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Transcription
00:00 * Extrait de « Les Midi de Culture » de Nicolas Herbeau *
00:20 Avant d'ouvrir cette nouvelle émission, nous voulions Nicolas et moi revenir sur la rencontre d'hier midi.
00:25 L'émission a pris une tournure que nous ne souhaitions pas et que nous regrettons.
00:30 Oui, l'émission avait pour ambition de proposer un regard d'artiste sur les attaques terroristes du Hamas en Israël.
00:35 Et nous avons échoué à proposer un cadre avec le recul et la nuance nécessaires.
00:39 Sachez que nous avons entendu les réactions de nos invités et de nos auditeurs et nous en tirons les leçons pour l'avenir.
00:45 * Extrait de « Les Midi de Culture » de Nicolas Herbeau *
00:54 Place à la critique, aujourd'hui deux films sortent en salles et tous deux mettent en scène l'enfermement de leurs héroïnes à travers l'emprise et le mensonge.
01:01 Pour en débattre ce midi avec nous, Charlotte Garçon, bonjour !
01:04 Bonjour !
01:05 Rédactrice en chef, adjointe des cahiers du cinéma et Antoine Léris, journaliste et auteur. Bonjour Antoine !
01:10 Bonjour !
01:11 Rédacteur en chef du trimestriel, respect, soyez tous les deux les bienvenus dans « Les Midi de Culture ».
01:15 * Extrait de « Les Midi de Culture » de Nicolas Herbeau *
01:20 Et on commence avec le consentement de Vanessa Philo.
01:23 La lecture d'un livre peut changer le cours d'une vie.
01:27 C'est pour ça qu'il est capital de rencontrer ses maîtres le plus tôt possible, quand l'esprit se ferme.
01:35 Qui as-tu déjà rencontré ou admiré, toi Vanessa ?
01:39 * Extrait de « Les Midi de Culture » de Nicolas Herbeau *
01:43 J'étais avec Gabriel, maman.
01:45 Regarde, il m'a écrit un poème.
01:47 Il est dans ta classe ?
01:49 * Extrait de « Les Midi de Culture » de Nicolas Herbeau *
01:55 Comment adapter au cinéma le récit de l'emprise destructrice d'un auteur de 50 ans, adoubé par ses pères et couronné par les prix littéraires, avec une jeune fille de 14 ans ?
02:04 Comment ne pas être voyeur, ni aveugle ?
02:06 C'est toute la problématique de ce film de Vanessa Philo, qui avait pour lourde tâche de transposer sur les écrans le consentement de Vanessa Springora.
02:14 Récit sorti en janvier 2020.
02:16 Véritable choc littéraire et phénomène de société, celui-ci racontait la manipulation et l'abus de l'auteur Gabrielle Mazneff, alors qu'elle n'était qu'une adolescente.
02:25 Reprenant la question du consentement, être consentante empêche-t-il d'être abusée ?
02:30 Vanessa Philo est-elle parvenue à rendre toute la puissance du récit de Vanessa Springora, Charlotte Garçon ?
02:36 A mon sens, non.
02:38 Il me semble que le cinéma ne doit pas être l'espèce de voiture-balai des succès littéraires ou des succès de témoignages.
02:45 Il m'intéresse de dire pourquoi.
02:47 On ne peut pas dire que le film pourrait s'appeler "Lévitement", parce qu'il affronte toute sa matière de manière très littérale.
02:55 Mais à mon sens, ça ne suffit pas à faire un film convaincant.
02:58 Antoine Léris ?
03:00 C'est un film très difficile à voir et à critiquer.
03:04 Juste pour parler un petit peu de la sensation de spectateur quand on arrive dans la salle.
03:11 C'est un film qu'on n'a pas vraiment envie d'aller voir.
03:14 On a une petite boule au ventre.
03:17 On sait ce qu'on va voir sur l'écran et on n'est pas sûr d'avoir envie de le voir.
03:24 Après, les premières images commencent et on a cette voix de Jean-Paul Rouve qui interprète Gabriel Mazeneuf.
03:30 C'est une voix douceuse, reptilienne, très dérangeante, très perturbante.
03:36 On a cette transformation de cette boule au ventre qui arrive dans la gorge et cette nausée qui ne m'a pas quitté tout au long de la vision du film.
03:46 Après, les scènes s'enchaînent.
03:49 Il lui met un verre de lait pour qu'elle puisse boire avant de la violer dans sa chambre de bonne sous les toits parisiens.
04:00 On se dit qu'on ne va pas tenir et on tient parce qu'on a une intervention sur France Culture à faire.
