Jean-Paul Hamon, médecin généraliste et président d'honneur de la Fédération des médecins de France, répond aux questions d'Alexandre Le Mer. Ensemble, ils reviennent sur la volonté du gouvernement de faire la chasse aux arrêts maladie qui coûtent trop cher.
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00:00 Europe 1, il est 6h42.
00:02 La chasse aux arrêts de travail abusifs est lancée.
00:04 Le gouvernement veut s'attaquer aux arrêts maladie non justifiés
00:07 parce qu'ils pèsent de plus en plus lourd dans les comptes de la sécu.
00:11 Pour en parler, Alexandre Lemaire, vous recevez ce matin sur Europe 1
00:13 le docteur Jean-Paul Hamon, médecin généraliste,
00:15 président d'honneur de la Fédération des médecins de France.
00:18 Bonjour Jean-Paul Hamon.
00:19 Bonjour.
00:20 Le coût des arrêts de travail a donc bondi de plus de 8% l'an dernier,
00:24 facture pour la sécu 16 milliards d'euros.
00:26 Comment expliquer à nos auditeurs cette hausse,
00:30 ce dérapage du coût des indemnités journalières ?
00:33 Tout simplement qu'on sort de 3 ans de Covid,
00:37 avec une population qui a un moral qui est un petit peu dans les chaussettes
00:41 et puis surtout des gens qui ont découvert que la fragilité de l'existence existait
00:46 et qu'ils voient les choses autrement.
00:49 Mais tout simplement, le gouvernement se vante d'avoir fait reculer le chômage,
00:54 ça veut dire qu'il y a davantage de travailleurs
00:55 et si vous avez davantage de travailleurs, il y a forcément plus d'arrêts de travail.
00:58 Mécaniquement.
00:58 Et puis, même si les salaires n'ont pas augmenté de façon mirobolante,
01:02 il y en a quelques-uns qui ont quand même suivi l'inflation
01:04 et quand vous augmentez les salaires de 3 à 5%,
01:06 le coût des arrêts de travail augmente d'autant.
01:08 On va venir, Jean-Paul Hamon, sur les mesures du gouvernement dans un instant,
01:12 son coup de collier sur les arrêts maladie.
01:13 Une question d'abord dans votre cabinet,
01:16 ils évoluent comment ces arrêts de travail chez vos patients ?
01:20 Est-ce qu'on vous en réclame plus facilement, plus souvent ?
01:23 - Non, mais moi ce que je constate, c'est que les gens,
01:25 dans leur entreprise, travaillent de façon de plus en plus difficile.
01:29 Le droit à la déconnexion des cadres n'est absolument pas respecté.
01:32 Vous savez, vous recevez des mails à 10h du soir
01:34 auxquels vous devez répondre en urgence,
01:35 vous avez le téléphone portable, vous avez les mails,
01:37 donc le droit à la déconnexion n'est pas respecté.
01:39 Vous avez des gens qui, avec le Covid, ont reculé pour habiter plus loin,
01:44 se sont éloignés des villes et ont du coup rajouté
01:47 trois quarts d'heure, une heure de transport.
01:48 - Et je ne vous dis pas combien de temps, comment marche le RER en Ile-de-France.
01:54 - Ça serait un autre sujet vaste aussi.
01:56 - D'une part, et puis d'autre part, vous n'avez plus de médecins du travail
02:00 pour aller vérifier les conditions d'exercice des salariés au sein d'entreprises.
02:03 Donc tout ça fait que la dégradation du travail,
02:07 et puis les conditions de travail,
02:10 fait que les gens sont épuisés et que forcément,
02:13 l'arrêt de travail, ça fait partie des outils thérapeutiques du médecin.
02:16 - Est-ce qu'il y a des patients qui vous disent sans détour
02:18 "j'ai plus envie d'aller travailler"
02:20 ou en tout cas c'est la véritable raison que vous décelez ?
02:22 - Moi il y a des gens qui s'installent dans mon cabinet
02:25 et qui mettent trois minutes à pouvoir sortir une phrase.
02:28 Ils s'installent et ils craquent tout de suite,
02:30 ils sont en pleurs, ils sont incapables d'aligner une phrase.
02:33 Ces gens-là, vous allez les mettre au boulot ?
02:35 Donc si vous voulez que Renaud Le Maire,
02:38 qui a découvert tout d'un coup que les arrêts de travail
02:40 coûtent 16 milliards alors qu'ils coûtaient 10 milliards en 2010,
02:43 il faudrait peut-être lui rappeler qu'il y a eu 13 ans qu'ils se sont écoulés,
02:46 que l'inflation a été de plus de 25% sur ces 10 dernières années
02:50 et qu'il a fait reculer le chômage.
02:52 Donc on s'intéresse au coût de l'arrêt de travail,
02:55 on ne s'intéresse pas au coût des frais de gestion de l'assurance maladie
02:58 qui coûte 16,5 milliards, dont 8,5 milliards
03:01 rien que pour les mutuelles qui gèrent 43 milliards je le rappelle
03:04 et s'ils veulent faire des économies,
03:06 et bien qu'ils s'intéressent aux frais de gestion des complémentaires.
