Kansai, au coeur du Japon
Le Kansai est une région du Japon située sur l'île principale de Honshu, également appelée Kinki. Composée de six préfectures, elle est la deuxième zone la plus peuplée de l'archipel avec plus de 22 millions d'habitants et abrite des grandes villes chargées d'histoire telles que Kyoto, Osaka, Nara, Himeji ou encore Kobe.
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00:40 Bonjour et bienvenue à toutes et à tous.
00:42 Aujourd'hui je vous invite dans un pays où la préparation des ramens est un art à part entière.
00:47 La dégustation aussi à mon avis.
00:49 Un pays qui cultive ses traditions tout en exhibant les folies les plus high tech.
00:53 Aujourd'hui pour cette spéciale d'invitations au voyage, nous partons au cœur du Japon.
00:58 Et dans un instant nous nous rendrons plus précisément près de Kyoto.
01:02 Dans la région d'Uji on cultive un thé vert à l'arôme unique au monde, le Matcha.
01:07 Sur l'île de Shikoku on trouve 88 temples.
01:11 Et en général c'est le Gong qui rythme les pas des pèlerins.
01:14 Sauf que nous aujourd'hui c'est un hymne que l'on va fredonner, qui n'a pas grand chose à voir avec le bouddhisme.
01:20 On a un petit peu l'impression d'être à Osaka dans Syokosho.
01:23 Osaka c'est l'une des villes les plus anarchiques, les plus grouillantes du Japon.
01:27 Et pourtant, c'est dans cette cité un petit peu foutraque que s'est imposé un maître de l'épure, Tadao Ando.
01:33 C'est une star du minimalisme et il a accepté exceptionnellement d'être notre guide dans cette inspiration.
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01:50 Dans une anarchie jubilatoire, Osaka est connue pour ses devantures tapageuses et ses beillets de poulpe, les fameux takoyaki.
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02:03 Située à l'ouest de l'archipel, la troisième ville du Japon est goyeuse, populaire et moins lisse que la capitale Tokyo.
02:12 C'est pourtant cette mégalopole industrielle au charme foutraque qui a vu naître l'architecte le plus minimaliste du Japon.
02:21 Prix Pritzker, équivalent du prix Nobel dans cette discipline, Tadao Ando est un géant de l'architecture contemporaine.
02:30 Je suis né et j'ai grandi à Osaka. Je ne souhaite pas en partir, vous savez.
02:35 Tous les endroits où vous vous rendez enfant ont une grande influence sur vous.
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02:43 Au Japon, Tadao Ando est connu pour les musées de l'île de Naoshima ou la colline du Bouddha,
02:50 tellement intégrés à l'environnement qu'ils ont fait de lui une référence de l'architecture invisible.
02:56 À Paris, il signe la nouvelle bourse de commerce inaugurée à l'été 2020.
03:03 Mais cet ancien boxeur professionnel se distingue surtout par sa philosophie de combat, transformer les gens grâce à l'habitat.
03:14 Dans une Osaka amputée par les bombardements américains de la guerre et en pleine reconstruction,
03:24 les banlieues s'étendent à l'infini tandis que les tours se hissent vers le ciel.
03:29 Tadao Ando, lui, propose une architecture sobre, empreinte de l'épure japonaise.
03:36 Ses bâtiments faits de matériaux bruts invitent à une retraite spirituelle au cœur de la trépidante Osaka.
03:43 C'est dans un arrondissement populaire que Tadao Ando grandit.
04:02 Né en 1941 dans un Japon en pleine guerre mondiale, il est séparé très tôt de son frère jumeau
04:09 et élevé par sa grand-mère dans ce quartier d'Asahiku, à la frontière de la grande ville d'Osaka.
04:18 Autrefois vous aviez des rizières un peu plus loin derrière et des champs juste ici.
04:24 Ce n'était pas si propre à l'époque.
04:27 Les chemins étaient en terre.
04:29 C'était un quartier commerçant avec plein de petites boutiques.
04:35 À loin vous aviez un poissonnier, un marchand de tabac, un primeur et un artisan qui fabriquait des lanternes.
04:46 Tout le monde se connaissait.
04:49 Les voisins faisaient un peu tous partie de la famille, vous savez.
04:57 Le garçon apprend la vie dans la rue.
