Anouk Grinberg : "Depardieu est aussi comme ça parce que tout le monde lui permet d'être comme ça"

  • l’année dernière
Anouk Grinberg témoigne après le "Complément d'enquête" sur Gérard Depardieu diffusée par France 2 jeudi dernier. L'actrice est l'ancienne compagne du réalisateur Bertrand Blier, lui-même proche du comédien, accusé de viol et d'agressions sexuelles.

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Transcript
00:00 Bonjour Anne-Ouck Rimbert. L'émission Complément d'Enquête sur France 2 a diffusé des séquences
00:06 tournées lors d'un voyage en Corée du Nord. On filme Gérard Depardieu en présence de
00:12 femme et chaque femme en présence de laquelle il se trouve fait l'objet d'invocations
00:17 graveleuses, y compris une petite fille de 10 ans, qu'il sexualise de manière hyper
00:22 provocante et il se décrit lui-même comme un chasseur. Vous avez vu cette émission,
00:26 comment vous avez réagi ? Oui j'ai vu cette émission. En fait ça
00:33 m'a pas étonnée parce qu'il est comme ça tout le temps. Tout le temps. Il n'a
00:37 pas attendu d'être en Corée pour être aussi vulgaire, aussi grossier, aussi agressif
00:43 avec les femmes. Sur tous les plateaux de tournage il est comme ça et sur tous les
00:48 plateaux de tournage les gens sont indifférents autant que Yann Moix l'était. Ce qui donne
00:54 vraiment à réfléchir pas seulement sur la monstruosité que Depardieu s'accorde
01:02 avec quand même la moitié du genre humain, mais l'autre monstruosité qui est celle
01:08 de Yann Moix mais qui est celle des gens du cinéma, qui sont indifférents. Indifférents
01:17 au mal qu'on fait aux femmes, aux humiliations qu'on leur inflige. Et cette indifférence
01:25 là elle est incompréhensible, elle est assourdissante. Moi ça fait 30 ans que je le connais, j'ai
01:35 fait deux ou trois films avec lui et puis il se trouve que je le connaissais parce que
01:41 dans une vie bien lointaine j'étais la compagne de Blié et Depardieu était très
01:46 amie de Blié. - Blié c'est Bertrand Blié, c'est le metteur en scène des valseuses.
01:51 - C'est le metteur en scène des valseuses de mon homme, enfin de délicatesse comme
01:54 ça. Et donc je l'ai vu, il est comme ça et il est comme ça aussi parce que tout le
02:06 monde lui permet d'être comme ça. Donc c'est pas seulement lui qui est une crapule, qui
02:14 se conduit comme une crapule avec les femmes, c'est tous les autres qui le laissent l'être,
02:21 qui l'encouragent à l'être, qui applaudissent ça, qui le payent pour ça, qui le laissent
02:31 mettre sa grosse main dans les culottes des femmes, qui le laissent démolir des femmes
02:36 pour leur vie entière et lui rigole. Et mais il est le seul à rire alors que le rire c'est
02:42 pas une affaire solitaire, ça doit pas être une affaire solitaire.
02:46 - Alors il est le seul à rire peut-être mais dans ce complément d'enquête diffusé
02:51 sur France 2 jeudi soir, il y a trois témoignages également, une régisseuse sur Diamant 13,
02:56 une actrice dans Marseille, une figurante dans un film qui s'appelle Disco, qui raconte
03:01 les tournages avec Gérard Depardieu, qui raconte ce qu'on leur a infligé et qui raconte
03:07 que ça a fait rire tout le monde, pas seulement Gérard Depardieu, tout le monde.
03:12 - C'est vrai, alors c'est un... ou ça les fait rire, ou ils sont indifférents, comme
03:19 on a pu voir Yann Moix à la télé, indifférents vraiment, indifférents au malheur des autres,
03:27 mais sinon oui tout le monde rit, les femmes compris et peut-être même les femmes en
03:31 premier. - Pourquoi les femmes en premier ?
03:33 - Je sais pas, d'abord peut-être parce que... - Dans l'enquête on voit Josée Daillon,
03:38 qui est une réalisatrice de cinéma et de télévision, Josée Daillon qui dit "Violeur,
03:43 jamais, jamais, il aime les femmes, il a eu les plus belles femmes du monde dans ses bras,
03:47 dans son lit, il est adoré par les femmes, il a beaucoup d'amis femmes, il respecte les
03:51 femmes, il avait une passion pour Barbara, violeur, jamais". C'est une femme qui parle.
