Ils veulent mettre fin aux guerres entre leurs cités avec un voyage de 1.000 kms TÉMOIGNAGE

  • l’année dernière
Au mois d’août, 25 jeunes de cinq villes touchées par les embrouilles de quartier ont voyagé de Torcy, dans le 77, à Auschwitz en Pologne, un ancien camp de concentration. Sékou, Farès et Zack racontent ce périple hors du commun.
Transcript
00:00 Moi, quand j'ai parlé du projet, je disais "ouais, je suis en train de m'entraîner,
00:03 il y a peut-être moyen que je parte en Pologne".
00:05 Ils m'ont tous dit "c'est impossible".
00:07 Faire un voyage comme ça, avec des gens qu'on connaît pas, à vélo, sur un long trajet,
00:12 c'est inoubliable, parce que je vais jamais l'oublier.
00:15 Ça va rester à vie.
00:16 Mes enfants, ils y se décourent à leurs enfants, et ainsi de suite.
00:19 Dans cette vidéo, je vais vous parler d'un voyage exceptionnel.
00:29 Plus de 1000 km entre Torsy, dans le 77, et Auschwitz en Pologne, un camp de concentration
00:35 où plus d'un million de personnes ont été tuées pendant la seconde guerre mondiale.
00:38 C'est le voyage qu'ont fait 25 jeunes, de 5 villes touchées par les embrouilles de quartier.
00:42 Torsy, Champs-sur-Marne, Noisiel, Lognes et Saint-Thibaut-des-Vines.
00:48 Mais avant de vous raconter le voyage avec Sékou, Fares et Zach, il faut que je vous
00:53 présente Ali.
00:54 C'est lui qui a lancé le projet.
00:55 Aujourd'hui, il est directeur adjoint d'un centre social à Torsy.
00:59 Et plus jeune, il s'est retrouvé impliqué dans les embrouilles de quartier.
01:02 A l'époque, dans les années 90, il vient tout juste d'arriver en France depuis l'écomort.
01:07 A cette époque-là, tout ce que je voulais, c'était d'être accepté.
01:11 J'arrive d'un pays, je découvre un autre.
01:14 Donc du coup, la bande de potes, eux, m'ont accepté.
01:17 Donc forcément, pour eux, c'est ça ta famille.
01:20 Tu vois ?
01:21 Je me retrouve dans les bagages, je me trouve un peu en embrouille, un peu avec Noisiel,
01:26 un peu avec Torsy, un peu avec Chant.
01:29 Et c'est drôle parce que ces mecs-là, aujourd'hui, on est...
01:32 On est franchement, on est soudés comme les cinq doigts de la main, quoi.
01:36 On parle, tu sais, on s'est pardonnés mutuellement.
01:39 Pendant longtemps, je cherchais toute personne avec qui j'ai pu me battre pour lui présenter
01:42 des excuses, lui dire pardon, en fait.
01:45 Le choc pour Ali, c'est en 2021.
01:48 Ider Lindo, un jeune de 21 ans, est tué alors qu'il tentait de s'interposer dans une rixe,
01:53 à Saint-Thibaut-des-Vines.
01:54 Ali renvisite à la maman avec le maire de sa ville.
01:57 T'arrives, tu rencontres une maman qui comprend pas ce qui lui arrive, en fait.
02:03 Puis t'as pas de mots, en fait.
02:04 Tu veux dire quoi, une mère qui vient de perdre son enfant ?
02:06 En face de moi, j'avais le petit frère qui avait 15 ans, je crois, 15 ou 16.
02:12 En fait, ça te marque, en fait.
02:14 Parce que j'ai participé, j'ai assisté, j'ai vu.
02:19 Mais voir la mort d'aussi près, dans les yeux d'une mère, franchement, ça te met une gifle, en fait.
02:27 Et tu te dis, en fait, tu peux pas rester comme ça.
02:32 Je regarde le maire, je dis non, en fait, moi, je suis obligé d'agir.
02:35 Comment ? Je ne sais pas.
02:36 Mais il faut que je fasse quelque chose.
02:38 Et c'est là que lui vient l'idée des voyages à vélo.
02:40 Il se dit que seul sur son vélo, dans une montée, il n'y aura plus d'origine, d'embrouille, de quartier.
02:46 Juste l'envie d'arriver en haut.
02:48 C'est Kou, Fares et Zach qui ont vécu ce voyage cet été.
02:51 Eux, ils ne sont pas impliqués dans l'ERICS, mais ils ont grandi avec ça.
02:54 Moi, j'étais dans une école, elle était à côté de la cité.