05:00 Dans ce quartier aux aires de province, bien loin d'un centre-ville en pleine mutation,
05:05 on continue de fabriquer ses meubles à la main.
05:08 Ce travail très concret fascine déjà le jeune Tadao qui s'invite chez les nombreux artisans du coin.
05:16 Il n'en reste qu'une poignée aujourd'hui.
05:19 Noboru Tsujimoto est l'un d'entre eux.
05:23 Nous n'utilisons jamais aucun clou.
05:28 On perce simplement un trou ici et là et on assemble les baguettes de bois.
05:36 C'est dans ce genre d'atelier que Tadao Ando a travaillé comme apprenti dès l'âge de 10 ans.
05:42 Il ne suivra pas d'études d'architecture mais apprend ici l'école de la rigueur.
05:49 On ne dit jamais aux apprentis "fais ceci" ou "fais cela".
05:53 Il faut que l'apprenti regarde l'artisan travaillé, qu'il comprenne la façon dont il procède et qu'il la retienne.
05:59 Un vrai artisan n'enseigne pas directement.
06:03 Car vous savez, on est assez fiers, nous autres.
06:06 On recouvre les meubles au moment de partir de l'atelier.
06:11 Si l'apprenti s'avise de jeter un oeil au travail quand son maître n'est pas là, il prend le risque de se faire houspiller.
06:18 Je peux vous le dire, je l'ai vécu par le passé.
06:22 Bosser avec un artisan, ce n'est pas une sinécure.
06:26 Tadao Ando n'oubliera jamais cette connaissance du bois.
06:31 Ce matériau chaleureux qu'il mariera plus tard au béton brut.
06:35 Comme dans le musée de la culture du bois au Japon.
06:39 A l'âge de 14 ans, sa maison est rénovée et rehaussée d'un étage.
06:51 Le chantier est pour lui une révélation.
06:54 Il sera architecte.
06:57 Osaka n'est pas une ville conventionnelle ou bureaucratique.
07:02 Elle donne sa chance à cet autodidacte plein d'audace.
07:06 Il utilise ses économies de boxeur professionnel pour se lancer dans un tour de l'architecture européenne.
07:18 En France, il découvre les édifices de Le Corbusier et la noblesse du béton.
07:24 Dans les années 70, Osaka se développe de façon sauvage et parfois sans âme.
07:33 En réaction à cette urbanité assommante, Tadao Ando réalise une petite maison sans fenêtre, comme coupée de la ville.
07:43 C'est le manifeste qui signe la naissance d'un architecte.
07:47 Pour lui, l'habitat est un refuge où se ressourcer.
07:51 Une sorte de temple moderne pour cet homme qui a passé ses jeunes années à sillonner les nombreux monuments spirituels de la région.
07:59 À 30 kilomètres à l'est de l'industrieuse Osaka, Nara est la première capitale permanente du Japon au 8e siècle.
08:12 Ses dents, messagers des dieux à cette époque, en sont les étonnants et parfois encombrants emblèmes.
08:20 Tadao Ando affectionne un temple bouddhiste un peu excentré, le Tosho d'Aiji.
08:33 On dit souvent que c'est le format 16/9 que l'œil appréhende le mieux, le même format qu'à la télévision.
08:40 J'ai l'impression que le moine qui a fondé ce temple et ses disciples l'avaient déjà compris au 8e siècle quand ils ont tracé les plans de cette construction.
08:50 C'est pour cela que ce bâtiment a des proportions exactes et qu'on trouve des images de ce temple.
08:58 C'est pour cela que ce bâtiment a des proportions exactes et qu'on peut le contempler dans sa globalité.
09:05 Muni de crayons à la mine de plomb, Tadao Ando passe de longues heures à dessiner le bâtiment principal.
09:16 Ici, il comprend que l'architecture peut élever l'homme. Un détail en particulier retient son attention.
09:27 En fait, les piliers ne sont pas disposés à intervalles réguliers.
09:31 C'est au centre qu'il y a le plus d'espace entre eux.
09:35 Plus on va vers les extrémités, plus l'intervalle entre les piliers se réduit.
09:42 Cela donne l'impression que le bâtiment est plus large qu'il ne l'est vraiment, comme s'il s'étendait.
09:52 Vous ne trouvez pas que le ciel bleu semble plus vaste comme ça ?
09:55 Une des beautés architecturales du bâtiment central, c'est qu'il vous donne l'impression d'embrasser le ciel.
