• il y a 8 mois
À la suite de l’Année du documentaire, la Scam, ARTE et le CNC vous présentent ce 5e volet de la série de rencontres « Le Documentaire : matière à penser », portant sur l'image manquante.

Le programme :
- 11h : Keynote – Dialogue entre Raphaëlle Branche – historienne, réalisatrice, et Camille Ménager – réalisatrice.
- 11h30 : Table ronde en présence de Rithy Panh – réalisateur et auteur (en visio), avec Christophe Bataille – éditeur et auteur, animée par Fabrice Puchault – directeur de l’unité Société et Culture chez ARTE
- 14h30 : Étude de cas avec Mathias Théry – réalisateur et Jean-Michel Frodon – auteur et critique, autour des documentaires Isaac Asimov, l’étrange testament du père des robots, La Sociologue et l’ourson et La Cravate.
- 15h30 : Table ronde « Femmes, les récits manquants » avec Marie Bottois – réalisatrice, Diane Sara Bouzgarrou – cinéaste et plasticienne, Yamina Zoutat – réalisatrice et Camille Froidevaux-Metterie – philosophe, animée par Élodie Font – journaliste et autrice
Transcription
00:00:00 Bonjour à toutes et à tous. Je suis Juliette Moreau, l'adjointe à la
00:00:09 chef de service du soutien au documentaire de la direction de l'audiovisuel.
00:00:14 Quelques mots rapides d'introduction avant de laisser la parole à mes camarades d'Arte
00:00:18 et de l'ASCAM qui reviendront plus en détail sur la thématique de cette journée qui est
00:00:22 l'image manquante et sur le déroulé des échanges.
00:00:25 Je voulais commencer par vous remercier d'être revenu en cette première matinée de printemps
00:00:32 pour cette cinquième session de Matière à penser.
00:00:35 Au nom de toutes les équipes du CNC qui aident au quotidien le documentaire et qui aiment
00:00:39 profondément ce genre, merci et bienvenue à tous.
00:00:42 Merci également aux personnes qui nous suivent sur la salle virtuelle d'Arte.
00:00:45 Je sais que vous êtes à chaque fois très nombreuses et nombreux et on est vraiment
00:00:48 très contents.
00:00:49 Pour celles et ceux, s'il y en a encore, qui auraient manqué les épisodes de la saison
00:00:54 précédente, Matière à penser c'est quoi ?
00:00:55 Matière à penser, c'est un cycle de réflexion qui a été conçu par Arte et l'ASCAM dans
00:01:00 le cadre de l'année du documentaire et à laquelle le CNC s'est joint avec grand plaisir.
00:01:03 L'année dernière, entre mars et novembre, quatre journées de réflexion ont été organisées
00:01:08 ici et dans les locaux de l'ASCAM autour de thématiques aussi riches que passionnantes.
00:01:13 Je et nous, du singulier vers l'universel, fortunes et infortunes du personnage documentaire,
00:01:18 racontées avec les images des autres et enfin, documentaire a-t-il un genre ?
00:01:21 J'en profite pour vous rappeler que si vous les aviez manqué ou avez envie de les revoir,
00:01:27 les replay de ces quatre précédentes sessions sont disponibles sur la chaîne YouTube du
00:01:30 CNC ou encore sur le site de l'ASCAM.
00:01:33 L'année du documentaire a été l'occasion de célébrer ce genre tout au long de l'année
00:01:37 par un certain nombre d'événements et d'initiatives que je ne vais pas toutes reciter ici.
00:01:40 Si l'année 2023 est bien terminée, notre amour commun pour le documentaire, lui, ne
00:01:46 s'arrête évidemment pas là et la dynamique se poursuit.
00:01:48 C'est pourquoi nous sommes donc particulièrement ravis de vous retrouver ici pour prolonger
00:01:53 cette aventure avec vous, avec ce cinquième volet de matière à penser.
00:01:56 Particulièrement ravis, car ces journées nous permettent de nous retrouver pour collectivement
00:02:00 prendre de la hauteur, réfléchir et penser le documentaire.
00:02:03 Avant de laisser pour de bon cette fois la parole à mes camarades et partenaires d'Arte
00:02:07 et de l'ASCAM, je voulais les remercier à nouveau pour cette magnifique initiative
00:02:11 et pour la poursuivre avec nous.
00:02:13 Un dernier et chaleureux merci à nos intervenants d'avoir accepté de participer à nos échanges
00:02:18 aujourd'hui.
00:02:19 Et enfin, à toutes et à tous, je vous souhaite une très bonne journée.
00:02:21 Bonjour, alors je vais faire très court.
00:02:30 Je suis Camille Ménager, réalisatrice, autrice et à l'ASCAM, j'ai quelques fonctions
00:02:35 d'administratrice et de présidente de la commission audiovisuelle.
00:02:37 Je ne vais pas vous faire un long moment sur ce que c'est que l'ASCAM, donc société
00:02:43 d'auteurs qui rassemble environ 52 000 auteurs et autrices qui racontent le réel sous toutes
00:02:49 ses formes.
00:02:50 Alors Rémi Lenné, président de l'ASCAM, était censé introduire cette journée.
00:02:53 Il vous prie d'excuser son absence.
00:02:56 Il est en train de défendre la série documentaire à Lille, à Sérimania, et il nous rejoindra
00:03:01 dans l'après-midi.
00:03:02 Voilà, alors quand on aime, quand on fait, quand on diffuse, quand on regarde du documentaire,
00:03:09 évidemment la question de l'image manquante, ou même l'image tout court, mais l'image
00:03:13 manquante est fondamentale.
00:03:15 Comment incarner des réalités dépossédées d'images quand ces images viennent à manquer,
00:03:21 quelles que soient les raisons de ce manque ? C'est le fil rouge qui va guider notre journée.
00:03:25 J'aurai le plaisir de commencer, d'introduire avec Raphaël Branche.
00:03:30 Fabrice Puchot, à mes côtés pour Arte, continuera avec une table ronde où il accueillera
00:03:35 Ritipan et Christophe Bataille.
00:03:37 Quant à l'après-midi, ce sera une étude de cas Asimov, l'étrange testament du père
00:03:41 des robots, qui est un film assez fantastique de Mathias Théry, qui en parlera donc aux
00:03:47 côtés de Jean-Michel Frodon.
00:03:48 Et enfin, la dernière table ronde sera consacrée aux récits manquants, aux femmes, les récits
00:03:53 manquants, avec les intervenantes que vous voyez ici à l'écran.
00:03:56 Je vous remercie d'être présent-présente.
00:03:59 L'ASCAM est actuellement en travaux et on espère vraiment que pour une fantastique
00:04:04 sixième journée de matière à penser qui viendrait être organisée, ce serait dans
00:04:08 les nouveaux locaux à l'automne éventuellement.
00:04:11 Merci beaucoup et je laisse la parole à Fabrice.
00:04:15 Merci.
00:04:16 Merci beaucoup Camille.
00:04:19 Oui, alors merci d'être là.
00:04:21 Je le redis parce que c'est vraiment sympathique que vous soyez là.
00:04:24 Merci aussi aux intervenantes qui prennent de leur temps pour être là.
00:04:29 Pourquoi on a voulu images manquantes ?
00:04:32 Parce que notre travail, c'est de réfléchir ici et pour échanger dans un mariage, dans
00:04:42 un dialogue entre chercheurs, romanciers, romancières, chercheurs-chercheuses, écrivaines,
00:04:50 mais aussi autrices et auteurs de documentaires, d'essayer sans cesse que ce dialogue existe.
00:04:55 Et la question de mise en scène est centrale et donc dans l'image manquante, il y a une
00:05:01 des questions essentielles.
00:05:02 Parfois, il y a, ce n'est pas exactement le bon mot, mais il y a un horchant qui hurle,
00:05:07 qui crie, le manque est, oui, parfois insupportable de ces images.
00:05:13 Et ce manque produit des braises qui ronflent et qui ronflent sans cesse sous la cendre
00:05:18 et qui n'aident pas à faire société, qui n'aident pas à faire politique, qui n'aident
00:05:22 pas à faire du commun.
00:05:23 Et c'est un peu pour ça qu'on voulait adresser cette question.
00:05:28 Et puis, parce que cette question de qu'est-ce qu'on voit, qu'est-ce qu'on regarde, qu'est-ce
00:05:35 qu'on entend, qu'est-ce qu'on produit qu'en image, c'est une question d'écriture, de
00:05:39 regard, de point de vue au sens où celui-ci organise véritablement le documentaire et
00:05:45 organise la question du documentaire.
00:05:46 Parce que c'est vrai que j'aime penser le documentaire comme un art de la question plus
00:05:49 que de l'affirmation, comme un outil de recherche.
00:05:52 Alors que faire quand l'image manque, eh bien, c'est parfois l'idée que ce manque est source
00:06:00 de récits, même si cela peut sembler contradictoire, et même s'il y a des manques qui aujourd'hui
00:06:05 sont particulièrement brutaux, des manques d'images qui sont... c'est un peu contradictoire
00:06:09 tout cela, et c'est là que c'est beau et intéressant.
00:06:11 Mais néanmoins, il y a des manques qui sont particulièrement criants et brutaux aujourd'hui.
00:06:16 Je pense évidemment à l'absence d'images de Gaza, qui n'existent pas.
00:06:21 Parce qu'il est impossible de faire des images aujourd'hui à Gaza.
00:06:26 Il y a quelques très courageux journalistes, mandatés par l'AFP notamment.
00:06:30 Mais voilà, ce manque-là est un manque politique, mais ce manque est aussi une façon de faire
00:06:39 du cinéma.
00:06:40 Ce manque permet une création spécifique.
00:06:45 Voilà, c'est cette contradiction qui est au cœur de ce qu'on va travailler aujourd'hui.
00:06:49 Et on l'a mis sous le signe de l'image manquante, parce que l'image manquante c'est aussi le
00:06:54 titre d'un film, et d'un immense film qui nous inspire, en tout cas moi qui m'inspire
00:07:00 toujours, et je citerai pour finir, Riti et Christophe Bataille, qui ont écrit "Parce
00:07:07 qu'une image manque, on fait du cinéma".
00:07:09 Je vous remercie beaucoup d'être là.
00:07:11 Et à toi Camille pour commencer cette journée.
00:07:15 Alors, on a ainsi remercié, donc j'entre directement dans le vif du sujet.
00:07:28 J'ai à mes côtés, c'est vraiment un très grand plaisir d'avoir Raphaël Branche,
00:07:35 historienne, spécialiste de la guerre en Algérie, à laquelle tu as consacré la majorité
00:07:41 de tes recherches.
00:07:42 Alors, on se tutoie, n'y voyez pas une espèce d'entre-soi un peu désagréable, mais plutôt
00:07:46 de la camaraderie professionnelle.
00:07:48 Pour les anciens étudiants en histoire contemporaine du tout début des années 2000, je pense
00:07:55 qu'on a tous été très marqués par l'apparution de "La Torture et l'Armée".
00:07:59 Ça a été assez fondateur pour tous les thèmes de recherche que nous pouvions explorer
00:08:06 à ce moment-là.
00:08:07 Tu es professeure d'histoire contemporaine à l'Université de Paris de Nanterre, avec
00:08:11 un pied quand même dans le documentaire, et le bon.
00:08:14 Tu as co-signé récemment pour Arte une série documentaire qui s'appelle "En guerre pour
00:08:20 l'Algérie", produite par l'INA et réalisée par Raphaël Lewandowski, et un peu plus auparavant
00:08:28 écrit et co-écrit avec Rémi Lenné, "Palestro, Algérie, histoire d'une embuscade".
00:08:34 Quand on a échangé un petit peu pour travailler ce thème de l'image manquante, il t'a
00:08:40 été important et assez immédiatement important de mentionner un film.
00:08:44 C'est donc de ce film dont on va parler ce matin pour introduire cette journée, peut-être
00:08:48 pour essayer de définir ce que c'est que l'image manquante.
00:08:51 On n'y arrivera probablement pas.
00:08:52 Il s'agit de Muriel ou le temps d'un retour, dont je vais te laisser parler, d'Alain
00:08:59 Rennet.
00:09:00 On en verra un petit extrait après pour l'avoir un petit peu en tête.
00:09:03 Mais qu'est-ce qui te semblait important et pourquoi démarrer avec ce film-là ?
00:09:06 Merci, merci, merci de l'invitation.
00:09:12 Je ne suis pas du tout réalisatrice, contrairement à ce qui est écrit là-haut.
00:09:15 Pas du tout.
00:09:17 Mais alors pourquoi ce film ? Parce que moi, il m'a nourrie, en fait, tout bêtement,
00:09:26 très égoïstement.
00:09:27 Il m'a beaucoup nourrie.
00:09:28 C'est un film de fiction.
00:09:29 Mais vous verrez que, enfin, vous le connaissez sans doute, mais c'est vraiment un film qui
00:09:34 réfléchit vraiment sur la matière cinématographique, qu'elle soit documentaire et fiction, finalement,
00:09:40 n'importe peu, puisque c'est un jeu perpétuel sur les chevauchements du son et de l'image.
00:09:48 La bande-son, la musique est incroyable, mais voilà, c'est vraiment un film qui réfléchit
00:09:52 sur ça, sur les brisures et sur la mémoire qui rejaillit, qui surgit à l'occasion de
00:09:57 failles.
00:09:58 Donc, voilà, c'est vraiment un film qui peut faire une réflexion, je crois, que nous
00:10:02 propose René, qui, à ce moment-là, est plutôt au début de sa carrière, puisqu'il a notamment
00:10:07 écrit "Nuit et brouillard" avec Jean Quérol, qui écrit aussi Muriel.
00:10:11 Donc, il y a une espèce de fil entre les deux réflexions des deux hommes.
00:10:16 Et pourquoi j'ai choisi, pourquoi j'ai pensé immédiatement à ce film ? C'est parce que
00:10:20 le cœur du film, je racontais peut-être, le cœur du film est occupé par une scène
00:10:27 autour d'une image manquante, en fait.
00:10:28 Donc, voilà, c'était l'envie.
00:10:29 - Peut-être, tu donnes juste deux mots de contexte de ce qui se passe dans le film,
00:10:33 et après on montre un extrait ?
00:10:34 - En fait, c'est un film qui date de...
