Une BD enquête sur l'assassinat à Paris de la militante anti-apartheid Dulcie September
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00:00 Ce soir, nous recevons Benoît Colombat, auteur de "Dulci",
00:03 une bande dessinée documentaire.
00:06 Il illustre...
00:08 Illustré, pardon, par Grégory et Mardon,
00:11 qui revient sur l'affaire de la militante anti-apartheid
00:14 de Sud-africaine Dulci September, assassinée à Paris en mars 88.
00:18 Merci beaucoup d'être avec nous sur ce plateau
00:21 pour parler de "Dulci",
00:22 donc cette bande dessinée en quête.
00:25 Alors, c'est une BD, certes, mais c'est aussi une enquête.
00:29 C'est votre enquête sur cette affaire non-illucidée
00:31 aux multiples rebondissements.
00:33 -Oui, c'est un assassinat impuni en plein Paris,
00:37 le 29 mars 88, au matin.
00:39 Dulci September regagne son bureau,
00:41 le bureau de l'ANC, 28 rue des Petites Écuries, à Paris.
00:44 Et là, deux tueurs l'attendent
00:46 et l'abattent de 5 balles dans la tête.
00:48 Ils disparaissent dans la nature.
00:50 Il y aura une enquête, mais elle ne donnera rien.
00:52 Elle sera conclue par un non-lieu 4 ans plus tard.
00:56 C'est la seule représentante de l'ANC
00:59 qui a été abattue en Europe.
01:00 C'est quand même un fait assez exceptionnel.
01:02 Et dans notre livre, en fait, il y a deux histoires qui se mélangent.
01:05 C'est l'histoire d'une femme en lutte
01:07 et l'histoire d'une compromission française.
01:09 La femme en lutte, évidemment, Dulci September,
01:11 qui se bat contre l'apartheid,
01:12 mais aussi contre les ventes d'armes illégales.
01:15 Et c'est ça aussi la compromission française,
01:18 des ventes d'armes illégales au régime de Pretoria.
01:21 La France a des relations militaires et de soutien
01:24 depuis les années 60 avec Pretoria,
01:26 sauf que depuis 1977, c'est interdit
01:28 par une résolution des Nations unies.
01:30 On ne peut plus vendre des armes.
01:31 Et Dulci September s'intéresse de très près à ces sujets-là.
01:34 Et il y a une image symbolique qui résume vraiment
01:37 cette ambiguïté, ce cynisme.
01:39 C'est en 94, le jour de l'investiture de Nelson Mandela.
01:42 Ce sont des avions français type Mirage
01:45 qui transpercent le ciel au-dessus de sa tête.
01:48 Donc, avec Grégory Mardon, on a voulu raconter cette histoire.
01:52 C'est un polar géopolitique, comme un thriller,
01:55 sauf que tout est vrai.
01:56 – Est-ce qu'il y a des révélations dans votre enquête ?
01:59 – Oui, il y a des révélations, il y a des personnes qui parlent
02:01 pour la première fois, parce que, encore une fois,
02:04 on touche à des domaines très sensibles.
02:06 Dulci September était quelqu'un de déterminé, d'obstiné.
02:11 Pour le meilleur et pour le pire,
02:12 parce que ça embarrassait beaucoup de monde,
02:14 elle était persuadée que la chute de l'apartheid
02:17 passait par le strict respect des sanctions économiques
02:20 et donc de l'arrêt des ventes d'armes.
02:22 Et ça, évidemment, elle était vue comme un caillou dans la chaussure
02:25 pour tous les personnages qui travaillaient
02:28 dans cette zone grise des ventes d'armes,
02:30 dans le secteur du nucléaire aussi,
02:31 parce qu'il y avait une assistance nucléaire civile,
02:33 mais aussi militaire à l'Afrique du Sud.
02:36 Et elle dérangeait beaucoup, d'ailleurs, elle était menacée,
02:39 son téléphone était placé sur écoute,
02:41 et elle a continué à enquêter, finalement,
02:43 elle a rencontré des lanceurs d'alerte dans des offices d'armement,
02:46 ils témoignent dans ce livre.
02:48 Évidemment, ça devenait de plus en plus compliqué pour elle,
02:52 elle était vraiment à un carrefour d'intérêts croisés
02:55 entre Paris et Pretoria, et elle a été lâchée.
