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Gaël Veyssière, ambassadeur de France en Ukraine, était lundi 13 novembre le Grand témoin de la matinale de franceinfo. Il répondait aux questions de Jérôme Chapuis.

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Transcription
00:00 - Notre grand témoin ce matin est donc l'ambassadeur de France à Kiev. Bonjour Gaël Vessières.
00:04 - Bonjour.
00:04 - En direct avec nous à l'occasion de votre passage ici à Paris, l'Ukraine se prépare
00:08 à un nouvel hiver sous les bombes après l'échec de sa contre-offensive. On va en
00:13 parler d'un mot peut-être avant. Vous êtes en poste depuis un peu moins de trois mois.
00:17 Quelle est l'impression qui domine chez les Ukrainiens que vous côtoyez au quotidien,
00:22 une détermination qui est intacte ou bien une forme de lassitude ?
00:24 - L'impression qui domine c'est d'abord la détermination, la détermination à se
00:29 battre, la détermination à résister, défendre, attaquer mais aussi la détermination à réformer
00:34 le pays.
00:35 - Vous dites à attaquer et pourtant je le disais il n'est plus vraiment question de
00:37 contre-offensive aujourd'hui.
00:38 - Écoutez je pense qu'il faut se détromper sur ce point. Il y a à la fois beaucoup de
00:42 défense et l'Ukraine bloque les Russes dans le Donbass et les Russes perdent beaucoup
00:46 de monde. Mais l'Ukraine continue aussi à essayer de progresser dans le sud. Il y a
00:50 des progrès qui sont c'est vrai très hors de proportion, hors d'échelle par rapport
00:54 à ce qui avait été souhaité, espéré, annoncé. Mais cette contre-offensive se poursuit.
00:58 Il y a des têtes de pont du côté de Kherson et puis elle se poursuit aussi dans l'axe
01:02 d'Orikiv. Donc voilà c'est le combat de leur vie. C'est 628 jours de guerre aujourd'hui
01:09 et les Ukrainiens font face et ils font face avec le soutien de leurs amis bien entendu.
01:15 Mais c'est eux qui se battent sur le terrain.
01:16 - Mais plus le conflit dure, plus ça profite à la Russie.
01:18 - Écoutez là-dessus je pense qu'il faut savoir raison garder parce que en réalité
01:23 personne n'aurait cru que l'Ukraine puisse résister les premiers jours à la Russie
01:26 et c'est ce qu'elle a fait. Au début elle était toute seule. Aujourd'hui elle n'est
01:29 plus toute seule. Elle est soutenue par beaucoup de membres de la communauté internationale
01:35 et elle a toujours ce courage admirable. Et au fond ce qui est vraiment la clé c'est
01:38 le courage des Ukrainiens, la détermination des Ukrainiens. Je crois que la population
01:42 ukrainienne a compris que la guerre serait longue, ça c'est sûr. Mais elle est toujours
01:45 aussi déterminée à se battre et à rester unie face à l'agression russe.
01:50 - Ça veut dire que l'idée de négocier avec Moscou qui est parfois évoquée ici en France
01:55 ce n'est même pas un débat à Kiev dans la classe politique, dans la société ?
01:57 - Alors pour l'instant l'idée de négociation ce n'est pas du tout en débat non, effectivement.
02:01 Et vous connaissez notre position, le président de la République l'a rappelé à la BBC
02:04 il y a quelques jours. C'est aux Ukrainiens de déterminer quand et comment ils souhaiteront
02:09 négocier et pour l'instant ils ne le souhaitent pas parce qu'ils espèrent justement pouvoir
02:13 continuer à reconquérir leur territoire. Et l'objectif c'est bien l'intégrité, la
02:17 souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine.
02:19 - La semaine dernière ici à Paris la femme du président ukrainien Olga Zelenskaya disait
02:24 "ne nous oubliez pas". Il y a un risque que ce conflit ukrainien soit oublié et passe
02:28 au second plan notamment parce qu'il y a une autre guerre au Proche-Orient ?
