La mine du bassin stéphanois porte tant histoires humaines ! Elle transmet jusqu’à aujourd’hui la dignité de ces hommes et ces femmes qui ont construit cette industrie et l’ont sublimé par leur travail, leurs sacrifices, leurs combats…mais par-dessus tout, par leur fierté. Écrit à la première personne, enrichi par de nombreuse archives et témoignages d’anciens mineurs et enfants de mineurs, ce film à la fois poétique et parfaitement documenté nous emporte dans une aventure magistrale, essentielle et tellement belle…
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00:00 (Musique)
00:20 Pendant longtemps, très longtemps, des milliers d'hommes travaillaient à mes côtés.
00:25 Ensemble, nous retirions le charbon des entrailles de la Terre.
00:29 Notre mission était difficile, périlleuse, tragique quelquefois.
00:33 Mais nous progressions ensemble.
00:36 Eux avec leurs mains et leurs forces, leurs courage et leur intelligence.
00:40 Moi avec ma technique qui évoluait au fil du temps.
00:44 On les appelait les mineurs.
00:47 Ils portaient donc mon nom.
00:49 Et je suis si fière aujourd'hui de porter leur histoire.
00:55 Désormais, je trône à l'entrée de ma ville, Saint-Étienne,
00:59 et je porte la mémoire de mes autres voisines et mines.
01:02 Et je sais, au vu des milliers de personnes qui cheminent sous mes yeux,
01:06 combien je fascine.
01:08 Combien, malgré les herbes folles qui envahissent quelquefois mes vestiges,
01:13 je représente quelque chose de puissant, magique, mystérieux.
01:18 Je porte tant d'histoires d'hommes.
01:21 Je porte leurs sacrifices, leurs fatigues, leurs drames, leurs combats.
01:26 Mais par-dessus tout, je porte leur fierté.
01:30 C'était formidable. C'était une autre ville. On sortait d'un autre monde.
01:36 Alors on était coupé du monde.
01:39 Il faut imaginer ce que c'était de descendre à 700 mètres
01:43 et ensuite de travailler 8 heures dans un lieu qui est extrêmement bruyant.
01:47 Et puis il y a ces craquements de la terre qui sont, finalement,
01:51 qui sont exprimés comme étant le pire de tout.
01:54 Le métier de la mine, c'était difficile, certes, mais on n'était pas dans la misère.
01:57 Enfin, on n'était pas vraiment dans la misère. Moi, j'ai pas connu la misère.
02:01 Ensuite, comme les conditions de travail étaient difficiles,
02:04 on retrouve cette notion très forte, je crois, qui est de la solidarité.
02:08 C'est-à-dire, dans la difficulté, les gens s'entraident.
02:11 C'est un monde généreux, un monde plein de solidarité,
02:15 un monde joyeux, je dois dire joyeux,
02:18 contrairement à ce que tout le monde pourrait penser.
02:21 Mais c'est vrai que quand on sortait du fond,
02:24 vous aviez le goût à la vie, forcément beaucoup plus que les autres.
02:27 Nous tombons la lampe le matin
02:36 Au clairon du coq se rallume
02:39 Nous tous cassons les rêves certains
02:42 Abandonnons pas l'enclure
02:45 Oh, comme ils méritaient tous, mes mineurs,
02:48 ceux qui travaillaient au fond, mais aussi ceux qui œuvraient en surface,
02:53 trop souvent oubliés.
02:55 Avec élégance et discrétion, ils transportaient les souvenirs des combats
03:00 qui avaient jalonné leur histoire et connaissaient la valeur de leur travail,
03:04 une tâche difficile, complexe,
03:07 qui les rapprochait au-delà de leur métier, jusque dans leur maison.
03:12 Il y a des stéréotypes sur la mine, la mine misérable, la mine de Germinal,
03:16 mais ce n'était pas forcément ça.
03:19 Et je pense que le côté négatif de la mine, on s'en moquait.
03:22 Dans les années 50, vu que ça donnait du travail, c'était pas gênant.
03:27 Ah ben là, oui, on était pas au chômage, c'est clair.
03:31 Non, non, il y avait du travail.
03:34 Là, il n'y a pas de souci.
03:37 Mais bon, il fallait aller, ce qu'on appelait nous, en termes de mineurs, à la luche.
03:42 On l'appelait la luche.
03:44 Effectivement, on a érigé le mineur comme le symbole du travail,
03:55 dans les années 1950 notamment,
03:59 et puis parce que ça a été une figure symbolique de la lutte
04:03 pour des acquis sociaux, etc.,
04:06 qui sont ancrés dans cette figure du mineur.
04:10 Donc, en ce sens, c'est un archétype du travail.
04:13 Mais le travail en lui-même, le lieu en lui-même,
04:16 c'est une usine comme une autre usine, en fait.
04:19 La mine, c'est difficile d'en parler parce qu'il faut se situer
04:26 par rapport à l'époque où on se trouve.
04:29 Donc l'image de Zola, elle a été répandue parce qu'il y a eu un succès pour le livre,
04:34 bien sûr, d'abord, ensuite des retranscriptions en films
04:38 ou en émissions de télévision ou autres,
04:41 des séries, qui ont fait que ça s'est... on a popularisé cette image de la mine.
04:45 Elle a été vraie à une époque, et je crois qu'effectivement,
04:49 c'est une réalité de la mine et une réalité parmi d'autres.
04:52 (musique)
05:00 On aimait son travail d'abord à l'époque.
05:03 Puis bon, encore une fois, toute ma famille était mineure,
05:07 donc il fallait bien que je représente la famille un peu.
05:10 Voilà, tout simplement.
05:12 Non, mais c'était un métier qui était formidable quand même.
05:17 Il y avait des dangers, comme dans tous les métiers, bien sûr.
05:20 Mais il y avait cette solidarité que je n'ai jamais retrouvée ailleurs.
05:25 Entre les collègues, que ce soit Pierre, Paul ou Jacques,
05:30 on était tous logés à la même enseigne.
05:33 S'il y avait un pépin, il était pour tout le monde.
05:36 Donc il fallait être solidaire entre nous.
05:39 Ensuite, on avait cette image de la diversité,
05:42 parce que les gens sont venus d'un peu tous les pays
05:44 pour contribuer à cette exploitation minière.
