Le dessous des Cartes Commerce mondial : crises et fragmentations

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Le Dessous des cartes - Le magazine géopolitique
La pandémie de Covid-19 et l’invasion russe de l’Ukraine, événements planétaires aux conséquences multiples, ont, coup sur coup, perturbé le commerce international. Deux crises qui nous ont également fait prendre conscience de nos interdépendances.
La fermeture des ports asiatiques, en 2020, a conduit notamment à des pénuries de papier ou de paracétamol à des milliers de kilomètres de là, en France et en Allemagne. En 2022, l’agression de Kiev par Moscou a bouleversé les marchés des hydrocarbures et des céréales. Boycott des énergies fossiles russes par les Occidentaux, fermeture de certaines routes ukrainiennes et des voies navigables de la mer Noire... : cette guerre a eu des conséquences pour toute la planète. La fragmentation du monde en plusieurs blocs, dans le sillage de la rivalité sino-américaine, constitue un autre danger pour la belle machine du commerce international...
Transcript
00:00 (Générique)
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00:21 - Ravie de vous retrouver sur Arte pour un nouveau numéro.
00:24 Je vous emmène dans le plus grand port du monde,
00:27 celui de Shanghai, construit à 100 km de la ville.
00:31 Dans ce classement, ce sont des ports asiatiques
00:34 qui occupent les premières places.
00:36 Les Etats-Unis n'apparaissent qu'en 9e position,
00:39 avec le port de Los Angeles.
00:40 L'Europe, seulement en 11e et 13e position,
00:43 avec les ports de Rotterdam et d'Anvers.
00:46 90 % du commerce mondial est aujourd'hui transporté par bateau
00:49 dans ces containers de couleurs standardisés,
00:52 élément clé de notre mondialisation.
00:55 Ces boîtes peuvent aller sur n'importe quel moyen de transport,
00:58 dans n'importe quel pays.
01:00 Pourtant, cette belle machine s'enraye.
01:03 Souvenez-vous de la période Covid,
01:05 quand les ports asiatiques étaient fermés,
01:08 et qu'on constatait en France et en Allemagne
01:11 des pénuries de produits banals, comme le papier ou le paracétamol.
01:15 Le Covid, la guerre en Ukraine,
01:17 deux crises internationales qui ont bouleversé le commerce mondial.
01:22 Et on a une tendance avec nos cartes.
01:24 Apparu à Wuhan, en Chine, en novembre 2019,
01:27 le Covid s'est rapidement diffusé à l'ensemble des pays en jaune,
01:31 poussant les gouvernements des pays qui apparaissent en rouge
01:34 à fermer leurs frontières aux personnes et aux biens.
01:38 Cette fermeture a eu conséquence de bloquer les échanges commerciaux.
01:42 Une décision lourde en répercussion pour l'économie mondiale,
01:46 une économie globalisée,
01:47 les échanges commerciaux ayant été multipliés par 60
01:51 au début des années 70.
01:53 Ce blocage des échanges, outre le manque à gagner,
01:56 a entraîné de nombreuses pénuries, aux conséquences plus ou moins lourdes.
02:01 Dans le domaine médical, tout d'abord,
02:03 où l'on a vu les Etats se livrer à une concurrence féroce
02:07 pour l'achat de masques chirurgicaux ou de paracétamol à la Chine,
02:11 devenu le principal pourvoyeur de ces produits de première nécessité.
02:15 Mais aussi dans les produits technologiques à haute valeur ajoutée.
02:20 Airbus, par exemple, qui avait décidé de faire du chinois HMC,
02:24 son seul fournisseur de gouvernail pour ses avions A350, A320 et A319,
02:29 s'est ainsi retrouvé dans une situation très délicate
02:33 avec les politiques de confinement très strictes de la Chine,
02:37 qui a mis à l'arrêt de nombreuses usines,
02:40 notamment à Shenzhen ou Shanghai.
02:43 Les conséquences sur l'économie de la pandémie de Covid
02:47 ont en effet été spectaculaires.
02:49 Les échanges de marchandises ont baissé en moyenne de 7 %
02:53 entre 2018 et 2020, avec des différences importantes
02:57 dans les régions du globe, -14 % sur le continent africain
03:01 et jusqu'à -26 % en Afrique du Nord, -6 % pour l'Asie,
03:06 mais avec des baisses de 20 % en moyenne en Asie de l'Ouest,
03:10 -7 % pour le continent américain, l'Europe et l'Océanie,
03:14 la mise en place de systèmes d'aide massive
03:17 qui ont permis à la majeure partie des pays occidentaux
03:21 de soutenir leurs économies et de lutter contre la pandémie.
03:25 Résultat, le PIB mondial a enregistré une baisse de 3 % en 2020.
