Hélène Donnadieu, chef du service addictologie au CHU de Montpellier, est favorable à la dépénalisation et à la légalisation du cannabis.
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00:00 France Bleu Héro, vendredi 22 septembre, il est 8h moins le quart, on parle de cannabis ce matin avec la question du jour pour lutter contre les trafics de drogue.
00:08 Faut-il dépénaliser le cannabis ? Appelez-nous pour participer au débat 04 67 58 6000.
00:14 On en parle tout de suite avec notre invitée Hélène Donadieu, chef du service addictologie au CHU de Montpellier. Claire Moutard.
00:21 Oui bonjour Hélène Donadieu. Bonjour. Vous êtes favorable à la dépénalisation du cannabis et même à la légalisation du cannabis et ce n'est pas anodin.
00:31 En tant que professionnelle de santé, pourquoi ? Alors pour plein de raisons que vous avez pu lire récemment dans la presse.
00:39 Effectivement, on vous a lue dans la gazette de Montpellier pour être parfaitement transparente.
00:43 La première chose, elle est symbolique, comme je vous disais, c'est que quand il s'agit d'un usage récréatif d'une drogue, on peut estimer que c'est l'espace de liberté d'une personne
00:55 de choisir à un moment donné de prendre une substance qui va modifier ses perceptions. Et là, il prend des risques pour lui-même, mais les conséquences sociétales ne sont pas si majeures que ça.
01:07 Et quand une personne en revanche a perdu le contrôle de ses consommations et qu'elle n'arrive plus à gérer ça, il s'agit d'une maladie, d'une addiction.
01:15 Et à ce moment-là, je trouve déplorable que nous vivions dans un pays où on punit, où on pénalise une maladie chronique.
01:22 Donc ça c'est vraiment sur le plan symbolique de ma place de médecin que j'ai cet avis-là.
01:27 Ensuite, il y a eu quand même de nombreuses expérimentations qui ont été faites dans différents États, en Amérique du Nord, mais également en Europe.
01:37 - En Portugal, non ? - Exactement.
01:39 Sur le fait qu'on sait à quel point on modifie la qualité de la substance qui va être vendue, notamment le cannabis, ou en tout cas qu'on tente de la réguler.
01:51 Que le fait que l'accès soit facilité pour les personnes qui seraient en âge et autorisées d'en acheter pour leurs propres usages,
02:00 ça peut être un lieu aussi d'accès aux soins, de discussion, de prévention, de réduction des risques.
02:07 Et puis ça permet quand même de limiter chez certaines personnes le rapport qu'ils vont avoir avec des vendeurs de drogue
02:14 qui seraient susceptibles de leur vendre autre chose que du cannabis.
02:19 Donc régulation des flux de manière beaucoup plus légale, régulation de la qualité du produit et accès aux soins facilité.
02:28 - Un million de consommateurs réguliers, c'est-à-dire qui fument au moins un joint par jour en France,
02:33 un tiers des jeunes de 17 ans qui disent avoir déjà fumé du cannabis, est-ce que vous considérez vous en tant que professionnel de santé
02:38 que c'est un problème de santé publique aujourd'hui ? La consommation du cannabis en France ?
02:43 - C'est un problème de santé publique moins important que celui de la consommation d'alcool et de tabac en termes de mort d'immortalité.
02:50 Donc évidemment que c'est un problème de santé publique.
02:53 Quand on parle d'usage régulier, c'est 10 fois par mois.
02:56 C'est pas tous les jours, sinon c'est un usage quotidien, donc ça permet quand même de voir effectivement
03:02 qu'il y a des personnes qui consomment de manière régulière du cannabis, ils n'ont pas tous un usage problématique.
03:07 C'est pour ceux qui ont un usage problématique, un véritable problème de santé avec des conséquences personnelles,
03:15 psychologiques, sociales, professionnelles, familiales, et c'est pour ça que favoriser leur accès aux soins
03:23 plutôt qu'avoir une action strictement répressive me paraîtrait plus adapté dans un pays civilisé.