02:31 - Écoutez il y a toujours un risque, je pense que ce serait dramatique si c'était le cas
02:35 et d'ailleurs peut-être que très modestement le fait que vous m'invitiez aujourd'hui ça
02:37 montre qu'on a bien conscience que l'actualité impose plusieurs crises à la fois et qu'on
02:43 ne peut pas tellement choisir les crises internationales, elles arrivent quand elles arrivent et il
02:46 faut faire face quand elles arrivent. Je crois que les Ukrainiens ont compris cela et qu'ils
02:51 sont aussi déterminés à rappeler au monde leur situation. C'était le sens de la visite
02:55 de madame Zelenskaya mais vous savez c'est aussi le sens de l'engagement français et
02:59 international. Le ministre de l'agriculture était à Kiev il y a deux jours, le ministre
03:04 des armées est allé à Kiev, madame Kolona, la ministre de l'Europe des affaires étrangères
03:07 est allée à Kiev.
03:08 - Les livraisons d'armes continuent ?
03:09 - Alors le soutien militaire français y compris par des livraisons d'armes continue mais le
03:15 nouvel horizon c'est ce qu'a expliqué le ministre des armées quand il est venu avec
03:18 19 chefs d'entreprise à Kiev le 20 septembre, c'est de pouvoir produire ensemble des armes
03:23 en Ukraine. Ce qui permet évidemment de raccourcir les délais à la fois de production de livraison
03:27 et puis c'est aussi l'intérêt de l'Europe parce qu'en réalité on voit bien que collectivement
03:31 notre continent a besoin de produire plus d'armes pour pouvoir se défendre le cas échéant.
03:35 - Et ça, ça vaut au-delà même de l'Ukraine ?
03:36 - Absolument.
03:37 - La commission européenne recommande l'ouverture de négociations en vue d'une adhésion de
03:42 l'Ukraine à l'Union européenne, ça c'était en fin de semaine dernière. C'est quoi la
03:45 prochaine étape ?
03:46 - La prochaine étape c'est le conseil européen de fin décembre, de mi-décembre exactement,
03:50 pour savoir si le conseil va donner son accord à l'ouverture des négociations. Puis après
03:55 il y a tout un tas d'étapes techniques, la négociation d'un mandat de négociation au
03:59 sein du conseil etc.
04:00 - Ça ne veut pas dire que c'est un peu une promesse en l'air ? Une promesse qu'on fait
04:02 parce que c'est la guerre ?
04:03 - Alors pas du tout parce qu'en réalité l'Ukraine a fait énormément d'efforts et
04:07 d'ailleurs Catherine Colonna l'a dit à juste titre, c'est la juste reconnaissance des efforts
04:12 qui ont été faits par l'Ukraine. Comme je disais au tout début, en fait c'est un pays
04:14 qui se bat mais c'est aussi un pays qui se réforme. Et il y a une très forte attente
04:17 des Ukrainiens de devenir un pays européen normal. Pour ça il faut se battre mais il
04:20 faut aussi se réformer, lutter contre la corruption, affermer l'état de droit, réformer
04:24 la justice.
04:25 - Pendant que la guerre se poursuit, il y a des réformes institutionnelles en Ukraine
04:28 ?
04:29 - Absolument.
04:30 - Parce qu'il n'y a pas d'élection par exemple ? On l'a bien dit, il n'y aura pas d'élection
04:32 présidentielle l'année prochaine parce que ce n'est pas possible ?
04:35 - Alors pour l'instant évidemment c'est très compliqué, c'est un choix qui relève vraiment
04:38 des Ukrainiens naturellement. Et en revanche les réformes elles ont lieu maintenant mais
04:44 ce qu'il faut bien voir c'est qu'il y a une forte demande de la population de réformes.
04:46 Et c'est un peu ça qu'incarne aussi le président Zelensky, c'est la volonté à la fois de
04:50 se battre, de se défendre mais aussi de réformer le pays. Parce qu'encore une fois les Ukrainiens
04:54 sentent qu'ils sont unis, ils sont unis contre la Russie en réalité mais ils sont aussi
04:58 unis pour quelque chose et pour quelque chose c'est pour que leur pays devienne un pays
05:02 occidental, européen, normal si j'ose dire. On en est très loin bien sûr puisque c'est
05:06 la guerre.
