Il est 7 heures avec Didier van Cauwelaert. Au programme du quatrième épisode de la saison 2 de notre podcast, un voyage dans le temps et dans l’univers de l'écrivain français… Quelle activité Didier van Cauwelaert associe-t-il à 7 heures ? Dans quel pays le temps s’arrête-t-il pour lui ? Quel moment souhaiterait-il ralentir et pourquoi ? Et, au contraire, quand voudrait-il que ce dernier s'accélère ? Il était une fois un Voyage dans le temps, le podcast original de la journaliste Laura Tenoudji, qui aborde l’heure qui tourne de façon inédite.
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00:00 Il est 7h du matin et j'ai la chance de me réveiller, en tout cas presque me réveiller avec Didier Vancov-Lard. Bonjour.
00:06 Bonjour Laura.
00:07 Pourquoi 7h du matin ?
00:26 Alors c'est la phrase d'un de mes livres, la première phrase, je suis mort à 7h du matin, il est 8h28 sur l'heure du réveil et personne ne s'en est encore rendu compte.
00:36 Et quand j'ai dû choisir cette heure de ma mort, du moment de la mort de mon personnage dans La Vie Interdite, c'est vrai que ça s'est imposé ce 7h parce que c'est pour moi l'heure limite pour être devant ma feuille de travail.
00:51 C'est vrai que je peux commencer à 6h si je me réveille à 5h30 mais au-delà de 7h, quelque chose est cassé parce que je commence à me dire que des gens vont se réveiller, il y a telle urgence à régler, telle chose.
01:04 Donc c'est vraiment une heure de rendez-vous pour être immergé dans mon univers de fiction de la manière la plus riche et la plus libre qui soit.
01:19 Donc vous écrivez toujours le matin, jamais la nuit ?
01:22 Il m'arrive de prolonger. Physiquement je peux travailler 10h voire 15h quand je suis sur ma lancée.
01:29 Mais par exemple, si je ne travaille pas le matin, si j'ai des rendez-vous, je suis incapable de m'y mettre l'après-midi.
01:35 C'est trop difficile parce qu'il faut effacer ce qu'il y a eu avant, faire "reset" comme on dit.
01:41 Vous avez besoin d'une certaine virginité des événements pour vous mettre à écrire.
01:47 Et puis cet élan du matin, c'est Paul Valéry qui disait, il le disait à Nice d'ailleurs, quand il était au Centre Universitaire Méditerranéen,
01:57 "les fleurs cueillies le matin se conservent plus longtemps".
02:01 Est-ce que vous êtes ponctuel ?
02:03 Je m'efforce d'être ponctuel et je suis furieux quand je n'y arrive pas.
02:08 Mais parfois le temps fait des miracles. Il m'arrive de partir quasiment à l'heure où je devrais arriver.
02:14 Et puis je ne sais pas pourquoi je suis quasiment à l'heure, ou en tout cas la personne était en retard.
02:18 Donc ça se raccorde, je suis un petit peu protégé de ce côté-là.
02:21 Mais j'ai du mal à quitter ce que je suis en train de faire.
02:25 Et habituellement, le temps est plutôt votre allié ou votre ennemi ?
02:29 Les deux. C'est-à-dire que j'en fais mon allié parce que c'est un ennemi.
02:34 Je suis obligé de l'apprivoiser.
02:36 Quand je me mets à écrire, je suis sur ma lancée.
02:39 Je sais que je ne peux pas lâcher. Et pourtant, il y a quelque chose, un rendez-vous que je ne peux pas annuler.
02:43 Donc là, ça devient le temps et vraiment l'ennemi en même temps.
02:46 Je fais en sorte qu'il me donne tout ce qu'il n'a pas les moyens de m'accorder dans la durée.
02:52 Donc ce sera dans la densité. Donc j'apprivoise l'ennemi pour en faire mon allié.
02:57 Et quand on vous lit, on a l'impression que le temps est éternel. Vous le rendez éternel ?
03:02 J'essaie de le rendre fluide. Mais c'est un combat. C'est un pari.
03:09 Et c'est merveilleux quand j'ai l'impression que le temps s'arrête.
