Jean-Louis Cohen, un portrait.

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Pour rendre hommage à Jean-Louis Cohen, historien de l'architecture disparu le 7 août 2023, ses proches, parents, étudiants et anciens étudiants, collaborateurs, amis, camarades et admirateurs se réunissent au Pavillon de l'Arsenal.

Les intervenants prendront la parole, pour donner à entendre celle, si singulière et reconnaissable, de Jean-Louis Cohen, au travers d'extraits de textes, conférences, cours, émissions et films, brossant ainsi son portrait.
Transcript
00:00:00 Je suis Marion Valère, directrice du pavillon de l'Arsenal et honorée et émue de vous
00:00:20 accueillir pour cette soirée hommage à Jean-Louis Cohen qu'on a pensé avec Alexandre
00:00:25 Chemetov qui nous a proposé et qui a organisé avec nous ce moment. Merci à lui, merci à toutes
00:00:32 les intervenantes et tous les intervenants qui vont partager ce soir la mémoire de Jean-Louis
00:00:38 Cohen. Merci également à l'équipe du pavillon de l'Arsenal qui a travaillé d'arrache-pied à
00:00:43 cette organisation. Merci à Estelle Sabatier qui a coordonné cela. Donc un mot pour vous dire
00:00:50 que pour cette institution, pour le pavillon de l'Arsenal, comme vous le savez peut-être,
00:00:55 Jean-Louis Cohen a été un compagnon de route essentiel puisqu'il a travaillé à la première
00:01:03 exposition permanente du pavillon en 1988 et au livre qui a accompagné cette exposition
00:01:13 permanente sur l'histoire de Paris et de ses projets. Donc il a été un élément fondateur
00:01:21 même du pavillon de l'Arsenal et puis tout au long de l'histoire du pavillon il a accompagné
00:01:27 d'autres expositions, d'autres livres. Je pense notamment au livre "Les seuils de Paris,
00:01:34 des fortifs au périph" avec André Lorty qui a été réédité ensuite et qui a été un livre très
00:01:41 important aussi pour je crois l'histoire du Grand Paris, l'histoire de la construction du Grand
00:01:46 Paris. Et Jean-Louis Cohen a été un des pionniers de cette pensée, du dialogue aussi entre Paris
00:01:52 et les communes limitrophes. Jean-Louis Cohen a aussi contribué à de nombreux articles,
00:01:58 par exemple dans l'exposition "La beauté d'une ville" en 2020. Et donc finalement pour nous,
00:02:05 institutions qui parlent d'architecture, de la ville, qui tentent de partager cela avec le
00:02:11 grand public, c'est un honneur d'avoir cette soirée hommage puisque finalement nous tentons
00:02:16 chaque jour de faire aussi je crois peut-être ce que tentait de faire Jean-Louis Cohen,
00:02:20 c'est-à-dire de toujours relier l'architecture aux autres disciplines, à l'histoire plus
00:02:26 globalement, à l'histoire de l'art, à l'histoire sociale, à l'histoire politique, parfois aussi
00:02:31 à l'histoire de la guerre malheureusement. Et donc nous tentons de partager cela avec
00:02:38 le grand public. Et donc pour toutes ces raisons, nous sommes très honorés d'accueillir
00:02:43 ce moment. Et donc je vais tout de suite passer la parole à Alexandre Chémétov qui va animer
00:02:48 cette soirée et qui va vous présenter la suite des intervenants. Merci beaucoup et bonne soirée.
00:02:56 [Applaudissements]
00:03:02 Je voudrais vous remercier chers amis d'être venus ce soir, votre présence ici, notre
00:03:10 présence et notre bien le plus précieux. Je voudrais aussi au nom de tous ceux qui
00:03:17 ont contribué à rendre possible cette rencontre, remercier chaleureusement le pavillon de l'Arsenal
00:03:23 et en particulier Marion Valère, directrice générale de ce lieu ouvert sur la ville,
00:03:30 ainsi que toute l'équipe réunie à ses côtés qui, comme vous l'avez dit, s'est
00:03:37 aménagée sa peine. Si nous sommes accueillis au pavillon qui nous apporte son assistance,
00:03:46 ouvrant pour l'occasion son site sur lequel cette séance sera diffusée, ainsi que sa
00:03:55 librairie dans laquelle les livres nombreux écrits par Jean-Louis Cohen sont disponibles,
00:04:03 enfin mis en vente, personne ne nous offre ce moment. Aussi, nous comptons sur vous pour
00:04:09 apporter votre contribution afin de supporter les frais de cet événement en déposant
00:04:14 un billet dans le réceptacle transparent prévu à cet effet à l'entrée de la salle.
00:04:20 Ce n'est pas seulement un hommage que nous rendons à Jean-Louis Cohen, mais une parole
00:04:27 que nous voulons faire entendre, la sienne. Nous avons choisi le portrait de Jean-Louis
00:04:36 Cohen peint par sa compagne, Mandana Bafghinia, architecte. C'est un beau portrait. Il ressemble
00:04:46 au personnage que Jean-Louis s'était constitué au fil du temps, accomplissant une sorte de
00:04:53 métamorphose pour parvenir à être vraiment lui-même, fidèle à une exigence qu'il
00:05:00 n'aura jamais quittée depuis qu'il avait lui-même été initié à l'art de la peinture
00:05:06 par Marie-Anne Lanciot, qui était la compagne de Willy Ronis. Nous sommes réunis pour
00:05:15 brosser à notre manière un portrait de l'artiste, douze comme dans le poème d'Alexandre Bloch,
00:05:23 douze assis parmi vous et un qui font treize. Je serai ce soir le monsieur loyal en charge
00:05:32 du bon déroulement de la séance qui s'ouvre. Nous allons commencer.
00:05:38 [Applaudissements]
00:05:45 Je voudrais tout d'abord donner la parole à un ami de longue date.
00:05:50 François Chalin est architecte et critique d'architecture. Il rencontre Jean-Louis et
00:05:57 ils deviennent amis. Ensemble, ils voyagent, découvrent l'Europe d'ouest en est, partageant
00:06:03 avec voracité une curiosité pour tout. Cette ouverture d'esprit de nos amis voyageurs
00:06:10 s'entend à l'écoute de l'émission Métropolitain, rendez-vous hebdomadaire que François consacra
00:06:17 à l'architecture sur France Culture de 1999 à 2012. Elle est aussi présente dans l'œuvre
00:06:26 de Jean-Louis où la spécialité ne l'emporte jamais sur l'expression d'un point de vue
00:06:31 plus large. Deux idiots, notre jeunesse est le titre changi par François.
00:06:38 Merci. J'avais préparé quelques portraits de Jean-Louis. Ce qu'on les a ? Ce sont
00:06:48 quelques portraits de jeunesse de l'époque où nous avions environ 20 ans ou 22 ans.
00:06:53 Ça c'est dans sa maison des Combes près de l'Argentière que nous étions en train
00:06:58 de retaper. Et sur certaines photos il y a une croûte de plâtre énorme sur ses poils
00:07:03 qui était abondant. Images suivantes. Je ne vais pas les commenter. Voilà ces photos
00:07:09 de diverses années. On avait piqué un petit bibi de vieille femme.
00:07:18 Ça c'était à Vienne avec Alexandre Adler il y a quelques années, de longues années.
00:07:33 Ça c'était au Yémen dans une poussière de sable en 72. Ça c'était à Bollen chez
00:07:43 Jean-Louis. Images suivantes. Et voilà, ça c'était Jean-Louis en photographes.
00:07:50 Alors une falaise de Savoie fut un jour d'été heurtée par une guêpe. Et ce fut la falaise
00:07:59 de Savoie qui croula. Jean-Louis craignait les guêpes. S'il en approchait une, il agitait
00:08:05 ses pattes, un peu des pattes d'ours, comme il le faisait en Toussance autrefois, jeune
00:08:11 homme, lorsqu'on fumait près de lui. C'était un pionnier dans ces choses. C'est le premier
00:08:15 homme que j'ai vu ne pas supporter le tabac. Cette guêpe-ci, j'imagine qu'il l'avait
00:08:20 assommée d'un coup bien ajustée. Il l'avait, je crois, coupée en deux dans son assiette
00:08:25 à la pointe du couteau. Il avait repris la conversation ou repris sa lecture, je ne
00:08:31 sais pas. Il avait repris son repas. Il avait avalé la guêpe et il s'est écoulé.
00:08:37 On se souvient de tout. On se souvient d'une promenade sous un châtaignier au-dessus des
00:08:44 combes avec Alexandre. On se souvient d'un verre de Cointreau. On buvait du Cointreau
00:08:49 au sortir d'un homme et une femme, excusez-nous. C'était à Sète ou à Narbonne. On se souvient
00:08:54 de tout, on le croit. Les autres s'en souviennent aussi. Et puis les autres meurent et les souvenirs,
00:09:00 au lieu de revenir, s'effacent. J'ai eu beaucoup de mal à faire revenir les souvenirs
00:09:03 ces temps-ci. Ou plutôt on prend conscience de ce qu'on ne se souvenait pas si bien de
00:09:08 tout. La mémoire s'est écrasée avec un bruit de bouteilles en plastique, ce bruit
00:09:12 qui imite si bien nos ordinateurs. Nous nous étions connus il y a 60 ans. Le siècle avait
00:09:18 63 ans et nous 14 ou 15. C'était dans une colline de vacances à la neige en Tchécoslovaquie.
00:09:26 Nous nous sommes aimés, si je puis dire, longtemps jusqu'à ce que notre rencontre
00:09:31 avec nos compagnes, une rencontre tardive, je dois l'avouer, nous n'étions pas très
00:09:35 précoces, nous écarte l'un de l'autre lentement, sans un mot, sans la moindre fâcherie, sans
00:09:40 jamais la moindre fâcherie, malgré toutes nos différences. Notre amitié avait duré
00:09:45 10 ou 12 ans, peut-être une quinzaine, entre nos 15, nos 25, 26, 27 ans, avant de se dissoudre
00:09:51 lentement. Et puis pour des raisons politiques aussi, il avait conservé et même consolidé
00:09:55 ses inclinations communistes et entamé sa prodigieuse carrière universitaire. J'avais
00:10:00 plutôt fréquenté dans ces années-là des milieux gauchistes d'après-mai, désenchantés,
00:10:05 en rupture de banc, et poursuivi ce chemin de l'âne qui zigzague, qui muse un peu,
00:10:10 qu'a dénoncé le Corbusier. Mes anciennes amitiés nous travaillaient et nous avions
00:10:15 renoué sans pour autant beaucoup nous revoir. Je vivais au bord de la mer d'Iroise, en
00:10:19 Bretagne. Lui travaillait dans le monde entier, notamment à New York, à 3000 nautiques de
00:10:26 chez moi. Entre nous, la mer à bois, on s'écrivait assez souvent. Il aurait dû préfacer mon
00:10:31 prochain livre, donc je lui avais envoyé plusieurs états du manuscrit et qu'à défaut
00:10:35 de préface, je vais lui dédier. Tout anticommuniste que je sois, excusez-moi
00:10:41 ceux qui le sont, ils sont nombreux ici, que je le sois devenu, notamment après que parurent
00:10:47 les ouvrages de Serge Hinsine, j'ai grâce à lui connu de l'intérieur ce monde des
00:10:51 intellectuels, des municipalités et des ouvriers communistes, de l'ancien peuple aujourd'hui
00:10:56 passé à droite, ce monde que je ne voudrais blesser personne en le qualifiant de stalinien.
00:11:00 C'est comme ça que j'en parlais avec lui et qu'il l'admettait parfaitement, ce qualificatif.
00:11:05 Ce monde terrible, contradictoire, monde des mensonges enfouis en secret de famille, des
00:11:14 illusions lyriques et des illusions du dégrisement et des fraternités. Grâce à lui aussi,
00:11:20 j'ai été juif et je suis resté juif askenaz. Nous parlions d'autrefois en pseudo-idiche
00:11:26 entre nous. Nous parlions par jeu de mots systématiques. D'un architecte, nous ne disions
00:11:31 pas "spoiré" mais "ch'pourri". Nous ne disions jamais "le républicain lorrain"
00:11:35 mais "le répugnant lorrain", "le banard de Paris", "le connard enchaîné". Nous
00:11:39 ne disions jamais "le monde" mais excusez-moi "l'immonde". C'était tout à fait idiot,
00:11:43 mais nous étions ça, nous étions de jeunes idiots. Nous parlions en chanson aussi, "ferré",
00:11:48 "aragon", "les bacs quartiers de bohémiens", "Macorlan et son chinois sortis de l'ombre
00:11:53 avec sa casquette de marine ornée d'une encre coralline", "Montéhus", "Boris Vian",
00:11:58 "Bobby la pointe" et "les anges vides de poitrine", "etakati, takiti, takite", "tik tak,
00:12:03 tik tak", "les chants russes", on en connaissait des quantités, "kalinka, kalinka, kalinka
00:12:08 maya" ou "espagnol", "rumbalaboum, balaboum, bam bam". Nous étions éclectiques et nous
00:12:14 ne daignons pas l'Orient et Rouge, "mawot zetdunk zukti wangzui", et c'est en brunissant
00:12:19 à cause du peuple, tout différent que nous étions l'un l'autre, que nous avions descendu
00:12:23 les Champs-Elysées en auto à rebours des dernières vagues de la marée gaulliste qui
00:12:27 achevait de monter vers l'étoile au soir du 30 mai 68 et qui nous chahutèrent un peu.
00:12:32 La Dechaux est une voiture qui se prête très facilement à être chahutée. Nous étions
00:12:36 de jeunes idiots. Jean-Louis était dense, concentré de force et d'énergie. Je l'ai
00:12:41 vu deux fois rompre sous lui les fauteuils de l'ancienne cinémathèque, s'en enfoncer
00:12:46 les tenons métalliques dans chacune des hanches et hurler. Je l'ai vu casser sous son poids
00:12:51 le siège avant de ma Dechaux. Nous l'avons ressoudé dans le garage de La Palu. Le tube
00:12:56 avait fondu, perdu quelques centimètres. Le siège pencha définitivement vers la droite.
00:13:00 La voiture boitait. Souvent, il prenait du poids. Il en souffrait car dans son esprit,
00:13:04 il était resté mince et dansant. Je l'ai vu se rouler par terre en gémissant au boulevard
00:13:08 d'Athènes à Marseille. Il s'était fracassé le crâne en sautant dans un escalier trop
00:13:12 bas de plafond. Voici pour l'os frontal. J'ai vu la couille de tête brisée, on n'y
00:13:17 croirait pas, mais je l'ai vu vraiment la couille de tête brisée la glace arrière
00:13:20 d'un wagon du métro parisien en s'asséant sur le strapontin de bois. Voilà pour l'occipute.
00:13:26 Le frontal, l'occipute, on comprend que son cerveau était si plein, si bien tassé, si
00:13:31 bien rangé. Lorsque nous descendions le boulevard Saint-Michel, il faisait des galipettes dans
00:13:37 le sens de la pente. Nous escaladions les édifices, la cathédrale de Strasbourg une nuit d'hiver
00:13:43 au retour de Hongrie et la tour Eiffel. On pouvait accéder à son deuxième niveau,
00:13:48 donc peut-être à 200 mètres, 220 mètres, je ne sais pas, à mi-hauteur donc, par le
00:13:51 pied sud-est au pied d'un rétablissement un peu difficile sur le gros boudin de pierre
00:13:55 qui entoure chacun des quatre sabots de l'édifice. On l'a fait souvent. Il le pratiquait lui
00:13:59 merveilleusement. Nous contournions la herse métallique griffue qui italisait l'accès
00:14:05 à la partie souterraine du canal Saint-Martin, à peu près au niveau de la passerelle de
00:14:09 l'hôtel du Nord, qu'est de Gemap, ce qui, au prix de deux kilomètres de nuit, permettait
00:14:14 de se rendre jusque sous la colonne de Juillet face à l'énorme grille un peu pyrénésienne
00:14:19 qui italise toujours l'accès au bassin de l'Arsenal. Mais passons aux aveux. Si un
00:14:25 jour ces archives et ces livres devaient être dispersés, il conviendra, comme pour le British
00:14:30 Museum, d'engager une politique préalable de restitution. Car je dois avouer que la
00:14:35 propriété de nombre de ces livres, comme évidemment des miens, n'est pas établie.
00:14:40 Il en fut ainsi de quelques bouteilles de whisky, d'une terrible trompe d'éléphant
00:14:45 subtilisée chez Fauchon, d'une roue de fromage d'une quarantaine de kilos que nous
00:14:53 fit m'enrouler rue Saint-Martin comme on pousse un pneu. Nous étions de jeunes idiots.
