Kevin et Arthur, deux étudiants en agronomie, rat des villes et rat des champs aux trajectoires contrariées, tentent de changer le monde – ou leur maigre parcelle de terre – grâce à une dévotion commune pour… les vers de terre ! Humus – présent sur la liste du Goncourt, du Renaudot ou de l’Interallié, lauréat du prix Jean Giono – salue le retour au roman d’un philosophe, essayiste et homme politique, qui plaide avec un esprit plus acerbe que candide qu’il faut « cultiver son jardin ». Du bocage normand à la Silicon Valley, Gaspard Koenig dresse une véritable satire de notre société : éco-anxiété et génération Z, agribusiness et destruction du vivant, start-up nation et greenwashing, promesses et faux-semblants du capitalisme vert… tous les sujets de Futurapolis Planète - ou presque - semblent au programme de ce récit initiatique !
Avec Gaspard Koenig, écrivain, philosophe, auteur de Humus (éditions de L'Observatoire)
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00:00 [Musique]
00:27 Bienvenue à notre douzième édition de Futurapolis Planète.
00:30 Alors cette édition, nous l'avons conçue un peu en réaction au pessimisme ambiant,
00:35 avec comme crédo "C'était pas mieux avant".
00:38 Vous le savez, dans le champ politique, associatif et même économique,
00:41 de nombreuses voix s'élèvent et fantasment un passé prétendument idyllique.
00:46 Les images d'Epinal se succèdent, la France aurait été une terre de prospérité fantastique,
00:50 avant de basculer dans le tumulte social, la déroute économique,
00:54 l'explosion des inégalités, la criminalité ou la petitesse culturelle.
00:59 Pourtant, il n'en est rien face à des défis immenses,
01:02 et en premier lieu celui du changement climatique.
01:04 Jamais la recherche, la créativité, les citoyens et l'entreprise n'ont été autant en pointe de leur époque.
01:10 Pendant trois jours, on va donc tenter de vous le prouver,
01:13 avec nos invités connus ou à découvrir, scientifiques et/ou penseurs,
01:17 trublions ou garants de l'ordre établi.
01:20 On a souhaité mettre l'accent cette année sur vos retours, vos questionnements,
01:24 vos avis que nous allons partager dans un espace,
01:26 cet espace conçu comme une agora, vous allez pouvoir prendre la parole,
01:29 c'est très simple, rendez-vous, vous le voyez derrière moi, sur menti.com,
01:32 vous entrez le code 5602 3504 ou tout simplement vous flashez le QR code.
01:37 N'oubliez pas d'indiquer votre prénom et votre numéro de siège,
01:41 cela nous permettra de passer le micro pour poser la question,
01:44 pour les plus courageuses et les plus courageux,
01:46 et si vous voulez rester anonyme, vous envoyez la question sans votre prénom,
01:48 mais on préférerait quand même vous voir.
01:50 Enfin, vous avez accès à Futuropolis expérience,
01:52 qui vous propose jusqu'à demain un parcours d'expérience immersive,
01:55 en réalité virtuelle, en réalité augmentée, pour découvrir des œuvres numériques,
01:59 explorer les fonds marins, les sommets du monde,
02:01 le milieu sauvage de la savane africaine ou encore la grotte Chauvet,
02:04 ça se passe juste derrière, juste ici, et aussi au muséum juste à côté.
02:09 Futuropolis planète 12e édition, c'est parti,
02:13 toujours dans cet écran du quai des savoirs,
02:16 histoire de faire mentir notre indécrottable optimisme,
02:19 on a choisi d'inaugurer cette édition avec un sondage,
02:21 c'est Jean-Yves Dormagin, on l'accueille tout de suite,
02:23 qui va nous en donner les contours.
02:25 Sous applaudissements, mesdames, messieurs.
02:29 Jean-Yves Dormagin, bonjour, vous êtes professeur de sciences politiques,
02:39 spécialiste de la sociologie électorale et de l'abstention,
02:42 président fondateur de l'institut de sondage Cluster 17,
02:45 qui nous dévoile les résultats de cette étude exclusive.
02:48 Et on peut dire, ça vient vraiment contredire tout ce que je viens de dire en préambule,
02:52 on peut dire que le moral des Français est en berne.
02:54 Jean-Yves, 3% des sondés se disent pessimistes pour l'avenir de la France,
02:58 un sentiment partagé dans toutes les classes d'âge,
03:00 toutes les classes sociales, tous les électorats,
03:02 35% se disant même très pessimistes pour un petit pourcent de très optimistes seulement.
03:07 Qu'est-ce qui se passe en France en ce moment, Jean-Yves ?
03:09 Comme vous venez de le dire, effectivement,
03:12 c'est effectivement un peu en contradiction avec les objectifs de Futuropolis.
03:16 Je suis désolé d'arriver et de casser l'ambiance dès le départ, dès l'introduction.
03:21 Je vais vous demander de poser votre micro comme ça pour qu'on vous entende bien,
03:24 parce qu'on vous entend un peu de loin.
03:26 D'accord. Donc, effectivement, je disais, je suis un peu désolé de casser l'ambiance,
03:31 puisque l'objectif de ces journées, c'est de montrer des projets d'avenir,
03:36 de montrer une France dynamique, une France qui se projette vers l'avenir.
03:41 Et effectivement, quand on fait un sondage comme celui qu'a réalisé Cluster17 pour Le Point
03:46 et qu'on interroge les Français sur leur perception de leur avenir personnel,
03:50 de l'avenir du pays, sur la question de savoir si c'était mieux avant,
03:55 question qu'on entend souvent revenir dans les discussions, dans les propos,
04:00 eh bien, on s'aperçoit qu'effectivement, le pays est très pessimiste
04:04 et aussi très décliniste, c'est-à-dire très convaincu
04:08 que la France d'hier était mieux que la France d'aujourd'hui
04:12 et convaincu aussi que la France de demain sera encore moins bien
04:16 que cette France d'aujourd'hui, qui est déjà moins bien que la France d'hier.
04:18 Donc, il y a ça qui est très fort dans l'opinion
04:21 et qui, effectivement, dessine un panorama assez dépressif.
04:26 Et malheureusement, ce n'est pas récent, ce n'est pas nouveau.
04:29 Ça s'inscrit dans une assez longue durée.
04:32 C'est quelque chose de structurel qui, effectivement, caractérise aujourd'hui le pays.
04:37 On a presque l'impression que c'est être français, c'est ça,
04:40 penser qu'on est à la fois sur le déclin et à la fois pas très optimiste pour le pays.
04:44 En revanche, les Français sont plus optimistes pour eux-mêmes,
04:47 quand on regarde sur cette diapo.
04:50 Alors, effectivement, il faut distinguer le pessimisme personnel,
04:54 c'est-à-dire le fait de se projeter ou non dans l'avenir
04:57 et de considérer que cette projection est potentiellement positive
05:01 avec l'avenir du pays. C'est-à-dire, sur le plan personnel,
05:04 les Français sont moins négatifs, mais quand même,
05:08 mais quand même, une proportion très importante et pessimiste,
05:11 y compris pour elles-mêmes, et de plus en plus.
05:13 Donc, même sur le plan personnel, même sur le plan individuel,
05:16 il est difficile de se projeter. Mais effectivement, c'est un peu moins,
05:19 c'est même sensiblement moins que le pessimisme pour le pays,
05:23 qui, lui, est ultra majoritaire.
05:25 De mémoire, dans l'étude, je crois que c'est 83% des Français qui sont pessimistes,
05:30 dont un gros tiers très pessimiste pour l'avenir de la France.
05:34 Et en revanche, les très optimistes sont quasiment inexistants.
05:37 Il n'y a quasiment personne dans ce pays qui est très optimiste
05:40 pour l'avenir de la France.
05:42 Par rapport à ce que vous disiez tout à l'heure, par rapport à la France,
05:46 d'un point de vue personnel, on voit quand même qu'il y a des découpages
05:48 politiques assez marqués. Les macronistes sont plus optimistes
05:52 pour eux-mêmes et on voit que, au spectre de l'extrême droite,
05:57 pour le coup, qu'est-ce qu'on peut en déduire ?
06:01 Qu'est-ce que ça nous dit, la société française ?
