Rencontre CNC/Scam - Filmer les institutions : porter un regard libre, subjectif

  • l’année dernière
Le CNC et la Scam vous proposent une rencontre modérée par la réalisatrice Stéphane Mercurio avec les interventions de :

- Claudine Bories, autrice, réalisatrice
- Guillaume Massart, réalisateur, producteur chez Triptyque Films
- Nicolas Peduzzi, auteur, réalisateur
- Anne Poiret, journaliste, réalisatrice
Transcription
00:00:00 Bonjour à toutes et bonjour à tous. Je suis Laurent Veignier, directeur des politiques
00:00:07 territoriales du CNC. L'objectif de cette rencontre CNC-SCAM, qui existe depuis 2017
00:00:17 je crois, et que nous co-organisons CNC avec la SCAM, c'est la transmission d'expériences
00:00:25 de manière pratique puisqu'il s'agit à partir de cas pratiques de la part d'auteurs
00:00:33 chevronnés, de parler de leur travail à de jeunes auteurs réalisateurs moins expérimentés.
00:00:39 Et chaque rencontre, vous le savez sûrement, tourne autour d'une thématique. Aujourd'hui,
00:00:47 vous allez vous pencher sur les institutions, ou plus précisément comment filmer les institutions,
00:00:53 comment les traiter et les représenter dans le cadre d'un documentaire. Vous allez donc
00:01:00 voir comment les documentaristes s'emparent de cette thématique avec également une approche
00:01:06 en termes de production puisque nous avons la chance d'avoir avec nous Guillaume Massard
00:01:11 qui est réalisateur et producteur. Je voudrais en profiter pour vous présenter très vite
00:01:18 l'organisation de ma direction. C'est une direction qui comprend trois services. Le
00:01:26 service de la coopération territoriale qui ne nous concerne pas vraiment directement
00:01:31 aujourd'hui, le service des publics où là il y a toutes les actions d'éducation aux
00:01:35 images et le service dirigé par Périne Vincent qui est là aujourd'hui, qui est le service
00:01:42 de l'accompagnement des professionnels. A l'intérieur de ce service, vous avez Anne
00:01:48 Tudoré qui est responsable du bureau d'accueil des auteurs et qui pourrait être, qui est
00:01:57 peut-être déjà, votre interlocutrice. En tout cas, je vous invite à la contacter
00:02:00 si vous avez des questions au niveau des auteurs. Voilà, il me reste juste à vous souhaiter
00:02:08 de passer une bonne journée au CNC et je vais laisser, je vous laisse la parole, c'est
00:02:13 bien ça ? Merci Laurent. Je vais inviter nos invités à nous rejoindre et à commencer
00:02:23 à s'installer. Stéphane Mercurio, Claudine Bory, Guillaume Massard, Anne Poiré et Nicolas
00:02:32 Petuzzi. Donc Laurent l'a dit, ces rencontres elles existent depuis 2017 à raison de deux
00:02:41 ou trois fois par an et l'idée c'était d'en faire un lieu privilégié de rencontres,
00:02:50 de transmissions entre des auteurs expérimentés et des autrices expérimentées et un public
00:02:55 plus novice. Et aussi, on l'espère, l'occasion pour les réalisatrices et réalisateurs invités
00:03:03 de réfléchir sur leur propre pratique. Voilà, si on arrive à être dans ces deux
00:03:09 mouvements à la fois, on aura gagné quelque chose, je crois. Enfin, je l'espère en tout
00:03:14 cas. Donc moi, je suis Lise Roux, je suis responsable de l'aide à la création et
00:03:18 des bourses Brouillon d'un rêve à l'ASCAM. Vous rappelez quand même que la première
00:03:24 mission de l'ASCAM c'est de collecter et de répartir des droits d'auteur après
00:03:29 la diffusion d'une oeuvre ou la publication d'une oeuvre. Donc tous les auteurs et autrices
00:03:35 ici présents sont membres de l'ASCAM. Ce sont 50 000 membres des écritures de réel
00:03:40 qui constituent les adhérents, les membres de l'ASCAM. Et ce sont également sept,
00:03:50 huit disciplines qui sont soutenues par les bourses Brouillon d'un rêve dont je suis
00:03:55 en charge, de la photographie au dessin de création, à l'audiovisuel, le documentaire
00:03:59 de création, le journalisme. Et donc c'est en lisant les dossiers que vous nous envoyez,
00:04:06 c'est en découvrant vos projets qu'on réfléchit tous ensemble aux questions qu'on
00:04:10 pourrait aborder dans ce cadre, dans le cadre que nous offre le CNC pour cette collaboration
00:04:17 depuis cinq ans. Et aujourd'hui, on s'est dit qu'on allait travailler sur qu'est-ce
00:04:24 que ça implique de travailler avec une institution ? Alors avec une institution au sens large,
00:04:29 bien sûr avec une institution telle que la prison, la justice, l'hôpital, des services
00:04:35 sociaux, mais aussi au sens large parce qu'on s'est rendu compte que c'était une question
00:04:40 que vous vous posiez souvent en tant que réalisatrice et réalisateur, la question de la distance
00:04:44 et du regard critique et des dispositifs à mettre en place pour tout ça. Donc on a choisi
00:04:50 de confier aujourd'hui la modération de cette rencontre à une réalisatrice qui s'appelle
00:04:58 Stéphane Mercurio, que nous connaissons bien, elle a été membre de la commission audiovisuelle
00:05:03 de l'ASCAM pendant de nombreuses années, elle a été membre du jury Brouillon d'un
00:05:06 rêve également. C'est une réalisatrice qui depuis plus de 30 ans travaille et donne
00:05:11 la parole aux invisibles, qui traite des questions de pauvreté, de justice avec énormément
00:05:18 d'empathie, les mots pour qualifier son travail sont délicatesse, justesse, empathie, je l'ai
00:05:26 dit, c'est quelqu'un dont on apprécie énormément la pensée et donc je crois que les 24 films
00:05:37 que tu as à ton actif en sont la preuve. Et tu as d'ailleurs démarré avec un documentaire
00:05:45 sur la désorganisation de l'hôpital public il y a une trentaine d'années. Donc ça nous
00:05:54 amène très logiquement à cette rencontre. Je voudrais remercier à nouveau les réalisatrices
00:06:00 et réalisateurs qui sont ici présents pour la générosité de leur démarche et de leur
00:06:06 engagement à notre côté. Merci beaucoup et bon après-midi. Et pardon, je précise
00:06:12 juste une petite chose sur vos éventuelles interventions qui sont les bienvenues. Vous
00:06:18 pouvez poser des questions tout au long de cette rencontre. Il n'y aura pas particulièrement
00:06:23 un temps de questions prévues après la rencontre. Donc n'hésitez pas à lever la main si vous
00:06:28 avez des questions. On est en direct aussi sur le Facebook du CNC et de la SCAM. Donc
00:06:34 attendez bien d'avoir le micro pour poser votre question s'il vous plaît. Merci beaucoup
00:06:38 et bon après-midi.
00:06:39 C'est bon, voilà. Voilà ce qu'il ne faut absolument pas faire.
00:07:03 Donc bienvenue à tous et à toutes ici ou sur Internet. Voilà, moi je suis ravie de
00:07:13 modérer, enfin modérer, je ne sais pas si je vais modérer, peut-être pas, mais parce
00:07:18 que là, on a réuni vraiment des films de grande qualité avec des auteurs et des autrices
00:07:26 qui ont des choses à dire sur les institutions. Donc juste, moi j'ai fait pas mal de films
00:07:31 aussi sur les institutions, la prison et l'hôpital. C'est aussi pour ça qu'on m'a confié cette
00:07:37 modération. Alors on va essayer de comprendre à travers les expériences concrètes, comment
00:07:47 on fait, comment on se débrouille avec les contraintes qui sont quand même très particulières
00:07:52 dans les institutions, à travers les expériences de chacun et chacune et faire le tour un peu
00:08:00 de la question de l'écriture, peut-être jusqu'au moment où le film se termine.
00:08:06 Et avant de démarrer, je vais demander à chacun de... Alors vous avez une petite notice,
00:08:15 je crois, avec les biographies. Donc c'est pas la peine de raconter toute votre vie parce
00:08:20 qu'ils les ont. Peut-être de vous présenter en un mot et puis surtout de présenter, parce
00:08:27 qu'on va commencer par des extraits, de présenter l'extrait que vous avez choisi. Est-ce que
00:08:38 Nicolas, tu peux démarrer ? Alors avec un micro. Voilà. Appuyez sur le bouton rouge.
00:08:48 Alors, merci. L'extrait que j'ai choisi, j'espère que c'est le bon là, parce que j'ai eu un
00:08:58 doute. Alors oui, c'est bon. C'est un extrait du film qui, justement, à un moment compliqué
00:09:11 parce qu'on filme une personne qui arrive aux urgences. C'est en fait mon film où je
00:09:17 suis un psychiatre pendant pas mal d'années. Là, on filme le psychiatre qui parle avec
00:09:26 quelqu'un, un autre soignant, en fait, un interne. Et ensuite, on le voit avec un patient
00:09:32 et peut-être, je sais pas, on en parlera mieux après.
00:09:36 Là, c'est le service à l'hôpital Beaujonc. C'est à l'hôpital Beaujonc et c'est aux
00:09:42 urgences. Et donc, c'est un moment qui est charnière dans le film parce que c'est à
00:09:50 ce moment là où lui prendra des décisions, un peu à prendre des risques, en fait, par
00:09:55 rapport à sa posture et sa façon de, disons, gérer une situation. Et il doit prendre cette
00:10:06 décision qu'il va prendre pendant le film et ce qui va faire un peu basculer sa façon
00:10:13 de voir l'endroit et de comprendre le lieu dans lequel il travaille. Et aussi le rapport
00:10:19 qu'il a de force, enfin, pas de force, il l'exprime pas exactement comme ça, mais le
00:10:25 pouvoir qu'il a sur les patients. Il y a un moment où il se rend compte de ça dans
00:10:31 le film.
00:10:32 Est-ce que vous pouvez envoyer "État limite", le premier extrait ?
00:10:38 Moi, je crée des conditions non usibles. J'espère le moins usible possible. Et après,
00:10:49 j'espère qu'il va arriver quelque chose. Mais c'est pas moi qui décide si ça va arriver
00:10:53 ou pas.
00:10:54 C'est pas moi qui décide si ça va arriver ou pas. C'est pas moi qui décide si ça va
00:11:21 arriver ou pas.
00:11:25 Moi, je voulais pas faire de la psychiatrie au début, en fait.
00:11:34 Tu voulais faire quoi ?
00:11:36 J'ai un père qui est chirurgien et je voulais être chirurgien. Et en fait, avant de passer
00:11:43 le concours de l'internat, j'ai fait un stage en psychiatrie.
00:11:47 D'accord.
00:11:48 Et je sais pas pourquoi, je me suis trouvé une aisance, une facilité à rentrer en lien
00:11:56 avec des personnes qu'on appelle les fous. Et je sais pas pourquoi, il y avait un truc,
00:12:04 c'est que je me disais "tu vas trouver ça vachement orgueilleux". De toute façon, je
00:12:06 pense que je suis un garçon assez orgueilleux. Je trouvais que ça allait pas de soi. Je
00:12:13 me disais "qu'est-ce qu'on faisait dans ces unités de psychiatrie ? Le fait d'enfermer
00:12:17 les gens, de les prendre un peu pour des idiots, comme s'ils étaient débiles, tu vois".
00:12:25 Et moi, j'avais l'impression que je pouvais faire mieux. Et c'est bizarre parce que du
00:12:30 coup, j'ai commencé à rentrer à vouloir faire de la psychiatrie parce que quelque
00:12:34 part, je voulais désenguer la psychiatrie.
00:12:35 Je me suis rendu compte avec le temps qu'il y avait des choses quand même qui étaient
00:12:42 pas si mal que ça. Mais voilà, je pense que ça a dû jouer en partie. Je voulais faire
00:12:52 quelque chose qui s'inscrive dans une dimension peut-être plus politique, plus sociale. Et
00:12:58 la psychiatrie, c'est exactement ça, je crois.
00:13:01 Tu voulais plus ce côté humain que médical pur, quoi.
00:13:06 Ouais. Mes parents étaient médecins. Ils sont tous les deux d'origine syrienne. Ils
00:13:10 sont venus en France pour parfaire un peu leur spécialité. Ils ne se connaissaient
00:13:14 pas en fait à l'époque. Ils se sont rencontrés ici et ils ont décidé de rester. Du coup,
00:13:19 quand ils nous ont fabriqués, moi, ma sœur et mes frères, ils habitaient à l'hôpital.
00:13:26 Ils habitaient dans ce qu'on appelle justement un internat. Sur les étages du dessus, il
00:13:32 y a des chambres en fait pour les médecins. Souvent, c'est des médecins étrangers qui
00:13:37 gagnent des salaires pas terribles et du coup, ne pas...
00:13:41 Non, mais ce n'était pas du tout en fait l'extrait dont je parlais. Pardon. Désolé.
00:13:47 C'est toi qui l'as choisi.
00:13:49 Ouais, je sais. Non, mais alors j'avais plusieurs extraits que je voulais montrer. Et du coup,
00:13:59 je pense que c'est celui-là que j'ai finalement choisi parce que ça décrivait un peu le
00:14:03 parcours du personnage et ça résumait quelque chose sur le film aussi, sur lui.
00:14:09 Là, tu ne veux rien ajouter de particulier. On reprendra après.
00:14:14 Oui, ça va.
00:14:16 Alors, Anne Foiré, toi, tu as un film quasiment à l'opposé de celui-là puisque là, c'est
00:14:24 un portrait d'un homme dans l'institution et toi, tu filmes alors en macro puisque
00:14:32 c'est le monde de 5 millions de réfugiés gérés par le HCR.
00:14:40 Ça fonctionne déjà.
00:14:43 Voilà. Donc, est-ce que tu peux nous présenter ton extrait ?
00:14:47 Oui. Donc, c'est un documentaire qui s'appelle Bienvenue aux réfugiés citants qui a été
00:14:50 diffusé en 2016 pour Arte, qui a été produit par les Quarks, une société de production
00:14:57 que Stéphane connaît bien ici, montée par Françoise Bernard et tournée par Thibaud
00:15:04 Delavigne. C'est un film qui s'inscrit presque dans une, pas vraiment une commande
00:15:10 d'Arte, mais une demande d'Alec Chalat qui était à l'époque en charge de la
00:15:15 Cadre géopolitique. Ils avaient fait, Arte, déjà un travail assez important sur le HCR,
00:15:21 donc l'institution en charge des réfugiés de l'ONU, l'agence en charge, le Haut
00:15:28 commissariat aux réfugiés, qui était, si je me souviens bien, pour le site Internet.
00:15:33 Et c'était vraiment un des modules, des documentaires qui étaient vraiment faits
00:15:39 en partenariat avec le HCR. Il n'y avait pas vraiment de... Ça ne se voulait pas
00:15:44 un film avec une forme de recul. Et donc, il m'a demandé de réfléchir à un documentaire
00:15:49 sur les camps. Et donc, on a réalisé ce film, j'ai réalisé ce film tout au long
00:15:55 de l'année 2015. Et j'ai choisi le début pour montrer le dispositif, parce qu'en effet,
00:16:00 le propos est de parler d'inventer une forme de pays, de représenter cet univers des camps
00:16:05 de façon plus sensible.
00:16:07 Donc, deuxième extrait, s'il vous plaît. Bienvenue aux réfugiés.
00:16:15 Camps de réfugiés, camps de déplacés, centres de rétention, jungles. Les noms peuvent varier,
00:16:25 la réalité est la même. Le camp est en train de devenir un élément majeur de la
00:16:29 société mondiale. Un lieu de vie ambigu pour près de 17 millions de personnes. Potentiellement
00:16:38 le 60e pays le plus peuplé du monde. Un gigantesque dispositif qui combine préoccupation
00:16:50 humanitaire et gestion des indésirables, dont les pays riches ne valent à aucun prix.
00:16:54 Imaginez, vous venez de
00:17:24 quitter tout ce que vous connaissiez. Vous aviez jusque là une maison, une famille,
00:17:30 un métier. Vous avez été obligé de fuir une guerre, un dictateur, des massacres.
00:17:36 Vous avez réussi à traverser une frontière ou simplement atteint une zone sûre. Vous
00:17:45 allez devenir un réfugié ou un déplacé. Et votre vie va bientôt se dérouler dans
00:17:50 un camp, dans le pays des camps. Vous pourriez par exemple être Njugusenga
00:17:57 à Soumani. Il a 23 ans, il est bourundais. Il vient d'arriver en Tanzanie.
00:18:02 Mais il sait qu'il va aller à un camp ?
00:18:29 Oui, il va aller à un camp. Il est très content de se retrouver ici. Il est très content.
00:18:36 Il a toujours été un grand héritier de la société. Il a toujours été un grand héritier.
00:19:04 Tout ce que vous allez apprendre de ce nouveau pays où on va vous conduire sera de faire
00:19:08 la queue. La queue pour s'y rendre, la queue pour vous nourrir.
00:19:12 Est-ce que tu veux ajouter quelque chose sur l'extrait ?
00:19:18 Non, je pense qu'on peut.
00:19:22 Guillaume.
00:19:23 J'aurais pas de problèmes techniques, trop bien.
00:19:27 Là, c'est une prison en Corse, la prison de Casablanca, qui a pour particularité de
00:19:35 ne pas avoir de mur. Est-ce que tu veux bien nous présenter l'extrait ?
00:19:41 Oui, le film s'appelle "La liberté". Je l'ai tourné en 2015-2016. Il est sorti en
00:19:47 salle en 2019. J'aime bien dire ça parce que ça permet de mesurer le temps.
00:19:52 C'est un film sur lequel j'ai commencé à travailler en 2012-2013. Je précise ça
00:20:00 parce que c'est mon premier long métrage. Il est autoproduit. Il s'appelle "La liberté"
00:20:07 pour plein de raisons. L'une de ces raisons, c'est que j'étais vraiment libre de mes choix
00:20:12 et libre de faire ce que je voulais. J'ai pas de diffuseur, pas de télévision pour
00:20:17 regarder au-dessus de mon épaule. Autoproduit, donc dans une totale liberté de ton, de forme.
00:20:23 C'est un piège aussi, parce que du coup, qui vient voir ce que vous avez fait, puisque
00:20:27 personne n'a regardé par-dessus de votre épaule, qui verra à la fin ? On sait pas.
00:20:31 Je précise tout ça parce qu'il m'a fallu beaucoup de temps pour avoir le droit de tourner
00:20:37 en prison, comme n'importe qui. C'est très compliqué de tourner en prison. C'est pas
00:20:40 simple de prendre cette décision, mais c'est aussi pas simple d'en avoir le droit, puisqu'on
00:20:44 est là pour parler d'institution. Donc on s'est battus pendant plusieurs années pour
00:20:48 avoir le droit, plusieurs années pour trouver les financements. Et le projet, c'était effectivement
00:20:53 de montrer comment fonctionne une prison ouverte en Corse. Une prison ouverte, donc c'est
00:20:58 la seule prison ouverte en France. Il y a d'autres prisons ouvertes en Europe. Mais
00:21:02 une prison ouverte, c'est une prison qui ressemble pas à une prison. C'est une prison
00:21:04 où il n'y a pas de mur d'enceinte, où il n'y a pas de filet anti-hélicoptère,
00:21:09 où il n'y a pas de mirador. Enfin, il n'y a pas ce qui ressemble d'ordinaire à une
00:21:12 prison. Et moi, c'est ce qui me fascinait au départ d'entrer le jeu, c'était de regarder
00:21:18 un paysage qui ne ressemble pas à une prison, qui ressemble en fait à des hectares de terre
00:21:22 agricole où les détenus travaillent au champ en bord de mer. C'est quand même un décor
00:21:27 stupéfiant pour une prison, et en même temps, être en train bel et bien de filmer une prison.
