé, dans la réécriture, à y ajouter une dimension proustienne, et même à faire en sorte que mes phrases s'allongent,
02:42à y mettre plus de subordonnées, plus d'incis, à faire aussi un petit hommage, un petit clin d'œil à Proust.
02:49Et aussi, notamment c'est le cas sur la biscotte, j'espère que des lecteurs l'auront vu, il y a Francis Ponge aussi.
02:56Il y a la volonté de faire, à partir de la biscotte, un petit poème en prose, où quand je dis que c'est comme une œuvre abstraite,
03:03c'est comme quand Ponge fait qu'on voit l'Himalaya ou la Cordillère des Andes dans une simple niche de pain.
03:10Une question me vient comme ça, quand tu as écrit tout le livre, coupé en différentes parties,
03:17est-ce que justement ces influences t'accompagnaient dans l'écriture ? Parce que le début, il y a quand même cette proustienne,
03:25tu cites aussi quelques influences à un moment, mais est-ce que, justement, tu changeais de style ?
03:34Oui, là encore de manière très peu consciente dans un premier temps et au bout de beaucoup de réflexions, de doutes et d'angoisse.
03:45En fait, ce qui me posait problème, c'est d'écrire sur mes grands-parents en leur laissant leur identité, leur prénom,
03:54en ne modifiant pas les événements qu'ils avaient vécu, donc en étant face à un matériau vraiment strictement biographique,
04:00mais d'avoir envie d'entrer dans leur point de vue.
04:04C'est-à-dire, vraiment, j'avais cette envie, à certains moments, d'entrer dans leur pensée, d'adopter leur regard,
04:09de faire ce que j'apprends à mes élèves, la focalisation interne, des choses comme ça.
04:14Donc vraiment, ça, c'était une envie très forte et je me suis vraiment un peu torturé quand même en me disant,
04:20mais tu n'as pas le droit de faire ça. C'est éthiquement et littéralement problématique.
04:24Donc éthiquement, parce qu'ils pourraient très bien, enfin s'ils étaient vivants, ils seraient peut-être choqués par ce que tu es en train de faire.
04:29Et littéralement, parce que, par exemple, une des écrivaines que je cite dans le livre et que j'admire énormément, qui est Annie Ernaux, ne le fait pas.
04:36Elle a une écriture qui est beaucoup plus extérieure, et je dis ça, ce n'est pas du tout péjoratif,
04:42mais c'est une écriture que j'admire, mais vers laquelle je n'allais pas spontanément.
04:46Et en fait, ce qui m'a permis de résoudre ce problème-là, c'est de me dire, d'une part, que c'était une façon de rendre hommage à des auteurs qui m'ont marqué,
04:58donc en particulier dans le livre, je pense que l'ombre de Zola plane beaucoup, notamment sur les figures de Louise et Léopold,
05:04parce que pour moi, Zola, ça a été un choc de lecture à l'adolescence. Je pense que j'ai lu six ou sept fois la sommoire à cette époque-là.
05:11Et la deuxième chose, c'est que, comme je le raconte dans le livre, ma grand-mère Alice était une grande lectrice de romans et de romans qu'elle voulait romanesques.
05:20Donc, pardon pour la redondance, mais avec cette idée qu'elle y cherchait des personnages très dessinés, elle y cherchait de l'aventure,
05:28elle y cherchait quelque chose qui l'arrache au quotidien. Et même si, dans mon cas, ma matière était tout à fait modeste,
05:35puisque la vie de mes grands-parents n'a rien d'un destin extraordinaire, je me suis efforcé par le travail sur, justement, la sensation, le regard, le décor,
05:45en m'autorisant à écrire des descriptions de lieux qu'évidemment j'imagine totalement, à peut-être essayer d'insérer là-dedans de la chaleur,
05:53à faire en sorte que ça soit le plus vivant possible, le plus animé par cette dynamique romanesque que moi, j'ai aimée en tant que lecteur adolescent.
06:04D'ailleurs, j'ai plein d'auteurs. J'ai cité le grand Émile Zola, mais j'évoque aussi une figure plus locale pour les gens de Clermont-Ferrand, qui est Jean Anglade.
06:12Si j'ai aimé, adolescent, les romans de Jean Anglade, c'est que ce sont des romans hyper romanesques. De ce que Perec décrit quand il dit que c'est des livres qu'on lit à plat-vente sur son livre,
06:21c'est un peu ça. Et ça, je pense que pour des lecteurs, c'est les premiers grands souvenirs de lecture. Pardon, je suis très long.
06:27Non, mais au contraire, c'est le but de ces questions, de pouvoir avoir, après l'expérience de lecture, ton avis, d'entendre parler.
06:34Et on le sent aussi dans ton livre. Les influences, le fait que tu es prof de français, ça se sent aussi dans la construction des phrases.
06:42Et au contraire, c'est agréable à lire. C'est une belle langue. Et que ce soit aussi long sur tes réponses, l'est tout au plus.
06:50Alors, tu fais une fresque historique et familiale. Et tout le ponctu, on en parlait tout à l'heure, de digression sur ta vie personnelle.
06:58Est-ce que c'était une manière de t'approprier ou de réapproprier le récit familial ?
07:04Alors, ça, effectivement, dans un premier temps, c'est une chose que j'ai faite, là aussi, sans y penser. Mais en fait, très, très peu.
07:14Il y avait très peu d'incursions du jeu. Donc voilà. Parce que j'étais extrêmement gêné par rapport à ça.
07:19J'avais très, très peur de faire quelque chose de narcissique ou de m'étendre sur mon cas personnel, qui n'est pas intéressant en soi.
07:28Et c'est mon éditeur québécois. Parce qu'effectivement, le livre a été publié en deux temps.
07:32Donc j'ai ici, à côté de moi, mes deux éditeurs marseillais. Et j'ai eu au Québec un premier éditeur, Mathieu Bélisle, avec qui j'ai beaucoup travaillé le texte,
07:39qui m'a dit, écoute, en fait, une des choses qui nous intéresse, nous, dans l'histoire, c'est d'abord, bien sûr, ça peut être le parcours de tes grands-parents, Alice et René.