02:57 Donc forcément, dès la primaire, on entend les histoires, les grands frères, ça a tiré, tout ça.
03:04 Il y en a, ils sont en prison.
03:06 Un de mes meilleurs amis, son cousin, il s'est fait tirer dessus.
03:12 Donc forcément, ça m'a beaucoup marqué quand il m'a expliqué tout ça.
03:16 C'est vrai que c'est triste, donc j'ai bien voulu prendre la parole aujourd'hui aussi pour leur rendre hommage.
03:22 Des potes à moi, ils ont fini dans des vraies galères.
03:26 Donc je me suis toujours dit, il ne faut pas que je rentre dans ça.
03:30 Consciemment, je ne veux pas être dans les problèmes, venir te faire frapper ou même te faire tuer pour rien.
03:35 C'est ma mère qui va pleurer.
03:37 Et ça, je n'ai pas envie.
03:38 Des fois, je me suis dit, ça peut arriver.
03:41 Quand je viens de des quartiers sensibles actuellement, la nuit, et que je sais qu'ils sont en embrouille,
03:45 ça peut arriver.
03:47 Toi, tu viens d'où ? Je ne sais pas ce que tu viens d'où.
03:48 Tu viens de la ville d'à côté, on ne vous aime pas, ils vont te frapper, même te tuer.
03:53 Ça est arrivé plein de fois.
03:54 Après, je peux comprendre dans le sens où si tu as grandi dans les embrouilles, tes grands frères,
03:59 ils te disent, il ne faut pas se mélanger.
04:00 En vrai, tu ne peux rien y faire, ce n'est pas de ta faute.
04:02 Tu habites dans un quartier, l'appartenance dans la ville, il faut que tu la défends.
04:07 Tu défends tes potes, tu défends ton quartier.
04:11 On ne peut pas se mettre à leur place.
04:12 Mais tu ne peux pas tolérer que pour un simple panneau de ville,
04:19 un simple numéro de département, tu te mettes à tirer dessus ou à se lasser pour rien.
04:25 Pendant le voyage, les jeunes ont été obligés de se mélanger,
04:28 et peu importe leur quartier d'origine.
04:29 Ils ont roulé ensemble pendant 15 jours, avec 12 encadrants, 4 minibus et un camion,
04:35 pour pouvoir assurer les trajets et accueillir ceux qui n'arrivaient plus à pédaler.
04:39 Ils ont traversé 3 pays, la France, l'Allemagne et la Pologne.
04:43 Par exemple, le premier soir, on a dormi à Reims, Nancy, Strasbourg,
04:47 Francfort, Zakopane, Krakowie.
04:50 Il y a toutes ces villes qu'à chaque fois on dormait.
04:53 Certaines villes ont resté deux jours, d'autres juste une nuit.
04:56 On arrive assez tard, on mange, on dort, on se lève, on va à vélo et on repart.
05:02 On ne va pas lâcher, c'est mort.
05:03 Moi, je ne monterai pas dans le van personnellement.
05:05 C'était trop dur, je pensais que je n'allais pas finir.
05:08 Je me suis dit, tu pédales, tu es fatigué le soir, tu ne dors pas beaucoup,
05:12 tu te relèves le matin, tu es exténué, comment tu vas tenir 14 jours ?
05:17 Il y en a, ils étaient habitués, ils faisaient beaucoup de foot, des trucs comme ça.
05:21 Ils se sont dit, au calme, ça passe tranquille.
05:24 Il y avait des gens comme moi qui se disaient, les deux premiers jours, ça va être les plus durs.
05:29 Le premier jour, j'ai eu une crampe, donc j'ai dû abandonner à 13, 14 km de l'arrivée.
05:36 J'avais beaucoup la haine sur ça.
05:39 Moi, j'étais toujours devant, je motivais les autres.
05:42 Allez les gars, il faut penser pourquoi on le fait.
05:45 Après, tout le monde disait, j'avoue, t'as raison, on montait, on continuait, on ne s'arrêtait pas.
05:50 Quand je pédalais, je pensais beaucoup à ma mère.
05:53 Je me dis, quand je vais arriver, elle va être fière, elle va être fière de moi, de notre groupe.
05:58 Nos parents, ils seront tous heureux.
06:00 Moi, j'avais vraiment envie de ça.
06:02 L'arrivée du voyage, c'est Auschwitz.
06:04 Le plus grand camp de concentration de l'Allemagne nazie.
06:08 Des Juifs, des Tziganes et des prisonniers politiques ont été forcés à travailler et exterminer dans ce camp.
06:15 Plus d'un million d'hommes, de femmes et d'enfants.