00:14:57 Nous partions quelquefois des restaurants en courant, de chez Vatier, derrière les
00:15:01 pavillons de la boucherie Oal, dont nous aimions le steak moutarde, de chez Génie, à la République,
00:15:06 dont nous aimions la choucroute, de chez Degorno, au plat Saint-Antoine-des-Arts, dont nous
00:15:10 aimions le riz de veau. Était-ce bien Degorno, le nom, je ne me souviens plus, je ne suis
00:15:14 plus très sûr, sans doute pas. Il y a prescription car ce crime, le crime de grivelerie, dit
00:15:19 aussi filouterie, se prescrit après un délai de six ans à compter de la commission des
00:15:24 affaires. Nous étions de jeunes idiots. Je dois noter qu'il avait maldroitement volé
00:15:29 un maillot de bain à la belle jardinière près du pont Neuf, ce qui nous valut une
00:15:33 journée en compagnie de prostituées d'un cage de fer d'un commissariat de police
00:15:37 d'Étal qui aujourd'hui a disparu. Sa maladresse était due à ce que nos vestes
00:15:41 étaient préalablement alourdies de diverses fournitures que nous avions désornées juste
00:15:46 en face à la Saint-Maritaine. C'était en juillet 1968, je partais le lendemain pour
00:15:51 un camp de jeunes gauchistes à Cuba et lui, je crois bien, pour une rencontre de jeunes
00:15:55 staliniens à Berlin-Est. Vous voyez que le crime rassemble au-delà des distinctions
00:16:00 politiques qui ne sont plus passagères. Jean-Louis n'a jamais appris le breton, mais
00:16:05 on dit qu'il parlait néanmoins sept langues. Du néerlandais, il jugeait que c'était
00:16:10 plutôt une maladie de gorge, un raclement, un enroulement. Nous affreignons le minimum
00:16:15 au cours de nos voyages et j'ai tout oublié pour ma part, conservant dans ma bibliothèque
00:16:19 le livre de Jean-Louis Pave, le Tchèque au français, qui est du dicteur Mollack, et
00:16:24 le Mouradéssat égyptien, le Malou et le conversation arabe pour les voyageurs anglais
00:16:31 et français qui nous a bien servi au Yémen, où nous voyageons avec Pierre France, qui
00:16:35 est dans cette salle. Langues agglutinantes, le Hongrois nous avait paru d'une difficulté
00:16:40 désespérante. Sur une photographie prise dans une chambre d'hôtel à Vienne, je retrouve
00:16:45 Alexandre Adler, si mince, Jean-Louis plus étoffé, le village encadré de favoris à
00:16:49 la manière austro-hongroise, plus exactement de ce qu'on appelle une barbe à la souveroffe
00:16:53 que vous avez vu tout à l'heure, et moi extrêmement maigre avec une trop mince moustache.
00:16:59 Cette année-là, notre couple avait quelque chose de celui des valseuses, des filles sans
00:17:03 moins. Nous ressemblions au compère du poème de Hugo, les Tuileries, que venait de mettre
00:17:07 en musique, Collette Manier, que nous aimions beaucoup. Nous sommes deux drôles, aux larges
00:17:12 épaules de joyeux bandits, sachant rire et battre, mangeant comme quatre, buvant comme
00:17:17 dix. Nous vivons, en somme. La vie est diverse, nous bravons la verse qui mouille nos peaux,
00:17:22 toujours en ribote, ayant peu de bottes et point de chapeau. C'était à peu près ça,
00:17:26 notre vie à peu près. A peu près seulement, car nous n'ayons pas le dimanche, contrairement
00:17:30 aux héros de Victor Hugo, nous n'ayons pas le dimanche avec lise ou blanche, dîner chez
00:17:35 Richard. A défaut de filles, il y avait les films à la Cinémathèque ou Ruchamp-Aulion
00:17:41 que nous ingérions en quantité déraisonnable. J'ai toujours identifié Jean-Louis à Octave,
00:17:46 le personnage qu'ingarde Renoir dans la règle du jeu, sentimental, entrappé, un peu lourd
00:17:52 de corps, parfois désemparé. Ce film oublié était ressorti en 1965 et nous en connaissions
00:17:58 les répliques. C'est le ancien braconnier qui interprète Carrettre, merci le mari de
00:18:02 la Chessnier. Monsieur le marquis de la Chessnier. Monsieur le marquis a voulu me relever en faisant
00:18:08 de moi un domestique, je ne l'oublierai jamais. Et puis surtout, surtout le poignant de réplique
00:18:14 de Carrettre à la fin, alors que pleure Choumacher, le garde-chasse. T'es emmerdé, hein, Choumacher.
00:18:23 Je n'ai pas parlé d'architecture dans ces quelques souvenirs. C'est qu'elle était partout
00:18:28 de manière compulsive, sur un mode boulimique plutôt que méditatif ou analytique. Voyage,
00:18:34 ville traversant à tous sens à la vitesse des boules de flipper et des map guides de
00:18:39 la revue architectural design. C'est-à-dire qu'on faisait les 125 bâtiments de Bruxelles
00:18:43 et 167 de Prague qui étaient dans le guide. Livres, revues des années 20, opuscules achetées
00:18:48 auprès des bouquinistes, bookstores, antique variaton des pays de l'Est, livres qui ne
00:18:52 valaient rien à l'époque, auprès de l'éditeur Péthénis qui conservait près de 500 pièces
00:18:57 des stocks de littérature corbusiste des années sombres ou chez Tellaut qui avait des piles
00:19:01 de numéros inventus de la construction moderne. Des publications qui pour peu d'années encore
00:19:06 n'intéressaient vraiment personne et ne coûtaient pas cher. Nous découvrions l'art nouveau,
00:19:10 Picassiet, Cheval, les architectures naïves, Gaudi, les monuments du nazisme, les bunkers,
00:19:16 les Sidlun en allemand et les architectures nudistes peu connues et plus tard bien sûr
00:19:21 la cité radieuse. On dessinait peu, on photographiait vite et sans grand soin, on grappillait,
00:19:28 on accumulait, nous vivions, en somme, goulûments et vite. Merci.
00:19:33 Après ces paroles de François, nous avions convié Blanche Greenbaum. Blanche Greenbaum
00:19:56 est conservateur en chef du patrimoine, c'est une amie fidèle de Jean-Louis. Son nom assemble
00:20:03 deux couleurs, la blancheur et le vert d'un arbre et dit quelque chose de la douceur et de la vie.
00:20:09 Elle partage avec Jean-Louis une passion pour une Russie, celle de la maison de Lili Brick
00:20:23 à Piret d'Elkino ou encore celle de l'atelier de Constantin Mennikoff, niché au cœur de
00:20:31 l'Arbat à Moscou, derrière un rideau d'arbres indocile. Blanche n'a pu nous rejoindre,
00:20:37 elle aurait tant voulu venir et nous lui adressons nos amicales pensées.
00:20:46 Et maintenant, je vais passer la parole à Hartmut Frank que je vais présenter. Hartmut Frank
00:20:53 est architecte et historien de l'architecture. Le parcours d'Hartmut et de Jean-Louis, leur
00:21:00 complicité aussi, est faite de nombreuses interférences et leur travail dénoue les
00:21:07 fils ininterrompus d'une culture commune de part et d'autre du Rhin, entre la France
00:21:14 et l'Allemagne. Pour évoquer l'exposition Interférences qu'ils ont conçue ensemble
00:21:20 et qui s'est tenue successivement à Strasbourg et à Francfort, Hartmut a quitté les bords
00:21:26 de l'Elbe à Hambourg et les perspectives tracées par Fried Schumacher, dont il est
00:21:32 un éminent spécialiste, pour venir ici à Paris, au bord de la Seine.
00:21:43 J'ai rencontré Jean-Louis pour la dernière fois l'année dernière, en octobre, dans
00:21:50 le Calmax Allée, dans le salon Babette, devant le cinéma international, la place de la Berlinale,
00:22:03 un lieu historique, exactement là où les deux faces de la ancienne Staline Allée changent
00:22:15 stylistiquement. Le choix de ce lieu était fortuit et involontaire, mais Jean-Louis a
00:22:31 tout de suite commencé à évoquer que c'est l'endroit où il était la première fois
00:22:46 à Berlin, dans son premier voyage en Allemagne. C'était juste ici où une délégation des
00:23:04 jeunesses communistes de Paris ont participé à la réunion des jeunesses de 1964 et ils
00:23:15 ont dansé dans cette morceau de la Staline Allée moderniste. Ils se rappelaient beaucoup
00:23:25 plus tard que l'endroit où ils étaient hébergés à Berlin. C'était un bâtiment
00:23:33 fameux de Peter Behrens, construit en 1912, justement après le stage de, plus tard, Le
00:23:50 Corbusier, dans cet bureau d'architecte. Lors du colloque qui a été organisé à
00:24:02 Grenoble en 1964 avec François Hachère, Jean-Louis a parlé de l'architecture autante
00:24:13 soviète. À travers ce sujet, il a noué des contacts avec Manfredo Tafur à Venise
00:24:24 et s'est associé à ses réinterprétations de l'histoire de l'architecture. C'est
00:24:31 dans ce cercle que nous nous sommes rencontrés pour la première fois en 1979. Nous avons
00:24:43 commencé notre collaboration sur les interférences complexes dans l'architecture européenne.
00:24:51 À la suite de ces rencontres à Venise, nous avons commencé avec plusieurs colloques
00:25:02 internationaux à Paris, à Hambourg et à Venise. Le plus spectaculaire de ces réunions
00:25:16 était celle de 1981, ici à Paris, où l'idée de faire une grande recherche sur les relations
00:25:34 entre France et Allemagne a commencé. C'était le problème que la confrontation des résultats
00:25:52 de ces recherches empiriques nous a convaincus que l'interprétation courante de l'architecture
00:26:06 moderne et de l'urbanisme moderne était un peu fausse. Il faut travailler sur les réalités,
00:26:21 sur les détails, sur les conditions de l'architecture. Le résultat de cette collaboration était
00:26:34 une grande recherche pendant plusieurs années avec deux équipes de chercheurs allemands
00:26:46 et français. Le résultat était quatre volumes d'investigations sur les régions d'occupation
00:27:00 réciproques en Allemagne et en France pendant 1940 et 1950. On a mis 1945 au milieu, pas
00:27:12 par hasard, mais parce qu'on voulait discuter et trouver des liens à travers ces ruptures
00:27:23 politiques et historiques. Malheureusement, ce n'était pas publié, seulement un numéro
00:27:33 de Casabella, mais l'idée était déjà dès le début qu'on pouvait présenter un matériau
00:27:43 si hétérogène seulement avec d'autres médias et surtout il fallait faire une exposition.
00:27:59 Nous avons depuis très longtemps exploré les relations entre la France et l'Allemagne
00:28:05 au cours des deux derniers siècles en nous intéressant autant aux épisodes traumatiques,
00:28:11 aux occupations, aux guerres, aux échanges qui interviennent dans des périodes plus
00:28:16 calmes et qui sont structurants pour l'architecture, l'urbanisme, la réflexion urbaine des deux
00:28:22 pays. Ce que l'exposition met en évidence au travers de plusieurs centaines d'œuvres
00:28:28 extrêmement diverses, maquettes, dessins, tableaux, ouvrages, photographies, c'est la
00:28:36 texture de ces relations, les projets qui ont été les plus structurants, les discours
00:28:43 qui ont été les plus formateurs. Dans la grande neuve du musée d'art moderne et contemporain
00:28:49 de Strasbourg, il était important de ne pas avoir que des livres et des petits dessins,
00:28:54 donc l'exposition est ponctuée par quelques grands objets horizontaux, des maquettes,
00:28:58 verticaux. Ce gigantesque dessin d'une cathédrale qui n'existait pas au début du XIXe siècle
00:29:07 qui était la cathédrale de Cologne, dont l'achèvement va être un des grands projets
00:29:13 collectifs des pays allemands, des intellectuels allemands, dans la première moitié du XIXe
00:29:21 siècle. La campagne pour la construction, je dirais même plus la construction que l'achèvement
00:29:27 de cette cathédrale, est une campagne qui va se dérouler de façon très intense à
00:29:32 Paris au sein de la très nombreuse émigration allemande, 30 000 allemands vivaient à Paris
00:29:40 autour de 1830, et une campagne qui va aussi mobiliser d'ailleurs l'opinion publique
00:29:46 et les intellectuels français. Donc on peut dire que l'achèvement de la cathédrale
00:29:51 de Cologne, qui sera une réalité dans les années 1880, bien plus tard, est un projet
00:29:57 qui démarre sous des auspices franco-allemands.
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00:31:28 Vanessa Grossmann est architecte et historienne.
00:31:34 Elle enseigne à l'université de Pennsylvanie.
00:31:38 Aux côtés de Jean-Louis Cohen, elle a participé à de nombreuses expositions,
00:31:42 dont celle consacrée à l'AUA en 2015, et plus récemment sous le titre
00:31:49 "Géographie construite par Holomendès d'Arrocha", celle qui se tient jusqu'au
00:31:54 mois de février 2024 à Porto, à la Casa de Arquitectura.
00:31:59 Restée au Brésil, Vanessa nous adresse un message filmé.
00:32:04 Le titre qu'elle a choisi évoque l'océan, celui dont Jean-Louis connaissait
00:32:09 les deux rives, mais aussi sa faune, et en particulier un poisson dont il raffolait,
00:32:16 le turbo. Parole à Vanessa.
00:32:21 Bonsoir à toutes et à tous. Je suis profondément désolée de ne pas pouvoir
00:32:29 participer en personne à cette conférence hommage à Jean-Louis Cohen.
00:32:34 Cela aura été pour moi une façon importante de dire au revoir à mon cher
00:32:40 professeur et ami Jean-Louis, à Paris, sa ville où j'ai vécu pendant des années.
00:32:46 C'est là où je l'ai rencontré pour la première fois, suivant à l'époque la
00:32:51 recommandation d'un de ses anciens élèves, Jean-Louis Violo, à qui je suis
00:32:57 extrêmement reconnaissante. Non seulement pour les livres qu'il a écrits et pour
00:33:02 tout ce qu'il a partagé lui aussi avec moi, mais pour m'avoir donné l'un des
00:33:07 meilleurs conseils que j'ai reçus dans ma vie. J'ai beaucoup réfléchi et j'ai
00:33:11 décidé d'intituler mon intervention « Entre l'Atlantique et les turbots » en
00:33:17 référence au rôle que Jean-Louis a joué dans celui qui fut notre dernier projet
00:33:23 ensemble. Les géographies construites par Paul-Loméns Daroche, qui est encore
00:33:29 exposée à la Casa d'Arquitectura et qui sera ensuite présentée à San Paolo et
00:33:35 peut-être dans d'autres institutions à travers le monde, est en effet une
00:33:40 des dernières expositions conçues par Jean-Louis. Jean-Louis fut l'autorité
00:33:46 incontestable, l'outsider, insider, dont on avait besoin pour gérer les émotions
00:33:53 et les connaissances autour de ces projets, issus du don que l'architecte
00:33:57 brésilien Paul-Loméns Daroche a fait de ces archives, qui ont été rapatriées
00:34:02 autrement de l'ancienne colonie, le Brésil, vers l'ancienne métropole, le
00:34:08 Portugal. Ensemble, nous avons jeté un pont entre les deux rives de l'Atlantique.
00:34:14 Le Brésil et San Paolo, mon pays et la ville où j'ai grandi, étaient encore
00:34:19 en pays et une ville dont Jean-Louis était un initié de haut rang. Avec ses
00:34:24 compétences intellectuelles, créatives, linguistiques et humaines, Jean-Louis a
00:34:29 incarné les diplomates transatlantiques et il l'a fait très gracieusement. Et
00:34:35 comme on pouvait s'y attendre, il a fini par lire, comprendre et même parler les
00:34:39 langues du Portugal et du Brésil. Comme analogie à la relation entre les
00:34:44 Portugais européens et américains et l'anglais européen et américain, Jean-Louis
00:34:49 a souvent évoqué, en plaisantant, avec son caractère humoristique, tout au long
00:34:55 de ses projets, ce qu'Oscar Wilde a écrit en 1887. Nous avons vraiment tout en
00:35:02 commun avec l'Amérique de nos jours, sauf bien sûr la langue. Lorsque Jean-Louis
00:35:08 et moi avons travaillé ensemble sur l'exposition de 2015 à la Cité de
00:35:13 l'architecture et du patrimoine à Paris, consacrée à l'Atelier d'urbanisme et
00:35:17 d'architecture, l'AEA, nous l'avons intitulée « Une architecture de
00:35:22 l'engagement ». Bien que plus jeune, Jean-Louis a eu ses premiers contacts avec
00:35:27 l'architecture par l'antimédiaire de cette cohorte générationnelle qui
00:35:32 adhérait à l'idée existentialiste de l'engagement, mise en avant par Jean-Paul
00:35:37 Sartre et d'autres philosophes français après la Deuxième Guerre mondiale.