00:21:31 Donc pendant très longtemps, j'ai écrit, j'ai préparé, j'ai réfléchi, j'ai pensé
00:21:36 un film où on verrait l'administration au travail dans une prison sans mur. Parce
00:21:42 que pour moi, il était probablement impossible de filmer les détenus de cette prison. Désolée,
00:21:48 cette présentation est longue, mais j'insiste là-dessus. Parce que ces détenus sont là
00:21:53 pour des peines très très lourdes, des faits très très graves, et en même temps, ils
00:21:57 sont proches de leur libération. Donc dans ma tête, les personnes que j'allais filmer,
00:22:02 j'allais probablement pas pouvoir filmer les détenus, puisqu'ils n'allaient pas vouloir
00:22:05 être reconnus dans la rue une fois que le film serait achevé, puisqu'ils étaient trop
00:22:10 près de leur libération. Et donc, tout allait bien, il était tout à fait convenu que j'allais
00:22:14 filmer l'administration au travail, que ce soit les surveillants, que ce soit les conseillers
00:22:18 d'insertion de probation, les contre-maîtres agricoles, que sais-je. Et arrive enfin, après
00:22:24 des années de travail, vous vous êtes accrochés, vous vous dites "ça y est, mon film va arriver",
00:22:28 arrive le jour du tournage, et le jour du tournage, on vous dit "ah oui, au fait, nous, l'administration
00:22:32 veut pas être filmée". Et alors bon, bah super ! C'est trop bien, je suis là pour
00:22:37 15 jours, et puis je vais revenir à chaque saison, à chaque fois, tourner 15 jours,
00:22:41 qu'est-ce que je vais foutre là ? Et il y a quand même, bon même si j'ai pas de diffuseur
00:22:44 ou quoi que ce soit, il y a des gens qui ont mis de l'argent là-dedans, et puis qu'est-ce
00:22:49 que je fais pendant 15 jours ici si je peux filmer personne ? Et donc je me suis mis dans
00:22:54 la cour de la prison et l'extrait. Vous allez voir.
00:23:00 Oui, c'est La liberté.
00:23:07 C'est ça.
00:23:14 C'est ça.
00:23:21 C'est ça.
00:23:29 C'est ça.
00:23:37 C'est ça.
00:23:44 C'est ça.
00:23:52 C'est ça.
00:23:59 C'est ça.
00:24:06 C'est ça.
00:24:13 C'est ça.
00:24:20 C'est ça.
00:24:27 C'est ça.
00:24:34 C'est ça.
00:24:41 C'est ça.
00:24:48 C'est ça.
00:24:55 C'est ça.
00:25:02 C'est ça.
00:25:09 C'est ça.
00:25:15 C'est ça.
00:25:22 C'est ça.
00:25:29 C'est ça.
00:25:36 C'est ça.
00:25:42 C'est ça.
00:25:49 C'est ça.
00:25:56 C'est ça.
00:26:03 C'est ça.
00:26:09 C'est ça.
00:26:16 C'est ça.
00:26:23 Claudine.
00:26:26 Donc là, on est avec toi au CAFDA, qui est un centre d'accueil.
00:26:32 Non, je ne pense pas.
00:26:37 Il me semble que l'extrait que j'ai choisi, ou alors je suis...
00:26:42 C'est les règles du jeu.
00:26:44 C'est les règles du jeu.
00:26:46 Donc là, on est avec une entreprise qui forme aux règles du jeu
00:26:57 des jeunes en insertion, enfin en difficulté à trouver un emploi
00:27:03 et qui essaye de leur donner, à comprendre quelle serait la juste attitude.
00:27:11 C'est ça.
00:27:12 C'est un film qui s'appelle Les règles du jeu que j'ai co-réalisé avec Patrice Chagnard,
00:27:18 qu'on a réalisé en 2014 et 15 et qui est sorti en salle en 2016,
00:27:25 filmé en cinéma direct.
00:27:29 La scène que j'ai choisie, la séquence que j'ai choisie,
00:27:34 c'est un exercice...
00:27:37 C'est une entreprise privée, mais c'est une entreprise privée en fait
00:27:40 qui avait une délégation de l'État pour faire une espèce de formation
00:27:49 au premier emploi en inculquant les valeurs du marché, disons,
00:27:53 à des jeunes gens du Nord, du Nord Pas-de-Calais, sans emploi.
00:27:59 Il y avait plusieurs personnages dans le film et là, c'est un des personnages
00:28:05 qui s'appelle Kevin, qui est un jeune homme.
00:28:07 Et Kevin est pris en main dès qu'il arrive par des coachs
00:28:12 qui vont lui expliquer comment il faut se comporter
00:28:15 dans une relation avec un employeur éventuel,
00:28:19 en particulier pour un entretien d'embauche.
00:28:22 Et ils ont inventé un exercice qui s'appelle le job dating.
00:28:26 Et là, c'est ce que vous allez voir, c'est un job dating.
00:28:29 Et le job dating, c'est une simulation d'entretien
00:28:32 avec deux fous employeurs, puisque c'est deux coachs
00:28:37 qui jouent le rôle des employeurs.
00:28:39 Et Kevin répète son job dating pour apprendre à se comporter
00:28:46 correctement avec un employeur.
00:28:48 Donc voilà, c'est ce que vous allez voir.
00:28:51 Donc les règles du jeu.
00:28:55 Par contre, un jeune qui vient habiller correctement,
00:28:58 qui se serre la main, "Bonjour monsieur, nous avions rendez-vous
00:29:00 à 9h15, etc. Je vous présente, je viens..."
00:29:02 Ah, tiens, c'est pas un jeune, c'est un professionnel,
00:29:06 une personne certes d'état civil un peu plus jeune,
00:29:08 mais c'est un adulte qui vient chercher un emploi.
00:29:10 Voilà, tout simplement. Un petit conseil.
00:29:12 Donc maintenant, faites attention à vos 13 premières secondes,
00:29:15 c'est ce qu'il y a de plus important.
00:29:17 Bonjour.
00:29:18 Bonjour.
00:29:20 On vous écoute ?
00:29:21 C'est moi qui vous écoute.
00:29:22 On vous écoute.
00:29:23 Je m'en doutais que vous alliez me le dire ça.
00:29:25 On vient de me prévenir, oui.
00:29:27 Qu'est-ce que je dois vous dire ?
00:29:29 On va pas briefer.
00:29:31 Alors, on va vous laisser vos...
00:29:33 Est-ce que vous avez un CV sur vous ?
00:29:34 Oui.
00:29:35 Super.
00:29:36 Et en fait, on va vous laisser vous présenter.
00:29:38 C'est-à-dire vraiment présenter nous votre parcours,
00:29:41 vos compétences, vos motivations, etc.
00:29:45 Enfin voilà, présenter votre parcours.
00:29:47 On est dans l'idée que nous sommes des recruteurs.
00:29:50 Et que vous êtes devant nous.
00:29:51 Pour vous présenter, par contre, vous ne me posez pas de questions.
00:29:54 Voilà.
00:29:55 Il faut encore...
00:29:56 Merci beaucoup pour l'écouter.
00:29:59 Et donc, allez-y, présentez-vous.
00:30:01 Qu'est-ce que je peux vous dire sur moi ?
00:30:03 Mon prénom, je dois vous le dire quand même ?
00:30:05 C'est une base.
00:30:06 Je m'appelle Kevin Vanoud, j'ai 21 ans.
00:30:08 Je suis sorti de l'école à 16 ans.
00:30:12 Je suis rentré en contrat de professionnalisation dans le bâtiment.
00:30:16 Puis après, des expériences manutentionnaires.
00:30:19 Plus de qualifiants.
00:30:22 Puis j'ai un CDI en distributeur de prospectus depuis 2009 aussi.
00:30:29 Puis voilà quoi.
00:30:31 À part...
00:30:32 Vous pouvez nous donner un petit peu plus d'informations sur vos expériences, vos compétences, etc.
00:30:37 De développer peut-être un petit peu plus ?
00:30:38 Je touche un peu dans tout dans le bâtiment.
00:30:42 Ouais.
00:30:43 Je travaille beaucoup de temps dans le bâtiment.
00:30:45 Et puis, en manutention, je fais tout ce qu'on me dit de faire.
00:30:48 D'accord.
00:30:49 Ça dépend du poste aussi.
00:30:52 Ok. C'est quoi ? Quel est votre projet aujourd'hui ?
00:30:58 Travailler.
00:31:00 Ouais.
00:31:01 Sur quel métier ?
00:31:02 De préférence, dans la production. J'aime bien.
00:31:06 D'accord.
00:31:07 Et pourquoi ?
00:31:11 Parce que ça s'arrête jamais. J'aime bien.
00:31:14 Le temps, il passe vite.
00:31:15 Qu'est-ce que vous croyez que nous avons pour essayer de nous convaincre ?
00:31:30 Je sais pas. J'arrive pas à me vendre.
00:31:34 Motivé, tout ça, mais...
00:31:36 J'ai pas beaucoup à parler, on va dire.
00:31:40 Ok.
00:31:41 C'est bon ?
00:31:42 Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise de plus ?
00:31:45 Ce que vous avez envie.
00:31:46 Je sais pas.
00:31:48 J'ai rien sous les dés.
00:31:50 On va débriefer juste deux petites minutes ensemble, avec Jean-Baptiste.
00:31:54 Et puis, après, on va vous demander de sortir pendant deux petites minutes.
00:31:57 Et après, on va revenir.
00:31:59 Et justement, on va débriefer ensemble.
00:32:00 Oui, pas de problème.
00:32:01 Merci.
00:32:02 Je vais vous chercher.
00:32:03 Oui, pas de problème.
00:32:04 Je vais vous chercher.
00:32:05 Merci.
00:32:06 Je vais vous chercher.
00:32:07 Oui, pas de problème. Je suis derrière.
00:32:09 Pas de soucis.
00:32:10 Vous pouvez y aller.
00:32:11 Bon, là, une question se pose.
00:32:19 Est-ce qu'il était préparé pour le job d'hétiné ?
00:32:22 Tu l'as vu, toi, dans ton internet ?
00:32:25 Je sais pas, je sais pas.
00:32:26 Sa tête me... Mais en même temps, j'en ai vu beaucoup, donc me parle pas forcément.
00:32:30 Donc on lui demandera, déjà ?
00:32:31 Parce que là, il avait l'air de débarquer complètement, quoi.
00:32:34 Ou de s'en foutre.
00:32:36 Toi, tu l'as ressenti comme s'il s'en foutre ?
00:32:37 J'en sais rien. Il s'installe...
00:32:38 Ouais.
00:32:40 Comme ça, il s'installe. Bon, je vous écoute, ce machin.
00:32:41 Ah bah attention, c'est pas terrible du tout, là. On est bien d'accord.
00:32:43 Tu vois, en rapport à la candidature juste avant, moi, ça, c'est clair que c'est niaître.
00:32:47 Ah oui, non. Ça, c'est... Là, on est bien d'accord.
00:32:49 Moi, j'en veux... Enfin...
00:32:50 Ah oui, non, mais on est d'accord.
00:32:51 La seule chose positive, c'est qu'en effet, vous avez quand même parlé rapidement des rubriques.
00:32:54 Formation, expérience, compétences.
00:32:56 Mais alors, évidemment, il manquait de l'explication partout, quoi.
00:32:59 Il nous manquait vraiment beaucoup, beaucoup d'infos.
00:33:02 Une chose qu'on peut quand même, par contre, évoquer, c'est...
00:33:05 Vous saviez qu'il y avait un entretien, du coup, aujourd'hui ?
00:33:07 Votre tenue.
00:33:08 T'as dit ?
00:33:10 La veste. Est-ce que vous allez comme ça en entretien ?
00:33:12 Non, non, non.
00:33:13 Non ? Voilà, c'est ça.
00:33:14 C'est... Alors, j'ai pas fait gaffe, on va...
00:33:15 -Basket. -Moi, je suis toujours basket.
00:33:17 Toujours basket.
00:33:18 -Vous avez collé basket chez vous ? -Oui.
00:33:20 Ouais. Moi, j'ai fait du recrutement par le passé.
00:33:22 Et j'étais, je me rappelle, sur une palissade et je voyais les personnes arriver.
00:33:26 Quand je voyais des baskets, déjà, c'était mort, quoi.
00:33:28 Enfin, je les recevais et on voyait.
00:33:30 Mais en tout cas, il y avait un énorme a priori négatif.
00:33:33 Et ça serait dommage qu'à cause de vos chaussures, ça parte déjà un peu mal.
00:33:37 Donc, pensez peut-être à faire les sauts.
00:33:39 -Vous êtes bien ? -Ca fait chaud.
00:33:41 Moi, après, je me dis que voilà, on juge pas une personne par rapport à ses baskets, quoi.
00:33:45 -Non, on la juge pas. -Non.
00:33:46 Mais ça crée, malgré tout, dans l'inconscient de la personne,
00:33:49 une idée, malheureusement, qui soit tout de suite positive ou tout de suite négative.
00:33:53 En effet, c'est pas que les baskets.
00:33:55 C'est très bien que Jean-Baptiste ait remis dans le contexte.
00:33:57 Mais oui, c'est un tout qui fait que, souvent, basket, ça suit avec tout le reste.
00:34:02 Donc, même si c'est peut-être qu'un petit élément, c'est important de l'avoir de votre côté.
00:34:07 -Vous avez des questions ? -Non, ça va.
00:34:10 Je vais vous emmener à la salle.
00:34:12 J'ai pas de problème pour comprendre, c'est plus drôle de m'exprimer.
00:34:15 Oui, non, mais c'était pas...
00:34:17 (Rires)
00:34:19 Alors, on va peut-être commencer par le désir de filmer,
00:34:28 l'idée de filmer éventuellement, comment on s'attaque à ça, comment vient l'envie.
00:34:37 Alors, Nicolas, j'avais envie de te poser la question,
00:34:40 parce que je me suis demandé si l'idée, au départ, c'était de filmer,
00:34:47 de faire le portrait d'un homme,
00:34:49 ou si tout de suite, il y a eu l'idée de l'institution qui était...
00:34:54 Enfin, si c'était l'envie de filmer l'institution,
00:34:57 ou si c'est venu en second plan, dans un deuxième temps.
00:35:04 C'est ça, en fait.
00:35:07 J'ai commencé avec l'envie de filmer déjà un lieu,
00:35:10 parce que Beaujolais, c'est un hôpital que je connaissais.
00:35:12 Mon père avait passé du temps là-bas dans les années 90.
00:35:15 Il avait été transplanté du foie.
00:35:18 Donc, je connaissais les services ados, enfants.
00:35:21 C'est un hôpital à la pointe, il avait été sauvé, etc.
00:35:25 J'avais rencontré quelques médecins.
00:35:28 Et pendant le Covid, premier confinement,
00:35:34 un peu comme toi, j'avais une discussion avec Arte
00:35:39 de faire quelque chose sur les soignants, etc.
00:35:42 Et donc, j'y passe du temps.
00:35:45 D'abord, dans des services de réanimation et pathologie.
00:35:48 Donc, c'est un service très fermé, avec des médecins
00:35:51 qui sortent jamais du service.
00:35:54 Des internes, des médecins, et je passe du temps là-bas.
00:35:58 Au bout de quelques mois, je décide de descendre aux urgences.
00:36:01 Et là, je rencontre le psychiatre.
00:36:04 Et en fait, ça s'est fait comme ça.
00:36:07 Le film a dérivé sur quelque chose d'autre, sur la psychiatrie.
00:36:10 J'ai compris que c'était ça, à ce moment-là, qui m'intéressait.
00:36:13 - Et du coup, combien de temps de repérage pour l'écriture,
00:36:18 pour tout ça ?
00:36:21 - Alors, je pense que j'ai passé un ou deux mois
00:36:26 à repérer, à avoir une idée de quelque chose d'autre.
00:36:31 Je sais qu'on était avec ma productrice.
00:36:35 Elle discutait avec des diffuseurs
00:36:42 qui avaient envie de faire quelque chose un peu sur les internes.
00:36:46 Et donc, j'ai essayé de trouver absolument ce sujet-là.
00:36:50 Parce que c'était comme un travail.
00:36:53 Et finalement, au bout de deux mois, je descends aux urgences.
00:36:57 J'ai un flash. Et je dis aux diffuseurs, voilà,
00:37:01 moi, j'ai envie de faire un truc sur la psychiatrie, sur un psychiatre,
00:37:04 le seul psychiatre de cette putain de publique.
00:37:07 Et à ce moment-là, ils me disent, nous, ça ne nous intéresse pas.
00:37:09 Donc, moi, je dis, OK, je continue à le faire.
00:37:11 J'ai vraiment envie de faire ça.
00:37:13 Et donc, on me dit, ciao, ciao.
00:37:16 Et je continue à filmer les psychiatres.
00:37:19 Et après, finalement, en montrant un premier étalo, un premier ours,
00:37:25 ils reviennent sur le truc.
00:37:28 - Arte ? - Arte, ouais.
00:37:30 - Donc, ils sont partis ? - Ils sont partis.
00:37:32 On s'est dit, OK, vous n'avez pas envie d'un truc sur un psychiatre.
00:37:37 Ça ne leur parlait pas à ce moment-là.
00:37:39 C'est en voyant le personnage, les images qu'ils ont vu,
00:37:41 finalement, de devenir coproducteurs.
00:37:45 - D'accord.
00:37:47 - Anne, alors toi, on a compris que c'était au départ une demande.
00:37:52 Donc, toi, tu t'attaques à l'institution.
00:37:54 C'est évident.
00:37:56 - Alors, au départ, l'idée d'Arte, effectivement,
00:37:59 c'est de faire quelque chose sur les HTR, mais surtout sur les camps.
00:38:03 Et il y a un certain nombre d'ouvrages qui sortent à ce moment-là,
00:38:05 un certain nombre de livres, dont celui de Michel Agier,
00:38:11 qui est une personne interviewée dans le film,
00:38:14 qui se construit autour d'un certain nombre d'experts
00:38:17 et de chercheurs sur ces camps,
00:38:19 et qui met en regard l'expérience de ce qu'on a filmé
00:38:22 autour du HTR avec leurs paroles.
00:38:25 Et moi, j'ai une prise de conscience en lisant ces textes
00:38:29 qui sont rassemblés dans ce livre, qui sont des tests de chercheurs,
00:38:32 et puis un certain nombre d'autres textes de chercheurs anglo-saxons.
00:38:36 Il y a énormément de publications sur les camps,
00:38:40 de sociologues, d'anthropologues.
00:38:42 C'est vraiment une matière qui est extrêmement riche.
00:38:46 Et je me rends compte que moi, j'ai été souvent dans des camps
00:38:48 sans comprendre, en tournant, des situations,
00:38:51 sans comprendre ce qui se jouait
00:38:53 et ce que c'était que cette institution.
00:38:56 Et donc, l'envie, contrairement au livre de Michel Agier,
00:39:02 qui est très transversal et qui inclut les jungles,
00:39:04 moi, je veux me concentrer, parce que je travaille
00:39:06 depuis un certain nombre d'années sur le contexte des après-guerres
00:39:09 et donc sur l'institution de l'ONU.
00:39:12 On a déjà fait un film à ce moment-là également avec les Quarks,
00:39:15 avec Laurence Martin-Kessler sur l'ONU,
00:39:17 "Soudan du Sud, la création d'un État".
00:39:19 Et c'est moi, une institution qui me fascine,
00:39:21 qui est très polymorphe, très complexe,
00:39:23 très difficile à comprendre et à approcher.
00:39:26 Non pas d'avoir les autorisations de tournage,
00:39:28 mais de comprendre, en fait, comment c'est structuré.
00:39:30 Et donc, j'ai cette envie de m'intéresser au HCR,
00:39:34 qui est décrit par ces sociologues
00:39:36 comme un peu l'État,
00:39:40 comme la présidence d'un État,
00:39:43 qui serait cet État un peu virtuel,
00:39:45 qui est constitué de tous ces camps,
00:39:49 en fait, qui n'ont évidemment rien en commun
00:39:52 de par les gens qui les habitent,
00:39:54 mais qui ont tout à voir de la façon dont ils fonctionnent.