06:18 Après une première édition sur le débarquement de Normandie
06:21 et une deuxième sur le débarquement de Provence et les tirailleurs africains,
06:24 Ali a voulu continuer avec ce voyage en Pologne
06:26 et aussi balayer l'accusation d'antisémitisme qui revient sur les jeunes de quartier.
06:31 L'un des éléments moteurs qui m'a réellement poussé au-delà de rendre hommage et tout ça,
06:36 c'est quelle image les médias renvoient à l'identité du jeune du quartier
06:43 par rapport à un jeune de confession juif, parce qu'il peut habiter aussi dans un quartier.
06:49 Et bien très rapidement, on prend des raccourcis en fait.
06:51 Ça s'est ressenti dans ce voyage, pourquoi les jeunes juifs, à aucun moment,
06:55 ils ont fait allusion à une religion quelconque.
06:59 Ils ont fait allusion à une origine quelconque.
07:02 Mais ils ont au contraire été sensibilisés.
07:06 Et ça, je pense qu'ils peuvent être fiers d'eux,
07:09 parce qu'ils déconstruisent aussi des préjugés qu'on peut leur coller.
07:14 Donc là, ils ont représenté le quartier.
07:16 Ce n'est pas que le quartier de l'œil ou de torsie.
07:20 Non, non, non, le quartier d'une manière générale en fait.
07:23 On a quand même ouvert ce sujet aux autres.
07:25 On leur a dit "regardez ce que l'humanité a fait et regardez actuellement".
07:32 Quand j'étais à Auschwitz, j'étais mal à l'aise, gros mal de crâne.
07:38 Je pense que j'en ai discuté avec d'autres personnes,
07:40 ils ont ressenti la même chose.
07:42 On ne voulait pas trop…
07:43 Impossible de rester toute une journée entière là-dedans.
07:46 Impossible.
07:48 Tu vois des trucs, ça te choque.
07:50 Des marques à vie.
07:52 Tu vois des salles remplies de photos d'enfants qui sont morts.
07:55 Tu te dis "ouais, en vrai ça aurait pu être moi".
07:59 Tu vois des grands bâtiments, tu te dis "ouais, c'est des bâtiments normaux".
08:04 On va dire que c'est des briques.
08:05 C'est comme si tu allais à Roubaix ou à Lille.
08:08 En fait non, tu rentres à l'intérieur, tu vois des crows.
08:12 Tu te rends compte que c'est des chambres à gaz.
08:14 Tu vois des photos de petits qui ont été déportés, tués.
08:20 Tu vois des fours.
08:22 Je me sentais vraiment mal à l'aise.
08:26 Je n'avais pas envie d'y rester.
08:29 Mais plutôt, je n'avais pas envie de trop me pencher sur la chose
08:34 parce que sinon je serais trop mal.
08:38 En vrai, ça m'a touché.
08:39 Parce que je vois les gens, ils faisaient tuer plus de un million de personnes je crois.
08:44 Ils se sont fait tuer pour rien.
08:45 Ou parce qu'ils avaient une religion différente.
08:48 Et je pense que ça ne se fait pas.
08:49 Je trouve que ça ne se fait pas du tout.
08:50 Et puis moi je les ai regardés.
08:52 Et je remercie le bon Dieu que ces enfants-là soient nés à la bonne époque.
08:57 J'espère en tout cas qu'eux se disent qu'ailleurs,
09:02 il y a des mômes, des enfants qui subissent
09:06 peut-être pas des exécutions comme les enfants qu'on a vus sur les photos ont pu vivre.
09:11 Mais subissent aussi des atrocités qu'on pourrait ramener à l'identique en tout cas.
09:18 Aujourd'hui, beaucoup de jeunes qui ont fait ce voyage sont restés potes
09:21 et ils continuent d'échanger entre eux.
09:23 A leur retour dans le 77, tout le groupe a été célébré par leurs proches.
09:27 Un grand moment d'émotion pour tout le monde.
09:29 C'est avec nos amis.
09:31 C'est avec nous.
09:33 Ali réfléchit déjà à la prochaine édition, pourquoi pas en Afrique,
09:44 sur l'histoire de l'esclavage.
09:46 Merci d'avoir regardé cette vidéo.
09:47 N'oubliez pas de vous abonner à Street Press.
09:50 Et moi, je laisse la conclusion à Zach.
09:52 Faut rester soudé.
09:53 Faut pas laisser les gens penser qu'on vaut rien,
10:00 qu'on n'est pas capable de se supporter mutuellement.
10:04 On est tous pareil les gars.
10:05 Ciao.
10:06 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
10:09 "La vie est une aventure"
10:12 [SILENCE]

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