Christine Angot : Sophie Calle au musée Picasso, une œuvre avec les choses de la vie - L'édito culture

  • l’année dernière
Avec Christine Angot, romancière et dramaturge.

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Transcription
00:00 Quand on lui a proposé le musée Picasso, Sophie Kall a eu peur.
00:04 De ne pas tenir.
00:05 A côté des Picasso.
00:07 A côté de la Célestine.
00:09 Elle a refusé.
00:10 Elle y est retournée au début du confinement.
00:13 Le musée était fermé.
00:14 Les tableaux protégés par du papier craft ou de la toile blanche.
00:18 Elle les a photographiés masqués.
00:20 « Là, je peux ! » elle s'est dit.
00:23 Le début de l'expo, c'est les photos des Picasso masquées avec leur étiquette.
00:28 De Ramart, Marie-Thérèse, deux femmes courant sur la plage, Olga, l'homme à la casquette,
00:34 etc.
00:35 J'y suis retournée avec elle et lui ai demandé.
00:38 « Les Picasso voilés, là, ils sont cancellés ? »
00:42 « Non.
00:43 Voilés.
00:44 J'avais la trouille.
00:46 Comme pendant deux ans j'avais refusé l'invitation parce que Picasso est écrasant quand même,
00:50 s'ils étaient cachés, j'avais plus peur d'être ridicule.
00:54 C'est mon syndrome d'imposture.
00:55 C'est les mots de ma mère.
00:57 Quand elle a vu une œuvre de moi au MoMA, entre à Hopper et à Magritte, elle m'a
01:01 dit « tu les as bien eues ».
01:03 « À toi de faire ma mignonne », le titre, aurait pu être une phrase de Picasso.
01:08 Elle dit « un geste paternaliste » ou paternel.
01:11 Son père était collectionneur.
01:13 Je me souviens l'avoir entendu dire un jour qu'elle avait commencé à faire de l'art
01:17 pour plaire à son père et de l'art narratif parce que c'était ce qu'il aimait.
01:21 « Ici, il y a tout ce que j'ai fait.
01:23 Ma vie, ma maison.
01:25 Son grand truc, c'est l'absence.
01:27 Le manque.
01:28 Ce qu'elle n'a pas.
01:29 Ce qu'elle n'a plus.
01:30 Ce qu'elle n'aura plus, un jour, quand elle ne sera plus là.
01:33 Tous ces objets, tous ces meubles, tous ces tableaux, fauteuils, bureaux, qui sont là
01:38 et comme elle n'a pas d'enfants, après moi il n'y a personne, comme elle dit,
01:42 ils sont là.
01:44 Massés au troisième étage du musée.
01:46 Étiquetés par des commissaires priseurs de Drouot.
01:49 C'est la chanson de Barbara.
01:51 « Un compagné d'osiers de la salle des ventes, une gloire déchue des folles années 30,
01:55 avait mis aux enchères parmi quelques brocantes, un vieux bijou donné par quel amour d'antan.
02:00 Une photo de Mondino la représente morte, recouverte d'un drap blanc, la chevelure qui pend.
02:06 À côté, dans une salle lambrissée, sa mère, filmée sur son lit de mort.
02:11 Le dernier souffle, suivi d'un concerto de Mozart, qu'elle lui avait demandé de passer,
02:16 qui paraît complètement décalé.
02:18 Elle a photographié toutes ses lettres de testament.
02:21 Elle les fait et les refait, en fonction des disputes et des fâcheries.
02:25 Si je meurs, qu'est-ce que ça devient ce bordel ? Où ça ira tout ça ?
02:29 Après moi il n'y a personne. » Elle le redit.
02:32 Le premier étage est le plus beau.
02:34 C'est toute la série des aveugles.
02:36 Ce que voient les gens qui ne voient pas, pour les aveugles de naissance,
02:39 la dernière chose qu'ils ont vue, pour ceux qui ont vu.
02:43 Et peut-être encore plus beau, une œuvre récente.
02:46 Des images filmées en Turquie, de gens qui n'avaient jamais vu la mer.
02:50 Ils habitaient des villages à 10 km.
02:53 Elle les a amenés devant la mer et filmés de dos,
02:56 en train de la regarder pour la première fois.
02:59 Et ils se retournent quand ils veulent, face à la caméra.
03:03 Au dernier étage, les trucs abandonnés.
03:06 Mes intentions, mes échecs, mes ratages, ce qui attend dans des tiroirs, mes projets.
03:11 Je me suis dit, je vais en finir.
03:13 Je vais me faire propre, vider mes tiroirs, je montre mes idées.
03:16 Une manière de m'en débarrasser.
03:18 Les ratages d'une vie, le manque, un mec qui vous quitte,
03:21 un mec que vous quittez, une mère qui ment.
03:24 Moi, c'est toujours là-dessus.
03:27 Nous aussi.
03:29 Ça pourrait s'appeler « Les choses de la vie de tout le monde ».
03:32 Mais elle, avec ça, elle fait une œuvre.

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