04:05 Quand on termine, on se dit que le film a servi à enfermer Gabriel Mazeneuf, le monstre, dans un film comme lui-même l'avait enfermé dans un livre.
04:17 D'ailleurs, le personnage le dit dans le film.
04:20 C'est ce que disait aussi Vanessa Springora, vouloir enfermer ce bourreau dans des pages pour mieux dénoncer ses crimes.
04:28 Je suis d'accord avec vous Antoine Léry sur la dimension paradoxale de critiquer un tel objet parce que le récit est tellement fort,
04:35 on se sent tellement impuissant face à ça, qu'on se demande comment on peut en faire une critique esthétique.
04:42 Est-ce que ça n'abolit pas cette possibilité ?
04:44 Non !
04:46 Au contraire, il faut peut-être la faire justement.
04:48 Si on fait un film, tout comme si on fait un livre, il faut avoir une nécessité, me semble-t-il,
04:54 pour être à la hauteur de ce sujet. Il ne suffit pas que pré-existe un livre pour que,
05:00 platement ou avec quelques effets, parce qu'on en parlera peut-être, il y a des effets de ralentis...
05:05 Allez-y, parlez-en ! Parce que justement, c'est ça la vraie question de l'adaptation.
05:08 Je pense qu'il y a une recherche de subjectivisation, de création du point de vue de l'enfant, de la jeune fille,
05:16 pendant les scènes de sexe, puisque là, je le disais, le film n'évite pas,
05:20 ne met pas dans une ellipse les rapports sexuels dans cette relation.
05:24 Sauf qu'à mon sens, c'est assez pauvre.
05:27 C'est-à-dire que ça reste une sorte de vernis formel, des petits échos.
05:32 J'ai repéré qu'à la bague, à la grosse chevalière de Matt Sneff,
05:36 correspondait une espèce de bague en plus petit, qui ressemble et que porte la mère.
05:40 La mère qui est une sorte de facilitatrice, malgré elle...
05:44 Interprétée par Laetitia Casta ?
05:46 Il y a des effets beaucoup plus outrés, à mon sens,
05:50 comme ce qu'on appelle des "flares" dans le travail de la lumière.
05:54 C'est-à-dire que tout à coup, on voit qu'il y a des projecteurs...
05:57 Qui viennent éblouir en quelque sorte.
05:59 Qui viennent éblouir, avec des effets de contre-jour, etc.
06:02 Je vois cette recherche, mais elle me semble assez superficielle et très peu substantielle.
06:08 Vous disiez que le but, c'était d'enfermer Matt Sneff dans le film.
06:14 En réalité, le but avoué dans le livre, c'est de l'enfermer dans un livre.
06:18 Il y a une boucle quasi proustienne.
06:20 On pourrait résumer que Vanessa apprend à écrire.
06:22 Il lui faut 30 ans, mais enfin, elle écrit comme lui.
06:25 Elle était écrite.
06:27 Et au début, à l'âge de 13 ans, un autre ami de sa mère lui dit "tu devrais écrire".
06:32 Elle ne suit pas ce conseil, finalement, et elle va se faire écrire.
06:36 Elle reçoit des lettres, puis elle va être complètement happée dans la littérature de l'autre.
06:40 Et puis alors qu'en poulet, moi je n'avais jamais lu Matt Sneff, je trouve ça complètement ridicule.
06:45 Alors ça, le film le fait entendre.
06:47 Il me semble que ce sont ses vrais textes.
06:50 Oui, c'était une volonté aussi de Vanessa Springora.
06:54 Il faut dire aussi qu'elle a beaucoup chapoté le projet.
06:57 Ce projet est légitimé par elle.
06:59 Elle a participé à l'écriture du scénario.
07:01 Vanessa Filho a voulu aussi faire entendre la voix de Matt Sneff en voix off, la correspondance.
07:07 Comment il avait enfermé Vanessa Springora dans ses textes ?
07:10 C'est plutôt ça qui est insoutenable.
07:12 Mais à ce moment-là, j'aurais mieux aimé un truc complètement politiquement incorrect.
07:16 Parce qu'on aurait fait entendre le ridicule de manière un peu borguesienne.
07:20 On aurait juste reproduit les textes de cet homme, de son délire misogyne.
07:24 Parce que derrière, il y a une forte misogynie.
07:26 On voit bien qu'il couche avec des petites filles pour coucher avec des garçons.
07:29 Il y a quelque chose de très tordu, évidemment, là-dedans.
07:33 Pourquoi ne pas faire un film où c'est que lui qui parle ?