00:39:57 Et donc, il y a cette idée d'institution,
00:39:59 de gouvernement des camps,
00:40:01 où il y a des ONG qui sont en charge de la santé,
00:40:04 il y a une forme de ministère de la santé,
00:40:06 de ministère de l'éducation,
00:40:08 avec des organisations comme MSF,
00:40:11 toutes celles qu'on connaît,
00:40:13 qui organisent la vie de ces gens.
00:40:15 Et je me rends compte que c'est effectivement un lieu,
00:40:17 une institution, qui peut fonctionner comme un État.
00:40:20 Le parallèle est extrêmement juste,
00:40:22 dans lequel on ne rentre pas comme ça,
00:40:26 dans lequel on ne reste pas...
00:40:28 C'est très, très organisé, y compris pour y tourner.
00:40:32 Et donc, on approche le HCR, à ce moment-là,
00:40:36 dont le siège est à Genève.
00:40:39 Donc, le HCR, c'est une institution
00:40:42 qui est en charge depuis la presse
00:40:46 seconde guerre mondiale des réfugiés,
00:40:48 qui a été créée en 1951,
00:40:50 avec un budget de 300 000 euros au départ,
00:40:52 qui est aujourd'hui un budget de 10 milliards.
00:40:54 Il y a 21 000 personnes qui travaillent
00:40:56 pour cette organisation.
00:40:58 C'est une espèce de monstre logistique
00:41:00 qui est capable de répondre en 72 heures
00:41:03 à un déplacement de population de 600 000 personnes.
00:41:05 Donc, c'est vraiment cette institution-là
00:41:07 que je souhaite montrer et décrire
00:41:11 pour que les gens changent de regard, en fait.
00:41:14 Et ce regard non plus de ces habitants
00:41:18 des camps qui sont souvent décrits,
00:41:21 individualisés et critiqués,
00:41:24 avec tout ce qu'on connaît.
00:41:26 Mais d'inverser complètement le regard
00:41:27 et de porter ce regard,
00:41:28 ce regard critique sur l'institution.
00:41:30 Ce qui est particulier avec les institutions onusiennes,
00:41:32 c'est qu'on s'est très contrôlés.
00:41:34 On rentre dans un camp,
00:41:36 on a des contraintes de tournage.
00:41:37 On n'y passe pas plus de 2-3 jours.
00:41:40 Le camp d'Addab, où on tourne,
00:41:42 qui est à l'époque le plus grand camp du monde,
00:41:44 si on négocie bien, on peut tourner 5 jours de suite.
00:41:47 Mais on tourne entre 9h et 13h.
00:41:50 À Dadab, on tourne forcément avec une escorte,
00:41:52 en plus du service communication.
00:41:54 Il y a une organisation de la...
00:41:58 Il y a des mouvements terroristes,
00:42:01 les shababs qui sont dans le camp.
00:42:02 C'est vraiment quelque chose de très complexe.
00:42:04 Il n'y a pas de question de tourner la nuit.
00:42:06 C'est un tournage très contraint.
00:42:08 D'autant que l'idée était de simuler le parcours
00:42:11 de ce personnage qu'on a dessiné au début.
00:42:15 Donc se dire, en fait,
00:42:17 le camp est fait pour retarder l'arrivée des gens au nord,
00:42:22 très schématiquement.
00:42:24 Et donc on fabrique ce parcours d'une crise à l'Europe.
00:42:28 Et donc on tourne à la fois dans le plus grand camp,
00:42:30 le départ, le moment où les gens partent.
00:42:32 Le camp d'Addab, qui est le plus grand camp du monde.
00:42:34 Le camp d'Azraq, qui est là où, à ce moment-là,
00:42:36 la crise syrienne fait partir des centaines de milliers
00:42:39 de personnes de Syrie.
00:42:41 Et donc là, Jordanie est un pays d'accueil extrêmement important.
00:42:45 On tourne dans Azraq, qui se révèle être ce que
00:42:48 le HCR a voulu faire de mieux en termes de camps
00:42:51 et qui se révèle être le plus carcéral.
00:42:54 Et on tourne en Grèce, au moment de 2015,
00:42:57 où ces populations arrivent et on voit comment le HCR
00:43:01 est empêché, en fait, par les organisations,
00:43:03 par l'Europe, par les pays européens,
00:43:05 de faire ce qu'ils savent faire,
00:43:07 parfois aussi pour mettre à l'abri les gens.
00:43:09 Et ce qui est très particulier avec le HCR,
00:43:11 c'est un tournage très, très contraint.
00:43:14 - Peut-être juste avant d'être sur le tournage,
00:43:17 est-ce que tu veux bien parler de l'écriture ?
00:43:19 Enfin, ça t'a pris, le repérage ?
00:43:21 Comment on fait concrètement ?
00:43:23 - Alors, c'est donc des tournages qui coûtaient extrêmement cher
00:43:26 parce qu'on est allé dans 3, 4, 5, 6 pays,
00:43:29 parce qu'on est allé dans là où ils se forment aussi.
00:43:32 - T'as pas fait des repérages ?
00:43:34 - On n'a pas fait de repérage parce que, voilà,
00:43:36 c'est un tournage qui s'est fait très vite, en fait.
00:43:38 - Comment on écrit quand on ne fait pas de repérage ?
00:43:41 - Eh bien, on écrit parce qu'il y a beaucoup de choses
00:43:44 qui sont déjà écrites.
00:43:46 On parle beaucoup avec les services du HCR.
00:43:50 Il y a des endroits que je connais déjà,
00:43:52 donc je sais un peu à quoi m'attendre.
00:43:54 Et puis, voilà, on espère que ça va bien se passer.
00:43:59 Mais c'est vrai que c'est un film qui est très écrit en amont,
00:44:03 qui est écrit exactement, pratiquement,
00:44:06 comme il est, ce à quoi il ressemble,
00:44:09 en dehors de l'Europe,
00:44:11 parce que, évidemment, ça, début 2015, on n'anticipe pas.
00:44:15 Mais l'idée, c'est cette articulation
00:44:19 et cette démonstration du fonctionnement du HCR.
00:44:23 Donc, on sait qu'on veut avoir ce personnage dessiné.
00:44:27 On sait qu'on veut représenter ce pays avec cette carte.
00:44:31 Donc, il y a un travail de graphisme pour...
00:44:33 C'est-à-dire comment est-ce qu'on peut montrer que c'est un pays,
00:44:36 que ces endroits ont tout en commun,
00:44:38 ce qu'ils ont en commun.
00:44:40 Et je sais ce que je veux chercher dans chaque situation.
00:44:47 Je sais quel genre de personnage du HCR je veux trouver.
00:44:52 Et il se trouve, en dehors de la Grèce,
00:44:56 on a à peu près...
00:44:58 Les situations que je viens chercher, qu'on filme,
00:45:00 comme elles se développent devant nos yeux,
00:45:02 se déroulent parce que c'est des choses très standardisées par le HCR.
00:45:06 Donc, on sait à quoi s'attendre.
00:45:09 - Guillaume, même question.
00:45:12 Tu nous en as un peu dit déjà.
00:45:15 Mais comment, justement...
00:45:18 Est-ce que, du coup, comme tu étais en autoproduction,
00:45:21 tu n'as peut-être pas écrit avant ?
00:45:23 - Ben, si.
00:45:25 J'aurais bien aimé.
00:45:27 - Au contraire.
00:45:29 Comment tu as fait ?
00:45:32 Comment tu as écrit ?
00:45:34 - Ce n'était pas évident.
00:45:36 - Ce n'était pas évident à plein d'égards.
00:45:39 Mais c'est jamais évident de produire un documentaire, de toute façon.
00:45:42 Le film, il me vient d'abord par une image.
00:45:47 J'étais abonné à un canard d'extrême gauche qui s'appelait Article 11.
00:45:52 Et Article 11 avait...
00:45:54 Une des spécificités d'Article 11, c'est que si vous étiez désargenté
00:45:57 ou si vous étiez détenu, vous pouviez recevoir le journal gratuitement.
00:46:00 Donc, moi j'étais abonné à ça, ça m'intéressait, ça m'intriguait.
00:46:03 Et puis, ils ont fait un numéro spécial sur un de leurs abonnés
00:46:07 qui était un détenu et qu'ils ne connaissaient pas.
00:46:09 Mais en fait, le journal leur était revenu avec la mention "décédé".
00:46:13 Même pas le mot, mais les lettres.
00:46:15 Décédé.
00:46:17 Ils se sont dit "qu'est-ce que c'est que ce truc ?"
00:46:19 Et donc, ils ont fait un numéro spécial sur ce lecteur qu'ils ne connaissaient pas
00:46:22 pour essayer d'en faire le portrait et à travers lui,
00:46:24 parler de l'état des prisons.
00:46:27 Et ils racontaient que ce gars-là écrivait dans un journal interne à une prison
00:46:32 et dans un petit bout d'article, il rêvait de Casablanca,
00:46:37 cette prison où les détenus se baignent le soir après leur journée de travail.
00:46:42 Cette image m'a quand même frappée.
00:46:45 Je me suis dit "mais qu'est-ce que c'est que ça ?
00:46:47 Est-ce que c'est quelque chose qu'il invente ?"
00:46:49 Donc, j'ai tiré le fil, j'ai vu que ça existait.
00:46:51 Je me suis documenté autant que j'ai pu.
00:46:54 Et puis, je vais faire du placement de produits,
00:46:56 mais j'ai écrit le brouillon d'un rêve de film.
00:46:59 C'est vrai, c'est exactement ça qu'on fait.
00:47:03 Quand on ne peut pas faire autrement,
00:47:06 quand on ne peut pas aller faire des repérages dans une prison,
00:47:09 on frappe à la porte "bonjour, je voudrais regarder comment ça marche".
00:47:12 Non, ce n'est pas si simple.
00:47:14 Donc, on se documente, on lit les autres, on regarde ce que les autres ont fait.
00:47:17 Il y avait une très belle émission de radio, par exemple,
00:47:20 sur France Culture autour de Casablanca.
00:47:22 J'ai essayé d'emmagasiner tout ce que je pouvais.
00:47:25 Je me suis plongé dans les archives de l'INA.
00:47:27 J'ai vu les premières images d'actualité qui ont été tournées à Casablanca.
00:47:32 J'ai vu tout ce que j'ai pu voir.
00:47:34 J'ai vraiment emmagasiné comme une éponge.
00:47:36 Et puis, j'ai essayé de faire un premier jet.
00:47:38 Et à partir de ce premier jet, la question, c'était
00:47:42 "Est-ce qu'on le finance ? Est-ce qu'on essaye de le financer
00:47:45 alors qu'on risque de se manger une porte ?"
00:47:47 Puisque, TRIPtyc Film, on n'était vraiment pas grand monde.
00:47:51 On était une toute petite boîte de production
00:47:53 qui n'avait pas d'influence.
00:47:55 On se disait que ce serait très compliqué
00:47:57 de pouvoir aller frapper à la porte du ministère de la Justice
00:48:00 en étant personne, en n'ayant pas de diffuseur,
00:48:02 en n'ayant pas de crédibilité derrière.
00:48:04 On ne pouvait pas nous faire confiance, je crois.
00:48:08 Et moi, je n'avais pas non plus quelque chose à montrer
00:48:11 qui soit spectaculaire. J'avais juste mon envie.
00:48:14 Est-ce qu'on essaye de le financer ?
00:48:16 Ou est-ce qu'on essaye d'abord de voir si ce n'est pas un rêve impossible,
00:48:19 ce brouillon-là ?
00:48:21 Donc, je crois qu'on était dans une démarche un peu mixte.
00:48:25 On se renseigne un petit peu sur comment est-ce qu'on fait pour tourner en prison,
00:48:28 où est-ce qu'on peut... à quelle porte on peut aller frapper.
00:48:31 Donc, on demande des conseils à droite à gauche,
00:48:33 d'autres réalisateurs, d'autres producteurs
00:48:35 qui s'y sont un peu frottés.
00:48:37 Tout le monde nous dit que ça va être très compliqué,
00:48:39 qu'on va avoir du mal, et on ne nous ment pas.
00:48:42 Et donc, on rencontre à ce moment-là
00:48:46 la responsable de la communication.
00:48:48 Après avoir poussé plein de portes,
00:48:50 après avoir trouvé quelqu'un qui connaît quelqu'un
00:48:52 qui nous permet de pousser telle porte, telle porte, telle porte,
00:48:55 de temps en temps, on a un peu de chance.
00:48:57 On rencontre la bonne personne,
00:48:59 Kikozne et Christiane Taubira pour telle ou telle raison.
00:49:01 Parfois, les portes s'ouvrent toutes seules, c'est miraculeux.
00:49:05 Et on arrive jusqu'à un cerbère
00:49:07 qui est en charge de la communication de l'administration financière
00:49:10 et qui nous oppose un nom, Franck et Massif.
00:49:13 Donc, on cherche quand même d'autres manières.
00:49:17 On cherche des aides à l'écriture, on en trouve.
00:49:20 Alors, je dis "on" parce qu'à ce moment-là,
00:49:22 le film est co-écrit avec Adrien Mitterrand,
00:49:25 un camarade de fac.
00:49:27 Et donc, on fait un voyage en Corse
00:49:30 pour voir les alentours en se disant
00:49:32 "on ne peut pas rentrer dans la prison".
00:49:34 Quoique, vu que c'est une prison qui est ouverte,
00:49:37 il ne serait pas très difficile de franchir les limites des champs,
00:49:42 de marcher sur la plage et arriver à la prison.
00:49:44 - Oui, parce qu'on voit des petits chemins dans la forêt,
00:49:46 on se dit qu'on peut...
00:49:48 - Après, il ne faut pas le faire,
00:49:49 parce que sinon, on finit en prison pour de vrai.
00:49:51 Mais ça nous permet de visiter les alentours,
00:49:54 de rencontrer les gens, de sentir ce qu'il y a de faisable.
00:49:57 On se dit, au pire,
00:49:59 si on ne peut pas faire un film dans Casablanca,
00:50:01 avec toute la matière qu'on a emmagasinée sur Casablanca,
00:50:04 on peut peut-être faire un film aux alentours.
00:50:06 Qu'est-ce que c'est être le voisin d'une prison ouverte ?
00:50:09 Prison dans laquelle, vous l'avez peut-être compris dans l'extrait,
00:50:12 il y a 80% des détenus qui sont là
00:50:15 parce qu'ils sont des pères incestueux.
00:50:17 Donc, c'est un drôle de voisinage tout de même,
00:50:19 ce n'est pas du tout évident.
00:50:21 Donc, on se dit, tiens, il y a ça comme piste,
00:50:23 on écrit, on développe,
00:50:25 on connaît beaucoup de choses,
00:50:26 mais on n'arrive pas du tout à écrire un film...
00:50:30 Tu parlais de personnages, etc.
00:50:32 On n'arrive pas du tout à être dans ce type de films-là.
00:50:36 On est dans un film qui, au départ, est très conceptuel,
00:50:39 qui a une vue très large sur des mouvements,
00:50:42 des systèmes de commerce avec la prison,
00:50:45 qui y travaille, qui y entre, qui y en sort,
00:50:48 qu'est-ce qu'on pourrait voir aux alentours.
00:50:50 Peut-être un film choral, on ne sait pas en fait.
00:50:52 Et tout en continuant à écrire,
00:50:56 on apprend aussi que la responsable de la communication
00:51:00 à l'administration financière a changé.
00:51:02 Donc, on y retourne et on a de la chance.
00:51:05 Là, on rencontre Colombe Babinet.
00:51:08 - La première, je l'ai connue aussi, elle était redoutable.
00:51:12 - Voilà, pas possible.
00:51:13 Mais alors que Colombe, la grande chance qu'a eue
00:51:16 l'administration pénitentiaire pendant un temps,
00:51:18 la communication de l'administration pénitentiaire,
00:51:20 c'est que Colombe Babinet connaît le documentaire,
00:51:23 comprend le documentaire, aime le documentaire,
00:51:25 s'y est essayé autrefois et n'aboutit pas là par hasard.
00:51:29 Malheureusement, aujourd'hui, elle a la retraite.
00:51:31 Les choses ont changé.
00:51:33 Bon, j'en parlerai après.
00:51:35 Mais voilà, on rencontre cette dame qui comprend
00:51:37 ce qu'on veut faire et qui nous ouvre des portes.
00:51:40 Il se trouve par ailleurs que sur place,
00:51:42 quand on est allé en Corse, on a rencontré
00:51:45 le maire de la commune, on a réussi à rencontrer
00:51:48 des gens qui travaillaient dans la prison,
00:51:50 on a réussi à décrocher une rencontre avec le directeur.
00:51:53 Donc, on commence aussi à avoir des choses à faire valoir
00:51:57 en disant on est peut-être légitime, finalement, pour le faire.
00:52:00 Et ce qu'il nous a demandé en retour, on nous dit d'accord,
00:52:02 ça pourrait être possible.
00:52:04 Ce que vous voulez faire, ça a l'air compliqué
00:52:07 parce que ça peut nous arriver de donner des autorisations
00:52:10 de tournage à Casablanca, mais on va le donner à Paris Match
00:52:13 qui va venir passer un jour ou deux.
00:52:15 On va le donner à TF1 qui va survoler la prison
00:52:18 avec un drone pour nous montrer, attention,
00:52:20 vous voyez, les pédophiles peuvent sortir.
00:52:22 Enfin, des choses comme ça, mais c'est des tournages courts.
00:52:25 Là, vous nous demandez une immersion,
00:52:27 parce que nous, on dit c'est une prison agricole,
00:52:29 donc il faut qu'on voit une année entière,
00:52:31 il faut qu'on voit les saisons passer, sinon c'est pas drôle.
00:52:34 Donc, on se dit surtout, la prison, c'est du temps,
00:52:37 donc il faut qu'on y passe du temps, sinon on parlera de rien.
00:52:40 Donc, nous, ce qu'on demande, c'est une présence à chaque saison,
00:52:43 4 fois 15 jours, on est très gourmand.
00:52:46 Et on nous dit, ok, tout ça, c'est possible,
00:52:49 mais il faut que vous nous montriez en retour
00:52:51 que vous avez les moyens de le faire.
00:52:53 Là, vos paroles, c'est bien, on a envie d'y croire,
00:52:55 on a envie de croire en vous et tout,
00:52:57 mais si vous n'avez pas le financement, le film, il va nulle part.
00:52:59 C'est super, vous aurez passé 4 fois 15 jours en prison,
00:53:02 qu'est-ce que ça vous aura apporté ?
00:53:04 Donc, on est obligé de se remettre à l'écriture,
00:53:07 à se remettre à chercher des financements sérieusement,
00:53:10 et en fait, on galère, on trouve pas, on trouve pas de télévision,
00:53:13 on trouve rien du tout, et puis, on a des refus partout,
00:53:17 partout, partout, partout, parce que le dossier est pas bon.
00:53:20 Et c'est vrai, le dossier est vraiment très mauvais,
00:53:22 parce qu'on ne sait pas, on ne peut pas faire de repérage
00:53:24 à l'intérieur de la prison, on se dit que peut-être,
00:53:26 on pourra aller filmer, mais le dossier est nul,
00:53:29 c'est une ressucée, avec nos mots, d'enquêtes sociologiques,
00:53:35 de trucs comme ça, qui font que le dossier est quand même très théorique,
00:53:39 et on apprend des tas de trucs, mais il n'y a pas de point de vue,
00:53:42 il n'y a pas de point de vue cinématographique,
00:53:44 et on a bien du mal à le trouver, alors on se rattrape sur d'autres trucs,
00:53:46 en se disant, ah ouais, les détenus qui sont là,
00:53:48 on ne pourra pas filmer leur visage, c'est tout un problème de filmer les visages,
00:53:51 on travaille sur un truc autour du visage,
00:53:54 des manières de déformer les visages, en direct,
00:53:57 en mettant de la gélatine directement sur l'objectif,
00:53:59 on fait des conneries, des trucs qu'on ne fera pas du tout,
00:54:01 enfin on va essayer, mais ça ne marchera pas,
00:54:03 et on essaie de se rattraper comme ça,
00:54:06 en trouvant quand même des petites pistes esthétiques,
00:54:08 pour dire, si, si, vous voyez, on parle de cinéma,
00:54:10 mais ça ne prend pas, ça ne mord pas,
00:54:12 et on est en train de se dire, on ne va pas y arriver,
00:54:14 et puis, voilà, à Triptyque Films,
00:54:17 on n'a jamais fait de films de cinéma à ce moment-là,
00:54:21 on n'a fait que des films audiovisuels et des courts-métrages,
00:54:24 et on se dit, tiens, on n'a jamais essayé l'Avance sur E7,
00:54:26 si on allait voir ce qu'il se passe à cet endroit-là,
00:54:28 ça nous apprendra des trucs en plus,
00:54:30 on n'a jamais essayé, donc on apprend en même temps,
00:54:33 et donc on y va, et par chance, par je ne sais pas ce qui s'est passé,
00:54:37 les planètes se sont alignées, et on a eu l'Avance sur E7 du premier coup.