05:48 Alors au début, c'était dans le 19e siècle,
05:50 les gens de la Haute-Loire, de l'Ardèche, du Puy-de-Dôme ou d'ailleurs,
05:53 qui venaient pour travailler à la mine,
05:55 en plus de leurs travaux de paysans et tout ça.
05:58 Ensuite, ça a été les immigrations polonaises,
06:01 de l'après-guerre, italiennes, espagnoles.
06:04 Puis ensuite, les Maghrébins, dans la période plus récente.
06:08 Tous ces gens-là ont participé, disons, à cette industrie
06:11 et ont vécu ensemble.
06:14 Ils étaient dans le travail ensemble, dans les risques ensemble,
06:17 dans la solidarité ensemble.
06:19 Donc cette image que l'on a, qui est réelle,
06:22 d'un milieu où effectivement les différences étaient gommées
06:26 et on était tous noircis par le charbon,
06:29 et donc égaux, si on peut dire.
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07:36 En fait, c'est une sorte de société dans la société.
07:40 C'est-à-dire qu'ils vivaient en quartier,
07:43 quartier qui sont liés aux origines des mineurs.
07:46 Il y a le quartier polonais, il va y avoir le quartier des Kabyles,
07:50 le quartier des Tchèques, etc.
07:54 Donc ça, c'est ce qu'on appelle les cités.
07:57 Ça donnait l'idée de la cité actuellement,
08:00 mais en fait, c'est les cités minières à la base,
08:02 qui ne sont pas les corons, c'est autre chose.
08:04 Il n'y a pas de coron sur le bassin, ce sont des cités.
08:07 Donc il y a une grande cohésion dans les cités,
08:11 et en plus, il y a une grande cohésion au niveau de la mine.
08:15 Donc du coup, l'ensemble fait que,
08:19 finalement, je pense que c'est une vie qui est imperméable
08:24 à la vie du reste de la ville.
08:27 [Musique]
08:31 [Musique]
08:34 La mine avait créé les logements pour le personnel,
08:57 si on remonte dans l'histoire,
08:59 souvent le gisement de charbon se trouvait à un endroit
09:01 où il n'y avait pas forcément une ville et quelque chose,
09:04 il n'y avait rien.
09:05 Donc il fallait construire des infrastructures,
09:07 donc les logements par exemple,
09:09 pour que les mineurs puissent travailler et être fidélisés,
09:11 qu'ils ne soient pas là à tenter d'aller partir du jour au lendemain ailleurs.
09:14 D'où cette notion de logement, de chauffage gratuit,
09:18 qui correspondait à ce qu'on estrayait de l'énergie charbon,
09:21 on en donnait à son personnel.
09:23 C'était ça les compagnies à l'époque.
09:25 [Musique]
09:28 Ce qui était intéressant, c'était le jardin aussi.
09:41 Ah ouais, un jardin, on vivait sur le jardin.
09:45 On vivait, par exemple, l'été, on faisait nos conserves,
09:51 donc entre voisins, on se donnait les semis, tout ça.
09:55 On en commandait à la mine, il y avait une association,
10:02 qui nous achetait les graines et on achetait ce qu'ils voulaient.
10:05 Puis entre nous, on faisait des plans.
10:08 Et puis une année, toi tu lui donneras des plans de salade
10:11 ou des plans de poireau.
10:13 Puis on n'avait pas de voiture,
10:16 donc le dimanche, on allait,
10:18 je lui ai dit dimanche, pas le week-end, on travaillait le samedi.
10:21 Donc on allait au jardin manger entre voisins, tout ça.
10:26 On faisait un peu le bon boulot.
10:29 Et j'y suis toujours.
10:32 Je suis même le dernier mineur qui reste dans le coin là-haut.
10:35 Malheureusement, les gens, ça disparaît.
10:39 On ne peut pas être éternel.
10:42 (musique)
10:51 Je les avais vues grandir ces cités
10:54 où mes mineurs trouvaient refuge et un peu de repos.
10:57 Elles étaient nées au fil du temps,
10:59 tout à côté des dizaines de puits que nous formions
11:02 un peu partout sur le bassin stéphanois.
11:05 Il faut dire que nous étions les plus importantes mines de la France
11:09 au 19e siècle.
11:11 On a eu l'honneur d'être à peine dépassés au milieu du 20e
11:14 par les mines du Nord.
11:17 Chaque jour, j'attendais donc mes mineurs.
11:20 Et c'était toujours le même rituel.
11:23 Saluer les camarades, prendre sa lampe, changer ses vêtements,
11:27 descendre dans mes entrailles et travailler, travailler encore,
11:31 creuser, récolter, transporter, charger les wagons.
11:35 Les heures de labeur semblaient interminables.
11:39 Lorsqu'ils passaient sous mes douches, mes connaissables,
11:42 je sentais bien plus forte que la fatigue
11:45 la fraternité qui les unissait, lorsqu'ils échangeaient leurs rires,
11:49 leurs blagues ou leurs peines qu'ils se confiaient
11:52 avant de retourner chez eux, si fiers de pouvoir offrir
11:56 à leur famille un foyer.
11:59 (musique)
12:03 Alors moi, je suis né dans les années 50, 52.
12:06 Donc j'ai vécu la modernité quelque part.
12:12 Parce que je vous dis, dans notre appartement,
12:15 on avait les WC à l'intérieur, ce qui n'était pas dans tous les immeubles.
12:18 Dans le bâtiment où on vivait, donc rue Calixte-Pleuton,
12:22 on avait des buanderies et des lavoirs pour les femmes.
12:25 Donc les mamans descendaient dans ce lavoir pour laver le linge.
12:29 On avait de quoi étendre le linge. Il n'y a pas de machine à laver.
12:32 Mais les femmes se réunissaient dans les lavoirs pour discuter,
12:35 pour raconter un petit peu des histoires. C'était sympa.
12:38 On avait des loisirs comme la piscine des mines,
12:41 où on pouvait se rendre aussi à la piscine.
12:44 On avait des centres de vacances, comme les colonies de vacances,
12:47 où on partait pratiquement un mois en colonie de vacances,
12:50 alors qu'aujourd'hui c'est beaucoup plus difficile.
12:53 Et les enfants mineurs, on était quand même très soudés,
12:56 parce que je crois qu'on était mal perçus de l'extérieur.
12:59 Moi, j'allais à l'école sur Jacquard.
13:03 On avait des gens qui nous craignaient un petit peu.