07:36 C'est insoutenable, c'est insupportable, c'est politiquement incorrect.
07:39 Mais au moins, j'aurais vu un geste.
07:41 Là, j'ai eu l'impression que les points de vue étaient diffractés, dûment.
07:46 On prend une actrice beaucoup plus vieille pour bien éviter de reproduire quelque chose de...
07:50 Et là, c'est le problème de l'adaptation.
07:52 Charles Garçon de Lasso aurait été carrément un autre film.
07:54 Or, pour Vanessa Springora et Vanessa Filho, l'idée était de vouloir réactiver le geste,
07:59 le choc qu'avait eu le consentement en texte et que ce soit accessible à tous.
08:05 Donc là, c'est un autre film.
08:06 Justement, le problème, c'est, comme vous le disiez, de l'avoir fait avec une forme de superficialité
08:11 pour tout ce qui concerne les deux films dans le film.
08:14 Parce que dans le fond, il y a deux films.
08:16 Il y a ces scènes de dialogue où on comprend que la société littéraire,
08:21 que ce petit milieu littéraire, adoube complètement cette relation, l'accepte, voire la transcende.
08:27 Ce qui est très difficile à vivre, justement, c'est de voir cette acceptation dans les sourires.
08:32 On débouche le champagne pour fêter le fait qu'il n'a pas été arrêté par la brigade des mineurs qui était venue l'embêter.
08:38 Il y a des scènes comme ça qui sont très éloquentes.
08:40 Et puis, il y a un autre film qui consiste simplement à montrer cet amour entre les deux,
08:46 cette histoire d'amour, en tout cas, non consentie ou consentie, mais qui correspond à un viol.
08:54 Tout ce qu'a voulu démontrer Vanessa Springora et qu'il a simplement montré.
08:58 Justement, ce n'est pas raconter ce qui nous manque, c'est ce jeu littéraire.
09:02 Mais je pense que c'est vraiment, réellement lié aussi à l'objet cinéma.
09:06 La littérature peut se permettre des choses que le cinéma ne peut pas se permettre.
09:11 La littérature peut raconter des choses que le cinéma peut simplement montrer.
09:14 Et on se retrouve exactement dans cette passe là.
09:16 C'est à dire vouloir faire une adaptation littérale de ce livre nous amène simplement à regarder quelque chose d'immonde.
09:23 Alors que Vanessa Springora, par le jeu, par l'intimité qu'on a avec l'auteur,
09:27 par le fait qu'on peut ouvrir un livre et le poser quand ça devient un peu dur,
09:31 pour le reprendre, qu'on a le temps de réfléchir, de le lire sur plusieurs jours,
09:34 elle nous permettait justement d'entrer dans l'intimité de ce cerveau qui a été violé.
09:41 Et je trouve que c'est ça qui manque profondément dans ce film-là.
09:44 - Charlotte Garçon, vous pensez aussi que c'était une adaptation impossible ?
09:47 - Oui, il y a une forme d'aporie, puisque le livre, c'est du texte.
09:50 J'avais dit, c'est une espèce de duel de textes à 30 ans d'écart, certes.
09:54 Donc évidemment, c'est perdu dans le cinéma.
09:57 Mais le cinéma a toute responsabilité à chercher.
10:01 Là, ce n'est pas chercher.
10:02 Donc c'est une responsabilité aussi des producteurs de ne pas lancer des choses de manière un peu cynique,
10:07 en se disant "bon, ça a fait un succès, c'est dans l'air du temps, etc.
10:10 Ce serait bien le diable si on ne pouvait pas faire un film intéressant à partir d'un livre aussi fort."
10:15 En fait, non. Il faut quelqu'un qui soit complètement habité par la forme même.
10:20 - Et qui prenne partie. C'est-à-dire qu'il ne soit pas juste dans une sorte de transposition,
10:24 et qui accepte la crudité de certaines scènes,
10:27 et en même temps qui n'envoie pas certains avec des flaires ou des jeux d'ambiance, comme vous le disiez, Charlotte Garçon.
10:32 - Alors là, du coup, ça fait un peu David Hamilton.
10:34 En fait, en voulant restituer, je vois bien, une forme de crudité,
10:39 et ne pas éviter de montrer l'horreur de la chose,
10:43 finalement on se retrouve à tomber dans l'écueil qu'on a voulu éviter.
10:50 - Finalement, on en montre quand même ?
10:52 - En fait, le problème est que si elle n'avait pas montré ces scènes-là, on lui aurait reproché de les avoir montrées.