07:48Mais c'est aussi d'où tu racontes cette histoire-là, d'où tu parles. Et alors, à la fois du point de vue de la recherche que tu mènes, la quête historique, la quête des documents.
07:58Parce qu'en fait, dans toutes les familles, on est fasciné par ça, par ce qui nous reste, les photos, les albums qui peuvent nous rester.
08:04Mais aussi, on veut te voir, toi. On veut te voir, toi. Et on veut te voir le plus possible, tel que tu es, c'est-à-dire pas idéalisé, avec tes défauts, tes doutes, etc.
08:15Parce que, évidemment, il y a aussi la question de pourquoi écrire ce type de récits aujourd'hui, alors que c'est déjà beaucoup fait et qu'il y a des choses absolument magnifiques
08:24qui ont été faites dans ce domaine, même très récemment. Enfin, moi, j'ai découvert, il n'y a pas très longtemps, le Archipel d'Hélène Gody. Je trouve que c'est un livre sublime sur son père.
08:31Donc, il y a une tendance contemporaine aux récits familiales. Et donc, il faut savoir, enfin, au minimum, se poser la question de pourquoi on le fait. Voilà.
08:43Mais c'est... Enfin, ta réponse est vraiment très intéressante, dans le sens où... Pourquoi est-ce que tu mets le curseur sur... Comment trouver ça ?
08:57Ce qu'on disait, la lectrice dont tu parles, qui... Et toute cette réflexion qu'il y a... Je suis désolé, j'ai eu un petit moment de bug en me rappelant à cette question,
09:10parce que je te l'ai posée tout à l'heure et j'ai eu une absence. Mais ce qui est difficile aujourd'hui, quand les gens parlent de leur famille, c'est qu'à un moment, ils se mettent trop en avant
09:20et ça finit par écraser le récit, ce qui n'est pas le cas dans ton texte. C'est vraiment des disgressions, comme si d'un seul coup, ta voix rentrait dans notre tête
09:29et nous disait « Ah, et au fait, il y a cette lectrice... » Enfin, ce chapitre, quasiment, qui... J'ai trouvé vraiment... Ce que je te disais en bas était vraiment un peu fascinant.
09:38Et tu as eu cette pudeur en même temps.
09:40Oui. Là, le moment que tu évoques, pour le mettre un tout petit peu en contexte, c'est un moment où j'évoque, finalement, mon parcours d'écrivain.
09:50L'expression est très prétentieuse, parce que j'ai fait que deux livres, là. C'est un tout petit parcours. C'est un parcours en deux étapes.
09:55Mais j'avais cette impulsion de parler de ça, c'est-à-dire de l'attente qu'on a lorsqu'on écrit un manuscrit, lorsqu'on le publie et lorsqu'il est reçu.
10:05Et du fait que les choses sont totalement non conformes à ce qu'on peut attendre.
10:11C'est-à-dire que, bon, déjà, terminer un manuscrit, c'est un aboutissement et c'est très bien.
10:15Mais on s'imagine que la publication va forcément être un événement.
10:20Or, ce n'est pas ce qui s'est passé au Québec du tout. Alors, même si je n'ai pas à me plaindre.
10:25Il s'est passé des choses au Québec, mais personne n'est sorti dans la rue en disant « Oui, Philippe Manvie, je veux son livre » et tout ça.
10:32Ici non plus, d'ailleurs. Mais ce que je veux dire, c'est que j'ai eu la chance, la Grande Librairie, tout ça, etc.
10:37Et donc, je voulais parler de ça parce que, d'une part, je trouve qu'on n'en parle pas beaucoup, finalement.
10:43Les écrivains ont une pudeur face à ça. Et moi, j'avais la chance. En plus, c'était un peu rigolo.
10:48Parce qu'à Montréal, sur mon premier livre, il y a eu un seul article où il y avait une faute sur mon nom et sur le titre.
10:53Et donc, on ne pouvait vraiment pas savoir de quoi en parler.
10:56Et donc, pour qui cherche la postérité, même les historiens du futur ne sauront pas qu'il y a eu un article là-dessus.
11:02Et donc, je pouvais en parler avec humour, mais en même temps, parler du fait que ça peut être…
11:07C'est très émouvant parce que je connais beaucoup d'écrivains qui souffrent de leur solitude, du fait qu'ils ne sortent pas forcément de cette suite-là.
11:15Donc, c'est une façon d'aborder ça et de bifurquer assez rapidement vers la question fondamentale qui est « Pourquoi cette histoire ? »
11:22Pourquoi aborder cette histoire ordinaire dans ce livre-là ?
11:29Alors, abordons maintenant les personnages du livre.
11:32Chaque personnage a quasiment son chapitre, mais de manière inégale.
11:36Pourquoi tu as décidé de zoomer sur certains ?
11:40Et je te disais, Romain, Léopold, je suis très déçu qu'on trouve pas plus.
11:44Alors, en fait, toujours dans cette idée de m'auto-censurer le moins possible
11:52et de garder une forme de spontanéité dans mon écriture, dans un premier temps,
11:56je me suis autorisé à raconter ce que j'avais envie de raconter.
12:02Donc, vraiment à céder à mes impulsions de récit.
12:05Ce qui fait que dans la première version du manuscrit, il y avait un foisonnement d'histoires et encore plus de personnages secondaires.
12:16Et là encore, mon éditeur québécois m'a dit « Écoute, c'est très intéressant, mais est-ce que ce chapitre sur ta grand-tante Henriette est forcément fondamental ? »
12:23Sachant que nous, on s'attache quand même aux figures de Alice et René.
12:27Et donc, il y a eu tout un travail de rééquilibrage pour vraiment se recentrer sur l'essentiel.
12:31Donc, il y a des parties entières que j'ai supprimées.