00:35:42 Agir non pas comme une fin en soi, mais comme une existence authentique forgée,
00:35:47 pour faire l'histoire. Pour Jean-Louis, faire l'histoire, au sens littéraire
00:35:52 et existentiel du terme, c'est laisser une trace non seulement dans la culture,
00:35:57 mais aussi dans la définition plus large de ce qu'est la culture. Jean-Louis a
00:36:01 contribué très tôt à la consolidation de l'architecture en tant que discipline,
00:36:06 de ses institutions pédagogiques, culturelles et politiques, de leurs agents
00:36:12 et leurs publics dans le monde entier. C'est ce qu'il a fait encore une fois de
00:36:16 ses projets transatlantiques entre le Brésil et le Portugal, par les biais de
00:36:21 tout ce que nous avons produit autour de lui. Jean-Louis a également contribué
00:36:26 à la création d'une communauté transgénérationnelle d'étudiants et des
00:36:30 collègues qu'il a su influencer et nourrir avec un sens aigu de la générosité
00:36:35 et de l'anti-institutionnalisme. Ce qui a toujours frappé les jeunes étudiants
00:36:40 qui, comme moi, les contactaient pour la première fois, parfois des coins les
00:36:46 plus reculés de la planète, c'est le dévouement dont ils faisaient preuve à
00:36:52 leur égard. Jean-Louis disait que « Parlemens da Rocha » était « le contraire du
00:36:57 maître et Pampus ». Cette expression convient également à Jean-Louis. Mais je
00:37:02 voudrais aussi évoquer les turbots. Les poissons dont l'odeur est partout aux
00:37:07 environs de la Casa d'Arquitetura Matosinhos, fut le concept que nous avons
00:37:11 développé avec l'architecte portugais Eduardo Souto de Moura pour l'exposition.
00:37:17 Sa colonne vertébrale avec des arrêtes a servi à organiser et à déployer la
00:37:23 connaissance dans l'espace, comme disait Jean-Louis. « Les becs bonnes », comme
00:37:27 il dit en anglais dans l'extrait filmé de la visite guidée de l'exposition, lors
00:37:32 de son ouverture, que je partage avec vous. Mais dans les coulisses de l'exposition,
00:37:37 à chaque fois où nous étions en Matosinhos, Jean-Louis ne voulait rien manger d'autre
00:37:43 que les turbots, un poisson qu'il m'a fait découvrir et qu'on partageait dans
00:37:47 presque tous les repas. Il nous parlait de ces poissons fabuleux qui vivent sur
00:37:52 les fonds sableux. À un moment donné, le long de ce travail qui a duré des années,
00:37:57 je n'avais marre de manger des turbots. Mais je n'ai jamais rien dit à Jean-Louis,
00:38:01 tellement ça lui faisait plaisir de manger des turbots. Ce furent des moments de
00:38:05 partage gourmand, inoubliables avec Jean-Louis. Je n'aurais jamais imaginé que ce seraient
00:38:11 les derniers. Et je mangerais toujours du turbot, à chaque fois que je les pourrais,
00:38:18 en souvenir de lui. Je voudrais aussi évoquer le livre Les turbots de Gontégrasse,
00:38:25 et je cite « une longue histoire de l'art culinaire, une fable d'un héros immortel,
00:38:32 comme les poissons qu'il pêche ». Les turbots de Gontégrasse est aussi un livre
00:38:39 sur l'émancipation des femmes. Jean-Louis m'a apporté son amitié et son soutien
00:38:45 inconditionnels, du jour où je l'ai rencontré pour la première fois jusqu'à notre
00:38:53 dernière séance de travail ensemble sur les catalogues de l'exposition, par Zoom,
00:38:58 le 30 juillet 2023. Il a ouvert toutes les portes possibles pour moi, et pour tant de
00:39:06 personnes qui, j'en suis sûre, sont au pavillon de l'Arsenal ce soir. Malgré son
00:39:13 aversion pour les temps agéographiques, je ne peux m'empêcher de dire que quelqu'un
00:39:20 qui a vécu comme lui ne meurt jamais. Merci, obrigada, cher Jean-Louis.
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00:44:35 Sans attendre, je vais appeler André Lorty. André Lorty est architecte. Il enseigne à l'école d'architecture de Paris-Belleville.
00:44:44 Il est également un inventif chercheur. C'est un fidèle compagnon de Jean-Louis.
00:44:50 Ensemble, ils ont réalisé ici, au pavillon de l'Arsenal, en 1991, une exposition qui fit date et dont le catalogue a été réédité en avril 2021,
00:45:03 dans une version mise à jour. Explorant un sujet en marge de la ville et des pensées dominantes,
00:45:10 ils nous font découvrir un univers fécond, un lieu depuis lequel la ville se réinvente.
00:45:18 Avec la passion des villes, la parole est à André Lorty, qui nous conduit avec Jean-Louis Cohen sur des voies périphériques.
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00:45:35 Avec Jean-Louis, comme avec plusieurs personnes présentes ici ce soir, nous partagions une passion des villes.
00:45:45 « J'aime les villes et les fréquente avant de les étudier », disaient-ils à Antoine Loubière et à Agnés Zimmermann en 2013,
00:45:55 à l'occasion d'un entretien pour la revue Urbanisme.
00:45:59 « En général, » poursuivait-il, « ma problématique dépasse celle de l'histoire de l'urbanisme
00:46:05 comme seule histoire des plans de ville et des formes de régulation de la ville.
00:46:11 Je m'intéresse plus globalement aux cultures urbaines, aux rapports entre les édifices, les ensembles, les paysages,
00:46:21 la culture immatérielle non directement inscrite dans l'environnement, la littérature ou le cinéma. »
00:46:28 Le premier ouvrage écrit dans cette perspective, ajoutait-il, est « Des fortifs au périph ».
00:46:37 Lié à une exposition sur la ceinture de Paris organisée en 1991 ici même, au pavillon de l'Arsenal.
00:46:45 Jean-Louis croyait beaucoup à la synergie entre deux pratiques qu'il considérait comme complémentaires.
00:46:53 « L'exposition est une manière de faire un meilleur livre », disait-il.
00:46:57 « Le livre, une manière de faire une meilleure exposition. »
00:47:00 Je vous propose de revenir brièvement sur ce livre et sur ce moment qu'il considérait comme fondateur,
00:47:08 qui était pour nous l'occasion de porter l'attention sur le boulevard périphérique, comme le disait Alexandre,
00:47:14 un objet de recherche qu'il nous semblait important de mettre en lumière.
00:47:18 « Des fortifs au périph », c'est le titre d'un ouvrage publié en 1991 par le pavillon de l'Arsenal et les éditions Picard,
00:47:26 à l'occasion de l'exposition éponyme « Des fortifs au périph Paris, les seuils de la ville »,
00:47:33 qui s'est tenue dans les locaux de ce centre d'exposition d'architecture de la ville de Paris.
00:47:38 De quoi s'agissait-il ? Il s'agissait de rendre compte du processus par lequel la dernière fortification de Paris,
00:47:46 l'enceinte construite sous le gouvernement d'Adolphe Thiers au début des années 1840,
00:47:51 s'était transformée 150 ans plus tard en un nouveau rempart, cette fois-ci un rempart de béton et de tôle,
00:48:00 la tôle des automobiles du boulevard périphérique.
00:48:03 Pour moi, les expositions sont une sorte de thérapie, c'est une manière de déployer la connaissance dans l'espace.
00:48:12 Donc, je ne m'intéresse pas simplement au récit ou au choix des œuvres, mais aussi à leur projection,
00:48:22 à leur déploiement, à la construction spatiale d'un propos, d'une problématique.
00:48:29 Je trouve que c'est un médium extrêmement riche. L'exposition permet d'entrer dans un espace dans lequel on peut à la fois lire ce qui va venir,
00:48:40 garder la mémoire de ce que l'on vient de voir, découvrir des lointains et des objets proches.
00:48:46 Et donc, on a tout d'un coup la perception du lien entre des questions, des supports, des images.
00:48:54 Donc, pour moi, le lien exposition-livre est un lien très fécond et je ne me lasse pas d'essayer de le nouer.
00:49:04 Le périphérique est une voie tout à fait originale par sa proximité avec le centre de Paris, par sa proximité avec beaucoup d'ensembles d'habitations.
00:49:14 Donc, c'est une voie polluante. C'est une voie que certains trouvent laide, mais que d'autres, et j'en suis,
00:49:20 considèrent comme pouvant permettre une lecture tout à fait extraordinaire du paysage parisien.
00:49:27 Je donnerai la parole à Kevin Lynch, qui était un urbaniste américain, qui a écrit un magnifique ouvrage sur la vue depuis la route.
00:49:36 Donc, il s'est intéressé à ce que la route permet quant à la découverte du paysage urbain.
00:49:42 Et Lynch écrit ceci dans les années 70. « L'autoroute est ou pourrait être une œuvre d'art.
00:49:49 La vue depuis la voie peut être un jeu dramatique d'espace et de mouvements, de lumière et de texture embrassant une échelle nouvelle.
00:49:57 Ses longues séquences pourraient rendre intelligibles nos grands territoires métropolitains.
00:50:01 Le conducteur verrait comment la ville est organisée, ce qu'elle symbolise, comment les habitants l'utilisent et quel est son propre rapport avec elle.
00:50:09 De notre point de vue, écrit donc Lynch, l'autoroute est la grande opportunité négligée dans le projet urbain. »
00:50:16 Je crois que le déploiement des acteurs, des aspirations, des intentions, mais aussi des moyens est sans précédent.
00:50:24 On a franchi un seuil de complexité dans le regard sur cet espace très, très saturé.
00:50:30 Et de ce point de vue-là, je crois que Paris est capable, comme ce fut le cas à certaines grandes périodes de son histoire urbaine,
00:50:37 d'apporter une contribution à un débat qui est un débat mondial sur le destin des métropoles et de leurs infrastructures.
00:51:00 On va maintenant appeler Elisabeth Essayan. Elisabeth Essayan est architecte et chercheure.
00:51:10 Elle enseigne à l'école d'architecture de Paris-la-Villette et a publié aux éditions Parenthèses.
00:51:29 Le prolétariat ne se promène pas nu. Moscou en projet.
00:51:36 Livre issu de la thèse de doctorat menée sous la direction de Jean-Louis Cohen, dont elle fit l'élève.
00:51:43 Ils sont depuis restés proches.
00:51:46 Les étudiants anciens et nouveaux de Jean-Louis forment une sorte de club, un groupe où le dialogue continue.
00:51:57 C'est de la transmission à la fois comme un chemin et une découverte dont nous parlent à présent Elisabeth Essayan.
00:52:07 Merci Alexandre. Pour ma part, j'ai rencontré Jean-Louis en 1995.
00:52:14 Cette rencontre a en très grande partie déterminé mon choix de prendre la voie de la recherche.
00:52:21 A l'époque, j'ai terminé mon diplôme consacré à Horadour-sur-Glane. J'avais invité Jean-Louis dans le jury du diplôme.
00:52:29 C'était un peu la lancée dans cette aventure autour d'un autre sujet.
00:52:34 Vous avez compris qu'il a encadré mon travail sur le plan de reconstruction de Moscou de 1935.
00:52:40 J'ai intégré le DEA, projet architectural et urbain, théorie et dispositif,
00:52:46 qu'il avait créé quelques années auparavant avec Monique Heleb et Yanis Tchoumis.
00:52:51 Et qui, pour beaucoup d'entre nous, a été aussi un lieu tout à fait unique d'échange,
00:52:58 à la fois d'émulation intellectuelle mais aussi d'échange amicaux.
00:53:04 Et qui était vraiment un lieu de grande qualité, tant par la qualité des cours que des séminaires qui y étaient dispensés.
00:53:12 Les cours de Jean-Louis avaient cette particularité, et pas seulement les cours,
00:53:16 mais évidemment toutes les conférences auxquelles vous avez tous eu l'occasion d'assister,
00:53:20 d'impressionner par son érudition, par aussi tout l'appareil iconographique et textuel qu'il était capable de mobiliser,
00:53:28 mais pour autant, sans jamais écraser.
00:53:31 C'est vrai que quand on sortait de ses cours, on avait plutôt l'impression que les choses s'éclairaient,
00:53:36 que les connaissances un peu hyperpillées se remettaient à leur bonne place.
00:53:40 D'ailleurs parfois pas du tout à une place attendue, puisqu'il était aussi tout à fait surprenant
00:53:45 dans la capacité à créer des liens et des pistes inattendues.
00:53:51 S'il était passeur d'idées, il avait su créer, et je pense qu'aujourd'hui on en a un peu le témoignage,
00:53:58 une véritable communauté scientifique autour de lui, hors frontières, mais aussi une communauté amicale.
00:54:04 Et je rinsiste, tout à l'heure Vanessa parlait de sa fidélité à ses anciens étudiants, et c'est vraiment le cas.
00:54:09 Il était toujours présent, d'ailleurs on se demandait toujours quand est-ce qu'il dormait,
00:54:13 puisque à chaque message qu'on lui envoyait, il répondait dans les cinq minutes qui suivent,
00:54:18 qu'il soit à Tokyo, à New York, à Los Angeles ou ailleurs,
00:54:22 avec une certaine coéquiterie en précisant à chaque fois d'où et d'où il écrivait quand même.
00:54:27 Je voulais quand même aussi insister sur sa grande honnêteté intellectuelle,
00:54:32 puisqu'il savait aussi re-questionner ses positionnements et ses conclusions.
00:54:36 Et c'est quelque chose que j'ai pu notamment remarquer par rapport à sa position sur l'histoire soviétique.
00:54:42 D'ailleurs, pour la petite anecdote, je ne vais pas la développer, on en parlera peut-être à n'importe quel moment,
00:54:48 je disais qu'on s'est rencontrés en 1995, mais très probablement on s'est rencontrés bien plus tôt, en 1979, lui.
00:54:55 Donc évidemment en participant à la grande exposition Paris-Moscou.
00:55:00 Moi, 13 ans à l'époque, fraîchement débarquée avec mes parents immigrés soviétiques,
00:55:07 et embarquée dans une manifestation contre cette exposition,
00:55:11 puisque les artistes dissidents ont décidé de porter le cercueil de Malevich qu'ils avaient fabriqué
00:55:17 et le déposer au pied de la tour Tatlin.
00:55:21 C'est une anecdote que j'ai racontée beaucoup d'années plus tard.
00:55:24 C'est autour d'un été intellectuel que je voulais illustrer à travers les extraits de films que je vais montrer,
00:55:34 autour d'un entretien que j'ai réalisé avec lui le 12 mai,
00:55:40 quelques temps après qu'il ait accepté de participer à une journée d'études qui était consacrée à la guerre en Ukraine,
00:55:50 qui était un peu l'objet central de cette journée d'études qu'on avait organisée à l'École d'architecture de Paris-Belleville,
00:55:55 qui s'intitulait "La guerre au présent, architecture et art visuel",
00:56:00 et où il exprimait déjà son soutien à l'Ukraine,
00:56:04 un soutien aussi aux chercheurs russes, ses amis qui sont restés un peu captifs évidemment de cette situation,
00:56:10 et toute l'horreur devant la guerre menée par la Russie.
00:56:19 Cette guerre fut un choc, et reste un choc,
00:56:23 qui d'abord me touche personnellement,
00:56:26 il se trouve que j'étais en Ukraine dix mois avant,
00:56:29 donc elle prend une dimension très concrète,
00:56:32 quand je me souviens des endroits de Kiev, où les bombes sont tombées, et continuent de tomber.
00:56:39 Elle me touche personnellement au travers du destin de certains de mes amis et collègues en exil,
00:56:45 ici ou là, ou en exil intérieur, dans la plus profonde déprime pour ceux qui sont restés en Russie.
00:56:51 Elle m'amène aussi à repenser ce que j'appellerais mon pro-soviétisme naïf,
00:56:59 dont j'ai fini par me soigner assez vite,
00:57:02 notamment dès que j'ai commencé à comprendre les réalités concrètes de l'Union soviétique,
00:57:08 en y allant alors que j'avais 16 ans.
00:57:10 Mais malgré tout, je crois que j'étais comme une partie de la gauche européenne
00:57:13 dans l'idée que l'Union soviétique était une puissance assiégée,
00:57:17 que l'OTAN c'était les forces du mal,
00:57:20 et que c'est eux qui étaient la principale menace,
00:57:25 ce qui, historiquement maintenant, me semble douteux.
00:57:31 On s'est rendu compte, au moment de l'effondrement de l'Union soviétique,
00:57:36 en explorant les archives de l'armée de l'Allemagne de l'Est,
00:57:41 que l'armée russe avait bel et bien prévu une invasion de l'Allemagne,
00:57:47 de sa propre initiative,
00:57:52 qui n'aurait pas été des représailles à une attaque occidentale,
00:57:56 et que donc il y avait une réelle agressivité,
00:58:00 une volonté d'utiliser les armes pour imposer un ordre différent en Europe.