10:57 - Oui, c'est ça. Obligé de faire des inserts sur des chaussures kickers,
10:59 ou une petite culotte blanche qui rembatte de gens.
11:03 - C'est vrai qu'il y a aussi une sorte d'archétype de l'écolière qui est assez figurée.
11:07 Les kickers, les chaussures, le ver de lait, et puis même chez Gabriel Maznev,
11:16 c'est-à-dire vraiment les photos de Lewis Carroll, la bague, sa posture,
11:22 c'est vrai que c'est presque surligné, mais en même temps, on fait confiance,
11:25 au fait que ce soit le récit de Springora aussi.
11:28 - Oui, mais à l'arrivée, vous conviendrez, moi j'ai un peu pensé à Bouvard et Pécuchet, c'est un peu méchant,
11:32 je me dis finalement, les deux personnages, puisque les deux points de vue sont un peu alternés,
11:38 dans ce non-choix de mise en scène, ou dans ce choix soigneux de diffraction des points de vue,
11:44 on a l'impression que c'est les deux nigos.
11:46 C'est-à-dire que lui, c'est un imbécile, c'est-à-dire que c'est vraiment quelqu'un qui agit par ses pulsions,
11:51 qui se donne un alibi littéraire, comme l'a vu très bien Denise Bombardier, l'autrice québécoise,
11:57 qui était intervenue dans "Apostrome".
12:00 - Qui est d'ailleurs l'archive qui est instérée au milieu du film, donc au moment sur "Apostrome".
12:05 - À l'époque, ce qui veut bien dire, et ça c'est effectivement le moment le plus fort du film,
12:09 c'est quelque chose qui a eu lieu dans le réel.
12:12 Il y avait des gens lucides, simplement comme "par hasard c'est une femme étrangère".
12:16 Tout ça est tellement désengagé, à force de vouloir diffracter les points de vue, être juste, etc.,
12:27 et on a donc pour moi l'imbécile, avec ses phrases en poulet, ses postures ultra catholiques,
12:33 la Sainte Vierge qui vient s'inviter, la félicité pour parler d'une fellation, etc., donc c'est complètement outré.
12:39 Et d'un autre côté, malgré tout je suis désolée, puisqu'on ne veut pas cocher la case de la Lolita,
12:44 parce que ce serait très très dangereux, alors du coup c'est une oie blanche.
12:47 Et elle roule des yeux, elle est perdue dès le premier dîner où le prédateur la repère,
12:53 et elle ne change pas de jeu, et elle a ce jeu toujours dépassé.
12:56 Et elle ne réagit que quand elle est "trompée", puisque c'est la loi de la série,
13:00 évidemment il faut d'autres petites filles.
13:02 Mais il y a quand même ces scènes dont vous parliez Antoine, qui sont intéressantes,
13:06 c'est-à-dire dans le restaurant, sur les plateaux télé, ou la relation entre Vanessa et sa mère,
13:11 Vanessa qui est interprétée par Kim Igelin, et sa mère qui est interprétée par Leticia Casta,
13:15 où là en fait on voit que le consentement, c'est pas juste le consentement d'une jeune fille,
13:19 et ça c'est vraiment le propos de Springora, c'est le consentement d'une société qui a décidé d'accepter
13:24 un état de fait intolérable. Et ces scènes-là, elles sont parlantes !
13:28 - Alors oui, et en même temps, elles sont vraiment l'image d'un microcosme, disons,
13:33 à cette époque-là, dans les années 80, il n'était pas acceptable pour tout le monde
13:37 qu'un homme d'une cinquantaine d'années puisse avoir des relations sexuelles avec une jeune fille de 13 ou 14 ans.
13:41 Et donc, ce que ça raconte, c'est vraiment comment dans ce microcosme,
13:44 et c'est répété à plusieurs moments dans le film, pour la littérature, on peut tout sacrifier.
13:50 Et justement, cette jeune fille, Vanessa Springora, a été sacrifiée sur l'autel de la création littéraire,
13:56 et c'est ça que tout le monde accepte. Ça n'est pas nécessairement justement ces relations entre un adulte
14:02 et une personne mineure qui là sont plus problématiques, et socialement n'étaient pas acceptables dans les années 80.
14:07 - Oui, je rappelle que ça se passe en 85. - Voilà, et ça n'était pas communément admis, ce type de relation.
14:12 Mais c'est justement ce petit microcosme qui accepte pour la création littéraire ce sacrifice-là.
14:18 Et ça, effectivement, c'est assez intéressant. - C'est-à-dire que dans les scènes comme ça, en extérieur, on se sent enfermé aussi.