12:34Mais en gardant quand même ce que moi, j'aime beaucoup dans les livres que je lis.
12:41En général, j'aime beaucoup quand ça bifurque.
12:43J'ai tendance à lâcher ou à lire avec peut-être un certain ennui
12:51les romans qui sont trop sur des rails.
12:53On voit tout de suite ce qui va arriver aux héros.
12:56On voit tout de suite, voilà, ils vont se rencontrer, ils vont s'aimer, ils vont se déchirer, ils vont se retrouver et ça va être la fin.
13:01Ça, c'est des romans que je ne finis plus forcément.
13:05Et donc, j'aime bien quand ça part.
13:07On parlait avec ma professeure d'Iphokane, Iphokane de Jean Eschnoz tout à l'heure.
13:12C'est un truc qui est super chez Jean Eschnoz.
13:14Tout d'un coup, ça bifurque, on est surpris.
13:18Donc, trouver l'équilibre entre le goût de la digression et malgré tout, ne pas trop perdre le lecteur.
13:27J'ai beaucoup travaillé non seulement sur la sélection des personnages quand même et sur l'enchaînement des chapitres.
13:33J'ai vraiment essayé de faire en sorte que ce soit construit comme un roman, c'est-à-dire qu'un chapitre mène à l'autre, qui mène à l'autre, qui mène à l'autre.
13:40Gardons en mémoire ce que m'avait dit mon premier éditeur au Québec, écrivain Yvon Rivard.
13:45Il m'avait dit, paraphrasé Virginia Woolf, trouver une forme, c'est savoir pourquoi une chose vient après une autre.
13:54Ce n'est pas trouver une grande architecture.
13:56C'est vraiment travailler sur l'enchaînement des choses, sur l'organicité dans l'enchaînement des chapitres.
14:02C'est intéressant parce que c'est l'une des choses qu'on sent le plus dans le passage des chapitres.
14:14Chaque fin de chapitre, il y a une espèce de petite annonce.
14:17Au début du chapitre, tu nous fais un petit résumé de ce qui va arriver.
14:22Je me demande, est-ce que les générations futures, nos enfants, vont avoir, s'ils se décident de raconter notre histoire familiale,
14:32est-ce qu'ils vont avoir matière, parce que comme tu traverses trois républiques dans ta famille,
14:39il y a matière romanesque rien que par le fait d'avoir vécu des troubles comme les guerres mondiales, comme 1936.
14:46Est-ce que tu penses qu'ils arriveront à raconter, de cette manière-là, ce qu'on vit actuellement ?
14:51Ta question a bichurqué à un endroit auquel je ne m'attendais pas et qui me terrifie, comme je pense tout le monde dans la salle.
14:59C'est-à-dire cette question de nous, générations.
15:04Là, je parle des gens qui sont nés comme moi dans les années 70-80, qui ont été épargnés par la guerre.
15:10Est-ce qu'on va connaître ça ? J'ai presque envie de sauter à pieds joints par-dessus la question,
15:18parce que je pense qu'on est très impuissants face à ça.
15:21Ce qui m'a fasciné dans le parcours de mes grands-parents, c'est qu'ils ont connu deux guerres,
15:27ils ont connu la faim, ils ont connu des crises économiques.
15:30Nous aussi, on en a connu, mais je pense que c'était sans commune mesure avec ce que moi, rejetant une classe privilégiée, j'ai pu vivre.
15:40Le début de ta question m'a amené à penser un peu autre chose, mais que je trouve intéressant.
15:48C'est la question des traces. Ce récit familial, je l'ai écrit à partir de documents, à partir de traces,
15:54avec la chance d'avoir une famille suffisamment conservatrice pour avoir un album de photos,
15:59un journal de guerre, une correspondance de la Première Guerre mondiale.
16:02J'avais quand même pas mal de matériaux, puis une famille de bavards, des gens qui racontent volontiers leurs histoires.
16:08Depuis enfant, j'écoutais ces choses-là qui étaient dans mon oreille.
16:11Je me suis posé une question, mais je ne l'ai pas inscrite dans le livre.
16:14Quand nos petits-enfants vont vouloir nous raconter, qu'auront-ils entre les mains ?
16:22Et toute cette question des traces numériques.
16:24Comme tout le monde, je fais plein de photos avec mon téléphone cellulaire,
16:27et je me rends compte que ces photos-là vont disparaître avec moi.
16:30De même que tous les livres que j'ai achetés sur liseuse pour des raisons pratiques,
16:34c'est des bibliothèques qu'on ne transmet plus.
16:38Ce qui me fascine, c'est l'abondance de traces de nous-mêmes qu'on laisse.
16:47Certains, moins que moi, ont été plus avisés, mais on laisse des traces très nombreuses sur Internet.
16:53Et en même temps, ces traces-là, je ne suis pas sûr qu'on puisse écrire quoi que ce soit avec,
16:57parce qu'il y a trop.
16:59Dans ma tête, il y a comme un parallèle qui se fait entre les montagnes de déchets qu'on jette,
17:05mais qu'on ne voit pas en fait.
17:07On ne voit pas tous les déchets qu'on produit.
17:09Certains artistes contemporains ont fait des installations où on voit, mais c'est très rare.
17:13Et les traces numériques qu'on laisse, qui risquent de devenir des sortes de déchets,
17:19parce qu'elles vont être stockées quelque part, sont inaccessibles.
17:23C'est aussi pour ça qu'il me paraissait important, précieux, nécessaire,
17:29de raconter ça, qu'on a la chance d'avoir encore.
17:34C'est...
17:36En lisant ton livre, ce que tu disais tout à l'heure, le fait de le lire,
17:40un peu allongé sur son lit, de le bouquiner, c'est vraiment le sentiment que j'ai eu.
17:44Mais ce qui est aussi agréable, à la fin de la lecture, c'est d'avoir...
17:48En le refermant, en se posant la question, justement, de remonter dans sa famille.
17:52Qu'est-ce que nous, on va laisser en termes de matière ?
17:55Et tu as très bien répondu.