00:10:36 Enfin, qui sort en 1963 et qui parle notamment, à travers un des deux personnages principales,
00:10:43 de la guerre d'Algérie qui vient de se terminer, puisque c'est 1962, la fin de la guerre d'indépendance
00:10:47 algérienne.
00:10:48 Donc, Bernard, le personnage qu'on va entendre là, qui raconte, est un appelé qui revient
00:10:54 d'Algérie et qui, en gros, n'arrive pas à se réadapter à la vie ordinaire de la
00:11:01 France.
00:11:02 Et on le voit en trouble et on le voit tout le temps se trimballer avec une caméra à
00:11:07 la main, d'emboulonne sur mer détruite et en train d'être construite.
00:11:11 Et il dit "je cherche des preuves, je cherche des preuves".
00:11:13 Et à un moment, il croise un homme dont on comprend qu'il a été peut-être son supérieur
00:11:17 en Algérie, qui lui dit "tu veux raconter Muriel ? Muriel, ça ne se raconte pas".
00:11:21 Et au cœur du film, en fait, il tente un récit de ce qui s'appellera donc, pour
00:11:28 nous, et uniquement, Muriel.
00:11:29 Voilà.
00:11:30 Alors, on va montrer le petit extrait.
00:11:32 Personne n'avait connu cette femme avant.
00:11:43 J'ai traversé le bureau où je travaillais, recouvert la machine à écrire, j'ai traversé
00:11:50 la cour, on y voyait encore.
00:11:54 Le hangar était au fond, avec les munitions.
00:11:59 D'abord, je ne l'ai pas vue.
00:12:03 C'est en m'approchant de la table que je butais sur elle.
00:12:07 Elle avait l'air de dormir, mais elle tremblait de partout.
00:12:12 On me dit qu'elle s'appelle Muriel.
00:12:15 Je ne sais pas pourquoi, mais ça ne devait pas être son vrai nom.
00:12:20 On était bien cinq autour d'elle.
00:12:26 On discutait.
00:12:28 Il fallait qu'elle parle avant la nuit.
00:12:32 Robert s'est baissé, elle a retourné.
00:12:36 Muriel a gémi.
00:12:39 J'avais mis son bras sur ses yeux.
00:12:43 On la lâche, elle retombe comme un baquet.
00:12:49 C'est alors que ça recommence.
00:12:52 On la tire par les chevilles au milieu du hangar pour mieux la voir.
00:12:56 Robert lui donne des coups de pied dans les hanches.
00:12:59 Il prend une lampe torche, la braque sur elle.
00:13:04 Les lèvres sont gonflées, pleines d'écume.
00:13:11 C'est le début de cette scène-là, qui dure un peu plus longtemps, 4-5 minutes.
00:13:20 Il y a un dialogue qui semble s'opérer entre le son et l'image.
00:13:27 L'image ne montrant pas ce que le son raconte.
00:13:29 Qu'est-ce qu'a voulu faire René à ça ?
00:13:32 En fait, le démarrage, c'est vraiment comme ça.
00:13:35 On est dans le film qui se passe à Boulogne, quelque part à la fin de la guerre d'Algérie.
00:13:40 On ne sait pas bien quand.
00:13:41 Et tout d'un coup, sans transition, on a ces images sales, amateurs,
00:13:48 dans lesquelles on est littéralement projeté.
00:13:51 Et on comprendra le dispositif filmique qu'à la fin, au bout de trois minutes,
00:13:56 on voit qu'en fait, Bernard est en train de projeter des images Super 8 à un spectateur.
00:14:03 Et donc là, on a une mise en abîme puisqu'on est derrière le spectateur
00:14:05 et qu'on voit cette espèce de... ça dézoome finalement.
00:14:10 Mais au départ, on ne sait pas quoi penser, on ne sait pas ce que sont ces images
00:14:14 et on comprend encore moins ce qu'est ce récit.
00:14:16 Donc oui, la première chose que je me suis dite, c'est...
00:14:22 René, il fait de la fiction, donc il a le pouvoir de mettre en image la torture,
00:14:27 puisqu'il s'agit d'une scène de torture.
00:14:29 Il a le pouvoir.
00:14:30 Il choisit de ne pas l'utiliser et il choisit justement la matière première du documentaire.
00:14:36 Une des matières premières, c'est l'image amateur.
00:14:39 Je n'ai toujours pas réussi à savoir ce que c'était que ces images amateurs.
00:14:42 Si quelqu'un sait, je suis preneuse.
00:14:43 - Il les a filmées lui-même.
00:14:45 - Voilà, mais elles sont typiques.
00:14:47 Comme ça, il y en a plein.
00:14:48 Elles sont tout à fait représentatives de ce que les soldats qui avaient les moyens pouvaient filmer.
00:14:53 Et donc, effectivement, la première chose, c'est qu'il y a un jeu sur ce que l'image cache.
00:15:02 L'image comme une espèce d'écran et le récit qui prendrait la place
00:15:08 ou dirait l'absence d'image parce qu'il y a un tel décalage entre...
00:15:17 Si on se contente de regarder les soldats,
00:15:20 entre ce qu'ils disent, de ce que font les soldats dans une scène de torture
00:15:23 et ce que font les soldats à l'image,
00:15:25 il y a un décalage énorme qui, évidemment, nous...
00:15:29 Enfin, je crois, nous perturbe sur la vérité de l'image.
00:15:35 En fait, c'est quoi cette image ? À quoi elle sert ?
00:15:37 Mais ce que je trouve plus fort encore dans le choix de René,
00:15:41 et on n'a pas vu dans l'extrait exactement ce choix qu'il fait,
00:15:48 en fait, il va faire coller certaines paroles de Bernard avec l'image.
00:15:53 C'est-à-dire que cette impression de décalage, ce premier niveau qui est...
00:15:59 Il y a de l'immontrable.
00:16:01 Voilà, la violence de la torture, c'est immontrable,
00:16:04 mais on peut la prendre en charge par le récit.
00:16:06 On a un peu l'impression que c'est ça que ça nous dit d'abord.
00:16:10 En fait, il creuse ça à certains moments de l'image où précisément,
00:16:14 Bernard dit, par exemple, j'ai plus les phrases en tête,
00:16:17 mais il dit "les soldats fument une cigarette" ou...
00:16:22 Non, pardon, il dit "l'utilisation de la cigarette dans la scène de torture"
00:16:26 ou il dit "l'utilisation de l'eau comme méthode de torture".
00:16:30 Et à ce moment-là, on voit à l'image des soldats qui fument une cigarette
00:16:34 en train de discuter ou des soldats qui plongent dans une piscine pour s'amuser.
00:16:38 C'est-à-dire qu'en fait, il me semble que là, il suggère aussi
00:16:41 que les images mentales qui vont nous venir quand on va entendre Bernard dire
00:16:49 "il fume une cigarette", mais ça ne va pas forcément être les bonnes.
00:16:53 Ça ne correspond pas à l'intensité de la scène de torture qui,
00:16:57 finalement, se dérobe peut-être toujours à notre capacité à l'imaginer.
00:17:02 J'en sais rien, mais moi, ça m'a beaucoup plu pour ça aussi.
00:17:05 C'est-à-dire qu'il y a une espèce de système de double fond permanent,
00:17:08 la mise en abyme, mais elle est à plusieurs étages.
00:17:12 Et finalement, qu'est-ce qui reste ?
00:17:16 Un doute global sur les images.
00:17:20 C'est très clair, je crois d'emblée, ces images sont le paravent du réel
00:17:26 et même sur les mots, en fait.
00:17:28 Et ce qu'on n'a pas dans le... là, mais même Muriel,
00:17:33 je ne sais pas s'il le dit dans ce qu'on a entendu,
00:17:35 je ne sais pas si c'était son nom.
00:17:37 Mais voilà, évidemment, évidemment que ce n'était pas son nom.
00:17:39 C'était vraisemblablement pas son nom.
00:17:41 Donc, il n'a pas grand chose, il n'a rien.
00:17:43 En fait, il n'a que son traumatisme.
00:17:46 Et c'est évidemment de ça que parle cette scène et de son désir de transmettre
00:17:50 avec les moyens qu'il a, c'est-à-dire ces images qu'il essaie tout le temps
00:17:55 de produire tout au long du film pour faire des preuves.
00:17:58 Il dit ça, je cherche des preuves.
00:18:00 Et cette espèce de perpétuel échappatoire, enfin échapper,
00:18:05 ça échappe de la capacité, mais évidemment, il ne renonce pas.
00:18:09 Et évidemment, on ne renonce pas.
00:18:11 Je pense que c'est le sens de la journée.
00:18:12 On ne renonce pas même quand on n'a pas d'image.
00:18:16 - Justement, dans le cas des violences coloniales ou des violences
00:18:19 pendant la guerre d'indépendance en Algérie,
00:18:24 qu'est-ce qui existe comme image ?
00:18:26 Est-ce que tu penses qu'utiliser des images qui auraient vraiment montré,
00:18:32 des images documentaires, on va pas dire réelles,
00:18:35 qui auraient montré la violence, ça aurait eu un impact différent
00:18:40 sur notre propre imaginaire par rapport à ce que fait René, par exemple,
00:18:43 quand lui, il fait l'inverse, c'est-à-dire il ne montre pas ce qu'il dit
00:18:45 ou il dit ce qu'il ne montre pas.
00:18:47 Est-ce que ça aurait été différent, à ton avis, par rapport à toi,
00:18:51 est-ce que tu connais des images qui peuvent exister des violences coloniales
00:18:55 en utilisant de la vraie image documentaire,
00:18:57 l'image filmée ou photographique d'ailleurs ?
00:19:01 - Je pense que vous avez tous et toutes un avis sur cette question
00:19:03 dans la salle, beaucoup plus éclairée que moi.
00:19:06 - Non, justement, parce que toi, tu as la pratique historienne de ces questions.
00:19:10 - En fait, je pense que c'est l'image de la violence et de la violence
00:19:15 dans ses formes peut-être les plus extrêmes.
00:19:17 C'est compliqué, effectivement.
00:19:19 On sait très bien, et même le récit en réalité,
00:19:22 il n'y a pas besoin de l'image pour ce que je vais vous dire,
00:19:24 c'est-à-dire que l'image ou le récit risque de sidérer,
00:19:30 risque de nous priver de notre capacité d'intelligence
00:19:34 parce que c'est une espèce de stupéfaction, comme ça.
00:19:38 Et le récit peut aussi produire ça.
00:19:40 Je pense que cet équilibre, en tout cas, moi, je me le pose
00:19:43 comme historienne quand j'écris, cet équilibre entre montrer,
00:19:47 parce que c'est important de montrer, face à, en histoire contemporaine,
00:19:53 il y a quand même la tentation du négationnisme.
00:19:55 Donc, il faut produire des preuves et montrer, ça fait partie de produire des preuves,
00:20:00 et ne pas priver le spectateur et la spectatrice de sa capacité
00:20:04 de comprendre de manière autonome.
00:20:07 C'est-à-dire, on ne va pas lui expliquer ce qu'il faut penser
00:20:09 de ce qu'il voit ou de ce qu'on lui raconte.
00:20:11 Voilà, c'est cette espèce de tension que je trouve particulièrement
00:20:15 compliquée au cinéma, dans le documentaire ou dans la fiction,
00:20:18 parce que le temps n'appartient pas au spectateur.
00:20:22 Ou aux spectatrices, alors que le temps appartient au lecteur ou à la lectrice
00:20:26 qui peut poser le livre quand c'est insupportable.
00:20:29 Donc, le pouvoir des hommes et des femmes d'image est beaucoup plus important
00:20:34 de ce point de vue-là, et donc, votre responsabilité aussi, je trouve,
00:20:37 la nôtre quand j'en fais aussi, d'autant plus importante.
00:20:40 Donc, voilà, ça dépend.
00:20:42 J'imagine, il faut arbitrer.
00:20:46 Mais dans le cas de ces violences extrêmes-là,
00:20:50 comme c'est dans le cas dans d'autres périodes historiques,
00:20:53 mais celle que je connais de la colonisation et de l'Algérie et de la guerre,
00:20:56 il n'y a pas beaucoup d'images, en fait.
00:20:58 Il y a très peu d'images.
00:20:59 Et des images de torture filmées, moi, je n'en connais pas.
00:21:04 Je connais quelques photos. C'est tout.
00:21:07 Il y en a peut-être, mais voilà.
00:21:08 Donc, ça veut dire qu'en tout cas, elles ne sont pas hyper faciles à trouver
00:21:11 si elles existent.
00:21:13 Et en fait, je rebondis, c'est ça qui me paraît intéressant de raconter.
00:21:17 C'est-à-dire à quelles conditions des images ont pu exister
00:21:21 et qu'est-ce que le fait qu'elles n'aient pas existé,
00:21:23 mais ça, c'est aussi Ritty Pan et "Images manquantes", bien sûr.
00:21:28 En quoi ça, ça nous intéresse, en fait ?
00:21:29 Donc, pas forcément combler.
00:21:31 C'est toujours la question.
00:21:32 Pas combler, mais éclairer le manque et donner du sens au manque.
00:21:37 Enfin, produire à partir d'analyses du manque du sens.
00:21:40 - Travailler davantage sur la...
00:21:42 Travailler la narration davantage sur la condition de production des images,
00:21:45 leur absence ou leur manque ou pas.
00:21:47 Là, on parle d'images manquantes, mais on pourrait parler d'images absentes
00:21:50 en enlevant ce qu'induit le manque, le terme de manque.
00:21:55 Davantage que de plaquer un récit sur des images de...
00:21:59 Tu appelles ça des images de comblement, mais donc des images, on va dire, contextuelles.
00:22:02 Parce que par exemple, il existe des documentaires sur la guerre en Algérie.
00:22:07 Comment au mieux raconter la guerre, la violence, etc. ?
00:22:10 Ou tout ce qu'on a envie de raconter quand on s'intéresse à la guerre en Algérie.
00:22:14 Quand on n'a pas d'image ou comment...
00:22:17 Dès qu'on fait un petit pas de côté, est-ce qu'on devient un falsificateur nous-mêmes des faits ?
00:22:21 Ou de...
00:22:22 Qu'est-ce qu'on produit quand on utilise des images qui sont un petit peu à côté ?
00:22:27 - Je pense quand on fait du documentaire historique
00:22:29 ou quand on parle d'une réalité qui n'est pas celle des spectateurs ou des spectatrices,
00:22:34 l'enjeu, il est redoublé.