06:03 Oui, alors, il faut distinguer plusieurs choses.
06:06 C'est-à-dire que l'optimisme pour soi-même ou pour ses proches
06:10 a une certaine logique. L'optimisme pour le pays obéit encore
06:14 à une autre logique. Et puis, il y a le déclinisme.
06:17 Ce sont trois choses qu'il faut bien distinguer.
06:19 Le déclinisme, c'est encore autre chose.
06:22 L'optimisme personnel, quand on regarde les résultats de cette étude,
06:26 on voit qu'il est très fortement lié à la trajectoire sociale
06:30 des individus et à leur situation. C'est-à-dire que, en gros,
06:34 quand vous avez un bon métier, quand vous avez un bon salaire,
06:38 quand vous êtes diplômé, quand vous avez aussi le sentiment
06:42 de vivre mieux que ne vivaient vos parents,
06:46 et c'est assez logique, ça va être pas très surprenant,
06:49 vous êtes optimiste pour vous-même et pour les vôtres.
06:53 A l'inverse, quand vous êtes dans une situation de précarité,
06:57 de fragilité sociale, et quand en plus, et on y reviendra peut-être,
07:01 vous avez le sentiment d'être dans une situation de déclassement,
07:04 vous avez le sentiment que votre situation se détériore,
07:08 que vous vivez moins bien que vos parents, que vos enfants,
07:11 et ça aussi c'est un élément fort de l'étude,
07:13 que vos enfants vivront encore moins bien que vous,
07:15 bien évidemment, logiquement, vous êtes pessimiste.
07:18 Et le pessimisme a une dimension sociologique qui est très forte,
07:22 et on le retrouve en effet dans les votes,
07:24 c'est-à-dire que cette France qui va plutôt bien,
07:27 cette France qui se projette, cette France optimiste,
07:30 a tendance à voter, on le voit sur le graphique,
07:33 a tendance à voter pour le président de la République en exercice,
07:36 pour Emmanuel Macron en 2022, et à l'inverse,
07:38 cette France du déclassement, cette France du pessimisme,
07:41 cette France de la fragilité sociale, elle vote plutôt pour Marine Le Pen.
07:44 Donc il y a effectivement une relation assez forte
07:46 entre ces sentiments et les votes.
07:48 Jean-Yves Dormagen, il existe quand même des sujets
07:50 sur lesquels les Français conviennent,
07:52 que ce n'était pas mieux avant.
07:54 On va regarder tout de suite l'autre diapo.
07:57 Alors, ce n'est pas celle-là, c'est celle-ci.
08:00 On va y arriver.
08:02 La condition des femmes, pensez-vous que les choses
08:05 étaient mieux avant en France dans les domaines suivants ?
08:07 La réponse est non.
08:08 Donc, ça veut dire qu'en creux, ça s'est amélioré.
08:10 La condition des femmes, la situation des homosexuels,
08:12 l'écologie et les conditions de travail.
08:15 Il nous fallait une diapo positive, Jean-Yves.
08:18 Oui, alors, l'étude d'ailleurs a été faite
08:23 en espérant enregistrer des dimensions positives.
08:27 Parce que souvent, quand on fait ce type de sondage,
08:29 on pose les questions de manière très générale.
08:31 C'est-à-dire, on demande aux sondés
08:33 "Est-ce que vous considérez que c'était mieux avant ?"
08:35 sans préciser de quoi on parle,
08:38 sans préciser les sujets qui étaient supposés être mieux avant.
08:41 Donc là, on a essayé effectivement
08:43 de faire les choses de manière plus fine,
08:45 en soumettant toute une série de thématiques
08:48 et en demandant sur chacune de ces thématiques aux Français
08:51 si, selon eux, la situation était mieux avant.
08:53 Effectivement, sur des questions comme la condition des femmes,
08:56 la situation des homosexuels, l'écologie aussi,
08:59 voire les conditions de travail, même si c'est un peu moins net.
09:02 Pour l'écologie, ça semble un peu contre-intuitif.
09:05 Oui, c'est un peu contre-intuitif, mais ça fait sans doute...
09:08 Il n'y a plus de DDT, il y a moins de pollution.
09:12 Oui, c'est aussi surtout qu'il y a une préoccupation écologique
09:14 et des politiques écologiques.
09:16 C'est peut-être ça que ça veut dire,
09:18 c'est-à-dire qu'on se préoccupait moins d'écologie dans le passé.
09:20 Je le comprends plutôt comme l'écologie en tant que préoccupation
09:23 et en tant que prise en charge de l'enjeu écologique,
09:25 plutôt que comme situation objective.
09:29 C'est sans doute un des éléments, parmi plein d'autres,
09:31 de la déprime française, c'est-à-dire que la crise climatique
09:34 annonce quand même un futur qui n'est pas forcément très rassurant,
09:38 en particulier pour les plus jeunes générations.
09:40 Donc ça fait partie de cette dépression collective,
09:42 la crise climatique, bien évidemment.
09:44 On va regarder la troisième diapo.
09:45 Alors, pour reprendre le bon mot de Talleyrand,
09:47 quand je m'examine, je m'inquiète, quand je me compare, je me rassure.
09:49 Il existe quand même des domaines dans lesquels les Français
09:52 se trouvent meilleurs que les autres et logiquement,
09:55 la gastronomie, la protection sociale.
09:58 On voit que c'est un marqueur important.
10:00 Les Français sont attachés à la Sécu et le système de soins
10:04 et au système de santé.
10:06 Oui, ça, c'est un des résultats forts, effectivement, de l'étude.
10:10 Le système de protection sociale français,
10:13 l'État-providence résiste relativement bien
10:17 et les Français restent aujourd'hui persuadés
10:19 qu'en la matière, ils sont plutôt mieux lotis que les autres.
10:22 C'est-à-dire qu'il y a ce sentiment qu'en France,
10:26 le système de soins, la protection sociale,
10:29 plus globalement l'État-providence, est meilleur qu'ailleurs.
10:33 Après, vous avez aussi des sujets qui relèvent beaucoup
10:35 du patrimoine culturel, du patrimoine immatériel,
10:39 la gastronomie, les paysages, la beauté de la France
10:46 qui font la fierté des Français.
10:48 Mais ce sont quand même un peu des thématiques du passé.
10:51 Ce ne sont pas des thématiques porteuses d'avenir.
10:54 On est assez loin du sujet de ces journées.
10:57 Il y a quand même toujours là quelque chose
11:00 qui regarde plutôt en arrière que vers le futur.
11:05 Alors, même si ce n'était pas mieux avant,
11:07 ça a l'air d'être mieux ailleurs.
11:08 Les Français, notamment les plus jeunes et les électeurs
11:09 les plus à droite, sont très nombreux à penser
11:11 que l'herbe est plus verte ailleurs.
11:13 Pour 62%, il existe un autre pays que la France
11:15 où il est plus agréable de vivre.
11:17 Seuls 16% estiment l'inverse.
11:18 Donc la Suisse, l'Espagne, le Portugal en particulier,
11:21 pays qui évoquent soit la prospérité,
11:23 soit la douceur de vivre, son publicité,
11:26 et l'Amérique du Nord, les Etats-Unis et le Canada
11:28 pour la terre de tous les succès.
11:30 Donc, qu'est-ce que ça nous dit là encore ?
11:34 Ça nous dit qu'en effet, quand on se compare,
11:39 contrairement à ce que vous disiez,
11:41 on ne se rassure pas forcément.
11:43 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, en particulier chez les jeunes,
11:48 il y a une envie d'ailleurs, il y a l'idée
11:51 qu'on réussirait mieux sa vie si on était aux Etats-Unis,
11:55 si on était au Canada.
11:56 Alors là, l'attirance, le tropisme de l'Amérique du Nord
11:59 est très très fort.
12:00 C'est vraiment des eldorados aujourd'hui
12:03 qui sont toute une partie de la population française
12:05 dans lesquelles on imagine, de manière sans doute
12:06 plus ou moins fantasmée,
12:07 mais on imagine qu'on aurait une vie supérieure, meilleure.
12:10 Ça rappelle un peu ce qu'on voit dans certains pays du Sud
12:13 qui rêvent de venir au Nord.
