Est-ce que les entretiens politiques intéressent encore le grand public ?

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Il semble très loin le temps de 7/7 où un invité politique était interrogé en face à face pendant une heure le dimanche soir sur TF1. Même France Télévisions a abandonné en cette rentrée la formule du grand oral pour ses prime time politique, préférant proposer désormais de grandes thématiques. Alors est-ce que les entretiens politiques intéressent encore le grand public ? Comment renouveler l’exercice ?

Retrouvez "La Question du jour" sur : http://www.europe1.fr/emissions/la-question-du-jour
Transcript
00:00 - Avec Thomas Hill, avec vos invités. Thomas, c'est l'heure de la question média du jour.
00:03 - Oui, il semble très loin le temps de 7 sur 7 où un invité politique était interrogé en face à face pendant une heure le dimanche soir sur TF1.
00:11 Même France Télévisions a abandonné en cette rentrée la formule du grand oral pour ses prime time politiques préférant proposer désormais de grandes thématiques.
00:19 Alors est-ce que les entretiens politiques intéressent encore le grand public et comment renouveler l'exercice ?
00:24 - C'est notre question média ce matin et pour en parler nous sommes toujours avec le patron de la chaîne parlementaire, Bertrand Delay, celui de Public Sénat, Christopher Baldeli, et l'intervieweuse politique d'Europe 1 nous a rejoint.
00:34 - Bonjour Sonia Mabrouk. - Bonjour à vous.
00:36 - Merci d'être avec nous. On vous retrouve en semaine à 8h10 pour un face à face de 15 minutes, c'est ça ?
00:41 Et puis le dimanche avec le grand rendez-vous dans un format plus long, une heure d'entretien avec un invité politique.
00:47 Et je disais, ça devient plus rare aujourd'hui dans le PAF. Comment vous l'expliquez ?
00:51 - Qu'est-ce qui est plus rare ? Dites-moi.
00:53 - Les entretiens longs comme ça, d'une heure avec une personnalité politique.
00:57 - Oui, alors c'est le temps long, je le vois pas forcément en termes de minutes qui passent.
01:04 Je vois cela en termes, je voulais dire, de possibilités d'aller plus loin, évidemment avec l'invité, d'aller plus loin pour les convictions, de pouvoir battre en brèche aussi les éléments de langage.
01:15 C'est vrai que vous évoquiez l'interview du matin.
01:17 Et l'interview du matin, c'est un exercice que j'estime extrêmement difficile parce qu'il faut passer plusieurs barrières.
01:23 Voyez-vous, plusieurs vitres de verre, il y a les éléments de langage de l'invité, il y a parfois des défauts de conviction, c'est pas toujours évident.
01:34 Il y a les humeurs aussi, donc vous avez plusieurs barrières qu'il faut transpercer avant d'arriver un petit peu au cœur, quand on y arrive de l'invité.
01:40 Quand vous avez une heure, ces barrières-là sont abaissées dès le départ, il y a une forme de confiance dès le début, une sorte de contrat de confiance entre guillemets, il peut aller plus loin.
01:48 - Bertrand Delay ?
01:49 - Je pense que Sonia met le doigt sur le truc qui explique, à mon avis, l'usure d'une partie des interviews politiques, c'est que les responsables politiques maintenant maîtrisent très bien la com'
01:59 et qu'en fait le jeu de l'interviewer est un peu différent, il faut arriver à casser le processus de communication qui est enclenché.
02:06 Et effectivement, plus le format est court ou plus le format est adossé de manière chaude à un événement, plus c'est difficile.
02:13 Plus vous allez être sur du temps long, sur une émission un peu en décalage avec l'actualité, plus ce sera aisé.
02:19 Et je vois par exemple, nous on a fait une collection d'entretiens autour de l'engagement, et on arrive assez, puisque c'est l'engagement, on arrive assez facilement,
02:27 non seulement à performer en termes d'audience, mais à avoir une forme de vérité qu'on n'a pas habituellement dans un rendez-vous lié à l'actu.