13:06 Les mineurs s'étaient mal vécus. Mais nous, entre nous,
13:09 on était super heureux et on vivait de belles choses.
13:12 Par contre, c'est vrai que peut-être qu'on restait entre nous.
13:15 Les enfants mineurs s'amusaient entre eux.
13:18 On s'amusait moins avec les gens de l'extérieur.
13:21 Mais comme c'était beaucoup de fils de mineurs dans le quartier,
13:24 ça ne nous posait aucun problème.
13:27 Et c'est vrai que par rapport à certaines professions,
13:30 on était plus à l'extérieur pour eux.
13:33 Donc, ça ne nous dérange pas. On restait entre nous.
13:36 On vivait notre vie. Et puis, voilà.
13:39 Non, on n'était pas riches matériellement,
13:51 mais ce n'était pas important pour nous, parce qu'on était heureux,
13:54 parce qu'on s'amusait.
13:57 Moi, j'habitais le quartier vers la place Raspaille,
14:00 la rue Martin-Bernard, qui était une rue...
14:03 Le petit bout était en cul-de-sac.
14:06 Donc, c'était une grande cour pour nous, les gamins.
14:09 Donc, on était heureux comme des rois. On pouvait s'amuser, jouer.
14:12 Pendant que les anciens mangeaient la soupe sur le trottoir et chantaient,
14:15 c'était une belle vie.
14:18 Moi, j'ai le souvenir d'une très belle enfance.
14:21 Et il n'y avait pas besoin de beaucoup.
14:24 La solidarité, la joie...
14:27 Je ne sais pas, on s'amusait avec des petites choses. On était contents.
14:51 Dans mon antre, pourtant, et surtout dans les temps plus anciens,
14:54 il n'y avait pas eu que des gens heureux.
14:57 Au milieu du XIXe siècle, la plupart des hommes encore
15:00 ne pouvaient espérer vivre au-delà de 37 ans,
15:03 travaillant dans des conditions extrêmement difficiles,
15:06 soumis à la peur du griseau
15:09 pouvant exploser à tout moment.
15:12 Chaque mineur de fonds devait extraire
15:15 plus de 700 kg de charbon par jour
15:18 pour se satisfaire d'un salaire misérable.
15:21 Alors bien sûr, il y avait eu des révoltes,
15:24 mais elles avaient été écrasées par les armes.
15:27 Pourtant, mes mineurs avaient en eux la fierté vissée aux entrailles.
15:30 Ils savaient la richesse de leur expertise,
15:33 de leur bravo,
15:36 de leur singularité professionnelle.
15:39 Ils allaient donc s'unir autour d'un homme à l'influence remarquable,
15:42 Michel Rondet.
15:45 Ensemble, ils allaient créer la Fraternelle des mineurs.
15:48 Puis, quelques années plus tard,
15:51 en 1883, la Fédération nationale des mineurs.
15:54 Plus rien désormais
15:57 ne pourrait freiner leur appel à vivre dignement de leur travail.
16:00 Pas même la terrible révolte sanglante
16:03 de l'haricamari.
16:06 Se succéderaient en cascade des appels au respect,
16:09 comme le droit à une retraite payée
16:12 et une limitation des heures de travail.
16:15 Même si la route était encore longue,
16:18 j'étais émue par leur combat et devinais à quel point
16:21 leur engagement solidaire serait capable
16:24 d'influencer l'ensemble de notre pays.
16:27 La première grande grève des mineurs
16:30 eut lieu en 1906.
16:33 Elle ferait grand bruit en France et jusqu'en Europe.
16:36 Après les deux guerres,
16:39 la réforme des logements tellement légitime
16:42 ne ferait que se renforcer.
16:45 Et en 1948, une autre grande grève,
16:48 suite à des avancées sociales que le gouvernement
16:51 voulait leur retirer, embraserait tout notre pays.
16:54 Mes mineurs, eux, devaient faire face
16:57 aux policiers qui occupaient les puits.
17:00 Deux de mes hommes furent tués.
17:03 L'un d'eux s'appelait Antonin Barbier.
17:06 Une foule immense défila dans les rues de Firmini.
17:09 C'est après ces morts scandaleuses
17:12 que le mouvement prendra encore plus son envol
17:15 vers les nouvelles innovations.
17:18 Parmi elles, une de taille qui changea en profondeur
17:21 la vie quotidienne, le grand lavabo.
17:24 Dans cette immense vestiaire et ses douces chauffées,
17:27 mes mineurs pouvaient enfin se changer
17:30 et se laver avant de rentrer chez eux.
17:33 Notre modèle stéphanois fut le premier en France.
17:36 - Les douches étaient chaudes, l'hiver c'était chaud.
17:39 On n'avait pas les douches à la maison.
17:42 Donc c'était quand même intéressant de prendre...
17:45 On disait que mes mineurs étaient sales,
17:48 mais à la sortie, on prenait une douche tous les jours.
17:51 Par contre, l'hiver, je me rappelle,
17:54 bon, il n'y avait pas de sèche-cheveux,
17:57 donc il fallait monter dans la cité à Chavassieu.
18:00 Il y avait des glaçons qui pendaient,
18:03 mais bon, on n'était jamais malade.
18:06 On descendait, supposons qu'on avait un petit peu
18:09 un début de grippe, des trucs comme ça, si vous voulez.
18:12 Arriver au fond, il faisait chaud au fond,
18:15 des températures de 40 et plus.
18:18 Remonter, il n'y a plus rien.
18:21 Ah, c'était... ça servait de docteur un peu.
18:24 (rire)
18:27 (musique)
18:55 Voilà.
18:57 Donc là, il y avait une petite églace, comme vous avez vu.
19:00 Donc on se la... on se la... nettoyait un peu les yeux
19:03 parce qu'on avait les yeux très maquillés.
19:06 Là, les dames, le riz-ci, là, c'est zéro.
19:09 Le charbon était meilleur. Donc ça durait toute l'année.
19:12 Même pas dans les congés, je me rappelle,
19:15 12 jours de congés, au bout de 8 jours,
19:18 il y avait encore les yeux noirs.
19:21 Voilà, donc les mineurs étaient reconnaissables à leurs yeux.
19:24 Le dimanche, un dimanche, quand on avait une communion,
19:27 un truc comme ça, on sortait un peu de Saint-Etienne.
19:30 Donc on fignolait mieux le nettoyage avec quoi?