12:15 C'est-à-dire qu'il y a toute une fraction aujourd'hui
12:17 de la jeunesse française qui pense qu'elle réussirait mieux sa vie
12:19 en Amérique.
12:20 Et puis, il y a l'idée que la vie est plus douce ailleurs aussi.
12:23 Alors ça, ça peut paraître plus surprenant
12:24 parce qu'il y avait quand même...
12:26 Vous pouvez imaginer qu'il y avait cette idée
12:28 qu'en France, quand même, la qualité de la vie, etc.
12:31 était élevée.
12:32 Aujourd'hui, vous avez environ un Français sur cinq
12:36 qui pense que c'est en France qu'on vit le mieux
12:38 et qui pense qu'il vivrait mieux en Suisse
12:40 en termes de qualité de la vie
12:42 ou qu'il vivrait mieux en Espagne.
12:44 La dolce vita aujourd'hui, c'est plus l'Italie, c'est l'Espagne.
12:47 - Vous avez une minute pour répondre à cette question.
12:50 J'adore, parce que c'est souvent des questions très fondamentales.
12:52 En guise de conclusion, quel récit politique
12:54 peut-on proposer dans une France aussi nostalgique ?
12:59 - Alors c'est une question impossible
13:01 que vous me posez, évidemment.
13:03 A fortiori, en une minute.
13:06 Je voudrais juste dire que le déclinisme,
13:10 c'est encore un peu autre chose.
13:11 C'est-à-dire l'idée que c'était mieux avant,
13:14 ça obéit à deux logiques.
13:15 C'est important de comprendre ce qui nourrit ce déclinisme.
13:18 Il y a une dimension culturelle.
13:20 C'est-à-dire qu'il y a clairement,
13:22 quand on interroge les sondés sur les raisons
13:24 pour lesquelles, selon eux, la France,
13:26 c'était mieux avant,
13:27 les raisons qui sont mises en avant
13:30 sont des raisons qui relèvent des transformations sociétales,
13:33 culturelles de notre société.
13:34 L'immigration est fortement mise en avant.
13:38 Un monde, en gros,
13:41 les transformations des 60 dernières années,
13:45 qui ne conviennent pas,
13:48 qui ne conviennent pas à une très grande proportion de Français.
13:51 Et puis vous avez un sentiment de déclassement
13:54 qui est très puissant.
13:55 Vous avez quand même aujourd'hui 40% des Français
13:58 qui pensent vivre moins bien que leurs parents.
14:00 Et vous avez 80% des Français
14:02 qui pensent que leurs enfants vivront moins bien qu'eux.
14:04 Donc vous avez cette spirale,
14:06 ce sentiment subjectif de déclassement
14:08 qui est extrêmement puissant.
14:09 Et ce déclinisme,
14:12 il est aux racines du malheur actuel de la France,
14:17 de cette dépression collective.
14:19 Et donc le récit,
14:21 est-ce que c'est d'ailleurs seulement un récit ?
14:23 C'est-à-dire que c'est peut-être plus profond qu'un récit,
14:26 mais clairement, aujourd'hui,
14:29 il y a une très grande difficulté à se projeter.
14:32 Et le paradoxe de cette situation,
14:34 c'est que ce sont les plus identitaires aujourd'hui,
14:37 ce sont les plus attachés, d'une certaine manière,
14:42 à la France,
14:44 qui sont aussi les plus critiques
14:46 sur ce qu'est devenu ce pays
14:47 et qui s'y sentent le plus mal à l'aise.
14:49 Donc il y a une espèce de malaise français
14:52 qui est très, très complexe.
14:54 Et bien évidemment,
14:56 je suis désolé de ne pas avoir une conclusion optimiste
14:59 ou de ne pas être capable de répondre à votre question
15:01 sur le récit qu'il faudrait produire,
15:03 mais clairement, aujourd'hui,
15:05 il y a une très grande difficulté à se projeter
15:08 et on vit dans un pays qui a de plus en plus de mal
15:12 à faire, à faire sens,
15:15 à créer du lien, à inclure,
15:18 et qui du coup est marqué par ce pessimisme
15:22 et ce déclinisme très puissant.
15:24 Merci de nous avoir remonté le moral, Jean-Yves.
15:26 Vous repartez néanmoins sous les applaudissements.
15:28 Merci à vous.
15:30 Pour notre première séquence,
15:34 rien de tel que le retour à la terre, version Gaspard Koenig,
15:37 et si le monde appartenait aux vers de terre.
15:39 Kevin et Arthur, deux étudiants en agronomie,
15:41 Radéville et Radéchant, aux trajectoires contrariées,
15:43 tentent de changer le monde
15:45 ou leur maigre parcelle de terre
15:47 a une dévotion commune pour les vers de terre.
15:50 Humus salue le retour au roman d'un philosophe,
15:52 essayiste et homme politique qui plaide
15:54 avec un esprit plus acerbe que candide
15:56 qu'il faut cultiver son jardin.
15:58 Le voici avec Étienne Gernel, le directeur du Point,
16:00 qui mènera l'entretien sous vos applaudissements,
16:02 mesdames, messieurs.
16:04 J'adore cette musique, pas vous ?
16:16 Merci, bienvenue Gaspard.
16:18 C'est ton troisième futur rappeliste, je crois.
16:21 C'est vrai.
16:23 Et là, c'est un futur rappeliste, il arrive,
16:25 il vient d'obtenir, de remporter le prix Interallié,
16:27 quand même, on peut l'applaudir.
16:29 Pour ceci,
16:31 Humus aux éditions de l'Observatoire,
16:33 je vous le recommande, achetez-le,
16:35 c'est pas très cher, c'est combien déjà ?
16:37 22 euros, honnêtement, c'est pas cher.
16:39 On peut pas faire plus de 5% de réduction, c'est la loi langue.
16:41 Ah oui, oui, c'est la loi langue, c'est très bien la loi langue.
16:43 Magnifique.
16:45 Donc, d'abord,
16:47 merci d'être là,
16:49 d'abord, merci d'être là pour le principe,
16:51 parce que tu réfléchis à des tas de sujets
16:53 depuis très très longtemps,
16:55 l'intelligence artificielle,
16:57 la liberté, les libertés individuelles,
16:59 mais là, t'es là en tant que romancier,
17:01 ce qui est intéressant d'ailleurs,
17:03 c'est que probablement,
17:05 tu me disais tout à l'heure,
17:07 ce livre va peut-être se vendre plus que tous mes livres précédents réunis,
17:09 c'est ton quinzième livre,
17:11 et c'est intéressant,
17:13 ça veut dire qu'on
17:15 atteint le cœur des gens par la fiction,
17:17 par le roman,
17:19 plus que par le raisonnement ?
17:21 Je sais pas, après, Piketty,
17:23 il vend 300 000 ou 400 000 ou 500 000 exemplaires
17:25 de son essai.
17:27 Donc,
17:29 c'est très hasardeux aussi.
17:31 La nécessité d'écrire un roman,
17:35 d'abord parce que j'avais envie de le faire,
17:37 j'avais envie de retourner à l'écriture créative,
17:39 de manière très égoïste, mais c'est aussi parce que
17:41 on est face à un sujet très complexe,
17:43 disons la question écologique,
17:45 on n'a pas de réponse définitive,
17:47 et totalement
17:49 arrêtée.
17:51 Il y a toujours une forme quand même
17:53 de facilité dans l'essai,
17:55 qui est qu'on choisit une thèse et puis on n'en démord plus.
17:57 C'est quand même pas très compliqué,
17:59 une fois qu'on connaît un peu la technique, de faire une liste de tous les arguments,
18:01 de tous les contre-arguments, de toutes les objections possibles,
18:03 de toutes les réponses aux objections,
18:05 et de tenir comme ça pendant des années.
18:07 Moi, sur le revenu universel, maintenant, je suis imperméable aux objections.
18:09 Je crois qu'il n'y a pas une seule objection
18:11 que je n'ai pas déjà entendue et que je n'ai pas déjà réfutée
18:13 de l'université différente.
18:15 J'ai toutes les chiffres, je suis
18:17 totalement invincible.
18:19 Et donc, ce n'est pas drôle. Et quelque part,
18:21 on se dit que c'est faux. Quand on devient invincible sur quelque chose,
18:23 c'est que quelque part, on rate
18:25 une part de la réalité.