03:28 - Vous comparez l'addiction au cannabis au diabète par exemple ?
03:33 - Non, l'addiction est une maladie chronique, donc je peux la comparer à toutes les maladies chroniques.
03:39 Le diabète, l'hypertension artérielle, des tas de maladies chroniques ou des substances extérieures
03:46 peuvent aggraver la maladie. L'addiction c'est la même chose.
03:50 - Est-ce que c'est difficile à assumer, est-ce que votre position est difficile à assumer
03:55 dans un pays qui a choisi la fermeté sur cette question du cannabis ?
04:01 - Pour ma part je trouve que c'est pas du tout difficile à assumer, la preuve je suis là ce matin.
04:09 Je trouve que c'est difficile peut-être le manque d'écoute qu'on peut avoir auprès des décideurs
04:16 sur cette thématique-là, parce que je ne suis pas la seule à prôner ce genre de choses et à avoir ce discours-là.
04:22 Nous sommes nombreux en France en tant qu'adictologues d'avoir ce discours.
04:26 Je ne suis pas sûre qu'on fasse partie des discussions ni que notre voix soit écoutée.
04:31 Donc ça, et c'est pas que pour le cannabis, c'est pour l'ensemble des régulations des substances psychoactives en France.
04:38 Donc ça je trouve que c'est dommageable que les professionnels qui accompagnent les usagers
04:44 ne soient pas écoutés, entendus, et que quand on fait des études épidémiologiques,
04:49 quand on va chercher des études dans les autres pays sur le plan scientifique
04:53 et qu'on apporte des arguments, on ne soit pas écouté par les décideurs pour des raisons probablement strictement électoralistes.
05:00 Ça je trouve ça dommageable, mais à titre personnel ça ne m'est pas du tout difficile de défendre cette position.
05:06 - C'est intéressant ce que vous dites à plus d'un titre, mais c'est vrai que la France fait partie,
05:11 est assez isolée finalement en Europe aujourd'hui dans sa position de fermeté.
05:17 On a parlé du Portugal qui dépénalise depuis 20 ans, l'Allemagne va s'y mettre en 2024.
05:22 - Oui, on est très isolé quand on regarde une carte et si on mettait des couleurs sur les pays qui ont dépénalisé,
05:30 sur des pays qui ont légalisé, si on mettait usage récréatif, usage médical notamment,
05:37 on s'apercevrait à quel point on est probablement le seul pays qui a une couleur
05:41 où il n'y a pas grand chose de tout ça qui est autorisé.
05:45 Avec plutôt parallèlement à ça une augmentation des messages de répression.
05:53 - Oui, vis-à-vis des consommateurs, vous en pensez quoi ?
05:57 - Exactement, on continue à accuser les consommateurs, on continue à augmenter les discours accusateurs et jugeants sur les consommateurs.
06:08 Et ce n'est pas quelque chose qui fonctionne dans l'accompagnement aux soins,
06:12 c'est plutôt la bienveillance des discours d'accompagnement et de réduction des risques qui fonctionnent et ça c'est un peu dommageable.
06:19 - Alors on a lancé une consultation sur notre appli ici, ICI, êtes-vous pour ou contre la dépénalisation du cannabis ?
06:26 Et ceux qui ont répondu, alors ça n'a pas valeur de sondage, on est bien d'accord, disent non,
06:32 on est contre la dépénalisation du cannabis à 63% donc c'est important.
06:38 Vous réagissez comment justement à ça ?
06:41 - Je réagis par le fait que probablement il y a un discours en France qui est monopolaire,
06:48 sur les discours qu'on entend le plus sur pourquoi il ne faudrait pas légaliser ou dépénaliser
06:55 et qu'il y a peu de discours à part ce matin et je vous en remercie, et peu d'argumentaires.