10:01 En levant les yeux vers le bâtiment, tout visiteur se dit quelque chose comme "c'est vraiment grand".
10:08 Et alors, il prend conscience de la petitesse de la condition humaine.
10:17 En 1992, Tadao Ando, déjà une figure montante de l'architecture, a en tête ce temple
10:24 lorsqu'il conçoit le pavillon japonais de l'exposition universelle de Séville.
10:28 Lui aussi joue sur les effets d'optique.
10:32 Les proportions parfaites, la forme incurvée et les deux piliers en son centre
10:37 accentuent le caractère monumental du pavillon.
10:40 Ces bâtiments touchent au sacré.
10:44 Les œuvres de Tadao Ando empruntent également l'esthétique épurée de l'habitat nippon.
10:49 À Osaka, ce musée inauguré en 2001 revisite l'engawa,
10:57 la bande de bois qui circule autour des maisons traditionnelles.
11:01 On y entre par un couloir extérieur, comme s'il fallait cheminer avant d'accéder à l'intérieur.
11:09 Dans l'architecture japonaise, il y a presque toujours un engawa.
11:14 La lumière du jour pénètre par ce couloir qui donne sur le jardin,
11:18 avant de laisser dans l'ombre, naturellement, les parties plus distantes de la maison.
11:23 Au Japon, qui dit architecture dit ombre.
11:26 L'ombre permet d'exprimer un monde d'une grande profondeur.
11:30 L'engawa est un peu comme un jardin.
11:33 Au Japon, qui dit architecture dit ombre.
11:36 L'ombre permet d'exprimer un monde d'une grande profondeur.
11:40 Le lieu est dédié à la mémoire de Shiba Ryotaro,
11:54 un écrivain local célèbre pour ses récits historiques.
11:58 En progressant vers l'intérieur du bâtiment, le visiteur pénètre dans l'univers de l'auteur,
12:04 mais aussi en lui-même.
12:06 L'architecture minimale de Tadao Ando propose une expérience maximale vers l'introspection.
12:12 Vous voyez toutes ces étagères ?
12:17 Tous ces livres, l'écrivain Shiba Ryotaro les a écrits ou bien les a lus.
12:25 On ne peut pas toucher les livres car ils sont considérés comme des trésors de l'écrivain.
12:30 Ce n'est pas une bibliothèque ici, c'est le monde de Shiba Ryotaro.
12:35 Pour l'architecte, le sens profond de l'existence émerge dans la proximité avec la nature.
12:47 Au Japon, l'habitat traditionnel s'organise autour d'un jardin intérieur
12:53 qui rappelle le temps qui passe.
12:56 C'est l'environnement, la lumière et le vent qui donnent vie au béton brut de Tadao Ando.
13:04 L'architecture est quelque chose de vivant, c'est quelque chose qui évolue, comme les hommes.
13:09 Par exemple, vous voyez le ciel ? Il fait changer le béton de couleur et le béton semble vivant.
13:20 Au plein centre d'Osaka, un quartier incarne pour l'architecte
13:24 une urbanité sereine en harmonie avec la nature.
13:27 C'est l'île de Nakano-Shima, un quartier préservé qui accueille le plus vieux parc d'Osaka.
13:35 Les bâtiments de style néo-renaissance détonnent au milieu de buildings modernes.
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13:52 Aujourd'hui, c'est un lieu de flânerie pour les familles et la jeunesse branchée d'Osaka.
13:57 Ici, Tadao Ando s'apprête à inaugurer une bibliothèque pour enfants et a fait planter 3000 cerisiers.
14:09 Tout ce que nous pouvons faire, c'est planter des arbres dans nos jardins, c'est planter des arbres dans nos villes.
14:15 C'est en faisant ça que nous pouvons cohabiter avec la nature et prendre conscience de ce qu'elle nous apporte.
14:21 Je ne sais pas si je pourrais rendre les gens de cette ville heureux,
14:24 mais j'espère pouvoir rendre cette ville un peu plus jolie.
14:31 Osaka a longtemps boudé Tadao Ando. Peut-être que ses bâtiments recueillis et son obsession pour la nature étaient en avance sur leur temps.
14:41 Aujourd'hui, il est célébré comme un nouveau prophète.