19:33 Avec du beurre. Du beurre non salé.
19:36 Sinon, s'il est salé, après, les yeux sont rouges.
19:39 Voilà, mais avec du beurre, il restait toujours un filet noir.
19:42 Voilà.
19:45 (musique)
19:49 (musique)
19:52 Il y avait quand même 1100 vestiaires.
19:58 Ça, ça fait du monde.
20:01 J'ai encore le bruit dans les oreilles, ici.
20:04 Le bruit que ça faisait dans cette salle, c'est incroyable.
20:07 Et ça résonne, en plus.
20:10 (musique)
20:13 Le bruit, notre compagnon de route.
20:26 Les journées et les nuits de mes mineurs de fond
20:29 en étaient façonnées.
20:32 Il y avait celui devenu si familier et rassurant du travail
20:35 qui les accompagnait jusque dans leur foyer.
20:38 Mais il y avait celui aussi redoutable, imprévisible
20:41 du danger, de la menace imminente, du "trop tard".
20:44 Sans qu'ils en parlent vraiment,
20:47 je savais combien mes mineurs gardaient en mémoire
20:50 les drames qui avaient précipité leurs camarades dans l'enfer
20:53 au cours des siècles.
20:56 Tant de tristes dates seraient à vous énumérer,
20:59 égrénant des nombres tragiques
21:02 où derrière se profilaient des histoires d'hommes
21:05 et de familles anéantis.
21:08 Rien qu'entre 1860 et 1945,
21:11 plus de 800 mineurs étaient morts au travail.
21:14 Et même si au fil des décennies,
21:17 des énormes progrès avaient été réalisés
21:20 pour éviter les explosions, grâce aux lampes
21:23 de plus en plus sophistiquées et aux techniques d'extraction
21:26 de plus en plus élaborées, rien ne pouvait tout à fait
21:29 garantir leur sécurité.
21:32 Devaient-ils pour autant renoncer à leur mission ?
21:35 J'étais émue par leur courage, bien sûr,
21:38 mais peut-être encore plus par cette élégance
21:41 avec laquelle mes mineurs honoraient leurs labeurs.
22:01 Alors moi à mon époque,
22:04 il y avait d'abord le grisoumane qu'on appelait,
22:07 c'est un mineur qui descendait le premier.
22:10 Voilà, donc il passait dans les chantiers,
22:13 il faisait des prélèvements,
22:16 et s'il n'y avait pas 2% de grisou,
22:19 donc il donnait l'ordre au poste de descendre.
22:22 Donc moi en arrivant au chantier, j'avais une lampe à flammes,
22:25 donc j'avais 4 prélèvements à faire obligatoires.
22:28 En arrivant, avant le tir des mines,
22:31 après le tir des mines, et en fin de chantier.
22:34 Et par contre, entre-temps,
22:37 la lampe, il fallait qu'elle soit pendue
22:40 bien visiblement à la hauteur des yeux
22:43 pour voir si jamais il n'y avait pas un dégagement de gaz,
22:46 que la flamme, elle monte, elle file, comme on dit.
22:49 Voilà, tout simplement.
22:52 C'était ma 2e épouse. Il ne fallait pas que je l'abandonne.
22:55 - Je ne dis pas que ce n'est pas pénible,
22:58 ils ont peur. Ils le disent, ils l'expriment.
23:01 Quand on a fait le travail sur les catastrophes minières,
23:04 oui, ils avaient peur. Le bruit, notamment,
23:07 le craquement du sol au fond,
23:10 ces bruits de terre, en fait, que nous, on n'imagine même pas,
23:13 eh bien, ils ont peur, au fond.
23:16 - Oh, mais bon, si on ne descendait pas avec la plure au ventre,
23:19 sinon, on n'aurait pas été travailler.
23:22 Par contre, quand il y avait des gros trucs,
23:25 par exemple, à la mine, j'étais sauveteur.
23:28 Voilà, donc là, j'ai participé à la catastrophe,
23:31 enfin, qui a eu le 6 mai, je crois,
23:34 à Roche-la-Molière, au Pichard.
23:37 Donc là, c'est vrai que ça m'avait laissé quand même des traces.
23:40 En faisant des exercices,
23:43 et puis la réalité, c'est 2 choses bien différentes.
23:46 (bruit de chasse)
23:49 (explosion)
23:52 (bruit de chasse)
23:55 (musique douce)
23:58 - Je me souviens des mots d'un mineur qui dit
24:01 "la mine, elle vous donne tout.
24:04 "Elle vous prend tout, mais elle vous donne tout."
24:07 (musique douce)
24:10 (musique douce)
24:13 (musique douce)
24:16 - Moi, j'ai été accidenté à 20 ans.
24:19 J'ai eu la jambe des fractures ouvertes.
24:22 Donc je suis resté presque pratiquement 8 mois
24:25 à la clinique des mineurs, la clinique Buisson, qu'on appelait.
24:28 Voilà, donc... et puis d'autres, hein, d'autres collègues
24:31 qui ont eu des graves accidents, hein.
24:34 Voilà, mais bon, ça fait partie du métier, quoi.
24:37 - Les mineurs et au-delà des mineurs,
24:40 donc l'ensemble du groupe social mineur,
24:43 c'est-à-dire ceux du fond, ceux du jour,
24:46 mais aussi les familles de ces personnes,
24:49 c'est des gens qui sont très fiers de leur métier,
24:52 qui en connaissent les dangers,
24:55 puisqu'ils le vivent sans cesse.
24:58 Ceux du jour, ils vivent les catastrophes
25:01 de la même manière que ceux du fond,
25:04 c'est-à-dire qu'ils les éprouvent aussi souvent dans les familles.
25:07 Donc c'était quelque chose de très violent,
25:10 une grande violence faite dans l'ensemble du basin.
25:13 Et en fait, cette fierté, elle s'exprime
25:16 par beaucoup de délicatesse
25:19 et souvent ne pas parler, finalement, de son métier.
25:22 C'est-à-dire que c'est son métier, on l'exerce, voilà,
25:25 on en est fiers, et eux ne mettent pas de pathos derrière.
25:28 C'est là ce qui était important.
25:31 Le pathos, en fait, il est mis par ceux qui ne travaillent pas au fond.
25:34 - Il est clair que, comme dans la période plus récente,
25:37 on était dans une activité industrielle,
25:40 je dirais quasiment normale.