02:34 - Mais il faut dire aussi que l'une des difficultés, c'est que le paysage politique s'est beaucoup renouvelé ces dernières années,
02:39 avec des nouveaux visages, peu de personnalités très connues, même parmi les ministres, parfois on ne les connaît pas,
02:44 et beaucoup d'éléments de langage, est-ce que ça rend pas l'exercice de l'interview plus difficile aujourd'hui, Christophe Herbaldelli ?
02:51 - Plus difficile certainement, ce n'est à la vie, on a en face des hommes politiques qui sont sûrement plus rodés à la communication,
02:59 même quand ils sont nouveaux, parfois langue de bois, parfois éléments de langage, etc.
03:03 Mais je pense que fondamentalement, on a toujours les deux mêmes sujets.
03:07 Le premier, c'est que les Français ont une passion, une passion paradoxale pour la politique, mais une passion.
03:12 Je me souviens à une époque, quand je dirigeais RTL, certains me disaient "ils en ont marre de la politique,
03:16 l'interview politique du matin, il faut faire des gens de la société civile et autre chose".
03:19 C'est faux. Même quand on pense qu'ils en ont marre, en fait ils sont toujours, les Français ont une particularité,
03:24 ils croient que tout vient de la politique. Nous on sait que ce n'est pas vrai, mais ils restent persuadés de ça.
03:28 Donc ils sont toujours intéressés par les interviews politiques.
03:30 Et le deuxième point sur la forme, moi je pense qu'il n'y a qu'une seule réponse,
03:34 quel que soit le format, long ou moins long, et Sonia le démontre très bien,
03:38 c'est qu'il faut que le journaliste connaisse ses sujets, et pas être dans une posture un peu agressive de challenger
03:45 pour montrer qu'il va le challenger.
03:48 Ça ne marche que s'il possède extrêmement bien ses sujets et ses dossiers.
03:52 Et alors vous Sonia Mabrouk, vous avez une technique pour tenter de déstabiliser vos invités politiques,
03:57 je vous fais écouter ça dans un instant sur Europe 1 tout de suite.
04:00 Vous écoutez Culture Média sur Europe 1 avec la question Média du jour.
04:03 Comment renouveler les émissions politiques et les interviews politiques ?
04:07 Bertrand Delay, patron de l'LCP Assemblée Nationale, Christopher Baldeli, PDG de Public Sénat,
04:12 et Sonia Mabrouk, l'interview vice-politique d'Europe 1, sont vos invités Thomas.
04:15 Et alors vous Sonia, pour tenter de les faire sortir de leur récitation préparée à l'avance,
04:20 vous soignez particulièrement l'accroche de l'interview avec vos invités.
04:24 Du matin, la première question pour tenter de les surprendre. Exemple.
04:27 Bonjour Agnès Pannier-Runacher.
04:29 Bonjour Sonia Mabrouk.
04:30 Et joyeux Noël.
04:31 Non, ce n'était pas Noël.
04:33 Mais j'ai cru, écoutez, j'ai vu le budget ce matin, je me dis c'est le budget du père Noël.
04:36 Le slogan des marcheurs c'était, vous vous en souvenez, Marlène Schiappa, faire de la politique autrement.
04:40 Je me dis, vous auriez dû faire de la politique comme les autres, vous auriez au moins un vrai parti.
04:44 Ça vous fait sourire ce matin.
04:46 Qui nous parle ce matin Pierre Moscovici ?
04:48 Bonjour Jordane Bardella.
04:50 Connaissez-vous le supplice chinois de la goutte d'eau ?
04:52 Vous n'allez pas me jeter un sort ce matin sur Europe ?
04:55 Et bien pourquoi pas ?
04:57 Bah écoutez à voir, je crois que je suis quand même immunisée.
05:00 Vous espérez tout de suite les déstabiliser, les surprendre, c'est ça ?
05:04 Il faut faire attention parce que vous avez employé le mot technique,
05:07 mais la technique peut vite confiner à la facilité.
05:10 Et ensuite, tout simplement, les politiques s'y attendent.
