La cheffe triplement étoilée, Dominique Crenn, publie son autobiographie, "Les Mémoires d'une cheffe rebelle" aux éditions du Cherche-Midi. Elle était l'invitée du Monde d'Élodie, le 31 octobre 2023 sur franceinfo.
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00:00 Bonjour Dominique Crenn. - Bonjour.
00:01 - Vous êtes chef, première femme triplement étoilée des États-Unis.
00:05 En 2016, vous avez d'ailleurs été élue meilleure chef du monde.
00:08 Votre histoire est forte et très particulière.
00:10 Elle en dit long sur la cuisine que vous proposez d'ailleurs.
00:12 Vous êtes née sous X à Versailles, mais bretonne par adoption.
00:16 Vous aimez casser les codes.
00:17 On dit même de vous que vous êtes rock'n'roll.
00:19 Votre cuisine se veut moderne, éthique, poétique.
00:22 Depuis peu, vous avez quitté San Francisco.
00:23 Vous êtes devenue la première chef, donc étoilée française aux États-Unis
00:27 pour revenir en France avec un nouveau restaurant, le Golden Poppy à Paris.
00:32 - Je n'ai pas quitté San Francisco.
00:34 Moi, je suis toujours en voyage. Je suis toujours à San Francisco.
00:37 - Bon, donc en plus, vous êtes arrivée en France, mais vous continuez à San Francisco.
00:41 Depuis peu, nous avons découvert que vous étiez d'ailleurs devenu
00:45 le nouveau membre du jury de l'émission Top Chef sur M6.
00:48 Aujourd'hui, vous publiez votre autobiographie,
00:51 Mémoire d'une chef rebelle aux éditions du ChercheMidi.
00:53 Une belle manière de vous présenter au public français
00:55 qui ne vous connaît pas ou peu, en tout cas.
00:58 Était-il temps de prendre le temps, justement, de le faire, ce livre ?
01:01 - Moi, j'ai toujours voulu écrire mon histoire, pas pour moi-même,
01:10 c'est pour une histoire qui peut inspirer aussi les autres.
01:14 Ce qui s'est passé, c'est que je l'ai écrit pendant mon cancer du sein.
01:20 Donc, j'avais du temps.
01:24 Mais c'est aussi un livre de réflexion.
01:27 C'est un livre qui peut apporter une expérience autre.
01:32 Un livre aussi où les gens peuvent se reconnaître dedans.
01:36 C'est un livre plein d'humilité et aussi plein d'humanité.
01:43 Voilà.
01:44 - Un livre qui vous ressemble, tout simplement.
01:45 - Voilà, qui me ressemble.
01:46 - Qui parle de vous sans aucun détour.
01:48 Effectivement, ce cancer du sein a été à l'origine d'une prise de conscience,
01:53 d'une envie aussi de remettre l'essentiel au cœur de votre vie.
01:56 Là où d'autres parlent de combat, vous, vous parlez de nouveau départ.
01:59 Dominique Rennes ?
02:00 - Oui, les combats.
02:02 Moi, je ne regarde pas les choses comme un combat.
02:05 Moi, je regarde les choses comme une expérience à vivre
02:09 et un petit peu se remettre en question.
02:13 C'est ça, la vie.
02:14 On doit se remettre en question tous les jours.
02:17 Et bon, ce n'était pas facile.
02:21 Ce n'était pas facile, mais j'ai regardé les choses positivement.
02:24 J'avais aussi des gens qui m'aimaient en face de moi, mes enfants,
02:30 mes amours et aussi mon équipe.
02:34 Donc, c'était très important.
02:36 Et donc, j'aime bien la vie et la vie, c'est important pour moi.
02:41 Et je voulais donner à la vie plus que j'avais.
02:43 - Ça vous évoque quoi, le terme "girl power" ?
02:47 Parce que quand on lit cet ouvrage, on se rend compte que vous êtes une "girl power".
02:51 - Bah, "girl power", on dit "man power".
02:53 Alors, j'en ai marre d'entendre ça.
02:56 Eh bien, voilà, il faut mettre les femmes en avant.
02:59 Les femmes ont beaucoup de pouvoir.
03:01 Moi, ça vient aussi de mon papa.
03:04 Mon papa, quand j'étais jeune, lui, il était entouré de femmes.