05:07 - Il y a une autre question quand on parle du soutien des Occidentaux, est-ce qu'il
05:09 n'y a pas le vertige d'une victoire de Donald Trump et de la fin du soutien des Américains
05:14 en fin 2024 ?
05:15 - Écoutez moi je ne peux évidemment pas spéculer sur ça.
05:19 - Mais est-ce que c'est quelque chose dont on parle à Kiev ?
05:21 - Je lis ce qui se dit et naturellement c'est quelque chose dont on parle à Kiev et dont
05:24 les Ukrainiens peuvent parfois s'inquiéter. Eux-mêmes nous disent qu'ils sont très confiants
05:29 dans le fait qu'il y a un soutien transpartisan au Congrès pour leur cause et que quoi qu'il
05:33 se passe en 2024 ça ne changerait pas le soutien américain. Ce qu'il y a de certain c'est
05:39 que vous savez la clé de la situation pour l'instant c'est ce qui se passe sur le terrain.
05:42 Ce qui se passe sur le terrain militaire. La diplomatie suit le militaire dans la phase
05:45 dans laquelle nous sommes et pas l'inverse. Et d'ici novembre 2024 ou janvier 2025 on
05:51 est encore fort loin. Encore une fois la clé de tout c'est quand même l'unité du pays.
05:56 - D'un mot pour terminer Gaël Vessières, à quoi ça ressemble votre quotidien d'ambassadeur
06:00 de France à Kiev dans un pays en guerre aujourd'hui ?
06:02 - Écoutez d'abord c'est un quotidien qui quelque part est très normal et puis brusquement
06:06 au milieu de cette normalité il y a une alerte aérienne, il faut aller dans des abris, parfois
06:10 les sirènes ne sonnent pas parce que les missiles supersoniques vont plus vite que
06:13 la sirène. C'est ce qui s'est passé encore ce week-end à Kiev et donc il y a un espèce
06:17 de rappel brutal. - Ça vous arrive d'avoir peur ?
06:20 - Parfois on n'est pas très rassuré et on essaie de pas trop y penser mais ceci moi
06:24 je voudrais dire ici deux mots. Le premier c'est pour moi et l'équipe dans laquelle
06:28 je suis maintenant. Les gens qui arrivent maintenant, les gens qui arrivent depuis l'année
06:30 dernière sont des gens qui sont préparés à ça, qui savaient ce à quoi ils s'attendaient
06:33 et je voudrais rendre hommage à l'équipe de l'ambassade et à tous les français d'ailleurs
06:36 qui se trouvaient à Kiev et qui étaient venus avant et qui eux étaient venus dans
06:39 un pays... - En paix. Enfin pas en paix mais en tout cas.
06:42 - Absolument, voilà. Dans un pays où il y avait déjà des opérations militaires
06:44 mais qui n'étaient pas dans la même situation. Et puis surtout vous savez je voudrais rendre
06:47 hommage aux Ukrainiens parce que moi s'il y a une alerte aérienne et que la sécurité
06:50 me dit "Monsieur l'ambassadeur il faut descendre dans l'abri" je le fais mais je ne m'inquiète
06:53 pas parce que mes enfants ils ne sont pas ici. Mes enfants sont à Paris, c'est un
06:55 poste... et ma femme sont à Paris, c'est un poste géographiquement séparé. Les Ukrainiens
07:01 y compris ceux qui travaillent pour l'ambassade ils ont des choix difficiles à faire. Est-ce
07:03 que je réveille mon enfant par -8 ou par -10 à 2h du matin pour l'emmener dans le métro ?
07:08 Est-ce que je le mets dans la baignoire en espérant qu'il ne se passe rien ? Est-ce
07:11 que je le laisse dormir et je prends le risque ? Et ça c'est des choix qui sont absolument
07:14 terribles et je crois qu'il ne faut pas les oublier.
07:16 - Merci beaucoup. Merci pour votre témoignage Gaël Vessières. Ambassadeur de France à
07:21 Kiev, vous repartez quand ? - Je repars en fin de semaine.
07:23 Merci, vous étiez le grand témoin de France Info ce matin.
07:25 [Musique]

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