03:09 Alors c'est peut-être pas une bonne nouvelle pour les radios et les télés
03:11 parce que les mutuelles sont des larges fournisseurs en plage publicitaire,
03:15 mais là on parle de l'endométriose,
03:18 mais quand même ils remboursent des ostéopathes qui prétendent remonter les organes des femmes
03:21 qui ont l'endométriose. J'ai vu ça dans mon cabinet.
03:23 Donc si vous voulez, il y a un moment où il faut arrêter de pousser.
03:26 - Jean-Paul Hamon, c'est aux arrêts de travail injustifiés
03:29 que veut s'attaquer le gouvernement,
03:31 secret médical oblige, c'est pas facile pour l'employeur
03:34 de mesurer l'ampleur du phénomène.
03:36 De votre point de vue de médecin, est-ce que vous avez une idée
03:39 de l'ampleur des arrêts de complaisance, de confort ?
03:42 Est-ce que ça existe ? Est-ce que ça augmente ?
03:43 - Écoutez, j'ai vu un arrêt de travail l'autre jour
03:45 qui a été obtenu en moins de deux minutes sur une plateforme de téléconsultation
03:48 par un journaliste qui a simulé une rhinopharyngite.
03:51 La téléconsultation a duré deux minutes chrono.
03:54 - Quelques clics, on sort pas de chez soi.
03:56 - Trois jours d'arrêt de travail.
03:57 On assiste à un déploiement des plateformes de téléconsultation
04:00 avec la bénédiction du gouvernement qui pense que c'est une solution à la désertification.
04:04 On assiste à une dégradation de la qualité de prise en charge des patients
04:07 et on voudrait charger la mule des médecins généralistes
04:09 et rendre responsables les arrêts de travail,
04:11 tout ça en voulant gratter 100, 200, 300 millions d'euros,
04:13 alors qu'on pourrait gratter 2, 3, 4 milliards sans problème sur la gestion des mutuelles.
04:17 - Jean-Paul Hamon, la bénédiction du gouvernement,
04:18 alors j'y viens justement aux mesures que le gouvernement veut mettre en œuvre,
04:22 il s'agit de durcir précisément les règles sur la téléconsultation,
04:27 limiter à trois jours les arrêts maladie prescrits par cette voie.
04:31 Donc il s'agit pas non plus d'ouvrir grand les vannes, au contraire.
04:34 - Mais c'est trois jours de trop, mais c'est trois jours de trop, si vous voulez.
04:36 Les téléconsultations ne devraient pas exister.
04:38 Quand je pense que la SNCF a voulu lancer un appel d'offres
04:41 pour installer une centaine de télécabines de consultation dans ses gares,
04:44 alors je sais bien qu'avec les retards de train, vous auriez largement le temps de consulter,
04:48 mais franchement, on assiste.
04:49 Vous avez des télécabines de consultation dans les monoprix en Ile-de-France,
04:53 vous avez des pharmacies, Médadome est en train de se goinfrer
04:56 en installant des télécabines un peu partout dans les pharmacies en Ile-de-France,
04:59 il faut arrêter le massage, il faut permettre aux médecins de redonner envie de s'installer,
05:04 de travailler dans des conditions correctes avec du personnel, et arrêter de leur tirer dessus.
05:08 - Jean-Paul Hamon, le temps nous manque, je voudrais vous faire réagir sur cette autre mesure du gouvernement.
05:11 Quand l'entreprise envoie un médecin chez un salarié en arrêt
05:14 pour contrôler son état de santé et qu'il le juge apte à travailler,
05:17 l'assurance maladie doit effectuer une contre-expertise,
05:20 et dorénavant le salarié perdra ses indemnités s'il ne retourne pas travailler.
05:24 Ça va dans le bon sens ?
05:26 - Mais ça existe déjà, les médecins flics, il y en a un qui s'est fait massacrer d'ailleurs,
05:31 on a contrôlé un type à Marseille, je ne sais plus quand,
05:33 c'était un médecin de 83 ans, qui allait contrôler à domicile.
05:37 Franchement, on est en train de vouloir montrer ses biscottos,
05:41 alors qu'on est en train de faire un budget qui va aggraver la desertification,
05:45 qui va contribuer au démantèlement de la médecine générale,
05:48 qui va désorganiser les soins.
05:49 Rappelez-vous quand même qu'il y a 28 millions de rendez-vous non honorés en France chaque année,
05:53 et là on peut dire merci Doctolib,
05:55 parce que le gouvernement déroule le tapis rouge de Doctolib,
05:58 qui est en train de désorganiser les soins.
05:59 28 millions de rendez-vous non honorés ?
06:02 Est-ce que vous pensez que c'est acceptable ?
06:04 Et ça, c'est là depuis 6 ans.
06:06 Depuis 6 ans, j'assiste à une dégradation de la qualité de prise en charge des patients,
06:09 et j'en suis vraiment furieux.
06:11 Et ça, je vais le dire tout à l'heure à Bercy.
06:13 On a entendu votre colère, vous serez effectivement à Bercy cet après-midi
06:15 pour la commission des comptes de la Sécu,
06:17 avec les représentants de la Sécurité sociale et du ministère de la Santé.
06:19 Merci, Dr Hamon, président d'honneur de la Fédération des médecins de France.
06:23 Soir Europe 1.