00:22:36 L'enjeu de la nécessité de mettre une image,
00:22:38 il est redoublé du fait que cette...
00:22:41 De cette question de l'image mentale, c'est-à-dire qu'à un moment,
00:22:43 à partir de quoi on produit nos images mentales ?
00:22:45 Et donc si je dis...
00:22:47 Un bombardement au Napalm,
00:22:49 qu'est-ce que ça va vous évoquer ?
00:22:51 Vraisemblablement plus l'apocalypse Nao
00:22:53 que l'Algérie.
00:22:55 Mais oui, mais c'est un problème, parce que ce n'est pas du tout les mêmes avions,
00:22:59 ce n'est pas du tout les mêmes manières de brûler,
00:23:01 ce n'est pas les mêmes... Voilà.
00:23:03 Donc il y a peut-être besoin aussi de...
00:23:06 Pour certaines images mentales,
00:23:10 d'être averti du fait que...
00:23:12 Si on ne les propose pas en images réelles,
00:23:15 il y a peut-être des risques de...
00:23:17 De misperception,
00:23:19 enfin de décalage dans la perception.
00:23:21 Et en fait, ça c'est aussi le...
00:23:23 Voilà.
00:23:25 Éclairer les conditions de possibilité,
00:23:27 les conditions de possibilité, c'est vraiment ça,
00:23:29 une des marches d'histoire, en fait.
00:23:31 Mais en fait, de déconstruction de vos sources aussi, j'imagine.
00:23:34 C'est-à-dire, pourquoi en fait,
00:23:36 ces images sont à ma disposition ?
00:23:38 En fait, je pense qu'il faut d'abord s'en méfier, quand on fait un film.
00:23:40 Pourquoi j'ai trouvé ces images ?
00:23:44 Quelles sont celles que je n'ai pas trouvées
00:23:46 et qu'il faudrait que je cherche ?
00:23:48 Et pourquoi est-ce qu'on me propose ça comme image, finalement,
00:23:50 quand je cherche dans, je ne sais pas, les bases de données ou les...
00:23:52 Bref, peu importe.
00:23:54 Déjà, comprendre ce qu'on...
00:23:56 De quoi on est les contemporaines.
00:23:58 Et s'en méfier.
00:24:00 Donc pour répondre à ta question, moi j'ai un exemple
00:24:02 évidemment très précis en tête,
00:24:04 qui est l'embuscade de Palestro, sur laquelle j'ai longuement travaillé,
00:24:07 pour essayer de comprendre pourquoi elle avait marqué l'imaginaire français.
00:24:10 C'est une embuscade pendant la guerre d'Algérie en 1956,
00:24:12 dans laquelle une section française est tuée.
00:24:15 Donc c'est à la fois très meurtrier
00:24:17 à l'échelle de ce qu'est la guerre d'Algérie pour l'armée française,
00:24:19 et pas extraordinaire.
00:24:21 Il y en a d'autres, des embuscades,
00:24:23 parfois plus meurtrières. Et pourtant, c'est celle-là
00:24:25 qui domine dans l'imaginaire. Donc c'est ça qui m'a
00:24:27 interpellée comme historienne de comprendre pourquoi,
00:24:29 alors qu'il n'y avait pas objectivement
00:24:31 de différence avec d'autres embuscades,
00:24:33 c'était celle-là qui avait imprimé
00:24:35 l'imaginaire français de l'époque.
00:24:37 Et donc j'ai travaillé sur l'imaginaire, mais peu importe,
00:24:39 je ne vais pas vous raconter ça. Mais quand on a
00:24:41 travaillé sur,
00:24:43 pour adapter mon livre en documentaire
00:24:45 avec Rémi Lenné,
00:24:47 la question s'est posée de
00:24:49 voilà, est-ce qu'on donne des images ?
00:24:51 Donc on cherche des images,
00:24:53 il n'y a pas d'image. Il n'y a aucune image.
00:24:55 Ça n'empêche pas certains autres documentaires
00:24:57 sur la guerre d'Algérie,
00:24:59 de mettre des images
00:25:01 de corps mutilés,
00:25:03 ils parlent de l'embuscade de Palestro.
00:25:05 Donc d'autres documentaristes font d'autres choix.
00:25:07 En tant qu'historienne,
00:25:09 moi ça me choque terriblement parce que je ne crois pas
00:25:11 faire ça, mais en tout cas voilà, il y a d'autres choix
00:25:13 qui ont été faits, d'utiliser
00:25:15 d'autres corps pour illustrer
00:25:17 des corps mutilés.
00:25:19 C'est d'autant plus gênant,
00:25:21 on peut peut-être discuter du fait qu'il y a
00:25:23 une légitimité à le faire pour certaines
00:25:25 raisons, mais pour moi c'est d'autant plus gênant
00:25:27 que dans le cas de l'embuscade de
00:25:29 Palestro, les corps n'ont pas été mutilés.
00:25:31 En fait, il se dit que
00:25:33 les corps ont été mutilés, le mythe
00:25:35 est une des raisons
00:25:37 de la force de l'imaginaire, c'est
00:25:39 l'imaginaire de la mutilation
00:25:41 qui renvoie à
00:25:43 le rapport de la France à l'Algérie, qui renvoie
00:25:45 à la force du lieu Palestro dans
00:25:47 l'histoire coloniale française, enfin plein de choses.
00:25:49 Mais précisément, personne
00:25:51 n'a apporté la preuve de ces mutilations.
00:25:53 C'est un pur... de mon point de vue, c'est un mythe.
00:25:55 Alors quand des
00:25:57 documentaristes l'illustrent,
00:25:59 je trouve qu'ils font une double faute d'une certaine manière.
00:26:01 Donc, voilà, mais ça peut...
00:26:03 J'aimerais en discuter avec eux sans doute, mais voilà.
00:26:05 Donc là, en l'occurrence, je trouvais plus intéressant
00:26:07 de montrer pourquoi il n'y avait pas d'images,
00:26:09 contrairement à ce qu'on croit
00:26:11 et...
00:26:13 voilà, et donc c'est un autre sujet, mais voilà, pourquoi
00:26:15 il n'y a pas d'images à l'époque ? Parce qu'il n'y a pas de
00:26:17 reporter, il n'y a pas d'interdiction d'accès
00:26:19 au terrain, enfin il n'y a pas d'interdiction. - Et d'autant que le manque d'images
00:26:21 lui-même, à l'époque,
00:26:23 le manque contemporain d'images lui-même a nourri cet
00:26:25 ingénieur sur...
00:26:27 - Non, puis les images ont été fabriquées, c'est-à-dire qu'à l'époque,
00:26:29 on est en guerre, on voit bien ça aujourd'hui,
00:26:31 on est en guerre, donc il faut évidemment se méfier de toutes les images,
00:26:33 et donc la propagande française
00:26:35 produit, produit des images
00:26:37 pour dire l'horreur,
00:26:39 la barbarie, la sauvagerie, etc.
00:26:41 Et donc, la mutilation, rien que
00:26:43 le mot, et c'est aussi le mot
00:26:45 "dégorgement" et "démasculation",
00:26:47 ces mots-là, ils ont une puissance évocatrice énorme,
00:26:49 donc voilà.
00:26:51 Et si en plus on met des images,
00:26:53 ce qu'a fait la propagande française de l'époque,
00:26:55 et si on continue
00:26:57 à le faire, on est finalement toujours un peu dans cette
00:26:59 dans cette lignée.
00:27:01 - Alors, je me
00:27:05 permets de regarder l'heure, pardon.
00:27:07 Ça va,
00:27:09 5 minutes.
00:27:11 Pour finir, peut-être
00:27:13 que... Je parlais tout à l'heure de la
00:27:15 connotation du manque et de
00:27:17 l'utilisation d'un terme d'absence d'images, comment
00:27:19 on pourrait... Est-ce qu'il y a différentes catégories
00:27:21 d'images manquantes, selon toi ?
00:27:23 Pour quelles raisons, finalement,
00:27:25 manquent-elles ? Elles peuvent être très diverses,
00:27:27 ces raisons. Elles ne sont d'ailleurs pas forcément
00:27:29 de raisons ni
00:27:31 politiques ou quoi. Mais quelles sont les différentes
00:27:33 raisons du manque ?
00:27:35 - Alors, ça aussi, je pense que...
00:27:37 J'ai bien vu la présentation de la journée où il y avait déjà
00:27:39 une espèce de typologie des images manquantes.
00:27:41 Moi, en tant qu'historienne, j'essayais plutôt de réfléchir
00:27:43 comme ça, c'est-à-dire, il faut revenir
00:27:45 aux questions techniques de production des images,
00:27:47 c'est-à-dire, on n'a pas les mêmes capacités
00:27:49 à enregistrer le réel
00:27:51 selon les endroits,
00:27:53 selon les moments, bien sûr,
00:27:55 selon les budgets.
00:27:57 Donc, voilà, ça c'est vraiment...
00:27:59 Donc, voilà, ne pas surinterpréter le manque,
00:28:01 ne pas surpolitiser
00:28:03 le manque, par exemple.
00:28:05 Donc, se rappeler, c'est sans doute
00:28:07 une évidence pour vous, mais en histoire,
00:28:09 parfois, pas, la dimension technique du réel
00:28:11 échappe parfois à mes collègues,
00:28:13 et à moi aussi, bien sûr, mais...
00:28:15 Donc, non, il y a un vrai verrou
00:28:17 technique, j'imagine,
00:28:19 et puis contextuel, politique,
00:28:21 et donc, s'intéresser
00:28:23 encore une fois aux conditions de possibilité d'une image,
00:28:25 c'est-à-dire, est-ce qu'on a même trouvé
00:28:27 intéressant de filmer un certain nombre de choses
00:28:29 à une époque ? Qu'est-ce qui fait, quand le film est cher,
00:28:31 que les deux minutes qu'on a
00:28:33 de bobine, on va les utiliser
00:28:35 à filmer ça, plutôt que ça ?
00:28:37 Qu'est-ce que c'est qu'une sensibilité d'une époque
00:28:39 qui fait que, voilà, ça s'est perçu comme
00:28:41 valant le coup d'être enregistré
00:28:43 pour des gens qui ont une caméra ?
00:28:45 Après, il y a la question, pareil,
00:28:47 là aussi, comme historienne, je vous réponds,
00:28:49 de conservation, et vous le savez bien,
00:28:51 la fragilité du film, etc. Donc,
00:28:53 il y a des images juste qui ont disparu,
00:28:55 pour des raisons purement et tristement
00:28:57 de support.
00:28:59 Et puis, voilà,
00:29:01 les conditions de production, c'est aussi les interdits,
00:29:03 la censure, les thèmes interdits,
00:29:05 les destructions d'images. - Dans le cas de l'Algérie,
00:29:07 précisément,
00:29:09 quelles sont-ils à l'époque et aujourd'hui ?
00:29:11 - Alors, à l'époque de la
00:29:13 guerre d'Algérie, donc qui n'est pas une guerre,
00:29:15 c'est intéressant de comprendre le contexte, parce que qui dit
00:29:17 que c'est pas une guerre dit que la censure peut pas être
00:29:19 frontale, mais en réalité
00:29:21 elle l'est quand même. Voilà.
00:29:23 Donc, tout simplement, l'accès au
00:29:25 terrain militaire est interdit, par exemple. Totalement
00:29:27 interdit, on n'a pas le droit d'avoir
00:29:29 une caméra ou... Je parle des soldats, là, qui n'ont
00:29:31 pas le droit de filmer. Évidemment, il n'y a aucun journaliste
00:29:33 autorisé. Et donc,
00:29:35 il y a quelques journalistes un peu
00:29:37 embedded, c'est-à-dire qu'ils sont appelés à venir
00:29:39 quand on a besoin d'eux, mais,
00:29:41 voilà, dans des mises en scène qui sont préparées par l'armée.
00:29:43 Inversement, le pouvoir
00:29:45 de l'image est très important dans la guerre d'Algérie,
00:29:47 puisqu'il y a... C'est un grand moment
00:29:49 d'émergence de ce
00:29:51 que l'armée appelle l'action psychologique,
00:29:53 la guerre psychologique. Donc, on fait la guerre
00:29:55 avec les images. Et donc, on va produire
00:29:57 beaucoup de photos et de films
00:29:59 à destination des civils algériens.
00:30:01 Et donc, il y a des
00:30:03 cinémas itinérants en Algérie, où
00:30:05 on dresse un drap et on projette
00:30:07 devant des villageois
00:30:09 plus ou moins volontaires pour être là,
00:30:11 des images qui vont expliquer
00:30:13 l'intérêt de soutenir
00:30:15 l'Algérie française. Donc, voilà.
00:30:17 L'image, c'est évidemment une matière politique
00:30:19 profondément dans cette guerre.
00:30:21 - Et aujourd'hui, il n'y a pas
00:30:23 spécifiquement de restrictions à l'accès
00:30:25 d'images, justement, de la guerre. C'est-à-dire que...
00:30:27 Parce qu'ils n'avaient pas le droit de filmer, mais pour autant,
00:30:29 certains filmaient, certains appelaient ou rappelaient filmer.
00:30:31 Ils ne voyaient pas forcément
00:30:33 leurs images, mais bon, il y a eu quand même une circulation
00:30:35 des images qui s'est opérée
00:30:37 soit à ce moment-là, soit après.
00:30:39 - Non, non, à ma connaissance...
00:30:41 En fait, ce qui est très, très intéressant
00:30:43 dans le moment qu'on vit en ce moment,
00:30:45 c'est-à-dire qu'on est 60 ans après la fin de la guerre,
00:30:47 les appelés, ils avaient une vingtaine d'années,
00:30:49 et donc depuis
00:30:51 moins de 10 ans,
00:30:53 il y a vraiment un mouvement de
00:30:55 versement dans les cinémathèques
00:30:57 en France de films amateurs.
00:30:59 Et donc, d'appelés,
00:31:01 mais aussi de Français d'Algérie,
00:31:03 ceux qui avaient des caméras à l'époque,
00:31:05 donc beaucoup moins d'Algériens, évidemment,
00:31:07 sont capables, à l'époque, d'accéder à ça.