00:54:40 - Avec le mauvais dossier. - Avec le mauvais dossier !
00:54:42 Avec un très très mauvais dossier !
00:54:44 Non mais vraiment, un dossier que moi je ne conseillerais plus aujourd'hui,
00:54:47 maintenant que je connais un peu, ce n'est pas ça qu'il faut faire,
00:54:50 mais je ne sais pas, il s'est passé un truc,
00:54:54 c'était Serge Toubiana qui était à la tête de la commission,
00:54:58 je ne sais pas, quelque chose l'intéressait particulièrement,
00:55:01 il nous a vraiment fait parler à l'oral,
00:55:03 pour essayer de nous faire tirer le film de nous,
00:55:06 parce qu'il n'était pas dans le dossier,
00:55:08 et souvent on me dit, quand on va à l'oral de l'Avance sur E7,
00:55:12 tout est déjà joué, ça ne sert un peu à rien, en fait non, clairement pas,
00:55:15 parce que là, moi j'avais mis en place les lieux,
00:55:18 j'avais parlé de ce que c'était que cet endroit,
00:55:21 et lui il m'a dit "parlez-nous du film",
00:55:23 je suis reconnaisseur à Toubiana sur ça, clairement,
00:55:26 j'ai plein de trucs à Toubiana, mais moi j'ai 15 minutes avec lui,
00:55:29 je me dis "ok c'était cool", mais voilà, donc par chance on a ça,
00:55:32 et à partir de là, le financement n'est pas forcément gagné,
00:55:36 parce que l'Avance sur E7 c'est une promesse d'Avance sur E7,
00:55:39 c'est une promesse d'argent public,
00:55:41 et nous on découvre tout ça, on est une jeune boîte,
00:55:44 et on se dit "ok, comment on fait maintenant le chemin pour avoir l'argent privé ?"
00:55:47 Et là c'est encore une année où je suis VRP avec mon projet de film,
00:55:51 et où je vais de lieu en lieu,
00:55:53 chaque fois que je vois un événement sur la prison, j'y vais,
00:55:56 en me disant "je vais rencontrer un philanthrope,
00:55:58 je vais rencontrer une association, une fondation, quelque chose",
00:56:01 et on a, je crois, sans mentir, 12-13 associations, fondations et philanthropes,
00:56:06 au générique, parce qu'on a évidemment jamais trouvé de diffuseurs, jamais.
00:56:11 Donc il fallait se débrouiller pour faire du privé malgré tout,
00:56:15 on a trouvé ensuite un distributeur,
00:56:17 on a rameuté un coproducteur à ce moment-là,
00:56:19 au moment où c'était vraiment nécessaire d'avoir du privé,
00:56:22 et c'est comme ça qu'on arrive à la fin au financement.
00:56:24 Mais tout ça c'est que des hasards, des coups de bol, des incertitudes,
00:56:28 et jusqu'au premier jour du tournage on se dit "ça y est, enfin !"
00:56:31 - Et de la persévérance.
00:56:32 - Ouais, et t'arrives au premier jour du tournage et c'est encore pas ça !
00:56:34 Il faut encore inventer, mais c'est ça qui est génial avec le documentaire.
00:56:38 Voilà.
00:56:39 Tout ça, ça prend combien de temps ?
00:56:43 Je crois que l'article doit paraître dans l'article 11, fin 2011 ou 2012.
00:56:49 Et après le tournage commence en 2015, s'achève en 2016,
00:56:54 le montage en 2017 à Périphérie,
00:56:57 premier festival fin 2017, novembre 2017 à Belfort,
00:57:02 et sortie salle février 2019.
00:57:06 Je ferai plus jamais ça.
00:57:11 Plus jamais !
00:57:12 Aujourd'hui, six ans après, je prépare mon deuxième long métrage.
00:57:16 J'ai décidé d'être coproducteur minoritaire,
00:57:19 et de absolument pas porter la production.
00:57:22 - Oui, parce que là tu racontes une histoire.
00:57:24 Mais est-ce que si t'avais eu un producteur, il aurait été au bout ?
00:57:28 - Non, parce que c'était une grande chance aussi.
00:57:31 C'était à la fois une expérience de vie de dingue,
00:57:34 et complètement épuisante, dont je suis sortie absolument exsangue,
00:57:37 j'en pouvais plus quoi.
00:57:39 Mais en même temps, le film a une singularité,
00:57:44 ne serait-ce qu'une tronche un peu particulière,
00:57:47 dont je suis plus ou moins fière,
00:57:48 parfois j'ai du mal à regarder les images,
00:57:50 mais en même temps je sais que ça fait partie de cette expérience-là,
00:57:53 de ce film qui est libre de partout,
00:57:55 qui est ouvert de partout,
00:57:57 qui est percé de partout aussi,
00:57:59 et qui en même temps permet d'accueillir des choses
00:58:02 qu'on n'aurait pas pu avoir.
00:58:04 Tu disais toi que vous étiez beaucoup escorté,
00:58:08 et nous en fait, on a travaillé sur notre côté bras cassés,
00:58:13 on était une toute petite équipe,
00:58:15 il y avait moi, un ingé son et un assistant,
00:58:18 et en fait, ils ne savaient pas ce qu'on venait faire,
00:58:21 nous-mêmes on ne savait pas trop,
00:58:23 et donc ils nous appelaient les "Toubifris" au départ,
00:58:25 quand on franchissait l'entrée,
00:58:28 vraiment ils nous prenaient pour des toccards,
00:58:30 et donc c'était super, parce qu'ils ne nous ont pas escorté,
00:58:33 ils ne nous ont pas du tout suivi,
00:58:35 en plus comme ils avaient peur d'être filmés,
00:58:37 ils ne voulaient pas plus s'éloigner de nous,
00:58:39 parce que certes, les détenus ne veulent pas être reconnus à l'écran,
00:58:41 mais les surveillants non plus,
00:58:43 donc vraiment, ils nous ont foutu une paire royale,
00:58:46 et c'est ce qui fait qu'après cette scène que vous avez vue,
00:58:49 où il y a ce détenu qui ne veut surtout pas qu'on le filme,
00:58:52 il y en a d'autres qui sont venus nous voir en disant,
00:58:54 "Mais enfin, vous faites quoi ?
00:58:56 Vous êtes dans la cour tout seul,
00:58:58 vous avez une caméra, vous pouvez circuler comme vous voulez,
00:59:01 vous n'avez pas de surveillants sur les talons, ben non,
00:59:04 et bien montez en cellule, boire un café,
00:59:06 et vous dites, "Ah ben ouais, d'accord,
00:59:08 ce n'est pas le film que j'avais pensé, mais allons-y, il faut le faire."
00:59:10 C'est le moment où on réagit,
00:59:12 et c'est là que le cinéma documentaire s'invente.
00:59:14 Et du coup, avec ce côté complètement bricolo,
00:59:17 semi-amateur, tocard,
00:59:20 on a pu se parler sincèrement,
00:59:23 simplement, avec les gens,
00:59:25 et on est allé loin, on est allé très très loin,
00:59:27 et le film nous embarque dans les conversations.
00:59:29 - Parce que le film, c'est des longues conversations
00:59:32 avec les détenus.
00:59:34 - À visage découvert.
00:59:36 Du coup, ils nous ont fait une confiance incroyable,
00:59:39 mais du coup, c'était dans les deux sens.
00:59:41 Ils nous ont sauvé le film en même temps.
00:59:43 C'est eux qui ont inventé le film, pas moi.
00:59:45 - On dit que parfois, les personnages sont plus forts que les réalisateurs.
00:59:49 Claudine, alors ?
00:59:54 - D'abord, j'adore ton histoire,
00:59:56 et j'y reconnais bien là l'obstination du documentariste.
01:00:01 Vraiment.
01:00:03 - C'est la première qualité qu'on doit avoir.
01:00:06 Sans obstination, c'est même pas la peine d'essayer de faire des films.
01:00:09 - Et cette notion du temps,
01:00:11 qui est absolument fondamentale,
01:00:13 quand tu es dans le lieu,
01:00:15 une fois que tu as passé tout ça,
01:00:17 quand tu es dans le lieu, le temps,
01:00:19 c'est incroyable ce que ça crée.
01:00:21 En bout d'un moment, les gens disent "mais qu'est-ce que vous faites ?"
01:00:24 "Ah bon, vous allez faire un film ?"
01:00:27 "C'est pas comme ça, normalement."
01:00:29 "Ils viennent pas en trois jours, puis voilà, c'est fait."
01:00:31 "Non, là, on reste."
01:00:33 "Ah, vous restez."
01:00:35 Et au bout d'un moment, ça les intéresse.
01:00:38 Ça les intéresse vraiment,
01:00:40 et puis surtout, il y a une confiance énorme qui s'installe,
01:00:43 parce qu'ils voient qu'on bosse.
01:00:45 Et que si on bosse aussi lentement,
01:00:47 et en y consacrant autant de temps,
01:00:50 quand même, il y a quelque chose.
01:00:52 Après, on arrive à une sorte de collaboration
01:00:56 avec les personnes qu'on filme.
01:00:58 Pas tous, mais souvent.
01:01:01 L'histoire des règles du jeu,
01:01:04 c'est pas tout à fait ça, quand même,
01:01:06 parce qu'on a passé beaucoup moins de temps que toi.
01:01:08 Je voulais dire d'abord que,
01:01:10 en fait, filmer les institutions,
01:01:12 c'est pas tellement mon but dans la vie.
01:01:14 Je veux dire,
01:01:16 si on s'est tourné vers les institutions,
01:01:19 avec Patrice, et moi déjà avant,
01:01:21 avec le film "Monsieur contre Madame",
01:01:24 c'est parce que,
01:01:26 je pense que l'institution,
01:01:28 c'est un lieu d'affrontement social,
01:01:31 d'affrontement tout court.
01:01:33 Et que bien souvent,
01:01:35 le rapport à la loi et à l'État,
01:01:37 il y est très très fort.
01:01:39 Et que donc, c'est l'occasion de filmer,
01:01:41 d'une certaine façon, le conflit,
01:01:43 dans une sorte de fiction.
01:01:47 C'est-à-dire, il y a quelque chose déjà dans le lieu,
01:01:50 qui est une forme de mise en scène.
01:01:52 Je prends comme exemple,
01:01:54 les règles dont on parle, les règles du jeu.
01:01:56 En fait, on voulait filmer
01:01:58 la question du chômage.
01:02:00 C'est ça qui nous intéressait.
01:02:02 Les arrivants, c'était la question des migrants.
01:02:05 "Monsieur contre Madame", c'était la question
01:02:07 de la médiation familiale.
01:02:09 Donc, on a une idée comme ça,
01:02:12 un peu abstraite, et puis après,
01:02:14 on cherche où est-ce que ça peut s'incarner.
01:02:17 Et c'est en cherchant qu'on a,
01:02:20 sur la question de l'emploi,
01:02:22 on se rend compte qu'il y avait une masse de gens
01:02:25 qui s'occupaient de former à l'emploi.
01:02:28 Alors, il y a les missions locales, tout ça.
01:02:30 On en a vu quelques-unes.
01:02:32 Là aussi, ça a mis très longtemps
01:02:34 avant d'arriver au lieu final.
01:02:36 Et puis, on s'est trouvé sur Internet,
01:02:38 par hasard, des images de Ingeus,
01:02:41 donc la boîte où on a filmé,
01:02:44 et des images absolument incroyables,
01:02:46 c'est-à-dire d'une froideur,
01:02:48 complètement de la com', quoi.
01:02:50 La com' est une façon de parler de l'emploi
01:02:53 qui nous paraissait, alors là,
01:02:55 vraiment, vraiment intéressante,
01:02:57 parce que la dimension sociale en était totalement absente.
01:03:00 C'est-à-dire qu'il n'y avait pas d'apitoiement,
01:03:02 il n'y avait pas de "Ah, mon pauvre garçon", tout ça.
01:03:04 Non, c'était vraiment, voilà, c'est comme ça, l'emploi,
01:03:07 c'est comme ça, le marché, c'est ça,
01:03:09 et il faut que vous deveniez un acteur du marché.
01:03:11 Donc, on s'est dit, c'est génial.
01:03:14 Et on s'est dit, il faut qu'on rencontre ces gens-là.
01:03:17 Et on a rencontré, après bien des difficultés,
01:03:20 la directrice d'Ingéus France,
01:03:22 parce que c'est une entreprise internationale.
01:03:24 - Attention à ton micro.
01:03:26 - Hein ?
01:03:27 - Mets-le bien.
01:03:28 - C'est une entreprise internationale, très importante,
01:03:30 et on se disait, on n'aura jamais l'autorisation,
01:03:34 mais enfin, on y va quand même.
01:03:36 Et on a rencontré, donc, à Paris,
01:03:38 cette femme qui était la directrice France.
01:03:41 Il se trouve, là aussi, c'est quand même les hasards
01:03:46 incroyables, ça c'est comme avec Babinet,
01:03:49 il se trouve que cette femme était une cinéphile.
01:03:52 Et qu'elle nous dit, bon, elle ne nous connaissait pas,
01:03:56 tout ça, elle dit, mais vous faites quoi comme film ?
01:03:58 Alors, on dit, ben voilà, on fait du cinéma documentaire,
01:04:00 mais pour le cinéma.
01:04:01 Ah oui, ça passe dans quelle salle ?
01:04:03 Bon, elle nous dit, ben, MK de Beaubourg,
01:04:05 Ruffley-Médici,
01:04:07 oh, elle me dit, c'est mes salles,
01:04:09 c'est là que je vais.
01:04:11 Donc, c'était vraiment un bon contact.
01:04:14 Et elle a dit, ben oui, allez-y.
01:04:16 Enfin, non, pas tournage, mais repérage.
01:04:18 Donc, on a pu repérer, on a été, donc, à Lille-Tourcoing,
01:04:21 parce qu'on voulait filmer dans le Nord.
01:04:24 Et donc, là, on a pu repérer pendant plusieurs mois.
01:04:27 Alors, ça, c'est la méthode de travail qu'on a avec Patrice,
01:04:31 c'est-à-dire qu'on prend, on repère assez longtemps,
01:04:34 je prends beaucoup, beaucoup de notes.
01:04:37 Et c'est à partir de ça qu'on va écrire le scénario,
01:04:40 parce qu'en fait, on le conçoit presque toujours
01:04:43 comme une pièce de théâtre.
01:04:45 - Donc, repérage, ça veut dire sans caméra et sans...
01:04:48 - Ah oui, sans rien. - D'accord.
01:04:50 - Ah oui, sans rien. Vraiment, on est là, on regarde, on écoute,
01:04:53 les gens savent qui on est, mais on tourne pas.
01:04:56 Et donc, on fait connaissance aussi, là, par exemple,
01:04:59 avec les coachs, parce que les coachs, ils ont pas bougé.
01:05:02 En revanche, les gens qui viennent, on les reverra pas.
01:05:05 Mais c'est absolument pas un problème,
01:05:07 puisqu'on sera toujours dans les mêmes situations.
01:05:09 On verra toujours le même processus se mettre en branle, etc.,
01:05:13 puisque le principe, c'est qu'ils arrivent, ils ont rien,
01:05:16 on les forme, et en principe, après, ils cherchent,
01:05:19 et en principe, ils sortent avec un emploi.
01:05:22 Donc, il y a 6 mois, comme ça.
01:05:24 Donc, voilà, on a repéré pas tout à fait 6 mois,
01:05:26 parce que ça, c'était quand même un peu trop long.
01:05:28 Et on a écrit, donc, cette pièce,
01:05:30 une espèce de continuité dialoguée,
01:05:33 mais pas du tout sous la forme scénario, quoi,
01:05:35 beaucoup plus sous la forme théâtre,
01:05:37 parce que le fait qu'il y ait un lieu unique,
01:05:40 et c'était pareil avec "Les arrivants"
01:05:42 et avec "Monsieur contre Madame",
01:05:44 c'est quand on a un lieu unique comme ça,
01:05:46 avec une dimension à la fois spatiale et de temps,
01:05:49 c'est-à-dire le temps est toujours le même,
01:05:52 c'est-à-dire, eux, ils fonctionnent toujours de la même façon,
01:05:55 donc, en général, quelque chose se met en place en début d'année,
01:05:58 et à la fin de l'année, ça doit être résolu.
01:06:01 Donc, on a vraiment une trame,
01:06:03 on pourrait dire presque scénaristique,
01:06:06 mais c'est un microphone qui existe dans le réel.
01:06:08 Et nous, on filme en cinéma direct ce qui se passe.
01:06:11 Voilà, c'est ça le principe.
01:06:13 - Closine ton micro.
01:06:15 - Oui, pardon.
01:06:17 On a écrit le texte, on a eu l'avancée recette,
01:06:19 et donc, on a pu ensuite retourner voir la directrice,
01:06:24 qui a dit OK, elle a lu le scénario,
01:06:27 elle était d'accord, et on a pu tourner.
01:06:29 Alors, on a tourné six mois, voilà.
01:06:31 Et ce que je voulais dire, oui,
01:06:33 c'est que c'est une des grosses questions, quand même,
01:06:35 de filmer l'institution, c'est les autorisations.
01:06:39 Il faut vraiment avoir bien conscience de ça,
01:06:43 parce que c'est très, très difficile,
01:06:45 particulièrement avec plus les institutions,
01:06:48 enfin, comme toi, avec la prison ou l'hôpital,
01:06:51 plus les institutions sont fortes,
01:06:54 plus c'est difficile d'obtenir les autorisations.
01:06:57 Et une fois qu'on est dans la place,
01:06:59 c'est très, très difficile aussi
01:07:01 d'avoir les autorisations des personnes qui sont là.
01:07:04 Donc la question de l'autorisation,
01:07:06 pour moi, elle est fondamentale.
01:07:08 -On va l'aborder après.
01:07:11 Est-ce qu'il y a des questions à ce stade ou...
01:07:15 Non ?
01:07:17 On poursuit, si jamais vous faites un signe,
01:07:23 un grand signe.
01:07:25 Alors, justement, moi, je voudrais aborder
01:07:29 toutes ces questions autour des contraintes,
01:07:31 finalement, liées aux institutions,
01:07:34 c'est-à-dire celle des autorisations,
01:07:38 que ce soit au moment du repérage,
01:07:40 au moment du tournage.
01:07:43 Est-ce qu'on fait valider des textes ?
01:07:46 Est-ce qu'on ruse un peu ?
01:07:49 Est-ce qu'on donne les textes à lire
01:07:51 qui sont les textes définitifs ?
01:07:54 Est-ce qu'on doit montrer le film avant la fin ?
01:07:58 Toutes ces questions-là.
01:08:01 Quelles sont les contraintes auxquelles on fait face
01:08:04 et comment on fait avec,
01:08:06 ou on s'en arrange,
01:08:08 ou est-ce que parfois, on les défie un peu ?
01:08:12 Oui, est-ce qu'il y a un cahier des charges ?
01:08:18 -Alors, moi, ce que j'ai fait avec État limite,
01:08:23 c'est que j'ai eu de la chance,
01:08:25 parce que j'avais déjà un médecin
01:08:28 qui était chef de service à l'époque,
01:08:31 que je connaissais un peu, en fait,
01:08:33 grâce à la transplantation de mon père,
01:08:35 qui était devenu un peu ami avec lui,
01:08:37 et qui a été adorable,
01:08:38 qui nous a vraiment ouvert les portes.