25:43 Les mineurs ne descendaient pas tous les jours avec la peur au ventre
25:46 d'avoir un coup de grisou. Heureusement, d'ailleurs.
25:49 C'était assez rare, même si le risque était latent
25:52 et qu'il existait toujours, même dans la période la plus récente.
25:55 Mais il y avait d'abord une communauté de personnes
25:58 qui travaillaient pour produire du charbon tous les jours.
26:01 C'était ça le but, ou creusait des galeries.
26:04 Donc effectivement, c'était une activité industrielle d'abord.
26:07 ...
26:10 ...
26:13 ...
26:16 ...
26:19 - C'est vrai que c'est à ce côté mer nourricière
26:22 puisqu'on extrait de la terre quelque chose
26:25 qui va finalement nourrir le pays en charbon,
26:28 donc en énergie certe carbonée.
26:31 Mais à l'époque, on n'en était pas là.
26:34 Mais d'une énergie qui va donner la force vitale
26:37 pour les autres industries de fonctionner, etc.
26:40 Il y a un côté un petit peu comme ça, mer nourricière.
26:43 ...
26:46 - Notre charbon, qui servait simplement au XIVe siècle
26:49 pour les faire aforger et chauffer les maisons,
26:52 était devenu, dès le XVIIIe siècle,
26:55 l'indispensable richesse pour la révolution industrielle.
26:58 Toutes les usines de France et d'Europe en profitaient.
27:01 Dès 1919, tandis que la guerre avait fait des ravages dans le monde,
27:04 plus de 300 000 tonnes de charbon étaient extraites de nos galeries.
27:07 Et nous faisions déjà partie, nous, les mines du bassin stéphanois,
27:10 des puits les plus modernes d'Europe.
27:13 Notre rendement ne ferait qu'augmenter,
27:16 augmenter encore.
27:19 C'est simple, au moment du Front populaire,
27:22 rien que sur mon puits courriaux,
27:25 mes hommes étaient capables d'extraire
27:28 jusqu'à 900 000 tonnes de charbon.
27:31 C'était pharaonique.
27:34 Et l'on me désignait, en toute humilité,
27:37 comme un puits de concentration.
27:40 Et cela continuait, sans cesse,
27:43 avec plus de 50 % d'augmentation de rendement chaque année.
27:46 C'est bien cette cadence infernale et les salaires dérisoires
27:49 qui avaient provoqué les révoltes,
27:52 quelques fois meurtrières, si indispensables.
27:55 Mais mes mineurs avaient tenu bon.
27:58 Et la société avait vu, peu à peu, son âme grandir.
28:01 Et eux, mes courageux, mes téméraires,
28:04 ils pouvaient désormais connaître,
28:07 dans leur propre métier,
28:10 de véritables progressions.
28:13 D'ailleurs, il y a un de nos anciens,
28:16 un monsieur Meillet, qui est décédé il n'y a pas très longtemps,
28:19 qui est mort à 97 ans, si je ne me trompe,
28:22 et qui, lui, a eu un ascenseur social extraordinaire
28:25 parce qu'il a commencé à 14 ans au fond.
28:28 Donc, on dit "Galibaut",
28:31 mais ce n'est pas le nom de Stéphanois.
28:34 Et il a fini directeur.
28:37 Donc, voilà.
28:40 Non pas par promotion canapé, si on peut dire,
28:43 mais uniquement par leur travail.
28:46 C'est quelqu'un que, quand il parlait à notre association,
28:49 il savait de quoi il parlait
28:52 et il pouvait parler de tout.
28:55 Donc, voilà, l'ascenseur social marchait très bien dans les mines.
28:58 - Mon travail, j'ai d'abord débuté au manœuvre.
29:01 Ben oui, quand vous rentrez à la mine,
29:04 vous êtes manœuvre, vous ne connaissez rien.
29:07 Ensuite, vous prenez un peu de, on va dire, du galon, quoi.
29:10 Donc, après, j'étais piqueur.
29:13 Donc, piqueur...
29:16 Par contre, j'ai fait 2 ans au marteau-piqueur,
29:19 à la batte du charbon, quoi.
29:22 Là, c'est pareil, il faut apprendre.
29:25 Ça se fait pas comme ça, hein.
29:28 Il faut bien savoir comment la battre,
29:31 bien connaître un peu déjà la géologie du terrain un peu.
29:34 On ne plante pas le marteau-piqueur n'importe où, n'importe comment.
29:37 Ça peut provoquer un éboulement, ça peut...
29:40 Voilà. Voilà, donc piqueur.
29:43 Et ensuite, mon gouverneur m'a dit,
29:46 ben, tu peux monter plus haut, donc je me suis...
29:49 Il m'a envoyé à l'école pour être bout de feu.
29:52 Donc, faire des galeries, par contre, j'ai changé.
29:55 Je travaillais pas dans le noir. J'abattais pas du noir,
29:58 j'abattais du blanc, c'est-à-dire du rocher.
30:01 Voilà, donc on faisait des galeries au rocher, c'était...
30:04 C'est-à-dire qu'on va à la recherche du charbon, hein.
30:07 On sait pertinemment le charbon où il se trouve grâce au géomètre.
30:10 Et là, on va faire des galeries de rocher
30:13 qui peuvent faire 50 m, 100 m,
30:16 voire plus, 3, 4, 5 m, même plus,
30:19 les derniers temps, en 69, 3, 4 km.
30:22 On a percé avec Morinberg.
30:25 Donc là, j'étais préposé au tiers de mine,
30:28 donc j'étais responsable du chantier.
30:31 Donc il faut passer à l'école, bien sûr, pour passer le CAM,
30:34 le certificat d'aptitude au minage.
30:37 Voilà, à partir de là, donc,
30:40 vous êtes responsable du chantier,
30:43 de tout le matériel, des explosifs.
30:46 Ça, c'est très important.
30:49 Il fallait tenir à jour les comptes, tout ça,
30:52 ce qu'on a utilisé, ce qui reste.
30:55 C'était tout bien... bien calculé, quoi.
30:58 - Attention.
31:02 (bruit de moteur)
31:05 - En fait, c'est un métier d'ingénieur.
31:18 C'est-à-dire... et quand je dis un métier d'ingénieur,
31:21 c'est pas pour dire il y a les ingénieurs, les géomètres, etc.
31:24 C'est juste que c'est un métier qui nécessite,
31:27 à tous les échelons, une très grande technicité.