00:31:09 Et donc ça, ça donne un renouvellement
00:31:11 pour le documentaire qui est très intéressant,
00:31:13 parce qu'on a vraiment, dans la série de documentaires
00:31:15 que j'ai co-écrite avec Raphaël Levandowski,
00:31:17 on a beaucoup utilisé ces images amateurs
00:31:19 qui n'étaient pas disponibles
00:31:21 il y a 15 ans, enfin, qui étaient
00:31:23 beaucoup moins disponibles il y a 15 ans. Donc ça, c'est vraiment,
00:31:25 on peut s'en féliciter. Donc c'est pas du tout un obstacle politique,
00:31:27 c'est juste que ça dormait dans les greniers,
00:31:29 et que maintenant... Et puis qu'il y a un investissement
00:31:31 pour les restaurer aussi, donc c'est plutôt chouette.
00:31:33 - C'est encourageant, c'est que l'image manquante
00:31:35 d'avant sera l'image de demain.
00:31:37 - Mais il y a un déficit colonial qui est toujours là,
00:31:39 entre ce que les Français ont pu enregistrer
00:31:41 et ce que les Algériens ont pu enregistrer.
00:31:43 - Merci beaucoup, Raphaël.
00:31:45 On va s'arrêter là. - Merci à vous.
00:31:47 [Applaudissements]
00:31:49 [Silence]
00:31:51 [Silence]
00:31:53 [Silence]
00:31:55 [Silence]
00:31:57 - Alors, je vais pas présenter...
00:31:59 Enfin, si, je vais le présenter quand même,
00:32:01 alors par politesse. Ritty Pan,
00:32:03 donc le réalisateur de...
00:32:05 de ce film qui s'appelle
00:32:07 "L'image manquante", et qui a donné
00:32:09 aussi le titre à "Cette journée".
00:32:11 Ritty Pan,
00:32:13 vous connaissez sa filmographie,
00:32:15 son immense filmographie,
00:32:17 non pas forcément en termes de nombre de titres,
00:32:19 mais de...
00:32:21 de travail en profondeur sur...
00:32:23 notamment sur le cinéma,
00:32:25 à propos du génocide,
00:32:27 de Khmer,
00:32:29 mais aussi de cette période politique,
00:32:31 mais aussi d'autres...
00:32:33 d'autres éléments.
00:32:35 Le film "L'image manquante" a reçu le prix
00:32:37 d'un certain regard au Festival de Cannes,
00:32:39 et le dernier film sur lequel vous avez
00:32:41 travaillé ensemble
00:32:43 a, lui, reçu un ours d'argent
00:32:45 au Festival de Berlin.
00:32:47 C'était il y a deux ans, c'est ça, hein ?
00:32:49 C'était il y a deux ans.
00:32:51 "Everything will be OK", il y a deux ans.
00:32:53 Donc, voilà.
00:32:55 Alors, c'est un travail particulier,
00:32:57 un travail de Riti,
00:32:59 parce que c'est pas
00:33:01 un travail tout à fait solitaire.
00:33:03 C'est un travail permanent avec
00:33:05 Christophe Bataille, qui est là.
00:33:07 Christophe Bataille est écrivain.
00:33:09 Christophe Bataille est romancier.
00:33:11 Christophe...
00:33:13 Vous avez vu sur la fiche de...
00:33:15 de présentation
00:33:17 que Christophe a,
00:33:19 évidemment, son propre travail.
00:33:21 Il est aussi éditeur.
00:33:23 Et... Mais...
00:33:25 Les textes des films sont
00:33:27 écrits à quatre mains, véritablement.
00:33:29 Et Christophe n'est pas le
00:33:31 traducteur du tout de Riti.
00:33:33 Christophe n'est pas l'interprète,
00:33:35 mais c'est un... - Son esclave.
00:33:37 - Comment ? - Je suis son esclave. - Voilà, c'est ça.
00:33:39 Alors ça, je sais pas si Riti
00:33:41 dirait la même chose, hein ?
00:33:43 Si, il le dit aussi, oui, en rigolant, oui.
00:33:45 Mais...
00:33:47 Mais ce qui nous intéresse aussi, c'est ce rapport entre
00:33:49 l'écriture et l'image, qui est particulièrement
00:33:51 marqué. On le voit bien dans "Muriel",
00:33:53 d'ailleurs. Ce que j'avais oublié, c'est
00:33:55 le récit, la voix, la parole, doit
00:33:57 être construite quand
00:33:59 l'image manque ou quand l'image,
00:34:01 finalement, manque, mais il est
00:34:03 peut-être bien de ne pas la montrer.
00:34:05 À cause de l'effet de sidération dont
00:34:07 vous parlez. Donc le travail de Christophe
00:34:09 et de Riti est un travail assez
00:34:11 passionnant, parce que là, j'ai pris deux des bouquins,
00:34:13 n'oubliez pas, "L'image manquante" est
00:34:15 paru chez Grasset. C'est aussi un livre.
00:34:17 Et si vous vous intéressez
00:34:19 particulièrement aux films et aux livres,
00:34:21 vous apercevez qu'il y a des choses qu'il y a dans le livre
00:34:23 qu'il n'y a pas dans le film, et vice-versa.
00:34:25 Et de la même façon,
00:34:27 autre livre, il me semble que
00:34:29 c'est le dernier, que vous avez écrit ensemble,
00:34:31 "La paix avec les morts".
00:34:33 Qui travaille ça ? C'est-à-dire
00:34:35 que quand il y a des choses qui
00:34:37 manquent dans les récits, il n'y a pas
00:34:39 de paix. Comment trouver cette paix ? Qu'est-ce que
00:34:41 c'est que la paix ?
00:34:43 J'allais dire "contre l'oubli", c'est une formule toute
00:34:45 faite, mais qu'est-ce que c'est que faire la paix ?
00:34:47 C'était aussi le sujet
00:34:49 d'un des derniers films que vous avez fait ensemble,
00:34:51 "La terre des hommes errantes".
00:34:53 Donc voilà.
00:34:55 Alors, on va commencer pendant
00:34:57 que nos amis Séchine a trouvé
00:34:59 une connexion positive,
00:35:01 une connexion forte. On est à ce
00:35:03 point, en fait,
00:35:05 nos vies dépendent de la solidité
00:35:07 de nos connexions. C'est quand même assez dingue.
00:35:09 Alors nos vies n'exagérons rien, puisque la vie
00:35:11 va être là, et qu'on va en parler avec Christophe. Donc je voudrais
00:35:13 commencer en disant que
00:35:15 c'est un travail double, c'est le fruit
00:35:17 d'un dialogue, tous vos films.
00:35:19 Et puis celui-là, c'est aussi un film sur
00:35:23 le cinéma, les images.
00:35:25 Et c'est
00:35:27 parfois... c'est un film
00:35:29 très dialectique, et qu'il y a
00:35:31 tant de choses à dire qu'il est difficile de le saisir, même
00:35:33 après l'avoir vu, je ne sais pas,
00:35:35 une dizaine de fois.
00:35:37 Donc voilà, il y a un élément
00:35:39 qui rarement est un élément probant,
00:35:41 qui sont les bandes-annonces.
00:35:43 C'est rarement probant.
00:35:45 Sur un film, une bande-annonce est faite pour vendre.
00:35:47 C'est uniquement fait pour ça, il n'y a pas de raison que ce soit
00:35:51 autre chose, en fait. Et bien celle-là,
00:35:53 elle parcourt le film, elle parcourt les problématiques
00:35:55 du film, et on va peut-être la montrer
00:35:57 tout de suite. Est-ce qu'on peut montrer
00:35:59 la B.A. ? Donc extrait
00:36:01 numéro 1.
00:36:03 Oui, parce que c'est la bande-annonce
00:36:05 internationale, donc peut-être que tu ne l'as même pas vue,
00:36:07 en fait. - Pourquoi non ?
00:36:09 - Elle est là. Si tu veux, en t'asseyant là, tu l'as
00:36:11 en regard.
00:36:13 [Musique]
00:36:15 [Musique]
00:36:17 [Musique]
00:36:19 Il y a tant d'images dans le monde,
00:36:21 qu'on croit avoir tout vu,
00:36:23 tout pensé. Depuis des années,
00:36:25 je cherche une image qui manque.
00:36:27 Une photographie
00:36:29 prise entre 1975
00:36:31 et 1979
00:36:33 par l'Ekmer Rouge, quand il dirigeait
00:36:35 le Cambodge. A elle seule,
00:36:37 bien sûr,
00:36:39 une image ne prouve pas le crime de masse.
00:36:41 Mais elle donne à penser,
00:36:43 à méditer,
00:36:45 à bâtir l'histoire.
00:36:47 [Bruits de moteurs]
00:36:49 [Bruits de moteurs]
00:36:51 [Bruits de moteurs]
00:36:53 [Bruits de moteurs]
00:36:55 [Bruits de moteurs]
00:36:57 [Bruits de moteurs]
00:36:59 [Bruits de moteurs]
00:37:01 [Bruits de moteurs]
00:37:03 Je l'ai cherché en vain dans les archives,
00:37:05 dans les papiers,
00:37:07 dans les campagnes de mon pays.
00:37:09 Maintenant,
00:37:11 je sais, cette image
00:37:13 doit manquer. Et je ne la
00:37:15 cherchais pas. Ne serait-elle
00:37:17 pas obscène et sans
00:37:19 signification ? Alors,
00:37:21 je la fabrique.
00:37:23 Ce que je vous donne aujourd'hui
00:37:25 n'est pas une image, ou la
00:37:27 quête d'une seule image,
00:37:29 mais l'image d'une quête,
00:37:31 celle que permet le cinéma.
00:37:33 [Bruits de moteurs]
00:37:35 [Bruits de moteurs]
00:37:37 [Bruits de moteurs]
00:37:39 [Bruits de moteurs]
00:37:41 [Bruits de moteurs]
00:37:43 [Bruits de moteurs]
00:37:45 [Bruits de moteurs]
00:37:47 [Bruits de moteurs]
00:37:49 [Bruits de moteurs]
00:37:51 [Bruits de moteurs]
00:37:53 Bon, donc, voilà, c'est
00:37:55 le pantalon pour vendre, comme disait
00:37:57 quelqu'un que
00:37:59 beaucoup connaissent. Mais
00:38:01 néanmoins, il dit beaucoup de choses et qui
00:38:03 semblent en fait contradictoires. Il y a une image
00:38:05 qui manque, mais en fait elle ne manque pas.
00:38:07 Moi j'ai juste une question. Est-ce que
00:38:09 dès le départ,
00:38:11 il y a une quête, elle est donnée, c'est d'ailleurs
00:38:13 les premières phrases du film.
00:38:15 "Au milieu
00:38:17 de la ville, enfance revient, c'est une eau douce
00:38:19 et amère, mon enfant je la cherche comme une image
00:38:21 perdue, ou plutôt c'est elle qui me
00:38:23 réclame." Est-ce que dès le départ
00:38:25 c'est ça ce qui s'impose dans
00:38:27 le film ? - En fait, ce qui est assez
00:38:29 particulier pour... - Oui, parce qu'ils
00:38:31 travaillent ensemble depuis le début, à chaque fois.
00:38:33 C'est tout projet de film est conjoint.
00:38:35 - Déjà je ne parle que
00:38:37 parce que Ritty est d'accord.
00:38:39 Moi quand j'étais, lui, il y a 15 ans,
00:38:41 le pauvre a
00:38:43 enterré, dit-il,
00:38:45 300-400 personnes dans les
00:38:47 Canques-Mers-Rouges. Il a
00:38:49 enterré le corps de sa mère, de son père.
00:38:51 Moi j'étais un enfant français
00:38:53 dans un lycée tranquille.
00:38:55 Donc je ne parle qu'avec son aval, jamais
00:38:57 je ne me prononcerai sans son assentiment.
00:39:01 Il m'a d'emblée dit
00:39:03 "On va faire un film qui s'appelle "L'image manquante".
00:39:05 Une image très théorique parce que
00:39:09 il la cherche mais elle n'existe pas.
00:39:11 On pense forcément au fameux débat
00:39:13 avec Didier Uberman
00:39:15 sur est-ce qu'il y a des images de chambre
00:39:17 à gaz, de four crématoire, etc.
00:39:19 Est-ce qu'il faut les créer ? Est-ce qu'il faut les voir ? Est-ce qu'il faut les
00:39:21 imaginer ?
00:39:23 Mais le pacte initial,
00:39:25 moi c'est ça qui me passionne avec
00:39:27 Ritty, c'est le flou.
00:39:29 C'est-à-dire qu'il ne m'a jamais dit
00:39:31 que faire. Et c'est là que
00:39:33 c'est travaillé avec un grand cinéaste.
00:39:35 C'est qu'il m'envoyait tous les soirs
00:39:37 pendant un an
00:39:39 des images sur WhatsApp.
00:39:41 Et je me souviens très bien du premier jour,
00:39:43 il m'a dit "Demain je t'envoie des images,
00:39:45 tu verras c'est un peu bizarre, c'est anglaise".
00:39:47 Et j'ai pas osé lui dire
00:39:49 "Anglaise" mais qu'est-ce que ça veut dire "c'est anglaise" ?
00:39:51 Et puis j'ai compris que c'était
00:39:53 ces petites figurines
00:39:55 qu'il faisait tailler par son
00:39:57 ami Tho au Cambodge.
00:39:59 Et donc j'ai reçu une séquence
00:40:01 de 1 minute 30, sans son.
00:40:03 Et tout de suite,
00:40:07 je n'oublierai jamais cet instant, je me suis dit
00:40:09 peut-être qu'il est en train de faire un chef-d'oeuvre
00:40:11 parce que je ne connais pas
00:40:13 d'équivalent. Alors il y a des choses en art contemporain,
00:40:15 on a tous
00:40:17 connaissance ou vu la jetée,
00:40:19 filmer des photos,
00:40:21 faire des travellings le long
00:40:23 de personnages qui ne bougent pas,
00:40:25 faire des projections d'images,
00:40:27 il y a des projections sur des draps,
00:40:29 sur des personnages, il y a des vraies images
00:40:31 d'archives. Donc tout ça me paraissait assez
00:40:33 flou et je recevais comme travail hériti
00:40:35 tous les jours
00:40:37 des images
00:40:39 en plus, qui parfois
00:40:41 étaient les mêmes, qui parfois
00:40:43 étaient remontées, et
00:40:45 il me disait "envoie-moi du texte".
00:40:47 Une sorte de distributeur
00:40:49 automatique, non pas de billets mais de mots.