05:14 Non, j'essaie vraiment de ne pas avoir de technique,
05:17 mais j'aime bien qu'il y ait un moment, une fêlure.
05:19 C'est comme dans un regard, avec quelqu'un, le plus intéressant,
05:22 c'est pas d'avoir quelqu'un qui soit monolithique d'un bloc,
05:24 c'est quand vous voyez ce qui ne va pas, la petite fêlure.
05:27 Et je pense que quand vous arrivez à créer cette petite chose,
05:29 non pas pour arriver à déstabiliser l'invité,
05:31 je pense que quand même on arrive difficilement à la déstabiliser,
05:35 mais il y a ce petit moment, ils saisissent la balle au bon,
05:37 il peut y avoir un échange beaucoup plus intéressant.
05:39 Mais je n'ai pas de technique là-dessus.
05:40 C'est les faire sortir aussi de leurs petites habitudes ?
05:42 Vous faites ça aussi sur LCP ou Public Sédin,
05:45 je pense à des émissions où vous les mettez à table,
05:48 par exemple Politique à table, "L'Angers s'est voté",
05:51 on sort de l'interview classique.
05:53 Voilà, c'était l'idée de sortir de l'interview classique.
05:55 Mais je veux revenir sur la méthode,
05:56 et là je vais parler un peu de ma vie d'avant,
05:58 dans les documentaires politiques que je faisais,
06:00 j'avais établi aussi un truc pour casser les codes,
06:03 c'est-à-dire que je ne recevais jamais les invités.
06:06 C'est un truc que j'avais emprunté à Delarue,
06:09 j'avais une assistante qui les amenait à la maquilleuse,
06:13 la maquilleuse les amenait sur le plateau,
06:15 sur un endroit où on tournait,
06:16 et je n'étais toujours pas là.
06:17 Et je les laissais, si j'ose dire, marinés,
06:20 et j'arrivais et on commençait.
06:22 Et au fond, ça les mettait dans une situation
06:24 où quelque part je reprenais le pouvoir, entre guillemets.
06:27 Et ça c'est extrêmement important,
06:29 parce qu'il faut amener à ce que les défenses
06:33 qu'ils ont naturellement dans la com,
06:35 elles soient ébranlées.
06:37 - Peut-être pour renouveler,
06:39 enfin renouveler c'est un grand mot logistique,
06:40 je crois qu'il faut se renouveler soi-même,
06:41 parce qu'il faut avoir beaucoup d'humilité,
06:43 je crois qu'en fait il n'y a pas de recette,
06:45 c'est presque, excusez-moi, très banal de le dire,
06:47 mais il faut travailler,
06:49 pour moi être journaliste,
06:51 je n'ai pas fait d'études de journaliste,
06:52 je crois qu'il faut être curieux de tout.
06:53 Et ce n'est pas facile d'être curieux de tout,
06:55 c'est parfois aller contre soi-même,
06:57 et je voudrais rendre ici un petit hommage,
06:59 parce que moi j'ai tout appris auprès des chaînes parlementaires,
07:02 je suis restée en particulier à Public Sénat,
07:04 mais c'est la sœur de la chaîne parlementaire pendant dix ans,
07:07 et je pense que c'est l'éloge du temps long.
07:09 C'est très important,
07:11 plus vous avez un temps court le matin,
07:13 et plus vous devez garder en tête l'éloge du temps long.
07:15 Je crois que c'est ce paradoxe qu'il faut que nous interviewers,
07:17 on garde en tête,
07:19 c'est-à-dire qu'il ne faut pas sortir de là
07:21 sans avoir rien comme matière.
07:23 Je pense qu'une interview pas ratée,
07:25 parce que je n'ai pas une interview réussie,
07:27 c'est quand vous avez produit quelque chose,
07:29 soit de l'information, soit une émotion,
07:31 soit même une sensation, ce qui est le plus difficile.
07:33 - Mais parfois on peut avoir la tentation aussi
07:35 d'aller chercher la petite phrase,
07:37 la petite reprise à la FP.