07:00 - Et vous comprenez cette position à 63% ?
07:03 - Alors 63% ça me paraît beaucoup, peut-être qu'il faudrait voir le profil des personnes qui ont répondu,
07:08 mais je pense que la majeure partie de ces personnes, et là je pense que ça vaudra le coup de faire un jour de la pédagogie là-dessus,
07:14 ont peur pour la jeunesse.
07:16 Et je crois qu'il faut qu'ils entendent que les addictologues qui prônent la légalisation ou la dépénalisation
07:24 sont totalement conscients du fléau que cela représente le cannabis chez les jeunes.
07:29 Et que s'il s'agit de dépénaliser ou de légaliser, c'est absolument pas pour amener les plus jeunes à consommer.
07:36 - Merci Hélène Donadieu, je crois qu'on va accueillir justement une auditrice, Isabelle.
07:42 Isabelle qui habite à 7, qui nous a appelé au 04 67 58 6000, n'hésitez pas à appeler.
07:49 Bonjour Isabelle !
07:50 - Bonjour !
07:51 - Alors vous vous dites que vous êtes pour la dépénalisation du cannabis, c'est ça ?
07:56 - Alors moi j'étais à 100% pour.
07:59 - Vous étiez ?
08:00 - Voilà, mais je me pose des questions. Je rentre du Canada, je rentre avant-hier du Canada,
08:06 où la dépénalisation a été effective il y a quelques années.
08:11 J'étais à Ottawa, j'ai passé quelques temps à Ottawa, et je vous avoue que je suis assez dubitative.
08:18 Alors d'une part parce que dans la rue, partout, partout, partout, on sent...
08:24 Je ne connais pas les termes, je n'ai jamais pris de cannabis de ma vie,
08:28 mais la weed, ce que les jeunes appellent la weed, c'est épouvantable comme odeur.
08:33 Ça c'est pas le pire.
08:35 - Ça y est, il y a Montpellier.
08:36 - Oui, c'est vrai.
08:38 - Ça sent pareil dans les rues de l'écusse.
08:40 - Voilà. Mais surtout, la nature ayant horreur du vide,
08:46 les gens qui avant faisaient le trafic de...
08:51 - De cannabis.
08:52 - De cannabis, alors, sont passés à l'étape supérieure.
08:55 Il faut bien qu'ils travaillent ces gens-là.
08:57 Il faut bien qu'ils aient du travail.
09:02 - Donc finalement, vous dites le trafic qui était lié au cannabis,
09:06 maintenant c'est un trafic qui est...
09:08 - Alors c'est vraiment l'étape au-dessus.
09:11 Donc vous voyez des gens dans la rue se mettre dans le nez des rails de coke,
09:17 se piquer carrément dans la rue, devant vous,
09:22 se faire des intraveineuses d'héroïne.
09:28 - Merci Isabelle, je crois qu'on a bien compris.
09:30 J'ai envie d'avoir la réaction d'Hélène Donat-Dieu. Est-ce qu'on entend ?
09:34 - Alors, la crainte que les personnes qui fassent du marché noir de cannabis
09:40 changent de substance quand on légalise le cannabis,
09:45 elle n'est pas totalement fondée,
09:48 parce que les personnes qui vendent actuellement et de façon importante du cannabis
09:51 ont déjà les autres substances dans la poche,
09:54 et ont tout à fait la possibilité de donner cette offre de drogue aux personnes qu'ils rencontrent.
10:01 En ce qui concerne les personnes qui seraient susceptibles de s'injecter
10:06 ou de prendre des traces de cocaïne dans la rue de façon visible,
10:11 objectivement, j'ai un oeil un peu aguerri en étant addictologue,
10:15 je l'ai déjà vu à Montpellier également,
10:17 il y a certains quartiers de la ville de Montpellier où c'est déjà le cas.