03:55 - On peut avoir une passion pour une femme qui a été violée et incestuée, comme Barbara,
04:04 et avoir dans un autre cercle, un cercle plus privé, des comportements plus que déviants.
04:11 Et Josée Daillon, je la connais un peu, j'ai travaillé un peu avec elle, c'est à la fois
04:20 un camionneur et en même temps une femme très très généreuse. Moi je pense que c'est
04:26 compliqué pour les amis de Deux Pas à Dieu, de rester amis avec lui aujourd'hui, c'est
04:32 compliqué parce qu'il faut qu'ils transportent le mort avec lui. Deux Pas à Dieu, il fabrique,
04:40 il détruit, il démolit, il détruit à jamais des gens. Et les amis, ou choisissent la cécité,
04:50 l'indifférence, le déni, pour sauver quelque chose qui est aussi sacré, l'amitié c'est
04:59 sacré. Moi je sais pas comment je ferai, c'est pas mon ami Deux Pas à Dieu, mais c'est pas
05:03 mon ennemi non plus, je suis pas... j'ai pas envie de le mettre à terre, il l'est déjà.
05:10 Par contre, il y a quelque chose, c'est que le corporatisme de ce métier devrait pas
05:17 empêcher la vérité, d'éclore, parce qu'on en a besoin de la vérité. Deux Pas à Dieu
05:23 c'est un cas à part, c'est un cas à part parce que c'était un des monstres sacrés
05:31 du cinéma, mais ça l'a autorisé, et tout le monde l'a autorisé à devenir un monstre
05:39 tout court. Et ce monstre là, doit... moi je dis pas qu'il doit aller en prison, c'est
05:48 pas mon affaire de dire ça. Par contre, quand on dit de lui qu'il va mal, je suis contente.
05:55 C'est peut-être le début d'un moment où il va enfin, enfin réfléchir à ce qu'il
06:03 dit, à ce qu'il fait. Je sais pas s'il en est encore capable, parce que je crois qu'il
06:08 est fou, je crois qu'il est devenu fou, il est malade mental. On voit dans le documentaire
06:13 de Yann Moix, on voit quelqu'un qui est dérangé mentalement, qui devrait se faire aider. Et
06:19 peut-être que la justice peut aider à mettre un arrêt à cette espèce de course folle
06:31 que le cinéma permet, et le cinéma le permet aussi parce que, vous savez, il y a une telle
06:35 porosité dans notre métier, il y a une telle porosité entre ce qu'on joue, entre ce qui
06:48 est vrai et ce qui est faux, entre ce qui est fin et ce qui ne l'est pas, que beaucoup
06:55 de scènes d'amour par exemple ne sont pas simulées. Blié a d'ailleurs été un des
07:01 premiers à l'exciter pour devenir ce voyou du cinéma. Je me souviens dans le premier
07:08 film "Les Valseuses", ils étaient à deux sur Brigitte Fosset pour lui titiller le bout
07:14 des seins. Et Blié, dans une interview écrite que vous pouvez retrouver, dit qu'ils rigolaient
07:19 vraiment tous, énormément. Ce qui se passe en ce moment, c'est pas seulement qu'un de
07:25 nos paradieux tombe, et j'espère que quelque chose va tomber de lui, et si quelque chose
07:32 tombe de lui, peut-être que va réémerger autre chose qui est une capacité à être
07:38 honnête avec soi-même et à se dire "là mon gars, j'ai vraiment merdé, j'ai vraiment
07:43 merdé et je demande pardon".
07:45 Anne Augrenbert, vous avez accordé une interview au magazine "Elle" il y a presque deux
07:50 mois, dans laquelle vous avez dit des choses très frontalement, à l'exception de quelques
07:56 mots de Sophie Marceau. Des mots comme les vôtres, il n'y en avait jamais eu, de la
08:01 part d'une femme, de la part d'une professionnelle du théâtre et du cinéma. Vous commencez
08:06 cette interview en disant "toute personne qui a travaillé avec lui sait qu'il a toujours
08:11 agressé des femmes et qu'il agresse des femmes". Vous choisissez le mot "agresser"
08:15 verbalement et physiquement. Quelle réaction après cette interview ?
08:19 Personne ne m'a rien dit, personne, absolument personne. Mais moi je ne l'ai pas fait pour
08:30 recevoir des câlins, j'ai parlé parce que je ne pouvais plus me taire, je m'étais
08:34 déjà beaucoup tue longtemps alors que je savais tout ça. Je savais tout ça d'abord,
08:42 je suis une victime collatérale. Quand on assiste à ce genre de violence, on est sidéré
08:51 soi-même. Vraiment, on est interdit, on est bouche cousue devant, encore une fois, devant
09:01 sa violence à lui et devant la violence des autres qui la permettent, qui se taisent,
09:06 qui rient.