00:40:51 Alors évidemment, ma position
00:40:53 était particulière, c'est que deux ans
00:40:55 auparavant avait été publié
00:40:57 son récit personnel
00:40:59 qui s'appelle "L'élimination". Et donc moi
00:41:01 j'avais une petite chance par rapport à d'autres,
00:41:03 c'est que je reconnais les personnages.
00:41:05 Je sais que tel petit
00:41:07 monsieur qui a le krama
00:41:09 cambodgien, c'est peut-être
00:41:11 un mauvais
00:41:13 héros de S21,
00:41:15 est-ce que c'est Dutch à "Toolslingue" ?
00:41:17 Je sais que le grand chef,
00:41:19 c'est Paul Potts, puisqu'il y a un livre de
00:41:21 Staline à côté de lui.
00:41:23 Donc ça c'était une aide évidemment technique
00:41:25 très forte. Mais la seule chose
00:41:27 qu'il m'a dite, c'est écrit
00:41:29 "Romance".
00:41:33 Alors là j'étais
00:41:35 stupéfait,
00:41:37 mais tout est vrai,
00:41:39 tout est...
00:41:41 Et puis surtout, évite les grands mots.
00:41:43 Je ne veux pas
00:41:45 qu'il y ait le mot "totalitarisme".
00:41:47 Par contre tu peux parler des fourmis,
00:41:49 des haricots,
00:41:51 de la faim, de la feuille
00:41:53 de tôle dans laquelle mon
00:41:55 père a été
00:41:57 enveloppé avant d'être enterré,
00:41:59 que ce soit simple.
00:42:01 Et puis d'emblée j'ai compris
00:42:03 ce que faisait Ritty toujours, c'est-à-dire
00:42:05 travailler la répétition,
00:42:07 aller revenir là. Donc les images
00:42:09 qu'on voit du début,
00:42:11 la vague qui emporte la caméra
00:42:13 elle est à la fois au début du film et
00:42:15 à la fin. Et moi j'ai été...
00:42:17 J'ai trouvé sublime
00:42:19 ce côté simplicité
00:42:21 du cinéma, puisque avant Raphaël Branche
00:42:23 parlait des moyens
00:42:25 et de la technicité. Là c'est quelqu'un
00:42:27 qui était au Cambodge, qui travaille
00:42:29 avec quelques copains,
00:42:31 quelqu'un qui faisait des rampes d'escalier
00:42:33 et qui s'est mis sur le
00:42:35 conseil de Ritty à faire des centons
00:42:37 anglaises, des centons par
00:42:39 centaines, parce qu'avec la chaleur
00:42:41 il casse, il faut recommencer, etc.
00:42:43 Un type en France qui est moi,
00:42:45 qui envoie des phrases,
00:42:47 des phrases, des phrases,
00:42:49 sans que jamais Ritty me dise
00:42:51 "c'est bien, c'est mal,
00:42:53 c'est chiant".
00:42:55 Il ne m'a jamais rien dit.
00:42:57 Donc j'ai fait un texte qui fait, je pense,
00:42:59 quatre fois la taille du film.
00:43:01 Ce qui dit aussi
00:43:03 quelque chose sur le travail
00:43:05 de montage fait par Ritty,
00:43:07 et puis fait par les gens qui travaillent avec
00:43:09 Ritty.
00:43:11 Et donc j'ai été dans une sorte d'immense
00:43:13 liberté. Alors on peut appeler ça
00:43:15 de la fraternité,
00:43:17 de l'amitié,
00:43:19 de la compétence partagée, au moins,
00:43:21 sur ce qui s'est passé dans ce drôle de pays.
00:43:23 Mais ça a été ça,
00:43:25 le mode d'écriture. - Est-ce que, dès le départ,
00:43:27 il qualifie cette image manquante
00:43:29 qui fait le titre du film ? Parce que quand on
00:43:31 voit le film, elle évolue. On ne sait pas
00:43:33 de quelle image il parle. Qu'est-ce qui
00:43:35 manque ? Est-ce qu'il la qualifie
00:43:37 au départ ? - Oui, parce que déjà il manque une image
00:43:39 diabolique. Enfin, moi je l'appelle diabolique,
00:43:41 mais je sais que si Ritty était en ligne,
00:43:43 il dirait qu'il ne faut pas diaboliser
00:43:45 ces hommes ordinaires.
00:43:47 Il manque une image quand même un peu troublante
00:43:49 qui est qu'on sait que Dutch,
00:43:51 le patron
00:43:53 du centre S21,
00:43:55 - Le centre de torture. - Le centre de torture, l'espèce de centre
00:43:57 expérimental le plus poussé
00:43:59 de torture du Cambodge, qui était au centre
00:44:01 de la ville, Phnom Penh,
00:44:03 vidée de ses 2 millions d'habitants.
00:44:05 Mais il restait les décisions que met
00:44:07 Rouges, et le centre de torture.
00:44:09 Et on sait que
00:44:11 Dutch, qui était très féru de culture,
00:44:13 ce que raconte Ritty
00:44:15 dans "Le maître des forges de l'enfer",
00:44:17 rêvait d'avoir une photographie de la
00:44:19 Lune. Parce qu'au Cambodge,
00:44:21 la Lune, ça compte.
00:44:23 Les fantômes, les apparitions,
00:44:25 les sorcières dont les langues
00:44:27 vont jusqu'au sol et vous font peur.
00:44:29 Et un des
00:44:31 4-5 photographes de S21,
00:44:33 un seul a survécu,
00:44:35 celui qui fait les fameuses photos
00:44:37 d'identité qui ont été après en
00:44:39 vente sur Internet, s'était vu
00:44:41 demander de faire des photos
00:44:43 de la Lune, qu'il a donné à Dutch
00:44:45 et qu'on n'a jamais retrouvé. Donc il y avait déjà
00:44:47 cette espèce d'image un peu troublante.
00:44:49 Et puis on pense quand même
00:44:51 que, de la même façon que le peintre
00:44:53 Van Naat est resté un an
00:44:55 dans S21 à peindre des portraits
00:44:57 de Pol Pot, à faire des sculptures,
00:44:59 on pense qu'une partie des photographes
00:45:01 a sans doute photographié
00:45:03 des images de torture
00:45:05 pour montrer les corps.
00:45:07 Il y a la photo de
00:45:09 la célèbre Bo Pana, mais il y avait
00:45:11 aussi par exemple la photo de Koy Tourne
00:45:13 qui était le ministre de l'Industrie
00:45:15 qui était torturé pendant un mois
00:45:17 à S21 avant de mourir. On pense qu'il y a peut-être
00:45:19 des photos qui ont été faites
00:45:21 de Chung Ek, qui est le centre d'exécution
00:45:23 qui est à 15 km hors de la ville.
00:45:25 Donc il y a ces photos diaboliques.
00:45:27 Et puis il y a les photos positives, là le "dit comme ça"
00:45:29 c'est un peu scolaire.
00:45:31 Et Ritty rêvait d'avoir une photo
00:45:33 de sa famille.
00:45:35 Il a quelques photos de ses parents,
00:45:37 mais une famille reconstituée avec ses
00:45:39 7 ou 8 frères et sœurs.
00:45:41 De reconstituer
00:45:43 ces instants. De la même façon
00:45:45 qu'on a quand même quelques images de l'ambassade
00:45:47 de France, le jour où elle est
00:45:49 encerclée.
00:45:51 Et c'est vrai qu'il y allait avec
00:45:55 moi une phrase qui ne m'a jamais dit de lui, mais que j'aime
00:45:57 beaucoup de Saint-Jean de Perse, qui est
00:45:59 "Je vous hais tous avec douceur".
00:46:01 C'est-à-dire dans tous les cas,
00:46:03 aller à bonne vision
00:46:05 humaine. On peut interviewer
00:46:07 Dutch pendant 600 heures comme il l'a fait,
00:46:09 sans se battre.
00:46:11 Et avec la faculté, qui est sa grande obsession,
00:46:13 de toucher l'autre.
00:46:15 De pouvoir se dire "Fabrice,
00:46:17 si je suis le tortionnaire
00:46:19 ou l'inverse, on peut quand même se toucher,
00:46:21 s'approcher, pour approcher
00:46:23 non pas l'idée, mais la cause
00:46:25 même, la cause charnelle.
00:46:27 Donc l'image m'en compte, elle est très changeante.
00:46:29 Et par ailleurs, c'est elle qui nous regarde, puisqu'à la fin du film...
00:46:31 - On y viendra
00:46:33 après, parce qu'on va montrer un extrait
00:46:35 de la fin. Mais effectivement,
00:46:37 elle est indéterminée, cette image. C'est celle
00:46:39 de l'enfance, celle de la mort, celle de la torture,
00:46:41 c'est celle de l'ensevelissement des
00:46:43 corps, celle de la famine.
00:46:45 - C'est bien de ne pas la trouver. - Voilà. Par contre, il y a plein d'images
00:46:47 qui ne manquent pas.
00:46:49 Qu'est-ce que, dans le film, on entend souvent,
00:46:51 on vous entend dire,
00:46:53 par la voix du comédien,
00:46:55 on vous entend souvent dire,
00:46:57 "et il y a ces images qui ne manquent
00:46:59 pas". - Par exemple,
00:47:01 on a des images très belles. - Et elles sont
00:47:03 très, très, très fortes dans le film.
00:47:05 Elles sont très nombreuses, pour le coup. - Très nombreuses.
00:47:07 D'abord, il y a des images
00:47:09 très belles et très troublantes. On a
00:47:11 les images des avions américains
00:47:13 qui, sous l'air des prédécesseurs,
00:47:15 le général Londoll,
00:47:17 qui était un pro-américain.
00:47:19 On voit les images de bombardements
00:47:21 en Apalme de la forêt, qui expliquent
00:47:23 quand même aussi la colère,
00:47:25 la pureté, le désir de pureté.
00:47:27 Il y a des images cachées.
00:47:29 Par exemple,
00:47:31 il y a un instant, je crois que
00:47:33 le personnage dit, "tout commence
00:47:35 par la pureté
00:47:37 et finit par la haine".
00:47:39 Et ça, en fait, c'est une phrase de Camus
00:47:41 qu'on a tordue avec Ritty.
00:47:43 C'est pas tout à fait une image, mais les mots aussi,
00:47:45 ils fabriquent des images. Les premières lignes du film,
00:47:47 "au milieu de la vie, l'enfant se revient",
00:47:49 c'est la seule phrase que m'a donnée Ritty.
00:47:51 C'est une phrase de Hegel,
00:47:53 un peu
00:47:55 modernisée, parce que Hegel
00:47:57 l'a pas tout à fait dit comme ça.
00:47:59 Et ça aussi, ça travaille, se dire, on peut tout d'un coup
00:48:01 être au milieu de la vie
00:48:03 et commencer à affronter son enfance.
00:48:05 Parce que l'image manquante, c'est quand même
00:48:07 une sorte de
00:48:09 reconfiguration du livre "L'élimination",
00:48:11 où la première fois, Ritty,
00:48:13 qui ne voulait parler que du mal,
00:48:15 Deutsch, "Les tortionnaires",
00:48:17 a accepté de raconter
00:48:19 un peu son enfance, même si
00:48:21 c'est très symbolique et universel.
00:48:23 Mais la maison détruite
00:48:25 où il a vécu son enfance,
00:48:27 son papa en costume blanc
00:48:29 qui croit qu'il va faire une école à la Jules Ferry,
00:48:31 l'écrasement des lunettes...
00:48:33 Mais l'océan d'images
00:48:37 que nous connaissons aujourd'hui et chaque instant,
00:48:39 Ritty lutte, puisque son obsession
00:48:41 c'est de dire "je vais aussi vous apprendre
00:48:43 à regarder des images".
00:48:45 Par exemple, il y a une fameuse image de mariage,
00:48:47 de banquet, "Khmer Rouge",
00:48:49 où on voit des gens qui se marient,
00:48:51 ça a l'air très sympa. Il y a un monsieur à droite
00:48:53 en tongs, qui marche
00:48:55 et en fait, c'est Dutch,
00:48:57 de S21, et puis le marié,
00:48:59 c'est un tortionnaire de Dutch,
00:49:01 avec sa femme, mais il ne sait pas encore
00:49:03 puisqu'il se marie, que quatre mois après,
00:49:05 il sera exécuté. Mais ça, simplement,
00:49:07 ce travail d'image-là,
00:49:09 il va aussi avec les mots.
00:49:11 - Oui, parce qu'en fait, il interroge sans cesse
00:49:13 ces images qui ne manquent pas,
00:49:15 en disant "celles-là, tout le monde les a vues",
00:49:17 et finalement, le réel
00:49:19 de la révolution n'existe que
00:49:21 dans ces images, puisque nous,
00:49:23 nous souffrons, nous mourons, nous sommes affamés,
00:49:25 nous sommes torturés,
00:49:27 alors qu'il y a
00:49:29 plein d'images, et c'est celles-là qu'on voit.
00:49:31 - Il cherche la fixité.
00:49:33 Et moi, c'est ça qui m'a troublé.
00:49:35 - Qu'est-ce que tu veux dire par "il cherche la fixité" ?
00:49:37 - En fait, il cherche à dire...
00:49:39 On est tous habitués... Moi, j'adore...
00:49:41 J'adore "Dune 1" et "2",
00:49:43 je trouve ça génial de voir "Mission Impossible"
00:49:45 et "La fièvre"
00:49:47 de Benzé Cris sur...
00:49:49 My Canal, désolé.
00:49:51 Tout ça est très passionnant, mais il y a
00:49:53 une vitesse des plans
00:49:55 d'images. Si j'étais à "Libération"
00:49:57 des années 80, je dirais que c'est du fascisme.
00:49:59 Ce que fait Ritty, c'est l'inverse,
00:50:01 c'est d'essayer d'être dans la lenteur,
00:50:03 de remontrer les images,
00:50:05 de retravailler, pour que ce que dit
00:50:07 Carl Gustav Jung soit réalisé,
00:50:09 c'est que l'image soit hypnagogique,
00:50:11 que si on la regarde bien,
00:50:13 elle entre en vous,
00:50:15 elle vous travaille, elle vous trouble,
00:50:17 peut-être qu'elle fait un peu mal.
00:50:19 Et avec une question très particulière
00:50:21 qui est, est-ce qu'il faut montrer
00:50:23 une souris agonisante ?
00:50:25 Est-ce qu'il faut montrer... Ah ben voilà Ritty !
00:50:27 - Ah ben voilà Ritty ! - Voilà, tonton, je vais pouvoir...
