• il y a 7 mois

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Transcription
00:00 Alors, qu'est-ce que vous avez fait avec ce jeune homme ?
00:03 Il paraît que vous avez pris un bain à deux.
00:05 J'ai dit "oui, monsieur le président".
00:07 Et pourquoi vous avez pris un bain à deux ?
00:08 Bah, j'ai dit parce qu'il y avait un ballon d'eau chaude,
00:10 on ne pouvait pas prendre deux bains,
00:11 tout le monde riait.
00:13 Et tout l'interrogatoire, ça n'a été que la honte de me rabaisser,
00:17 de me traiter plus bas que terre pour faire rire la salle.
00:20 En réalité, moi, j'étais un nianti, quoi.
00:23 Donc j'étais condamné à deux mois de salaire,
00:27 c'était une amende lourde pour l'époque.
00:30 Et l'apparution de ma condamnation dans les journaux,
00:32 à l'époque, c'est ce qui se faisait.
00:34 À l'âge de 17-18 ans, je suis parti à Bordeaux.
00:38 Donc j'ai rencontré à cette époque-là des garçons
00:42 et j'ai appris qu'il y avait des soirées clandestines
00:44 dans la banlieue de Bordeaux.
00:46 Et les flics étaient au courant.
00:47 On appelait ça des rafles,
00:49 ils bloquaient toutes les issues, ils ramassaient tout le monde.
00:51 Donc on se sauvait comme on pouvait,
00:53 par les fenêtres, partout, dans les bois.
00:55 Mais n'empêche qu'on se faisait choper.
00:57 Et moi, je me suis fait attraper.
00:58 Donc ma première expérience d'homosexuel,
01:00 c'est que j'ai fait deux jours de garde à vue
01:02 au commissariat de Bordeaux.
01:03 Empreinte, photo, comme un assassin,
01:06 sachant très bien qu'à l'époque, l'homosexualité était un délit.
01:09 Donc on était des délinquants, moi j'apprenais tout ça.
01:11 Ma jeunesse, elle s'est passée en apprenant que j'étais anormale,
01:15 que c'était un délit,
01:17 que mon mode de vie et mes attirances étaient passibles de prison.
01:21 Et en plus, c'était un fléau classé par un sénateur
01:24 comme la prostitution et l'alcoolisme.
01:25 Quand on sort de la garde à vue,
01:27 le commissaire appelle les parents
01:29 pour prévenir que leur fils était en garde à vue.
01:32 Moi, pas mes parents, parce que j'avais peur de ma mère,
01:34 j'avais quitté Dax parce que j'avais peur.
01:36 Mais il avait prévenu mon employeur,
01:37 je travaillais à la sécurité sociale.
01:39 Et donc j'ai eu peur de retourner, la honte.
01:41 Et depuis ce jour-là, la honte ne m'a jamais quitté.
01:45 Moi, à l'époque, je suivais beaucoup la politique
01:48 parce que ça m'intéressait beaucoup.
01:51 Donc j'ai voté forcément Mitterrand parce que c'était le seul
01:53 qui avait dans son programme la dépénalisation de l'homosexualité.
01:57 Après, Bande Inter a fait une plaidoirie
02:00 qui m'a donné la chair de poule parce que j'écoutais à la radio.
02:03 Trop souvent, nous sommes dans une société dans laquelle
02:06 certains, parce qu'ils ont un comportement sexuel différent des autres,
02:09 font l'objet de stracismes ou de défenses.
02:12 Et il était temps de proclamer aussi le droit au corps de tous,
02:16 y compris des homosexuels qui doivent être traités comme les autres.
02:19 C'est une série de propositions qui se renchaînent naturellement.
02:22 Et j'ai dit, il y a quand même des gens qui prennent des risques
02:27 parce que c'était prendre des risques.
02:29 Que de défendre ça comme Simone Veil qui a défendu l'avortement.
02:32 Donc c'était pour moi la même chose, aussi importante.
02:37 Là, c'est une photo avec des amis.
02:39 Je suis là et tous sont morts.
02:41 Oui, tous.
02:43 Et plus que moi.
02:43 - À cause du sida ?
02:44 - Oui.
02:45 Pour en arriver à la loi, il y a eu acte.