01:08:40 Je pense qu'on a un peu surfé sur le truc du Covid,
01:08:42 où à un moment, il y avait vraiment,
01:08:44 chaque hôpital à Paris avait son film Covid.
01:08:47 Donc nous, on est arrivé en se disant,
01:08:50 on va faire un truc sur le Covid.
01:08:52 Donc ça nous a ouvert vraiment les portes.
01:08:54 On a un peu rusé,
01:08:55 parce que finalement, le film, ça a été autre chose.
01:08:58 Mais ils ont été...
01:09:00 Enfin, j'ai l'impression que d'avoir surfé sur la vague Covid, etc.,
01:09:06 nous a permis aussi après de nous faire rentrer dans l'hôpital,
01:09:11 pouvoir dire, voilà, en fait, j'ai rencontré ce médecin-là,
01:09:15 c'est un psychiatre.
01:09:16 Mais on avait déjà quand même entamé depuis longtemps
01:09:19 une discussion avec aussi la dame qui s'occupait de la com' là-bas,
01:09:26 enfin la com' de l'hôpital.
01:09:28 Et petit à petit...
01:09:30 - Est-ce que vous avez eu affaire qu'à la com' de l'hôpital ?
01:09:33 Tu n'as pas eu affaire à la PHP ?
01:09:35 - J'ai eu affaire à la PHP, mais après,
01:09:37 ça aurait été bien que ma productrice vienne aussi ici,
01:09:40 parce qu'elle aurait pu expliquer un peu plus...
01:09:42 Parce qu'elle a beaucoup travaillé derrière,
01:09:44 avec en discussion, c'était surtout la communication de la PHP.
01:09:53 Ensuite, moi, j'ai dû aller voir plusieurs personnes de la direction.
01:09:57 Mais on a eu cette ouverture, je te disais, à ce moment-là,
01:10:04 avec le Covid, qui nous a permis vraiment de rentrer...
01:10:07 - Ça veut dire que vous avez dit que vous alliez faire un film sur le Covid,
01:10:11 et finalement, tu n'as pas fait le film sur le Covid,
01:10:13 parce que vous l'ont pas su entre temps ?
01:10:15 - Non, on a été un peu plus transparent que ça.
01:10:17 On a dit, on cherche un film pour l'instant,
01:10:19 on veut faire un truc sur les internes, tout nous intéresse, on est ouvert.
01:10:22 Et quand j'ai rencontré le psychiatre, je leur ai dit,
01:10:25 moi, ça m'intéresse, parce qu'il a aussi cette casquette
01:10:29 où il doit enseigner, il doit transmettre à des internes.
01:10:32 Donc, il y a aussi cet aspect-là,
01:10:34 m'intéressait vraiment aussi les internes à l'hôpital.
01:10:37 Et donc, le film, au fur et à mesure, s'est resserré sur le psychiatre.
01:10:45 Mais c'est vrai qu'ils ont été un peu surpris quand même, à la fin,
01:10:48 quand ils ont vu le film.
01:10:50 - Donc, tu ne leur as pas donné de documents écrits du film,
01:10:55 à un moment donné, ils ne te l'ont pas demandé ?
01:10:58 - Si, ils nous ont demandé, on a fait un traitement,
01:11:00 mais un peu un traitement qu'on fait, disons, comme un dossier.
01:11:03 On avait encore quelques repérages, on s'imagine des choses.
01:11:10 Ce que tu racontais tout à l'heure, c'était un peu une idée de ce qui allait se passer.
01:11:18 Et le film, comme le film, s'est beaucoup aussi écrit et construit en montage.
01:11:24 Finalement, le dossier qu'on leur a donné au départ,
01:11:31 ressemble, mais de loin, à ce que le résultat final du film.
01:11:35 On n'a jamais eu à leur montrer des rushs du film, ou quoi que ce soit.
01:11:39 Ils ont été très ouverts, finalement.
01:11:42 Je pense qu'à un moment, ça faisait consensus à l'intérieur de l'hôpital.
01:11:49 Aussi, les revendications en première personne du psychiatre,
01:11:53 on a été assez clair, et je pense que tout le monde était d'accord.
01:11:57 On avait un consensus, même dans la direction de l'hôpital.
01:12:01 Les gens savaient qu'en psychiatrie, il y avait un manque de moyens.
01:12:05 Et donc, on n'a jamais essuyé de problème.
01:12:09 On leur a même montré un montage presque final,
01:12:13 alors que quand même, il y a des scènes qui peuvent être dures
01:12:18 vis-à-vis de la direction de l'hôpital, etc.
01:12:22 J'ai été étonné, en fait, finalement, de l'ouverture.
01:12:28 - Il y avait des contraintes ?
01:12:30 Il y avait des choses que tu ne pouvais pas filmer,
01:12:32 ou des choses qu'on t'avait demandé ?
01:12:35 Quelle était la règle du jeu ?
01:12:39 - La règle du jeu, ça a été beaucoup une autre règle du jeu,
01:12:42 c'est-à-dire d'énormément discuter avec surtout les patients, les soignants,
01:12:47 d'expliquer ce qu'on voulait faire, d'être très clair.
01:12:49 Et on a été aidé par le psychiatre, par les autres médecins,
01:12:58 par les autres aide-soignants, qui nous disaient
01:13:00 "Voilà, ce patient-là, vous ne pouvez pas filmer,
01:13:02 parce que ce n'est pas possible."
01:13:05 Et c'est ce que tu racontais tout à l'heure aussi,
01:13:08 des fois d'être juste posé avec la caméra,
01:13:10 les gens venaient à nous aussi,
01:13:13 c'est un moment où les gens avaient envie d'échanger quelque chose.
01:13:17 Et ceux par contre qui ne voulaient pas être filmés,
01:13:20 c'était à 500 mètres, ils nous voyaient venir avec la caméra,
01:13:23 dégagés, je ne veux pas de ça, mais pareil pour les soignants.
01:13:27 Donc c'était assez évident, j'étais assez étonné.
01:13:30 Quand c'était des refus, c'était des refus immédiats.
01:13:34 Et la plupart du temps, il y a un des soignants qu'on voit dans le film,
01:13:38 Romain par exemple, qui est lui venu, qui a dit
01:13:40 "Moi j'ai envie qu'on me filme, j'ai envie d'échanger ce moment-là,
01:13:44 j'ai envie de partager, de montrer mon métier, de mettre".
01:13:48 Et je pense que le moment un peu, la conjoncture Covid nous a aidés aussi,
01:13:55 parce qu'il y avait ça, il y avait une lumière qui avait été mise.
01:13:58 - Mais l'institution, vous n'avez pas mis de règles du jeu ?
01:14:01 - Elles ne nous ont mis aucune règle du jeu.
01:14:04 Mais je te disais, il y avait un film Covid,
01:14:06 chaque hôpital avait son film Covid, c'était presque, ils avaient envie...
01:14:10 - Donc tu dis que ce ne serait peut-être pas possible aujourd'hui pareil ?
01:14:13 - Je ne sais pas, mais j'ai l'impression que ça a été un moment d'ouverture vraiment.
01:14:18 C'était la moitié, la fin moitié du...
01:14:23 Enfin après la moitié du premier confinement.
01:14:26 Donc c'était un truc où ils avaient envie d'avoir leur film sur l'hôpital.
01:14:33 - On parle beaucoup de chance et de moments particuliers et tout ça.
01:14:37 Donc il faut savoir que les films se font avec beaucoup d'obstination
01:14:44 et un petit ingrédient chance non négligeable.
01:14:48 Alors toi Anne, c'était quoi les contraintes ?
01:14:53 On les imagine immenses.
01:14:56 - Je pense que l'accès qu'on a repose sur une double ambiguïté.
01:15:03 Et le résultat sur une double ambiguïté,
01:15:05 d'abord parce que le HCR, ce n'est pas la première fois que je fais un film sur une agence, sur l'ONU.
01:15:10 Et j'ai fait avant ça deux autres films sur des ONG.
01:15:15 Avec à chaque fois un regard critique et un peu dissonant,
01:15:20 et qui ne met pas à leur avantage.
01:15:23 Et c'est toujours extrêmement surprenant qu'ils en soient très surpris.
01:15:28 C'est-à-dire que c'est des personnels qui sont habitués à être portraitisés
01:15:34 comme les "good guys".
01:15:36 Et donc ils n'en reviennent toujours pas à chaque fois qu'on n'adopte pas ce positionnement-là.
01:15:43 Et c'est d'autant plus paradoxal que c'est des institutions qui reposent sur des valeurs démocratiques,
01:15:48 qui sont par définition ouvertes aux médias, à une parole critique journalistique,
01:15:54 et qui ont besoin de financement, donc qui ont besoin d'ouvrir leurs portes.
01:15:58 Le HCR est financé à 20% par des aides privées.
01:16:05 Ce sont des gouvernements qui financent, vous et moi, et puis des entreprises.
01:16:11 À l'époque, il y a Ikea qui est très important.
01:16:15 Dans une partie du film, on l'explore parce que c'est très paradoxal dans la mesure où Ikea,
01:16:24 enfin où les camps sont par définition un endroit d'habitation précaire et temporaire surtout.
01:16:30 C'est un peu spécial.
01:16:32 Et donc ils nous ouvrent leurs portes de façon assez candide.
01:16:38 D'autant qu'Arte a fait cette série de films dont je parlais tout à l'heure,
01:16:42 avec des cinéastes qui ont fait des films où ils se sont installés dans un camp,
01:16:45 ils ont passé le temps, le contrat c'était ça, ils passaient le temps.
01:16:48 Et en fait, quand on est dans un seul camp et qu'on ne vient pas avec cette grille de lecture,
01:16:53 il y avait été plusieurs fois avant, on ne le voit pas.
01:16:56 Une fois qu'on vous a expliqué ce fonctionnement-là, on ne voit plus que ça.
01:16:58 Et c'est ça qui est le plus intéressant à raconter.
01:17:01 Donc ils ont cette attitude candide avec une contrainte logistique de sécurité.
01:17:11 Pas de tournage la nuit, des contraintes de temps,
01:17:15 à dadab une contrainte d'une escorte que tout le monde a, eux-mêmes compris, qu'on doit payer.
01:17:21 Ils sont des militaires kényans qui sont corrompus comme ce n'est pas possible.
01:17:27 Tout ça est un peu lourd avec une espèce de menace d'enlèvement des...
01:17:34 Tout ça est un peu complexe.
01:17:37 Mais en revanche, eux, ils n'imaginent pas, alors qu'on leur a dit, avec une petite voix,
01:17:42 que ce serait un film où on raconterait les challenges qu'ils ont.
01:17:46 Et les challenges, ce que c'est de faire vivre ces millions de personnes dans des semi-prisons.
01:17:53 Et donc la double ambiguïté repose sur le fait qu'eux-mêmes sont hyper critiques de ce qu'ils font,
01:17:58 y compris dans leur communication.
01:18:00 C'est-à-dire qu'ils disent que la doctrine, à ce moment-là, c'est la fin des camps,
01:18:04 c'est-à-dire qu'on ne doit plus ouvrir de camp.
01:18:06 On sait qu'un camp, pour eux, c'est un drame, parce qu'ils savent quand ils l'ouvrent.
01:18:09 Ils ne savent jamais quand ils le ferment.
01:18:11 Eux-mêmes ont compté, on n'a jamais compris comment, mais que la durée de vie d'un camp hors camp palestinien,
01:18:17 parce que ça fonctionne complètement à part, mais je crois que c'est 17 ans à l'époque.
01:18:22 Donc ils sont contre le camp. Ils sont opposés au camp d'un point de vue doctrinaire.
01:18:26 La plupart d'entre eux sont très critiques sur ce qu'ils font dans les camps.
01:18:33 Et de fait, ils sont extrêmement contraints par le fait qu'ils sont dans des pays d'accueil,
01:18:40 qu'ils ne veulent pas de ces populations et qu'ils les obligent à vivre,
01:18:43 parfois sur plusieurs générations, dans un habitat précaire.
01:18:47 On ne peut pas construire en dur à Dada, c'est la troisième génération qu'on en tourne.
01:18:51 Et c'est absolument impossible de faire autre chose qu'un habitat démontable.
01:18:56 Donc eux-mêmes sont hyper conscients de ça.
01:19:00 Et pour autant, ils nous laissent une liberté sur ce qu'on demande.
01:19:04 Ils savent qu'on veut...
01:19:06 - Tu as produit un texte ?
01:19:08 - Je n'ai pas du tout produit de texte. J'ai expliqué ce qu'on allait faire.
01:19:11 Et c'est le film. C'est-à-dire qu'on crée un personnage imaginaire
01:19:16 et on va montrer le déploiement de l'action du HCR du début d'une crise.
01:19:23 C'est-à-dire que quand les gens arrivent et qu'ils s'installent
01:19:25 et qu'on leur donne ces kits d'installation dans un camp,
01:19:29 on leur donne tout pour une installation temporaire.
01:19:33 Alors que les gens du HCR savent qu'ils sont là, ces gens, pour des générations.
01:19:37 Des dizaines d'années, des gens de Tanzanie qui arrivent...
01:19:41 Pardon, les gens qui arrivent en Tanzanie du Burundi.
01:19:44 La personne que vous avez vue, elle y est née dans ce camp.
01:19:47 Elle est née dans ce camp, elle est repartie au Burundi à la faveur d'une accalmie
01:19:51 et elle revient... Pardon.
01:19:54 Ils sont très conscients des drames qui se jouent dans les camps,
01:20:00 de l'absurdité de situations.
01:20:05 Et pour autant, les films sont en train de travailler
01:20:08 avec une forme de regard un peu décalé,
01:20:12 avec parfois un peu de situation comique tellement c'est absurde.
01:20:16 Voilà, il n'y a aucune demande de voir le film, de contrôler,
01:20:20 parce qu'encore une fois, chacun fait son travail.
01:20:25 - Tu vas au bout du film sans avoir alors de...
01:20:29 - Non, alors moi je résiste beaucoup à ça par principe.
01:20:34 Donc j'ai mis dès le départ l'idée que ce n'était pas l'idée qu'on puisse...
01:20:40 Voilà, et on a tourné.
01:20:44 Donc l'idée c'est de montrer aussi le hiatus,
01:20:49 les différences de...
01:20:54 Comment dire ça ?
01:20:56 D'expérience de vie entre le siège à Genève,
01:21:00 évidemment tout le monde est bien nourri et bien portant,
01:21:04 où ils font des séances de brainstorming avec des post-it,
01:21:06 et puis la réalité du terrain,
01:21:08 où les employés du HCR aussi se tapent des situations atroces.
01:21:12 Leur entraînement aussi en Norvège, comment on se forme à installer un camp,
01:21:16 à négocier avec le pays hôte qui ne veut pas de ces gens,
01:21:19 parce que le Kenya, la Tanzanie, l'Europe, personne ne veut de ces réfugiés.
01:21:23 Donc le HCR, ils sont un peu coincés aussi dans toutes ces contraintes.
01:21:28 Et donc, non, ils ne demandent pas de visionnage.
01:21:31 Pour la petite histoire, on a fait une grosse projection au Forum des images,
01:21:36 où j'avais invité, prévenu, c'était avant la diffusion.
01:21:39 On ne leur a pas envoyé, mais ils étaient invités à venir.
01:21:42 Et j'avais vu qu'on allait en tourner dans 6 ou 7 pays, 5 pays, 6 pays.
01:21:47 Donc on a rencontré beaucoup de monde, j'avais un mailing énorme,
01:21:51 et les trois quarts étaient "on leave" ou "out of office" ou "gone".
01:21:57 C'est-à-dire qu'il y a un tel turnover dans ces institutions.
01:22:00 Il y a une personne qui est venue, qui est à la fin du film,
01:22:03 qui est la seule du HCR qui est dévastée par ce qui se passe
01:22:06 et ce qu'elle voit en Grèce.
01:22:08 Et avec qui on a eu une espèce d'explication à la fin,
01:22:13 où elle était très, très émotionnelle.
01:22:16 C'est à la fois pas caricatural, et en même temps,
01:22:21 enfin, on parle des drames qu'on vit nous,
01:22:25 cette espèce de contrainte dans laquelle l'institution nous plonge.
01:22:29 Donc évidemment, ce n'est pas le film de com' qu'ils veulent,
01:22:32 parce qu'ils produisent énormément d'images, le HCR,
01:22:35 ils ont des équipes de com' énormes,
01:22:37 il y a énormément de réals, de journalistes qui vont tourner là-bas,
01:22:41 c'est bien payé, et puis on a le sentiment qu'il faut raconter ces crises,
01:22:45 et c'est bien de faire ces films.
01:22:48 Mais ce regard-là, c'est très ambiguë, en fait.
01:22:52 La relation avec ces institutions du HCR, onusienne...
01:22:57 - Mais du coup, en dehors des contraintes, finalement, de sécurité,
01:23:01 contrairement à ce qu'on pourrait penser,
01:23:04 tu as eu zéro contrôle, quoi.
01:23:06 - Non, parce qu'ils ne s'imaginent pas qu'on va avoir...
01:23:10 Alors la suite, un an après, j'ai fait un autre film,
01:23:13 qui se passe aussi à Genève, aussi sur l'ONU,
01:23:16 où on suit pour le coup un seul personnage,
01:23:19 un ouvrier spécial de l'ONU pour la Syrie.
01:23:22 Et alors lui, il n'en revient tellement pas qu'à la fin...
01:23:25 Je crois qu'il me demande quand même de le voir,
01:23:28 et il commence à parler d'avocat, quoi.
01:23:30 Il n'en revient pas, quoi.
01:23:32 On n'est pas fait un portrait géographique.
01:23:34 Et ce qui est particulier aussi, c'est que comme il y a beaucoup de turn-over,
01:23:37 ils ne se parlent pas.
01:23:38 Parce que moi, je me suis dit qu'après le HCR,
01:23:40 je n'aurais pas l'autorisation de filmer.
01:23:42 Ils sont de l'autre côté de la rue, ils vont se parler.
01:23:44 - Parce que le HCR a mal réagi ?
01:23:46 - Non, ils n'ont pas réagi, en fait.
01:23:48 Ils ne sont absolument pas...
01:23:50 C'est ça qui est ambigu, c'est-à-dire qu'ils en sont,
01:23:52 un peu comme ce que tu dis, c'est-à-dire qu'ils sont conscients
01:23:55 de ce que l'institution produit de toxique,
01:23:59 mais évidemment, ils ne vont pas communiquer dessus.
01:24:01 Donc évidemment, ils ne vont pas projeter ce film chez eux.
01:24:03 Évidemment, ils ne vont pas dire que c'est formidable.
01:24:05 Et évidemment, ils ne vont pas me remercier.
01:24:08 Et parfois, ils sont très scandalisés, blessés.
01:24:13 Ils ne comprennent pas qu'on ne fasse pas quelque chose
01:24:16 pour beaucoup d'entre eux.
01:24:18 - Guillaume, tu nous as déjà dit un peu les contraintes.
01:24:26 Mais est-ce que tu as dû donner un texte ?
01:24:31 Alors tu dis que dans un premier temps, il y a eu un refus.
01:24:38 Il y a eu un refus sur quoi ?
01:24:40 - Oui, sur un texte, effectivement.
01:24:41 Il y avait un texte général qui présentait les intentions.
01:24:45 Il fallait faire plus de deux pages.
01:24:47 - Donc ça, tu avais remis à l'administration pénitentiaire.
01:24:49 - Oui.
01:24:51 En fait, je crois que j'ai l'impression aussi,
01:24:54 avec 13 ans de production derrière moi,
01:24:57 où j'ai aussi produit des films qui sont dans l'institution,
01:24:59 que souvent, ils n'ont pas très envie de lire.
01:25:02 Je ne sais pas.
01:25:04 Non, mais je les comprends au fond,
01:25:07 parce qu'on peut bien dire ce qu'on veut.