14:45 En apportant un peu de nature et de spiritualité dans la mégalopole,
14:54 l'architecte de renom peut enfin rendre à Osaka ce qu'elle lui a donné.
15:00 Tadao Ando est souvent surnommé l'architecte samouraï.
15:03 Et bien des samouraïs, il va en être question justement avec Thomas Chauvinot. C'est le clin d'œil.
15:08 C'est l'une des histoires les plus populaires du Japon, les 47 ronin.
15:16 Ronin qui signifie samouraï sans maître.
15:19 Ces samouraïs se sont sacrifiés pour venger leur maître mort.
15:22 L'artisan de cette vengeance a sa statue à Tokyo.
15:26 Vous pouvez vous recueillir sur la tombe de ces ronin, enterrés en face de leur maître.
15:31 Et on peut même encore voir le bassin qui a servi pour laver la tête, objet de la vengeance, parce qu'on décapite.
15:38 D'accord, mais on prend aussi le soin de nettoyer. C'est de la barbarie élégante.
15:43 On est au tout début du 18e siècle. Tokyo s'appelle alors Edo.
15:49 Et ce maître qu'il faut venger, c'est Asano.
15:52 En ce début de siècle, Asano a bien des soucis.
15:54 Il doit recevoir l'empereur, mais ne sait pas trop comment s'y prendre.
15:58 Il consulte donc le haut fonctionnaire du coin, Kira, qui lui connaît le protocole.
16:03 Mais entre les deux, ce n'est pas la franche camaraderie.
16:07 Le fonctionnaire est cupide, le samouraï confuséen, et chez Confucius, on déteste la corruption.
16:13 Le ton monte, et un jour, le samouraï dégaine son katana.
16:17 Et là, c'est le drame.
16:19 Le fonctionnaire, qui n'est que blessé, ordonne la mort du samouraï confuséen par seppuku.
16:25 C'est-à-dire qu'il s'ouvre lui-même le ventre, comme le veut la tradition,
16:29 laissant derrière lui 47 samouraïs orphelins.
16:32 Pendant deux ans, ils font tout pour se faire oublier.
16:37 Les uns font semblant d'être devenus alcoolos, les autres se marient.
16:41 Mais en secret, ils se réunissent régulièrement et ourdissent leur vengeance.
16:46 Il est malin, leur plan. En se faisant passer pour des honnêtes artisans,
16:50 ils introduisent des armes dans la maison du fonctionnaire cupide.
16:54 Et puis, un jour de décembre, ils donnent l'assaut.
16:57 Pas de quartier. Les gardes sont embrochés, le fonctionnaire décapité.
17:02 C'est là qu'on retrouve notre bassin, sa tête lavée et posée sur la tombe du maître.
17:06 Son honneur est sauvé, et les 47 ronines peuvent mourir à leur tour.
17:11 Car ils le savaient, cette vengeance allait entraîner leur mort.
17:15 Comme le veut la tradition, pour eux aussi, ce sera le sépoukou.
17:19 Ça fait beaucoup d'entrailles pour une seule histoire.
17:23 Ils l'effectueront ensemble avec leur cœur et leurs tripes.
17:28 Un peu de matcha. Le matcha, c'est de la poudre de thé verre moulu.
17:34 Maintenant, on ajoute de l'eau à 80 degrés.
17:38 On fouette. On fouette en forme de W jusqu'à ce qu'il y ait de la mousse.
17:44 Bon, cela dit, j'ai encore un petit peu de boulot avant de maîtriser la technique.
17:47 Il faut dire que dans la préparation du thé au Japon, chaque geste est très codifié.
17:51 C'est même notre héritage du week-end.
17:54 À l'entrée de la maison de thé, des pierres inégales mettent en éveil l'attention du visiteur.
18:02 Au Japon, la cérémonie du thé ne consiste pas seulement à boire du matcha,
18:10 un thé verre réduit en poudre.
18:14 C'est l'occasion de déployer un art de vivre tout en sobriété et en raffinement.
18:21 Imprégné du bouddhisme zen, ce rituel extrêmement codifié précipite l'essence de la spiritualité japonaise.
18:31 Il est conçu comme un moment unique dans un monde éphémère.
18:36 Si vous étiez venu à un autre moment de la journée dans cette même pièce,
18:42 je suis sûre que le thé aurait été différent.
18:46 Car chaque instant est différent et précieux.