18:27 D'ailleurs, Condillac avait écrit
18:29 un traité des systèmes au XVIIIe siècle,
18:31 disant que tous ces philosophes
18:33 qui font des systèmes sont
18:35 dans l'erreur, précisément par le fait
18:37 qu'ils ont fait un système qui pensait
18:39 pouvoir appréhender
18:41 l'ensemble de la réalité du monde
18:43 à travers un esprit. Ce n'est juste pas possible.
18:45 Et donc, le roman a cette honnêteté
18:47 de ne pas donner une thèse définitive.
18:49 Alors,
18:51 d'abord, l'essai peut être écrit. Moi, j'essaie de mettre
18:53 du style dans mes essais, qui sont toujours des récits,
18:55 qui entremêlent les expériences, l'apportage que j'ai fait avec le point.
18:57 À l'inverse, le roman
18:59 peut proposer des idées aussi.
19:01 Je ne pense pas d'abord qu'il y ait de frontières absolument
19:03 très nettes
19:05 entre différents genres.
19:07 D'ailleurs, je remarque que jusqu'à Sartre,
19:09 les écrivains écrivaient de tout.
19:11 Victor Hugo a écrit des essais, des pièces de théâtre,
19:13 des romans. Sartre a fait
19:15 tous les genres, de l'autobiographie
19:17 au théâtre, en passant par
19:19 les nouvelles, les gros traités métaphysiques,
19:21 les petits livres de philosophie. Il y avait de tout.
19:23 Mais c'était la même pensée qui se déployait à travers
19:25 plusieurs genres, et la même écriture aussi
19:27 qui se déployait à travers plusieurs genres.
19:29 Donc, on a le droit de faire ça, et c'est vrai qu'on a tendance
19:31 aujourd'hui à vraiment s'inder, même au niveau
19:33 de la critique, des prix littéraires,
19:35 les deux exercices,
19:37 fiction/non-fiction, et que je trouve ça un peu dommage.
19:39 Mais voilà, le roman,
19:41 il permet aussi de ne pas donner de réponses,
19:43 mais en revanche de bien poser
19:45 les problèmes. - Il y a deux
19:47 voies qui sortent, si on schématise à l'extrême.
19:49 Il y a deux personnages, Kevin et Arthur.
19:51 L'un choisit Arthur
19:53 le retour à la terre pour cultiver ses
19:55 lombriques, pour essayer de les faire revivre
19:57 sur une terre
19:59 qui a été maltraitée par trop de pesticides,
20:01 trop d'ajouts chimiques,
20:03 et puis l'autre, il choisit l'industrie.
20:05 Tu as appé d'ailleurs un peu par ça.
20:07 Le business, l'écolo-business,
20:09 le développement durable.
20:11 Il y en a un qui pousse
20:13 Arthur jusqu'à la radicalité
20:15 la plus absolue, mais
20:17 toi tu juges pas.
20:19 Il y a deux écoles quand même en matière d'écologie.
20:21 Il y a des gens qui sont plutôt comme moi, technophiles,
20:23 croyants,
20:25 confiants dans le progrès,
20:27 la science, les puits de carbone,
20:29 la captation du carbone,
20:31 l'intelligence collective,
20:33 la science, et puis il y a des gens qui disent
20:35 "non, décroissance, on arrête tout ça,
20:37 l'humanité est allée trop loin",
20:39 et toi tu ne juges pas. Tu dis que tu es accroissant d'ailleurs.
20:41 Je ne juge pas, juste sur ce que tu viens de dire,
20:43 j'aimerais quand même faire une distinction entre le progrès
20:45 et la science. Parce qu'aujourd'hui,
20:47 la science, elle nous dit
20:49 plutôt de faire attention à l'innovation technologique.
20:51 La science,
20:53 la recherche fondamentale,
20:55 elle nous explique que le ver de terre, c'est l'innovation la plus
20:57 prodigieuse qui a été créée
20:59 par des centaines de millions d'années
21:01 d'évolution naturelle, et l'évolution naturelle,
21:03 c'est de la science, c'est-à-dire c'est de l'expérimentation,
21:05 de la correction,
21:07 et ça aboutit à un
21:09 équilibre qui est une merveille technologique.
21:11 Il fallait quand même y penser,
21:13 de mettre tous ces petits tubes dans la terre,
21:15 plusieurs tonnes à l'hectare, qui la travaillent
21:17 pour nous, qui la labourent,
21:19 et qui permettent de transformer la mort en vie.
21:21 Quelle start-up aurait pensé à ça ?
21:23 Et donc, avant d'arriver avec nos gros sabots,
21:25 nos pesticides et nos capteurs,
21:27 il faut aussi respecter
21:29 l'extraordinaire science
21:31 qui se trouve dans l'existant.
21:33 Et les vrais scientifiques,
21:35 ceux qui étudient les vers de terre,
21:37 comme Marcel Boucher, qui est un géodrilologue
21:39 fameux, qui me sert d'inspiration au début du livre,
21:41 nous expliquent qu'en fait, il y a
21:43 tellement de choses qu'on ne sait pas encore.
21:45 Décrire le fonctionnement d'une mode de terre,
21:47 c'est très compliqué. Il y a des milliards de bactéries en interaction.
21:49 Les vers de terre eux-mêmes,
21:51 5 000 espèces. On en connaît peut-être,
21:53 on peut en décrire précisément peut-être une trentaine.
21:55 Donc, la science apprend aussi
21:57 beaucoup d'humilité. Humilité d'ailleurs vient du MUS.
21:59 Et il ne faut pas
22:01 associer la science à la technologie, à l'innovation.
22:03 Je pense que c'est un pas
22:05 un peu rapide.
22:07 Et après, sur l'A,
22:09 donc A croissance,
22:11 comme on est A-T, je crois que j'emprunte ça à Serge Latouche.
22:13 Effectivement,
22:15 d'abord,
22:17 moi, je pense que ces deux héros, c'est un peu
22:19 une schizophrénie qu'on a chacun en nous,
22:21 avec des
22:23 dosages un peu variés.
22:25 Il y a beaucoup de gens qui s'interrogent
22:27 aujourd'hui. Est-ce que je bifurque? Est-ce que je reste dans mon entreprise?
22:29 Est-ce que je vais dans l'entreprise pour la changer?
22:31 C'est des questions qui sont complètement récurrentes.
22:33 Les questions que se posent les bifurqueurs,
22:35 les questions que se posent
22:37 les gens qui, au contraire,
22:39 vont travailler chez Total pour faire
22:41 de l'éolien.
22:43 Et donc, mes deux héros, c'est un peu
22:45 on les a chacun en nous.
22:47 Et moi, j'ai en moi aussi. Moi, je continue à m'intéresser.
22:49 Je vais voir des gens qui font, par exemple,
22:51 de la finance régénérative,
22:53 des systèmes d'assurance pour permettre aux agriculteurs
22:55 de faire la transition en agroécologie
22:57 en couvrant les pertes de rendement éventuelles.
22:59 Bon, j'ai du mal à trouver ça
23:01 mauvais. C'est des mécanismes
23:03 de marché, c'est du pur capitalisme.
23:05 Mais je
23:07 demande à voir. Et, par ailleurs,
23:09 j'écoute avec aussi
23:11 beaucoup d'intérêt ce que disent les soulèvements de la terre,
23:13 qui se fondent sur des analyses
23:15 scientifiques béton,
23:17 qui, globalement, ont raison sur le fond
23:19 et qui représentent
23:21 une génération qui,
23:23 je pense, a compris des choses
23:25 très importantes,
23:27 pas seulement pour la planète, la nature, mais pour la manière de vivre
23:29 même. Et je me demande si les deux
23:31 sont incompatibles, en fait.
23:33 Et cette question-là se
23:35 reflète dans le livre sur
23:37 l'amitié
23:39 possible ou impossible entre les deux héros.
23:41 Est-ce qu'à un moment donné, leurs convictions vont
23:43 devenir tellement divergentes
23:45 qu'ils vont rompre, d'autant que leur amitié
23:47 est ambiguë, un peu amoureuse ?