01:25:10 Après, on tournera quelque chose.
01:25:12 Donc ça peut leur servir d'un point de vue un petit peu officiel,
01:25:16 administratif, d'avoir un papier à un endroit qui dit,
01:25:18 voilà, il y a un film qui est en cours.
01:25:20 On le montre au conseil d'administration et tout le monde est d'accord.
01:25:23 Mais je crois que l'essentiel, c'est quand même la manière
01:25:25 dont on échange avec eux.
01:25:26 Et quand je vous entends parler, j'ai l'impression que les films...
01:25:30 En fait, ma conviction maintenant, c'est qu'il n'y a pas un seul
01:25:33 élément d'un contexte de production qui n'ait pas de conséquences
01:25:36 esthétiques ensuite sur le film à venir.
01:25:38 Et donc, la manière dont on rentre dans une institution,
01:25:40 la manière dont on se présente, la personne par laquelle on rentre,
01:25:43 la clé qu'on trouve pour entrer dans une institution,
01:25:45 c'est déjà une conséquence esthétique à venir sur le film.
01:25:49 J'en suis de plus en plus persuadée.
01:25:51 Je ne sais pas, je pense...
01:25:53 J'ai produit un film qui s'appelle "En formation"
01:25:56 de Julien Meunier et Sébastien Magnet,
01:25:59 qui est sorti il y a deux ans en salles,
01:26:02 qui actuellement est en diffusion sur Via 93, une chaîne locale.
01:26:06 Vous pouvez le voir sur Internet, vous le verrez.
01:26:09 Il est en replay pendant un mois.
01:26:11 Et ça, c'est un film qui a été tourné dans une école de journalisme.
01:26:14 Et quand les auteurs ont eu l'envie de faire ce film-là,
01:26:20 ils pensaient qu'ils allaient essuyer un refus immédiat.
01:26:23 Et en fait, non, ça a été un accueil à bras ouverts, tout de suite.
01:26:28 Pas de problème, venez nous filmer.
01:26:30 On a au contraire besoin de communiquer.
01:26:32 On a besoin de se montrer.
01:26:33 On a besoin de dire qui on est.
01:26:35 Et donc, à partir de là, ils ont eu vraiment une liberté totale
01:26:38 pour filmer absolument ce qu'ils voulaient.
01:26:40 Et par ailleurs, ils ont eu très peu de regards en retour.
01:26:44 L'école n'a eu aucun droit de regard sur le film.
01:26:47 Ce n'était pas ce qui était prévu.
01:26:49 Il n'y avait pas de convention qui déterminait ça.
01:26:51 Mais en même temps, comme tu disais,
01:26:54 ils ne vont pas s'en servir à des fins de promotion,
01:26:56 à des fins de formation en interne.
01:26:58 Mais du coup, on leur a foutu la paix.
01:27:01 Moi, j'ai dû effectivement présenter "Pas de Blanche" pas mal tout le long.
01:27:06 Et à la fin, il fallait...
01:27:08 - Ça veut dire que tu as eu une convention, un cahier des charges ?
01:27:12 - Pas de cahier des charges, mais une convention, oui,
01:27:14 pour déterminer les temps de présence, notamment.
01:27:16 Il fallait qu'on les détermine longtemps en avance,
01:27:18 avec la possibilité que ça bouge,
01:27:20 mais en même temps qu'on donne des souhaits, des vœux,
01:27:22 qu'on les reconfirme au fil de l'année.
01:27:24 On sentait bien que c'était remis en jeu à chaque fois.
01:27:27 - Il y avait des interdits ?
01:27:29 - Il n'y avait pas d'interdits.
01:27:31 - Des cadres ?
01:27:33 - Non, les interdits, c'étaient les personnes.
01:27:36 C'étaient les gens qui disaient "Nous, on ne veut pas être filmés,
01:27:38 nous, on ne veut pas ci, nous, on ne veut pas ça."
01:27:40 Et après, il y avait l'épée de Damoclès du visionnage final.
01:27:44 Parce que, en fait, moi, ma perception de comment ça se tourne en prison,
01:27:50 c'est que les détenus ont leur droit à l'image.
01:27:54 Ils peuvent le céder ou non, comme n'importe qui d'entre nous.
01:27:57 On cède le droit à l'image ou pas.
01:27:59 Mais l'administration pénitentiaire a le pouvoir de le reprendre
01:28:02 dans des circonstances très précises.
01:28:05 Qui sont des circonstances de mise en danger de leurs victimes,
01:28:10 évocation de leurs victimes,
01:28:12 et utilisation de leurs victimes, dénigrement de leurs victimes.
01:28:17 Mise en danger des biens et des personnes aussi.
01:28:20 Donc, je ne sais pas, moi, un détenu qui...
01:28:24 À Casablanca, un détenu qui s'enfuirait, par exemple,
01:28:26 qui nous montrerait comment est-ce qu'on fait pour sortir de la prison,
01:28:29 et bien ça, c'est une séquence dont je ne peux pas me servir.
01:28:31 Et que j'ôte son droit à l'image au détenu,
01:28:35 et que soudain, son visage disparaisse.
01:28:38 Et puis, il y avait un truc qui était beaucoup plus compliqué,
01:28:41 qui était que ça porte atteinte à sa réinsertion.
01:28:45 Et ça, c'est super compliqué, parce que ça ne veut rien dire,
01:28:48 c'est absolument subjectif.
01:28:50 Parce que pour moi, à partir du moment où je filme quelqu'un
01:28:53 dont on sait qu'il y a 8 chances sur 10 qu'il soit un violeur d'enfant,
01:28:57 et que d'ici 3 à 5 ans, il va sortir,
01:29:02 et que je le filme en prison, je porte atteinte à sa réinsertion.
01:29:05 C'est une évidence.
01:29:07 À partir du moment où on peut, à visage découvert, le reconnaître.
01:29:10 Donc, pour moi, j'avais une terreur complète que l'administration me dise
01:29:15 "C'était super votre film, avec tout le monde à visage découvert, c'est génial,
01:29:18 mais en fait, vous allez me flouter tout ça."
01:29:21 Parce que, il suffisait de dire "Oui, ça porte atteinte à la réinsertion."
01:29:25 C'était tout à fait entendable.
01:29:27 Par chance, quand vous avez un interlocuteur,
01:29:29 pour revenir à cette histoire de "C'est qui la clé qui vous pousse à cette porte-là ?"
01:29:32 Nous, on avait effectivement Colomb-Babinet qui regarde le film
01:29:35 et qui dit "Cinématographiquement, ça a du sens."
01:29:37 Tout ce qu'il y a dans le film, ça a du sens.
01:29:39 La manière dont les gens se dévoilent.
01:29:41 Il y a un des détenus, par exemple, qui pendant un temps est à visage couvert,
01:29:44 et soudain, fait une sorte de sortie de caverne et nous montre son visage.
01:29:47 Bon, ça a du sens.
01:29:49 Il y a un moment où ce même détenu prononce le prénom de sa victime
01:29:54 dans la plupart des contextes.
01:29:56 Il faudrait troubler ce prénom.
01:29:58 Là, en fait, le fait qu'il nomme sa victime,
01:30:01 c'est un moment où il est enfin capable de nommer le crime aussi.
01:30:04 Il prononce le mot d'inceste, et c'est le premier dans le film à le faire.
01:30:07 Et le seul.
01:30:09 Elle comprend, en regardant la séquence, que, oui, il nomme enfin les choses.
01:30:13 Donc, il peut nommer sa victime. On peut aller jusque-là.
01:30:16 Voilà, ça dépend à qui on a affaire aussi.
01:30:20 Et aujourd'hui, je ne sais pas ce qui va se passer pour l'administration pénitentiaire,
01:30:25 parce que depuis le départ en retraite de Colomb-Babinet,
01:30:27 ils ont réorganisé les services.
01:30:29 Et désormais, si j'ai bien compris, le documentaire en passe par le bureau de presse,
01:30:34 ce qui n'est pas le même rapport, forcément.
01:30:38 Ce n'est pas la même organisation des tournages,
01:30:40 ce n'est pas la même pensée de ce qu'on peut voir à l'écran,
01:30:44 de la durée logistique d'un tournage aussi.
01:30:46 Ce ne sont pas les mêmes rapports.
01:30:48 Je ne sais pas ce qui va se passer.
01:30:50 J'espère que la personne en place a une même sensibilité pour le documentaire aussi.
01:30:55 Je n'en sais rien.
01:30:57 Mais oui, ça joue énormément.
01:31:00 Et quel que soit le film que vous tournez,
01:31:02 dans une institution, il y a plein de manières d'y entrer.
01:31:05 Moi, j'ai produit le film d'une jeune femme bipolaire
01:31:10 qui filme son journal intime dans une institution psychiatrique.
01:31:16 Le film s'appelle "Je ne me souviens de rien" de Diane Sarabou-Sgarou.
01:31:20 À ce moment-là, elle ne demande l'autorisation à personne.
01:31:23 Elle est la patiente. Elle est dans l'institution et utilise sa caméra.
01:31:26 Et après, à nous, en tant que producteurs,
01:31:28 de voir comment est-ce qu'on utilise ces images, ces archives.
01:31:30 C'est compliqué.
01:31:32 On joue sur cette petite zone grise et on aboutit à un film.
01:31:36 Récemment, l'an passé, à Cinéma du Réel,
01:31:38 il y avait un film qui s'appelle "Un café allongé à dormir debout" de Philippe de Jonquer.
01:31:42 Il a filmé son fils malade mental en institution psychiatrique
01:31:47 à un moment de décompensation importante.
01:31:49 C'est lui qui a demandé l'autorisation de manière sommaire au moment où il tournait.
01:31:55 Mais en même temps, il tournait avec son téléphone portable.
01:31:58 Il ne savait pas qu'il allait faire un film.
01:32:00 Plus tard, il est venu me voir avec les archives.
01:32:02 "On fait un film avec ça. Allons-y."
01:32:04 Ça dépend vraiment. L'institution, on peut l'aborder de plein de manières différentes.
01:32:07 Mais c'est sûr que filmer en prison ou dans un HCR,
01:32:11 ça nécessite de demander un paxon d'autorisation avant.
01:32:14 Parce qu'il n'y a pas d'autre moyen de pousser cette porte.
01:32:16 Mais après, les institutions dans lesquelles on évolue au quotidien,
01:32:19 il y a plein de manières. On connaît un tel.
01:32:22 J'ai un ami qui est à tel endroit. Un ami qui est médecin.
01:32:28 Et on trouve le moyen de mettre le pied dans la porte de l'institution
01:32:32 sans même avoir besoin de demander.
01:32:35 Et ça, c'est avoir une influence réelle sur l'esthétique du film.
01:32:38 J'en suis sûr. Je pense que tout ce qu'on vous dit là,
01:32:40 à mon avis, c'est toujours des questions de cinéma
01:32:43 qui auront des influences de mise en scène.
01:32:46 - Je vais faire juste un petit aparté.
01:32:49 Puisque tu parles de l'image des détenus.
01:32:52 Moi, j'ai fait un film en prison juste un peu avant toi.
01:32:57 Donc avec la dame qui était là avant.
01:33:00 Et donc là, on avait interdiction de montrer les visages des détenus.
01:33:04 Et donc moi, c'est une interdiction que je n'ai pas respectée
01:33:07 parce que la loi avait été votée selon laquelle on pouvait montrer
01:33:11 les visages des détenus. Et donc là, on a enclenché un rapport de force.
01:33:16 Et parce que j'étais avec le contrôle général des lieux de privation,
01:33:21 de liberté, la chaîne, la production.
01:33:25 On était tous d'accord puisque je faisais un film sur le droit des détenus.
01:33:28 Ça nous paraissait quand même assez compliqué de ne pas le respecter.
01:33:32 Et donc effectivement, quand l'administration pénitentiaire découvre le film,
01:33:36 là, il y a des coups de fil. Mais à Canal, puisque le film était diffusé
01:33:41 sur Canal+, je crois jusqu'à 9 heures du soir, la diffusion démarrait
01:33:46 à 8h30 pour essayer d'interdire le passage du film.
01:33:51 Donc là, c'était un rapport de force qui a été gagné.
01:33:54 Du coup, ça a permis au film suivant.
01:33:57 Il y avait Catherine Réchard qui était dans la même situation que moi
01:34:01 avec un autre film qui s'appelle "Le déménagement".
01:34:04 Et elle, ça a été bloqué parce que France 3 exigeait l'accord
01:34:09 de l'administration pénitentiaire.
01:34:11 C'était juste pour faire un petit...
01:34:14 On ne peut pas toujours le faire, ce rapport de force,
01:34:18 parce qu'il n'est pas simple à mener.
01:34:20 Mais là, il s'avère que parce qu'il y avait le contrôle,
01:34:23 on pouvait le mener.
01:34:26 Claudine, les contraintes ?
01:34:31 Oui, je pense que tout dépend effectivement de quelle institution
01:34:35 il s'agit. Dans le cadre des règles du jeu,
01:34:40 c'était donc une délégation publique à une société privée.
01:34:45 Donc la société privée était très sensible à la pub.
01:34:53 Ils avaient vaguement cet espoir que le film, en fait, les servirait.
01:35:00 Et d'une certaine façon, ils s'en fichaient un peu
01:35:05 s'il y avait des choses gênantes dedans.
01:35:07 Ils avaient ce point de vue très moderne, de la com aujourd'hui,
01:35:12 qui est l'essentiel, c'est qu'on en parle.
01:35:14 Donc le fait que le film allait sortir en salle,
01:35:19 ils se sont dit, bon, ça va faire quelque chose,
01:35:25 on va parler d'un GUS.
01:35:27 Et comme ils avaient des problèmes pour récupérer des marchés
01:35:30 qu'ils n'avaient pas encore eus en France,
01:35:32 donc ça rentrait dans une stratégie qui était la recherche de marché
01:35:36 et l'image de l'entreprise.
01:35:39 Par ailleurs, on a quand même une certaine éthique,
01:35:43 quand on fait des films documentaires,
01:35:47 qui est quand même que si on nous accueille quelque part,
01:35:50 on ne va pas les enfoncer vraiment.
01:35:52 Ce n'est pas ça l'idée, ce n'est pas de les enfoncer.
01:35:55 C'est de faire apparaître les contradictions.
01:35:59 C'est-à-dire qu'est-ce qu'il y a qui se passe là,
01:36:01 et où en fait, ce n'est pas ce qui est annoncé qui se passe,
01:36:06 où ça se passe d'une certaine façon
01:36:08 qui fait que ça se retourne complètement,
01:36:11 enfin bon, ce que tu disais aussi, voilà.
01:36:14 Et c'est exactement ce qui se passait à un GUS,
01:36:16 c'est-à-dire que la direction d'un GUS,
01:36:20 qui est à l'origine d'une entreprise australienne
01:36:25 qui a créé ça, avait pour moral
01:36:31 donné du travail aux jeunes,
01:36:34 les défavoriser, etc.
01:36:36 Et en toute bonne foi,
01:36:38 il pensait qu'il fallait les instruire de la loi du marché.
01:36:42 Et que le problème, s'ils ne trouvaient pas de boulot,
01:36:44 c'est parce qu'ils ne savaient pas parler aux employeurs,
01:36:48 et qu'ils ne savaient pas se vendre.
01:36:50 Donc il fallait leur apprendre à se vendre.
01:36:52 Donc ça, évidemment, on a filmé ça,
01:36:55 on a filmé les coachs qui apprenaient,
01:36:57 qui enseignaient comment se vendre
01:36:59 à des jeunes de Tourcoing,
01:37:01 et c'est là que ça se renversait complètement.
01:37:03 Parce que ces jeunes de Tourcoing,
01:37:06 on leur avait appris dans leur famille,
01:37:09 parce que c'était presque tous aussi d'ailleurs
01:37:11 des fils de chômeurs, ou des filles de chômeurs,
01:37:14 ou de famille vraiment très très carmonde, etc.
01:37:18 Et où il y avait des valeurs,
01:37:20 comme dans tous ces milieux-là,
01:37:22 la valeur principale c'était "t'es poli,
01:37:24 tu dis bonjour, et tu ne mens pas".
01:37:27 Donc là, ils se heurtaient, les coachs,
01:37:30 à la question du mensonge.
01:37:32 Parce que les jeunes, ils ne supportaient pas de mentir.
01:37:35 Alors quand on leur enseignait de dire,
01:37:38 "je suis par exemple, quelle est votre qualité principale ?"
01:37:41 Alors je suis, par exemple Lolita,
01:37:45 qui est le personnage principal,
01:37:47 Lolita au début de la formation,
01:37:49 elle dit "je suis franche".
01:37:51 Puis elle nous raconte des trucs absolument énormes,
01:37:53 de ce qu'elle a fait,
01:37:55 planter un compas dans l'œil de quelqu'un,
01:37:57 enfin bon, je suis franche, voilà.
01:37:59 Alors bon, le coach, enfin la coach,
01:38:01 là c'est Gaëtan qui est la coach,
01:38:03 qui en même temps, comment dire,
01:38:06 ils ne sont pas du tout hostiles,
01:38:08 ils sont gentils,
01:38:11 ils veulent aider,
01:38:13 il ne faut pas caricaturer.
01:38:15 Donc Gaëtan, ça la fait un peu rire quand même,
01:38:18 donc voilà, elle réagit comme ça,
01:38:20 puis après elle essaye d'expliquer à Lolita,
01:38:23 peut-être que dans sa vie privée,
01:38:26 mais quand on veut un boulot,
01:38:28 il ne faut pas faire ça, enfin voilà.
01:38:30 Et en fait, c'est cette contradiction-là
01:38:32 qu'on voulait filmer.
01:38:34 Du fait qu'il y avait ce conflit profond
01:38:39 entre les coachs et les jeunes qui venaient là,
01:38:43 il y avait quelque chose qui tournait par rond
01:38:45 dans la loi du marché.
01:38:47 Et d'ailleurs, à la fin du film,
01:38:49 donc après six mois de formation,
01:38:51 Lolita a son entretien définitif
01:38:53 avec la patronne du site,
01:38:55 et elle lui dit,
01:38:56 "Quel est votre défaut principal ?"
01:38:58 "Je suis franche."
01:39:00 Donc là, le travail était bien fait.
01:39:03 Enfin, elle savait qu'il fallait dire ça,
01:39:05 mais elle ne marchait pas du tout.
01:39:08 Et ça, c'était formidable de voir
01:39:10 à quel point les jeunes ne marchaient pas.
01:39:12 Et quand même, ça les faisait plutôt...
01:39:14 Ils trouvaient ça horrible, quoi.
01:39:16 Ils trouvaient ça vraiment pas correct, quand même,
01:39:18 de leur demander des trucs pareils.
01:39:20 Alors, il y en a un ou deux qui ont vraiment essayé, quoi,
01:39:23 c'est-à-dire ils allaient sur Internet
01:39:25 se renseigner sur les valeurs de l'entreprise
01:39:27 qu'ils allaient recruter.
01:39:29 Ils les apprenaient par cœur.
01:39:31 Et quand ils arrivaient pour le job dating,
01:39:33 ils récitaient ce qu'ils avaient lu sur Internet.
01:39:36 Donc ça, ça n'allait pas non plus.
01:39:38 Mais un d'entre eux, quand même, a eu un poste
01:39:41 dans une entreprise qui fabrique des vélos,
01:39:44 très connu.
01:39:46 Et nous, on l'a filmé deux mois après,
01:39:48 quand il est revenu à un Gius pour faire le point.
01:39:51 Et il disait, "Non, mais...
01:39:53 "Moi, je ne reste pas, parce qu'ils ne payent pas."
01:39:56 C'est-à-dire, confronté à la réalité,
01:39:59 là, il n'y avait pas photo,
01:40:01 le marché, c'était ça.
01:40:03 Donc il y avait quelque chose comme ça.
01:40:05 Alors quand ils l'ont vu, le film,
01:40:07 parce que là, ils nous avaient demandé à le voir.
01:40:09 Donc ils l'ont vu.