10:21 Et qu'on est dans une ville où c'est pénalisé et bien pénalisé.
10:25 Donc je ne suis pas certaine de ça,
10:28 si ce n'est que probablement vous avez eu une attention particulière,
10:31 que cette attention-là, je l'espère en France aussi,
10:35 qu'elle existe déjà cette situation,
10:37 et que justement ça montre à quel point il faut amener du soin et pas sur le mode répressif.
10:44 - Merci Hélène Donatdieu.
10:46 On va écouter Magali, qui nous appelle de Montpellier.
10:49 Bonjour Magali.
10:50 - Oui bonjour.
10:52 Je rejoins le propos de la précédente auditeuse.
10:55 - Isabelle.
10:56 - Oui, le fentanyl à Montréal, à Ottawa, c'est un fléau.
11:01 C'est un fléau complet.
11:03 Donc effectivement...
11:05 - Le fentanyl c'est un opioïde, c'est ça ?
11:08 - C'est une substance chimique très peu chère et très facile à fabriquer,
11:13 qui a des effets délétères terribles.
11:16 Ça ne fera pas baisser la délinquance de légaliser le commerce du cannabis,
11:21 votre intervenante l'a dit, parce que d'autres substances seront vendues.
11:25 La délinquance c'est lié à la misère, c'est lié à toute autre chose.
11:28 Et je pense que l'addiction à l'alcool, à la drogue, etc.
11:32 C'est lié à un mal-être.
11:35 Et c'est pas en autorisant les gens à se soulager qu'on soigne les vrais problèmes.
11:40 Voilà, donc je pense que dans le fond, un vrai politique,
11:44 il devrait s'attaquer à la misère morale des gens.
11:46 Alors c'est peut-être utopique, mais il faut viser toujours cette espèce d'objectif haut
11:52 pour éviter que l'on sombre dans le fait qu'on peut tout avoir,
11:58 qu'on peut se droguer, qu'on peut éviter, oublier, mais on s'en sort pas.
12:02 C'est pas une solution, c'est vraiment pas une solution.
12:05 Le soin, on doit l'apporter, mais c'est pas en le légalisant qu'on doit l'apporter.
12:09 C'est en accueillant les gens qui sont drogués.
12:13 Ils n'ont pas besoin de pouvoir consommer très librement pour pouvoir aller se soigner.
12:18 On ne règle pas le problème, vous voyez ?
12:20 Merci Magali, vous en dites quoi de ça Hélène ? Donne adieu.
12:23 Alors pour la première partie de l'intervention de Madame,
12:27 je pense que vraiment la crise des opioïdes aux Etats-Unis n'a rien à voir avec la légalisation du cannabis
12:33 et que c'est bien plus problématique que ça et qu'il ne faut pas confondre ces deux événements.
12:38 Sur sa deuxième intervention, je suis totalement d'accord pour dire que sur le plan épidémiologique,
12:44 le fait d'avoir une addiction et d'avoir une souffrance vis-à-vis d'une substance
12:49 et de ne pas pouvoir la contrôler, ça peut être totalement associé, comorbide
12:54 ou la conséquence d'un mal-être psychologique, social, etc.
12:59 Donc sur la deuxième partie de son intervention, je suis totalement d'accord.
13:03 Je ne pense pas que ce soit antagoniste avec le fait de vouloir dépénaliser ou légaliser
13:08 pour que les personnes accèdent aux soins.
13:10 Et moi je prône le fait que les personnes puissent accéder aux soins
13:13 et n'aient pas peur de venir aux soins parce que leur attitude est pénale.
13:17 Merci beaucoup Hélène Donadieu, chef du service d'addictologie au CHU de Montpellier.
13:22 Merci d'avoir participé et nourri, alimenté et donné des arguments
13:27 autour de cette question de la dépénalisation du cannabis.
13:30 Très bonne journée à vous.
13:31 Merci beaucoup, bonne journée.