23:49 Ou est-ce qu'il y a une possibilité
23:51 de réunion, finalement ? - Ce qui est intéressant,
23:53 c'est qu'il y a des débats philosophiques,
23:55 scientifiques,
23:57 politiques, sous-jacents,
23:59 mais qu'à la fin, les personnages, ce qui les
24:01 fait bouger, c'est quand même l'amour.
24:03 - Oui, c'est la vie.
24:05 La vie et l'amour.
24:07 D'ailleurs, quand ils choisissent leurs différentes options,
24:09 tu as l'écrite,
24:11 ils le font un peu par hasard.
24:13 Le fils de bourgeois
24:15 qui s'est mis dans la tête de réintroduire des verres de terre
24:17 dans la terre polluée de son grand-père,
24:19 au début, il dit ça à une soirée
24:21 pour séduire une fille.
24:23 Comme ça, parce qu'il se dit que ça va faire bien,
24:25 parce que la fille est très militante,
24:27 elle est dans toutes les manifs. - Elle est à Sciences Po.
24:29 - Elle est à Sciences Po, et puis évidemment,
24:31 après six mois de retour à la terre, elle va revenir dans le lobbying.
24:33 Et ça, il en fallait quand même
24:35 un personnage comme ça, parce qu'on les connaît tous,
24:37 on les fréquente souvent.
24:39 Et donc,
24:41 il se laisse entraîner dans son propre mensonge,
24:45 et puis il finit par y croire,
24:47 et quand elle part, lui, il continue.
24:49 Et donc, c'était aussi pour montrer que
24:51 mes héros, ce n'est pas des militants au début,
24:53 c'est des jeunes
24:55 qui ont la conscience écologique standard
24:57 dans leur génération, dans la génération des 25-40 ans,
24:59 et qui se laissent aussi porter par la vie
25:03 et par les hasards de la vie.
25:05 Ce n'est pas une espèce de militantisme qui va de A à Z.
25:07 Parce que si j'avais fait ça,
25:09 j'aurais mis en scène des gens un peu marginaux
25:11 par rapport à leur génération, alors que mes deux héros,
25:13 je sais qu'ils sont aussi représentatifs que possible.
25:15 - Et alors, c'est marrant,
25:17 parce qu'on se balade
25:19 dans ce monde entre Sequoia Capital
25:21 dans la Silicon Valley,
25:25 et puis il y a un passage
25:27 qui m'a fait hurler de rire,
25:29 dans le monde du greenwashing,
25:31 RSE, etc.,
25:33 dans un manoir éco-responsable,
25:35 je ne sais plus si c'est dans l'Orne, c'est ça,
25:37 je ne sais plus exactement.
25:39 Et alors, c'est absolument génial.
25:41 Il y a Mme RSE,
25:43 qui, en gros,
25:45 c'est que du recyclage,
25:47 des trucs chinés, c'est incroyable,
25:49 ça ne vaut plus rien, un buffet Henri II en noyer,
25:51 avec ses colonnes annelées,
25:53 ses corniches dégradées,
25:55 c'est des trucs du compost,
25:57 de l'eau de pluie pour les toilettes,
25:59 et en fait, c'est assez marrant,
26:01 il y a quand même un monde de bullshit
26:03 dans cet univers de l'environnement qui est dingue, non ?
26:05 Et donc, derrière, tous ces personnages secondaires
26:07 essayent d'écrire, de mettre en scène
26:09 les différentes options,
26:11 finalement, que nous prenons tous par rapport à cette question,
26:13 et ça va
26:15 de la passion la plus intransigeante
26:17 à la tartufferie totale,
26:19 illustrée dans le livre par Mme RSE.
26:21 Mais en même temps, Mme RSE,
26:23 elle fait des trucs bien, parce que malgré tout,
26:25 même s'il y a tout ce bullshit,
26:27 même si, évidemment, elle peut faire ça parce qu'elle a de l'argent,
26:29 qu'elle peut se le permettre,
26:31 elle fait quand même ses buts de permaculture,
26:33 ses trucs d'eau de pluie,
26:35 elle n'est pas complètement condamnée,
26:37 non plus, elle a trouvé...
26:39 elle est attendrissante, quelque part,
26:41 à sa manière.
26:43 Je ne pense pas qu'il y ait de...
26:45 Je pense que le livre reste très tendre pour tout le monde,
26:47 parce que c'est des questions extrêmement complexes,
26:49 on est aujourd'hui face à des paradigmes qui s'entrechoquent
26:51 et qui font qu'il n'y a pas de...
26:53 qu'on est vraiment au sujet
26:55 à des injonctions très contradictoires,
26:57 et donc, je respecte aussi
26:59 les efforts aussi ridicules
27:01 que peuvent faire les uns ou les autres.
27:03 – Et alors, il y a aussi la question de l'éco-terrorisme,
27:05 qui apparaît,
27:07 c'est très intéressant, parce qu'on voit bien,
27:09 on a beaucoup parlé de ça
27:11 au moment de l'émergence du terrorisme de Daesh
27:13 ces dernières années en France et en Europe,
27:15 on dit "non, il y a un récit chevaleresque
27:17 qui a disparu de nos sociétés,
27:19 et eux, ils en fournissent un".
27:21 Est-ce que l'écologie et la radicalité écologique
27:23 fournissent une forme de récit
27:25 exaltant,
27:27 chevaleresque, quelque chose
27:29 en quoi on pourrait croire,
27:31 et pour lequel on pourrait se sacrifier aujourd'hui ?
27:33 – D'abord, en termes de projet collectif,
27:35 je pense que la nature, c'est le meilleur projet
27:37 collectif qu'on peut trouver. D'ailleurs, le livre de Guy
27:39 sur les fractures françaises
27:41 finissait en disant qu'il y a quand même un seul sujet
27:43 sur lequel les Français sont d'accord,
27:45 ils sont d'accord sur la finalité, après, sur les chemins à prendre,
27:47 c'est différent, c'est l'environnement.
27:49 Donc, il est là, le projet. Je ne sais pas pourquoi
27:51 on cherche midi à 14h.
27:53 Ensuite, quand même, sur l'éco-terrorisme,
27:55 je suis assez clair maintenant sur ce que
27:57 j'en pense. Je pense d'abord que le terme
27:59 est absurde aujourd'hui.
28:01 Les mouvements type soulèvement de la Terre sont guidés
28:03 par des logiques de désobéissance civile,
28:05 qui sont d'ailleurs au fondement de l'écologie
28:07 politique. Le concept a été
28:09 théorisé par Henri-David Thoreau,
28:11 qui est un des premiers penseurs de la nature
28:13 au milieu du 19e siècle.
28:15 Et quand on regarde dans le détail
28:17 leurs actions, évidemment, il y a des débordements
28:19 comme dans toute activité politique,
28:21 mais globalement,
28:23 c'est très réfléchi,
28:25 c'est toujours fondé sur plein de rapports scientifiques.
28:27 Quand ils mettent de la peinture,
28:29 quand ils jettent de la peinture sur les tableaux, ils s'assurent qu'il y a une vitre.
28:31 Quand ils se collent quelque part, ils s'assurent qu'on puisse les décoller.
28:33 Ils mettent des chasubres de
28:35 couleurs différentes pour se signaler, etc.
28:37 On n'est pas du tout dans l'action
28:39 directe des années 70 avec des attentats,
28:41 des bombes. Donc, je pense qu'il faut
28:43 vraiment comprendre que c'est au contraire
28:45 une forme pour des gens
28:47 aussi convaincus, qui sont
28:49 aussi persuadés, à juste titre, je pense,
28:51 que le paradigme actuel est complètement
28:53 fou. Eux représentent la
28:55 raison, la rationalité,
28:57 et ce qu'ils font est aujourd'hui
28:59 raisonnable.
29:01 Maintenant, il est clair qu'
29:03 une autre génération arrive,
29:05 et c'est celle que je mets en scène à la fin du livre.
29:07 C'est la génération qui est aujourd'hui 10 ans
29:09 ou 12 ans, qui demain en aura 20,
29:11 et qui demandera à ses aînés, "Non mais vous, avec vos trucs
29:13 de désobéissance civile, scolés par
29:15 terre, etc., vous avez fait quoi, là ?"