03:07 Il me disait "Dominique, les femmes ont du pouvoir, on a besoin d'elles
03:11 parce que nous, on est idiots".
03:12 Voilà, c'est ce qu'il me disait, mon papa.
03:14 Donc, il faut faire attention.
03:17 Il faut avoir un équilibre, un équilibre des sexes.
03:21 Et aussi, il faut voir, il faut donner à la femme aussi un pouvoir qu'elle mérite.
03:28 Voilà, "girl power".
03:30 On est ici, on sera toujours ici.
03:32 On est ici depuis le début du temps, on sera toujours ici.
03:35 Alors, voilà, "welcome us".
03:38 - C'est quoi être une chef rebelle, alors ?
03:41 Puisque c'est le titre de cet ouvrage.
03:42 - C'est quoi d'être une chef rebelle ?
03:45 C'est quoi d'être une rebelle ?
03:47 Une rebelle, c'est...
03:48 Vraiment, c'est une personne, pour moi, qui a beaucoup d'humilité,
03:53 mais aussi qui aime bien casser un petit peu les codes.
03:56 C'est quelqu'un qui n'aime pas être dans une boîte,
04:01 qui veut s'ouvrir aux autres choses,
04:04 tout en respectant les gens autour d'eux ou d'elles.
04:08 Moi, je suis quelqu'un qui est autodidacte,
04:14 donc qui n'a pas connu les codes français de la cuisine,
04:20 bien qu'il connaissait un petit peu les codes.
04:23 Et voilà, j'ai voulu faire mes propres codes,
04:27 bien qu'en respectant aussi les autres.
04:30 Et pour moi, c'est les autres, c'est la nature.
04:33 Et puis, la cuisine, c'est un art.
04:34 La cuisine, c'est une émotion.
04:36 La cuisine, c'est un partage.
04:38 Et si on me demande de cuisiner d'une façon,
04:43 c'est pas moi.
04:44 Je veux cuisiner d'ici.
04:46 Ma grand-mère cuisinait de son cœur,
04:48 ma maman cuisinait de son cœur.
04:51 Elles n'apprenaient pas dans un livre,
04:53 elles apprenaient depuis les histoires d'avant, tout ça.
04:56 Bon, voilà.
04:57 Je suis une rebelle avec amour.
05:03 - Et vous dites cette phrase incroyable,
05:06 vous dites "être adoptée, c'est avoir une existence fantôme,
05:13 c'est vivre dans l'ombre de ce qui aurait pu se passer".
05:15 Ça veut dire quoi ?
05:16 - C'est-à-dire qu'on peut toujours se poser des questions.
05:21 J'ai parlé, moi, j'ai eu beaucoup de discussions aussi
05:27 avec des gens qui ont été adoptés.
05:29 Ils sont restés dans ce négatif et dans cette peur.
05:34 Et de me dire, pourquoi je suis comme ça aujourd'hui,
05:41 c'est parce que j'étais adoptée,
05:43 parce que mes parents biologiques étaient comme ça.
05:47 Non.
05:48 Le fantôme, il faut le prendre d'une manière positive.
05:53 Et c'est peut-être ce genre d'ombre
05:59 qui vous amène un pouvoir d'être aujourd'hui.
06:09 Je n'ai jamais vécu d'une façon où je me disais,
06:12 je suis adoptée, pauvre moi,
06:16 ma mère était peut-être comme ça ou peut-être comme ça.
06:18 Moi, je suis adoptée et j'ai une existence qui commence aujourd'hui.
06:23 Mais bon, il y a une petite ombre ici.
06:25 Il faut la caresser, il faut l'aimer.
06:28 - Il y a quand même des angoisses en vous racontant de l'abandon.
06:31 - Il ne faut pas la prendre d'une manière négative.
06:33 Il ne faut pas se dire, maintenant, ma vie est ratée.
06:37 Non.
06:38 J'ai des parents devant moi qui m'aiment,
06:43 qui me veulent et qui vont me donner une vie incroyable.
06:48 Voilà, c'est ça.
06:49 - Vous avez six mois quand ils vous rencontrent.
06:51 Ils avaient adopté votre frère. - Un petit garçon.
06:55 - Et quand il est arrivé dans la pièce,
06:56 il venait pour choisir justement un autre enfant.
06:59 Il s'est précipité sur vous, il vous a pris dans ses bras.
