Marie Portolano reçoit aujourd'hui Anne Sénéquier, psychiatre et chercheuse à l'IRIS, spécialisée sur les questions de santé, pour parler de la psychose autour des punaises de lit. Tous les médias parlent de ce véritable fléau, mais ne sommes-nous pas un peu parano ?
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00:00 Marie, pour votre interview d'actualité, vous avez choisi de recevoir ce matin la psychiatre Anne Sénéquier. Bonjour et bienvenue à vous.
00:06 Oui, alors on en rit, on en rit beaucoup, mais c'est vrai que ça devient la psychose. Bonjour Anne Sénéquier.
00:10 Vous êtes donc psychiatre. Alors très honnêtement, on a besoin de vous aujourd'hui. Je vous ai invitée parce que j'en peux plus de cette histoire de punaise de lit.
00:18 J'en vois partout. J'ai l'impression qu'il y en a dans les transports. J'ai l'impression qu'il y en a dans mon lit. Ça fait la une de l'Ibé, ça fait la une du parisien.
00:26 Toutes les radios en parlent, toutes les chaînes d'info en parlent. Est-ce que je deviens parano ? Est-ce qu'on devient tous parano avec cette histoire de punaise de lit ?
00:33 C'est justement pour ça, vous le décrivez bien, c'est la couverture médiatique et après ça touche aussi des sphères particulières.
00:39 Ça touche quoi ? Ça touche les transports en commun, c'est-à-dire un endroit qu'on ne peut pas éviter finalement dans notre quotidien et aussi la sphère personnelle.
00:47 Ce n'est pas n'importe quelle sphère personnelle, c'est le lit, la chambre, le canapé où on est là pour un petit peu se reposer, regarder la télé, lire un livre, discuter tranquillement.
00:57 Et finalement, cette bulle d'oxygène, ce refuge-là finalement n'existe plus parce qu'il y a le doute de la présence.
01:06 Comment ça se fait qu'on est tous parano avec cette histoire-là ?
01:09 Parce que ça parle à tout le monde, on a tous un chez-soi et puis finalement quand on va parler des punaises de lit, même si on ne les a jamais rencontrées,
01:16 ça va faire écho un petit peu à toute la pédiculeuse, c'est-à-dire les poules et ceci, et cela.
01:21 Donc ça va réactiver tout plein de mauvais souvenirs parce que chaque souvenir est engodé dans le cerveau avec toute une myriade de sensations,
01:29 les cinq sens mais aussi le ressenti, positif ou négatif.
01:32 Alors les sens, le toucher, moi à chaque fois que j'y pense, je me gratte.
01:36 En préparant cette interview, je me grattais. C'est normal de se gratter quand on en parle ?
01:40 En fait, c'est la réactivation justement. On va penser punaise de lit dans le cerveau, ça va faire le lien avec les poules,
01:46 ça va faire le lien avec le truc irritant qui gratte et ainsi de suite.
01:50 Donc en fait, vous n'allez pas vraiment vous gratter, vous allez un petit peu...
01:53 Ah si, si, je me gratte, je vous le dis. Ah si, si, franchement.
01:55 Ce que je veux dire, c'est que ça n'a pas persisté.
01:57 On va toucher la zone mais le grattage ne persiste pas comme si vous aviez vraiment une piqûre.
02:04 Donc c'est là où on doit faire la différence.
02:06 Quand ça gratte juste un tout petit peu, c'est que c'est psychologique et que ce n'est pas la réalité.
02:09 Oui, après, c'est aussi intéressant d'avoir ce focus là-dessus.
02:13 Ça nous permet aussi de passer à des messages de prévention, de vigilance
02:18 et de regarder un petit peu ce qui se passe sous notre matelas, ce que concrètement, on ne fait pas très souvent non plus.
02:22 Anne Sénéky, vous avez votre écharpe sur votre micro, donc on ne vous entend pas très très bien.
02:26 Est-ce que vous pouvez l'enlever ? Oui, merci, parce qu'on a quand même besoin de vos conseils.
02:30 J'ai envie de faire quand même le mea culpa des médias.
02:34 Nous, notamment à Télé Matins, on en parle tout le temps.
02:37 Est-ce que ça participe à la psychose collective ? Vous en parliez tout à l'heure.
02:40 Oui, parce que finalement, en tant que média mainstream, ça touche beaucoup de monde.
02:44 C'est souvent repris par les réseaux sociaux.
02:46 La problématique du réseau social, c'est que c'est aussi un sorte de huis clos, un entre-soi
02:51 où on assène des pseudoférités qui sont souvent des fake news.
02:56 Et du coup, il faut savoir qu'une fausse rumeur va circuler six fois plus vite qu'une vérité.
03:02 Donc c'est facile après de lire sur les réseaux sociaux qu'il y en a partout, que c'est la catastrophe.
03:08 En fait, des punaises de lit, il y en a toujours eu.
03:11 En 1946, il y avait même une sorte de Samu des punaises de lit à Paris.
03:16 Regardez, vous dites en 1946, il y en avait aussi en 1964.
03:20 On a trouvé une archive comme quoi les punaises de lit, ça ne date pas d'hier.
03:25 Les retours de vacances nous réservent parfois des surprises assez désagréables
03:29 et certains Parisiens ont trouvé chez eux des locataires indésirables.
03:33 Les stations de désinfection reçoivent en ce moment de nombreux coups de téléphone des Parisiens
03:37 qui se plaignent d'être envahis par des parasites d'appartements.
03:40 Les services sont actuellement submergés de coups de téléphone.
03:44 Les Parisiens rentrant de vacances sont tous surpris de voir leur appartement
03:48 envahi par trois espèces de parasites et par ordre les cafards, les punaises et les punaises.