00:58:05 C'était quelque chose que je ne m'autorisais pas à penser à l'époque,
00:58:10 et donc je comprends mieux, et cela m'amène à penser autrement,
00:58:15 et m'amènera à écrire autrement un livre que j'ai en chantier
00:58:19 sur l'histoire de l'architecture en Russie.
00:58:22 Je perçois mieux les éléments de continuité entre le militarisme stalinien
00:58:27 et le militarisme poutinien,
00:58:30 et la persistance de ce que Lénine, qui s'en méfiait,
00:58:34 appelait le chauvinisme grand russe.
00:58:37 Le livre que j'ai l'intention d'écrire,
00:58:41 et pour lequel je suis déjà engagé,
00:58:44 est une sorte de livre que, en toute modestie,
00:58:49 je dirais que je le dois.
00:58:52 Un énergumène comme moi qui a publié une cinquantaine de textes,
00:58:56 d'hiver, certains sous forme de livres, mais sur des thématiques ponctuelles,
00:59:01 un livre collectif assez panoramique,
00:59:05 qui a été publié avec Benfredo Tafuri et Marco De Michelis autour de 1980,
00:59:12 un livre sur les aventures de Le Corbusier en Russie,
00:59:15 finalement traduit en russe après l'avoir été en anglais,
00:59:19 ce livre sur l'américanisme en Russie, publié il y a trois ans,
00:59:25 donc des aspects partiels, des aspects fragmentaires.
00:59:30 Je dirais, après avoir la métaphore, et là la comparaison est abusive,
00:59:36 et j'en demande pardon,
00:59:40 après avoir écrit des sonates ou des concerti,
00:59:45 j'essaye d'écrire non pas un opéra, mais peut-être une symphonie,
00:59:49 donc une pièce plus longue,
00:59:53 donc un récit plus long,
00:59:56 en espérant qu'il fasse référence, car un tel récit n'existe ni en anglais, ni même en russe,
01:00:02 sur comment s'est constituée l'architecture de la Russie moderne dans son périmètre impérial.
01:00:09 Donc cette guerre me rend plus sensible précisément à cette dimension impériale,
01:00:15 en essayant peut-être, plus que je ne l'aurais fait, de saisir la Russie
01:00:20 par ce que l'on peut appeler, le terme est dépréciatif, par ses périphéries,
01:00:27 en ayant une perception différente de celle propagée du temps de l'empire des Tsars ou de l'empire des soviets.
01:00:35 Donc les difficultés concrètes, je n'y insiste pas,
01:00:40 en m'interdisant pour des raisons éthiques, affectives, politiques,
01:00:45 d'aller chercher les images dans les archives en Russie.
01:00:50 Je dois trouver des médiations pour produire une illustration de qualité,
01:00:55 qui manque à ce genre de livre, en général, illustré,
01:00:59 celui que tu as publié sur le plan de Moscou étant une exception.
01:01:04 J'ai toujours détesté l'aspect franco-français de l'histoire de l'architecture
01:01:13 et du discours sur l'architecture en France.
01:01:16 J'ai essayé de construire une voie alternative, ou plutôt,
01:01:20 ce n'est pas vraiment une voie, je ne prétends pas avoir tracé une route,
01:01:24 ça ressemble plutôt à des pistes, à ces pistes dans le désert,
01:01:28 si on lit, je ne sais plus lequel, c'est le crabe aux pinces d'or de Tintin,
01:01:35 où on voit les Dupont-Dupont se perdre, repasser 50 fois sur la même piste,
01:01:41 ou se perdre dans des pistes sableonneuses avec leur Jeep.
01:01:44 C'est un peu ça, c'est des pistes sinueuses se croisant, se décroisant,
01:01:48 se retrouvant, que j'ai fini par tracer.
01:01:52 Antoine Picon, maintenant, est ingénieur général des ponts,
01:02:01 des eaux et des forêts, architecte et historien,
01:02:04 il est professeur à Harvard, à la Graphic School of Design et à Paris,
01:02:10 à l'école polytechnique.
01:02:12 Antoine étudiant, captivé par la manière dont Jean-Louis embrassait le monde
01:02:17 et l'histoire de l'architecture, depuis Babylone jusqu'à la Villa Savoie,
01:02:22 décida de suivre sa voie.
01:02:24 Comme souvent avec Jean-Louis, l'ancien élève est devenu ami.
01:02:29 Antoine et Jean-Louis ont en commun de vivre des deux côtés de la mare,
01:02:33 et c'est aux plus parisiens des historiens d'architecture de Los Angeles à New York
01:02:38 qu'Antoine Picon nous dresse à distance le portrait.
01:02:42 Comme vous tous, c'est avec émotion que je contribue à cet hommage à Jean-Louis Corrènes.
01:02:48 Je n'aurais jamais imaginé, il n'y a pas si longtemps que cela,
01:02:52 participer à un tel événement, tant Jean-Louis débordait d'activités et de projets.
01:02:57 Sa présence dans les milieux de l'architecture et de l'urbanisme
01:03:01 des deux côtés de l'Atlantique possédait un caractère presque structurel.
01:03:05 On ne cessait de croiser Jean-Louis, que ses multiples entreprises
01:03:09 amenaient à circuler un peu partout.
01:03:12 À chaque rencontre, à la façon d'un marin que l'on croise sur les quais d'un port,
01:03:17 il amenait un peu de vent du large.
01:03:19 Au lendemain de sa disparition, l'historienne de l'architecture américaine Sylvia Levy
01:03:25 déclarait « Comme beaucoup d'autres, je peux retracer ma vie en fonction de mes rencontres
01:03:30 avec Jean-Louis, archivalions, dîners et rencontres à Los Angeles, débats et joies à Montréal,
01:03:36 le monde est plus petit sans lui. »
01:03:39 Alexandre Shemetov m'a demandé d'évoquer le volet américain de la carrière de Jean-Louis.
01:03:45 Plus qu'un résumé de ses multiples activités, je voudrais insister ici sur quelques-uns des traits
01:03:51 qui ont marqué sa brillante trajectoire américaine.
01:03:54 Initialement, ma séquence devait s'intituler « L'ami américain » pour faire un clin d'œil à Wynvinders.
01:04:01 Nous avons finalement préféré un parisien à Los Angeles et New York.
01:04:06 Pourquoi ce titre ? Parce que Jean-Louis est toujours resté profondément parisien,
01:04:11 ce qui ne l'empêchait pas d'être partout chez lui, en Amérique en particulier,
01:04:15 bien qu'il n'ait découvert les États-Unis que relativement tardivement.
01:04:20 Ainsi qu'il le rappelle dans l'extrait de l'intervention qui va suivre,
01:04:24 c'est au début des années 1980 qu'il se rend pour la première fois au Tratin ontique.
01:04:29 Son passé communiste avait longtemps représenté un obstacle à cette visite.
01:04:33 D'emblée, son parcours est placé sous l'égide de deux villes qui ne cessera de fréquenter par la suite,
01:04:39 New York et Los Angeles.
01:04:41 À New York, il rencontre notamment Peter Eisenman,
01:04:45 à Los Angeles, Frank Gehry, déjà connu, mais loin encore d'avoir l'audience internationale
01:04:51 qu'il connaîtra par la suite.
01:04:54 Les deux villes sont on ne peut plus différentes.
01:04:57 Elles ont toutefois en commun un mélange de brutalité et de raffinement
01:05:00 qui ne cessera de séduire Jean-Louis.
01:05:03 Elles sont aussi à bien des égards exceptionnelles par leur urbanité,
01:05:07 un trait qu'on est loin de retrouver dans toutes les villes américaines.
01:05:11 Avec l'avidité qu'on lui connaît pour les livres ou encore la bonne chair,
01:05:15 Jean-Louis devient vite capable d'orienter le visiteur dans les deux villes
01:05:18 en lui recommandant les bonnes librairies d'architecture ainsi que les endroits où déjeuner ou dîner.
01:05:23 Je me souviens encore de ses recommandations concernant Los Angeles en 1993.
01:05:28 Il était à l'époque au Getty Research Institute,
01:05:31 une institution qu'il fréquentera assidûment tout au long de sa carrière.
01:05:36 La carrière américaine de Jean-Louis est marquée par deux événements clés.
01:05:40 Sa nomination comme professeur à l'Institute of Fine Arts de la New York University au milieu des années 1990.
01:05:48 Comme aimait à le souligner Jean-Louis, le poste avait été offert à Rayner Banham
01:05:53 qui était mort avant d'avoir pu l'occuper.
01:05:56 Malgré cette nomination à un poste prestigieux,
01:05:59 il continue longtemps à se partager assez équitablement entre les États-Unis et la France.
01:06:04 Son débarquement de la Direction de la Cité de l'Architecture et du Patrimoine
01:06:08 constitue un autre événement, traumatique cette fois,
01:06:12 qui le conduit à recentrer sur ses activités américaines.
01:06:17 Contrastant avec l'accueil enthousiaste qui lui était réservé au Grand Atlantique,
01:06:21 cette mise à l'écart lui inspirera une défiance à l'égard des institutions françaises
01:06:26 qui ne s'étaient apaisées que récemment.
01:06:29 La carrière américaine de Jean-Louis est placée sous l'égide de deux paradoxes.
01:06:34 Tout d'abord, Jean-Louis enseigne en histoire de l'art,
01:06:37 non pas dans une école d'architecture,
01:06:40 alors même que c'est chez les architectes et les historiens de l'architecture qu'il est le plus reconnu.
01:06:45 Cela ne l'empêche pas d'être lu par les étudiants en architecture.
01:06:48 Il donne également régulièrement des séminaires à l'école d'architecture de Princeton
01:06:53 et participe à de nombreux jurys de thèses, de doctorats, présentés par des architectes.
01:06:58 Il a ainsi été dans le jury de plusieurs de mes doctorants d'art barbe.
01:07:03 L'autre paradoxe, c'est cet attachement très profond à Paris
01:07:07 qui ne l'empêche pas d'être profondément intégré à la vie intellectuelle nord-américaine.
01:07:11 En même temps qu'il siège au Conseil scientifique du Museum of Modern Art de New York
01:07:16 et du Centre canadien d'architecture de Montréal,
01:07:19 Jean-Louis est fréquemment à Paris, arpente les rues de la capitale
01:07:22 où il passera d'ailleurs une bonne partie du premier confinement,
01:07:25 donne des conférences et intervient dans des colloques.
01:07:28 Sa nomination comme professeur au Collège de France,
01:07:31 en même temps qu'il continue à assurer les devoirs de sa chaire de l'Institute of Fine Arts,
01:07:36 vient en quelque sorte couronner cette fidélité à Paris et à sa vie intellectuelle.
01:07:41 Jean-Louis, l'Américain, ce sont enfin des lieux qu'il a beaucoup fréquentés,
01:07:46 le Getty à Los Angeles, ainsi que je l'ai déjà souligné,
01:07:49 mais aussi le Centre canadien d'architecture à Montréal.
01:07:52 À New York, il convient d'évoquer l'Institute of Fine Arts,
01:07:55 ce A5e avenue en face de Central Park,
01:07:58 logée dans une luxueuse demeure née au XVIIIe siècle,
01:08:01 inspirée par un château bordelais et remodelée par Robert Venturi.
01:08:05 Jean-Louis appréciait cet endroit un peu improbable, a priori, pour un historien de la modernité.
01:08:10 Jean-Louis à New York, c'était aussi son extraordinaire appartement
01:08:15 situé au sommet d'une tour construite par Pei qui dominait Soho,
01:08:18 avec une vue à couper le souffle sur tout le sud de l'île de Manhattan.
01:08:22 Jean-Louis, que ses multiples activités tenaient fréquemment éloignées de New York,
01:08:27 prêtait généreusement cet appartement à ses amis.
01:08:30 J'en ai profité, comme beaucoup d'autres.
01:08:33 New York me paraît un peu vide à présent sans l'occupant de la tour, de Bleecker Street.
01:08:38 Un mot pour terminer sur l'extrait vidéo que j'ai choisi.
01:08:42 Il s'agit de la dernière intervention publique de Jean-Louis à la Graduate School of Design,
01:08:46 l'École d'architecture et d'urbanisme et de paysage d'Harvard, en avril 2022.
01:08:52 Nous l'avions invité pour présenter le premier tome de son catalogue des dessins de Frank Gehry,
01:08:58 une somptueuse publication et une véritable somme sur les origines et les premiers temps
01:09:03 de l'œuvre de l'architecte californien.
01:09:06 Une lecture indispensable pour qui cherche à comprendre son œuvre.
01:09:10 D'autres volumes devaient suivre.
01:09:12 Je ne sais pas si le projet continuera sans son principal instigateur.
01:09:16 Place à Jean-Louis maintenant.
01:09:18 [Applaudissements]
01:09:24 Je pense que c'est plus court de prendre votre masque quand vous parlez.
01:09:32 C'est une grande différence avec NYU, où il y a cette ordure de parler et de penser avec un masque.
01:09:42 Merci beaucoup, Andrew, pour cette introduction.
01:09:48 Je suis très heureux d'être ici.
01:09:50 Encore une fois, dans une école où j'ai traversé plusieurs moments au cours des 35 dernières années,
01:10:02 j'ai vu cela changer et, comment dirais-je, fleurir, dans de nombreux sens.
01:10:11 Je suis très heureux d'être en conversation avec Antoine.
01:10:14 Nous avons partagé, il y a longtemps, les premiers pas dans la développement de l'architecture en France,
01:10:22 car il était nouveau de l'école et je suis plus ou moins le même,
01:10:28 juste un peu plus avancé.
01:10:32 Il a aussi été long pour nous deux, des bureaux de l'Office de la ministre de l'Habitation
01:10:40 dans un hôpital post-World War II, sur les bords de la rivière Seine, à ce lieu.
01:10:48 Cela a dit pourquoi Gary et pourquoi j'ai passé un énorme temps
01:10:56 à travailler en détail sur le travail de Franck Gary.
01:11:00 Je dirais simplement que Gary est sans doute l'un des très peu d'architectes
01:11:07 qui ont révolutionné complètement la discipline de l'architecture
01:11:13 au cours des 40 dernières années, peut-être, depuis la fin de son établissement à Santa Monica.
01:11:22 En tant que token de son statut, je vous montre son portrait sur la muraille
01:11:30 de l'Office de la ministre de l'Habitation, construit à Venise,
01:11:35 dans la campagne orchestrée par l'agence de publicité de l'époque,
01:11:42 pour l'entreprise Apple, qui pense différemment.
01:11:48 Gary a donc pensé différemment à l'architecture,
01:11:52 comme tous ces personnages, engagés ou non, ont fait.
01:11:59 Je vous donnerai deux exemples.
01:12:02 Son propre maison de 1978, qui a complètement déroulé
01:12:07 le fondement de l'architecture domestique,
01:12:11 qui a introduit un registre esthétique totalement choquant
01:12:16 dans ce qui était considéré comme un domaine matérialement conservateur.
01:12:21 Et bien sûr, le Bilbao Guggenheim, qui, comme l'expression d'un bâtiment,
01:12:31 a complètement changé la perception de la ville,
01:12:34 mais en même temps, a donné un autre point de vue
01:12:39 au musée, dans son design et sa construction,
01:12:44 qui a aussi innové de nombreuses façons.
01:12:47 Gary a donc abandonné des bâtiments changeants,
01:12:52 de petits à grands, et c'est ce qui s'est passé
01:12:56 avec son projet le plus récent.
01:12:59 Pour moi, Frank Gehry a été un autre exemple.
01:13:07 Pendant plusieurs années, en 1970, en tant qu'étudiant
01:13:13 et jeune professeur, je n'arrivais pas à ce blessé pays
01:13:16 à cause de mon affiliation politique.
01:13:21 J'étais un "red", et les "reds" n'ont pas donné de visa sérieux.
01:13:25 Alors, avec l'élection de Mitterrand en 1981,
01:13:30 ce règlement a été élevé, et j'ai fait mon premier voyage aux Etats-Unis.
01:13:35 J'ai rencontré à New York, Peter Eisenman,
01:13:40 à qui j'ai été attiré pour de nombreuses raisons,
01:13:43 qui m'a conseillé, en allant à Los Angeles,
01:13:46 de visiter ce gars qui faisait des choses étranges dans son jardin.
01:13:51 C'était en juillet 1981, et nous sommes devenus amis,
01:13:55 et nous sommes toujours amis.
01:13:57 C'est une très longue amitié, une très longue conversation.