14:23 C'est-à-dire qu'on a l'impression que personne ne peut intervenir, qu'il n'y a pas de point de vue extérieur pour les tromper.
14:27 - C'est ça, en fait, c'est là où c'est un livre qui raconte aussi beaucoup l'époque, justement, le rapport à la création.
14:32 Est-ce que la création pardonne tout ? Est-ce qu'on peut tout pardonner à un créateur ?
14:36 Et c'est des questions qui se posent aujourd'hui dans plein de pans de notre société.
14:39 - Mais est-ce que ça se pose dans ce film ? Parce que là, vous parlez du livre.
14:42 - Oui, elle est mise en scène, elle est effleurée de manière superficielle, effectivement.
14:48 Elle est évoquée. Ensuite, est-ce que profondément, on va comprendre la question réellement de qu'est-ce que la littérature peut ou ne peut pas ?
14:58 Et qu'est-ce qu'on peut sacrifier pour la création littéraire ? Non, évidemment non.
15:02 En revanche, ça peut amener des gens à avoir envie de lire le livre.
15:05 Et là, dans le livre, ils vont comprendre, quelque part, non pas ce qu'un créateur a le droit ou pas de faire,
15:12 mais comprendre les conséquences que peut avoir cet acte sur un jeu qui s'exprime dans des pages.
15:17 - Juste un dernier mot, parce qu'on va dépasser sinon le temps consacré à ce film.
15:21 Juste un mot peut-être sur Kimi Jelin, sur les interprètes, sur Jean-Paul Roux, Van Mazenet ?
15:24 - C'est pareil, c'est impossible. En fait, c'est impossible de vous dire, oui, Kimi Jelin...
15:28 Alors, Kimi Jelin, quand elle parle avec son corps, il y a quelque chose de très puissant qui se dégage.
15:33 Quand bien même peut-être sur les scènes dialoguées, c'est un peu moins puissant.
15:36 Jean-Paul Roux, on imagine que c'est Mazenet tout de suite.
15:40 Est-ce qu'on a véritablement envie de saluer une performance comme ça ? C'est très compliqué.
15:45 - Il a 50 ans, t'en as 14 à peine ! Il se sert de toi !
15:49 - Ce qui se passe entre nous, c'est très beau, c'est très rare. Ce n'est que de l'amour.
15:55 C'est une chance pour toi que je sois le premier.
15:58 - C'est un pédophile, tout le monde le sait.
16:01 - T'as dit n'importe quoi, j'ai plus 8 ans, je suis plus une gosse.
16:03 - Qu'est-ce qui t'a pris de te maquiller ? Tu veux avoir l'air d'une dame, c'est ça ?
16:07 - Personne ne veut me comprendre.
16:10 - Le consentement de Vanessa Filho est dans salle, d'après le récit de Vanessa Springora avec Kim Igelin, Laetitia Casta et Jean-Paul Roux.
16:16 - Jusqu'à 13h30, les midis de culture, Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy.
16:25 - Et maintenant, le ravissement d'Iris Keltenbach.
16:28 - Alors, c'est négatif ?
16:32 - Attends, t'es sûre ?
16:34 - T'es sûre ?
16:36 - Mais non, comme ça je peux boire.
16:40 - Et peut-être que c'est positif ?
16:43 - Hein ?
16:44 - C'est positif ?
16:46 - C'est positif ? Mais t'es une grande malade, toi !
16:48 - J'ai vu ça dans Friends.
16:50 - Mais ça va pas la tête, on fait pas ça aux gens, t'es dingue !
16:53 - Au moins maintenant tu sais.
16:55 - Je sais quoi ? Que tu le veux, cet enfant.
16:57 - Lydia est une jeune femme, très investie dans son travail de sage-femme et a pour seule famille sa meilleure amie, Salomé.
17:04 Mais peut-être est-ce sa rupture amoureuse, la grossesse de Salomé ou sa rencontre avec Milos, sa vie déraille et voici qu'elle s'enfonce dans le mensonge.
17:13 Premier film d'Iris Keltenbach, porté par l'actrice Afsia Herzi.
17:17 Je précise tout de suite qu'il ne faut pas révéler les 20 dernières minutes du film.
17:22 À vous réfléchissez, Charlotte, viens sur la spade, vous n'avez pas la dernière minute du film.
17:26 - Attention Charlotte !
17:28 - Mais Antoine, qu'avez-vous pensé avant que Charlotte dérape ?
17:32 Qu'avez-vous pensé Antoine Lérys de ce thriller psychologique ?
17:36 - Avant les 20 dernières minutes, peut-être juste la première minute.