02:58 Clairement, à un moment, elle était en danger,
03:00 et elle a été lâchée par la France,
03:02 parce qu'elle n'a pas pu bénéficier d'une protection policière
03:05 qu'elle avait demandé, mais elle a été aussi lâchée
03:07 par certains membres de l'ANC, qui ne voyaient pas forcément
03:10 d'un bon oeil le fait que le 6 septembre remue tous ces sujets,
03:14 parce que certains dirigeants de l'ANC préparaient la prêt.
03:17 Ils se projetaient déjà dans la prêt.
03:18 Ils préparaient la prêt apartheid, et à leurs yeux,
03:20 il ne fallait pas bousculer l'ordre économique établi,
03:22 et surtout pas toucher aux marchands d'armes.
03:24 - Alors, pourquoi avoir décidé de publier cette enquête
03:28 sous forme de BD ?
03:30 - Alors, comme on parle beaucoup de l'armement,
03:32 je dirais, pour reprendre une métaphore autour de l'armement,
03:34 qu'en fait, la bande dessinée, c'est vraiment une arme
03:37 d'explications massives.
03:39 Ça permet vraiment de donner corps à des personnages,
03:42 de les incarner, d'être aussi dans la justesse, dans la nuance,
03:46 et ça permet aussi de montrer des choses apparemment complexes.
03:51 Alors, ça peut être des connexions géographiques,
03:54 ça peut être des connexions politiques,
03:56 des connexions financières aussi.
03:58 Il ne faut pas oublier que Dulcie September était aussi
03:59 la représentante de l'ANC, non seulement en France,
04:02 mais aussi au Luxembourg et en Suisse.
04:04 C'est par là que passaient les réseaux bancaires,
04:06 c'est par là que passait le blanchiment
04:08 des contrats d'armement.
04:10 Donc, c'est tout ça que permet la bande dessinée,
04:12 et ça permet aussi de raconter les coulisses de notre travail.
04:15 Avec Grégory Mardon, on va voir les derniers témoins
04:17 de cette histoire, et ça permet du coup de montrer
04:19 comment on travaille et d'embarquer les lecteurs avec nous
04:21 dans cette histoire.
04:22 – Alors, est-ce que cette affaire n'illustre pas finalement
04:24 la politique de la France-Afrique et ses travers ?
04:27 Sanctionner officiellement le régime de l'Apartheid
04:30 et en même temps faire du commerce d'armes ?
04:33 – Oui, clairement, on est dans un double jeu,
04:36 tant à gauche qu'à droite.
04:38 Le moment est important, 1988, c'est une période en France
04:42 de cohabitation, on a un président socialiste François Mitterrand,
04:45 on a un Premier ministre de droite Jacques Chirac,
04:48 et là clairement, il y a une bataille et il y a une lutte de réseaux
04:51 autour de la France-Afrique et notamment autour évidemment
04:54 de l'armement.
04:56 Donc clairement, cette période très délicate met en danger
04:59 Dulcie September, il ne faut pas oublier non plus
05:02 que le bureau de l'ANC qui ouvre en 1980,
05:05 c'est grâce au pouvoir socialiste, puisque l'ANC à ce moment-là
05:08 est considéré comme un mouvement terroriste,
05:09 et le fait que Dulcie September commence à agiter vraiment
05:14 des acteurs de ces réseaux-là, à se renseigner et à menacer
05:17 et de révéler finalement des informations compromettantes,
05:20 évidemment, ça inquiète beaucoup ces réseaux de la France-Afrique
05:22 qui sont toujours là.
05:24 -Merci, merci beaucoup, Benoît Colombat,
05:27 pour votre présentation de cette bande dessinée
05:30 que je recommande vivement.
05:32 Donc Dulcie, c'est une enquête à découvrir en bande dessinée,
05:36 et puis vous pourrez aussi revisionner sur notre site Internet
05:41 le billet retour de nos correspondants en Afrique du Sud,
05:45 Caroline Dumé et Stéphane Kerstens,
05:47 sur justement l'enquête autour de Dulcie September
05:50 et de son assassinat à Paris en 1988.
05:53 C'est la fin du journal de l'Afrique.
05:54 Restez avec nous, l'info continue sur France 24.
05:56 ...