01:14:02 Ce n'est pas seulement la pensionnaire de la Villa Médicis à Rome,
01:14:07 ou l'architecte qui a transformé à Amiens, avec son associé Catherine Freynac,
01:14:12 le musée de Picardie,
01:14:14 ou l'étudiante du DEA dirigée par Jean-Louis,
01:14:17 publiant la Villa Petrangeli,
01:14:20 en quête sur une maison disparue,
01:14:23 l'enseignante, mais aussi l'architecte,
01:14:26 qui a fait un grand travail pour nous,
01:14:29 l'enseignante, mais aussi à la scénographe d'interférence,
01:14:33 dont nous parlait Hartmut Frank,
01:14:36 et de l'architecture en uniforme à la Cité de l'Architecture en 2014,
01:14:42 contribution la plus décisive et sans doute la plus personnelle
01:14:46 de celui que l'on reconnaîtra,
01:14:48 dans le titre choisi par Béatrice Julien,
01:14:51 l'architecte, le conteur et l'historien.
01:14:56 Merci beaucoup.
01:14:58 Merci beaucoup.
01:15:01 Oui, la première fois que j'ai vu Jean-Louis,
01:15:05 c'était à l'occasion d'un cours qu'il faisait à l'école d'architecture de Paris Weimar,
01:15:11 il y a donc bien longtemps,
01:15:13 et peut-être d'autres personnes dans la salle ont assisté à ces séries de cours,
01:15:18 et il l'avait appelé "Corbusches et les soviets",
01:15:21 et c'est quelque chose qui est toujours resté dans nos mémoires.
01:15:25 Et effectivement, Jean-Louis a un peu infléchi la vie de beaucoup d'entre nous,
01:15:32 et notamment par son extraordinaire faculté à transmettre,
01:15:37 je crois qu'on est tous très éblouis, on pourrait dire, de cette réalité-là.
01:15:46 Et quand Alexandre Chemetov m'a demandé de parler d'architecture en uniforme,
01:15:52 de cette exposition, je me suis dit que c'était une occasion
01:15:56 pour tenter de comprendre cette alchimie particulière
01:16:02 qu'il arrivait à fabriquer entre l'exposition déployée dans l'espace
01:16:08 et puis tous ces livres qu'il les accompagnait fréquemment,
01:16:13 qui étaient des livres très sérieux mais jamais ennuyeux,
01:16:18 extrêmement... des sommes parfois,
01:16:22 qui fourmillent d'une échonographie tout à fait extraordinaire
01:16:26 et qui bien sûr survivent à l'exposition qui, elle, est par essence éphémère.
01:16:31 Donc en effet, je pensais bien parler du commissaire Jean-Louis,
01:16:38 puisqu'il adorait faire des expositions,
01:16:41 et que j'ai évidemment beaucoup aimé pouvoir en faire avec lui,
01:16:46 celle avec Hartmut, bien sûr,
01:16:49 et donc interférence et puis architecture en uniforme.
01:16:52 Et cette deuxième me paraissait intéressante d'évoquer ici,
01:16:58 parce qu'il me semble qu'elle rassemble pas mal des...
01:17:04 je ne sais pas si on peut dire des obsessions,
01:17:06 mais des ingrédients qui étaient constants chez Jean-Louis,
01:17:11 il me semble qu'il le rappelait d'ailleurs,
01:17:14 qui étaient d'abord ce qu'il appelait l'importance du contre-transfert,
01:17:20 qui lie plus ou moins secrètement un historien ou un commissaire
01:17:25 à son objet d'étude.
01:17:27 Et ici, évidemment, il s'agit du poids de son histoire familiale
01:17:31 dans le choix de la période,
01:17:33 et il y a aussi la grande ombre portée de la guerre sur son enfance
01:17:38 et la marque de la déportation de sa mère à Auschwitz.
01:17:42 Mais aussi, dans architecture en uniforme,
01:17:44 il parlait dans les différentes interviews que j'ai pu entendre
01:17:48 ou quand on avait travaillé dessus,
01:17:51 et je pense qu'Hartmut en a parlé tout à l'heure aussi,
01:17:53 il parlait d'une pulsion scopique, toujours selon ses mots,
01:17:57 qui le poussait à explorer les angles morts,
01:18:00 de la plage laissée blanche, selon lui, entre 1939 et 1945,
01:18:05 par même les plus éminents historiens de l'architecture moderne,
01:18:09 qui faisaient penser qu'il ne fallait s'intéresser qu'à la reconstruction,
01:18:14 ce qui l'énervait beaucoup.
01:18:16 Et puis, autre récurrence, il me semble,
01:18:18 c'était que cette exposition manifestait, comme beaucoup d'autres,
01:18:22 son tropisme comparatif et transnational,
01:18:25 qui est assez évident,
01:18:27 et qui le poussait sans cesse à pousser les frontières
01:18:30 et à s'intéresser à plusieurs nations,
01:18:32 et à adopter très souvent une structure thématique et diachronique
01:18:37 qui lui tenait à cœur.
01:18:39 Et puis, quelque chose peut-être de moins académique,
01:18:43 qui ressort davantage de son goût du récit,
01:18:47 c'était cette façon qu'il avait de vouloir accumuler,
01:18:51 et à interférence, vous étiez deux à vouloir accumuler des objets,
01:18:56 il y en avait toujours plus, qu'on n'arrivait pas à faire rentrer dans l'espace,
01:19:00 donc une envie de mettre, bien sûr, des maquettes, des dessins,
01:19:06 des documents d'architecture,
01:19:08 mais aussi des fragments d'architecture grandeur,
01:19:11 qu'il repérait avec l'appétit d'un enfant,
01:19:16 et bien sûr, tout un tas d'autres objets
01:19:22 qui trouvent rarement place dans les expositions d'architecture,
01:19:26 des affiches publicitaires, des objets marrants,
01:19:30 et qui soulignaient bien cette approche très culturaliste
01:19:34 et pas disciplinaire qui était intéressante.
01:19:37 Et donc, pourquoi le conteur ?
01:19:39 Il me semble que, d'une part, c'est assez évident,
01:19:43 et puis, pour faire tenir tout ça ensemble,
01:19:46 il faut un talent de conteur, il me semble,
01:19:49 et il arrivait à rendre claires des récits très compliqués,
01:19:53 ou enchevêtrés, et il s'appuyait souvent sur des anecdotes cocasses,
01:19:57 mais pour éclairer un pan tout à fait sérieux,
01:20:01 comme dans les entretiens, par exemple, sur Métropolitain,
01:20:05 avec François Chalin, quand il évoque, dans cette sombre histoire
01:20:08 de la guerre, d'architecture en uniforme,
01:20:12 l'histoire du poil brûle-tout, que Jean Prouvé avait inventé
01:20:15 pour faire face à la pénurie de carburant,
01:20:18 ou encore l'histoire de l'usine américaine en Californie
01:20:22 camouflée avec un faux pavillonner jardiné par des vrais jardiniers, etc.
01:20:27 Donc, tout ça mis ensemble donne vraiment, pour les scénographes,
01:20:33 et je pense qu'il y a beaucoup d'autres personnes
01:20:36 qui pourraient en témoigner, qui ont travaillé avec lui,
01:20:39 une matière extraordinaire et très riche,
01:20:43 et il disait qu'il donnait par ailleurs beaucoup de liberté,
01:20:48 ce qui est quand même assez agréable, et il disait, je cite,
01:20:53 c'était dans une interview d'ailleurs dans ton livre, Elisabeth,
01:20:58 enfin, dans ton livre sur Lina Bo Bardi, qu'il s'agissait d'arracher
01:21:01 le commissaire à son narcissisme au nom de l'expérience spatiale.
01:21:05 Et pour arriver à tenir ces récits multiples croisés,
01:21:12 il utilisait très fréquemment deux concepts,
01:21:17 l'un qu'il empruntait à Eisenstein, le concept d'attraction,
01:21:21 et l'autre qui était celui de Cronotop,
01:21:26 qu'il empruntait à la théorie littéraire,
01:21:30 et ça devenait très facilement, il me semble, des outils,
01:21:35 pour fabriquer l'espace, les attractions étant plutôt des objets singuliers
01:21:41 et mouvants qui attiraient, qui intriguaient le visiteur
01:21:45 et qui marquaient sa mémoire, ce qui est très fécond, disons,
01:21:51 et les Cronotop étant finalement des histoires édifiantes
01:21:54 dans un lieu particulier qui arrivaient à agglomérer
01:21:58 tout un tas d'objets qui paraissaient disparates au départ.
01:22:02 Et cette faculté-là, il me semble, est extrêmement, disons,
01:22:09 utile, enfin, en tout cas, me semble-t-il,
01:22:15 est complètement en phase avec sa manière de transmettre,
01:22:20 parce que je voudrais, pour conclure, revenir sur cette question de transmission
01:22:23 dont les expositions ne sont qu'un volet,
01:22:26 et qui est une des raisons, je pense, qui nous réunit aussi ici,
01:22:30 c'est qu'il me semble qu'il y a un parallèle frappant
01:22:34 entre la façon dont il voulait, ce qu'il intéressait dans l'histoire,
01:22:39 dans la façon de faire de l'histoire, c'est-à-dire, non pas des tunnels,
01:22:42 mais des contaminations, des croisements, des parallèles, des échos,
01:22:48 et il parlait d'intertextualité beaucoup,
01:22:51 donc cette façon d'aborder l'histoire et puis sa façon de la transmettre
01:22:56 à ses étudiants, un peu de tous âges, aux chercheurs, aux amis,
01:23:02 et qui dessinait une espèce de réseau très complexe,
01:23:08 et touffu de trajectoires, et avec, comme ça a été dit très souvent,
01:23:14 mais je voulais le redire encore, une générosité tout à fait extraordinaire
01:23:19 et une fidélité qui nous manque.
01:23:22 - Excusez-moi, le film qui se passe, c'est un montage,
01:23:28 avec des bouts d'infrastructures uniformes.
01:23:31 - On a l'habitude de penser que pendant la guerre,
01:23:36 les architectes ne font rien, que la construction s'arrête.
01:23:38 C'est tout le contraire, ils ont été hyperactifs.
01:23:40 Certains étaient combattants, certains en fin de la résistance,
01:23:43 certains sont conduits comme des citoyens ordinaires,
01:23:47 et d'autres ont été mobilisés en tant qu'architectes
01:23:49 pour dessiner des bunkers, pour faire des plans de camouflage,
01:23:53 pour construire des centaines d'usines, pour imaginer des systèmes mobiles
01:23:58 pour déplacer les hommes et les matériaux, pour faire de la propagande.
01:24:04 Bref, on peut dire que la guerre a révélé tous les potentiels,
01:24:07 à la fois positifs, de l'architecture, mais aussi toute la noirceur,
01:24:12 du cynisme de la profession, dans beaucoup de cas.
01:24:15 Oui, les architectes, on peut dire qu'ils se trouvent
01:24:19 sur tous les points du spectre de la participation à la guerre.
01:24:24 Les criminels de guerre, les cyniques, les opportunistes,
01:24:28 ceux qui préfèrent, jeunes architectes allemands,
01:24:31 être dans un bureau chauffé plutôt que dans une tranchée glacée de Stalingrad.
01:24:35 Et puis les résistants emprisonnés qui sauvent leur peau
01:24:39 en travaillant comme circus pour l'agence d'architecture des SS,
01:24:44 et ils construira pour eux une serre pour cultiver des plantes
01:24:48 destinées à des expérimentations.
01:24:50 Ce qui est important, et c'est pour ça que cette thématique du camouflage
01:24:53 occupe une si grande place dans mon récit,
01:24:55 c'est qu'au fond, elle participe de cette mobilisation
01:24:58 des expertises architecturales qui est caractéristique de la guerre.
01:25:01 Les architectes sont engagés pourquoi ?
01:25:03 Parce qu'ils peuvent être, selon les cas, experts d'organisation,
01:25:06 de construction bien évidemment, de technologie, de visualisation,
01:25:11 et experts dans la lecture du paysage.
01:25:15 Pendant la Seconde Guerre Mondiale, l'échelle change.
01:25:18 Il ne s'agit plus de camoufler des objets au sol, ou beaucoup moins,
01:25:21 mais de camoufler des territoires entiers.
01:25:23 Et c'est là que les architectes, avec leur compréhension,
01:25:26 leur connaissance de la morphologie des paysages, sont actifs,
01:25:29 et y apprennent beaucoup de choses.
01:25:31 Le carburant manque, les matériaux manquent,
01:25:35 l'acier, le bois de bonne qualité va vers les armées.
01:25:38 Et donc on invente dans tous les pays des techniques alternatives.
01:25:41 C'est par exemple le triomphe d'un matériau auquel on ne pense pas,
01:25:45 qui est la colle.
01:25:46 Parce qu'avec les nouvelles colles plastiques,
01:25:48 on peut fabriquer des grandes structures, des avions avec des tout petits bouts de bois.
01:25:51 C'est le début de la grande recherche sur les plastiques.
01:25:55 C'est le début aussi de la réflexion sur les économies d'énergie.
01:25:59 N'oublions pas qu'un des rares termes allemands
01:26:02 qui soit resté de l'occupation dans le langage français,
01:26:05 c'est "Erzatz", produit de remplacement.
01:26:08 Donc on a massivement remplacé tout ce qu'on ne pouvait pas utiliser,
01:26:12 car la guerre le consommait.
01:26:17 Je pense aussi à la recherche sur certains systèmes
01:26:19 qui existent toujours aujourd'hui et dont on ne soumptionne pas l'origine.
01:26:22 En particulier le système Mero,
01:26:24 qui est un système tridimensionnel qui a connu son heure de gloire
01:26:28 dès les années 50 dans toutes les grandes expositions
01:26:30 et qui continue à être utilisé aujourd'hui
01:26:32 pour faire des toits d'usines, des toits de stations-service,
01:26:36 et des grandes structures.
01:26:37 Et qui est à l'origine un système transformable
01:26:39 élaboré pour la Luftwaffe
01:26:41 par un ingénieur spécialiste des tuyaux de chauffage,
01:26:44 monsieur Max Meringhausen,
01:26:47 qui est aussi un passionné des proportions.
01:26:49 Et c'est donc très curieusement,
01:26:51 comme le corbusier sur les proportions fondées sur le nombre d'or,
01:26:57 qu'il élabore ces structures spatiales.
01:27:01 Je reviens sur ce qui m'a profondément choqué,
01:27:07 profondément touché.
01:27:08 Par exemple, en allant voir Auschwitz avec comme perspective
01:27:13 celle de comprendre qui avait dessiné.
01:27:16 Auschwitz a été dessiné par des dizaines d'architectes,
01:27:18 d'ingénieurs, de paysagistes.
01:27:19 Ou d'aller voir la base de fusée de Pénomune sur la Baltique,
01:27:23 qui a été mon dernier voyage, peu avant l'exposition.
01:27:26 Ce qui m'a choqué, ce que je trouve provoquant,
01:27:29 c'est la volonté de perfection esthétique
01:27:32 de ces systèmes meurtriers.
01:27:35 Et qui est un des aspects les plus dérangeants de la guerre.
01:27:40 (Applaudissements)
01:27:48 Je voudrais dire qu'effectivement, cette exposition,
01:27:51 le catalogue "Architecture en uniforme",
01:27:56 c'est en doute une des contributions que, pour ma part,
01:27:59 je trouve les plus décisives dans le travail de Jean-Louis.
01:28:03 Sans doute parce qu'elle recouvre son histoire,
01:28:06 sa propre histoire aussi.
01:28:08 Alors maintenant, je vais vous présenter quelqu'un
01:28:12 qui est assez proche de moi, qui s'appelle Alexandre Chemetov.
01:28:15 Donc, monsieur loyal, qui tend un instant son rôle,
01:28:19 apporte à son tour une contribution au portrait qui se dessine.
01:28:24 Merci.
01:28:26 Je rencontrais Jean-Louis en portant les épreuves de la revue
01:28:30 "La Nouvelle Critique", mise en page par mon grand-père,
01:28:33 Alexandre Chem, au père de Jean-Louis, Francis.
01:28:37 C'était au tout début des années 60.
01:28:40 Nous partageons avec Yves, le frère de Jean-Louis,
01:28:44 les bancs de l'école communale de la rue Videpiant.
01:28:48 Nous nous sommes ainsi reconnus
01:28:50 sur le seuil de l'appartement de la rue Barreau,
01:28:54 dans le 13e arrondissement, au pied de la butte aux cailles.
01:29:00 Et depuis, nous ne sommes jamais perdus de vue.
01:29:04 Quelques années plus tard,
01:29:07 nous entreprenions une visite le long de la Bièvre.
01:29:11 Le décor était déjà planté.
01:29:15 Nous allions au lycée Rodin,
01:29:17 implanté le long de cette rivière disparue.
01:29:21 Cet établissement avait été conçu à la fin des années 50
01:29:26 par l'architecte Jean Demarais,
01:29:29 comme un contrepoint au square René-le-Gal,
01:29:32 dessiné avant-guerre par Jean-Charles Moreux.
01:29:36 Au pied du mobilier national d'Auguste Perret
01:29:40 et dominé par la première tour parisienne,
01:29:43 celle d'Edouard Albert.