31:30 - Quand on parle du mineur de fond, c'est souvent...
31:33 La plupart du temps, on évoque, effectivement,
31:36 un ouvrier qui travaille au fond.
31:39 Après, il y a l'appellation plus générique.
31:42 Un mineur, c'est ceux qui ont travaillé pour la mine.
31:45 On a même des gens qui ont travaillé au jour
31:48 qui ont dit "c'est un ancien mineur",
31:51 mais il a pas forcément mis les pieds au fond.
31:54 Alors, pour l'ingénieur, le métier de l'ingénieur,
31:57 c'est un métier qui est très particulier.
32:00 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
32:03 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
32:06 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
32:09 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
32:12 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
32:15 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
32:18 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
32:21 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
32:24 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
32:27 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
32:30 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
32:33 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
32:36 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
32:39 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
32:42 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
32:45 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
32:48 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
32:51 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
32:54 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
32:57 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
33:00 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
33:03 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
33:06 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
33:09 - Le métier de l'ingénieur, c'est un métier qui est très particulier.
33:12 - Les gens ne sont pas forcément les gens de faussement véhiculés,
33:15 - mais mineurs étaient très attentifs à leurs robustes camarades de travail.
33:19 - Et même lorsque les chevaux demeuraient longtemps dans le noir,
33:22 - mes hommes prenaient soin de leur bander les yeux avant de les remonter,
33:26 - afin qu'ils ne deviennent pas aveugles.
33:29 - Bien souvent, ces chevaux étaient aussi les confidents des enfants, mes enfants.
33:35 - Oh cela, leurs visages sont gravés dans ma mémoire.
33:39 - On oublie aujourd'hui que tous les enfants en France peuvent aller s'instruire.
33:43 - Cela paraît si naturel.
33:45 - Et pourtant, la route fut longue et les lois se succédèrent lentement.
33:51 - À partir de 1813 seulement, l'empereur Napoléon Ier instaurait en France un décret
33:58 - pour interdire aux enfants de moins de 10 ans de travailler dans les mines.
34:02 - 10 ans, vous imaginez ?
34:06 - À cette époque, dans nos houillères, les enfants à partir de 12 ans,
34:09 - travaillaient 12 heures par jour.
34:12 - Puis, le travail de nuit leur fut interdit jusqu'à l'âge de 16 ans.
34:17 - Et en 1882, une loi institua un certificat d'études primaires
34:23 - et tous les enfants devaient s'y présenter dès l'âge de 11 ans.
34:27 - Mais ensuite, ils étaient dispensés d'études.
34:31 - Les différentes lois nationales poursuivaient leur ascension,
34:34 - limitant peu à peu les horaires, imposant un repos hebdomadaire
34:38 - jusqu'en 1959, où l'école devint obligatoire jusqu'à 16 ans.
34:44 - Mais c'est en 1967, enfin, quelques petites années avant ma fermeture définitive,
34:51 - que je ne verrai plus d'enfants en dessous de leur 16 ans.
34:55 - Mon papa était mineur, il travaillait au jour,
35:02 - donc il n'était pas mineur de fond, il était au jour.
35:05 - Et il était un peu responsable du lavement des charbons, quelque chose comme ça.
35:10 - Donc il a commencé à travailler très jeune, puisqu'il était mineur,
35:13 - bon, il a commencé je crois qu'à l'âge de 14 ans.
35:16 - Il a travaillé longtemps, à l'époque, les enfants allaient à la mine très jeune.
35:21 - Je me souviens que mon père me disait, c'est qu'à 13-14 ans,
35:23 - il partait de l'école pour aller travailler.
35:28 - Ça met de la fierté aux enfants, c'est certain.
35:30 - Il y avait de la peur aussi, quelque part, parce que partir,
35:33 - mon père m'expliquait quand il y avait de la neige,
35:36 - il arrivait à quitter ses chaussures pour marcher dans la neige,
35:39 - pour éviter de mouiller toutes ses chaussures, parce qu'il traversait les prêts,
35:42 - pour se rendre au travail, mais il était fier.
35:45 - Mais par contre, il avait des craintes.
35:47 - Mon père m'expliquait, il avait vu arriver l'électricité,
35:50 - donc il avait le personnel qui venait allumer les becs de gaz.
35:54 - Et mon père, il me dit, quand on travaillait de nuit, moi je partais de nuit,
35:57 - et ça me faisait peur, parce que je voyais des hommes qui arrivaient,
36:00 - et ces gens-là, ils lui disaient, n'aie pas peur, n'aie pas peur,
36:03 - on est là pour t'allumer, quelque part, pour allumer les becs de gaz.
36:06 - Donc, mais c'était difficile, c'est sûr que c'est...
36:10 - Alors, reporter aujourd'hui, à la date d'aujourd'hui, ça serait pas acceptable.
36:15 - Mais c'est pas que la mine, c'est l'enfant travaillait dans le textile de la même manière, etc.
36:20 - Quel rôle il avait, l'enfant ?
36:23 - L'enfant avait un rôle, tout simplement, de ramener un revenu dans des familles
36:28 - où on était à 7, 8, 9, 10 enfants.
36:32 - Donc, quand l'État, c'est l'État qui a régulé le travail des enfants,
36:36 - c'est pas un mouvement social en soi, c'est plus l'État a dit, à un moment, a pris conscience,
36:42 - ça c'est des avancées, ben, aussi des médecins, etc.
36:46 - L'État a pris conscience que, ben, le travail des enfants,
36:50 - c'était anormal de faire travailler des enfants en dessous de 12 ans,
36:54 - puis après, ça a été en dessous de 14 ans,
36:57 - et du coup, a adopté des lois.
37:00 - Ces lois ont été extrêmement mal vécues par les ouvriers,
37:04 - parce qu'en fait, qu'est-ce qui leur arrivait ?
37:06 - Ils avaient toujours autant d'enfants, mais ils n'avaient pas de revenus en face.
37:10 - Donc, les premiers à essayer de supprimer ces lois, ce sont les ouvriers,
37:15 - parce que malheureusement, on est dans un système où l'enfant, c'est un revenu.
37:20 - C'est à la fois une bouche à nourrir et c'est un revenu.
37:22 - De plus, les enfants étaient là pour, par exemple, pousser les bennes,
37:26 - notamment dans les veines très fines.