01:40:10 Alors il y a eu quelque chose de drôle qui s'est passé,
01:40:12 c'est qu'il y avait d'un côté les coachs
01:40:14 qui avaient été filmés, qui étaient complètement d'accord.
01:40:16 Ils trouvaient que c'était exactement comme ça
01:40:18 que ça se passait.
01:40:19 Et puis il y avait la direction parisienne,
01:40:22 assez choquée,
01:40:24 qui nous a dit, mais enfin, quand même,
01:40:26 vous vous rendez bien compte
01:40:28 que c'est une très mauvaise image pour nous.
01:40:30 Mais enfin, ils ne nous avaient jamais demandé
01:40:32 de prendre regard,
01:40:33 ils ne nous avaient rien imposé,
01:40:35 à part le fait que tout le monde soit d'accord
01:40:37 pour être filmé, bien sûr.
01:40:38 Et donc, on a dit "désolée, mais là, c'est déjà parti,
01:40:42 il y a un festival, tout ça."
01:40:44 Et voilà.
01:40:46 - Ils n'ont pas tenté plus ?
01:40:48 - Non, mais ce n'est pas l'esprit.
01:40:50 Ce n'est pas l'esprit de ce genre d'entreprise.
01:40:52 - Et ils auraient pu bloquer s'ils avaient voulu ?
01:40:54 - Ah non, je ne pense pas.
01:40:56 Ah non, on aurait gagné.
01:40:58 On aurait gagné, puisqu'on a tourné pendant six mois,
01:41:02 ils pouvaient venir quand ils voulaient,
01:41:04 ils voyaient ce qu'on faisait.
01:41:05 Si ils avaient demandé à venir au montage,
01:41:07 on l'aurait accepté.
01:41:08 Non, non, il y a quand même un moment
01:41:10 où la somme de travail que représentent
01:41:13 le tournage et le montage d'un film, ça pèse.
01:41:16 C'est quand même quelque chose dans un rapport de force.
01:41:18 On ne peut pas comme ça...
01:41:20 Ceci dit, il peut y avoir un procès.
01:41:22 C'est ce qui s'est passé pour le film
01:41:24 de Jean-Luc Léon, là, sur les marchands de tableaux,
01:41:28 qui avait donné leur accord total en salle de montage.
01:41:31 Et quand ils ont vu le film projeté en public,
01:41:34 les gens étaient morts de rire.
01:41:36 Tellement ils étaient grotesques.
01:41:39 Et ils ont fait un procès à la production,
01:41:42 à Patrice Obermann.
01:41:44 Oui, mais ça a été très douloureux, très long,
01:41:46 enfin, vraiment très pénible.
01:41:48 - Je crois qu'il y a des questions.
01:41:50 - Je voulais vous demander,
01:41:56 je ne sais pas si on emploie ce terme en français,
01:41:59 mais quand on filme la guerre, il faut bien être,
01:42:02 par exemple, accompagné par l'armée.
01:42:05 On emploie le mot "embedded".
01:42:08 Est-ce que vous vous êtes senti embedded,
01:42:12 c'est-à-dire quand même un peu prisonnier ?
01:42:14 Est-ce que vous êtes déjà auto-censuré ?
01:42:17 Ou est-ce qu'on vous a demandé, par exemple,
01:42:20 de couper une scène ?
01:42:22 Est-ce que vous avez senti un rapport
01:42:25 avec la censure ou l'auto-censure
01:42:27 quand vous filmez une institution
01:42:29 qui peut-être ne veut pas montrer
01:42:32 certaines de ses parts d'ombre ?
01:42:35 Et je trouvais que ce que Claudine a dit
01:42:38 sur le fait que finalement,
01:42:41 communiquer, quel que soit le message,
01:42:44 positif ou négatif,
01:42:46 c'est toujours faire parler de l'institution.
01:42:48 Effectivement, j'ai eu un producteur
01:42:50 qui me disait à chaque fois que tu rencontres
01:42:52 l'institution, il faut que tu dises cette phrase.
01:42:55 Vous allez découvrir des choses négatives,
01:42:58 mais vous allez aussi voir des choses positives
01:43:01 et finalement, vous apprendrez beaucoup
01:43:03 sur vous-même.
01:43:04 Et en général, ce producteur arrivait
01:43:06 à convaincre les lieux ou les institutions
01:43:10 dans lesquelles on filmait.
01:43:12 Donc j'ai repris ça à mon compte.
01:43:14 Mais moi, personnellement,
01:43:16 sur des films que j'ai faits,
01:43:18 je me suis sentie...
01:43:20 J'ai senti le poids de l'institution,
01:43:23 le poids de l'image que j'allais donner
01:43:26 de cette institution.
01:43:28 Et si le film n'avait pas été fait
01:43:30 dans un cadre où, par exemple,
01:43:32 il était déjà pré-vendu à Arte,
01:43:34 donc diffusé, mettons, dans une case scientifique,
01:43:37 quand j'ai filmé un protocole de recherche,
01:43:40 on ne m'aurait pas ouvert la porte.
01:43:43 Donc j'ai trouvé ça extrêmement pesant
01:43:47 et je voulais savoir si, dans vos quatre cas,
01:43:50 vous n'aviez vraiment jamais ressenti
01:43:53 ce poids, cette censure,
01:43:55 ou même cette auto-censure.
01:43:57 - Alors censure, auto-censure...
01:43:59 - Alors pour ce film-là,
01:44:04 on a été à peu près tout le temps
01:44:07 accompagnés de quelqu'un de la Com'
01:44:09 et on n'a jamais eu d'interdiction.
01:44:11 Donc ils étaient vraiment là pour,
01:44:13 quelque part, nous faciliter les choses.
01:44:15 Et de fait,
01:44:17 parfois ils nous ont conduits,
01:44:19 parfois ils nous ont présentés.
01:44:21 Donc ça a été très fluide
01:44:23 et on n'a jamais eu à se censurer.
01:44:25 Quand j'ai suivi, en revanche,
01:44:27 Stéphane de Mistura, là,
01:44:29 c'est un cas diplomatique,
01:44:31 donc c'était extrêmement contraint.
01:44:33 C'est-à-dire qu'il y avait vraiment cette idée
01:44:35 "Vous restez à la porte, vous avez le droit de filmer".
01:44:37 Quand on parle à l'ambassadeur russe à Genève,
01:44:39 en pleine crise à Alep,
01:44:41 on vous filme le bonjour et vous en allez.
01:44:43 Mais en fait, on filme le bonjour
01:44:45 et on filme la petite blague de l'ambassadeur russe
01:44:47 qui, sur le moment où on ne comprend pas
01:44:49 à quoi il fait référence,
01:44:51 mais quand on monte six mois après,
01:44:53 on comprend qu'à ce moment-là,
01:44:55 il sait jouer quelque chose et on peut le décrypter.
01:44:57 Donc ça peut suffire.
01:44:59 On a joué aussi avec, parfois,
01:45:01 il nous en a beaucoup voulu, un micro qui était resté ouvert,
01:45:03 une conversation avec John Kerry,
01:45:05 où il ne se dit pas grand-chose,
01:45:07 mais il nous explique qu'on n'est pas respecté.
01:45:09 À un moment donné, il faut être un peu voyou.
01:45:13 C'est-à-dire que si on veut,
01:45:15 quand on est dans ce cadre diplomatique
01:45:17 où on n'a pas le droit de filmer,
01:45:19 si on veut aller un peu plus loin,
01:45:21 il y a cette étape à passer.
01:45:23 Je pense que ce sont des questions déontologiques
01:45:29 qui peuvent être assez personnelles.
01:45:31 Et juste pour terminer,
01:45:33 j'ai aussi travaillé sur les industries
01:45:35 d'armement en France.
01:45:37 Là, en fait,
01:45:39 il était extrêmement important de montrer
01:45:43 qu'on essayait de leur donner la parole.
01:45:45 Il n'était pas question de faire un film,
01:45:47 même s'ils ont, en refusant
01:45:49 de participer, à quelques exceptions près,
01:45:51 pu dire "c'est un film biaisé",
01:45:53 y compris en allant assez loin
01:45:55 dans les rumeurs qui faisaient courir à mon égard.
01:46:03 C'est absolument comme nous,
01:46:05 on établisse la preuve s'il y avait un procès
01:46:07 qu'on avait vraiment demandé.
01:46:09 Et à un moment donné,
01:46:11 j'ai pris la décision d'enregistrer les communicants
01:46:13 et c'est devenu un dispositif du film
01:46:15 d'avoir ces petites excuses
01:46:17 complètement bidons des communicants
01:46:19 "on ne veut pas vous parler",
01:46:21 qui étaient un tel ridicule
01:46:23 que c'est devenu comme une petite musique du film.
01:46:25 J'enregistrais toutes mes conversations
01:46:27 sans leur demander l'autorisation.
01:46:29 Moi, je me semblais que c'était des communicants,
01:46:31 c'était pas la moindre des choses
01:46:33 de pouvoir enregistrer ce qu'ils disaient.
01:46:35 Parfois, ça peut être une façon
01:46:37 de jouer avec ces contraintes-là
01:46:39 quand elles sont extrêmement aigües.
01:46:41 - La question de l'autocensure,
01:46:45 c'est clair ce que tu viens de dire,
01:46:47 mais sur la question de l'autocensure,
01:46:49 il y a un truc que je trouve...
01:46:51 Je reconnais quelque chose.
01:46:53 Sur place, à part, comme tu disais,
01:46:55 les gens qui refusent
01:46:57 de tourner avec toi,
01:46:59 c'est pas de la censure,
01:47:01 mais ça te coupe quelque chose.
01:47:03 Sur place, je sentais
01:47:05 que les surveillants étaient un peu
01:47:07 frustrés parce qu'ils pouvaient nous fouiller
01:47:09 à l'entrée et à la sortie.
01:47:11 On entrait et on sortait
01:47:13 avec la même chose,
01:47:15 sauf qu'en fait, les cartes,
01:47:17 elles étaient pleines.
01:47:19 C'était quelque chose qu'ils ne pouvaient pas fouiller
01:47:21 dans la caméra. Il y avait la carte avec les images
01:47:23 qu'on avait remplies.
01:47:25 C'était très curieux pour eux
01:47:27 parce que, par exemple, un jour,
01:47:29 un détenu m'a offert des légumes
01:47:31 qu'il faisait pousser. Ils les ont gardés
01:47:33 au poste de garde. J'ai pas pu sortir avec ces légumes-là.
01:47:35 Tous les jours, je sortais avec des images et des sons
01:47:37 qu'eux ne pouvaient pas voir.
01:47:39 Ça les faisait un peu bisquer, ce que je comprends par ailleurs.
01:47:41 Mais la question
01:47:43 de l'autocensure,
01:47:45 elle est complexe parce qu'elle
01:47:47 vient au moment du montage
01:47:49 et elle implique, certes,
01:47:51 peut-être des questions liées à l'institution,
01:47:53 mais soudain,
01:47:55 elle se mélange aussi à des questions absolument artistiques.
01:47:57 Parce que, certes,
01:48:01 je vous disais tout à l'heure l'histoire
01:48:03 qu'on aurait pu m'enlever
01:48:05 les sessions de droit à l'image.
01:48:07 Pendant un temps, avec ma monteuse,
01:48:09 on en a beaucoup parlé en se disant "Mais alors,
01:48:11 telle séquence, si elle tombe, qu'est-ce qui se passe ?"
01:48:13 On était presque prêts à l'enlever
01:48:15 par nous-mêmes, à la retrancher d'office
01:48:17 en se disant "De toute façon, elle passera jamais."
01:48:19 Et si bien qu'on travaillait
01:48:23 à la fois dans un lieu compliqué
01:48:25 à montrer, avec cette crainte-là,
01:48:27 et en plus, on travaillait sur un tabou,
01:48:29 puisqu'on était quand même sur les questions d'inceste,
01:48:31 on était avant MeToo,
01:48:33 enfin, oui, on était avant MeToo,
01:48:35 inceste, ça c'est clair, on était un peu avant MeToo aussi.
01:48:37 Donc la parole n'était pas du tout libérée sur ces questions-là.
01:48:41 Donc on avait plein d'interdits
01:48:43 qui se mélangeaient.
01:48:45 C'est pas juste l'interdit posé par l'institution,
01:48:47 c'est toutes sortes de choses.
01:48:49 Pendant longtemps, on avait très très peur,
01:48:51 dans le film, de monter
01:48:53 des moments où les détenus parlaient
01:48:55 soit d'amour ou parlaient
01:48:57 de parentalité,
01:48:59 parce que nous-mêmes, on avait peur
01:49:01 de ces notions-là au moment
01:49:03 où on était en train de parler d'inceste.
01:49:05 Et je me souviens qu'avec Ma Monteuse,
01:49:07 au bout d'un moment, on s'est rendu compte
01:49:09 qu'on excluait toujours ces rushs-là
01:49:11 en se disant "Non mais ça, de toute façon,
01:49:13 l'administration voudra pas."
01:49:15 Et c'était une autocensure, parce qu'en vrai, c'était pas l'administration
01:49:17 qui allait refuser, c'était nous qui ne pouvions pas
01:49:19 affronter ces images-là. Elles étaient
01:49:21 beaucoup trop dures pour nous. Après,
01:49:23 il y a aussi d'autres gestes qu'on a faits.
01:49:25 Là, je vous parlais d'un détenu qui s'évade.
01:49:27 C'était à la fois une blague et à la fois
01:49:29 un peu vrai.
01:49:31 Je peux en parler aujourd'hui, parce qu'en plus, ce détenu
01:49:33 est décédé et il lui arrivera rien
01:49:35 si on apprend qu'il sortait
01:49:37 quasiment tous les jours de la prison.
01:49:39 Alors, il sortait pas loin. Il avait trouvé
01:49:41 un chemin qui allait un peu plus loin
01:49:43 et depuis lequel il arrivait dans un champ d'immortels
01:49:45 et il voyait un peu
01:49:47 les maisons au loin.
01:49:49 Je pense que lui-même ne savait pas qu'il sortait de la carte,
01:49:51 parce que quand on l'a suivi là,
01:49:53 j'étais stupéfait. Au bout d'un moment,
01:49:55 je comprends qu'on n'est pas sur le territoire que je connais
01:49:57 d'ordinaire, mais comme il n'y a pas vraiment de limites
01:49:59 dans l'espace, de temps en temps, il y a une pancarte
01:50:01 qui dit "Attention, vous sortez du territoire,
01:50:03 vous sortez du périmètre", mais il n'y a rien
01:50:05 qui délimite.
01:50:07 À un moment, je me suis dit "Mais attends,
01:50:09 là, on est trop loin, c'est marrant,
01:50:11 j'ai pas l'impression qu'on puisse aller là.
01:50:13 Je viens souvent là, j'aime bien, je m'assois ici, etc."
01:50:15 On ne l'a pas monté,
01:50:17 pas parce que c'était une mauvaise séquence, au contraire,
01:50:19 c'était incroyable comme séquence,
01:50:21 mais parce qu'on s'est dit "C'est pas possible, on va le mettre
01:50:23 en danger, lui."
01:50:25 Après, en plus, sans doute qu'on nous aurait interdit
01:50:27 la séquence, mais d'abord, on s'est dit
01:50:29 "Cette personne qu'on a filmée,
01:50:31 à ce moment-là, elle ne fait rien de particulièrement
01:50:33 mal, on va la mettre
01:50:35 en danger." Après, on aurait pu avoir plein d'autres pensées.
01:50:37 "Oui, on va m'enlever cette séquence,
01:50:39 on va me reprocher de ne pas l'avoir dit
01:50:41 au moment où je l'ai
01:50:43 constatée."
01:50:45 Toutes sortes de choses qui auraient pu jouer
01:50:47 dans l'autocensure, mais le premier geste,
01:50:49 c'était de protéger une personne
01:50:51 qu'on a filmée.
01:50:53 Tout ça va ensemble.
01:50:55 Donc, pèse sur
01:50:57 notre pensée du montage, sur notre pensée
01:50:59 sur notre travail.
01:51:01 Mais aujourd'hui, je l'ai en tête.
01:51:03 Je produis un film qui a été
01:51:05 tourné en prison,
01:51:07 et à la fin du mois, je montre
01:51:09 le montage à la
01:51:11 responsable de l'administration pénitentiaire.
01:51:13 Et
01:51:15 déjà, j'ai les pétoches, parce que
01:51:17 j'espère que ça va aller.
01:51:19 Mais aussi, en même temps,
01:51:21 ayant été prévenu par mon expérience,
01:51:23 je me suis efforcée qu'on ne
01:51:27 ne s'autocensure pas.
01:51:29 Je sais qu'il y a une séquence
01:51:31 où je me pose des questions, je ne sais pas comment ils vont réagir.
01:51:33 Je sais que
01:51:35 le réalisateur, ça le fait flipper aussi.
01:51:37 On s'est dit, c'est le moment ou jamais
01:51:39 de la mettre. On la met, on verra ce qui se passe.
01:51:41 On va s'y confronter, il faut le faire.
01:51:43 Donc, d'avoir eu
01:51:45 cette expérience-là, ça me permet
01:51:47 de prévenir un peu ce geste d'autocensure.
01:51:49 Mais c'est difficile
01:51:51 d'y échapper tout à fait, je pense.
01:51:53 Ça pèse sur la conscience.
01:51:55 - Moi, il me semble que ce n'est pas
01:51:59 de l'autocensure. Si tu veux,
01:52:01 c'est aussi avoir le sens
01:52:03 des responsabilités.
01:52:05 Parce que quand tu parles des exemples
01:52:07 que tu as donnés, là...
01:52:09 C'est difficile de vraiment bien...
01:52:13 Parce que, par exemple,
01:52:15 quand on a filmé "Les arrivants",
01:52:17 il y avait des Tchétchènes
01:52:19 qui venaient
01:52:21 et la fille qui s'occupait des Tchétchènes
01:52:23 qui traduisait,
01:52:25 qui faisait...
01:52:27 qui remplissait les dossiers
01:52:29 avec eux,
01:52:31 elle nous a raconté
01:52:33 entre deux jours
01:52:35 de tournage
01:52:37 que ces gens-là risquaient,
01:52:39 s'ils étaient reconnus par le KGB
01:52:41 en France, d'être tués.
01:52:43 Alors elle ne nous a pas demandé
01:52:45 de ne pas les filmer. Et eux,
01:52:47 d'ailleurs, non plus, ne l'ont pas demandé
01:52:49 parce que eux, c'est encore autre chose,
01:52:51 eux pensaient que c'était obligatoire d'être filmé
01:52:53 pour avoir les papiers.
01:52:55 Ben oui.
01:52:57 Donc là, qu'est-ce que tu fais ?
01:52:59 Ben là, on ne l'a pas fait, évidemment.
01:53:01 Mais donc c'est vrai que c'est très...
01:53:03 selon les circonstances,
01:53:05 on est amené à être...
01:53:07 c'est formidable en même temps comme expérience
01:53:09 parce qu'on est amené à comprendre
01:53:11 des choses vraiment en profondeur
01:53:13 sur la situation réelle
01:53:15 de la personne qui est là
01:53:17 et qui espère avoir ses papiers
01:53:19 et qui n'ose rien dire
01:53:21 alors qu'en réalité, il risque
01:53:23 sa peau en France, voilà.
01:53:25 Par le KGB.
01:53:27 C'est vrai que la prison, je trouve que c'est
01:53:29 l'endroit le plus difficile
01:53:31 parce qu'on a filmé également en prison
01:53:33 pour nous, le peuple, et alors là, il y a eu une censure
01:53:35 parce qu'en fait,
01:53:37 on filmait des gens qui travaillaient
01:53:39 sur la Constitution, un groupe de prisonniers,
01:53:41 de détenus, qui travaillait
01:53:43 sur la Constitution et qui
01:53:45 correspondaient par des petits
01:53:47 montages vidéo qu'ils faisaient eux-mêmes
01:53:49 avec d'autres groupes
01:53:51 qui étaient en banlieue,
01:53:53 des femmes, des mamans, etc.
01:53:55 Et à la fin,
01:53:57 ça devait être l'idée
01:53:59 qu'ensemble, ils allaient se retrouver à la fin
01:54:01 pour aller à l'Assemblée nationale.