17:38 Alors il faut que je vous annonce que je suis tout à fait partial.
17:41 C'est-à-dire que moi, la seconde où je vois le visage d'Afsia Herzi apparaître sur un écran, je sais déjà que je vais aimer ce film.
17:48 Parce que c'est avec Sarah Forestier, peut-être Adèle Haenel quand elle jouait encore, peut-être la meilleure actrice de sa génération.
17:55 Elle a un regard exceptionnel, ses yeux sont mi-clos et donc il faut aller chercher à l'intérieur de son regard pour découvrir ses émotions.
18:02 Elle a une chevelure noire immense qui la fait ressembler au flanc d'un volcan avec la terre noire après une éruption.
18:09 Elle a une voix délicate.
18:11 - Ah oui, vraiment, vous nous avez écrit un poème sur la terre noire en fait.
18:13 - Elle est magnétique, elle est inquiétante, elle est puissante, elle est douce, sensuelle, dangereuse, authentique, complexe.
18:18 Et justement, en fait, elle est tout.
18:20 - Je vous crois entendre, Gabrielle Mateneuf, attention !
18:22 - Non, non, on ne peut pas dire ça !
18:26 - Alors là, j'espère que vous ferez un petit message pour dire que...
18:29 - C'est non !
18:31 - Elle est tout et son contraire.
18:33 Et justement, c'est pour ça que je pense qu'elle est parfaite pour ce rôle-là.
18:36 Parce qu'elle joue donc en fait un double personnage.
18:39 Puisqu'il y a cette sage-femme qui accompagne son amie dans une grossesse qu'elle a voulue,
18:44 mais dans une maternité qu'elle n'est pas sûre de pouvoir assumer.
18:48 Et en même temps, elle est celle qui, quand elle croise un ancien amant dans un ascenseur à l'hôpital,
18:55 alors qu'elle tient le bébé dans les bras, va lui dire "c'est le tien" et va donc entrer dans le mensonge.
19:00 En gros, dans la fable de la grenouille et du scorpion, elle est à la fois la grenouille et le scorpion.
19:05 Et cette actrice peut tout jouer. Et donc pour ça, le film est merveilleux.
19:08 - À vous, Charlotte Garçon.
19:10 - Oui, je dirais, alors vous disiez que c'est un thriller psychologique.
19:13 Alors, disons que je craignais que ce soit un.
19:16 Et justement, je trouve intéressant de parler de ce film.
19:19 Alors outre que le ravissement, le consentement, l'attermoiement, l'ajournement, j'attends les autres.
19:25 Il faudra que les distributeurs changent d'algorithme, peut-être.
19:28 - Pour les titres ?
19:29 - Pour les titres. Tout ça suivant le film qui s'appelle "L'événement".
19:32 Un film immersif sur l'expérience de l'avortement.
19:36 - La notation du récit de Annie Arnaud par Audrey Diwan.
19:39 - Mais justement, ce film m'a surprise parce qu'il est complètement comme une sorte d'empreinte en creux.
19:44 Donc, on n'est pas du tout dans le sujet choc.
19:48 Contrairement à ce qu'on pourrait croire en entendant le synopsis.
19:51 - Surtout qu'il s'agit, il faut le dire, d'un fait divers au départ.
19:54 Iris Kaltenbach s'est inspirée, elle sort de la fémis,
19:57 elle s'est inspirée, alors qu'elle était en train de tourner son premier court-métrage,
20:00 de ce fait divers où effectivement une jeune femme usurpe l'identité de sa meilleure amie
20:04 et se fait passer pour la mère de son enfant.
20:06 Donc, il y a quand même quelque chose au début d'un peu, effectivement, sensationnaliste.
20:09 - Oui, tout cela a l'air très très dramatisé.
20:11 Et donc le choix, pour le coup, là il y a un choix, je dirais, de mise en scène qui est vraiment assez fort.
20:16 Parce qu'il est risqué.
20:18 Il est risqué parce qu'on est justement dans le sous-jeu, dans quelque chose de feutré.
20:23 Parce qu'on peut mentir et effectivement s'exposer à devoir rendre des comptes devant la loi.
20:29 Et en même temps, un geste, c'est très furtif.
20:32 La décision se prend de manière...
20:34 - Presque malgré elle, on a l'impression.
20:36 - Donc, cette nuance, cette subtilité va à l'encontre de l'hystérisation des procédés du thriller.
20:44 Et en même temps, il y a quand même une stylisation qui se joue visuellement.
20:48 Parce que beaucoup de plans sont dans la nuit.
20:51 Lui, il travaille un peu la nuit.