17:58Je pense qu'il y a matière, déjà, à écrire un roman d'anticipation.
18:02De ta part.
18:04En fait, il y a une anticipation sur ta vie au Canada.
18:08Et le public, d'ailleurs, québécois, il a appris comment le livre ?
18:14Alors, les quelques lecteurs qui m'ont fait des retours, en fait,
18:20finalement, malgré la différence de rapport à l'histoire avec un grand H,
18:28le rapport aux classes sociales qu'il peut y avoir au Québec,
18:32m'ont fait des retours qui tendaient à montrer qu'ils se reconnaissaient dans l'histoire.
18:38Surtout par le biais du rapport aux grands-parents, en fait.
18:41Donc cette relation-là, je pense que c'est là qu'il y a un point...
18:44Alors, universel, c'est prétentieux, mais un point plus large dans mon texte,
18:49c'est que beaucoup d'entre nous ont eu un rapport fort avec leurs grands-parents
18:54et ont été marqués par les figures grand-parentales.
18:57Et aussi, ce qui m'a rassuré dans la réception québécoise,
18:59c'est que des gens qui n'ont jamais mis des pieds à Lyon ont trouvé ça intéressant.
19:03Le fait de connaître Lyon n'était pas un préalable pour rentrer dans cette histoire-là.
19:10Et ça, quand même, j'y ai pensé en l'écrivant.
19:12Surtout qu'à l'époque, je pensais vraiment naître public au Québec.
19:16Enfin, je rêvais éventuellement que ça arrive en France, mais je n'osais pas y croire.
19:21Donc j'avais quand même eu le souci que quelqu'un qui ne connaisse pas du tout Lyon
19:25puisse quand même parcourir le livre et s'y retrouver.
19:29– Écoute, c'est le cas, parce que complètement parisien,
19:32je n'ai jamais mis les pieds à Lyon, mais en tout cas, ça me donnait envie.
19:35Et la cuisine aussi, parce qu'il y a un passage sur la cuisine,
19:38mais ça me permet de passer aux éditeurs,
19:41et pour aussi bien rebondir sur l'universalisme,
19:45tu es né à Clermont-Ferrand, tu es écrit au Québec,
19:48tes éditeurs vivent à Marseille, tu es dans une librairie parisienne.
19:51Je pense que techniquement, on est quand même sur quelque chose de très universel.
19:56Alors, je m'adresse à vous maintenant, les éditeurs.
19:59La première question est assez simple.
20:01Qu'est-ce qui vous a donné envie de publier le livre de Philippe ?
20:07– Bonsoir.
20:09Alors, il y a un an, le Québec était invité au Salon du livre de Paris.
20:14Ça nous a donné la chance de passer beaucoup de temps avec un autre de nos auteurs,
20:17d'ailleurs à Coche, à Superboxi.
20:19On a fait un très beau roman, « La maison de mon père »,
20:21de rencontrer son éditeur également, les éditions de L'Oréal.
20:23Et puis, on a fait plein de rendez-vous avec de très très belles maisons,
20:27et les éditions Renéac.
20:29Jean-Marie m'a confié avoir lu un de nos livres.
20:35Un auteur français qui s'appelle Christian Astolfi,
20:38qui a écrit un roman inspiré par l'histoire des chantiers navals de la Seine-sur-Mer.
20:41Un livre qui raconte magnifiquement la désindustrialisation,
20:44et quand je dis magnifiquement, il n'y a certainement pas de version magnifique de cette histoire,
20:48mais ce qui est sûr, c'est que Christian l'a fait avec énormément de nuances,
20:53un peu dans une esthétique pointille,
20:55ce qui fait qu'on a vraiment l'impression de pénétrer dans ce monde qui a aujourd'hui disparu,
20:58et de comprendre un peu mieux ce que cet homme faisait là.
21:00Et Jean-Marie me dit, j'ai lu ce texte de « Notre monde emporté » de Christian Astolfi,
21:04et je pense que vous devriez lire « La colline qui travaille » de Philippe Manvie.
21:08Et là, je me dis, il y aurait-il un malentendu possible,
21:11cet homme serait-il en train de penser qu'on compose un catalogue
21:13qui est uniquement dédié à l'histoire ouvrière,
21:16histoire qui me passionne,
21:18mais pour autant, je déteste qu'on enferme un livre dans son sujet,
21:21donc j'ai eu un petit mouvement de recul,
21:23et pour autant, j'avais entendu « La colline qui travaille »,
21:26et moi non plus, Edouard, je connais un peu Lyon, mais très mal,
21:29donc pour moi, « La colline qui travaille », ce n'était pas du tout Croix-Rousse,
21:32c'était juste une image extraordinaire,
21:34je me suis dit, il y a certainement un poète qui se cache dans ce texte,
21:38et donc là, j'ai eu très envie de le lire,
21:40et je suis rentrée, et j'ai découvert l'histoire de cette famille,
21:43qui m'a touchée à de nombreux égards,
21:45mais surtout, qui m'a démontré qu'on pouvait faire un travail
21:48à partir d'archives personnelles, familiales, écrire au jeu,
21:52et puis en même temps, révéler un monde, une histoire sociale, politique,
21:57tout ce pourquoi on a créé le Bruit du Monde, à vrai dire,
22:00donc il n'y a pas eu d'hésitation, tu l'as lu ensuite, tu l'as raconté.
22:05Moi, c'est presque pire que vous deux encore,
22:07parce que je connaissais un peu Lyon,
22:09et je n'avais aucune sympathie pour cette ville,
22:11et on en a parlé avec Thierry l'autre jour,
22:13où ce livre m'a fait aimer,
22:15alors Lyon, c'était un grand mot, mais en tout cas la Croix-Rouge,
22:18mais la force, en fait, de ce livre-là,
22:21on parlait d'universalité dans ce livre-là,
22:23et on en a parlé plusieurs fois au fil de ta tournée,
22:26il y a tellement de portes d'entrée possibles dans ce livre,
22:29que finalement, un peu d'ailleurs,
22:31comme dans les livres de Christian Asselffy dont tu parlais,
22:33il y a Lyon qui est une porte d'entrée, la Croix-Rouge, il y a la famille,
22:36moi, ma porte d'entrée, c'était les grands-parents, très clairement,
22:38et la relation que le narrateur, toi en l'occurrence,
22:42avait et a encore avec ses grands-parents,
22:45il y a l'histoire du XXe siècle, il y a l'histoire ouvrière,
22:48il y a tellement de choses que forcément, on y trouve son compte, je crois.