07:39 - On est humain, vous savez,
07:41 il n'y a pas un devoir des dépêches,
07:43 mais quand même, il faut quand même créer
07:45 une information d'actualité dans la journée,
07:47 c'est une musique, c'est une mélodie
07:49 qui doit être reprise par d'autres antennes,
07:51 mais moi je ne suis jamais allée,
07:53 et je n'ai jamais fait d'entretien en me disant
07:55 qu'il faut qu'il y ait une dépêche,
07:57 je suis toujours allée en me disant "Quelle est l'humeur de mon invité ?
07:59 Qu'est-ce que celui qui est derrière le poste,
08:01 qu'est-ce qu'il attend comme réponse ?"
08:03 Et puis voilà, ça roule. - Alors autre solution
08:05 qui est mise en place par les chaînes pour essayer de renouveler le genre,
08:07 c'est de mettre un invité politique au milieu d'autres personnalités,
08:09 dans un talk show, là aussi,
08:11 ça peut permettre de faire accéder
08:13 un autre type de public à la politique.
08:15 On parlait de Laurent Ruquier tout à l'heure,
08:17 il a beaucoup fait ça, Christophe Herbaldé.
08:19 - Oui, bien sûr, alors je voudrais
08:21 l'humilité de sonner à l'honneur,
08:23 mais la réalité, c'est que pour être
08:25 un bon interviewer politique,
08:27 c'est un métier. C'est-à-dire qu'il faut avoir
08:29 une expérience, une connaissance,
08:31 un travail énorme,
08:33 parce qu'en face, il y a des gens
08:35 qui connaissent extrêmement bien leur sujet.
08:37 Et donc, il faut à la fois être capable
08:39 sur le sujet d'aujourd'hui, avec de la profondeur dans le temps,
08:41 en sachant ce qui s'est passé,
08:43 ce qui a été fait. Donc,
08:45 la réalité, elle est là, c'est qu'il faut
08:47 être un très bon journaliste politique
08:49 et un bon interviewer,
08:51 et à ce moment-là, ça va de soi.
08:53 C'est-à-dire qu'on écoute, on apprend des choses,
08:55 c'est intéressant. Il faut dépasser un peu
08:57 l'idée que c'est nécessairement un combat
08:59 entre le journaliste et la personne en face.
09:01 Même si à certains moments, ça peut prendre cette tournure.
09:03 - Vous avez raison que ça, on n'est pas en munitions.
09:05 Moi, je me suis toujours interrogée sur la
09:07 petite question qui est posée, "Monsieur, le prix
09:09 de la baguette, le prix de l'essence, le prix du ticket,
09:11 le prix de je ne sais pas quoi, le prix, le prix..."
09:13 - Ce que faisait beaucoup Jean-Jacques Bourdin, à une époque.
09:15 - Je ne sais pas, moi,
09:17 si j'étais téléspectatrice et auditrice,
09:19 qu'est-ce qui me rassure le plus ? D'avoir
09:21 un responsable politique qui ait de la vision, ou d'avoir
09:23 un responsable politique qui est capable, parce qu'on lui a fait une fiche,
09:25 de citer tous les petits prix.
09:27 Le travail, oui, l'omniscience,
09:29 vous savez, heureusement qu'on a tous des défauts.
09:31 Moi, je préfère encore un journaliste qui est capable
09:33 de citer une pièce de théâtre, un super bon livre à lire,
09:35 que celui qui va tout savoir, parce qu'il a appris
09:37 sa petite leçon sur le bout des doigts.
09:39 Mais vous avez raison. - Ce sera le bout de la fin
09:41 ce matin. Merci beaucoup à tous les trois
09:43 d'être venus. Merci Bertrand Delay,
09:45 Christopher Baldelli,
09:47 qu'on retrouve évidemment
09:49 sur le canal 13 de la TNT, avec tous les
09:51 programmes de LCP et Public Sénat.
09:53 Et merci à Sonia Mabrouk. On vous retrouve demain
09:55 à 8h10. Vous connaissez déjà votre invitée ?
09:57 Bruno Rotaillot et après-demain,
09:59 Alexis Corbière. - Parfait. Merci beaucoup.

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