00:50:29 - Voilà, comment tu vas ?
00:50:31 - Bonjour !
00:50:33 - Salut Ritty !
00:50:35 - Vous m'entendez ?
00:50:37 - Ouais, on t'entend très bien, je sais pas si
00:50:39 tu nous vois. - D'accord !
00:50:41 - Oui, oui, je vous vois, oui.
00:50:43 - On a commencé avec Christophe,
00:50:45 on a montré la
00:50:47 bande-annonce du film,
00:50:49 parce qu'elle contient plein de choses,
00:50:51 tu ne t'y reconnaîtrais sans doute pas exactement,
00:50:53 mais voilà.
00:50:55 Tu m'entends bien ou pas ? - D'accord.
00:50:57 Oui, oui, ça va, oui. - Bon, d'accord.
00:50:59 - Je vous entends, oui. - Bon, comment vas-tu ?
00:51:01 Tu travailles actuellement, je sais que tu travailles
00:51:03 sur un scénario, que tu travailles aussi sur un documentaire,
00:51:05 c'est pour ça que tu es loin.
00:51:07 - Je travaille, je travaille pour toi.
00:51:09 - Ouais, enfin bon, pas pour moi,
00:51:11 mais pour le public.
00:51:13 Pour le public.
00:51:15 - Ouais.
00:51:17 - Bon, bah tu commences bien.
00:51:19 - Bon.
00:51:21 - Alors, je vais te reposer une question que j'ai posée à
00:51:23 Christophe. Quand tu
00:51:25 commences le film, on rentre dans le...
00:51:27 immédiatement, parce que...
00:51:29 Quand tu commences le film, quand tu dis "L'image
00:51:31 manquante", puisque le titre est là
00:51:33 dès le départ, tu penses à quoi comme image ?
00:51:35 Est-ce qu'il y a une image à laquelle tu penses ?
00:51:37 Une image que tu cherches ? Parce que là-dessus,
00:51:39 le film est contradictoire, évolue sans cesse.
00:51:41 Donc, est-ce qu'il y a quelque chose, dès le départ, qui t'obsède ?
00:51:43 Une image que tu chercherais ?
00:51:45 - Sans doute, il y a quelque chose
00:51:49 qui...
00:51:51 Je suis toujours à la quête
00:51:53 de mon propre histoire,
00:51:55 en fait.
00:51:57 Qui n'a pas de...
00:52:01 Tout est embrouillé, quoi.
00:52:03 Donc, en fait,
00:52:05 en vérité,
00:52:07 j'étais parti sur un autre film,
00:52:09 sur le...
00:52:11 Travailler sur les images de propagande
00:52:15 de Khmer Rouge, et
00:52:17 décrypter les images de propagande,
00:52:19 parce que j'aime beaucoup
00:52:21 les archives. - Oui, donc c'est les images
00:52:23 qui ne manquent pas. Ça, c'est les images qui ne manquent pas.
00:52:25 - Voilà. Mais si, ça me manque
00:52:27 quand même, parce que c'est les images de Khmer Rouge,
00:52:29 pas les images que
00:52:31 je cherche, moi. C'est les images propagandes.
00:52:33 Donc...
00:52:35 Et à travers le tête des images
00:52:37 propagandes, il y a toujours quelqu'un
00:52:39 en arrière-plan
00:52:41 qui fait un geste, qui fait quelque chose
00:52:43 qui semble
00:52:45 que je peux
00:52:47 être
00:52:49 en lumière, quoi.
00:52:51 Comment y travailler ?
00:52:53 Donc, à l'époque, j'ai rencontré
00:52:55 beaucoup de caméramans,
00:52:57 beaucoup de
00:52:59 photographes Khmer Rouges.
00:53:01 J'essaye de travailler avec eux.
00:53:03 Et puis, un jour,
00:53:05 un jour, je
00:53:07 me rends compte que
00:53:09 je ne suis jamais retourné chez moi
00:53:11 là où je suis parti.
00:53:13 Le 17 avril
00:53:15 en 75, quand les Khmer Rouges
00:53:17 arrivent à prendre le pouvoir
00:53:19 à Phnom Penh, ils nous ont
00:53:21 chassés de la ville.
00:53:23 Et je ne suis jamais retourné chez moi.
00:53:25 Je suis passé
00:53:27 devant. Une fois,
00:53:29 j'ai tourné une séquence
00:53:31 une fois dans un film juste devant
00:53:33 mais je n'ai pas demandé à rentrer
00:53:35 parce que
00:53:37 c'est peut-être qu'on était tous
00:53:39 dans cette maison
00:53:41 et après, je suis revenu tout seul, quoi.
00:53:43 Je n'ai pas trop envie
00:53:45 de rentrer tout seul.
00:53:47 Et
00:53:49 je ne sais pas,
00:53:51 je ne sais pas ce qui se passe dans ma tête
00:53:53 donc j'ai commencé à demander
00:53:55 à mon équipe de
00:53:57 faire une maquette de la maison
00:53:59 que je me souviens
00:54:01 vraiment très très bien de
00:54:03 tout autre coin,
00:54:05 de l'emplacement de la télé, du frigo
00:54:07 et tout ça.
00:54:09 Mais
00:54:11 ils n'étaient pas des architectes,
00:54:13 ils étaient des amis, des artisans.
00:54:15 - Je ne peux pas traduire
00:54:17 en amis des artisans. - Oh là,
00:54:19 les machines marchent tout seules.
00:54:21 Et
00:54:23 donc j'ai dit, bon,
00:54:25 c'est très simple, vous faites une figurine
00:54:27 et à partir de la figurine,
00:54:29 vous pouvez
00:54:31 faire la bonne taille de la porte,
00:54:33 de la fenêtre et tout ça.
00:54:35 Ils ont fait une figurine
00:54:37 et pendant que Tho,
00:54:39 le sculpteur,
00:54:41 qui travaille avec moi depuis longtemps,
00:54:43 qui est un enfant qui est grandi dans les camps,
00:54:45 ils sont rentrés au pays
00:54:47 et qui cherchait du travail
00:54:49 et que
00:54:51 je l'ai formé, je l'ai pris
00:54:53 tout le temps avec moi.
00:54:55 Il commence à sculpter, il me demandait
00:54:57 tu veux en bois, en pierre,
00:54:59 il dit bois, pierre,
00:55:01 ça prend des années ça.
00:55:03 Tu apprends de la
00:55:05 glaise à la rivière
00:55:07 et tu fais comme on faisait des petites statuettes
00:55:09 pour
00:55:11 s'amuser quand on était enfant.
00:55:13 Il n'y avait pas autant
00:55:15 de jeux comme aujourd'hui.
00:55:17 Donc
00:55:19 il commence à sculpter
00:55:21 et quand il se met à sculpter,
00:55:23 c'est quelque chose d'intéressant parce que je voyais
00:55:25 Christophe a écrit
00:55:27 "Nez de la main"
00:55:29 c'est quelque chose
00:55:31 de très némiurgique,
00:55:33 quelque chose qui apparaît
00:55:35 de sa sculpture
00:55:37 et j'ai essayé
00:55:39 de dire tu fais un peu la tête comme ci
00:55:41 le corps comme ça
00:55:43 et je trouvais qu'il y avait
00:55:45 une âme
00:55:49 cette statue là
00:55:51 comme portait une âme
00:55:53 et que voilà
00:55:55 on a dit on va changer
00:55:57 de film, on va peut-être pouvoir
00:55:59 créer nos images
00:56:01 ce qui n'est pas été filmé
00:56:03 j'aime pas trop
00:56:05 raconter les détails
00:56:07 parce que moi je suis venu
00:56:09 au cinéma faire des films
00:56:11 tout à fait par hasard
00:56:13 s'il n'y avait pas de guerre
00:56:15 au Cambodge
00:56:17 je serais instituteur
00:56:19 ou astronaute
00:56:21 le métier du cinéma
00:56:23 c'est pas un métier
00:56:25 le cinéma
00:56:27 le cinéma cambodgien
00:56:31 c'est pour
00:56:33 passer du bon temps
00:56:37 mes parents ne voudraient pas ça
00:56:41 mais pendant
00:56:45 mes 4 années
00:56:47 de caméra rouge
00:56:49 souvent j'aurais aimé
00:56:51 qu'on me parachute
00:56:53 une caméra
00:56:55 un après photo
00:56:57 pour pouvoir faire des photos
00:56:59 et si je raconte pas souvent ça
00:57:01 parce que si je dis ça
00:57:03 t'es pour ça, t'as voulu faire des films
00:57:05 en fait pas du tout
00:57:07 c'est juste vouloir faire une image
00:57:09 puis pouvoir après montrer
00:57:11 et je crois que j'étais parti
00:57:13 sur deux idées
00:57:15 c'est comme la sculpture
00:57:17 qui est pas tôt
00:57:19 c'est comme si on me parachute une caméra
00:57:21 je vais pouvoir raconter
00:57:23 mon histoire
00:57:25 et puis c'est bien parce que
00:57:27 je vais pouvoir échapper
00:57:29 aux acteurs
00:57:31 parce que je sais pas comment
00:57:33 faire la mise en scène des acteurs
00:57:35 pour aller mourir
00:57:37 ou de famine
00:57:41 du coup je dis voilà
00:57:43 avec les sculptures
00:57:45 on va sculpter
00:57:47 avec de l'eau
00:57:49 avec la terre
00:57:51 et on sèche au soleil, on le cuit pas
00:57:53 je veux pas qu'on le cuit
00:57:55 on le sèche au soleil
00:57:57 puis on colorie, puis on fait vivre
00:57:59 et après on les garde
00:58:01 ils retournent à la terre
00:58:03 c'est un cycle complet
00:58:05 qui...
00:58:07 c'est plutôt ça au début
00:58:09 c'est la manière respectueuse
00:58:11 de raconter une histoire
00:58:13 et là petit à petit
00:58:15 ça donne ce film là
00:58:17 - Quand... je t'interromps
00:58:19 c'est une question pour vous deux
00:58:21 dans le début du film
00:58:23 vous écrivez "il y a tant d'images
00:58:27 qui passent
00:58:29 repassent dans le monde
00:58:31 qu'on croit posséder parce qu'on les a vues"
00:58:33 c'est vraiment au début du film
00:58:35 c'est à dire c'est une...
00:58:37 c'est pas une mise en cause mais une réflexion sur l'image
00:58:39 est-ce qu'aujourd'hui
00:58:41 et moi je vois aussi les images de la vague
00:58:43 qui sont au début du film
00:58:45 et à la fin du film
00:58:47 qu'on peut lire aujourd'hui comme la submersion
00:58:49 parce que nous sommes submergés d'images
00:58:51 nous sommes submergés d'images
00:58:53 utilisées
00:58:55 utilisées à des fins
00:58:57 qui ne sont pas cinématographiques mais qui ont des objectifs
00:58:59 mettons politiques au sens le plus
00:59:01 le plus
00:59:03 rude du terme
00:59:05 est-ce que cette méfiance
00:59:07 par rapport à cette question sur les images
00:59:09 aujourd'hui je sais que toi
00:59:11 t'es un fan de TikTok, que t'es un fan des réseaux sociaux
00:59:13 que tu t'y intéresse énormément
00:59:15 je sais que
00:59:17 est-ce qu'aujourd'hui ça fait sens pour vous
00:59:19 toujours de la même façon d'écrire ça
00:59:21 "il y a tant d'images qui passent repassent dans le monde
00:59:23 qu'on croit posséder parce qu'on les a vues"
00:59:25 c'est à dire qu'il y a des images qui en fait
00:59:27 submergent
00:59:29 et c'est là pour moi
00:59:33 c'est pour vous deux là, c'est pour Christophe ou toi
00:59:35 c'est pour toi Rémi
00:59:37 oui, oui tout le monde sait
00:59:43 il y a trop d'images
00:59:45 Léo Carax il disait l'autre jour
00:59:49 il y a une semaine dernière il disait qu'il faut peut-être
00:59:51 laisser aux gens faire que 30 images
00:59:53 par semaine, pas trop
00:59:55 et c'est vrai
00:59:57 qu'on fait trop d'images
00:59:59 tout le monde peut faire des images
01:00:01 sur les téléphones, ça va très très vite
01:00:03 et on les poste en plus
01:00:05 trop de tout
01:00:07 et on est tout le temps
01:00:11 en colère, si vous prenez
01:00:13 Twitter, X, dès le matin
01:00:15 vous êtes en colère
01:00:17 vous voyez au bout de
01:00:19 vous roulez un peu
01:00:21 puis à un certain moment la colère
01:00:23 est partout
01:00:25 les gens s'adressent
01:00:27 au monde
01:00:29 c'est pas
01:00:31 ils s'adressent comme ça
01:00:33 même quand ils savent rien, ils s'adressent
01:00:35 même avec beaucoup de bêtise
01:00:37 il y a des choses bien aussi
01:00:39 mais très peu
01:00:41 en général
01:00:43 surtout les politiciens
01:00:45 plus que les autres
01:00:47 on sait bien mener la foule
01:00:49 maintenant on arrive même à jouer
01:00:53 on joue une séquence
01:00:57 on est des comédiens qui jouent une séquence
01:00:59 puis tout le monde agit
01:01:01 le temps que les mecs disent non je vais jouer
01:01:03 c'est déjà trop tard
01:01:05 c'est tout dans l'immédiatité
01:01:07 on n'a plus de temps
01:01:09 c'est étonnant que la
01:01:11 technologie normalement
01:01:13 doit nous permettre
01:01:15 de prendre le temps
01:01:17 de réfléchir
01:01:19 en fait il nous accélère notre vie
01:01:21 il accélère énormément
01:01:23 on réfléchit très peu
01:01:25 on est dans une situation
01:01:27 moi j'ai mis
01:01:29 pas mal de temps parce que ça m'intéresse
01:01:31 comme phénomène social
01:01:33 TikTok j'y suis plus souvent
01:01:35 j'ai regardé beaucoup
01:01:37 la violence dans TikTok
01:01:39 c'est inimaginable
01:01:41 maintenant même des gens
01:01:43 qui vont
01:01:45 donner des barres à quelqu'un
01:01:47 ils filment
01:01:49 et il y a
01:01:51 des centaines, des milliers de likes
01:01:53 et
01:01:55 ils gagnent l'argent avec ça
01:01:57 on peut créer
01:01:59 une chaîne et ils gagnent l'argent avec ça
01:02:01 donc TikTok
01:02:03 favorise beaucoup ce genre de
01:02:05 ils gagnent aussi
01:02:07 ils prennent des données
01:02:09 tout ça voilà, rien n'est
01:02:11 gratuit en fait
01:02:13 tout le monde sait que rien n'est gratuit
01:02:15 et puis ils viennent comme des vagues
01:02:17 et moi c'était des vagues
01:02:19 c'était aussi mon
01:02:21 ces images là
01:02:23 c'est comme des vagues, c'est aussi des vagues de tous les poids
01:02:25 de l'histoire que j'arrive pas
01:02:27 à démêler
01:02:29 donc c'est comme si
01:02:31 je m'étouffe
01:02:33 comme je suis englouti
01:02:35 par tant de choses que je
01:02:37 je n'arrive pas à contrôler
01:02:39 alors
01:02:41 vas-y vas-y
01:02:43 je veux pas dire, je veux tout contrôler
01:02:45 mais je veux pouvoir faire face
01:02:47 un peu
01:02:49 mais on n'arrive pas
01:02:51 si
01:02:53 vous pouvez essayer
01:02:55 vous prenez X, vous allez voir
01:02:57 récemment je demandais
01:02:59 je crois il y a des types, je dirais pas
01:03:01 seulement, mais comment ils peuvent vivre avec autant
01:03:03 de colère, sans député
01:03:05 avec autant de colère
01:03:07 par jour, par seconde, ils postent
01:03:09 plein
01:03:11 mais comment on peut faire des lois
01:03:13 ou comment on peut
01:03:15 diriger un pays, construire un pays
01:03:17 avec autant de colère
01:03:19 c'est inexplicable
01:03:23 - Oui parce que ce qui marque ton film
01:03:25 c'est justement l'absence de colère
01:03:27 pour le coup, on va voir
01:03:29 un autre extrait, je voudrais qu'on voit
01:03:31 l'extrait qu'on a nommé
01:03:33 numéro 3, pas le 2
01:03:35 le 3, celui qui commence à
01:03:37 19 minutes 40 secondes
01:03:39 s'il vous plaît
01:03:41 [Musique]
01:04:05 Levez-vous, les damnés de la terre
01:04:09 Les damnés, c'est nous
01:04:11 qui sommes au champ, dans les fers
01:04:13 qui errons
01:04:15 tel des fantômes
01:04:17 Dans cette capitale
01:04:19 vide pour 4 ans
01:04:21 il reste le comité central
01:04:23 et le lycée
01:04:25 Ponyriat qui devient
01:04:27 le centre S21
01:04:29 Ici, on fouette
01:04:33 on électrocute
01:04:35 on tranche
01:04:37 on fait manger des excréments
01:04:39 on avoue
01:04:41 tout commence dans la pureté
01:04:43 et finit par la haine
01:04:45 [Musique]
01:04:59 Je sais que les Khmers rouges
01:05:01 ont photographié des exécutions
01:05:03 Pourquoi ?