22:52Et puis, il y a surtout, quand on ouvre ce livre,
22:56on ouvre la porte d'un monde,
22:58et ça, c'est un peu ce qu'on cherche,
23:02c'est un bruit du monde.
23:04Et c'est beau.
23:06Justement, parlons des origines de la maison d'édition,
23:09pourquoi la dénomination de Bruit du Monde,
23:12et en quoi elle reflète votre vocation d'éditeur ?
23:18Alors, la maison, on l'a créée il y a 4 ans, bientôt,
23:21tout bientôt d'ailleurs, le 17 mars 2021.
23:24On travaillait dans l'édition depuis longtemps,
23:27et on travaillait dans une grande maison,
23:29qui fait un travail magnifique,
23:31et qui publie beaucoup de livres.
23:33Et c'est vrai que finalement, l'instinct,
23:35ça a peut-être été d'abord de dessiner quelque chose de neuf,
23:38c'est forcément excitant d'écrire sur une page blanche,
23:41et on doit à quelqu'un qui travaillait pour un groupe,
23:44d'avoir cru en notre projet.
23:46Mais nous, notre idée, c'était effectivement
23:49d'aller chercher ce Bruit du Monde,
23:51de le capturer, je dirais.
23:53C'est un peu effrayant, mais de le donner en temps,
23:56surtout, et de l'accueillir.
23:59Et ça, à raison d'une dizaine de livres par an, pas plus.
24:03Avec le pari que si les auteurs étrangers
24:06seraient très bienvenus,
24:08on était sûres de rencontrer des auteurs français
24:11qui, eux, auraient cette dimension universelle.
24:14Et c'est drôle, parce qu'au début,
24:17quand on a parlé de la maison,
24:19peut-être aussi moi, j'en suis l'éditrice,
24:21Adrien, on assure la direction commerciale,
24:23Marie, on fait plein de choses, tous les deux,
24:25dans une toute petite maison comme la nôtre,
24:27vous imaginez que les fonctions ne sont pas très bien délimitées.
24:30Mais en tout cas, c'est sûr que j'avais travaillé
24:32pendant 20 ans en littérature étrangère.
24:34Donc, peut-être, c'était aussi ce qui poussait un peu
24:37les personnes du milieu à penser que cette maison
24:40aurait principalement des traductions.
24:42Et puis, Christian Astolfi a été la première rencontre
24:45marquante avec ce roman, « De notre monde emporté »,
24:48qui a eu l'œil de la perderie à la rentrée dernière.
24:51Mais, l'année dernière, en 2024,
24:55on a eu la chance de publier un auteur français
24:57qui s'était passionné pour l'histoire de l'Estonie
24:59et qui a exhumé une archive fascinante.
25:01En septembre 1944, quelques Estoniens ont cru possible
25:04de rebâtir l'indépendance de leur pays.
25:06Et, en fait, il a été littéralement révélé, le roman, dans l'archive.
25:09Donc, lui, finalement, il n'a rien inventé,
25:11à part peut-être un personnage,
25:14mais qui est quand même tiré d'une correspondance.
25:17Et ça a été tellement extraordinaire de publier ce livre
25:21qui, à la fois, plonge dans les archives estoniennes,
25:25mais en même temps, lui donne une dimension
25:27tout à fait universelle aussi.
25:28Parce que, finalement, on ne peut pas lire ce roman
25:30sans penser à ce qui se passe aujourd'hui, là-bas, encore.
25:33Mais, quand on réalisait des épreuves,
25:35on était au lendemain du 7 octobre,
25:37et en même temps, finalement, c'est l'histoire
25:39de tout territoire qui est pris par la violence et la guerre
25:43et de la manière dont les individus réagissent
25:45pour ces moments-là, finalement, quand est-ce qu'on doit partir.
25:47Donc, ce livre a été retraduit à travers les Estoniens
25:51et a été vraiment salué par les Estoniens.
25:53Ça, c'est peut-être ce qui nous a le plus touchés,
25:55et l'auteur le premier.
25:58Voilà.
25:59En tout cas, le bruit du monde,
26:03il y a eu cette idée du monde, d'abord.
26:07Et puis, on peinait un peu à trouver le mot
26:11qui résumerait tout.
26:13Et le fait que ce soit un singulier
26:15qui comporte finalement tant de pluriels,
26:17il me ressemblait très fort.
26:18Et du coup, j'ai l'impression qu'il suggère beaucoup plus
26:20qu'il ne décrit, en fait, le thème.
26:23Et puis, il y a un point important dans l'histoire de cette maison,
26:26c'est que la maison n'est pas basée à Paris.
26:28Ça, c'est un vrai choix.
26:30Et que tant qu'on n'avait pas eu l'idée de Marseille,
26:33il manquait clairement quelque chose d'adaptation.
26:35Et non pas qu'on...
26:37Enfin, on n'est pas du tout partis fâcher Paris,
26:39ni avec ce qu'on y a fait pendant des années.
26:41C'était formidable.
26:42Mais on avait vraiment besoin, je pense,
26:45d'expérimenter en quelque sorte
26:48un autre poste d'observation sur le monde,
26:51de faire un peu un pas de côté,
26:55sans être persuadé, je dirais, au départ,
26:58que vraiment ça allait tout changer.
27:00Et le résultat, c'est que seulement quatre ans après,
27:02ça change déjà tout
27:04dans la teneur des livres qu'on publie.
