Fabien Azoulay raconte son calvaire dans les prisons turques, après quatre années d'incarcération

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Fabien Azoulay a passé quatre ans en prison en Turquie pour avoir importé de la drogue. Il raconte son calvaire dans le Live Toussaint. 

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00:00 Bonjour.
00:01 Votre témoignage est très attendu parce qu'on a parlé de vous il y a quelques années,
00:05 et tout le monde s'en souvient, puisqu'entre 2017 et 2021,
00:08 vous avez été emprisonné en Turquie.
00:11 Vous publiez "Istanbul, dernier arrêt", "Sécher stock".
00:15 Tout le monde a en tête le film "Midnight Express"
00:18 qui, à la fin des années 70, avait fait trembler de très nombreux spectateurs.
00:23 Le problème, c'est que pour vous, ce n'est pas du cinéma.
00:26 Et vous avez vécu cet enfer et ce cauchemar. On va raconter votre histoire, si vous le voulez bien.
00:32 Juste avant de raconter ce qui s'est passé dès le début,
00:36 vous écrivez à la fin du livre à propos de votre vie après la prison.
00:42 "J'avais survécu, il me faudrait vivre, et ça me paraissait insurmontable,
00:46 car j'avais le sentiment d'être trop brisé pour être vraiment vivant.
00:49 En Turquie, j'avais perdu le contrôle de ma vie et maintenant je ne savais plus la conduire ou la mener.
00:54 Et pourquoi désormais j'étais assis à côté de moi-même."
01:01 Comment allez-vous là aujourd'hui ?
01:02 C'est exactement ce qui s'est passé, ce qui est en train de se passer.
01:06 Je suis encore en phase de reconstruction.
01:10 C'est difficile, on ne passe pas par quatre ans de prison sans en étant indemne.
01:15 Et je suis jour après jour, ça va mieux, mais c'est un processus.
01:22 Et ça en fait partie, le livre ?
01:23 Le livre a été, quelque part, j'ai essayé d'exorciser le mal en écrivant.
01:32 C'était thérapeutique pendant que je le faisais, quand j'étais en prison.
01:36 Je couchais mes émotions sur papier et ça m'aidait un peu à tenir au jour le jour.
01:43 Le fait que le livre sorte aujourd'hui, c'est la concrétisation quand même de plusieurs années de travail,
01:48 quand j'étais en prison, mais aussi à ma sortie avec ma plume qui m'a aidé à écrire le livre.
01:55 Et j'espère aujourd'hui que ça va être le point final de ma reconstruction.
01:59 Votre vie, elle bascule le 25 septembre 2017.
02:03 Vous arrivez en Turquie, vous venez de faire le tour du monde en fait, c'est votre dernière étape.
02:05 Exactement.
02:07 Et vous voulez vous faire implanter des cheveux.
02:09 Oui.
02:10 Bon, vous commandez du GBL.
02:14 C'est exact.
02:14 C'est un euphorisant.
02:16 C'est un stimulant sexuel que j'utilise.
02:18 Voilà.
02:18 Mais qui, là, pourrait vous servir à ça ?
02:22 Ah non, pas du tout.
02:23 C'était juste, j'avais resté à Istanbul pendant deux mois.
02:26 Et donc, je ne savais pas où me le procurer.
02:28 C'était en vente en ligne.
02:30 J'en ai acheté.
02:32 Vous pensez en fait que c'est légal.
02:35 Vous êtes dupé par le site Internet qui vous le vend.
02:40 Le problème, c'est que ce n'est pas légal dans ce pays.
02:43 Et donc, quand vous recevez le paquet, là, il y a la police qui débarque ?
02:47 En fait, je le reçois à mon hôtel.
02:49 Je l'avais commandé en mon nom, avec ma carte de crédit,
02:53 avec mon nom dessus.
02:54 Je le reçois à l'hôtel.
02:56 J'ouvre le paquet devant le réceptionniste.
02:58 Et c'est là qu'on me dit "Police, vous êtes en état d'arrestation".
03:02 Et là, en fait, ça va à une vitesse folle.
03:04 Interpellation, procès verbal, audience, prison.
03:10 Et vous dites "Mais je deviens fou dans cette irréalité".
03:13 Vous ne comprenez pas vraiment ce qui vous arrive.
03:16 C'est-à-dire qu'on m'a donné 20 ans de prison.
03:20 On m'a ramené ensuite à 16 ans et 8 mois.
03:23 Mais pour moi, c'était une peine tellement incroyable, inconcevable,
03:28 que je me suis dit "Mais ça va s'arrêter, c'est pas possible,
03:32 il y a quelque chose qui va se passer".
03:34 Et en fait, les jours passent, les semaines passent, les mois passent.
03:39 Et rien n'avance.
03:41 Toutes les avocatures que je vois me disent
03:44 "De toute façon, toi, dans ton histoire, c'est rien,
03:46 tu vas sortir d'ici quelques jours".
03:49 Personne ne connaît ce stupéfiant qui vient d'être ajouté à la liste
03:54 des produits interdits en Turquie.
03:56 - Donc, comment se passent les premiers jours,
03:59 les premières semaines en prison ?