09:07 Et on rit avec les autres ?
09:08 On rit avec les autres parce que sinon c'est pire encore ce qui vous arrive. Oui j'ai
09:15 ri pendant quelques années, moi c'est encore... J'ai même vécu avec quelqu'un qui vraiment
09:25 participait de cette violence de façon active.
09:28 Alors il y a un grand producteur de cinéma qui s'appelle Jean-Louis Livy, qui est aussi
09:31 un agent, qui est un très vieil ami de Gérard Depardieu, qui est un homme qui a plus de
09:34 80 ans, qui est le seul du milieu du cinéma à avoir accepté de participer à ce complément
09:39 d'enquête, de s'asseoir sur le fauteuil rouge de Tristan Vallex et de répondre à
09:42 ses questions. Et Jean-Louis Livy dit, bon à propos de cette interview dans Elle que
09:47 vous avez donnée il y a deux mois, à nous Grimbert, il lui vient soudain un courage,
09:53 33 ans après. Soudain. Il est soudain votre courage ?
09:57 Non, enfin... D'abord j'ai envie de dire à Jean-Louis Livy qu'il vaut mieux avoir
10:07 du courage 33 ans après que jamais. Et encore une fois quand on a été victime, et je l'ai
10:15 été, il faut beaucoup de temps pour se dire les choses, pour que le sens vous parvienne,
10:22 pour qu'on comprenne sa propre vie. Charlotte Arnoux, c'est cette jeune femme
10:30 qui en août 2018 se rend chez Gérard Depardieu un matin.
10:34 À la demande de Gérard. Voilà, elle le connaît depuis sa toute petite
10:38 enfance parce que son père est amie avec Gérard Depardieu, elle est apprentie comédienne,
10:44 Gérard Depardieu lui demande des nouvelles, etc. Elle se rend chez lui, c'est elle qui
10:48 a porté plainte pour viol. Charlotte se rend chez lui comme elle pourrait
10:54 aller chez son père, chez son grand-père, c'est vraiment une figure familiale pour
10:59 lui. C'est pas le gros Gérard, le grand, gros, grand, immense Gérard Depardieu, elle
11:05 va voir un ami et il lui dit "Viens, je voudrais savoir comment tu vas, qu'est-ce que tu fais,
11:11 la danse, le théâtre, combien tu payes de loyer ?" Alors elle y va en confiance, mais
11:19 il sait très très bien ce qu'il fait, c'est pas de l'amitié ça, c'est un rameçon,
11:25 c'est une manière d'accrocher sa proie. Ensuite, très très vite, quand elle est
11:34 chez lui, il lui dit que ça fait une semaine qu'il fantasme sur son petit corps de garçon,
11:43 parce qu'elle est toute maigre, Charlotte, elle est toute...
11:45 - Elle est anorexique. - Elle est anorexique, mais elle est toute
11:49 fine, fine. Et quand il lui dit qu'il fantasme sur elle depuis une semaine, c'est dire aussi
11:57 combien il avait prémédité ça. Et puis elle est sidérée, elle commence à être
12:08 sidérée, parce qu'on est amies. Elle se donnait des ordres, elle se disait "Pars,
12:18 pars", mais il n'y avait plus aucune commande en elle. Après, ce que j'ai vu dans le complément
12:23 d'enquête et qui est vraiment dégueulasse, c'est qu'ils ont montré une partie du compte
12:32 rendu que Depardieu a donné à la police. Et il est dit que Gérard lui aurait dit "Viens,
12:41 on va aller dans ma chambre là-haut", et Charlotte aurait montré du doigt la chambre
12:46 là-haut. Mais ça s'est pas passé comme ça, c'est pas vrai. Gérard lui a dit "On
12:51 va aller dans le jardin", et Charlotte s'est dit "Heureusement, dans le jardin, il va rien
12:58 m'arriver".
12:59 C'est-à-dire qu'en réalité, la description dont vous parlez, ce sont les descriptions
13:05 des images de vidéosurveillance. Et le problème des images de vidéosurveillance, c'est que
13:08 ce sont seulement des images et il faut les faire parler.