18:50 Il faut donc savourer le thé quand l'occasion se présente.
19:01 Pratique religieuse à l'origine, ce rituel est ensuite devenu un instrument de pouvoir pour les guerriers samouraïs
19:08 avant de s'étendre à toute la société et notamment aux femmes.
19:13 La cérémonie du thé est un symbole du Japon aujourd'hui partagé par tous.
19:28 L'histoire du thé japonais commence sur les hauteurs de la ville d'Uji, non loin de Kyoto.
19:34 Les collines boisées s'ouvrent sur des plantations tracées d'incroyables motifs.
19:40 Uji et sa région sont considérées comme la capitale du thé dans l'archipel nippon.
19:51 Des moines japonais sont allés en pèlerinage en Chine au XIIe siècle.
19:56 Mais ils s'écroulaient de fatigue et de sommeil, alors que les moines chinois restaient debout et en pleine forme.
20:02 Ils se sont alors interrogés sur ce qu'ils buvaient et ils ont compris qu'il s'agissait de thé.
20:08 Les moines ont donc ramené des graines de thé comme souvenir au Japon.
20:13 C'est ainsi que le thé s'est répandu dans l'archipel.
20:19 Les moines encouragent les villageois à planter des graines de thé dans différentes régions de l'archipel.
20:25 Mais ce sont les coteaux escarpés d'Uji qui offrent les meilleures conditions.
20:31 Si les rayons du soleil frappent les feuilles de thé toute la journée, elles deviennent toutes dures.
20:41 Mais grâce aux montagnes, les plantes sont protégées la moitié de la journée.
20:46 Le matin, ce côté-ci est ensoleillé.
20:49 Puis quand le soleil part à l'ouest, ce côté devient ombragé et la partie sud devient ensoleillée.
20:55 De plus, les cours d'eau forment parfois une mer de nuages.
20:59 Grâce à l'humidité et la chaleur qu'elle entraîne, cette mer de nuages forme une sorte de bouclier qui protège les champs de thé.
21:11 A une quinzaine de kilomètres en contrebas dans la ville d'Uji, un festival célèbre chaque année ces moines bouddhistes qui ont apporté le thé.
21:21 L'eau, un élément essentiel à la fabrication de ce breuvage, est recueillie dans la rivière.
21:27 Et des feuilles de thé sont remises en offrande à un temple bouddhiste.
21:32 D'abord réservé aux moines pour leur séance de méditation, ce breuvage séduit rapidement les samouraïs épris de spiritualité zen.
21:42 Devenu maître du pays, ces guerriers s'approprient la culture du thé.
21:50 Main dans la main avec les moines, ils commencent à élaborer des règles qui régissent sa consommation à partir du XIIIe siècle.
21:59 Chotaro Uri est l'héritier de l'une des plus anciennes fabriques de thé de la ville.
22:13 Dès son arrivée au Japon, le thé était consommé en poudre.
22:19 Le matcha conférait une sorte de symbole, de statue aux classes privilégiées qui le consommaient et l'appréciaient.
22:26 Le peuple n'y avait pas accès.
22:30 En cette période de guerre de clan entre samouraïs pour le contrôle du pays, les cérémonies du thé sont l'occasion de banquets festifs qui peuvent rassembler des dizaines de participants.
22:44 En plus du thé, l'alcool coule à flot.
22:48 Les hôtes en profitent pour exhiber leur pouvoir et leur richesse en étalant leur luxueuse vaisselle de fabrication chinoise et de somptueux ustensiles.
22:59 C'était une période de guerre civile et il fallait se préserver de ses ennemis.
23:06 Pour éviter que le thé soit empoisonné, tous les membres de la cérémonie du thé partageaient le même bol et le passaient à la personne suivante.
23:16 Ils étaient ainsi rassurés et pouvaient vraiment savourer le thé.
23:21 Encouragés par les grands seigneurs, les cultivateurs d'Uji améliorent la qualité du thé vert.
23:37 Ils couvrent les plants de clés pour les protéger du soleil.
23:42 Seuls les jeunes pousses sont cueillies puis étuvées à la vapeur, séchées délicatement avant d'être réduites en une poudre fine.
23:51 Comme elles ont été moins exposées au soleil, les nouvelles pousses contiennent moins de catéchine et de tannin qui donnent un goût amer et acroté.
24:04 Son parfum est très fort, son goût se diffuse dans la bouche.