03:29 Si la croissance est repartie fortement à la hausse en 2021,
03:34 avec +6 % de PIB, la situation s'est à nouveau dégradée en 2022
03:38 avec seulement 3,1 % de croissance,
03:41 et les projections pour 2023 ne sont pas plus réjouissantes,
03:45 selon le FMI, la croissance ne devrait pas excéder 3 %.
03:49 Ce marasme de l'économie et du commerce n'est pas dû qu'au Covid,
03:54 car une autre crise l'a suivi de près,
03:57 l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022.
04:01 C'est dans le domaine des énergies fossiles
04:04 et celui des céréales que l'impact de cette guerre a été le plus direct.
04:08 Et les principales victimes collatérales de ce conflit
04:13 ne sont pas les mêmes que pour le Covid,
04:16 et c'est ce qu'on va voir maintenant.
04:19 Sur le plan des hydrocarbures, c'est l'Europe qui a été la plus touchée,
04:23 car de nombreux pays de l'Union étaient très dépendants de la Russie
04:27 pour leur approvisionnement, notamment en gaz,
04:31 jusqu'à 98 % pour un pays comme la Finlande.
04:34 L'embargo décrété par la majorité des pays occidentaux contre la Russie,
04:38 3e pays fournisseur mondial de pétrole et 1er de gaz,
04:42 a fait s'envoler les prix.
04:44 Ainsi, le baril de Brent est passé de 17 dollars en avril 2020,
04:49 un cours anormalement bas lié au ralentissement de la consommation
04:53 durant le Covid, à 115 dollars en juin 2022.
04:57 Le prix du gaz en Europe est quant à lui passé de 34 euros le MWh en juin 2021
05:03 à 310 euros en août 2022, soit une augmentation de près de 1 000 % en un an.
05:10 Cette augmentation du coût de l'énergie a entraîné une hausse massive des prix
05:15 dans les pays de l'Union européenne.
05:17 +36 % entre janvier et octobre 2022, une hausse qui handicape les exportations
05:23 et fait de l'Union la grande perdante de cette guerre.
05:26 Dans le même temps, d'autres pays, à l'inverse, ont profité de cette situation.
05:31 Les 13 membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole
05:36 ont changé des recettes record en 2022, 907 milliards de dollars
05:40 contre seulement 320 en 2020.
05:42 Les Etats-Unis sont également grands gagnants avec leur gaz naturel liquéfié
05:47 qui remplace en grande partie le gaz naturel russe.
05:50 La Chine et l'Inde sont devenus les principaux débouchés du pétrole russe.
05:56 La Chine, principalement pour sa consommation personnelle,
05:59 l'Inde, et elle n'est pas la seule à le faire,
06:02 elle permet aux Russes de déjouer l'embargo car étant elle-même exportatrice de pétrole,
06:07 elle revend sous pavillon indien du pétrole russe à différents pays peu regardants
06:12 dont certains ont pourtant signé l'embargo contre la Russie.
06:16 En résumé, le commerce des hydrocarbures se réorganise profondément.
06:21 Les principaux bénéficiaires du conflit russo-ukrainien
06:25 étant la Norvège, le Qatar, l'Azerbaïdjan, les Etats-Unis
06:29 ont augmenté leurs exportations vers l'Union européenne
06:32 tandis que la Russie a trouvé de nouveaux débouchés vers la Chine et l'Inde.
06:38 Parmi les grands gagnants de cette histoire,
06:41 il y a bien sûr et surtout les majeurs pétroliers tous occidentaux.
06:45 En 2022, ils ont enregistré un bénéfice record de 182 milliards de dollars.
06:50 L'autre impact majeur de la guerre en Ukraine concerne le marché des céréales.
06:57 Car avant la guerre, la Russie et l'Ukraine étaient deux des principaux exportateurs mondiaux
07:02 de blé, d'orge et de maïs.
07:05 L'impossibilité pour l'Ukraine d'exporter une grande partie de sa production de céréales
07:09 a entraîné une hausse des prix considérable
07:12 dans une conjoncture déjà tendue par le Covid
07:15 et de graves sécheresses dans d'autres pays producteurs.
07:19 Alors qu'entre 2020 et 2021, l'index FAO du prix des céréales
07:23 était déjà passé de 100 à 140,
07:26 il a grimpé en flèche à 173 en mai 2022,
07:29 soit une augmentation de 73% en deux ans.
07:32 Pour les principaux clients de l'Ukraine,
07:36 l'Egypte, l'Indonésie, le Bangladesh, les Philippines, la Tunisie,
07:39 le Maroc, la Thaïlande,
07:42 la guerre a des conséquences qui s'avèrent dramatiques.
07:45 Mais comme pour les hydrocarbures, le malheur des uns fait le bonheur des autres.