03:12 Il m'arrive de relever les yeux après un moment d'écriture.
03:16 Cinq ou six heures sont passées, je ne les ai pas vues passer.
03:19 Mais même physiquement, c'est-à-dire que je ne me suis pas levé pour aller faire pipi.
03:22 Je n'ai pas attrapé ma bouteille d'eau.
03:24 J'ai vraiment l'impression d'être immergé dans un autre espace-temps.
03:27 Et là, c'est une sensation extraordinaire.
03:30 C'est une évasion sur place, une évasion immobile.
03:34 Et généralement, c'est des moments d'écriture où il s'est passé quelque chose
03:39 que peut-être il m'aurait fallu quinze jours pour arriver à faire la mise en place.
03:44 Donc il y a quand même des magies. Le temps devient magique
03:47 lorsqu'on essaie de le densifier, on essaie de lui faire rendre gorge,
03:54 si je puis dire vraiment, de ce qu'il donne tout ce qu'on peut attendre de lui.
03:59 Est-ce qu'il y a un temps que vous aimeriez ralentir?
04:04 Parce qu'il passe beaucoup trop vite.
04:07 Le temps d'un coucher de soleil, par exemple.
04:09 Il y a des moments, il y a des perfections qui, en même temps,
04:11 c'est dans l'évolution que c'est beau.
04:14 Mais cette évolution, on voudrait qu'elle dure plus.
04:18 Et quand tout à coup, ça s'arrête, il y a une puissante nostalgie qui s'empare de moi.
04:23 J'ai envie de dire, c'était trop beau pour que ça s'arrête.
04:26 Mais bon, c'est l'émotion esthétique qui fait dire ça.
04:31 Et le temps qui passe beaucoup trop lentement?
04:35 Je pense que c'est le temps, tous ces moments complètement gâchés
04:41 et de plus en plus par la vie que nous menons.
04:43 Par exemple, quand vous, au téléphone, vous attendez sur un interlocuteur
04:47 qui n'existera pas parce que ça finira par vous raccrocher dessus
04:49 dans les administrations, tout ça.
04:51 Ou lorsque vous essayez de vous identifier sur un mot de passe et tout ça
04:55 et que vous vous faites tout bien, vous pensez faire tout bien.
04:57 Et puis, non, il y a un truc qui ne va pas. Il faut recommencer.
05:00 Ça, c'est des moments où je pourrais tout casser.
05:03 Et est-ce que pour vous, en voyage, le temps s'arrête?
05:07 Est-ce qu'il y a des destinations où le temps s'arrête?
05:10 Je ne sais pas. En avion, par exemple, lorsque je suis,
05:14 lorsque je travaille dans les nuages,
05:16 où j'ai l'impression d'emmener mon écriture du moment dans les airs.
05:21 Ça, c'est quelque chose d'assez magique
05:23 parce que chercher l'inspiration au lieu de se poser,
05:26 de poser le regard sur un arbre ou sur un toit
05:29 ou de le poser sur les nuages
05:31 et d'aller chercher les phrases, la sonorité, une idée.
05:35 Et puis de revenir sur le papier ou l'ordinateur.
05:39 Cette impression à la fois de vacances, de temps suspendu,
05:42 suspendu dans les airs, qui en même temps me donne la densité
05:48 dont j'ai besoin dans le travail habituellement chez moi.
05:50 Ça, c'est formidable. C'est une impression de vacances paradoxales,
05:53 très importante.
05:54 Et vous avez plutôt l'impression d'avoir un temps d'avance ou un temps de retard?
05:58 J'ai malheureusement souvent un temps d'avance dans l'écriture.
06:01 Il m'arrive d'inventer les choses qui arrivent après.
06:04 Alors, parfois, c'est des belles choses.
06:05 Parfois, par exemple, j'ai écrit il y a une dizaine d'années
06:08 dans Toma Dream, tout ce qui s'est passé avec l'épidémie de Covid
06:12 et tout ça.
06:13 Donc là, avec même parfois un petit peu de culpabilité,
06:19 je ne suis pas le premier écrivain qui dit ça.
06:21 Souvent, on projette une situation et on en tire des conséquences
06:26 qui nous semblent logiques.