27:08On a quelques auteurs marseillais,
27:11quelques-uns qui sont étrangers, mais qui vivent à Marseille.
27:15Et puis, il y a une vraie empreinte méditerranéenne
27:19aussi dans le catalogue.
27:20Ce n'est pas que ça, loin de là, mais quand même.
27:22C'est une vraie empreinte.
27:23On s'est rendu compte il n'y a pas si longtemps
27:25qu'il y avait beaucoup de bateaux et beaucoup de mer
27:27sur nos couvertures aussi.
27:29Donc, cette carte-là, Marseille,
27:31elle est assez fondamentale dans le projet, quand même.
27:35Si elle permettait de nous démarquer dès le début,
27:37je pense qu'avec le temps,
27:41ça confirme ce sentiment et cette intuition du départ.
27:44Après, à Marseille, vous avez la chance d'avoir beaucoup de Parisiens,
27:47donc on peut ouvrir des pays d'immense.
27:49C'est quand même assez...
27:52Ils sont venus vous encourager.
27:55D'un point de vue de librairie,
27:57le monde du livre change beaucoup.
28:00Est-ce que quand on crée une maison d'édition,
28:02comment on s'assure de suivre le changement
28:06tout en restant sur les valeurs qu'elle a
28:10de publier que 10 livres par an, etc.?
28:14Comment est-ce qu'on arrive à rester là-dedans,
28:16étant donné que vous êtes une jeune maison?
28:19Oui, le monde du livre change.
28:23C'est quelque chose qu'on essaie d'anticiper,
28:25mais en réalité, on est tous très forts à la fin
28:27pour analyser ce qui s'est passé.
28:29Mais pour l'anticiper, c'est quand même un peu plus compliqué.
28:31Quand on a visé juste, on se félicite.
28:33Quand on est passé à côté, on ne dit rien à personne.
28:36En tout cas, nous, ce qui est sûr,
28:38c'est qu'on avait une philosophie
28:40qui consistait à publier peu.
28:43Il y a plein de façons de faire différentes.
28:45Encore une fois, il ne s'agit pas de dire
28:47qu'il y a une façon qui est meilleure que l'autre.
28:49En tout cas, celle que nous, on voulait expérimenter,
28:51c'était de publier moins de 15 livres par an.
28:54Parce qu'on est une équipe de 4 personnes à Marseille
28:57et qu'il nous semblait que si on en publiait plus,
28:59on ne pourrait pas les défendre convenablement.
29:01Or, quand vous signez un contrat d'édition
29:04avec un auteur qui a bossé 1 an, 2 ans, 5 ans,
29:07des fois 15 ans sur un texte,
29:09c'est quand même un sacré pacte.
29:11C'est-à-dire qu'il vous confie le fruit
29:13de plusieurs années de travail.
29:15Et c'est compliqué de se dire
29:17qu'on ne va pas essayer, nous, en retour,
29:19d'actionner tous les leviers possibles
29:21pour en faire un succès.
29:23Et on sait tous, vraiment, que même actionner
29:25tous les leviers, c'est une condition nécessaire
29:27mais pas du tout suffisante.
29:29C'est-à-dire qu'on peut tout se faire.
29:31L'auteur peut faire un texte formidable.
29:33La maison peut faire un boulot formidable.
29:35La diffusion, parce qu'on a un représentant
29:37de la diffusion ce soir qui est là,
29:39peut faire un boulot formidable.
29:41Les libraires peuvent faire un boulot formidable.
29:43C'est-à-dire qu'on peut faire un texte sans bon,
29:45sans avoir marché.
29:47Je ne sais pas si c'était le cas il y a 20 ans
29:49mais en fait, aujourd'hui, ça ne fonctionne pas.
29:51Donc, il y a tellement de choses à actionner
29:53qu'on ne sait pas...
29:55On s'est dit que le minimum
29:57qu'on se devait pour ce projet-là,
29:59c'était vraiment d'essayer de faire le maximum,
30:01pour le coup.
30:03Alors, ça ne marche pas à tous les coups,
30:05même en faisant 12 à 15 livres par an.
30:07Mais on essaie de faire la même chose
30:09à chaque fois, de remettre...
30:11Quand on publie la colonne
30:13qui travaille en janvier,
30:15et que ça marche, parce que là, ça a marché,
30:17et puis après, en février, vous republiez
30:19deux livres, si vous ne refaites pas
30:21exactement le même travail, ça ne marchera pas.
30:23Parce que le succès de janvier ne vous garantit
30:25absolument rien pour février.
30:27C'est une remise en cause permanente.
30:29On ne défend pas les livres de la même façon.
30:31On essaie d'avoir, en publiant 12 livres,
30:33d'avoir un peu une stratégie
30:35différente pour chacun des 12 livres.
30:37Et ça, c'est une vraie différence,
30:39par rapport à des maisons
30:41qui publient beaucoup plus.
30:43Je suis très content de vous avoir entendu
30:45dire ça, parce que c'est
30:47quelque chose qu'en librairie,
30:49on ressent beaucoup, et quand on voit
30:51la qualité de Mathieu Philippe,
30:53parce que, vraiment, c'est agréable
30:55d'avoir un livre qui est porté
30:57par ses éditeurs, mais surtout,
30:59on sent que le travail était...
31:01Allé jusqu'au bout,
31:03que le livre est fini, que vous y avez
31:05émué beaucoup de vous,
31:07et ça se voit
31:09quand on échange avec les lecteurs.
31:11Et en tant que libraire, c'est vraiment
31:13agréable d'avoir un livre qui
31:15utilise le romanesque, qui utilise aussi
31:17les quelques codes de l'autofiction,
31:19et qui arrive à quelque chose
31:21de bien et d'agréable.
31:23Et ça, c'est...
31:25Je peux dire un petit truc ?