37:30 - Nous n'en avions pas beaucoup sur le territoire.
37:33 - Sur le territoire, en fait, on se rend compte qu'il est assez vite,
37:36 - qu'en fait, c'est pas rentable de faire travailler un enfant.
37:38 - Parce qu'en fait, on peut faire travailler des chevaux, on peut faire travailler des adultes,
37:42 - parce que les mines sont suffisamment hautes pour qu'on puisse, au fond en tout cas,
37:46 - faire travailler des adultes.
37:48 - Donc en fait, le travail des enfants, quand on voit les voies pousser les bennes,
37:51 - très souvent, c'est sur d'autres bassins miniers et très souvent, c'est l'Angleterre,
37:55 - où là, ils ont des galeries extrêmement étroites et où les enfants travaillent
38:01 - parce qu'il n'y a qu'eux qui passent, en fait.
38:03 [Musique]
38:13 Et dire qu'elle avait failli disparaître du paysage stéphanois,
38:17 notre histoire vieille de 800 ans, si coûteuse en effort, si digne.
38:22 Au siècle dernier, nous étions en Corse en 92 puits
38:26 et nos galeries s'entrecroisaient ou se superposaient sur plus de 50 kilomètres.
38:32 Une empreinte majestueuse du travail des hommes.
38:35 [Musique]
38:42 Donc ici, c'était le site du Puy-Pigeot, donc le dernier puits d'extraction,
38:47 c'est par là qu'est remontée la dernière benne de charbon.
38:50 Et après la fermeture du fond, le site a été exploité à ciel ouvert après.
38:55 Donc il y avait une mine à ciel ouvert dans le coin jusqu'en 1992, je pense.
39:02 Et là, il n'y a vraiment absolument plus rien, c'est méconnaissable, il n'y a plus aucun vestige.
39:08 Donc c'est un lieu symbolique dans la région, c'est vraiment là que s'est terminée complètement l'extraction du charbon.
39:15 À l'occasion d'un article de journal, ça devait être en 1973,
39:21 ce qui a dû être fait peu de temps après la fermeture de Couriot,
39:25 ça s'appelait "à la recherche des derniers puits de mine de la région stéphanoise".
39:28 Donc à partir de là, j'ai commencé à m'intéresser à tout bassin,
39:32 et les installations commençaient à disparaître.
39:35 Donc c'est à partir de là que je me suis équipé d'un bon appareil
39:40 pour faire de la photo d'architecture et sauver l'image de ce qui était en train de disparaître.
39:46 [Musique]
39:56 Moi, ce que je vous dis, j'y trouve une certaine beauté dans ce paysage,
39:59 c'est quelque chose qui m'inspire.
40:02 Alors que ça ne fait pas du tout le même effet dans les mines du Nord-Pas-de-Calais, par exemple.
40:07 Dans les mines du Nord-Pas-de-Calais, il n'y a pas de carrière, et puis c'est sur un terrain plat.
40:10 Chez nous, les installations étaient organisées sur plusieurs niveaux,
40:13 parce qu'on est en moyenne montagne,
40:16 donc il y a un certain relief dans les installations, sur plusieurs étages.
40:22 Donc c'est ça qui m'intéresse aussi.
40:25 [Musique]
40:35 Donc le puits devait se trouver à peu près derrière ces cabanes-là.
40:39 C'est difficile à reconnaître parce qu'il n'y a plus aucun vestige, il n'y a plus de traces.
40:44 Donc c'était un petit chevalement qui devait faire même pas dix mètres de haut.
40:49 Et à côté, il y avait un bâtiment où il y avait deux ventilateurs
40:53 qui servaient à aspirer l'air de la mine.
40:56 [Musique]
41:04 Par exemple, le puits des Combes, qui existe encore aujourd'hui,
41:07 qui est classé Monument historique, a été construit en 1952.
41:11 Le puits Pigeot en 1942, le puits Marseille en 1842,
41:16 le puits Flottard en 1908, le puits du Marais en 1910,
41:24 le puits Isaac, je crois que c'est 1931.
41:30 Le puits du Marais ici, je crois que c'est dans les années 1920,
41:33 il y avait le nom qui était gravé, qui était marqué sur le chevalement,
41:36 je crois que c'est 1922 ou 1924, je ne me rappelle plus.
41:39 Le puits Gruner, c'est 1882.
41:43 Donc voilà.
41:47 - Vous connaissez par cœur.
41:48 - Ah ben oui, oui, c'est ma passion alors.
41:51 [Musique]
42:20 [Musique]
42:42 - Pour papa, la fermeture de la mine, ça a été très dur.
42:44 Il a fait la démolition de la carbonisation au champ de feu Girold
42:49 et ça a été douloureux pour lui, très douloureux.
42:54 D'autant plus qu'après, on l'a mis dans un bureau au Grand Clos
42:58 et que la vie dans un bureau, ce n'était pas la vie de mon père.
43:02 Donc deux douleurs, la douleur d'une chute d'un empire pratiquement,
43:08 je l'exagère un peu, et puis la douleur de se retrouver dans un bureau
43:12 quand on n'y a jamais été aussi.
43:15 Et puis la douleur de voir des gens partir un peu à contre cœur aussi.
43:21 Oui, c'était douloureux.
43:22 [Musique]
43:28 - Je regardais impuissantes les destructions de nos puits,
43:31 les uns après les autres.
43:33 Je regardais s'effacer nos racines et nos souvenirs.
43:37 Que resterait-il bientôt ?
43:39 Comment imaginer ce passé dont nous étions si fiers,
43:43 transformés en terrain vague, en champs,
43:46 ou pire encore, en zone commerciale des temps modernes ?
43:49 Je pensais à mes hommes qui avaient tout donné.
43:52 Je revoyais leurs gestes savants, leurs visages volontaires,
43:56 et leurs regards s'imprégner douloureusement comme en reproche.
44:01 Que représenterait nos deux crassiers isolés, désormais sans âme ?
44:05 Quel sens donner à quelques photos et des récits imprimés sur des papiers
44:10 qui un jour jauniraient ?
44:12 Je me demandais avec une inquiétude profonde
44:14 ce que deviendrait bientôt mon puits courriau.
44:17 J'espérais qu'avec son emplacement un peu symbolique,
44:20 aux portes de Saint-Étienne,
44:22 il avait peut-être une chance de sauver notre mémoire.