29:17 Et c'est elle qui peut devenir
29:19 terroriste, au sens sartrien du
29:21 terme. C'est-à-dire qu'un mouvement politique,
29:23 pour vaincre, c'est ce que dit Sartre, j'aime pas Sartre, mais peut-être
29:25 qu'il a raison sur ce point, à un moment donné, il faut qu'il y ait des morts,
29:27 il faut qu'il y ait une vraie révolution. C'est ce que met
29:29 en scène le livre à la fin.
29:31 Je ne dis pas que je l'appelle de mes voeux, mais je dis que c'est
29:33 un développement parfaitement
29:35 logique d'un mouvement politique qui, aujourd'hui,
29:37 pacifie, se fondait sur la désobéissance civile,
29:39 et qui ne se sent pas entendu, et qui a un
29:41 sentiment d'urgence très fort.
29:43 Et d'ailleurs, on voit très bien que cette
29:45 question-là commence à naître dans le mouvement
29:47 écologique, avec comment saboter un pipeline
29:49 de meubles, et l'idée que
29:51 la violence puisse être légitime
29:53 devient une question.
29:55 Pour, au fond, passer de la prise
29:59 de conscience à la prise de pouvoir, en disant que ça ne sert plus à rien
30:01 de faire prendre conscience. Maintenant,
30:03 il faut agir, prendre les
30:05 leviers de production énergétique,
30:07 couper le robinet.
30:09 En tout cas, ça me paraît,
30:11 en termes d'analyse, totalement
30:13 cohérent, et
30:15 beaucoup de gens ont été choqués par la
30:17 fin du livre, par la Révolution, et ils ont été choqués
30:19 parce que, comme c'est un livre qui se veut très réaliste,
30:21 croise Thomas Pesquet, ce qu'il y a à Thomas Pesquet, c'est que c'est vrai,
30:23 parce qu'on le voit partout.
30:25 Ils se disent, "Donc, c'est vrai,
30:27 tout ça, c'est vrai, tout ça, c'est ce que je vis, et puis, ah,
30:29 mais donc, ça va finir comme ça ?"
30:31 Alors que même la scène n'est pas très sanglante,
30:33 ça a beaucoup perturbé les lecteurs. Je leur dis, "Mais oui,
30:35 mais en même temps, il ne faut pas être dans le déni."
30:37 - Il y a quand même des morts.
30:39 - Oui, il y a des morts, mais je veux dire, on a oublié, moi, j'ai lu
30:41 récemment les mémoires de Tocqueville.
30:43 On est en 1848.
30:45 Il est député, donc il est au premier
30:47 plan. Après, il finit ministre, d'ailleurs, de la Deuxième République.
30:49 Il vit février, puis
30:51 juin 1848. Six mois près,
30:53 deux révolutions. A chaque fois, c'est
30:55 la même histoire. Il y a la Garde nationale qui arrive,
30:57 il y a les ouvriers de Paris qui dressent des barricades,
30:59 les Russes sont jonchés de
31:01 cadavres. Tocqueville explique
31:03 qu'il va à l'Assemblée nationale avec des pistolets
31:05 dans les poches. C'était il y a un siècle et demi.
31:07 Et ces révolutions-là, elles ont produit
31:09 un fait politique, puisqu'elles
31:11 ont produit... On est passé de la monarchie à la République.
31:13 C'est le moment où on a définitivement abandonné la monarchie.
31:15 Donc,
31:17 elles ont quelque part irrigué
31:19 le système politique. Elles n'étaient pas juste
31:21 nulles. On a oublié
31:23 quand même que l'histoire est violente
31:25 et que, dans notre histoire,
31:27 particulièrement nous, Français,
31:29 nous avons eu ces moments révolutionnaires
31:31 qui ont
31:33 ponctué
31:35 notre développement politique,
31:37 et y compris en lui apportant des choses.
31:39 Donc maintenant, évidemment, comme on est dans ces 70 ans
31:41 de paix exceptionnelle,
31:43 de stabilité exceptionnelle,
31:45 on oublie tout ça. Mais ça fait partie
31:47 de la vie politique. Je ne dis pas encore
31:49 une fois que je le souhaite. Je ne le souhaite pas.
31:51 Mais
31:53 il ne faut pas considérer ça comme quelque chose
31:55 de complètement étranger
31:57 à notre mode de vie, à nos sociétés, qui
31:59 devraient ne plus jamais arriver.
32:01 - Parce qu'on a parlé d'amour un peu, quand même.
32:03 - Oui, question d'amour, y compris de sexe.
32:05 Dans ce livre, je vais vous lire un petit passage
32:07 sur la sexualité du lombric.
32:09 "Ce qui le frappa d'abord, ce fut l'immobilité.
32:13 Il y avait là deux beaux anessiques
32:15 aux corps bruns, tête bêche,
32:17 accrochés l'un à l'autre
32:19 par leur clitérium,
32:21 clitérium respectif,
32:23 qui sécrétait un mucus gluant.
32:25 Leurs quinze premiers anneaux
32:27 étaient collés ensemble, à l'exception de la tête
32:29 qui se tournait pudiquement sur le côté.
32:31 Ces bêtes qui rampaient son répit
32:33 à la recherche de nourriture
32:35 s'étaient soudain immobilisées.
32:37 À la différence des humains qui se tortillent
32:39 en tous sens, les anneaux
32:41 avaient cessé de se contracter et noircissaient
32:43 calmement de plaisir.
32:45 Pas de caresses, pas de coudrins.
32:47 Arthur trouva cette manière de faire
32:49 beaucoup plus judicieuse. Pourquoi l'amour
32:51 devrait-il être une lutte essoufflée
32:53 et grimaçante ?
32:55 N'est-il pas mieux servi par cette union
32:57 placide et langueuse ?"
32:59 Alors question, t'as vu vraiment
33:01 des copulations de vers de terre ? Et ça t'a inspiré ça ?
33:03 Alors d'abord je recommande à tout le monde
33:05 Youtube qui n'est pas censuré
33:07 sur la copulation de l'ombrique
33:09 et on trouve de très très belles scènes
33:11 très longues
33:13 ça peut durer des heures, je tiens à le dire.
33:15 Des heures ? Ça peut durer des heures.
33:17 Mais ça c'est bien ou c'est mal ?
33:19 En sachant que
33:21 la queue
33:23 reste dans la terre
33:25 et qu'en cas d'attaque de prédateurs
33:27 à toute vitesse, les deux corps
33:29 se détachent et se rembobinent
33:31 littéralement dans la terre.
33:33 Ce qui m'intéresse dans ces histoires
33:35 alors d'abord c'est très efficace
33:37 dans l'évolution naturelle puisque ça leur permet, comme ils sont hermaphrodites
33:39 à partir
33:41 d'un accouplement, il y a deux
33:43 lignées
33:45 deux lignées deux
33:47 d'ADN différentes qui sont produites
33:49 et donc ça se réplique
33:51 à deux fois la vitesse
33:53 d'un insecte normal.
33:55 Ou d'un annelé, je ne sais plus comment on dit.
33:57 Et donc
33:59 ce qui est intéressant dans cette reproduction
34:01 c'est qu'elle est
34:03 vraiment l'androgyne platonicien.
34:05 C'est le moment où deux corps se trouvent
34:07 et fusionnent complètement et quand on les voit
34:09 il n'y a pas de photo d'accouplement.
34:11 Ce n'est pas des verres de terre ça ?
34:13 Non, on est n'importe quoi.
34:15 C'est des larves de...
34:17 C'est quoi ça non ?
34:19 Ah ben voilà, merci.
34:21 Ils sont beaux ceux-là.
34:23 On voit un clité lume là, non j'ai pas l'impression.
34:25 C'est le clité lyronflement
34:27 au niveau du
34:29 9e, 12e anneau
34:31 qui montre que le verre de terre est
34:33 en pleine capacité sexuelle. Il allume sa
34:35 lanterne, c'est véritablement ça qu'il fait.
34:37 Et donc c'est un accouplement où
34:39 quand on les regarde
34:41 d'ailleurs, ils forment une espèce de cocon
34:43 et donc le corps véritablement ne fait
34:45 plus qu'un, ce que je trouve très beau. Et ce que je trouve
34:47 aussi très
34:51 profond par rapport à ce qu'est la terre.