07:02 Ça a été ce qui a fait qu'ils n'ont même pas résisté
07:06 et qu'ils ont dit "ce sera elle".
07:08 - Oui, c'était...
07:09 - Vous avez adoré qu'il vous raconte cette histoire.
07:12 - Ma maman m'a raconté l'histoire plusieurs fois.
07:14 Elle me dit "Dom, tu ne te rends pas de compte ce qui s'est passé".
07:18 Bon, moi, je venais un petit peu regarder.
07:23 Je sais que la première fois que je suis arrivée,
07:26 tu t'es accrochée à mes jambes.
07:29 Mais un jour, papa et moi, ton père et moi, on est arrivés.
07:35 On était en train de discuter avec la directrice de la DAS.
07:39 Et je ne sais pas ce qui s'est passé.
07:41 Jean-Christophe, je ne sais pas, on essayait de le trouver.
07:46 Tout d'un coup, on l'a vue t'embrasser,
07:50 te prendre dans ses bras.
07:52 Et on a eu les larmes aux yeux.
07:54 On a dit "c'est bon, c'est elle".
07:56 Et voilà, ça s'est fait comme ça.
07:58 Avec la petite fille, avec la tête en petites poires, souriante.
08:04 Ils ont eu les larmes aux yeux.
08:06 C'était un coup de cœur.
08:07 - Vous vous êtes toujours sentie différente, Dominique Krenn.
08:10 Même à l'école, vous ne vouliez pas rentrer dans le moule.
08:13 Vous étiez à l'opposé du comportement des autres.
08:18 Vous n'aviez jamais eu ce petit côté "fifi".
08:20 Votre seul objectif et votre seule envie, c'était de devenir chef cuisinière.
08:25 Et pourtant, il n'y avait pas de personnes autour de vous
08:27 qui auraient pu vous indiquer ce chemin-là.
08:29 Comment vous l'expliquez, ça ?
08:30 - Enfin, chef cuisinière...
08:33 Oui, j'adorais la cuisine, oui.
08:34 Mais je voulais devenir photographe.
08:37 Je voulais exprimer quelque chose, mes émotions, par la photo aussi.
08:44 Et la cuisine aussi.
08:45 Mais bon, je ne savais pas trop.
08:47 Mais oui, le milieu, le monde gastronomique,
08:53 c'était quelque chose qui m'intéressait.
08:55 Mais il y avait aussi...
08:57 Je savais ce que c'était un petit peu, parce que le meilleur ami de mon papa
09:02 était un grand critique de la gastronomie pour le Télégramme en Bretagne.
09:08 Et donc, bien qu'on était privilégiés d'aller manger dans ces restaurants
09:16 et un petit peu de découvrir les chefs,
09:19 je connaissais un petit peu ce monde-là.
09:24 J'entendais un petit peu les chefs crier,
09:28 et puis les gens qui étaient un petit peu stressés qui venaient.
09:31 J'adorais ce monde, j'adorais la mer, la terre.
09:34 Mais aussi, mes parents, mes deux parents venaient de familles fermiers.
09:40 Donc la ferme, la terre, puis la Bretagne, la mer.
09:44 Donc ça m'intéressait beaucoup.
09:46 - Et votre père qui allait au marché faire les courses ?
09:48 - Oui, mon père allait au marché faire les courses.
09:51 Même à la crier, il ne savait pas du tout cuisiner.
09:53 Mais il adorait ce produit brut.
09:58 Puis mon père, c'était un peintre.
10:00 Donc il adorait ce produit.
10:03 Il donnait les produits à ma maman,
10:06 et puis ma maman faisait des choses incroyables.
10:08 - C'est marrant parce que vous avez mis du temps à lui dire que vous vouliez faire ça,
10:11 comme vous avez mis du temps à lui expliquer que vous étiez attirée par les femmes.
10:15 C'est-à-dire qu'à la fois, vous lui rendez énormément hommage dans ce livre,
10:20 parce que c'est d'abord une déclaration d'amour à votre famille aussi.
10:22 Et en même temps, vous racontez qu'il a fallu quand même
10:25 que vous réussissiez à lui dire certaines choses qui n'étaient pas simples.
10:28 - Non, ce n'était pas simple.
10:30 C'était aussi un respect pour l'autre.
10:32 Papa, c'était mon pilier.
10:35 C'était un homme...
10:37 J'ai beaucoup de respect pour cet homme.