06:27 Et puis après, la réalité vient un petit peu marcher dans nos pas
06:34 pour le meilleur et en l'occurrence pour le pire.
06:36 Oui, peut-être que vous avez une extrasensibilité
06:39 qui vous permet d'être toujours en avance
06:42 ou en tout cas d'humer l'air du temps que nous ressentirons
06:45 être humain classique plus tard.
06:48 Le fonctionnement des êtres humains aussi,
06:50 la manière dont ils réagissent, dont ils manipulent ou dénaturent
06:55 ou essaient de sauver quelque chose.
06:57 C'est vrai que je suis toujours en quête du comportement d'autres que moi
07:02 qui me paraît juste et vraisemblable.
07:04 Et puis de les mettre plus souvent en situation de comédie,
07:08 mais les moments où la comédie devient très noire.
07:11 La brouillère disait "le temps renforce l'amitié et affaiblit l'amour".
07:15 Est-ce que vous partagez sa pensée ?
07:16 Absolument pas.
07:17 D'abord parce que moi l'amour, l'amitié,
07:21 il tient fatalement une part importante.
07:24 L'amitié, l'estime, la connivence.
07:26 Et puis, non, je pense que c'est avec les gens à qui il ne se passe pas grand chose
07:32 que le temps dénature la relation.
07:35 Mais quand quelque chose est essentiel,
07:37 même si ça devient difficile, douloureux, compliqué,
07:41 ce n'est pas ça qui va affaiblir.
07:44 Non, ou ça renforce, ou ça densifie,
07:48 ou ça augmente la charge de bonheur ou de souffrance,
07:54 ou de défi dans l'idée qu'une relation est faite pour durer.
08:01 On vous sent très optimiste.
08:03 Est-ce qu'être optimiste, c'est une façon de mieux dompter le temps ?
08:07 Je ne suis ni optimiste ni pessimiste, je suis lucide et confiant.
08:11 Parce que sinon, c'est un peu de l'hémiplégie.
08:14 Lucide parce que je vois très bien que tout ce qu'on pensait être la réalité,
08:19 c'est encore pire,
08:21 que les gens sont souvent beaucoup plus noirs qu'on ne l'imagine,
08:24 mais que tout le monde peut changer,
08:26 on peut aider les autres à changer tout le temps,
08:28 on peut modifier n'importe quel événement.
08:30 Donc, j'ai une confiance dans un ordre établi,
08:33 un ordre affectif et cosmique qui est un rééquilibrage constant
08:38 pour lequel nous devons nous investir à fond,
08:41 parce que ça ne se fera pas sans nous.
08:43 Donc, les pessimistes mollassons sont une plaie de la société.
08:48 Parce que ceux-là, ceux qui déplorent ou qui dénoncent,
08:52 pour dénoncer, mais pour mettre en avant leur opinion,
08:55 mais qui réagissent sans agir,
08:58 et qui laissent aller les choses,
09:01 et parfois ont une singulière volupté un peu masochiste
09:06 à se délecter des catastrophes ou d'un pessimisme triomphant,
09:13 qui leur donne de bonnes raisons pour ne pas vivre pleinement,
09:18 pour ne pas relever les défis de tout changer,
09:22 de tout améliorer,
09:24 et d'essayer de rendre la vie autour de soi plus respirable.
09:27 - Et vous manquez de temps pour ?
09:29 - Pour mes amis.
09:31 Je pense que, du point de vue de l'amour,
09:34 ce temps-là est totalement nécessaire,
09:37 mais le temps du travail, même si j'en manque,
09:40 je m'arrange pour qu'il soit présent,
09:42 mais c'est vrai que ce sont les amis souvent qui sont sacrifiés,
09:45 et quand ils meurent, c'est terrible,
09:47 parce que là, j'ai la notion de tout ce temps
09:50 qu'on aurait pu enrichir ensemble,
09:53 et là, c'est ce qui me manque.
09:57 - En tout cas, nous sommes bien vivants ensemble.
09:59 Merci de m'avoir consacrée un peu de votre temps.
10:02 - C'était un plaisir. - À très vite.
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