03:55 Alors c'est en 1964, donc comme quoi les punaises de lit ont toujours été à Paris.
03:59 Il faut qu'on se calme un petit peu.
04:01 Ce qui se passe aussi quand on est infesté, c'est qu'on passe assez vite de victime à coupable.
04:05 Il y a un sentiment de honte un petit peu.
04:07 On a l'impression que c'est quelque chose de...
04:11 - De péjoratif ?
04:13 - Oui, c'est ça, de péjoratif. On dit que c'est une question d'hygiène.
04:16 On dit que le jugement social est lourd.
04:18 Il y a des gens qui gèrent assez difficilement.
04:21 L'ANSES parle même de stress post-traumatique.
04:24 Est-ce que c'est le cas ? C'est un terme assez fort quand même.
04:26 - Le terme est, je pense, assez fort et mal utilisé.
04:29 Après, ce qui se passe, c'est que pendant le XXe siècle,
04:32 on s'est un petit peu débarrassé de ces punaises de lit par l'hygiène, par les insecticides.
04:37 - Attendez, vous dites que c'est un fort thème.
04:39 Moi, je connais des gens qui ont été infectés par les punaises de lit.
04:41 Ils sont traumatisés.
04:42 - Oui, mais c'est normal parce qu'en fait, encore une fois, ça touche la sphère personnelle.
04:45 Mais après, c'est très chronophage pour se débarrasser de ces choses-là.
04:49 Si elles sont véritablement chez vous, ce n'est pas juste je passe une petite bombe et puis c'est terminé.
04:54 Il faut traiter tous les meubles, tous les matelas.
04:57 Parfois, ils ne sont pas récupérables.
05:00 Donc, c'est quelque chose qui prend énormément de temps, qui est coûteux aussi
05:03 parce que généralement, vous devez faire affaire à un professionnel.
05:06 Et finalement, facilement, ça va courir sur un mois où vous n'avez pas que ça à gérer,
05:12 un mois où il y a tout le reste.
05:14 - Est-ce que c'est un stress pré-traumatique ?
05:16 - En somme, en fait, c'est un cadre de contraintes supplémentaires sur un quotidien.
05:21 - C'est ça qui angoisse les gens ? De devoir gérer tout ça ?
05:24 - C'est la goutte d'eau supplémentaire.
05:26 - J'ai lu "cauchemar, flashback, hypervigilance, insomnie, anxiété, paranoïa, comportement d'évitement, dysfonctionnement personnel".
05:34 - Oui, alors ça, effectivement, on est sur un stress post-traumatique dans cette symptomatologie que vous décrivez.
05:40 Et généralement, ces événements-là n'arrivent pas si vous trouvez juste un petit foyer de punaiserie
05:46 et que par ailleurs, votre vie fonctionne de manière assez simple sur une personnalité qui n'a pas de pathologie préétablie.
05:56 Maintenant, si vous avez aussi des vagues dans le reste de votre vie, que ce soit la vie personnelle, la vie familiale,
06:01 que c'est déjà compliqué par ailleurs, si vous rajoutez justement cette problématique-là
06:06 qui va impacter et votre niveau financier et votre qualité de vie pendant un mois,
06:12 oui, ça peut être effectivement quelque chose qui génère ça. Mais c'est très très rare, soyons honnêtes quand même.
06:16 - Est-ce que ça peut faire sourire quand même ce sujet ?
06:18 "Le punaise du lit, c'est pas si grave, vous en parliez."
06:21 - Eh bien, ça fait sourire parce qu'effectivement, une petite chose si minuscule va faire chanceler tout un pays.
06:29 On en parle même dans la presse internationale.
06:31 - Oui, le gouvernement s'est emparé du sujet aussi.
06:33 - Après, il faut aussi se rendre compte que ce n'est pas la première fois qu'on a à vivre ce genre de choses,
06:38 et petites choses qui sont très nuisantes. Je pense à la Covid-19, par exemple, il y a moins de trois ans.
06:43 Et c'est vrai qu'on a pris l'habitude ces dernières décennies à observer la biodiversité et la nature un petit peu de loin,
06:49 c'est-à-dire qu'on vivait à côté de la nature, mais en fait, on fait partie de cette biodiversité-là.
06:54 Et la spécificité du "punaise du lit", c'est qu'elle ne suit pas la saleté, comme on peut l'entendre parfois,
07:00 elle suit l'être humain, la chaleur, la sécrétion de CO2.
07:03 - Alors, juste, parlez aux gens qui nous regardent, qu'est-ce qu'on fait pour se calmer par rapport à ça,
07:08 au "punaise du lit" principalement ?
07:10 - Déjà, si on n'a pas de piqûres, ça veut probablement dire que vous n'avez pas de "punaise du lit" chez vous.
07:16 Si vous êtes stressés, vous pouvez en profiter pour changer tous les draps de la maison, ça sera déjà un bon point.
07:21 - Donc, changez les draps chez vous.
07:23 - On regarde aussi sous les matelas, parce que c'est là où c'est chaud, où elles vont vraiment aller dans les coins des canapés.
07:29 On peut retourner les matelas des canapés, on peut faire une inspection, en fait,
07:34 et si on ne voit pas, effectivement, ces petites déjections noires, et qu'il n'y a pas de piqûres non plus,
07:39 on peut relativement s'apaiser.
07:42 - On se calme et on respire.
07:44 Merci beaucoup Anne Sénéqué, je rappelle que vous êtes psychiatre, chercheuse à l'IRIS, spécialisée sur les questions de santé.
07:48 Merci beaucoup.