10:41 C'était un homme très droit.
10:43 C'était un homme avec beaucoup d'émotion,
10:46 un homme qui était très croyant,
10:49 très politique.
10:52 Mais c'était un homme sensible.
10:56 Et je respectais son discours.
11:00 Je voulais aussi le respecter.
11:03 C'était un homme...
11:04 Je ne voulais pas lui dire, aller lui lancer,
11:07 "Voilà, papa, c'est moi aujourd'hui, je veux faire ça, faire ça."
11:10 Je voulais lui amener ça avec une pensée,
11:14 avec une sorte d'argument,
11:17 une manière de m'exprimer
11:21 et aussi l'entendre m'écouter à côté.
11:25 Je ne voulais pas le bousculer.
11:26 Et...
11:28 Et j'ai eu du mal un petit peu parce que j'ai eu peur.
11:34 J'ai eu peur qui me...
11:35 qui me rabat un petit peu, mais...
11:39 Je savais qu'il y avait beaucoup d'amour
11:46 et je savais qu'il m'aimerait.
11:48 Qu'il m'aimerait, qu'il m'aimerait.
11:52 Il n'y avait pas de question.
11:54 - Tel que vous étiez.
11:55 - Voilà.
11:56 Et bien sûr, mes parents, c'était les études.
12:00 C'était aller à l'école, apprendre, l'éducation.
12:06 Voilà.
12:07 Je pense qu'ils voyaient bien que mon papa aimait la cuisine.
12:10 Il était gourmand.
12:12 Je pense que la cuisine, c'était quelque chose...
12:15 Être un cuisinier, c'était dur.
12:17 Il y avait des hommes...
12:19 Bon, on comprenait ça.
12:20 Je pense qu'il voulait me protéger d'une manière.
12:22 Bien qu'il aimait s'entourer des femmes,
12:25 il voulait me protéger parce que je pense qu'il ne connaissait pas ce monde
12:28 d'une manière...
12:29 De l'autre manière.
12:31 Et voilà.
12:32 Et je me rappelle le jour où je lui ai envoyé ce petit article
12:40 dans un journal de San Francisco qui parlait de ma cuisine,
12:44 de mon approche.
12:46 Il a été ébloui.
12:48 Il s'est dit "Ah, ma fille, ma fille, c'est ma fille qui fait ça."
12:51 Et ça, c'était un moment incroyable dans ma vie.
12:56 Il me regardait, il me comprenait.
12:58 Et ça, c'était incroyable.
13:00 C'était mon père.
13:01 C'était tout pour moi.
13:03 - Tout est dit, d'ailleurs, dans cette phrase.
13:06 "Dans mon restaurant, vous mangez des poèmes."
13:08 Il vous a transmis ça, du coup ?
13:10 Cet amour de l'art, de mélanger justement la culture en général.
13:15 - Et aussi, mon restaurant s'appelle Atelier Crennes.
13:19 C'est l'atelier de mon petit papa.
13:22 C'est le nom de mon papa.
13:24 C'est ce qu'il m'a donné.
13:26 C'est les valeurs de la vie, de l'humanité qu'il m'a donné.
13:29 C'est la poésie, c'est l'intelligence, c'est le génie.
13:35 C'est aussi l'approche de l'humain, en fait, dans l'assiette
13:40 et aussi dans l'équipe.
13:41 Et c'est aussi les peintures.
13:43 C'est les peintures dans l'assiette.
13:46 Au début, quand vous rentrez dans ce petit atelier que j'ai créé,
13:50 il y a toutes les petites peintures de mon papa.
13:52 Donc, c'est pas un restaurant.
13:56 "Ah, j'ai ouvert un restaurant, c'est Dominique Crennes."
13:59 Non, c'est une petite maison que je remets un petit peu pour mon papa,
14:06 que malheureusement, il n'a jamais goûté.
14:10 Il n'a jamais goûté à cette cuisine que j'ai développée depuis des années.
14:14 Parce qu'il est parti en 99.
14:17 Donc, c'était...
14:18 Mais j'ai son énergie tous les jours dans ce petit restaurant,
14:24 dans cette petite maison que j'appelle Atelier Crennes.
14:27 Il veille sur vous.
14:28 C'est comme ça qu'on dit.
14:29 De quoi ?
14:31 Il veille sur vous. C'est comme ça qu'on dit.