34:53 C'est-à-dire que la terre, c'est une
34:55 forme de magma
34:57 originaire
34:59 où tout se mêle et
35:01 où au fond, il n'y a même pas encore de
35:03 différence sexuelle. Et c'est pour ça qu'elle
35:05 est si fertile. C'est parce qu'elle est
35:07 complètement organique, première,
35:09 qu'elle vient avant
35:11 la distinction entre le mâle et la
35:13 femelle. Et à un
35:15 moment donné, Arthur, un de mes personnages, livre
35:17 cette réflexion, que je n'oserais pas faire mienne,
35:19 sur la genèse, dans la Bible.
35:21 Et il dit que dans la genèse,
35:23 dans le jardin
35:25 d'Éden originel,
35:27 tout pousse naturellement.
35:29 Et Adam, il se nourrit.
35:31 On ne dit pas d'ailleurs si c'est Adam, c'est vraiment
35:33 un homme, au sens où il est véritablement
35:35 sexué, c'est un être humain.
35:37 Et il se nourrit de fruits comme ça,
35:39 facilement, parce que ça pousse, en agroforesterie.
35:41 Et puis le moment où Ève
35:43 arrive, où la honte arrive,
35:45 où ils cachent leur sexe, où donc la différence
35:47 sexuelle arrive, c'est aussi le moment
35:49 où la terre devient infertile.
35:51 C'est le moment où poussent, dit la Bible,
35:53 les ronces, et où donc il va falloir commencer
35:55 à travailler, à défricher.
35:57 Comme si cette différenciation
35:59 sexuelle entraînait aussi l'infertilité.
36:01 Parce qu'à l'inverse,
36:03 la terre fertile, la terre pleine de
36:05 vers de terre, c'est la terre
36:07 hermaphrodite. Et donc il y a
36:09 cette dimension de chair
36:11 très... Et puis c'est pour ça
36:13 qu'un de mes héros est pansexuel, d'ailleurs.
36:15 Pansexuel, c'est-à-dire que,
36:17 s'agissant de Kevin, alors la différence
36:19 avec le bisexuel est intéressante.
36:21 Le bisexuel est quelqu'un qui,
36:23 par exemple, mettons que ce soit un homme bisexuel,
36:25 qui va aller avec les hommes
36:27 en tant qu'homosexuel, avec les femmes en tant qu'hétérosexuel.
36:29 Il se divise, il est bi.
36:31 Mais le pansexuel n'a pas ce genre de réflexion.
36:33 En pratique, il fait la même chose.
36:35 Mais dans sa tête, en fait, il va juste vers
36:37 des corps, des corps qui l'intéressent,
36:39 peu importe, au fond, ce qu'il y a entre les jambes.
36:41 Il aime des corps, voilà.
36:43 C'est ça l'hermaphroditisme, au fond.
36:45 - Alors, c'est passionnant ce que tu racontes là,
36:47 parce qu'en fait, on voit bien que tu as travaillé
36:49 ce sujet considérablement, tu le connais par cœur.
36:51 Mais qu'est-ce qui s'est passé dans ta vie ?
36:53 Parce qu'il y a quelques années, alors,
36:55 quand on te connaît un petit peu, on sait que tu as toujours été plus compliqué
36:57 que l'étiquette
36:59 posée sur le bogal
37:01 de philosophe libéral. Ça a toujours été
37:03 plus compliqué que ça. Enfin, il y a quelques années,
37:05 tu écrivais dans le point des papiers où tu t'extasiais
37:07 de l'atmosphère de liberté
37:09 dans les couloirs de l'OMC.
37:11 Et maintenant, on te retrouve à t'extasier
37:13 sur la sexualité des lombriques et sur la
37:15 philosophie qui va avec, et sur
37:17 cette époque où, avant le travail,
37:19 d'une certaine manière, puisque tu parlais
37:21 d'Adam et Ève,
37:23 avant le péché
37:25 originel, avant le travail, avant qu'on ait besoin
37:27 de travailler la terre, qu'est-ce qui s'est passé dans ta vie ?
37:29 - Il s'est passé d'abord que j'ai trop
37:31 travaillé pour le point, puisque
37:33 c'est avec le point que j'ai fait ce grand voyage
37:35 à cheval à travers l'Europe, qui a quand même été
37:37 pour moi une transformation profonde.
37:39 Pas tellement parce que j'ai vu la nature,
37:41 parce que j'la connaissais quand même, faut pas exagérer,
37:43 mais parce que ça a changé ma manière
37:45 d'être, d'être au monde, et donc petit à petit
37:47 je me suis mis à m'intéresser à d'autres choses,
37:49 à ralentir, disons,
37:51 et puis j'ai fini par faire
37:53 mon potager à la campagne et par
37:55 m'intéresser aux verres de terre.
37:57 Mais je pense qu'il y a vraiment une cohérence
37:59 dans tout ça. D'ailleurs, quand je repense à tous
38:01 les livres que j'ai écrits avant, il n'y en a pas un,
38:03 il n'y a même pas un paragraphe que
38:05 je rejetterais aujourd'hui. Je pense simplement
38:07 qu'on arrive à un niveau plus fondamental.
38:09 Ce que je dis sur la...
38:11 Tout ce qu'on a pu dire sur la liberté,
38:13 ça marche,
38:15 et c'est ce qu'il y a de mieux pour organiser
38:17 une société humaine. Et maintenant, il faut
38:19 comprendre que cette société humaine, elle repose pas
38:21 comme ça, elle est pas abstraite,
38:23 elle est pas en apesanteur, elle repose
38:25 sur un sol, elle repose sur du vivant.
38:27 Et quand on introduit cette dimension-là,
38:29 on rentre dans quelque chose de beaucoup plus fondamental,
38:31 mais sans annihiler
38:33 la dimension précédente, c'est juste que ça paraît
38:35 beaucoup moins important au regard de ce qui
38:37 se joue dans nos sols,
38:39 en particulier.
38:41 Et de toute façon, pour la pensée
38:43 libérale en général, c'est absolument fondamental
38:45 aujourd'hui de comprendre,
38:47 d'intégrer l'irruption
38:49 du vivant.
38:51 Qu'est-ce que ça veut dire le droit de propriété
38:53 quand dans un sol on a des millions de lombriques,
38:55 une biodiversité colossale,
38:57 des bactéries, des animaux
38:59 qui s'occupent de polliniser, ça veut dire quoi ?
39:01 Posséder une terre
39:03 et faire ses pommiers. C'est débile,
39:05 en fait, ça appartient à beaucoup plus
39:07 de monde que simplement l'être humain.
39:09 Mais ça n'empêche que
39:11 nature et liberté sont deux concepts qui sont
39:13 profondément liés, c'est ce lien-là
39:15 qu'il faut rétablir. C'est pas hasard si Tocqueville
39:17 est à la fois le premier critique
39:19 de la bureaucratie, de la suradministration,
39:21 chose sur laquelle je suis
39:23 toujours tout aussi virulent,
39:25 et aussi un
39:27 des premiers grands écrivains
39:29 de l'écologie. Il écrit "15 jours dans le désert" où il raconte
39:31 sa traversée des forêts du Michigan
39:33 sous la canopée primaire et où se désolent que l'industrie
39:35 bientôt détruise
39:37 tout ça. Il critique
39:39 dans son journal la pollution dans
39:41 les banlieues de Manchester.
39:43 John Stuart Mill,
39:45 un des premiers John Stuart Mill, qui est un grand libéral du
39:47 19ème, qui plaide pour
39:49 la liberté
39:51 sexuelle, la liberté des esclaves,
39:53 la liberté des femmes, la liberté d'expression.
39:55 Un individualiste radical
39:57 est aussi le premier,
39:59 c'est incroyable de lire
40:01 "Les principes d'économie politique" de John Stuart Mill.
40:03 C'est écrit en 1848 et il explique
40:05 contrairement à ce que dit Jean-Baptiste
40:07 Tessé, les ressources naturelles sont finies,
40:09 donc la croissance infinie n'est pas
40:11 pensable et donc
40:13 il faut parvenir à ce qu'il appelle un "steady state".