31:27Juste comme témoin du travail de
31:29Adrien et Marie-Pierre, et comme aussi
31:31le lecteur qui commence à découvrir
31:33votre catalogue. Ce qui est super au Brouillard du Monde,
31:35c'est qu'ils essaient de créer une maison,
31:37vraiment au sens même concrétin, parce que je suis allé dormir
31:39dans les locaux de la Maison d'édition et tout ça.
31:41Donc, ils accueillent les auteurs et ils font en sorte que
31:43les auteurs se rencontrent entre eux. Donc, j'ai eu la chance de rencontrer
31:45Christian Astolfi, Rémi Baille,
31:47Alexandre Lacerras, la semaine dernière,
31:49et de commencer
31:51à lire le catalogue. Et en fait,
31:53vraiment, enfin...
31:55Je vais avoir l'air vendu à la cause, mais c'est vraiment
31:57vrai. Je pense que
31:59n'importe quel livre publié par le Brouillard du Monde,
32:01vos choix sont tellement
32:03réfléchis, pensés,
32:05précis, que vous allez forcément
32:07y trouver quelque chose.
32:09Et moi, je suis...
32:11À chaque fois, tous les livres que j'ai ouverts pour l'instant,
32:13que j'ai ouverts, que j'ai lus, évidemment,
32:15m'ont importé et m'ont
32:17séduit. Enfin, il y a une chose que je retrouve,
32:19parce qu'on s'est dit des choses la semaine dernière. On s'est dit qu'il y avait
32:21souvent la question du lieu, de l'incarnation,
32:23une certaine tendresse
32:25dans le regard, traiter différemment, etc.
32:27Et là, ce que je remarque
32:29aussi, c'est votre attention à l'écriture.
32:31C'est-à-dire que tous les livres
32:33que j'ai lus, ils ont une écriture
32:35particulière et
32:37singulière,
32:39mais toujours hyper travaillée.
32:41Il n'y a rien qui soit juste
32:43pour le sujet. Non, mais vraiment,
32:45là, je viens de finir
32:47Marion Lejeune, L'Escale.
32:49Waouh ! C'est, voilà, mais Rébi Baille, pareil.
32:51C'est des livres d'un style
32:53incroyable.
32:55Oui, et je voulais aussi
32:57témoigner du fait que l'énergie qu'ils déploient
32:59pour défendre leurs bouquins, c'est incroyable.
33:01Enfin, c'est 7 jours sur 7,
33:037 jours par semaine.
33:05Non, c'est un truc, c'est l'œuvre
33:07unique.
33:09Non, mais c'est
33:11agréable de voir cette relation
33:13auteur-éditeur.
33:15C'est de voir
33:17que c'est porté. Du coup, je me
33:19demande qu'est-ce que je peux vous souhaiter
33:21à tous les trois, peut-être pas, mais
33:23à tous les deux et à toi, Philippe.
33:25Je ne sais pas,
33:27de venir fêter les 10 ans par quelques années
33:29à l'épisode.
33:39Eh bien, on peut les remercier.
33:41Merci à vous. Merci d'être là.
33:43Est-ce que je peux dire un tout petit truc ?
33:45C'est hyper émouvant pour moi parce que,
33:47en fait, dans le public, il y a des strates de ma vie
33:49qui s'accumulent. Donc,
33:51j'ai d'anciens professeurs, maîtres de stage,
33:53étudiants que j'ai eus, amis
33:55de très longue date, de dates plus récentes.
33:57C'est assez incroyable de vous voir
33:59face à moi et je suis hyper ému.
34:01Et des gens que j'ai connus sur...
34:03Johanny Rigoulot, écrivain
34:05ici présente, qu'on s'est connus sur Facebook,
34:07qu'on ne s'est jamais rencontrés. Mais je suis
34:09très content que vous soyez là. Je suis hyper ému.
34:11Vraiment, waouh.
34:23Oui. Est-ce que vous avez des questions
34:25dans le public ?
34:29J'ai peut-être une question.
34:31On est passé rapidement sur le fait que vous soyez
34:33enseignant. Ça peut être
34:35une passerelle un peu naturelle de l'enseignement du
34:37français à l'écriture. Or, finalement,
34:39elle est assez peu.
34:41A quel moment cette activité,
34:43vous considérez qu'elle vous sert dans votre
34:45projet de création ?
34:47A quel moment elle vous dessert ?
34:49Et aussi, je crois savoir vous enseigner le théâtre.
34:51Ça m'intéresse aussi de savoir en quoi
34:53cette connaissance
34:55de l'univers théâtral peut nourrir
34:57votre travail romanesque.
34:59Alors...
35:01Ah oui, pardon. En fait,
35:03j'ai l'impression, je ne sais pas si je me trompe,
35:05que l'idée
35:07qu'enseigner le français et
35:09écrire sont
35:11antinomiques ou conflictuels,
35:13c'est une idée qui est très française.
35:15Et qui est très liée
35:17à un pays où les hiérarchies littéraires
35:19sont très fortes et où peut-être
35:21l'image de l'enseignement n'est pas très positive
35:23ou s'est dégradée.
35:25Les deux ensembles font qu'en tant que prof,
35:27on ne se sent pas légitime pour écrire.
35:29Et
35:31les grands modèles littéraires pèsent.
35:33Là, je fais la comparaison avec le Québec,
35:35où ce discours-là
35:37n'est vraiment pas répandu du tout.
35:39Il y a beaucoup d'écrivains-profs
35:41au Québec. C'est vraiment... Enfin, écrivains-profs de
35:43CEGEP, qui est l'équivalent du lycée au Québec,
35:45c'est, je pense, la condition du monde
35:47la mieux partagée.
35:49Pour des raisons pratiques,
35:51parce que c'est un des métiers qui permet quand même d'avoir
35:53un peu de temps pour écrire pendant les vacances,
35:55mais un certain confort matériel aussi.
35:57Mais aussi, en dehors de cet
35:59aspect pratique, je pense qu'il y a vraiment au Québec
36:01l'idée que
36:03connaître très bien quelque chose,
36:05voir, le théoriser,
36:07etc., n'est pas un obstacle au fait
36:09de le pratiquer, bien au contraire.