14:32 Absolument. Il est toujours avec moi.
14:33 Justement...
14:34 C'est lui qui m'a fait pleurer, là.
14:36 Ce parcours, c'est aussi ça, Dominique Crennes.
14:40 C'est cette force qui vous a insufflée, que vous ont insufflée d'ailleurs
14:42 avec vos parents, parce que votre mère a toujours été là aussi.
14:44 Incroyable femme.
14:46 Voilà.
14:47 Je voudrais qu'on en parle, de la place des femmes,
14:50 à la fois dans votre vie et comme guide.
14:53 Parce que vous racontez comment vous avez été maltraitée en cuisine,
14:56 plotée, tripotée.
14:59 On vous a hurlées dessus.
15:00 Et vous n'avez jamais arrêté.
15:03 Vous n'êtes jamais tombée.
15:04 Vous aviez déjà dans votre tête cette envie de réussir, d'aller jusqu'au bout.
15:08 C'est aussi...
15:10 C'est pas seulement papa.
15:11 C'est aussi maman.
15:12 Maman qui vient juste de partir, il y a quelques mois.
15:18 C'était une femme, bien que c'était une femme un petit peu...
15:22 Pas en avant, mais un petit peu derrière.
15:27 Elle regardait, mais c'était une femme très forte.
15:30 Et puis ma grand-mère aussi, c'était une femme très forte.
15:33 Et j'avais beaucoup de discussions avec maman, parce que maman,
15:37 c'était pas une femme qui ne travaillait pas.
15:41 Qui aussi était rentrée dans les mairies.
15:46 Qui n'a jamais été aussi à l'école.
15:50 Elle est devenue dans les finances, directrice des finances.
15:53 C'était quand même une femme qui était très droite
15:56 et qui savait où aller.
15:58 Et qui écoutait beaucoup.
16:01 Elle me disait "Dominique, tu écoutes,
16:03 mais attention, tu t'abaises pas aux hommes.
16:05 Tu t'abaises jamais aux hommes.
16:07 Et faut que tu gardes ta force en toi-même.
16:10 Et tu apportes ton discours, mais d'une manière très pensée.
16:16 C'est une sorte de forteresse que tu construis autour de toi,
16:21 mais que tu te fermes pas.
16:23 Donc elle m'a un petit peu équilibrée aussi.
16:26 Parce que mon père, il dit "Vas-y, tu vas les avoir.
16:29 C'est toi, t'as de la force."
16:32 Et puis maman, elle était toujours "Oui, mais il y a aussi l'équilibre."
16:36 Moi, je suis...
16:38 Il y a un pourquoi.
16:40 Pourquoi on est sur cette terre.
16:42 On est ici parce qu'on est privilégiés actuellement.
16:46 Moi, je suis très privilégiée.
16:48 Alors qu'est-ce que je fais avec ma voix ?
16:50 Je veux donner ma voix aux autres qui n'ont pas leur voix.
16:53 Et aux jeunes aussi, aux jeunes femmes, bien sûr.
16:56 Moi, je veux les mettre en avant.
16:59 Je veux leur dire "Je suis ici pour vous.
17:02 Je suis ici pour vous écouter, mais je suis aussi pour vous avancer.
17:05 Pour vous donner la force."
17:07 Il faut le faire.
17:09 Il ne faut pas avoir peur.
17:12 Parce qu'on a besoin de ça.
17:14 Et aujourd'hui, c'est incroyable.
17:17 Parce que moi, je reçois des lettres, des e-mails.
17:21 Avec ce livre, avec ce restaurant.
17:24 Et j'en pleure des fois.
17:27 Les choses qu'ils m'écrivent.
17:30 C'est incroyable.
17:33 C'est beau.
17:36 Moi, je me rappelle quand je suis allée
17:39 être aussi la première chef en Indonésie.
17:43 J'ai construit une brigade que de femmes.
17:46 Et c'était en 97-98.
17:49 Et encore aujourd'hui,
17:52 j'ai des rapports avec ces jeunes filles.
17:55 Qui me disent "Chef, j'ai 5 restaurants aujourd'hui.
17:59 Vous vous rappelez de nous.
18:02 Merci de nous avoir apporté cette force."
18:05 C'est incroyable.
18:07 Qu'est-ce qu'on fait dans notre vie ?