40:15 On se rapproche de la
40:17 croissance, c'est-à-dire une forme d'équilibre
40:19 dans lequel ensuite, on se partage
40:21 ce qu'il y a, mais on n'essaie pas d'en créer
40:23 toujours plus. C'est écrit en 1848,
40:25 c'est-à-dire 120 ans, 125 ans
40:27 avant le rapport Meadows et c'est écrit par
40:29 un libéral. Donc il y a une tradition
40:31 à renouveler, à approfondir
40:33 sur le plan intellectuel. - Et Dieu dans tout ça ?
40:35 Tu parles notamment de Spinoza,
40:37 Dieu ou la nature.
40:39 Est-ce que c'est une divinité
40:41 nouvelle ou est-ce que c'est un retour
40:43 à un fonctionnement pré-monothéisme ?
40:46 - Pour moi, Dieu est mort
40:48 depuis Nietzsche,
40:50 je n'ai vraiment aucun doute sur le sujet.
40:52 Après,
40:54 justement,
40:56 les principes mis en place par l'évolution
40:58 naturelle sont vraiment fascinants
41:00 parce que c'est, encore une fois, de la raison
41:02 de la science, c'est de l'expérimentation
41:04 à l'échelle géologique
41:06 et sur des centaines de millions d'années.
41:08 Et c'est ça qui crée la complexité
41:10 du monde dans lequel nous vivons.
41:12 Et c'est très rassurant de se dire ça
41:14 parce que nous vivons dans un univers
41:16 merveilleux et il suffit de l'analyser
41:18 et de le regarder. Et puisque tu parles
41:20 de Dieu, parlons de la mort et parlons de l'au-delà.
41:22 S'il n'y a plus d'au-delà,
41:24 si on croit,
41:26 c'est un mauvais mot, mais si on prend
41:28 soin de la Terre, comment disparaît-on
41:30 alors en tant que
41:32 corps, en tant qu'individu ?
41:34 Je mets en scène dans le livre
41:38 un épisode d'humusation,
41:40 je ne sais pas si tu es familier
41:42 avec le concept qui nous vient des États-Unis, mais qui est
41:44 en même temps un très vieux concept. L'humusation, c'est
41:46 l'idée, à sa mort, de faire
41:48 disparaître son corps dans la Terre
41:50 pour qu'il contribue
41:52 au vivant.
41:54 Alors que si on le met dans une petite boîte, ça pollue
41:56 et ça prend un temps fou et ça se décompose.
41:58 On a fait ça,
42:00 tu diras, de tout temps, certes, mais maintenant,
42:02 aux États-Unis, ils le font de manière un peu propre, un peu moderne,
42:04 très high-tech, tu vois.
42:06 Ils mettent le corps dans une espèce de caisson,
42:08 plein de matière organique,
42:10 très bien équilibré, très bien pensé.
42:12 Et puis,
42:14 je vous passe les détails qui sont un peu sordides,
42:16 au bout d'un an, la famille
42:18 récupère, pour aller vite, des sacs de compost.
42:20 Et,
42:22 à partir de ces sacs de compost, ça peut faire
42:24 pousser une plante. Alors c'est vrai que si la plante
42:26 ne pousse pas, ça doit faire une drôle d'impression.
42:28 - Ah oui, c'est un peu gênant. - Ça ne doit pas te rater.
42:30 Mais, bon,
42:32 alors ça pose une vraie question anthropologique,
42:34 c'est la sépulture.
42:36 Parce qu'on sait quand même que
42:38 les sociétés humaines
42:40 ont énormément développé,
42:42 ont inventé l'écriture, etc., au moment où elles ont commencé
42:44 à enterrer leurs morts. Qu'est-ce qui se passe
42:46 quand on n'enterre plus ces morts,
42:48 qu'on entoure éventuellement de stèles,
42:50 qu'on met simplement une petite plaque sur une
42:52 petite chaîne qui est en train de pousser ?
42:54 C'est une question assez vertigineuse. Mais en même temps,
42:56 elle mérite d'être posée. Aujourd'hui,
42:58 il y a un projet de loi pour
43:00 légaliser l'humusation en France,
43:02 qui, j'imagine, devrait être
43:04 votée sans trop de difficultés.
43:06 Et c'est clairement,
43:08 ça participe d'un vrai
43:10 changement de civilisation, mais que je trouve
43:12 plutôt extrêmement réjouissant.
43:14 - Alors, il y a une pression très
43:16 forte à ma gauche, là. Néanmoins,
43:18 je vais résister à cette
43:20 pression et poser une très
43:22 rapide dernière question sur l'IA. Parce que
43:24 tu as écrit un livre sur l'intelligence artificielle,
43:26 tu as fait une série dans le point sur le sujet,
43:28 et les derniers développements sont
43:30 vertigineux. Tu parles du changement de civilisation.
43:32 Toi, ça te fout les jetons ?
43:34 - Non, mais ce qui me fout les jetons,
43:36 c'est la candeur, en fait, des gens,
43:38 par rapport à cette intelligence artificielle,
43:40 et l'idée que c'est une révolution
43:42 extraordinaire et tout ça.
43:44 Pour des raisons que j'avais développées dans mon livre,
43:46 je pense que toutes les discussions qu'on a aujourd'hui
43:48 autour de Sam Altman et de la super intelligence
43:50 et de l'intelligence artificielle générale
43:52 qui va maîtriser le monde et tout ça sont complètement débiles.
43:54 Ils n'ont aucun rapport
43:56 avec la réalité de ce que vivent
43:58 les gens qui sont les mains dans le col,
44:00 les algorithmiciens, les computers scientists. D'ailleurs, c'est pas eux
44:02 qui signent les tribunes d'Elon Musk, c'est tous les
44:04 illuminés, les astrophysiciens,
44:06 les historiens, etc. Mais c'est pas du tout les gens
44:08 qui sont véritablement des informaticiens.
44:10 Que par ailleurs,
44:12 l'intelligence artificielle n'est pas
44:14 du tout une imitation de l'intelligence humaine,
44:16 c'est une corrélation des résultats de l'intelligence
44:18 humaine, et quand on appréhende ça comme ça,
44:20 bon, finalement, ça détend beaucoup,
44:22 c'est quelque chose d'assez simple à comprendre.
44:24 Simplement, les vraies questions, c'est les questions
44:26 qui se posent et qui sont là beaucoup moins médiatisées,
44:28 notamment dans
44:30 le projet de règlement européen qui est aujourd'hui
44:32 en trilogue à Bruxelles,
44:34 sur lequel la France se positionne de manière honteuse,
44:36 parce que la vraie question, c'est de savoir,
44:38 une fois qu'on a compris que l'intelligence artificielle, c'était un retraitement
44:40 de la création humaine, et pas du tout
44:42 une création en elle-même, la question,
44:44 c'est comment protège-t-on la création humaine, justement ?
44:46 Et donc, c'est la question
44:48 du droit d'auteur, et aujourd'hui,
44:50 le règlement européen
44:52 sur l'IA veut préserver
44:54 ce droit d'auteur, et la France dit "ah non, au nom de l'innovation".
44:56 On se dit "mais qu'est-ce que l'innovation ?".
44:58 L'innovation, ce n'est pas la corrélation,
45:00 l'innovation, c'est la création. L'innovation,
45:02 elle est du côté de ceux qui écrivent des livres,
45:04 de ceux qui font de la musique. Aujourd'hui, il y a des collègues
45:06 écrivains allemands qui refusent
45:08 dans leur contrat de droit d'auteur d'avoir
45:10 des éditions numériques pour éviter que ça traîne sur la toile
45:12 et que ça soit utilisé par Chad J.P.T.
45:14 Mais c'est légitime.
45:16 Et donc, ça, pour le coup, c'est les vraies questions
45:18 que pose l'intelligence artificielle. Comment est-ce qu'on reste
45:20 humain dans cet univers ? Comment on ne devient pas nous-mêmes
45:22 des robots, en fait ? C'est ça la question, y compris sur le
45:24 plan des jobs.
45:26 Protéger les vers de terre
45:28 et protéger les humains, c'est le mot. Merci.
45:30 On applaudit Gaspard Koenig.
45:32 Achetez-le,
45:34 c'est le roman d'une génération.
45:36 Je le dis parce que je le dis partout, je m'en fiche,
45:38 c'est le meilleur livre de la rentrée littéraire
45:40 et de très très très très loin, c'est meilleur que