36:11Et c'est vrai qu'en fait, si on pense à d'autres métiers,
36:13on se dit, oui, savoir comment on fabrique une table,
36:15il vaut mieux, en fait, avant d'en faire une.
36:17Donc, voilà.
36:21Et donc, actuellement,
36:23comme j'enseigne au Québec, ça m'aide
36:25plutôt, en fait. Et notamment,
36:27ça m'aide, je pense, à mieux enseigner.
36:29Alors déjà, parce que les élèves m'écoutent un peu
36:31plus, parce qu'ils ont l'impression que je sais de quoi je parle.
36:33C'est vrai, depuis
36:35qu'ils savent que je publie, ils ont quand même
36:37une espèce d'aura que je n'avais pas avant.
36:39Voilà, c'est ça. Donc,
36:41j'en profite. Ils me disent, ah oui, je sais, très bien.
36:43Du coup, voilà, l'éternelle question qu'on a
36:45quand on est prof, c'est, est-ce que vous êtes sûr qu'il y ait Victor Hugo ?
36:47Il a vraiment voulu faire une diérèse à cet endroit-là.
36:49Je dis, oui, je sais très bien. Et puis d'ailleurs, moi,
36:51si j'avais écrit ce poème, je l'aurais fait aussi. Et comme ça,
36:53j'évacue le truc hyper vite, parce que la question
36:55n'est pas hyper intéressante.
36:57Non, non, mais parce que, voilà, la question,
36:59est-ce qu'il a vraiment voulu le faire ? Ben non, on s'en fiche. En fait,
37:01c'est là et on le voit. Et puis,
37:03on ne va pas leur dire qu'on s'en fiche, parce qu'on ne va pas se dire
37:05qu'on suit Victor Hugo.
37:14Mais j'ai écouté récemment
37:16une entrevue de Marie-Anne Lafon,
37:18qui parlait de son métier de prof,
37:20et elle disait que c'était un couteau tiré
37:22avec l'enseignement. Et je pense qu'elle a raison d'écrire
37:24et d'enseigner. On a toujours l'impression,
37:26moi, c'est l'impression que j'ai, c'est comme d'être
37:28le parent de deux enfants et d'en sacrifier
37:30toujours un pour l'autre.
37:32Non, toi, je te laisse là, je ne m'occupe pas de toi,
37:34donc toi, je ne m'occupe pas de toi, attends-moi, non, attends,
37:36etc. Donc c'est quand même très conflictuel.
37:40Et le théâtre,
37:42dans mon cas, moi, pour l'instant,
37:44ça rajoute plutôt de la complexité
37:46à l'équation. C'est-à-dire que pour moi,
37:48il n'y a aucun rapport en ce moment
37:50entre ce que j'écris et le théâtre,
37:52parce que je suis très incapable d'écrire du bon théâtre,
37:54déjà.
37:56J'ai fait des tentatives, ce n'était pas très réussi.
37:58Et parce que,
38:00déjà, être prof de français,
38:02être prof de théâtre, c'est super,
38:04moi, j'adore ça, mais
38:06ça ne va pas forcément ensemble.
38:08Et le théâtre prend un temps
38:10incroyable, et en même temps, c'est un bonheur incroyable,
38:12mais comme je l'expliquais, il faut leur trouver
38:14des chaussures, il faut leur trouver des pantalons,
38:16ils n'ont que des baskets, et quand il faut qu'ils jouent des adultes,
38:18ben non, il leur faut des chaussures de ville.
38:20C'est quoi, des chaussures de ville ?
38:22Est-ce que tu mettrais un mariage ? Ben non, un mariage, j'y vais en basket.
38:24Bon, d'accord.
38:28Et par contre, moi, je rêve un jour, peut-être,
38:30de décrire
38:32un truc qui se passerait dans le monde du théâtre,
38:34parce que je pense que c'est un super sujet,
38:36un livre qui se passe dans le monde du théâtre.
38:38C'est une relation qui se passe,
38:40et la perspective de monter une pièce,
38:42c'est un truc super fort.
38:44Mais pour l'instant,
38:46c'est un troisième enfant dont je m'occupe,
38:48en laissant les deux autres
38:50se débrouiller, et puis c'est ça.
38:58Est-ce qu'il y a une autre question ?
39:02Sur la suite,
39:04tu as raconté la famille de ta mère,
39:06est-ce que tu vas raconter la famille de ta mère ?
39:08Oui, je ne vais pas le laisser tout seul.
39:10Non, en fait,
39:12aussi, ce qui s'est passé, c'est que
39:14la première version
39:16de ce qui est « Devenue un coin qui travaille »
39:18était un livre où il y avait mes quatre grands-parents.
39:20Parce que ce que je voulais, c'était explorer
39:22deux Frances conflictuelles, sachant, pour le dire très vite,
39:24que je viens à la fois de cette France ouvrière et lyonnaise
39:26du côté de ma mère, et du côté de mon père,
39:28d'une France paysanne devenue bourgeoise.
39:30Donc, fils de paysan, mon grand-père,
39:32devenu notaire.
39:34Et donc, j'avais écrit sur les quatre,
39:36mais ça a pris des proportions telles que, voilà,
39:38personne n'allait publier un livre de 600 pages là-dessus.
39:40Et puis surtout, il fallait qu'il y ait une unité
39:42quand même là-dedans,
39:44et donc qu'il y aurait un manuscrit plus
39:46sur la montagne
39:48qui prie, mais ça ne s'appellera pas comme ça,
39:50rassurez-vous.
39:52C'est inexclu, là.
39:54Il y a déjà une suite.
39:56Non, mais je ne sais pas.
39:58C'est sûr que mon pauvre père,
40:00je ne vais pas le laisser tout seul sans lire.
40:04Bon, alors, merci.
40:06Et nous allons pouvoir
40:08aller au milieu de la librairie pour faire signer notre livre.
40:10Merci à tous.
40:12Merci.

Recommandations