01:29:45 L'ensemble offrait, sur un territoire limité,
01:29:49 l'annonce des thèmes, le sommaire en quelque sorte,
01:29:54 d'un parcours que nous allions suivre l'un et l'autre à notre manière,
01:29:59 sur les chemins de l'architecture, de l'urbanisme et du paysage.
01:30:04 Cette mise en situation de l'histoire des lieux
01:30:07 n'est pas différente de l'idée de construire en situation.
01:30:12 Et la façon dont Jean-Louis relie les éléments
01:30:16 d'une histoire en morceaux qu'il assemble en un paysage d'ensemble
01:30:20 trouve dans ce territoire de notre enfance
01:30:24 une sorte d'image descriptive et représentative
01:30:27 de son attitude et de sa démarche.
01:30:31 Nous avions entrepris cette promenade près de 50 ans plus tard,
01:30:36 suivant la même vallée pour explorer ensemble
01:30:39 d'autres géographies plus périphériques.
01:30:43 La promenade pour nous était envisagée
01:30:46 comme une manière d'exercer un point de vue critique
01:30:49 et portant la parole in situ,
01:30:51 faire le commentaire des projets en lisant la vie,
01:30:54 la livre ouverte, pour imaginer comment une situation
01:30:59 peut se construire en s'envisageant
01:31:02 et en s'envisageant se construire.
01:31:05 Nous aimions tant Jean-Louis et moi l'exercice de cette pratique.
01:31:09 Mais sans attendre, j'ouvre pour vous ce carnet de notes filmées
01:31:15 montées il y a plus grâce à l'intervention attentive
01:31:19 de mon frère Conrad, d'une visite
01:31:23 qui date de plus de 10 ans le long de la Bièvre
01:31:26 de Bagneux à Gentilly, en passant par Villejuif et Arcueil.
01:31:31 Voilà l'état de la Bièvre il y a quelques siècles.
01:31:39 On la voit ici.
01:31:42 Cette pauvre fille.
01:31:44 C'est une sorte de dégoût.
01:31:49 C'est une très bonne image du statut de l'eau dans la ville du XIXe siècle.
01:31:55 Quand tu regardes ici les bidons, la déteinturier, le petit pont,
01:32:02 c'est presque encore un peu charmant.
01:32:05 On voit bien dans ces images de Douaneau à Gentilly
01:32:09 comment la Bièvre est urbanisée,
01:32:12 comment elle est aussi rejetée,
01:32:15 comment elle devient une sorte de rivière ancillaire,
01:32:19 de servante qui charrie les déchets et qui éventuellement irrigue les tanneries
01:32:25 de l'autre côté de la limite de Paris pendant un temps.
01:32:30 Ce qui est assez frappant, c'est de la voir ainsi domestiquée et marginalisée.
01:32:36 On comprend bien le processus qui a conduit à sa couverture,
01:32:40 à son déni et les difficultés qu'il peut y avoir aujourd'hui à la faire émerger.
01:32:47 En fait, on a récupéré les terrassements de l'usine Thomson.
01:32:55 Ah d'accord, donc il y a en fait un lien entre ces deux chantiers le long de la vallée.
01:33:01 Je crois qu'on a une bonne image de ce qu'est cette banlieue parisienne
01:33:05 puisqu'on voit passer les infrastructures, l'autoroute du sud là-bas,
01:33:09 les grands équipements qui ont été rejetés depuis Paris,
01:33:13 en commençant par les malades, puis par les morts,
01:33:18 avec l'exportation des cimetières parisiens, puis par les ouvriers,
01:33:22 leurs usines d'abord, ensuite les ouvriers eux-mêmes, et enfin les équipements publics.
01:33:28 Donc on est dans cette butte, au fond, elle est prise au sein de ce grand mouvement centrifuge.
01:33:34 Les images qui me viennent à l'esprit quand je vois certaines fractions de ce lieu,
01:33:38 ce sont les photos d'Adjet, précisément sur les fortifications,
01:33:43 entre la porte de Gentilly et la poterne des Peupliers.
01:33:47 C'est exactement le même, la scie végétale sur des talus qui mènent en Cézou.
01:33:53 Demi-tour, tu passes à droite, tu reprends la prochaine à droite.
01:34:00 Ah oui, ça marche très bien.
01:34:06 C'est là où on perçoit très bien le paradoxe du terrain.
01:34:10 On est sur une hauteur, mais on est dans un creux derrière la hauteur, dans une sorte de combe.
01:34:17 Dans une sorte de combe, le terrain va continuer à monter
01:34:20 et tomber à pic sur l'autoroute et la vallée de la Bièvre de l'autre côté.
01:34:24 Tu peux rester là, dans la voiture.
01:34:29 Cette promenade va de la bibliothèque à la mairie
01:34:34 et permet de servir l'entrée du collège avec ce système de chemin.
01:34:40 Mais je trouve qu'il y a autre chose ici qui est aussi une question de texture,
01:34:46 qui est une texture de bourg, de la globalisation.
01:34:52 De faux bourgs parisiens, intra-muros ou d'anciens villages.
01:34:58 Et que, dans une certaine mesure, ça rend à Arkeuil ce qui est sa qualité,
01:35:04 qui est d'avoir été plutôt un petit village absorbé par Paris,
01:35:10 relié à Paris par le fil de la Bièvre.
01:35:13 C'est l'idée que la modernisation de la banlieue,
01:35:16 se fait sans autre modèle que la banlieue elle-même.
01:35:19 En échappant au modèle du grand ensemble, évidemment,
01:35:22 mais en échappant aussi au modèle de l'urbanité artificielle hors d'échelle.
01:35:27 En fait, il y avait dans Arkeuil les ingrédients de sa recomposition.
01:35:34 Ce que je trouve vraiment intéressant, c'est que,
01:35:42 ce n'est pas une maison sur une parcelle,
01:35:46 c'est un système de construction qui occupe un site,
01:35:50 et qui, dans le même temps, le manifeste.
01:35:54 Alors, je pense que c'est un peu comme un projet de la bière,
01:36:06 mais c'est un projet de la bière qui est un peu comme un projet de la bière.
01:36:12 Et c'est un projet de la bière qui est un projet de la bière.
01:36:16 Et c'est un projet de la bière qui est un projet de la bière.
01:36:21 Et c'est un projet de la bière qui est un projet de la bière.
01:36:26 Et c'est un projet de la bière qui est un projet de la bière.
01:36:29 Et c'est un projet de la bière qui est un projet de la bière.
01:36:32 Et c'est un projet de la bière qui est un projet de la bière.
01:36:36 L'Inde, l'Amérique latine et certains pays de l'Orient.
01:36:41 Apprenant la mort de Jean-Louis,
01:36:44 elle s'est remémorée la manière dont il articulait dans son enseignement
01:36:48 l'organisation des connaissances,
01:36:51 mais aussi une part plus personnelle de mémoire et de savoir.
01:36:55 Elle était, selon ses propres termes,
01:36:58 "his final student",
01:37:01 sa dernière étudiante.
01:37:04 Et je vais maintenant vous céder la parole.
01:37:07 Anna Katz, si vous ne vous en faites pas, vous pouvez maintenant...
01:37:12 Merci.
01:37:14 Je vous excuse d'abord,
01:37:16 je ne vais pas vous mortifier avec mon français.
01:37:19 Il me faut parler de Jean-Louis
01:37:22 au Institut des Finances de l'Université de New York,
01:37:25 où il a été le président du Châleau Sheldon H.
01:37:27 dans l'histoire de l'architecture moderne pendant 30 ans.
01:37:30 Un poste qu'il a pris de Rayner Bannum.
01:37:33 Il était au Châleau,
01:37:36 mais Jean-Louis a fonctionné comme un individu seul,
01:37:39 un individu qui n'a jamais été enlevé par les murs
01:37:42 ni par l'agenda d'une université ni d'un musée.
01:37:45 Il s'est déplacé entre eux,
01:37:48 en collapsant ce qui semblait être leurs contradictions,
01:37:51 grâce à sa force intellectuelle et personnalité.
01:37:54 Je me rends toujours au courant
01:37:57 de Jean-Louis dans les dernières tentes.
01:37:59 A l'intérieur des salles de la Guilde de l'IFA,
01:38:02 il se sent souvent seulement en sabbatical.
01:38:05 J'ai encore un peu peur qu'il revienne en janvier
01:38:08 et que je ne finisse pas de lire
01:38:11 tous les écrits de Salim Khan Maghamedov
01:38:14 sur l'avant-garde soviétique dans le russe.
01:38:17 Au-delà de la classe,
01:38:20 beaucoup de la dramatique de Jean-Louis
01:38:23 a eu lieu dans son appartement
01:38:26 à la salle des Towers de la Silver,
01:38:29 le logement de l'université de la GRC à Greenwich.
01:38:32 C'est là que nous nous sommes rencontrés
01:38:35 pour commencer à travailler sur son prochain livre,
01:38:38 son "Grand Livre de l'Université de la Santé",
01:38:41 pour lequel j'étais son aide-research.
01:38:44 Il a fait des soirées de fin d'année,
01:38:47 célèbres auprès des étudiants,
01:38:50 et a fait des heures d'office avec des conseillers.
01:38:53 Avant de visiter la maison de Jean-Baptiste Villeneuve-Archigas
01:38:56 en 1980, Jean-Louis avait inventorié
01:38:59 les couches de livres.
01:39:02 Quelques 40 ans plus tard,
01:39:05 il a récité en russe les citations
01:39:08 de plusieurs titres de la théorie architecturelle
01:39:11 de la haute staliniste,
01:39:14 comme il les avait vu dans la bibliothèque de Paulista.
01:39:17 Son ton était calme,
01:39:20 et il avait dit qu'il n'avait pas besoin de trouver
01:39:23 des citations de cette nature en Amérique du Nord.
01:39:26 La semaine suivante, il m'a apporté un livre.
01:39:29 J'ai ouvert le livre pour trouver des photos,
01:39:32 des paragraphes, des clauses individuelles
01:39:35 et des citations différentes.
01:39:38 À mon réaction perplexe, il m'a répondu
01:39:41 que c'était une copie d'Anatole Copp.
01:39:44 "Prends-le", il a dit, avec une insolence méprisante
01:39:47 et qui avait été un peu déçu.
01:39:50 En fait, ma première rencontre avec Jean-Louis a été
01:39:53 à MoMA, en juin 2013,
01:39:56 bien avant que je travaillasse avec lui,
01:39:59 ou que je l'ai étudiée plus tard.
01:40:02 Mon premier assignement, comme jeune critique d'architecture,
01:40:05 était de faire une revue de l'exhibition
01:40:08 "Le Corbusier, un atlas des paysages modernes",
01:40:11 qui a été curatrice.
01:40:14 "Je suis fatiguée de Le Corbusier", il a annoncé.
01:40:17 "Parlez-moi de quelque chose d'autre."
01:40:20 En personne, il était en forme parfaite,
01:40:23 éloquent, élégant, généreux avec son vaste connaissance.
01:40:26 En le regardant maintenant, je me rappelle qu'il reste encore
01:40:29 tellement de choses pour nous d'apprendre de lui.
01:40:32 Au nom d'un hommage, je vous invite à le regarder ensemble.
01:40:35 [Applaudissements]
01:40:39 [Musique]
01:40:43 [Musique]
01:40:47 [Musique]
01:40:50 Cette exposition est, comme le travail de Le Corbusier,
01:40:59 en utilisant beaucoup de médias.
01:41:02 Le Corbusier a voulu, à la première fois dans sa vie,
01:41:05 devenir peintre avant d'être architecte,
01:41:08 et il a laissé des milliers de dessins et des centaines de peintures.
01:41:11 J'ai décidé de montrer deux cycles de peintures,
01:41:14 la peinture la plus pure des années 1920,
01:41:17 qui peut être comprise comme des paysages d'objets,
01:41:20 et aussi les peintures plus tardives des années 1930,
01:41:23 dans lesquelles des thèmes plus poétiques, plus surréalistes,
01:41:26 apparaissent avec des petits paysages,
01:41:29 et une attention à ce qu'il appelle des objets de réactions poétiques,
01:41:32 des objets trouvés sur des fleurs et des jetons trouvés sur la plage.
01:41:37 [Musique]
01:41:42 Cette exposition a plusieurs modèles,
01:41:45 surtout des modèles originaux,
01:41:48 créés par le bureau de Le Corbusier et de Horry.
01:41:51 Ce modèle est particulièrement important.
01:41:54 Il a été créé à Paris en 1932,
01:41:57 pour la compétition de construire au Moscou
01:42:00 un palais de la Soviétique,
01:42:03 un grand bâtiment qui aurait été le centre monumental
01:42:06 du nouveau régime bolchevique.
01:42:09 Le Corbusier a donc décidé de construire un autre palais,
01:42:12 en New York, en 1935,
01:42:15 ensemble avec Le Corbusier,
01:42:18 et a donc resté au Musée des Arts Moderns.
01:42:21 Celui-ci a été préservé depuis et a été restauré plusieurs fois.
01:42:24 Le Corbusier a d'abord voyagé à New York,
01:42:27 où il a conduit une série de lectures.
01:42:30 Ce dessin a été fait à l'Université de Columbia,
01:42:33 et montre le palais de la Soviétique
01:42:36 en tant qu'un modèle.
01:42:39 Le palais est présenté comme un grand monument moderne,
01:42:42 mais aussi comme une sorte de scène
01:42:45 pour la démonstration de masse.
01:42:48 On voit les lignes bleues de la vague acoustique.
01:42:51 Le sondeur est ici. Cette vague bouge sur la première écrane,
01:42:54 puis sur l'extérieur du palais,
01:42:57 et crée une sorte de grande scène de son pour les masses.
01:43:01 Je pense que son travail, en particulier,
01:43:04 sous l'angle des paysages,
01:43:07 prend une nouvelle rélévance.
01:43:10 La rélévance n'est pas tellement en formes
01:43:13 qui peuvent être utilisées,
01:43:16 qui peuvent être recyclées, comme il l'était il y a plusieurs années.
01:43:19 Il a construit ce palais en 1912 pour ses parents,
01:43:26 en retournant de son paysage utile.
01:43:29 Il a fait des voyages à l'Italie,
01:43:32 en Allemagne, en Grèce et en Turquie.
01:43:35 C'est un premier état autobiographique.
01:43:38 En même temps,
01:43:41 parmi les décorations spécialement conçues pour le palais,
01:43:44 la pièce la plus intéressante est le tableau
01:43:47 très architectonique qu'il a fait pour sa mère.
01:43:50 Il a fait un correspondance avec sa mère
01:43:53 de 1907 à 1960,
01:43:56 quand elle est morte à l'âge de 100 ans,
01:43:59 toujours racontant des choses incroyables
01:44:02 sur ses réalisations.
01:44:05 Le travail de Le Corbusier,
01:44:08 je dirais les travaux,
01:44:11 400 désigns, 75 de ceux sont construits,
01:44:14 45 livres, 400 peintures.
01:44:17 La qualité de Le Corbusier en tant que créateur
01:44:20 était sa capacité à surprendre,
01:44:23 à ne jamais être emprisonné dans une vision
01:44:26 qu'il avait créée avant.
01:44:29 Le Corbusier,
01:44:32 le travail de Le Corbusier
01:44:35 Le Corbusier, le travail de Le Corbusier
01:44:38 Le Corbusier, le travail de Le Corbusier
01:44:41 Sébastien Marot est philosophe,
01:44:44 traducteur de Thomas de Kounset
01:44:47 et en particulier de la lettre à un jeune homme
01:44:50 dont l'éducation a été négligée,
01:44:53 ce qui n'a aucun caractère autobiographique.
01:44:56 Le Corbusier vit dans une famille vouée à l'art,
01:44:59 près de son père Michel Marot,
01:45:02 à l'hommage duquel, convié par Sébastien,
01:45:05 nous participions il y a peu, Jean-Louis et moi.
01:45:08 C'est en préparant le cycle de conférences
01:45:11 de la SFA rue du Cherchemidi
01:45:14 qu'il avait rencontré Jean-Louis
01:45:17 et lorsque Sébastien passa ensuite sa thèse,
01:45:20 il lui demanda d'être son directeur.
01:45:23 Trop solennel, Sébastien a préféré
01:45:26 le grand frère.
01:45:29 Merci Alexandre.
01:45:35 Quand Alexandre m'a demandé un titre
01:45:38 pour mon intervention dans cet hommage,
01:45:41 dans ce portrait, c'est celui qui m'est venu immédiatement
01:45:44 à l'esprit, le grand frère.
01:45:47 Parce qu'il traduit bien à mes yeux à la fois la carure,
01:45:50 l'envergure du personnage,
01:45:53 du prof, de l'historien,
01:45:56 mais aussi le rôle qu'il a joué pour moi,
01:45:59 comme j'imagine aussi pour beaucoup de ceux
01:46:02 qui furent ses jeunes collègues ou ses doctorants.