24:10 Il est doux, léger, avec de l'umami et descend agréablement en bouche.
24:16 C'est ça le vrai matcha.
24:18 Le thé d'Uji est distribué dans tout le Japon.
24:25 Il apporte à la région renommée et prospérité.
24:29 Aujourd'hui encore, une odeur herbacée flotte dans les ruelles où l'on déguste du thé sous toutes ses formes.
24:36 Des nouilles de sarrazin à la bière pression en passant par les incontournables cornets de glace.
24:43 A la fin du XVIe siècle, les samouraïs livrent les dernières batailles pour unifier le Japon.
24:52 Dans le souci d'asseoir leur légitimité, ils s'offrent les services d'un maître de thé qui va donner toute sa solennité à la cérémonie.
25:01 L'un d'eux, appelé Sen Norikyu, formé aux Zèn dans un temple de Kyoto, a une influence considérable sur ce rituel.
25:14 Dans cette ancienne capitale impériale du Japon, une ruelle dédiée au bol à thé rappelle l'importance que la ville de Kyoto a joué dans l'essor de la cérémonie.
25:25 Dans les innombrables boutiques de céramique qui flanquent l'allée, des bols incarnent un tournant majeur vers la sobriété et les purs.
25:37 En réaction aux cérémonies exubérantes des grands seigneurs, Sen Norikyu commande une céramique brute et dépouillée à un fabricant de tuiles de Kyoto.
25:48 Plus de 400 ans plus tard, quelques artisans perpétuent ce savoir-faire.
26:03 "Le fabricant de tuiles s'y connaissait, mais il n'avait pas de table tournante comme celle-ci. Donc, il n'a pas réussi à fabriquer un cercle parfait.
26:12 Seulement, est-ce qu'un visage est parfaitement symétrique ? Tout ce qui existe dans la nature n'est pas forcément identique sur sa droite et sa gauche.
26:21 En fin de compte, le bol obtenu n'était pas rond, mais Sen Norikyu déclara qu'il n'y en avait pas de plus beau."
26:31 Les bols de style raku sont tout le contraire de la vaisselle chinoise, raffinée et lisse dont raffolaient jusqu'à présent les élites japonaises.
26:40 Ils sont fabriqués avec des matériaux bruts, des couleurs sobres et surtout selon un étonnant mode de cuisson.
26:50 "Plus les pièces sont cuites longtemps et plus l'argile se referme sur elle-même.
27:00 Mais moi, je sors mes pièces au bout de seulement cinq minutes. C'est pour cette raison qu'elles restent poreuses.
27:06 La poudre de matcha peut même s'infiltrer dans les interstices. Et c'est ce que Sen Norikyu recherchait.
27:13 Ce qu'il voulait, c'était avant tout quelque chose de sobre, qui ne soit ni chinois ni parfait.
27:22 Son esthétique voulait que le thé s'infiltre dans la poterie, qu'il la marque et la détériore.
27:28 C'était une façon de faire prendre conscience à l'homme qu'il n'est pas éternellement jeune, que lui aussi change et qu'un jour, il flétrira.
27:37 C'est ça qui est beau, c'est ça qui est naturel."
27:45 Sen Norikyu fait ainsi de la cérémonie du thé l'écrin d'une esthétique austère et recueillie, constitutive de la sensibilité japonaise.
27:54 Mais il est victime des liens complexes qui unissent le thé au pouvoir.
28:00 Son seigneur prend ombrage de cet audacieux maître de thé.
28:05 Il demande à Sen Norikyu de se suicider de façon rituelle par seppuku, en s'ouvrant le ventre.
28:15 Sen Norikyu reste dans l'histoire comme le fondateur de la cérémonie du thé, telle qu'elle se pratique aujourd'hui dans les nombreuses maisons de thé au Japon.
28:23 En 1868, la révolution Meiji met fin à l'ère des samouraïs. L'archipel nippon s'ouvre sur l'Occident.
28:35 Les dirigeants voient alors dans la cérémonie du thé un moyen de préserver leur âme japonaise.
28:43 Ce rituel jusque là pratiqué par une élite essentiellement masculine se répand dans toutes les couches de la société.
28:49 La cérémonie du thé est enseignée dans les nouvelles écoles pour femmes comme gage de bonne moralité.