18:10 On fait que les choses pour nous-mêmes ?
18:14 Ou on fait les choses pour les autres ?
18:17 Moi, je suis ici pour faire les choses pour les autres.
18:20 Pour avancer, pour mettre les valeurs.
18:23 Et pour mettre les femmes en avant.
18:26 - Est-ce que c'est difficile...
18:30 ...de savoir qui on est en tant que femme ?
18:33 Et qui plus est en tant que femme homosexuelle ?
18:36 - C'est difficile de savoir qui on est.
18:39 Il faut avoir confiance.
18:42 Et il y aura toujours quelqu'un
18:46 qui vous dira quelque chose, qui sera contre vous.
18:49 Moi, oui.
18:52 Mais moi, je suis qui je suis.
18:55 Je vais dire au monde que j'aime qui je veux.
18:59 Et je suis qui je suis.
19:02 - Comment vous avez réagi en 2016
19:05 quand vous avez été élue meilleure chef du monde ?
19:08 Vous êtes triplement étoilée.
19:11 - C'est beau de mettre les femmes en avant.
19:14 Mais être la meilleure femme au monde,
19:18 ça nous met dans un truc à part.
19:21 Si on est la meilleure chef au monde,
19:24 on est la meilleure.
19:27 Mais il y a aussi ce contreparti
19:30 où ils ont essayé de mettre les femmes en avant.
19:34 C'était beau pour l'équipe.
19:37 C'était beau aussi pour les femmes.
19:40 Moi, je suis un pilier.
19:43 C'est important qu'on se retrouve aussi.
19:46 Qu'une petite fille se retrouve à la télévision.
19:50 "Ah, je me vois. Je me reconnais."
19:53 C'est important.
19:56 Je me reconnais comme une femme.
19:59 Les cheveux...
20:02 Elle est française, mais il y a un mix.
20:06 Et puis elle est autre.
20:09 Mais elle est aussi...
20:12 On est en avant.
20:15 On se reconnaît.
20:18 Moi, je suis quelqu'un dont il faut avoir des références.
20:22 Quand j'étais petite, il n'y avait aucune référence.
20:25 Il n'y avait que des hommes devant moi.
20:28 C'est pas qu'on n'aime pas les hommes, mais il n'y avait que des hommes.
20:31 Moi, je sais qui je suis.
20:34 Ce qui se passe chez moi, ce n'est pas votre business.
20:38 Ce qui se passe avec mon corps, ce n'est pas votre business.
20:41 La politique, il faut un peu se recadrer.
20:46 En France, il y a une politique...
20:49 Il n'y a que des hommes, mais il y a beaucoup de femmes aussi.
20:53 Il y a une humanité.
20:56 On est des humains.
20:59 Il faut traiter tous les humains de la même manière.
21:02 On arrête cette chose. On traite les gens les mieux que les autres.
21:05 - Vous dites d'ailleurs que si vous contrôlez les estomacs,
21:08 vous contrôlez le peuple. - Si on contrôle ?
21:12 - Les estomacs, on contrôle le peuple.
21:15 - Oui, si on contrôle les estomacs, on contrôle le peuple.
21:18 Ça, ça se fait depuis le début du temps.
21:21 Quand le roi Emile disait qu'il était d'accord avec lui,
21:24 il lui donnait un peu de nourriture.
21:28 C'est la même chose quand on voit des trucs de fast-food.
21:31 Qu'est-ce qui s'est passé dans les années après l'industrialisation
21:34 de la nourriture aux Etats-Unis ?
21:37 Les fast-food, on les met dans les communautés
21:40 qui sont un petit peu...
21:44 Les communautés blacks, les communautés un petit peu plus hispaniques.
21:47 On les contrôle avec ça.
21:50 Il faut arrêter ça.
21:53 On le sait très bien, l'agroalimentaire contrôle les peuples.
21:56 Je suis désolée de dire ça, mais c'est vrai.
22:00 - Il y a autre chose très présente dans votre vie, c'est l'amour.
22:03 Vous êtes mariée, justement.
22:06 Vous dites que c'est un accomplissement d'épouser la femme que vous aimez.
22:09 Quelle place occupe l'amour, Dominique Reynes ?
22:12 Est-ce que vous prenez le temps pour vous dans cette vie de chef ?
22:16 - La première chose, ce n'est pas son travail.