07:49 Les principaux bénéficiaires de cette réorganisation des flux céréaliers
07:53 étant la France, l'Australie, le Brésil, la Pologne, le Royaume-Uni
07:57 ou encore le Paraguay.
08:00 Alors évidemment, ces deux crises consécutives sans précédent
08:03 ont des conséquences importantes sur l'organisation du commerce mondial.
08:07 De nouveaux flux sont apparus, tout comme de nouvelles alliances
08:12 et de nouveaux blocs qui dessinent un monde fragmenté
08:15 où se dressent de nouvelles barrières économiques
08:18 et où s'opère un découplage de certaines économies,
08:21 comme on va le voir maintenant.
08:23 Ce découplage s'accompagne d'un important mouvement
08:27 de relocalisation des outils de production
08:30 dans des domaines sensibles comme la santé,
08:33 dont les failles sont apparues avec le Covid,
08:36 mais aussi dans le domaine de l'agroalimentaire,
08:39 l'électronique et des composants essentiels à l'industrie
08:43 et aux télécommunications.
08:46 Un mouvement de relocalisation particulièrement massif aux Etats-Unis
08:49 a décidé de consacrer 52 milliards sur les 10 ans à venir
08:52 pour maîtriser sur son sol la fabrication de semi-conducteurs
08:55 qui viennent actuellement principalement de Taïwan,
08:59 pays dont la sécurité est menacée par Pékin.
09:02 Parallèlement à cette volonté gouvernementale,
09:05 les grandes firmes américaines comme Apple
09:08 opèrent des relocalisations massives de leur production
09:11 de la Chine vers l'Inde, le Vietnam ou le Brésil.
09:15 En Europe, les Etats-Unis ont aussi
09:18 une même logique de désengagement de la Chine
09:21 et se lancent dans une course effrénée
09:24 aux relocalisations et aux giga-usines
09:27 de composants électroniques ou de batteries électriques.
09:31 Pour contrer ces retraits et ces manques à gagner,
09:34 la Chine renforce ses liens avec la Russie,
09:37 tout en cherchant à se substituer à elle
09:40 dans les républiques d'Asie centrale.
09:43 Mais elle se rapproche un peu plus encore d'Etats amis
09:47 comme le Turquie, l'Arabie saoudite ou le Koweït.
09:50 Ces rapprochements ont pris une forme très concrète
09:53 à la fin de l'été 2023 à Johannesbourg, en Afrique du Sud,
09:56 avec l'élargissement des BRICS qui accueilleront
09:59 en janvier 2024 dans leur rang l'Argentine, l'Égypte,
10:03 l'Iran, l'Éthiopie, l'Arabie saoudite et les Émirats.
10:06 Un nouveau pôle non aligné qui représentera
10:09 45 % de la population mondiale
10:12 et le quart du PIB de la planète.
10:16 Ces nouveaux BRICS sont encore loin derrière les pays du G7
10:19 en termes de richesse. Ils l'étalonnent pour le commerce,
10:22 6 260 milliards de dollars d'exportation
10:25 pour les premiers, contre 7 000 pour les seconds.
10:28 Un poids économique qui pousse les BRICS
10:31 à vouloir se désengager de l'indexation
10:35 de la plupart des transactions commerciales sur le dollar.
10:38 Si le Premier ministre indien Narendra Modi
10:41 se réjouit du multipolarisme du monde à venir,
10:44 on peut s'interroger sur le déséquilibre
10:47 à l'intérieur de ce nouveau bloc dominé par la Chine
10:51 et sur le peu de cas que font la majorité de ses membres
10:54 de la question démocratique.
10:57 A la fin de l'été 2023, le journal "Les Echos"
11:00 rapportait que le FMI s'inquiétait d'un triplement
11:03 des barrières commerciales depuis 2019.
11:07 Conséquence, si les échanges commerciaux diminuent
11:10 et que les barrières augmentent, la croissance mondiale
11:13 finira par être durement touchée.
11:16 Le journal citait l'OMC, s'inquiétant d'une économie mondiale
11:19 qui semblerait être en train de se dissocier
11:23 en 2 blocs commerciaux autonomes sur fond de bras de fer
11:26 sino-américains. Le risque ? Une politisation des échanges.
11:29 En clair, je ne commerce qu'avec ceux qui partagent mes valeurs
11:32 pouvant déboucher sur la fin d'un commerce libré ouvert.
11:35 Et pour aller plus loin,
11:39 ce livre de référence d'un historien de l'économie,
11:42 Robert C. Allen, "Introduction à l'histoire économique mondiale",
11:45 aux éditions "La Découverte".
11:48 Ainsi s'achève ce nouveau numéro du "Dessous des cartes".
11:51 Je vous donne rendez-vous sur Arte.tv pour l'ensemble de nos vidéos.
11:55 A bientôt.
11:56 france.tv access
12:01 ...

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