20:53 Il est conducteur de bus.
20:55 Enfin, on ne dit justement pas conducteur.
20:57 - Machiniste !
20:58 - Il le précise.
20:59 - Elle est "maioticienne", comme il s'agit.
21:02 - Et non pas sa vie, hein !
21:03 - Et du coup, ce travail de la nuit, c'est vraiment un travail en numérique.
21:08 Le noir, c'est quelque chose qui se travaille de manière particulière avec l'image numérique.
21:12 Et puis, elle fait ressortir le blouson, l'espèce de blouson en pilou.
21:16 Enfin, ce n'est pas du pilou, mais de l'espèce de matière synthétique.
21:21 - La polaire !
21:22 - La veste en polaire !
21:24 - Et donc, il y a quelque chose qui décolle de ce réalisme,
21:27 et même de ce cinéma assez naturaliste dans lequel on a l'habitude de voir Afsia Herzi.
21:32 Donc là, elle l'a fait dériver aussi de ce programme-là.
21:36 - Il y a une ambiance très normale.
21:38 C'est-à-dire que là, l'extrait qu'on a entendu, c'est Afsia Herzi,
21:42 donc c'est Lydia avec sa meilleure amie Salomé qui apprend qu'elle est enceinte.
21:45 C'est dans un bar, dans un bar parisien.
21:48 C'est un anniversaire, c'est l'anniversaire de Salomé.
21:50 Après, on la voit dans le bus, on la voit au travail.
21:52 Il y a quelque chose de très épuré, d'une certaine manière, sur un quotidien, une vie ordinaire.
21:58 Et puis, il y a quelque chose qui se délite, en fait.
22:00 Et c'est là où il y a une dimension thriller.
22:02 C'est-à-dire que vraiment, il y a quelque chose d'inquiétant qui prend.
22:04 Alors, je ne dévoilerai pas les 20 dernières minutes, mais effectivement, on attend le drame.
22:08 - On le sent, on le sent s'enlever.
22:11 Mais justement, par rapport à ce que disait Charlotte, et là où je suis absolument d'accord,
22:14 c'est justement sur...
22:16 Elle a évité le thriller en ne posant pas l'enfant comme l'enjeu essentiel.
22:20 En fait, Afsia Herzi, en mentant sur le fait que cet enfant est celui de son ancien compagnon,
22:26 elle ne s'approprie pas un enfant, elle s'approprie la maternité.
22:29 Et je pense que c'est ça qui est très beau, parce qu'ensuite, ça nous permet de questionner cette appropriation
22:34 par rapport à cette relation entre les deux femmes, et non pas par rapport à l'enfant.
22:39 Que risque l'enfant ? Que pourrait-il lui arriver ?
22:41 Et que l'enjeu du film, c'est qu'est-ce que ça veut dire, entre deux amies, de partager tout,
22:46 sauf ce moment-là, quand une devient mère et que l'autre choisit de se l'approprier.
22:51 Et justement, je trouve que c'est ce déroulement de cette histoire-là qui permet d'éviter le thriller
22:56 où l'on serait inquiet pour l'enfant à tout moment, et qui va plutôt nous inviter à aller chercher
23:01 à l'intérieur de cette relation entre deux femmes, qu'est-ce qui peut se passer ?
23:04 - Charlotte Garçon ? - Il y a quelque chose qu'on n'a pas dit, c'est qu'il y a une voix off dans le film,
23:09 et c'est le récit du témoin/victime de ce type qui n'a rien vu, de ce fiancé qui a cru que c'était...
23:17 - Qui était consentant, en fait, d'une certaine manière, malgré lui.
23:21 - Et que cela montre qu'un enfant, c'est une surface de projection qui va être phagocytée par la famille du jeune homme,
23:27 qui est serbe et qui a toutes sortes de traditions autour de la maternité, par lui-même,
23:32 parce que tout à coup, ça le relance, et sa petite vie routinière s'ouvre,
23:37 et il y a un avenir possible, une construction familiale possible.
23:41 Donc en fait, c'est assez intéressant d'avoir... Alors je crois qu'elle a une formation d'avocate pénaliste,
23:47 alors on pourrait croire qu'elle nous aurait montré le procès, puisqu'il y a eu procès,
23:51 on comprend que cette voix relance quelque chose. - Elle parle à la fin du procès.
23:55 - Elle parle à posteriori, oui.
23:57 - Et en fait, nous on voit au présent, entre guillemets, ce qui se passe,
24:01 et en même temps on a cette voix rétrospective, et cela crée une sorte de faille, en fait, de l'énonciation.