01:46:05 Et aussi il traduit son immense, ça a été dit plusieurs fois déjà,
01:46:08 son immense fiabilité
01:46:11 et fidélité comme ami.
01:46:14 Si je m'en tenais simplement à la carure,
01:46:17 à l'envergure du type,
01:46:20 de l'historien, de l'enseignant,
01:46:23 alors ce serait plutôt le parrain,
01:46:26 pour dire la place centrale, pionnière,
01:46:29 qu'il aura jouée dans l'émergence, dans la structuration
01:46:32 d'un milieu de la recherche architecturale en France,
01:46:35 dans la diffusion de la culture architecturale,
01:46:38 comme on vient de le voir partout.
01:46:41 De ce point de vue, consciemment ou non,
01:46:44 mais on voit que c'est conscient aujourd'hui,
01:46:47 la plupart de celles et ceux qui s'épanouissent
01:46:50 dans ce milieu sont un peu ses neveux.
01:46:53 Mais Jean-Louis n'était pas,
01:46:56 sur ce plan, un héritier,
01:46:59 quelqu'un qui aurait pu se contenter de transmettre
01:47:02 avec charge d'autorité,
01:47:05 un patrimoine et des traditions
01:47:08 déjà plus ou moins structurées. Ce milieu,
01:47:11 c'est très largement lui, avec certes quelques complices,
01:47:14 Antoine Picon et d'autres, Monique Hélèbe, etc.,
01:47:17 qu'il a plus ou moins fabriquées,
01:47:20 au gré de son immense curiosité intellectuelle et polyglotte,
01:47:23 et des positions qu'il était allé occuper,
01:47:26 il faudrait dire même inventer, au bureau de la recherche,
01:47:29 à l'EHESS, à la cité de l'architecture et ailleurs.
01:47:32 Et en lui donnant au passage, à ce milieu,
01:47:35 tout un rhizome de racines internationales,
01:47:38 vers l'Italie, l'Allemagne, la Russie,
01:47:41 et bien entendu vers l'Amérique.
01:47:44 Comme Remcolla s'y emploie aujourd'hui pour cartographier
01:47:47 son propre parcours, il faudra écrire un jour
01:47:50 la géographie de Jean-Louis Cohen.
01:47:53 Ça m'émeut beaucoup, très personnellement,
01:47:56 de songer par exemple que ma fille Isor,
01:47:59 qui est entrée cet été au conservatoire d'Amsterdam
01:48:02 pour y étudier le chant, et qui avait partagé notre dernier repas
01:48:05 avec lui en juillet, est, dans le monde parallèle
01:48:08 de l'administration néerlandaise,
01:48:11 toujours domicilier à son adresse de Rotterdam.
01:48:14 Par un, ne convient donc pas vraiment,
01:48:17 d'abord parce que l'héritage et l'autorité étaient sans testament,
01:48:20 mais surtout parce que Jean-Louis n'était pas dans ses rapports
01:48:23 avec les gens, du genre à fumer le cire-garde
01:48:26 derrière un bureau, ni du reste à flinguer qui que ce soit.
01:48:29 Si ça avait évidemment à être ironique
01:48:32 et tranchant, parfois, je ne me souviens pas
01:48:35 de ne l'avoir jamais entendu exprimer le moindre mépris,
01:48:38 ni dire le moindre mal des gens
01:48:41 ou des collègues qu'il fréquentait.
01:48:44 En fait, son premier geste,
01:48:47 c'était plutôt de vous faire profiter
01:48:50 de son réseau d'amitié,
01:48:53 d'affinité, de son trésor de savoir,
01:48:56 d'idées, de références, etc.,
01:48:59 et je crois que sa curiosité encyclopédique
01:49:02 lui avait permis d'accumuler.
01:49:05 Donc oui, Jean-Louis aura été mon grand frère,
01:49:08 je ne veux pas le voler à Yves et à Isabelle,
01:49:11 moi j'étais l'aîné dans ma propre famille,
01:49:14 donc c'est le grand frère que je me suis choisi
01:49:17 dans le milieu d'adoption où je suis entré il y a près de 40 ans.
01:49:20 Comme l'a rappelé Alexandre, débarquant un peu sans papier
01:49:23 dans le milieu de l'histoire et de la critique d'architecture
01:49:26 au milieu des années 80,
01:49:29 après des études de philo qui m'avaient laissé un peu flottant,
01:49:32 j'ai très vite énormément profité de sa bienveillance
01:49:35 et de sa conversation lorsque j'ai monté ses tribunes
01:49:38 d'histoire et d'actualité de l'architecture à la SFA.
01:49:41 10 ou 12 cycles de conférences super intenses
01:49:44 toute l'année scolaire, comme ça,
01:49:47 qui n'auraient jamais été aussi nourries
01:49:50 si je n'avais pas bénéficié toujours de ses conseils amicaux
01:49:53 et de tout son réseau de connaissances,
01:49:56 d'intuitions, de collègues, etc.
01:49:59 En consultant mes archives pour cette soirée,
01:50:02 j'ai constaté que Jean-Louis avait donné à lui seul
01:50:05 pas moins de 13 conférences dans ce cadre
01:50:08 dont la liste évoque l'extraordinaire variété
01:50:11 de ses intérêts.
01:50:14 Mai 1989, le constructivisme russe
01:50:17 et le mythe de la révolution française.
01:50:20 Novembre 1989, architecture et culture industrielle,
01:50:23 les fêtes et l'or.
01:50:26 Janvier 1991, Siegfried Gideon,
01:50:29 "The Bauen in Frankreich", à Espastan Architecture.
01:50:32 Janvier 1991 encore, "La mort qui donne la vie",
01:50:35 entretien et débat avec Maurice Cullot.
01:50:38 Mars 1992, "L'utopie aux portes de Paris",
01:50:41 "La ceinture en projet" avec André Lorty.
01:50:44 Janvier 1993, entretien public avec Robert Lyon
01:50:47 qui venait de quitter la Caisse des dépôts
01:50:50 sur la politique de cette institution en matière de logement.
01:50:53 Janvier 1994, Richard Notra, "La maison Lovell"
01:50:56 et "La Californie du Sud".
01:50:59 Décembre 1994, d'abord "Prost à Casablanca",
01:51:02 "Une ville nouvelle pragmatique".
01:51:05 Janvier 1995, le nouvel urbanisme de Gaston Bardet.
01:51:08 Mars 1997, "Bonnier, poète forestier
01:51:11 et la question de l'extension de Paris avant 1914".
01:51:14 Mars 1997 encore, "Broadacre City"
01:51:17 et "Le fantasme des urbanistes" de Frank Lloyd Wright.
01:51:20 Mai 1999, Manfredo Tafuri, "Projets et utopies,
01:51:23 une critique du projet urbain des avant-gardes".
01:51:26 Et enfin, juin 1999, Rainer Bannam,
01:51:29 "Los Angeles, the architecture of four ecologies",
01:51:32 "Une géographie sentimentale".
01:51:35 Avis au biographe et curieux,
01:51:38 les enregistrements audio sur des supports assez anciens
01:51:41 sont disponibles à l'ASFA,
01:51:44 ainsi que les enregistrements vidéo sur des supports encore plus compliqués
01:51:47 sont dans les archives de l'ASFA.
01:51:50 Quand je balaye toute cette égypte
01:51:53 d'objets architecturaux ou urbanistiques,
01:51:56 je réalise mieux pourquoi Jean-Louis m'a toujours donné l'impression
01:51:59 d'être une sorte de wunderkind
01:52:02 évoluant dans toute l'architecture du XXe siècle,
01:52:05 comme dans une vaste confiserie,
01:52:08 un magasin de jouets, une sorte de cours de récréation,
01:52:11 avec l'énorme curiosité ou gourmandise que j'ai dite,
01:52:14 mais aussi, on l'a vu, la prudence du généalogiste,
01:52:17 avec la délicatesse, le tact de quelqu'un
01:52:20 qui était bien placé pour savoir
01:52:23 que les articles en rayon pouvaient être assez lourdement chargés
01:52:26 et entretenir d'étranges connivences.
01:52:29 Avec ça, pas de moralisme,
01:52:32 tout méritait d'être examiné,
01:52:35 et toutes sortes de leçons valaient d'être retenues,
01:52:38 ce n'était pas vraiment pour en donner aux autres,
01:52:41 à ses ositeurs, à ses lecteurs, à ses semblables ou à ses petits frères.
01:52:44 J'ai toujours été très impressionné
01:52:47 par l'étendue de cette curiosité
01:52:50 et par ce qu'il faut bien appeler l'extraordinaire culture,
01:52:53 assez omnivore de Jean-Louis,
01:52:56 ce qui en faisait un excellent directeur de thèse,
01:52:59 c'est-à-dire un excellent grand frère,
01:53:02 d'amusement dans les marottes, les sujets
01:53:05 ou les intrigues les plus improbables qu'on pouvait lui soumettre.
01:53:08 C'est du reste une question qu'on a souvent abordée,
01:53:11 lui et moi, prochaine image,
01:53:14 on abordait ensemble à Paris, au Combes ou à New York,
01:53:17 lorsque je lui rendais compte de la progression de mes propres travaux,
01:53:20 de ma thèse, de plus tard de ma HDR,
01:53:23 qui, bien entendu, aurait été menée
01:53:26 sous sa très bienveillante direction.
01:53:29 J'avais en effet pas mal travaillé, je terminerai là-dessus,
01:53:32 sur Colin Rowe dans cette thèse,
01:53:35 et on revenait souvent dans nos conversations
01:53:38 sur cette fameuse page de Collage City,
01:53:41 où Colin Rowe, reprenant un trop d'Ishaïa Berlin,
01:53:44 oppose dans les champs de l'art,
01:53:47 de l'architecture et de la vie intellectuelle en général,
01:53:50 les renards et les hérissons.
01:53:53 C'est-à-dire, d'un côté, les formes d'esprit rusées
01:53:56 qui adaptent toujours souplement
01:53:59 leur appareillage intellectuel aux objets ou aux situations
01:54:02 qui sont en question, vous l'avez compris, les renards,
01:54:05 et celle qui, au contraire,
01:54:08 tente à traiter toujours ces sujets ou ces situations
01:54:11 avec le même arsenal conceptuel,
01:54:14 à tout ramener aux mêmes obsessions.
01:54:17 Jean-Louis, vous l'aurez compris,
01:54:20 m'apparaissait comme une sorte de super-renard
01:54:23 égaré au milieu des hérissons.
01:54:26 L'acuité et la ruse du renard
01:54:29 logeaient dans la bonhomie, dans la générosité
01:54:32 et l'apparente gaucherie d'un grand ours
01:54:35 ou d'un grand panda.
01:54:38 Jamais, par contraste,
01:54:41 je ne me suis senti aussi hérisson,
01:54:44 aussi monomaniaque qu'en sa présence
01:54:47 ou lors de nos conversations.
01:54:50 D'ailleurs, ce que je lui avais dit la dernière fois
01:54:53 que nous nous sommes vus, lorsqu'il était venu dîner à la maison,
01:54:56 en juin ou en juillet, juste avant la veille de son départ pour Shanghai,
01:54:59 combien j'étais sidéré par l'étendue de ses sujets,
01:55:02 par l'ampleur de sa bibliographie et l'agilité
01:55:05 avec laquelle il passait d'un sujet à l'autre.
01:55:08 À quoi il m'avait répondu, avec sa coutumière bienveillance
01:55:11 et, comment dire, empathie,
01:55:14 que ce qui l'impressionnait chez moi,
01:55:17 c'était au contraire ma façon de creuser toujours le même sillon
01:55:20 et de ruminer sans cesse les mêmes marottes.
01:55:23 Sacré grand frère
01:55:26 et inoubliable ami.
01:55:29 [Applaudissements]
01:55:32 Le mot "marotte" est assez bien choisi.
01:55:35 Il collectionne les décorations
01:55:38 à faire palir d'envie un maréchal soviétique.
01:55:41 Il a cependant choisi un pseudo-marotte
01:55:44 discret, en forme de V
01:55:47 que l'on n'en perçoit qu'à l'écrit.
01:55:50 C'est avec ces graphies conformes à l'orthographe cyrillique
01:55:53 que Polch-Emetov a choisi d'exercer
01:55:56 le métier d'architecte.
01:55:59 Pour Jean-Louis, qui était devenu, grâce au hasard de ma rencontre,
01:56:02 un ami de la famille,
01:56:05 Polch-Emetov était un repère.
01:56:08 Lui, pour qui l'écriture est une expression
01:56:11 a dessiné son portrait intitulé
01:56:14 "Une telle force de vie".
01:56:17 Remarquons que ce trait de caractère
01:56:20 pourrait s'appliquer aussi à Polch-Emetov
01:56:23 à qui je passe la parole.
01:56:26 [Applaudissements]
01:56:29 Jean-Louis Cohen,
01:56:38 commençant des études d'architecture,
01:56:41 vint me demander conseil.
01:56:44 Je l'incitai à recopier les plans
01:56:47 des "King's houses" de Jornhutsen
01:56:50 à Helsingør, sur l'île de Veyland au Danemark
01:56:53 et lui concier un numéro de Casabelle,
01:56:56 revu alors dirigé par Ernesto Rogers,
01:56:59 à laquelle je devais collaborer
01:57:02 à partir des années 80,
01:57:05 aux côtés de Vittorio Grigotti.
01:57:08 Cette ouverture, hors du strict précaré français,
01:57:11 se retrouve dans sa thèse de doctorat,
01:57:14 soutenue en 85,
01:57:17 qui portait sur l'architecture d'André d'Ursa.
01:57:20 1000 pages, nourries de toutes les sources
01:57:23 françaises, allemandes, italiennes, soviétiques,
01:57:26 anglo-saxonnes. On reste stupéfait
01:57:29 devant cette connaissance universelle
01:57:32 et encyclopédique. Les textes de Jean-Louis
01:57:35 dans le catalogue des expositions
01:57:38 Paris-Paris et Paris-Bretagne, comme dans
01:57:41 Paris moderne 1919-1934,
01:57:44 font d'un même savoir
01:57:47 tempéré par un humour singulier,
01:57:50 érudit, mais jamais cuistre.
01:57:53 Pour s'en convaincre,
01:57:56 lisons ce qu'il écrivait de Corbus,
01:57:59 qu'il admirait pourtant entre tous.
01:58:02 Familier de la réclame, cet ancêtre
01:58:05 de la publicité moderne, au point d'en farcir les pages
01:58:08 de l'esprit nouveau, lui empruntant l'usage
01:58:11 des chiffres magiques. Les cinq points d'une architecture
01:58:14 nouvelle, les quatre fonctions de la charte d'Athènes,
01:58:17 les trois établissements humains, les quatre routes
01:58:20 et les sept voies en sont l'expression,
01:58:23 les mesures fétiches issues de la gamme de proportions
01:58:26 harmoniques du maudit lord, participant
01:58:29 de cette manipulation des nombres.
01:58:32 Jean-Louis écrivait dans sa thèse, si les œuvres
01:58:35 de Le Corbusier figurent aux côtés des pyramides
01:58:38 des cathédrales gothiques, parmi les biens communs de toute
01:58:41 l'humanité, il convient de rappeler
01:58:44 combien elles ont déclenché de polémiques lors de leur
01:58:47 édification et dans les années qui suivirent.
01:58:50 Et dans son livre "Corbusier et toute l'œuvre construite",
01:58:53 Jean-Louis parlait d'un des géants de la culture moderne,
01:58:56 ce que l'Ursa ne fut pas. Mais ses plans
01:58:59 de logement, ceux de l'Ursa, Pompe-Au-Beuge
01:59:02 ou les cités de la banlieue rouge, répondaient plus
01:59:05 aux modes de vie de la plupart des salariés
01:59:08 que les cellules des cités radieuses.
01:59:11 L'Ursa, Le Corbusier, ces deux architectes
01:59:14 par leur trajectoire résument le dilemme
01:59:17 des modernes, répondre à la quantité
01:59:20 démocratique, ou rompre stylistiquement
01:59:23 avec une architecture qui ignorait le logement
01:59:26 de tous. Anatole Coppe, dans son pamphlet
01:59:29 "Quand le moderne était une cause et non un style"
01:59:32 en résumait les enjeux. Les affrontements
01:59:35 qui opposèrent l'Ursa et Le Corbusier pour le contrôle
01:59:38 des concrets internationaux de l'architecture moderne
01:59:41 anticipent leur position ultérieure.
01:59:44 Le premier restant constant dans son invention
01:59:47 et le second prenant le parti
01:59:50 d'une modernité bien tempérée.
01:59:53 Tous deux s'imposaient dans les années 30 sur la recherche architecturale
01:59:56 par des oeuvres majeures. Le pavillon
01:59:59 suisse de la cité universitaire et la cité
02:00:02 de l'armée du salut à Paris et l'école
02:00:05 Karl Marx à l'église juive. Jean-Louis publia
02:00:08 dès les années 70, deux articles dans AMC
02:00:11 et Architèse sur cette école tombée
02:00:14 en oubli avant de la sauver de la ruine
02:00:17 dans les années 80 et de contribuer
02:00:20 à la réhabilitation et l'extension menée récemment
02:00:23 par Christian Schmückle-Moller.