01:54:03 Et donc là,
01:54:05 on avait un détenu
01:54:07 qui voulait participer
01:54:09 mais il ne voulait pas
01:54:11 être filmé, il voulait qu'on le filme de dos.
01:54:13 Alors évidemment, on a refusé
01:54:15 parce qu'en fait, il avait
01:54:17 encore beaucoup, beaucoup
01:54:19 d'années devant lui
01:54:21 et on lui a proposé
01:54:23 un masque.
01:54:25 On s'est dit peut-être qu'on peut le filmer
01:54:27 et ce serait même intéressant
01:54:29 s'il porte un masque.
01:54:31 Donc on lui a apporté plusieurs masques,
01:54:33 il a choisi un loup
01:54:35 qui le faisait vraiment ressembler à une espèce
01:54:37 de bandit, mais sympathique.
01:54:39 Et puis un jour,
01:54:41 il a oublié son masque
01:54:43 et oui, ce que j'ai oublié de dire, c'est que l'administration
01:54:45 pénitentiaire nous avait demandé
01:54:47 ce qu'on filmait nous, il n'y avait aucun
01:54:49 problème, ils ne demandaient aucun regard dessus,
01:54:51 mais ce que filmaient les prisonniers
01:54:53 avec l'association qui faisait
01:54:55 ce travail avec eux,
01:54:57 devait être vu à chaque fois qu'ils sortaient
01:54:59 les recherches.
01:55:01 Un jour, il arrive, il avait
01:55:03 oublié son masque et il dit
01:55:05 "je veux m'en faire un", il prend un foulard
01:55:07 et il se met le foulard autour du visage.
01:55:09 Et là l'administration
01:55:11 scandale,
01:55:13 ils avaient toujours vu le masque,
01:55:15 là il dit "c'est un bandana".
01:55:17 Et ça c'est interdit.
01:55:19 On interdit les bandanas
01:55:21 à l'intérieur de la prison.
01:55:23 Donc là on a dû supprimer cette séquence.
01:55:25 L'absurdité, oui.
01:55:29 Je crois qu'il y avait une autre question parce qu'on arrive
01:55:31 un peu à la
01:55:33 fin.
01:55:35 Un, deux, merci.
01:55:49 Oui, merci pour ces échanges très intéressants.
01:55:51 On l'a rapidement évoqué mais j'aimerais bien
01:55:53 que vous en dites un peu plus sur
01:55:55 les personnages, enfin sur, pardon,
01:55:57 on a évoqué l'autorisation de l'institution
01:55:59 et on a rapidement évoqué l'autorisation
01:56:01 des personnes qui viennent se confronter
01:56:03 ou qui sont au sein de ces institutions.
01:56:05 Et j'aimerais bien que vous en parliez un peu plus dans votre expérience
01:56:07 notamment de tournage parce que que ce soit
01:56:09 sur un parcours de patients, un parcours de migrants
01:56:11 ou un parcours de jeunes qui
01:56:13 viennent pour se former.
01:56:15 Vous n'avez pas eu forcément tout
01:56:17 le temps en amont comme avec l'institution pour les
01:56:19 convaincre et pour autant, dès qu'ils
01:56:21 arrivent, j'imagine que c'est intéressant pour
01:56:23 votre film d'avoir le moment où ils arrivent
01:56:25 justement pour avoir tout ce parcours.
01:56:27 Donc comment est-ce que vous arrivez
01:56:29 à négocier avec eux
01:56:31 à la fois pour avoir le temps de les convaincre et
01:56:33 en même temps pour filmer dès qu'ils arrivent en fait ?
01:56:35 Moi, avant le tournage, j'ai consulté
01:56:41 un avocat pour savoir qu'est-ce
01:56:43 qu'on mettait dans une autorisation
01:56:45 de droit à l'image d'un détenu
01:56:47 et qu'est-ce qu'on mettait d'ailleurs dans une session de droit aussi d'un
01:56:49 surveillant. On s'est très peu servi de celle des
01:56:51 surveillants de fait.
01:56:53 Mais dans la session de droit à l'image
01:56:55 qu'on a rédigée avec
01:56:57 l'avocat, on laissait
01:56:59 libre aux détenus de choisir
01:57:01 beaucoup de choses. La manière dont ils voulaient
01:57:03 être filmés, est-ce qu'on voyait le visage
01:57:05 ou non ?
01:57:07 La manière dont ils...
01:57:09 Ou bien est-ce qu'on pouvait
01:57:11 aussi préciser par exemple,
01:57:13 je sais pas, quelqu'un qui ne voulait pas qu'on filme un de ses tatouages,
01:57:15 il pouvait le préciser aussi.
01:57:17 On pouvait ajouter des choses dans la session de droit
01:57:19 à l'image, c'était pas juste des trucs à cocher.
01:57:21 On pouvait aussi
01:57:23 choisir la manière dont on apparaissait au générique.
01:57:25 C'est-à-dire avec son nom
01:57:27 complet, avec des initiales,
01:57:29 avec un pseudo ou pas du tout.
01:57:31 Voilà, on pouvait
01:57:33 cocher des trucs.
01:57:35 Moi, avant le tournage, je pensais pas
01:57:37 du tout qu'on allait filmer des détenus mais
01:57:39 l'idée était...
01:57:41 Il vaut mieux prévenir, il vaut mieux avoir ça
01:57:43 sur soi. Et simplement, j'ai eu
01:57:45 une chance, c'est que juste avant le tournage,
01:57:47 on m'a donné l'autorisation
01:57:49 non pas de faire des repérages, puisque
01:57:51 c'était pas possible, mais de faire
01:57:53 une semaine d'intervention
01:57:55 d'atelier ciné-club
01:57:57 en prison,
01:57:59 à Casablanca.
01:58:01 Et donc, j'avais tous les jours
01:58:03 pendant une semaine à 18h,
01:58:05 un créneau d'une heure
01:58:07 pour montrer...
01:58:09 J'ai montré des courts-métrages documentaires.
01:58:11 Et donc, pendant une semaine,
01:58:13 j'ai fait une progression dans l'histoire du
01:58:15 documentaire à partir de courts-métrages qui,
01:58:17 je pensais, étaient représentatifs
01:58:19 de ce qui m'intéressait et aussi qui leur parlaient
01:58:21 de
01:58:23 la force de la mise en scène
01:58:25 et des risques à être filmés.
01:58:27 À quel point une mise en scène
01:58:29 peut déformer ce qu'on a dit,
01:58:31 à quel point une mise en scène peut avoir
01:58:33 un effet et un impact
01:58:35 sur
01:58:37 la séquence qu'on a pourtant vécue.
01:58:39 Et donc,
01:58:41 c'était un peu risqué d'arriver en disant
01:58:43 "attention, je suis dangereux", mais je trouvais que c'était
01:58:45 mieux d'arriver sincèrement
01:58:47 avec franchise, comme tu disais tout à l'heure,
01:58:49 en disant "je risque de vous planter un compas dans l'œil,
01:58:51 mais peut-être je ne le ferai pas aussi si on s'entend
01:58:53 bien, et c'est pour ça que je vous montre ce que
01:58:55 c'est que le documentaire".
01:58:57 Et pendant cette semaine
01:58:59 d'atelier, j'en ai profité
01:59:01 pour leur distribuer
01:59:03 des exemplaires de ces sessions de droit à l'image
01:59:05 pour qu'ils voient ce que ce serait s'il y a un jour
01:59:07 je pouvais tourner le genre de papier
01:59:09 que je leur ferais signer. Et en fait,
01:59:11 j'en avais laissé un bon tas
01:59:13 et j'avais laissé mes cartes de visite aussi,
01:59:15 si bien que
01:59:17 certains avaient déjà
01:59:19 le papier avant même que j'aille tourner,
01:59:21 et j'ai fait aussi annoncer ma venue
01:59:23 en faisant imprimer,
01:59:25 en faisant placarder
01:59:27 des affiches dans la prison avant ma venue,
01:59:29 pour pas que soudain
01:59:31 il y ait un gars avec une caméra
01:59:33 et on ne sait pas, il n'a pas été annoncé,
01:59:35 on n'a pas forcément pensé à prévenir
01:59:37 les détenus, une chose pareille.
01:59:39 Donc, si bien que j'ai reçu
01:59:41 des sessions de droit à l'image parfois
01:59:43 dans ma boîte aux lettres, ou de la main
01:59:45 à la main comme ça dans la cour de quelqu'un que j'avais
01:59:47 jamais vu et qui disait "tiens, et puis on peut
01:59:49 se voir après-demain, j'ai un créneau".
01:59:51 Donc, voilà, c'est
01:59:53 encore une fois dans mon film, comme c'est
01:59:55 beaucoup eux qui ont décidé,
01:59:57 et comme ils avaient les papiers par avance, par chance,
01:59:59 suite à ce petit atelier,
02:00:01 et bien ça a débloqué des trucs aussi.
02:00:03 Voilà.
02:00:05 - Nicolas, peut-être sur l'hôpital, toi,
02:00:07 parce qu'en psychiatrie, c'est pas simple, les autorisations.
02:00:09 - Non.
02:00:11 C'est pas simple et surtout, on n'arrive pas tout de suite
02:00:13 avec les autorisations.
02:00:15 On avait fait aussi,
02:00:17 comme toi, on a fait placarder un peu
02:00:19 aux urgences et tout ça, mais pas tout le monde les voyait.
02:00:21 J'ai rarement eu, en fait, des scènes
02:00:25 où c'était, à part une ou deux fois,
02:00:27 parce que c'était les urgences, et donc du coup,
02:00:29 j'ai dû commencer à filmer
02:00:31 avec le médecin qui a introduisé
02:00:35 dans la scène, en fait, pendant qu'on filmait
02:00:37 et qu'il disait "voilà, je vais être filmé".
02:00:39 D'abord, je suis en train de filmer lui,
02:00:41 je ne filme pas la personne où je filme les pieds.
02:00:43 Je vais être filmé, est-ce que vous êtes d'accord, etc.
02:00:45 Donc la personne donne son accord.
02:00:47 Après, on en a un deuxième temps,
02:00:49 quand c'est des moments comme ça pris sur le vif,
02:00:51 dans un deuxième temps, à la fin,
02:00:53 quand j'étais tout seul,
02:00:55 parce que c'était des dispositifs très serrés aussi,
02:00:57 c'était des moments où j'étais seul,
02:00:59 je demandais à la caméra
02:01:01 de dire "voilà, j'accepte d'être dans le film".
02:01:05 Par exemple, mon film est à la limite
02:01:07 de Nicolas Pesniz, et après, je revenais vers la personne
02:01:09 dans un autre temps,
02:01:11 avec des documents.
02:01:13 Et souvent,
02:01:17 c'était une personne
02:01:19 qui introduisait l'équipe,
02:01:21 et ça, ça a aidé.
02:01:25 Et on a eu rarement,
02:01:27 finalement,
02:01:29 des refus.
02:01:31 Et souvent même,
02:01:33 dans ce cas-là en particulier,
02:01:35 comme c'était un psychiatre, par exemple,
02:01:37 il y a un des patients
02:01:39 qui filme,
02:01:41 qui était très introverti,
02:01:43 qui a commencé à s'ouvrir avec la caméra.
02:01:45 Pas la mienne,
02:01:47 il avait fait venir une documentariste avant.
02:01:49 Et c'était un jeune patient,
02:01:53 et il me disait,
02:01:55 pendant l'hôpital,
02:01:57 d'essayer de lui parler,
02:01:59 et pendant un an, c'était difficile,
02:02:01 il parlait seul.
02:02:03 Et avec une caméra, en fait,
02:02:05 un des patients s'est ouvert.
02:02:07 Et donc, à certains endroits,
02:02:09 il nous a utilisé un peu
02:02:11 comme une mise en abîme
02:02:13 de thérapie aussi.
02:02:15 Donc voilà, il y avait tout le temps ça.
02:02:17 Mais il y a certaines scènes, moi,
02:02:21 je l'ai filmé sur le vif et j'ai dû demander après.
02:02:23 Il y a eu beaucoup de discussions aussi,
02:02:25 pendant que je tournais, avec des patients,
02:02:27 parce que pas mal de patients, je les connaissais.
02:02:29 Donc je disais, voilà, cette scène-là,
02:02:31 où il se passe ça,
02:02:33 est-ce que
02:02:35 tu serais d'accord ?
02:02:37 Et sur certaines choses, il me disait, oui, ça, je veux bien,
02:02:39 mais des trucs un peu plus privés,
02:02:41 sur ma maladie, je préférais que tu ne les mettes pas.
02:02:43 Et donc là, on ne les mettait pas.
02:02:45 C'était vraiment une discussion,
02:02:47 même après avoir filmé.
02:02:49 - Est-ce que quelqu'un veut ajouter ?
02:02:51 - Là aussi, je dirais, ça dépend
02:02:55 vraiment des
02:02:57 lieux et des sujets
02:02:59 et des personnes.
02:03:01 Dans "Les arrivants",
02:03:05 il y avait un film sur
02:03:07 l'arrivée des familles demandeuses d'asile
02:03:09 à Paris. Il y avait vraiment
02:03:11 un problème majeur qui était la langue.
02:03:13 Alors donc,
02:03:15 on faisait effectivement comme vous,
02:03:17 c'était toujours une affiche, on le fait partout.
02:03:19 Un tournage est en cours,
02:03:21 si vous ne voulez pas être filmés, dites-le nous.
02:03:23 Voilà, première chose.
02:03:25 Mais bon, en français
02:03:27 et en anglais, c'est bon.
02:03:29 Et par ailleurs,
02:03:31 ce n'était pas possible. Je veux dire, les gens arrivaient
02:03:33 dans un tel état
02:03:35 d'inquiétude.
02:03:37 Parfois, certains, c'était
02:03:39 le passeur les déposer à l'entrée
02:03:41 et ils ne savaient même pas dans quel pays ils étaient.
02:03:43 Enfin bon, donc c'était dans un...
02:03:45 Il n'était pas question d'aller leur demander
02:03:47 "Est-ce que vous êtes d'accord pour que je vous filme ?"
02:03:49 Ça n'avait pas de sens.
02:03:51 Donc on avait
02:03:53 décidé de filmer
02:03:55 sauf s'ils nous font
02:03:57 non, et de
02:03:59 parler après. Voilà. Donc on a
02:04:01 fait ça pour... Mais en fait,
02:04:03 ça a bien duré trois semaines.
02:04:05 Pendant trois semaines, on n'a eu aucune
02:04:07 autorisation. C'est-à-dire que les gens
02:04:09 tous refusaient,
02:04:11 faisaient signe qu'ils ne voulaient pas de caméra.
02:04:13 Et donc, pendant trois semaines,
02:04:15 on n'a pas filmé.
02:04:17 Et on commençait à se dire "Il n'y a peut-être pas de film."
02:04:19 Donc on était là,
02:04:21 appuyés contre le mur
02:04:23 avec la caméra,
02:04:25 le son, tout ça.
02:04:27 Et puis on attendait, on attendait.
02:04:29 C'était vachement angoissant.
02:04:31 Et puis un jour,
02:04:33 on avait une assistante très jeune,
02:04:35 Julie, qui parlait très très bien
02:04:37 anglais.
02:04:39 Elle a accueilli,
02:04:41 parce qu'ils n'avaient pas le temps,
02:04:43 les travailleurs sociaux, ils étaient
02:04:45 débordés. Donc c'est elle qui a
02:04:47 accueilli une jeune érythréenne
02:04:49 enceinte qui débarquait,
02:04:51 qui était crevée, qui avait passé
02:04:53 la nuit à l'hôpital, dans la
02:04:55 salle d'attente parce qu'elle ne savait pas où dormir.
02:04:57 Et elle a commencé à discuter
02:04:59 avec elle. Et là,
02:05:01 quand elle lui a dit "On fait un
02:05:03 film sur l'arrivée, sur les..."
02:05:05 "Est-ce que tu es d'accord ?" Elle lui a demandé.
02:05:07 Et elle avait le même âge. Donc entre
02:05:09 filles de 20 ans, comme ça, il y a quelque chose
02:05:11 qui s'est passé. Et
02:05:13 voilà.
02:05:15 Elle a dit oui. Mais je pense qu'elle a dit
02:05:17 oui aussi. Parce qu'elle était tellement épuisée
02:05:19 que... Bon, elle n'a pas
02:05:21 dit non. Mais je ne sais pas si
02:05:23 vraiment elle a bien compris à ce moment-là
02:05:25 à quoi elle s'engageait.
02:05:27 Après, elle l'a compris. Parce qu'elle
02:05:29 est revenue. On l'a filmée pendant six
02:05:31 mois. Donc
02:05:33 elle avait le temps de dire...
02:05:35 Et oui, ce que je voulais dire aussi, c'est que ça peut
02:05:37 arriver que quelqu'un donne son autorisation.
02:05:39 Alors, autant avec une institution.
02:05:41 Je pense que c'est vraiment difficile pour l'institution
02:05:43 de la retirer, son autorisation.
02:05:45 Mais avec quelqu'un, c'est possible.
02:05:47 Sur "Monsieur contre Madame",
02:05:49 j'avais filmé pendant, là aussi,
02:05:51 cinq, six mois, un couple
02:05:53 qui venait là pour
02:05:55 un droit de visite à l'enfant,
02:05:57 qui avait donné son accord, qui avait
02:05:59 signé le papier, etc. Et puis,
02:06:01 ils ont réfléchi. Et puis,
02:06:03 à la fin, ils m'ont dit "On ne veut pas".
02:06:05 Voilà. Et j'avais
02:06:07 tourné pendant trois, quatre mois.
02:06:09 J'étais obligée. Là, on ne peut rien faire.
02:06:11 Alors qu'il avait signé.
02:06:13 Mais comme c'était pour des raisons
02:06:15 privées,
02:06:17 de souffrance personnelle,
02:06:19 on n'a rien à faire.
02:06:21 - Est-ce que
02:06:23 je peux prendre une dernière question, Lise ?
02:06:25 - Non, apparemment, on doit libérer la salle.
02:06:27 Je suis désolée. - Je suis désolée.
02:06:29 - Il y a un petit temps qui est prévu
02:06:31 ensuite, autour
02:06:33 d'un verre avec nos invités.
02:06:35 Donc, on pourra continuer à
02:06:37 échanger. Je voulais vous
02:06:39 remercier vraiment chaleureusement
02:06:41 pour vos
02:06:43 partages. J'espère que
02:06:45 vous aurez quelques clés,
02:06:47 quelques armes et surtout, quelques
02:06:49 envies pour vous emparer
02:06:51 de ces questions et pour aller vous
02:06:53 confronter avec acharnement,
02:06:55 obstination
02:06:57 et à plusieurs, parce que
02:06:59 ça aide, je crois, quand même.
02:07:01 Voilà, pour vous emparer
02:07:03 de ces questions. On
02:07:05 espère recevoir ce
02:07:07 type de projet. On n'en reçoit pas énormément
02:07:09 de projets d'auteurs
02:07:11 et d'autrices qui souhaitent se confronter
02:07:13 aux institutions
02:07:15 et aux formes de pouvoir,
02:07:17 que ce soit des institutions publiques ou privées.
02:07:19 J'espère que ça vous aura
02:07:21 donné envie de vous frotter à ces questions.
02:07:23 Encore un grand merci.
02:07:25 Merci à toute l'équipe de la
02:07:27 Régie pour la retransmission
02:07:29 et l'accueil et aux équipes du CNC.
02:07:31 Et à très bientôt.
02:07:33 Cet échange est retransmis en replay.
02:07:35 Vous pouvez le revoir,
02:07:37 vous pourrez le revoir dans quelques
02:07:39 jours ou semaines si vous avez raté
02:07:41 des choses. Voilà, un grand, grand merci encore.
02:07:43 Merci.
02:07:45 [Applaudissements]
02:07:47 [Applaudissements]
02:07:49 [Applaudissements]
02:07:51 [Applaudissements]
02:07:53 ...
02:08:00 (Générique)
02:08:03 ---

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