01:05:05 Allait-il une preuve ?
01:05:07 Compléter un dossier ?
01:05:09 Quel homme
01:05:11 ayant photographié cette scène
01:05:13 voudrait qu'elle ne manque pas ?
01:05:15 Je cherche cette image
01:05:17 Si je la trouvais, enfin
01:05:19 je ne pourrais pas la montrer
01:05:21 bien sûr
01:05:23 Et puis, que montre
01:05:25 une image de mort ?
01:05:27 Je préfère celle
01:05:29 d'une jeune inconnue
01:05:31 qui défie l'appareil photo
01:05:33 l'œil du tortionnaire
01:05:35 et nous regarde encore
01:05:37 [Musique]
01:05:47 Sans écarlate
01:05:49 qui couvre les villes et les plaines du Kampuchea
01:05:51 notre patrie
01:05:53 Sans sublime des ouvriers
01:05:55 des paysans
01:05:57 Sans sublime des hommes et des femmes
01:05:59 combattant de la révolution
01:06:01 Sans devenu haine implacable
01:06:03 et lutte résolue
01:06:05 qui nous a libérés de l'esclavage
01:06:07 [Musique]
01:06:11 Pourtant, on ne filme pas impunément
01:06:13 Je regarde ces enfants qui portent
01:06:15 leurs mains
01:06:17 leurs visages
01:06:19 leurs corps fatigués
01:06:21 Cette jeune avant-garde
01:06:23 travaille à sa propre destruction
01:06:25 [Musique]
01:06:39 Merci
01:06:41 Alors, il y a beaucoup de choses
01:06:43 dans cet extrait
01:06:45 Riti, tu es toujours avec nous ? Parce que là, je ne te vois plus
01:06:47 Oui
01:06:49 Il y a beaucoup de choses
01:06:51 dans cet extrait
01:06:53 D'ailleurs, il y a une chose
01:06:55 qui vous interroge
01:06:57 et qui moi m'a toujours interrogé
01:06:59 C'est-à-dire que dans le livre
01:07:01 je préfère
01:07:03 et on lit, dans le film, on entend
01:07:05 je préfère celle d'une jeune inconnue
01:07:07 à la place d'une photo d'exécution
01:07:09 qui défie l'appareil photo, l'œil du tortionnaire
01:07:11 et nous regarde encore
01:07:13 et n'est pas dans le film
01:07:15 son nom, Bopana, elle fut emprisonnée
01:07:17 et torturée pendant 6 mois à S21
01:07:19 avant d'être exécutée
01:07:21 Je te fais un petit incise
01:07:23 Qu'est-ce qui fait
01:07:25 comme ça, cet élément de différence
01:07:27 entre le livre qui est aussi une œuvre
01:07:29 et le film ?
01:07:31 Tu vas me dire que tu ne sais plus
01:07:35 [Rires]
01:07:37 La question est aussi pour Christophe
01:07:41 Beaucoup, moi je
01:07:43 d'abord, ce travail
01:07:45 avec Christophe
01:07:47 c'est très enrichissant
01:07:49 et
01:07:51 c'est
01:07:53 en fait
01:07:55 on est très libre
01:07:57 pour faire un film
01:07:59 je crois que c'est la seule chose
01:08:01 qui m'intéresse le plus, d'être libre
01:08:03 faire ce que je veux
01:08:05 ce qui se passe
01:08:07 dans la tête
01:08:09 dans la tête mûrie de Don
01:08:11 comment l'image se forme déjà
01:08:13 et après
01:08:15 on voyait
01:08:17 avec Christophe qu'il allait mettre les mots dessus
01:08:19 parfois les mots
01:08:21 "Va là", "Va ici", "Va pas là"
01:08:23 "Je remonte"
01:08:25 "Je vais mettre à l'autre côté"
01:08:27 c'est
01:08:29 juste qu'il y a des constances
01:08:31 par exemple, Bopana
01:08:33 la jeune fille en question
01:08:35 c'est Bopana
01:08:37 elle m'accompagne depuis plus de
01:08:39 30 ans
01:08:41 c'est comme si j'avais besoin
01:08:43 d'un visage, d'un nom
01:08:45 d'une histoire
01:08:47 tout ce qu'on veut effacer
01:08:49 moi, une personne
01:08:51 peut-être me suffit
01:08:53 pour moi, si je sais tout
01:08:55 et je sais
01:08:57 pas tout, je sais presque tout
01:08:59 pas mal en tout cas
01:09:01 d'elle
01:09:03 pour avoir allé chercher
01:09:05 dans ses villages, voir sa famille
01:09:07 ses beaux-parents
01:09:09 quand ils étaient encore vivants
01:09:11 et lire et relire
01:09:13 ses
01:09:15 textes, ses
01:09:17 centaines de pages écrites à la main
01:09:19 à l'époque, c'était
01:09:21 je suis très reconnaissant
01:09:23 au musée
01:09:25 ils m'ont confié
01:09:27 les manuscrits
01:09:29 originals, pas tous
01:09:31 mais j'échange, je prends
01:09:33 d'autres, il y a des piles
01:09:35 et puis
01:09:37 avec moi tous les jours
01:09:39 je lis le soir
01:09:41 c'est très émouvant les écritures
01:09:43 même sous la torture
01:09:45 vous sentez
01:09:47 une sorte de
01:09:49 moi je crois aux âmes
01:09:51 je crois qu'il y a
01:09:53 quelque chose, toujours une âme derrière
01:09:55 qu'on peut pas détruire un être humain comme ça
01:09:57 il y a toujours une âme quelque part, une trace
01:09:59 et Bopana
01:10:01 c'est comme ça
01:10:03 c'est
01:10:05 chaque page
01:10:07 écrite, c'est signé par elle
01:10:09 au lieu
01:10:11 de signer
01:10:13 elle signe Bopana
01:10:15 avec la lettre française
01:10:17 la lettre latine
01:10:19 qui déjà en soi
01:10:21 une signature
01:10:23 elle sait qu'elle va
01:10:25 être exécutée
01:10:27 la lettre capitaliste, la lettre
01:10:29 latine, c'est pas la lettre
01:10:31 lettre mère
01:10:33 après
01:10:35 en premier elle signe
01:10:37 cita
01:10:39 c'est la dette
01:10:41 c'est la dette
01:10:43 elle signe en lettre latine c'est la dette
01:10:45 aussi
01:10:47 c'est la dette ça veut dire la cita
01:10:49 de dette
01:10:51 cita de Ramayana
01:10:53 dette c'est son mari qui était
01:10:55 emprisonné dans le même temps qu'elle
01:10:57 mais ils savent pas qu'ils étaient tous les deux
01:10:59 dans cette prison là
01:11:01 c'est juste une forme de
01:11:03 résistance extraordinaire
01:11:05 je suis la cita
01:11:07 je suis la cita de mon
01:11:09 mari dette que vous pouvez pas me séparer
01:11:11 vous pouvez pas me détruire
01:11:13 c'est mort
01:11:15 c'est mon intime
01:11:17 - Et d'ailleurs ça devient cette image
01:11:19 là de Bopana devient telle pour toi
01:11:21 que tu vas nommer
01:11:23 ta société de production, l'école que tu vas
01:11:25 fonder et qu'aujourd'hui il y a des films
01:11:27 qui sortent avec le nom de Bopana
01:11:29 par ailleurs
01:11:31 juste Christophe toi tu
01:11:33 sur cette
01:11:35 image que l'on voit, qui donne lieu
01:11:37 à deux textes ? - Bah là moi
01:11:39 j'ai une vision
01:11:41 je trouve ce que dit Riti est magnifique
01:11:43 évidemment, il y a un autre aspect plus technique
01:11:45 dans le processus
01:11:47 de réalisation du film
01:11:49 moi je me souviens très bien du jour où j'ai vu le
01:11:51 film entièrement monté dans un
01:11:53 petit bureau d'ailleurs, un petit studio
01:11:55 du 12e arrondissement
01:11:57 je crois, bon j'ai été bouleversé
01:11:59 et je me suis dit ça y est c'est fini
01:12:01 et puis en fait c'était pas du tout fini
01:12:03 après pendant un mois et demi
01:12:05 Riti, je crois que je ne révèle pas
01:12:07 un grand secret, a remonté
01:12:09 déplacé des mots
01:12:11 changé des choses, d'où peut-être
01:12:13 la petite hésitation sur est-ce que ce mot
01:12:15 Bopana y est ? Mais je pense
01:12:17 que c'est ça la quête de l'image manquante, c'est-à-dire
01:12:19 on peut à la fois dans des images Khmer Rouge
01:12:21 repérer des failles
01:12:23 un geste, un signe
01:12:25 un enfant de 15 ans
01:12:27 quelqu'un qui a faim
01:12:29 dans le film il y a d'autres images impressionnantes
01:12:31 comme une sorte de déraillement de l'image
01:12:33 et puis
01:12:35 en effet il y a des âmes qui
01:12:37 nourrissent Riti, on sait que Bopana
01:12:39 c'est le plus gros dossier de torture
01:12:41 de S21, tu ne l'as pas dit Riti
01:12:43 elle est restée 6 mois
01:12:45 on s'est interrogé sur ses rapports avec
01:12:47 Douche
01:12:49 et elle donne un petit peu de son âme
01:12:51 au film
01:12:53 que ce ne soit pas, que le texte
01:12:55 change, varie
01:12:57 c'est à l'image
01:12:59 du travail du
01:13:01 film qui est très itératif
01:13:03 et qui a une façon qui paraît presque artisanale
01:13:05 de monter, pré-monter
01:13:07 je me souviens très bien à la fin Riti
01:13:09 tu me disais "là il mange
01:13:11 les 30 secondes, rajoute une phrase"
01:13:13 donc on n'est pas
01:13:15 du tout dans un système évidemment
01:13:17 traditionnel où tout est
01:13:19 verrouillé, la version 3.2 du manuscrit
01:13:21 et ce qui fait
01:13:23 moi je pense que la puissance aussi
01:13:25 du film, parce que ce qu'on ne dit pas
01:13:27 aujourd'hui, c'est que le
01:13:29 moi ce qui m'a stupéfait quand on a vu le film
01:13:33 à Cannes, dans une immense salle
01:13:35 que moi je n'avais jamais vue, il y avait
01:13:37 3000 personnes avec un écran gigantesque
01:13:39 c'est qu'on pleurait
01:13:41 c'est que les gens pleuraient, et donc la faculté
01:13:43 d'émotion qu'on cherche aussi
01:13:45 à mettre à distance
01:13:47 elle est aussi un porteur
01:13:49 une façon d'aller vers le coeur de l'histoire
01:13:51 d'être touché
01:13:53 et je me souviens à la fin
01:13:55 après le générique sublime du film
01:13:57 Véronique Kella était à Badourat en larmes
01:13:59 et la foule s'est levée
01:14:01 et je me suis dit ça c'est extraordinaire
01:14:03 - Alors
01:14:05 dans cet extrait
01:14:07 il y a vraiment beaucoup de choses
01:14:09 tu parles de cette image, et effectivement moi la première
01:14:11 fois que j'ai vu le film, j'ai pensé à deux images
01:14:13 l'image de l'enfance dont tu dis au début
01:14:15 que tu la cherches, et puis effectivement l'image du crime
01:14:17 celle qui serait la preuve
01:14:21 et tu dis, si je la trouvais je la montrerais pas
01:14:23 enfin, tu dis très exactement
01:14:25 vous dites très exactement, si je la trouvais
01:14:27 enfin, je ne pourrais pas la montrer
01:14:29 Raphaël Branche
01:14:31 disait tout à l'heure que l'image
01:14:33 violente de la torture, de la mort, crée de la sidération
01:14:35 et que ça peut être une première raison
01:14:37 de ne pas montrer
01:14:39 parce que ça
01:14:41 oblitaire la pensée, ça oblitaire la réflexion
01:14:43 et ça oblitaire peut-être l'émotion au profit de
01:14:45 simplement d'un sentiment d'horreur
01:14:47 mais moi j'aimerais que
01:14:49 vous nous parliez de, si je la trouvais
01:14:51 enfin, je ne pourrais pas
01:14:53 la montrer, il y a des cinéastes qui la montrent
01:14:55 et puis il y a des cinéastes qui disent
01:14:57 je ne pourrais pas la montrer
01:14:59 j'imagine que ton dialogue notamment avec Lanzmann
01:15:01 a pu porter là dessus
01:15:03 mais sans parler de Claude Lanzmann
01:15:05 qu'est-ce que tu
01:15:07 voilà, pourquoi je ne pourrais pas
01:15:09 la montrer, non pas pour mettre en cause ce que vous avez
01:15:11 fait, au contraire, mais bon, essayer
01:15:13 d'en comprendre le sens
01:15:17 peut-être dans ce film là
01:15:19 peut-être dans ce film là
01:15:21 je ne sais pas, c'est
01:15:23 trop compliqué pour moi
01:15:25 arrête
01:15:27 je ne sens pas