22:19 La première chose, c'est l'amour de la personne
22:22 qui est en face de vous tous les jours
22:25 et qui vous donne ce support qui est incroyable.
22:28 Moi, je suis tombée amoureuse
22:32 pendant mon cancer.
22:35 On se connaissait depuis un an,
22:38 mais on était seulement...
22:41 On se côtoyait, on était copines.
22:44 Et avant que j'apprenne vraiment le vrai,
22:48 avant que j'apprenne vraiment le verdict,
22:51 il y a une chose qui s'est passée.
22:54 Moi, j'étais en voyage en Italie
22:57 et je suis revenue à New York pour faire un dîner
23:00 pour mon anniversaire.
23:04 Et j'ai appris à ce moment-là
23:07 que j'avais quelque chose.
23:10 J'ai fait des tests et là, j'apprends.
23:13 "Dominique, mon médecin, t'as un cancer.
23:17 "Ca va être compliqué, mais t'as un cancer du sein.
23:20 "C'est pas facile."
23:22 Et Maria m'appelle et me dit
23:25 "qu'il y a quelque chose qui s'est passé entre nous."
23:28 Je lui dis "on se rencontre à San Francisco."
23:31 Et je lui dis "j'ai quelque chose à te dire."
23:35 Elle me dit "moi aussi, j'ai quelque chose à te dire."
23:38 Elle me dit "je crois qu'il y a quelque chose dans mon coeur.
23:41 "Je veux continuer, je veux te connaître."
23:44 "Tu m'as fait quelque chose, je veux qu'on se découvre."
23:49 Et je la regarde
23:53 avec une petite peur
23:56 parce que moi aussi, je veux faire quelque chose avec elle.
23:59 Je la prends, je veux la connaître.
24:02 Je dis "écoute, Maria, je viens d'apprendre
24:05 "que j'ai un cancer. Ca va être dur."
24:09 Et elle me coupe la parole.
24:12 Elle me regarde dans les yeux et me dit
24:15 "allez, on va faire le cancer ensemble."
24:18 Et là, je suis restée comme ça.
24:21 Et je l'ai regardée.
24:25 Je lui ai dit "ok."
24:28 Et depuis le jour qu'elle m'a dit ça,
24:31 elle m'a donné de l'amour, du sourire.
24:34 On a dansé. Il n'y avait pas un moment
24:37 où je suis tombée, où j'ai essayé de lâcher.
24:41 Pourtant, c'était dur parce que c'était un cancer.
24:44 Je ne dis pas, comme j'étais toute seule
24:47 à la maison, dans mon lit,
24:50 penser à mes enfants,
24:53 j'ai eu 16 sessions de chimo.
24:57 Avoir ça,
25:03 c'est notre corps qui se met
25:06 dans un monde différent.
25:10 On nous change complètement.
25:13 Il faut vraiment choisir
25:16 la direction où on veut aller.
25:19 C'est le négatif ou le positif.
25:22 Moi, c'était le positif.
25:26 C'était l'amour de mes enfants, de cette femme.
25:29 Et aussi donner à mon équipe
25:32 qu'on y va, qu'on va se battre.
25:35 Et aussi pour les gens qui ont le cancer.
25:39 On voit ce qu'ils savent.
25:42 Qui sait qui nous aime et qui sait qui nous aime pas.
25:45 - Comment vous allez aujourd'hui ?
25:48 - Je pète de la vie.
25:51 Ça fait deux ans que je suis au top.
25:54 Le cancer s'est passé à côté.
25:58 - Aujourd'hui, vous êtes à la tête
26:01 du restaurant Le Golden Poppy à Paris.
26:04 Vous êtes également jurée dans l'émission Top Chef.
26:07 On découvrira les images d'ici peu de temps.
26:10 Petite, vous manquiez de représentation
26:14 de femme cuisinière.
26:17 Êtes-vous fière d'en être devenue une aujourd'hui ?
26:20 - Je suis très fière d'en devenir une
26:23 et de représenter mon sexe.
26:26 - Merci beaucoup, Dominique.
26:30 Je précise que vous venez des Etats-Unis
26:33 et que ce n'est pas facile pour vous de traduire.
26:36 - Je suis pas désolée.
26:39 C'est qui je suis aujourd'hui.
26:42 - "Mémoire d'une chef rebelle"
26:46 vient de sortir.
26:49 A partir de février,