29:05 Il n'y a pas si longtemps, tout ce qui touchait au thé ou à l'arrangement des fleurs faisait partie du domaine réservé de la maîtresse de maison.
29:13 Elle devait s'occuper de son visiteur et préparer mille et une choses pour lui.
29:24 Tout ce dont les femmes avaient la charge obéissait à un rythme lent et à une organisation stricte.
29:33 Dans sa forme traditionnelle, la cérémonie du thé dure jusqu'à 4 heures.
29:40 Elle consiste non seulement à boire plusieurs bols de thé mais aussi à déguster une cuisine de saison.
29:47 Aujourd'hui ouverte à tous, elle est souvent réduite à la dégustation d'une pâtisserie sucrée qui vient adoucir l'amertume du thé.
29:56 Effectuée avec une concentration extrême, presque hypnotique, chaque geste incarne des valeurs essentielles aux japonais.
30:05 Il faut présenter à autrui la partie avant du bol car c'est la plus jolie.
30:11 Disons qu'il s'agit là d'une manière de montrer à l'invité qu'on pense à lui et qu'on a de la considération pour lui.
30:19 Une fois que j'ai préparé le thé, je place le bol de façon à ce que l'avant soit dirigé vers l'invité.
30:26 L'invité, quant à lui, évite d'avoir la meilleure partie du bol face à lui.
30:32 Donc avant de boire, il le tourne deux fois pour le mettre sur le côté. C'est une marque d'humilité.
30:39 La cérémonie du thé ne fait pas que refléter l'histoire du Japon.
30:48 En apportant la spiritualité du zen dans le monde profane,
30:52 elle a façonné l'identité et l'esthétique traditionnelle japonaises qui a ensuite rayonné dans le monde entier.
31:00 Un peu de thé vert et le monde devient plus zen.
31:04 Sur l'île de Shikoku, c'est surtout la musique qui adoucit les mœurs.
31:07 Et vous allez voir que dans la ville de Naruto, l'une des symphonies les plus célèbres du monde, la Daiku, comme on l'appelle au Japon,
31:15 est parvenue à réunir des ennemis. C'est l'incontournable.
31:18 Pour parvenir à Naruto, il faut franchir le gigantesque pont qui conduit à la quatrième plus grande île du Japon, Shikoku.
31:35 Au passage, si vous vous penchez un peu, vous aurez peut-être la chance d'admirer d'étonnants tourbillons.
31:41 C'est le résultat de la rencontre des marées de l'océan Pacifique avec celle de la mer intérieure de Seto.
31:46 Ces spirales, on les retrouve dans un manga au succès planétaire, Naruto.
31:52 Mais loin du téméraire personnage de fiction, la ville de Naruto, elle, coule des jours tranquilles à l'ombre des montagnes.
32:00 Elle est le point de départ du pèlerinage des 88 temples de Shikoku, l'équivalent bouddhiste du chemin de Compostelle.
32:07 Incontournable ville de Naruto qui cache une toute autre histoire.
32:16 Celle d'un camp de prisonniers allemands d'où va naître le second hymne national japonais.
32:21 Kiyoharu Mori est le directeur de la maison allemande de Naruto. Il en retrace la genèse.
32:33 Quand la première guerre mondiale éclate, l'Angleterre demande l'aide du Japon pour protéger ses navires commerciaux en route vers l'Asie de l'ennemi allemand.
32:40 C'est comme ça que le Japon entre dans le conflit mondial.
32:44 Avec 50 000 soldats, les japonais écrasent facilement les 5000 allemands dans leur concession de Tsingtao en Chine.
32:57 Le Japon impérial se retrouve alors avec 4700 prisonniers de guerre sur les bras qu'ils vont placer dans 6 camps.
33:03 Celui de Naruto en héberge un millier.
33:06 Ici, il faut s'imaginer qu'il y avait un barraquement où vivaient des prisonniers.
33:13 Vous en aviez 4 à l'est et 4 autres à l'ouest pour un total de 8 installations.
33:18 Et là-bas, il y avait une cour où l'appel était effectué tous les matins.
33:26 Le chef du camp japonais se montre magnanime envers les vaincus.
33:29 Et pour cause, Toyoisa Matsue est originaire d'Aizu Wakamatsu, une ville de samouraïs qui a été écrasée lors de la guerre civile à la fin du 19ème siècle.