13:11 Oui, mais qui ont été interprétées par un technicien qui par exemple dit d'elle
13:16 que quand elle est sortie de chez Depardieu, elle avait l'air très calme. Mais qu'est-ce
13:20 qu'il en sait ce mec ? Il était dans sa tête, les images la montrent de dos, elle
13:26 était en larmes, elle a parlé à sa mère pour lui dire "Au secours, voilà ce qui
13:31 vient de m'arriver". Et quand quelques jours plus tard, parce qu'encore une fois c'était
13:38 un ami de la famille et donc un ami pour elle, elle était perdue, c'était une gamine
13:43 vulnérable. Quand quelques jours plus tard, elle prend son courage à deux mains pour
13:48 aller le voir et lui dire ses quatre vérités, lui dire "ça t'aurais jamais dû". Parce
13:54 que ça, c'est quoi ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Ce que personne ne sait. Charlotte,
14:00 elle était vierge. Gérard lui a demandé. Gérard Depardieu lui a demandé si elle l'était.
14:07 Elle lui a dit la vérité. Au lieu que ça fabrique du respect chez lui. Parce qu'une
14:14 jeune femme de son âge, quand on est vierge, c'est pas parce qu'on se garde pour l'amour,
14:20 c'est pas rien la virginité. Cette espèce de salaud l'a violée avec son gros doigt
14:28 de pute. Et Charlotte raconte qu'immédiatement, elle est redevenue comme une enfant de quatre
14:36 ans, elle ne pouvait plus bouger, elle ne pouvait plus parler, elle ne pouvait plus
14:39 lui dire rien de ce pour quoi elle était venue. Et je vous assure, Charlotte, je la
14:43 connais, c'est une battante quoi. C'est pas un puceron. Et il a recommencé. Il a
14:51 recommencé à la violer. Et quand les gens, comme Elisabeth Depardieu ou comme d'autres,
14:58 se permettent de dire que cette jeune fille était consentante, est-ce qu'ils étaient
15:03 à l'endroit où ça s'est passé ? Est-ce qu'ils étaient dans la tête de Charlotte ?
15:08 Il y a une seule personne au monde qui peut dire si elle était consentante, c'est elle.
15:12 Est-ce que c'est pour elle que vous avez décidé de parler, 33 ans après, soudain,
15:19 comme dirait Jean-Louis Livy, c'est pour elle ?
15:21 Elle était trop seule. C'était pas juste. Le monde tout autour la fuit, la traite de
15:30 menteuse, la calomnie. Moi je sais qu'elle dit la vérité. J'ai vu ses bras scarifiés.
15:39 Il n'y a plus un bout de peau intact. Ses jambes, pareil. Il a tellement créé du dégoût
15:47 d'elle-même chez elle que ce dégoût dure encore aujourd'hui. Elle essaye de survivre
15:54 à ça et elle va y arriver. Mais pour y arriver, il faut que le monde du cinéma, qui protège
16:03 Depardieu, et le monde, plus généralement le monde, entendent ce que c'est qu'une
16:10 femme qui hurle pas. Une femme qui hurle pas, c'est pas une femme qui dit oui, c'est
16:16 une femme qui est morte. Qui est morte pas comme ça. Elle est morte parce qu'un homme
16:25 se tient pas. Cet homme-là peut avoir toutes les prostituées qu'il veut. Il a pas toutes
16:34 les femmes qu'il veut. Faut pas déconner non plus. Il y a aussi un truc. Une jeune
16:38 femme, quand on dit qu'elle était consentante, une jeune femme de son âge, frêle comme
16:43 elle, vierge comme elle l'était, vous pensez qu'elle voudrait se faire dépuceler par
16:48 un cachalot ? Faut penser à ça quoi. Quand les gens se permettent de dire "elle est
16:59 consentante", mais qu'est-ce qu'ils protègent d'eux-mêmes ? On se dit mais finalement
17:04 Depardieu est le monstre de tous. C'est-à-dire que lui se permet publiquement et intimement
17:13 ce que finalement tout le monde porte un peu en lui. C'est une question que je pose.
17:18 Je le sais pas, mais je le sais un peu en fait. Et ça, ça touche autant les hommes
17:25 que les femmes. Et moi je m'étonne de ça dans un milieu, notre métier, si j'ai compris
17:36 ce que je fais dans ma vie, notre métier il est quand même, on peut pas le faire sans
17:41 empathie. On peut pas. Il faut comprendre les gens qu'on joue, il faut comprendre
17:47 les gens avec qui on joue. L'empathie c'est la matrice. Comment c'est possible que dans
17:55 ce métier-là, il y ait autant d'inhumanité, autant d'incompréhension et d'indifférence
18:04 qui en les dit tout ? Alors pour ce qui est de mes 33 ans de silence, je suis complice.
18:16 Je l'ai été à mon corps défendant. Je savais pas comment faire. Je savais pas comment
18:23 faire pour parler. J'ai eu tort. Merci à nos grimpères.

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