01:15:29 ça dépend comment on fait
01:15:31 j'ai montré
01:15:33 j'ai fait un autre film, il s'appelle Irradié
01:15:35 j'ai montré beaucoup
01:15:37 contrairement à l'inverse
01:15:39 j'ai montré beaucoup
01:15:41 parce que
01:15:43 je sais que ce n'est pas d'un critique
01:15:45 mais d'essayer dans ce film là
01:15:47 pourquoi effectivement, parce que dans Irradié
01:15:49 effectivement tu montres énormément
01:15:51 je ne sais pas
01:15:53 je n'y arrivais pas
01:15:55 comme une espèce de
01:15:57 c'est comme
01:15:59 avec des acteurs
01:16:01 Van Nack qui est
01:16:03 survivant de S201
01:16:05 m'a demandé de faire un film sur son livre
01:16:07 moi je me suis dit
01:16:09 je n'y arriverai jamais, je ne pourrais pas
01:16:11 je ne peux pas
01:16:13 faire ça
01:16:15 peut-être parce que j'étais très près
01:16:17 de tout ça
01:16:19 je ne suis même
01:16:21 sinon je serais mort
01:16:23 mais je suis assez près de la mort
01:16:25 de cette mort là
01:16:27 que je n'y arrive pas
01:16:29 et même quand je montais
01:16:31 les victimes d'Auschwitz, c'était
01:16:33 terrifiant pour moi
01:16:35 mais c'était pour une autre chose, parce que je sentais
01:16:37 qu'on va revenir à ça
01:16:39 à l'époque j'ai fait
01:16:41 les films atomiques, j'ai choisi tout ça
01:16:43 je ne sais pas, j'ai senti
01:16:45 j'espère qu'on n'y va pas
01:16:47 j'ai senti qu'il y a une montée
01:16:49 quelque chose
01:16:51 qui est extrêmement dangereux
01:16:53 dans la politique
01:16:55 dans la façon
01:16:57 dans la haine
01:16:59 dans la
01:17:01 radicalité
01:17:03 de la pensée
01:17:05 et que ça
01:17:07 m'ennuie tout ça
01:17:09 je veux
01:17:11 vous montrer comment ça donne
01:17:13 cette pensée
01:17:15 radicale peut aller à ça
01:17:17 la bombe atomique c'est ça
01:17:19 c'est pas stratégique
01:17:21 ou pas stratégique ou faire peur à l'autre
01:17:23 ou pas faire peur à l'autre
01:17:25 c'est
01:17:27 derrière chaque mot
01:17:29 il y a
01:17:31 dans ce cas là il y a une vraie souffrance
01:17:33 une vraie peine
01:17:35 la mort
01:17:37 la mort indigne
01:17:39 voilà
01:17:41 c'est
01:17:43 dans ce film
01:17:45 j'ai cherché oui effectivement
01:17:49 pendant le
01:17:51 même avec les figurines j'ai cherché
01:17:53 l'image manquante
01:17:55 en fait c'est le
01:17:57 psychiatre Richard Reichman
01:17:59 qui
01:18:01 je suis allé le voir parce que
01:18:03 j'arrive pas à me faire psychanalyser
01:18:05 donc j'ai décidé
01:18:07 de déjeuner une fois par mois avec un psychiatre
01:18:09 déjeuner dans un restaurant
01:18:11 on parle de tout
01:18:13 et après il me dit
01:18:15 qu'est ce que tu fais ? je fais un film
01:18:17 j'ai un meilleur l'appeler l'image
01:18:19 qui manque
01:18:21 après il me dit non tu me fais l'image
01:18:23 manquante c'est mieux
01:18:25 c'est lui qui a mis l'adjectif
01:18:27 et puis on sait se parler
01:18:29 c'est pourquoi l'image manquante
01:18:31 et pas l'image qui manque
01:18:33 mais tout de suite
01:18:35 ça me donne déjà
01:18:37 quoi faire
01:18:39 encore
01:18:41 donc voilà
01:18:43 c'est vrai que si je trouve
01:18:45 pourtant j'ai fait une enquête presque comme
01:18:47 un P.I.G
01:18:49 sur S21
01:18:51 vraiment je
01:18:53 travaille à la fois comme
01:18:55 pas un chercheur
01:18:57 j'aime pas trop les chercheurs
01:18:59 un archéologue
01:19:01 plutôt
01:19:03 comme un espèce d'archéologue
01:19:05 comme un
01:19:07 enquêteur
01:19:09 voilà
01:19:11 je suis
01:19:13 j'ai
01:19:15 il y en a des images
01:19:17 des victimes à S21
01:19:19 quand vous passez 2-3 ans
01:19:21 quand j'ai filmé S21
01:19:23 j'ai passé pratiquement 3 ans
01:19:25 le film durait 3 ans
01:19:27 mais plus de 3 ans
01:19:29 j'ai des piles de photos
01:19:31 des travail
01:19:33 des gourauds et que
01:19:35 je cherchais à savoir
01:19:37 pourquoi le bout de papier
01:19:39 au bout de
01:19:41 la pièce
01:19:43 est parti en boule
01:19:45 en fait
01:19:47 c'est des signes comme ça, chaque image
01:19:49 il y a beaucoup de signes
01:19:51 pourquoi les mecs sont à plavans
01:19:53 et pas
01:19:55 et à partir
01:19:57 du travail
01:19:59 le fameux détail
01:20:01 pour aller au détail
01:20:05 même au
01:20:07 accro
01:20:09 quoi
01:20:11 - Et toi Christophe
01:20:13 par rapport à cette question
01:20:15 on entend très bien que
01:20:17 là pour le coup tu n'es pas
01:20:19 tu ne crée pas un dogme par rapport à cette
01:20:21 à cette image de la mort
01:20:23 puisque tu as pu la montrer mais toi Christophe
01:20:25 dans ce moment
01:20:27 de travail avec Riti
01:20:29 qu'en sortent
01:20:31 ces mots
01:20:33 et qu'ils sont collés au film
01:20:35 non pas être
01:20:37 illustrés par le film
01:20:39 - Il y a les deux
01:20:41 moi je pense toujours
01:20:43 à ce que disait Malraux hier
01:20:45 c'est à dire il n'y a pas de raison que
01:20:47 le sang d'un seul héros
01:20:49 ne paye pas toutes les
01:20:51 trahisons des autres
01:20:53 ce que je trouve très frappant c'est que la puissance
01:20:55 du cinéma de Riti est telle
01:20:57 qu'on oublie qu'il est un cas unique
01:20:59 où il est comme Charlotte Delbault
01:21:01 par exemple, ce qui n'est pas le cas de Claude Lanzmann
01:21:03 où il est l'historien de sa propre
01:21:05 histoire et
01:21:07 il nous offre une
01:21:09 documentation très puissante
01:21:11 et donc il y a des zones dangereuses
01:21:13 de sensibilité
01:21:15 mais moi j'étais frappé du fait que
01:21:17 la tentation du livre
01:21:19 du film aussi pardonnez moi, plus on avance
01:21:21 est d'aller vers la douceur
01:21:23 et qu'en fait le héros par exemple
01:21:25 moi quand j'ai vu les premières images je me suis dit
01:21:27 mais c'est qui cette figurine
01:21:29 qui a une sorte de chemise hawaïenne
01:21:31 rose avec des boutons jaunes
01:21:33 qui se promène au milieu des chemins rouges
01:21:35 et en fait c'est une sorte de Riti rêvé
01:21:37 de la même façon que ce que tu disais
01:21:39 tout à l'heure sur le parachutage
01:21:41 de la caméra, c'est une scène qui est dans le film
01:21:43 on voit ce jeune garçon qui se dit
01:21:45 mais merde je vois des avions américains
01:21:47 qui passent dans le ciel, il n'a pas un pour m'envoyer
01:21:49 une caméra que je vous montre
01:21:51 la vérité
01:21:53 et là c'est comme une préscience de l'air qu'on traverse
01:21:55 aujourd'hui où le faux et le vrai
01:21:57 sont
01:21:59 mêlés
01:22:01 mais c'est vrai qu'on dit souvent
01:22:03 pour la révolution française
01:22:05 que l'histoire c'est une ritournelle
01:22:07 c'était Deleuze qui disait ça
01:22:09 que les gens parlent, que la rue parle
01:22:11 qu'on s'envoie des libelles, qu'on marque des affiches
01:22:13 qu'on fait des graffitis
01:22:15 et moi j'aime beaucoup dans ce que
01:22:17 m'a demandé de faire Riti
01:22:19 c'est à dire ce sens de la petite chose
01:22:21 où on voit dans l'extrait
01:22:23 qu'on a vu des petits cahiers par terre
01:22:25 on sait que quand les Khmers Rouges
01:22:27 ont vidé Pnopène
01:22:29 les assiettes sont restées avec la nourriture
01:22:31 ça a été tellement violent
01:22:33 qu'il y a des robinets qui coulent encore
01:22:35 on voit dans les images, il y a des pianos ouverts
01:22:37 ils ont laissé la vie
01:22:39 suspendue
01:22:41 et que c'est peut-être pas la peine
01:22:43 de parler trop vite de slogans
01:22:45 de Khmers Rouges, de totalitarisme
01:22:47 mais que de montrer au niveau des êtres
01:22:49 ce que ça a été
01:22:51 et je crois que ça a été
01:22:53 évidemment majeur pour Riti
01:22:55 c'est le sens du film, et moi je crois que c'est son film le plus personnel
01:22:57 c'est évident que S21
01:22:59 la machine de mort Khmers Rouge
01:23:01 est plus abstrait
01:23:03 je crois à Riti
01:23:05 c'est évident que Irradié
01:23:07 est un film très sombre
01:23:09 et que dans celui-là quand même, y compris à la fin
01:23:11 il y a cette espèce de musique
01:23:13 de rock'n'roll
01:23:15 où d'un coup une sorte de vie reprend, c'est troublant
01:23:17 si vous voulez bien
01:23:19 je voudrais enchaîner
01:23:21 on a combien de temps encore ? Parce que peut-être la salle a des questions
01:23:23 et
01:23:25 encore une demi-heure
01:23:27 30 minutes encore
01:23:29 donc je voudrais qu'on voit
01:23:31 un dernier extrait
01:23:33 c'est l'extrait qui est
01:23:35 numéroté 4
01:23:37 il est un peu plus long que les autres
01:23:39 et je voudrais qu'on ait jusqu'à la fin
01:23:41 du générique, de fin justement
01:23:43 * Extrait de la chanson "Le Deuil est difficile" de Irradié *
01:23:45 * Extrait de la chanson "Le Deuil est difficile" de Irradié *
01:23:47 * Extrait de la chanson "Le Deuil est difficile" de Irradié *
01:23:49 * Extrait de la chanson "Le Deuil est difficile" de Irradié *
01:23:51 * Extrait de la chanson "Le Deuil est difficile" de Irradié *
01:23:53 Le deuil est difficile
01:23:55 L'enterrement sans fin
01:23:57 Il n'y a plus de wagons impestiaux
01:23:59 Il n'y a plus de slogans
01:24:01 Ni de jeunes gardes noirs
01:24:03 Il y a la terre corgée de sang
01:24:05 Leur chair c'est la mienne
01:24:07 Ainsi nous sommes ensemble
01:24:09 Ainsi nous sommes ensemble
01:24:11 Ainsi nous sommes ensemble
01:24:13 Il y a beaucoup de choses que l'homme
01:24:15 ne devrait pas voir ou connaître
01:24:17 Et s'il les voyait
01:24:19 ce serait un peu difficile
01:24:21 Et s'il les voyait
01:24:23 ce serait mieux pour lui qu'il meure
01:24:25 Mais si l'un de nous voit ces choses
01:24:27 ou les connaît
01:24:29 alors il doit vivre pour raconter
01:24:31 alors il doit vivre pour raconter
01:24:33 Chaque matin
01:24:37 je travaillais au-dessus de la fosse
01:24:39 Ma pelle cognait les os
01:24:41 et les têtes
01:24:43 De la terre il n'y en a jamais assez
01:24:45 C'est moi qu'on va tuer
01:24:47 Ou bien c'est fait
01:24:49 Ou bien c'est fait
01:24:51 Déjà
01:24:53 Bien sûr je n'ai pas trouvé
01:24:55 l'image manquante
01:24:57 Je l'ai cherchée
01:24:59 En vain
01:25:01 Un film politique doit découvrir
01:25:05 ce qu'il a inventé
01:25:07 Alors je fabrique cette image
01:25:09 Je la regarde
01:25:11 Je la chérie
01:25:13 Je la tiens dans ma main
01:25:15 comme un visage aimé
01:25:17 Cette image manquante
01:25:19 Maintenant je vous la donne
01:25:21 Pour qu'elle ne cesse pas de nous chercher
01:25:23 Pour qu'elle ne cesse pas de nous chercher
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01:25:31 Sous-titrage FR : VNero14
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01:50:34 Merci.

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