44:25 Souvent, j'observais quelques-uns de mes hommes
44:28 descendre au fond de nos galeries et récupérer des outils.
44:32 Il y avait ceux pour qui honorer notre histoire était une évidence,
44:37 mais il y avait les autres aussi pour qui le plus important
44:42 était de tourner la page.
44:44 Il y avait un principe de tabula rasa, on rase tout, on garde rien.
44:51 Et finalement, par différents moyens, politiques, entre gens,
44:58 force aussi de l'association des Amis du Musée,
45:03 un musée a émergé, il a ouvert en 1991 seulement.
45:07 Il y a quand même des écarts comme ça.
45:10 Il faut le temps de construire et de faire en sorte
45:13 que le site bascule dans le patrimonial.
45:15 Ce n'était pas une évidence du tout.
45:17 Ça n'était pas une évidence du tout, du tout, du tout.
45:20 Il fallait gommer l'image.
45:22 La mine avait jusqu'à récemment une image négative
45:26 pour Saint-Étienne.
45:28 Il y a certains maires qui ne voulaient plus en entendre parler,
45:30 donc il fallait tout raser.
45:32 C'est paradoxal aujourd'hui, parce que bien souvent,
45:34 le cheval mort du Picoyau sert d'emblème pour beaucoup de choses.
45:38 On le retrouve dans beaucoup de choses.
45:40 On le retrouve sur les vitrines de magasins,
45:42 sur des prospectus.
45:45 C'est vraiment l'emblème de la mine,
45:47 alors qu'au départ, ça n'aurait jamais dû se passer comme ça.
45:49 Si on avait tout rasé, il n'y aurait rien.
45:52 On n'aurait pas cet emblème-là aujourd'hui.
45:54 Et aujourd'hui, on essaye de mettre l'accent là-dessus.
45:56 C'est ce qui est étonnant d'ailleurs, parce que...
45:59 À la limite, dans les années 80,
46:01 ce n'était pas vraiment encore sauvé.
46:04 Courriau n'était pas acquis,
46:06 que ça devienne un musée comme il l'est devenu.
46:09 C'était catalogué "Ville Noire".
46:12 Et les municipalités successives souhaitaient s'en débarrasser,
46:18 que ce ne soit plus l'image de Saint-Étienne.
46:21 Et ça ne se ressentait pas à l'association,
46:24 puisqu'elle n'existe pas encore.
46:26 Mais quand elle a commencé d'exister,
46:28 ça a été Paul et les mineurs eux-mêmes,
46:32 un petit peu les enfants,
46:34 et on s'aperçoit que de plus en plus,
46:36 ce sont les petits-enfants qui s'y intéressent vraiment.
46:38 Quand j'ai fermé le dernier puits avec mon collègue Jean Meillet,
46:43 en 1983,
46:45 on avait déjà pensé qu'il y aurait un futur musée de la mine,
46:50 parce qu'on pensait à Courriau, bien sûr, déjà.
46:53 Et on avait récupéré, identifié,
46:56 tout le matériel qu'on souhaitait garder.
46:58 Et donc on a quand même pris la peine de le sortir du fond, en 1983,
47:02 pour pouvoir l'avoir en réserve
47:04 et l'installer dans la galerie ici reconstituée.
47:07 On a fait ça alors qu'on ne savait même pas
47:10 si réellement le musée allait se faire.
47:12 On est en 1983 et le musée n'a ouvert qu'en 1991.
47:16 C'était 8 ans après.
47:18 Ensuite, je pense que la volonté, c'était aussi de garder la mémoire
47:21 des générations de mineurs qu'on fait ici, dans ce territoire.
47:26 Puisqu'il y a plusieurs siècles qu'on n'a pas eu du charbon dans la Loire,
47:30 ce serait dommage de tout rayer d'un coup et d'oublier cette histoire.
47:33 Et le musée nous semble important pour la transmettre aux nouvelles générations
47:38 qui, pour eux, la mine, ça s'est éloigné.
47:40 Ça représente un peu l'image d'Epinal, mais ce n'est pas de la réalité.
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48:16 J'étais très proche de papa et par amour pour lui,
48:21 je peux dire que ça m'a marquée et que je tiens à lui marquer du respect.
48:28 Et le monde des mineurs est tellement fabuleux
48:34 que c'est eux qui m'ont beaucoup aidée pour après me mettre en libérale.
48:41 Et je leur dois du respect, je leur dois énormément de choses.
48:45 Donc tout naturellement, c'était de venir aux amis du musée.
48:50 Je dis toujours aux équipes, on est des passeurs.
48:55 On ne restera pas les choses, tout ce qu'on a, tout ce qu'on voit,
49:01 j'étais en réserve tout à l'heure, tout ce qu'il y a en réserve, tout le site,
49:04 ça, on doit le garder.
49:06 Et c'est notre rôle de le garder pour les générations futures.
49:09 De l'expliquer, de travailler dessus, d'un point de vue intellectuel,
49:13 de faire de la recherche, mais même physiquement,
49:16 surtout physiquement, de le garder, de le conserver.
49:19 C'est ça qui est important, c'est le site, c'est le chevalement, c'est pas nous.
49:24 On est que des petits morceaux.
49:26 Oui, c'est très important de prolonger cette mémoire.
49:35 C'est notre patrimoine, c'est notre vie quelque part.
49:40 Donc il ne faut pas que ça disparaisse.
49:43 Il faut laisser des traces à nos enfants, à nos petits-enfants surtout,
49:46 parce qu'ils ne se rendent pas compte de cette situation,
49:50 ce que les gens ont vécu à l'époque et ce qui se faisait, sans être malheureux.
49:55 Et je me dis souvent, qu'est-ce que j'aurais fait si j'étais né,
50:02 ne serait-ce qu'à Montbrison par exemple,
50:04 parce que Montbrison, la mine, il n'y a rien du tout.
50:07 Alors qu'à Saint-Étienne, tout de suite, ça a été le déclic.
50:10 Dès que j'étais gamin, j'ai aimé ça.
50:13 D'ailleurs, vraiment, je suis content d'être né là,
50:16 parce que, pourtant, ce n'est pas une ville qui est extraordinaire,
50:19 il n'y a pas de paysages, il n'y a pas un patrimoine exceptionnel,
50:22 mais il y a quelque chose qui n'est pas ailleurs.
50:24 Pour moi, je ne vivrais pas ailleurs qu'ici.
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