02:00:26 Jean-Louis a enfin eu un rôle essentiel dans la sauvegarde
02:00:29 de la mythique villa E 10 27
02:00:32 de Jean Badefossi et A.H. Gray.
02:00:35 Cette constance et cette anticipation
02:00:38 le caractérisent entre tous.
02:00:41 Pour en témoigner, je voudrais rappeler ces textes
02:00:44 dans le catalogue de l'exposition A.U.A.
02:00:47 Une architecture de l'engagement qu'il organisait en 2005
02:00:50 avec Vanessa Grossmann à la cité
02:00:53 de l'architecture et du patrimoine. Je vais en lire
02:00:56 quelques lignes. Qu'il me soit enceint
02:00:59 permis de voir dans l'ultime travail d'Aliot avec
02:01:02 Chemetov et Huidobro une sorte de conclusion
02:01:05 en termes de 30 ans d'interaction fertile.
02:01:08 La cavalcade des animaux empaillés
02:01:11 faisant irruption dans l'atmosphère obscure
02:01:14 de la grande galerie de l'évolution du
02:01:17 Muséum d'Histoire Naturelle figure en quelque sorte
02:01:20 le triomphe du théâtre sur l'abri
02:01:23 pour reprendre l'énigmatique dichotomie
02:01:26 d'Ansoine Vitef. Le théâtre qui n'est rien
02:01:29 et se sert de tout, disait déjà Antonin Arnault.
02:01:32 Cela pourrait être aussi une définition de l'architecture.
02:01:35 Et l'intérêt de Jean-Louis pour la maison guérie
02:01:38 à Santa Monica tenait aussi à l'emploi
02:01:41 de lieux communs de la construction,
02:01:44 criages ou tôles ondulées pour faire œuvre et sens.
02:01:47 Qu'il fût à Paris ou à New York,
02:01:50 c'était toujours lui que je sollicitais
02:01:53 pour savoir qui était l'auteur de tel bâtiment
02:01:56 ou quelle était sa date de construction.
02:01:59 Qui maintenant va dire le vrai ?
02:02:02 Ce jeu de ping-pong se prolongeait chaque été en Ardèche
02:02:05 instaurant un rituel gourmand.
02:02:08 Jean-Louis venait à la baume se baigner dans la rivière
02:02:11 et nous allions nager dans la piscine des combes.
02:02:14 Chacun apportait un gâteau, toujours le même,
02:02:17 de la pâtisserie Boule à l'argentière
02:02:20 qui se trouvait à mi-chemin de nos deux maisons.
02:02:23 Enfin, puisqu'il est question de culture
02:02:26 et que d'autres ont déjà évoqué
02:02:29 celle infinie de Jean-Louis,
02:02:32 je voudrais pour conclure citer quelques lignes
02:02:35 des messages du président de la République
02:02:38 et de la ministre de la Culture.
02:02:41 Tout d'abord, Emmanuel Macron.
02:02:44 D'une irréduction et d'une curiosité naturelle,
02:02:47 il abordait sa discipline avec l'œil de l'architecte,
02:02:50 de l'historien, du théoricien et du critique.
02:02:53 Il grandit dans le quartier populaire de la Buttocaille,
02:02:56 une famille d'intellectuels communistes
02:02:59 qui lui inculquèrent deux idéaux, la science et la révolution.
02:03:02 Il hérita de son enfance une force de caractère profonde
02:03:05 et des idéaux politiques
02:03:08 qui le menèrent au PCF et à l'UNEF.
02:03:11 Le président de la République est profondément attristé
02:03:14 de la disparition de ce grand penseur
02:03:17 de l'architecture qui bouillait encore de projets.
02:03:20 Et que disait Arima Abdulmalak ?
02:03:23 Dès les années 70, il étudie les architectures italiennes,
02:03:26 russes, allemandes,
02:03:29 un sillon qui ne cessera toute sa carrière du Grand
02:03:32 de creuser et d'enrichir.
02:03:35 Mais s'il est une ville que Jean-Louis nous a appris
02:03:38 à regarder différemment, dont elle a décortiqué la structure
02:03:41 et révélé les sens, c'est bien celle
02:03:44 qui ne dort jamais New York.
02:03:47 Jean-Louis Cohen a pratiqué la recherche-action
02:03:50 en mettant ses connaissances au service de l'urbanisme
02:03:53 et de l'architecture, qu'il s'agisse de ré-ménager
02:03:56 la ville ou de la protéger, comme le traduit
02:03:59 son engagement pour la préservation de la Cité-Jardin
02:04:02 de la Butrouge à Châtenay-Maladry.
02:04:05 Contrairement à toute règle protocolaire,
02:04:08 je reprends la parole après ces deux éminents personnages.
02:04:12 Nous voilà tous désorientés
02:04:15 et infiniment tristes.
02:04:18 Comment admettre qu'une piqûre d'infectes
02:04:21 ait mis fin à une telle force de vie,
02:04:24 une telle générosité, dans le partage du savoir ?
02:04:28 Nous voulions quitte à en faire un peu trop,
02:04:39 car pour nous, "too much is never enough",
02:04:44 ce qui pourrait être une sorte de devise
02:04:48 correspondant à la gourmandise insatiable de notre ami,
02:04:52 et, après ses contributions, proposer un épilogue.
02:04:57 Pascal Maury est architecte,
02:05:00 co-commissaire de nombreuses expositions avec Jean-Louis.
02:05:04 Il était avec lui à Shanghai en juillet dernier
02:05:08 pour Parmi Modernes 1914-1945,
02:05:12 Architecture, Design, Mode,
02:05:16 à la Power Station of Art.
02:05:19 Pascal m'avait raconté comment Jean-Louis,
02:05:22 bravant les interdits d'organisateurs peu coutumiers
02:05:25 de la liberté d'expression de leurs invités,
02:05:28 avait usé de son droit à la parole.
02:05:31 Paris brûle-t-il, et non seulement le titre
02:05:34 de l'intervention de Pascal Maury,
02:05:37 c'est aussi celui qu'avait choisi Jean-Louis
02:05:40 pour ce qui devait être sa dernière prise de parole publique.
02:05:44 Merci Alexandre.
02:05:47 Bonsoir. Comme beaucoup d'entre nous,
02:05:50 ce soir j'aurais préféré ne pas être là.
02:05:53 La disparition de Jean-Louis est un manque énorme.
02:05:57 On a travaillé pendant six ans sur cette exposition à Shanghai,
02:06:01 Paris Modernes 1914-1945,
02:06:04 avec une troisième commissaire, Catherine Orment,
02:06:07 qui était une des parties de l'exposition.
02:06:10 Cette exposition, c'était vraiment un aboutissement pour Jean-Louis.
02:06:15 C'était déjà une exposition gigantesque,
02:06:18 2400 mètres carrés, plus de 600 œuvres,
02:06:21 comme il savait faire, comme il aimait faire.
02:06:25 On a amené dans cette exposition une voiture,
02:06:28 une traction à vent.
02:06:31 On a emmené une maison de prouvée, son professeur aux arts et métiers.
02:06:36 On a emmené un appartement de Le Corbusier de Charlotte Perriand.
02:06:40 On a emmené les mille dessins qu'il aimait
02:06:43 de la cité de l'architecture et du patrimoine,
02:06:46 du MoMA à New York, de Vienne.
02:06:49 Le nombre de prêteurs était indéfini.
02:06:54 On a emmené aussi de la lingerie et des vêtements.
02:06:57 C'était un autre aspect de Jean-Louis. Il aimait aussi surprendre.
02:07:01 On a amené des avions.
02:07:04 Une de ses passions,
02:07:07 Jean-Louis aurait bien aimé être ingénieur aéronautique.
02:07:11 Il aimait les avions, il les connaissait tous par leurs petits noms.
02:07:15 On en a amené 12. On est allé les acheter ensemble,
02:07:18 ces maquettes,
02:07:21 à la boutique du musée de l'art et de l'espace.
02:07:26 C'était au mois de mai, je crois.
02:07:29 Il était comme un enfant dans une boutique de jouets
02:07:32 ou comme un enfant affamé dans une boulangerie.
02:07:35 Il connaissait tous ses petits avions.
02:07:38 On les a choisis, on les a présentés dans cette exposition.
02:07:41 On s'est rappelé ensemble qu'on aimait ce lieu
02:07:44 qui était le musée de Meudon-Chalet qui a disparu,
02:07:47 où il y avait cette accumulation d'avions
02:07:50 qui était un thème récurrent de son travail.
02:07:53 On a fait cette exposition en se parlant toutes les semaines
02:07:57 pendant 6 ans,
02:08:00 avec les difficultés représentées à la fois le Covid et la distance,
02:08:03 parfois. Parfois, on se retrouvait à Paris, parfois à New York,
02:08:06 parfois ailleurs.
02:08:09 On a bravé aussi un certain nombre d'interdits et de difficultés.
02:08:12 La Chine ne nous autorise pas tout.
02:08:15 Et on a eu de la censure.
02:08:18 Et Jean-Louis m'a surpris dans une conférence,
02:08:21 donc la conférence qu'il a faite là-bas,
02:08:24 qu'il avait intitulée "Paris brûle-t-il d'Haussmann à Macron ?"
02:08:27 traduite par nos amis chinois
02:08:30 "D'Haussmann à nos jours"
02:08:33 où Jean-Louis n'a pas fait qu'un travail d'historien
02:08:36 que j'appréciais, que je connaissais
02:08:39 après avoir été son élève, son assistant à l'université
02:08:42 et un de ses collaborateurs dans de nombreuses expositions
02:08:45 où il m'a emmené de Moscou à Stockholm
02:08:48 en passant par New York, Los Angeles,
02:08:51 et je me suis dit "Ah, c'est ça, c'est ça,
02:08:54 je vais en passer par New York, Los Angeles
02:08:57 et j'en passe, c'est des meilleurs, Berlin
02:09:00 et donc Shanghai cette fois-ci."
02:09:03 Et donc, dans cette conférence encyclopédique
02:09:06 d'une heure et demie,
02:09:09 Jean-Louis retrace de façon, bien sûr, brillante
02:09:12 comme il sait faire en articulant l'histoire,
02:09:15 les images, les personnes, les anecdotes,
02:09:18 cette histoire de Paris dans la longue durée
02:09:21 depuis Haussmann, scandée cette fois-ci
02:09:24 par les révolutions et les manifestations
02:09:27 qui ont toujours été des éléments
02:09:30 importants de notre histoire nationale
02:09:33 et qui, bien sûr, sur le territoire de la Chine
02:09:36 où le mot Tiananmen est strictement interdit,
02:09:39 où toute révolution urbaine vous fait que vous soyez arrêtés,
02:09:42 était une prise de position sérieuse,
02:09:45 importante, courageuse,
02:09:48 dont je voulais vous faire part aujourd'hui.
02:09:51 Avant de le voir, parce que je crois que
02:09:54 le meilleur hommage qu'on puisse faire à Jean-Louis,
02:09:57 comme on peut faire quand on aime un peintre
02:10:00 c'est d'aller voir ses peintures,
02:10:03 quand on aime un auteur c'est de lire ses romans,
02:10:06 Jean-Louis je crois qu'il excellait dans les conférences,
02:10:09 c'est comme ça que je l'avais rencontré
02:10:12 chez Sébastien, à la SFA, dans des cycles de conférences
02:10:15 et donc c'est l'écouter, l'écouter parler,
02:10:18 articuler images et paroles,
02:10:21 c'était vraiment l'art dans lequel il excédait.
02:10:24 Avant de lui laisser la parole,
02:10:27 je voudrais aussi le remercier,
02:10:30 et pour le remercier je voudrais lancer l'idée de créer une bourse
02:10:33 de doctorat Jean-Louis Cohen.
02:10:36 Alors je n'ai pas de petite boîte avec où mettre des sous ce soir,
02:10:39 mais on le fera savoir comment c'est possible
02:10:42 de contribuer, l'idée serait de pouvoir
02:10:45 constituer cette bourse
02:10:48 pour continuer à être généreux comme il est.
02:10:51 (Applaudissements)
02:10:54 (...)
02:10:57 (...)
02:11:00 (...)
02:11:03 (...)
02:11:06 (...)
02:11:09 qui sont en train de se mettre en place, qui vont s'ouvrir bientôt, avec les Olympiques de 2024, un an à l'avenir,
02:11:15 mais la situation des suburbs n'a pas changé.
02:11:20 Ce film est documenté par un film qui peut atteindre l'audience chinoise.
02:11:25 C'est un film assez effrayant, appelé Les Misérables.
02:11:28 Les Misérables, comme vous le savez, est le titre d'une nouvelle, une légendaire, de Victor Hugo.
02:11:35 C'est l'histoire de la révolte des jeunes, des luttes contre la police.
02:11:40 C'est un film très effrayant.
02:11:42 Ici, nous voyons Macron, à gauche, et à droite, quelqu'un que nous connaissons,
02:11:48 c'est l'autre héros de ma histoire, Castro, ici,
02:11:51 qui prend Macron pour regarder les sites de construction dans les suburbs.
02:11:54 Macron a prétendu être intéressé, mais quand, en 2018, un rapport important a été soumis à lui,
02:12:04 il a commissionné un rapport sur la situation des états de logement,
02:12:08 soumis par un homme appelé Borrello, qui était un politique de droite centrale.
02:12:15 Macron l'a ignoré.
02:12:17 Il a considéré que c'était trop coûteux,
02:12:20 que c'était trop coûteux d'engager les gens pour mettre de l'argent dans les états de logement dégradés des années 1960 et 1970.
02:12:30 Et c'était une grande erreur.
02:12:32 Maintenant, Macron n'acknowledge jamais ses erreurs,
02:12:35 mais implicitement, je pense qu'il commence à réaliser que la raison de cette situation actuelle,
02:12:45 qui ne devrait pas être exagérée,
02:12:47 c'est que Paris ne brûle pas.
02:12:49 Certaines zones de la région de Paris ont brûlé quelques soirées, un mois d'avant,
02:12:54 parce que les jeunes ont révolté contre le racisme de la police, contre leurs conditions.
02:13:02 Mais la raison pour laquelle ce mouvement a renaissu,
02:13:08 c'est la faillite des états de logement dans les dernières années,
02:13:12 malgré les millions d'euros qui ont été investis dans les états de logement,
02:13:17 pour changer l'atmosphère.
02:13:19 La faillite de l'éducation, des systèmes d'accessibilité, des systèmes de transport qui ne sont pas encore en place,
02:13:30 et la faillite de recréer la connectivité sociale dans ces zones périphériques.
02:13:38 Donc, Paris reste aujourd'hui comme dans le XIXème siècle, mais dans une géométrie différente.
02:13:43 Paris a 1,5 million d'habitants.
02:13:48 Il y en a 10 fois plus aujourd'hui.
02:13:51 Housemans Paris était une ville de classe, dans laquelle les révolutions étaient des choses sérieuses.
02:13:57 Aujourd'hui, comme vous le savez, je pense que c'est un statement de l'enfant-prophet Karl Marx,
02:14:06 qui a dit que l'Histoire se répète, pas comme une tragédie, mais comme une farce, comme une comédie.
02:14:15 Je ne dirais pas que c'est une comédie, car c'est sérieux,
02:14:20 mais ce n'est certainement pas le même type de révolte que dans le XIXème siècle.
02:14:25 Et pourtant, cela reste plutôt dérangeant pour le futur de cette grande ville que nous tous aimons, Paris.
02:14:33 C'est une conclusion, mais vous ne verrez pas apparaître sur l'écran le mot "fin".
02:14:38 Gageons que cette soirée en annonce d'autres événements.
02:14:42 Il faudra aussi que certains projets se poursuivent.
02:14:45 Je sens en particulier au catalogue raisonné de Franck Guéry.
02:14:50 La communauté que Jean-Louis avait réunie autour de lui, et que l'on a vu se dessiner au fil des interventions,
02:15:01 pourrait-elle prendre le relais d'un tel projet ?
02:15:03 Il faudrait que la bibliothèque de Jean-Louis puisse être réunie dans un fonds
02:15:08 qui serait dédié à ses œuvres, mais aussi à la collection singulière qu'il avait constituée.
02:15:14 Le Centre canadien d'architecture avait manifesté son intérêt pour un tel projet.
02:15:20 Il ne faudrait pas que les frontières que Jean-Louis franchissait allègrement
02:15:24 se dressent de main comme des obstacles à un projet qui ne saurait être limité à notre hexagone nationale.
02:15:31 Et maintenant, chers amis, poursuivons la conversation autour d'un verre.
02:15:37 [Applaudissements]
02:15:45 [Silence]

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