04:02 - Comme si le temps s'était un peu stoppé.
04:04 Chaque minute dure une heure.
04:08 Chaque heure dure une semaine.
04:10 C'est inconcevable.
04:12 On n'arrive pas à s'imaginer, en fait.
04:14 Surtout que moi, je n'avais jamais fait prison,
04:17 donc je n'étais pas du tout habitué à ce genre de scénario,
04:22 ni d'être confronté à des violeurs, à des terroristes,
04:28 à des trafiquants d'hommes.
04:29 - Vous dormez avec un couteau sous l'oreiller ?
04:31 - Oui.
04:32 À partir du moment où je me suis fait agresser,
04:34 j'ai dormi avec un couteau sous mon oreiller.
04:37 - Vous dites "Dorénavant, il me faudra vivre dans ce vivier du pire,
04:41 dans ce bouillon du mal".
04:43 En fait, la peur, elle est permanente ?
04:45 - Permanente.
04:46 Même quand vous dormez, vous dormez que d'une oreille.
04:48 Parce qu'il y a des bagarres qui éclatent tout le temps,
04:51 il y a du sang, il y a des gens qui s'automutilent.
04:54 C'est un monde que, comme on voit au cinéma...
05:00 - Alors, vous écrivez,
05:02 je précise que c'est le mot que vous utilisez,
05:05 ce ne sont pas les miens,
05:06 que vous avez de "handicaps".
05:08 Vous êtes gay et de confession juive.
05:12 - Alors, gay, je m'en suis caché,
05:14 mais juive, ils l'ont su.
05:17 J'étais dans une prison où il y avait 50 à 60 détenus,
05:20 et il y avait une forte communauté maghrébine,
05:23 et avec un nom comme le mien, on ne passe pas inaperçu.
05:28 - Quand vous êtes agressé, on vous ébouillante ?
05:32 - On m'ébouillante, oui.
05:33 - C'est ça ? L'agresseur, il crie "Alah Akbar".
05:35 - "Alah Akbar".
05:39 - Vous ne dormez pas ?
05:41 - Très peu, par à-coups.
05:45 - Qu'est-ce qui vous fait tenir ?
05:48 - J'ai un frère qui est absolument formidable,
05:52 qui est venu me voir en Turquie 48 fois.
05:56 J'ai des amis qui me soutiennent en m'envoyant des lettres,
06:00 des livres, des mots de soutien.
06:04 J'ai même un comité de soutien sur Facebook qui se met en place.
06:10 Et cet élan d'humanité que j'ai commencé à ressentir
06:15 encore plus après la médiatisation,
06:18 m'a aidé à tenir quelque part.
06:21 - Vous écrivez "Je suis incarcéré depuis maintenant un peu plus de deux ans".
06:24 Donc c'est la moitié de ce que vous allez faire au total.
06:27 "Malheureusement, ma demande d'appel a été rejetée.
06:29 Depuis, j'ai perdu tout espoir de quitter Maltep",
06:32 c'est le nom de la prison.
06:33 "J'ai dû me résigner, accepter cette vie qui ne ressemble pas à la vie
06:37 tant il y manque tout ce qu'il a fait.
06:38 Je respire mal, je ne vois pas le ciel.
06:40 Ma peur me suit partout, de jour comme de nuit.
06:43 Je suis cerné d'ondes négatives, la violence est la pire des co-détenus.
06:48 La haine, la jalousie, la vengeance, la convoitise,
06:53 les bastons, les vols, les embrouilles, les complots,
06:56 l'égorgement, les tentatives de suicide,
06:58 l'accumulation des crimes commis par mes compagnons de cellule
07:01 et l'addition de leurs peines, les matraques des gardiens.
07:05 C'est mon univers."
07:07 C'était devenu mon univers quotidien.
07:10 J'en ai encore la chair de poule rien que d'y repenser
07:12 parce que vous m'avez replongé dans cet univers
07:15 que j'ai quitté il y a maintenant bientôt deux ans.
07:20 Et c'est dur.
07:22 Fabien, est-ce que dans ces moments-là,
07:25 on se dit que la vie ne vaut plus la peine ?
07:28 Oui, oui, j'y ai pensé plusieurs fois,
07:32 parce que vous faites allusion.
07:34 Mais je me disais que je n'ai pas le droit,
07:36 vis-à-vis de mon frère, vis-à-vis de mes amis,
07:39 ça aurait été un choix égoïste que de laisser tomber,
07:43 que de débrancher la prise et de dire que c'est terminé.
07:47 Donc je ne l'ai pas fait.
07:48 Mais oui, j'y ai pensé plusieurs fois.
07:51 Vous pensez qu'on vous a fait payer, ce qui paraît fou d'ailleurs,
07:53 parce que les relations entre la France et la Turquie,
07:57 entre Emmanuel Macron et le président Erdogan...
08:01 Écoutez, il faut bien savoir que les autorités qui m'ont arrêté
08:07 savaient que j'étais donc français et américain.
08:09 Elles avaient mon passeport.
08:11 La première question qui m'a été posée, c'est
08:13 "Est-ce que vous êtes gay ?"