24:07 Et je trouve que c'est très intéressant que finalement le procès ne soit pas montré,
24:11 et ça m'a rappelé ce film assez fort qui est sorti cette année ou l'année dernière, "Saint-Omer",
24:16 où on a une mère, alors c'est beaucoup plus dramatique, puisqu'on a une mère infanticide,
24:19 et on la phagocyte de toutes les explications possibles, et finalement pour dire que c'est à la fois tout ça,
24:26 et pas tout ça, parce qu'il reste un mystère.
24:28 Et là, finalement, le mystère, disons l'opacité, est amené, je trouve, de manière plus subtile,
24:34 moins dramatique, moins surdéterminée.
24:36 - Et puis surtout, ce qui est intéressant, c'est que l'histoire, elle est très simple, finalement.
24:39 En fait, on la comprend assez vite, il y a effectivement une tension qui monte,
24:42 mais il y a une sorte de récit profond. Je n'arrive pas à le décrire autrement,
24:47 mais il y a quelque chose d'essentiel qui se joue.
24:48 Alors, Iris Kaltenbach, la réalisatrice, dit qu'elle a voulu travailler à la fois sur le mensonge,
24:52 sur les faux-semblants qu'on a au début d'une histoire d'amour, et tout,
24:55 pas forcément jusqu'à l'usurpation d'identité, mais elle a voulu aussi travailler sur la maternité.
25:00 Et c'est un petit peu ce que vous avez dit, Antoine Léry, c'est qu'elle voulait se poser la question
25:03 de qu'est-ce que ça provoque une maternité, non pas que dans le couple, mais surtout dans l'amitié.
25:08 Et sur les projections entre amis, et comment on peut désirer ce que l'autre n'a pas.
25:14 Et d'ailleurs, il y a cette phrase très intéressante, qui dit "C'était comme deux vases communiquants,
25:17 quand l'une était triste, l'autre était joyeuse, et elle ne pouvait pas avoir une dose de bonheur pour deux".
25:21 En fait, elles avaient une seule dose de bonheur pour deux, et donc le jour le plus heureux de l'une
25:25 doit être la condamnation au malheur pour l'autre.
25:27 Et c'est vrai que le film raconte ça. Ensuite, c'est vrai que dans l'interview de la réalisatrice,
25:33 elle prend des références mythologiques un peu grandiloquentes, je trouve, notamment avec le jugement de Salomon,
25:39 alors que je pense qu'au contraire, la qualité de ce film, et vous le disiez, c'est d'être tout petit.
25:43 C'est-à-dire de raconter les choses par touches. C'est pareil, le machiniste, donc chauffeur de bus,
25:48 il dit, à un moment donné, "Je crois que c'est comme si on m'avait fabriqué avec le bus".
25:53 Le film avance comme ça, par petites touches, par petits éléments, assez surprenants à chaque fois,
26:00 mais en même temps assez doux, dans une forme de normalité qui avance jusqu'à quelque chose qui paraît inévitable.
26:06 Et donc, je pense que c'est un film qui est tout petit, et sa qualité est justement d'être tout petit.
26:11 C'est quelque chose qu'on va garder pour soi, qu'on va aller inviter une personne qu'on aime particulièrement
26:15 à aller voir ce film et qu'on va garder pour soi. Et ça, je trouve que c'est la vraie réussite de ce film,
26:19 justement de ne pas aller sur quelque chose de grandiose et pourtant de raconter quelque chose d'important.
26:24 - Charlotte Garçon, un dernier mot sur ce film ?
26:26 - Oui, c'est étonnant comme une qualité formelle, on dit le sous-jeu, la soustraction,
26:31 soustraire pour faire ressortir, saillir des choses, aussi bien visuellement que dans le récit.
26:36 Finalement, c'est quand même communiquer à tout le monde l'enlèvement au sens du récit.
26:41 Donc, il y a une cohérence aussi de cela.
26:43 - Merci beaucoup à vous deux, Charlotte Garçon, on vous lit dans les cahiers du cinéma.
26:47 Antoine Hérisse, on vous lit dans la revue trimestrielle.
26:49 Respect, ce dernier numéro porte sur la notion d'hospitalité.
26:52 Je rappelle que le ravissement d'Iris Kaltenbach est sur les écrans aujourd'hui.
26:57 C'est en partenariat avec France Culture et c'est porté par la magnifique Abstia Herzi.
27:02 Vous pourrez réécouter ce débat et retrouver toutes les références sur le site de France Culture,
27:06 à la page de l'émission, l'émilie de culture ou sur l'application Radio France.

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