33:38 Le colonel japonais savait très bien ce que pouvait ressentir un soldat vaincu.
33:48 Il avait lui-même subi des défaites lorsqu'il était plus jeune.
33:53 Il savait que les prisonniers allemands n'avaient rien fait d'autre que combattre pour leur pays.
33:57 C'est par respect qu'il a voulu leur offrir une vie décente.
34:01 De fait, ce lieu ressemblait davantage à un village qu'à un camp.
34:05 A Naruto, on laisse les prisonniers allemands conserver leurs habitudes et leurs loisirs.
34:14 On les autorise même à cultiver leur passion nationale, la musique classique.
34:20 Plusieurs détenus avaient apporté leurs instruments de musique avec eux.
34:24 Sur des photos qui nous sont parvenues, on voit des prisonniers se déplaçant d'un camp à l'autre avec des contrebasses sur le dos,
34:31 des mandolines, des violons ou d'autres instruments à cordes de petite taille dans leur sac.
34:37 Mais comme il leur manquait encore des instruments, les prisonniers se sont aussi mis à en confectionner.
34:44 Deux orchestres concurrents se forment autour de deux personnalités charismatiques, Herman Hansen et Paul Engels.
34:51 D'un côté, vous avez une sergent-major qui faisait de la musique au sein d'un orchestre de l'armée de terre,
35:00 et de l'autre, un musicien professionnel.
35:03 Il est normal qu'ils n'aient pas les mêmes conceptions quant à la manière de diriger un orchestre.
35:09 D'ailleurs, quand on a parlé de réunir les formations en une seule, Herman Hansen, le militaire, a refusé et a préféré garder la sienne.
35:19 Loin d'être reclus, les musiciens donnent parfois des représentations en ville, devant des japonais qui découvrent, ébahis, les joies de la musique classique.
35:31 Les japonais n'avaient jamais eu l'occasion de jouer à la musique classique.
35:36 Les japonais n'avaient jamais eu l'occasion d'assister à un concert symphonique en direct.
35:41 J'imagine qu'ils ont été agréablement surpris.
35:44 Les prisonniers récupèrent un peu d'argent lors de ces concerts publics.
35:50 C'est l'occasion pour eux de financer de nouveaux instruments afin de compléter leur formation.
35:54 Ils convertissent aussi un barraquement en une salle de concert.
35:59 Les deux orchestres y jouent à tour de rôle et c'est finalement celui de Herman Hansen qui entre dans l'histoire le 1er juin 1918.
36:06 Ce jour-là, et pour la première fois en Asie, la 9e symphonie de Beethoven a été jouée dans tous ses mouvements et avec les chœurs.
36:25 Ce n'était pas un jour comme les autres. Les prisonniers mélomanes aimaient beaucoup Beethoven et jouaient souvent plusieurs symphonies de ce compositeur.
36:33 Mais pour jouer la 9e, il faut rassembler beaucoup d'instruments.
36:37 Malgré la précarité de leurs conditions et divers soucis, les prisonniers ont finalement réussi à jouer ce morceau extrêmement difficile.
36:49 Avec 45 musiciens, 4 solistes et une chorale de 80 chanteurs, c'est un grand spectacle qui se joue dans le camp de prisonniers.
36:57 Mais il faudra attendre 1925 pour que la 9e symphonie soit interprétée pour la première fois par des musiciens japonais.
37:04 Rapidement, cette oeuvre est considérée comme le 2e hymne du pays du soleil levant.
37:09 Désormais, la célèbre symphonie est jouée à la fin de l'année partout dans l'archipel, comme une bénédiction.
37:17 Les japonais adorent cette symphonie parce qu'elle porte un puissant sentiment d'union.
37:24 Les musiciens qui interprètent le morceau vibrent à l'unisson avec la chorale dans un même mouvement.
37:31 En plus, cette musique parle de paix et s'adresse directement à nos cœurs.
37:38 C'est pour tout cela qu'on l'aime tellement au Japon.
37:42 À son tour, le vieux continent voit en la 9e symphonie une oeuvre qui rassemble les peuples.
37:50 Depuis 1985, son final, l'Ode à la joie, est l'hymne officiel de l'Union Européenne.
37:58 Allez, je vous retrouve lundi et d'ici là, je vous souhaite à tous un excellent week-end.
38:03 Comme on dit au Japon, "Mata ne".
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