08:14 À laquelle j'ai répondu "Oui".
08:16 Ensuite, le judaïsme, je pense, qui est venu derrière.
08:19 Maintenant, ce qu'il faut savoir, c'est qu'il y a un citoyen turc
08:23 qui a commis le même délit que moi,
08:25 la même quantité, et qui a été libéré en première instance.
08:30 Donc quand vous pensez qu'on me donne à moi une peine de 20 ans
08:34 et qu'il y a un citoyen du pays où il doit connaître les règles
08:39 et les lois mieux qu'un étranger,
08:42 se fait libérer en première instance alors que moi, j'ai dû passer...
08:46 J'aurais dû passer 20 ans, 16 ans, 8 mois.
08:49 Je n'ai passé entre guillemets que 4 ans.
08:52 Ça vous fait réfléchir quand même.
08:54 - Mars 2021, l'ambassadeur de Turquie change.
08:57 C'est quelqu'un d'ailleurs qui connaît Emmanuel Macron,
09:02 puisqu'il a fait l'ENA avec lui.
09:04 Et là, votre entourage décide de médiatiser l'affaire,
09:07 parce que jusque-là, vous étiez quand même très seul.
09:10 Et d'un seul coup, ça se met un peu à bouger.
09:12 - C'est ça.
09:13 - Vous le sentez, vous le comprenez ?
09:15 L'information parvient jusqu'à vous ?
09:17 - Alors en fait, j'étais conscient des relations franco-turcs
09:21 vraiment pas au bout fixe, pour résumer.
09:25 Et un jour, mon frère m'appelle et me dit
09:28 que Macron a parlé de mon cas en mars du G7.
09:32 Et je me dis, tout d'un coup, je me dis
09:35 "mais c'est pas possible, il va me doubler ma peine"
09:38 vu que les relations n'étaient vraiment pas bonnes.
09:41 Et en fait, je pense que le fait qu'on ait trouvé
09:45 ce cas de jurisprudence, que mes avocats français
09:48 aient trouvé ce cas de jurisprudence
09:51 a aidé à faire bouger les choses.
09:54 - Alors, il y a deux transferments en Turquie
09:58 et puis, 17 août 2021, là vous êtes extradé vers la France.
10:04 - Interpol est venu me chercher.
10:06 Interpol Turquie m'a amené à l'aéroport d'Istanbul
10:09 où deux agents d'Interpol France m'ont récupéré
10:13 et m'ont amené en France.
10:15 - Le problème, c'est que c'est pas complètement fini
10:17 parce que vous arrivez, là, c'est la procédure,
10:21 il faut vous repasser devant un tribunal,
10:23 c'est le tribunal de Bobigny.
10:25 Et en fait, vous pensez que c'est fini, vous, à ce moment-là ?
10:28 - Non.
10:29 - Non, on vous avait quand même informé,
10:31 parce que vous retournez en prison ?
10:33 - Oui.
10:34 - De août à novembre ?
10:36 - Deux mois et demi.
10:38 C'était juste pour que la procédure soit suivie, en fait.
10:42 - C'est fini, là ?
10:44 Enfin, je veux dire, vous êtes...
10:46 - Complètement libre, oui.
10:47 - Complètement libre ?
10:48 - Oui.
10:49 - Ouais.
10:50 La suite, c'est quoi pour vous ?
10:54 Est-ce que...
10:55 Pardon de dire ça comme ça, parce que c'est terrible,
10:58 mais est-ce que ça...
10:59 De toute façon, ça a impacté votre vie d'une telle façon
11:02 que quoi qu'il arrive, c'est sur vous, c'est en vous ?
11:06 - Ah oui, c'est sûr que ça ne vous marquait jamais
11:08 une telle expérience.
11:10 Mais la vie est quand même belle.
11:13 On avance.
11:15 Tout le monde a un bagage.
11:17 Tout le monde a des expériences de vie.
11:19 - La valise, elle est lourde, là.
11:21 - Je vous l'accorde, oui.
11:23 Mais il n'y a pas le choix.
11:25 Il faut avancer, il faut continuer, il faut regarder l'avant.
11:27 - Il y a des moments où vous vous dites,
11:28 mais pourquoi est-ce que j'ai commandé ce truc ?
11:30 Vous vous faites cette...
11:32 - En fait, je pense qu'il y avait un mal-être
11:34 et j'ai essayé de le combler
11:36 en utilisant des produits de telle substance.
11:40 Et aujourd'hui c'est terminé, évidemment.
11:43 Mais je pense que cette expérience
11:47 a quand même été une leçon d'humilité
11:50 et m'a permis d'avancer et de devenir un homme.
11:53 - Istanbul, dernier arrêt.
11:57 Quatre ans dans les prisons turques,
11:59 c'est signé Fabien Azoulay.
12:00 Ça vient de sortir, c'est un témoignage exceptionnel,
12:04 édifiant, poignant, bien sûr, bouleversant.
12:08 Merci beaucoup d'être venu ce matin pour nous en parler.
12:12 Et évidemment, on vous souhaite le meilleur pour la suite.

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