02:48 Ce matin, pendant près de deux heures, la Concorde a été rebaptisée
02:52 place des morts du sida.
02:53 Il y a eu Aide, il y a eu l'essor de la perpétuelle indulgence.
02:57 Moi, j'ai créé un syndicat, le SNEG.
02:59 On était des associations, mais dingue !
03:01 On était convoqués une année au ministère de la Santé,
03:04 tous, toutes les associations.
03:06 Et ils nous ont répondu tellement de bêtises quand on s'est levés.
03:09 On a renversé le bureau du ministre sur elle.
03:13 On a pris le bureau, on l'a jeté sur elle.
03:15 Là, c'est quand j'étais président du SNEG.
03:16 Mais après 82, après que la loi soit passée,
03:19 il n'y a pas eu de grands changements.
03:21 On ne change pas les mentalités parce qu'une loi passe.
03:24 Moi, j'ai eu plein de procès quand j'ai ouvert un barguet dans le Marais.
03:27 J'étais un des premiers.
03:28 Et même le maire m'a convoqué en me disant
03:31 "On ne veut pas d'homo dans le quartier".
03:33 Et la loi était passée.
03:35 Donc, vous voyez, rien ne changeait.
03:37 Là, c'était une époque où un juge avait fermé huit boîtes de nuit.
03:42 Tous les matins, je me levais,
03:44 en sachant contre quoi je devais me battre.
03:46 Tous les jours.
03:48 Et encore aujourd'hui.
03:50 En cette année-là, je me suis battu pendant cinq ans
03:53 pour que les préservatifs puissent être distribués dans les pharmacies,
03:58 alors que c'était interdit.
04:00 Et même quand on les distribuait dans la prévention Sida,
04:03 on risquait une amende.
04:05 C'était une incitation à la débauche.
04:06 Une circulaire sur laquelle
04:11 la distribution de préservatifs n'est plus passible de sanctions
04:14 selon une circulaire interministérielle.
04:16 Ça, c'est moi.
04:17 En 1992.
04:18 - Donc, ça reste très tard.
04:21 - Oui.
04:22 Combien de gens se sont contaminés dans les saunas et dans les trucs
04:25 parce qu'on ne pouvait pas distribuer des préservatifs ?
04:28 C'est un crime.
04:29 Les jeunes aujourd'hui, j'ai l'impression qu'ils le vivent beaucoup mieux
04:32 parce qu'il y en a beaucoup qui me disent
04:33 "C'est pas possible ce que tu racontes et tout.
04:36 Nous, on est adoptés, on est heureux, on est en famille et tout.
04:39 Tant mieux, c'est bien, c'est très très bien.
04:40 Mais ils oublient que nous, pour en arriver là, on s'est battus.
04:44 Moi, c'est pour ça que je témoigne, parce que je me dis
04:47 je trouve trop d'insouciance
04:51 dans les rapports actuels sur ce genre d'intolérance.
04:56 Quand j'en parle, comme je vous disais,
04:58 on me dit "Mais non, c'est pas possible, ça ne reviendra pas et tout."
05:02 Mais tout revient.
05:04 Tout revient un jour ou l'autre.
05:05 Les agressions sont même pires depuis le mariage pour tous.
05:09 Tout le monde dort.
05:10 Moi, je trouve que les gens, ils sont là,
05:13 ils disent "C'est acquis, rien n'est jamais acquis."
05:15 Il y a des décennies
05:18 que, avec des amis, nous combattons
05:22 la pénalisation de l'homosexualité.
05:25 Et derrière ces mots abstraits, je voudrais rappeler
05:29 ici, dans cette salle,
05:31 ce que, dans la réalité,
05:34 signifie la répression de l'homosexualité.
05:38 Je rappelle que l'homosexualité a été traquée
05:43 et est traquée encore dans le monde comme un crime majeur.
05:48 Que des homosexuels ont été pendus, écartelés,
05:53 ont été massacrés, pourchassés.
05:59 Que des homosexuels ont payé de leur vie,
06:02 de leur liberté, quoi ?
06:06 Une orientation sexuelle.
06:09 Le droit de chacun à disposer, adulte,
06:14 avec un adulte consentant de son corps.
06:18 C'est cette répression-là que nous refusons.
06:22 [SILENCE]

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