Alors que le Sénat vient de voter un texte qui reconnaît la responsabilité de la France dans les condamnations pour homosexualité, Michel Chomarat nous raconte son arrestation en 1977 pour "atteinte à la pudeur" dans un bar gay. Le militant exprime aussi sa méfiance pour les droits des futures générations.
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00:00 Il y avait quand même une homophobie d'État.
00:02 Les PD, on les aime dans les placards.
00:04 Morts, c'est parfait quand ils sont morts,
00:06 mais surtout qu'ils ne sortent pas des placards
00:09 et qu'ils n'aillent pas draguer dans l'espace public.
00:11 J'ai vraiment été accusé, culpé, condamné trois fois.
00:25 Le Manhattan, c'est le nom d'un bar gay à Paris.
00:29 Un bar bordel, comme on disait,
00:31 où il y avait une sexualité débridée qui venait des États-Unis,
00:35 une sexualité de groupe plutôt hard.
00:38 Et donc j'ai été arrêté lors d'une soirée par des policiers
00:41 qui s'étaient infiltrés, qui ont fait une provocation,
00:45 qui, à mon avis, ont participé avec nous à nos ébats.
00:48 Et d'un seul coup, la lumière s'est éclairée.
00:50 Police.
00:51 Et donc on a tous été embarqués.
00:53 On a été menottés.
00:54 On a après été dans des fourgons policiers
00:58 et on a été transférés au quai des Orfèvres,
01:02 à la police judiciaire.
01:03 On a été interrogés les uns après les autres, toute la nuit.
01:07 Et donc j'ai quitté le quai des Orfèvres au petit matin.
01:10 En plus, les homosexuels ont été perçus comme des malades mentaux
01:15 par l'Organisation mondiale de la santé.
01:17 Tout était contre nous, la religion, les lois étaient très en retard.
01:21 Il y avait quand même une homophobie d'État.
01:23 C'est-à-dire que les pédés, on les aime chez eux,
01:28 dans les placards, morts.
01:30 C'est parfait quand ils sont morts,
01:32 mais surtout qu'ils ne sortent pas des placards
01:34 et qu'ils n'aillent pas draguer dans l'espace public.
01:36 Donc on a été condamnés en première instance
01:39 au tribunal de grande instance de Paris en 1978.
01:44 Nous avons fait appel à la grande surprise du parquet parisien.
01:50 Et alors, le top du top, nous sommes pourvus en cassation.
01:53 C'est-à-dire que pour la première fois en France,
01:56 des pédés allaient jusqu'en cassation.
01:58 Alors on ne le disait pas gay, on le disait homo.
02:01 Moi j'aime bien le terme pédé,
02:03 parce que c'est la façon dont on est détraité,
02:05 entre autres par les policiers, par la justice, etc.
02:08 C'était dramatique, c'était l'exclusion, le rejet.
02:11 Donc d'où certaines personnes qui étaient arrêtées,
02:15 qui vont aller jusqu'au suicide,
02:17 parce qu'elles sont tellement désemparées.
02:19 Donc vraiment, c'est une période détestable.
02:22 C'est un travail de mémoire.
02:24 Je me revendique comme activiste gay.
02:26 Donc quand vous êtes activiste,
02:27 vous vous battez tout le temps, jusqu'à la fin de vos jours.
02:30 Je parle au nom de tous ceux qui ne sont plus là,
02:32 qui ont disparu souvent dans des conditions tragiques.
02:36 Puisque quand vous étiez condamné,
02:38 vous perdiez tout, votre logement, votre emploi,
02:41 votre famille, etc.
02:43 Et souvent vous étiez acculé au suicide,
02:45 ou des choses vraiment sordides.
02:47 Et ils ont droit à une certaine reconnaissance.
02:50 Donc on parle de réparation.
02:53 C'est vrai, normalement on répare des choses abîmées.
02:55 Et là, en l'occurrence,
02:57 il y a eu énormément de gens qui ont été très très abîmés.
03:00 Il suffit d'assumer notre histoire.
03:03 Je suis désolé, entre 1942 et 1982,
03:05 il y a eu des dizaines de milliers de personnes
03:07 qui ont été arrêtées pour homosexualité
03:09 dans des conditions souvent dramatiques.
03:23 Les plus jeunes, notamment les jeunes LGBT,
03:25 pensent que tout est acquis.
03:27 Alors que je pense que l'histoire, elle n'est pas linéaire.
03:30 Il y a des hauts, des bas.
03:32 Et quand on voit ce qui se passe dans certains pays européens,
03:34 que ce soit en Hongrie, que ce soit en Pologne,
03:37 sans parler de la Russie, et voilà,
03:39 y compris dans d'autres pays,
03:41 les actes homophobes, transphobes, etc.
03:44 n'ont jamais été aussi importants.
03:45 Je répète toujours, si vous ne connaissez pas votre histoire,
03:47 dont l'histoire que je viens d'évoquer,
03:49 c'est-à-dire en effet la répression,
03:51 vous êtes appelé à la revivre.
03:53 Jamais rien n'est gagné.
03:54 Attention, attention, attention.
03:55 J'ai un devoir d'être présent pour rappeler les choses
03:59 en essayant pour qu'on évite qu'elles se répètent.
04:02 [Musique]