Elémentaire - L'irrésistible ascension du populisme ?

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"Elementaire", le rendez-vous de décryptage de l'actualité. Entouré de deux invités, Denis Olivennes occupera le rôle inédit de présentateur et intervenant. Avec ces experts, ils reviendront de manière approfondie et pédagogique sur un fait marquant de l'actualité. Année de Production : 2023

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Transcription
00:00 [Générique]
00:14 Bonsoir et bienvenue dans "Elémentaire", l'émission de Public Sénat
00:18 qui essaye de donner de la perspective et de la profondeur de champ
00:21 aux éléments de l'actualité.
00:23 Cependant que Donald Trump recueille 55% des intentions de vote aux États-Unis,
00:28 Geert Wilders a remporté les législatives aux Pays-Bas
00:32 et Javier Milei a été le président de l'Argentine.
00:37 Évidemment, chaque situation nationale est particulière
00:39 mais ces hommes ont tous en commun de se réclamer du peuple contre les élites,
00:44 de priser la démocratie directe, de pratiquer le culte du chef
00:50 et d'aimer aussi les vérités alternatives, les fake news comme on dit.
00:54 Bref, d'être catalogués comme populistes.
00:57 Qu'est-ce que ça signifie exactement "populiste", qu'est-ce que ça recouvre,
01:02 quels sont les facteurs, les ressorts du développement du populisme,
01:06 quel est l'avenir du populisme ?
01:07 C'est de cela dont nous allons discuter ce soir dans cette émission
01:11 que nous avons intitulée "L'irrésistible ascension du populisme"
01:14 mais avec un point d'interrogation.
01:16 Et pour nous aider dans cette tâche, deux esprits éclairés.
01:20 Pascal Perrineau, bonsoir.
01:21 – Bonsoir.
01:22 – Vous êtes professeur de sciences politiques,
01:23 vous êtes un spécialiste notamment de l'extrême droite
01:26 et vous avez longtemps dirigé le centre de recherche politique de Sciences Po.
01:30 Vous avez écrit en particulier un que sais-je sur le populisme.
01:34 Marc Lasart, bonsoir.
01:35 – Bonsoir.
01:36 – Vous êtes professeur d'histoire et de sociologie politique,
01:39 également à Sciences Po.
01:40 Vous êtes à la fois un spécialiste de la gauche, notamment du Parti communiste,
01:45 et vous êtes un spécialiste aussi de l'Italie,
01:48 qui a désigné un chef de gouvernement issu de la droite populiste,
01:53 Madame Giorgia Meloni.
01:55 Nous allons essayer ensemble de définir la notion d'abord,
01:59 d'essayer de comprendre les ressorts de l'ascension du populisme
02:02 et puis de voir quelles sont ses perspectives.
02:05 Mais on va commencer par la définition.
02:06 Pascal Perrineau, on a parfois le sentiment que le populisme,
02:10 c'est un concept fourre-tout, qui rassemble des forces disparaîtent.
02:13 Est-ce qu'il y a une définition canonique et claire pour regrouper ces phénomènes ?
02:18 – Oui, comme tous les concepts qui connaissent de la réussite,
02:22 pas simplement dans le monde intellectuel,
02:23 mais dans l'espace public, en effet, peu à peu,
02:25 ce sont des concepts qui deviennent confus.
02:28 Mais si on veut essayer d'y voir clair, au fond, le populisme,
02:31 ce sont deux éléments, deux choses.
02:33 C'est d'abord une lecture de la société, tout à fait particulière,
02:37 qui considère que les sociétés sont divisées entre un peuple homogène,
02:42 alors le principe d'homogénéité peut être différent selon le type de populisme,
02:46 mais entre un peuple homogène et des élites elles-mêmes homogènes.
02:49 C'est-à-dire, c'est une vision très binaire de la société,
02:53 avec deux acteurs qui ont une forte homogénéité interne.
02:57 Et puis, après cet élément de lecture de la société,
03:01 il y a un deuxième élément, qui est au fond le mode d'action du populisme.
03:06 Le mode d'action du populisme, c'est de considérer que ce peuple homogène
03:11 se retrouve en un leader charismatique,
03:15 qui parle tout haut ce que le peuple pense tout bas,
03:20 par-dessus la tête des intermédiaires,
03:23 dans un phénomène qui est un phénomène de démocratie quasi directe,
03:26 qui joue dans les deux sens.
03:28 Le leader, que ce soit un homme ou une femme d'ailleurs, parle le peuple,
03:33 et le leader consulte le peuple en permanence.
03:36 C'est vrai que le populisme a réhabilité d'une certaine manière
03:40 les instruments de la démocratie directe.
03:43 – Mais Marc, en même temps il y a une distinction
03:46 entre un populisme de droite et un populisme de gauche.
03:50 Qu'est-ce que ces deux populismes ont en commun et qu'est-ce qui les distingue ?
03:54 – Alors, effectivement, on peut adhérer tout à fait à la définition
03:57 qu'a donnée Pascal du populisme,
03:58 on peut rajouter aussi que le populisme c'est un certain style.
04:01 Il y a des populistes qui veulent absolument échapper
04:04 à une distinction droite et gauche.
04:05 Par exemple, on a eu un très bon exemple avec l'Italie,
04:08 le mouvement 5 étoiles n'était en fait ni de droite ni de gauche.
04:11 Et puis la majorité des populismes, en tout cas en Europe,
04:13 sont plutôt à droite et une minorité à gauche.
04:15 Alors qu'est-ce qu'on entend par là ?
04:17 Ils ont des points communs, effectivement, la détestation des élites,
04:20 en Europe la critique de l'Union européenne, l'appel au peuple direct,
04:24 un certain style, effectivement, de manière de se parler,
04:27 y compris à travers le gestuel,
04:29 parfois le langage corporel de ses leaders, etc.
04:33 Mais ils ont en même temps des différences.
04:34 Des différences sur le contenu d'abord du peuple,
04:36 ce n'est pas le même type de peuple.
04:38 Le peuple des populistes de droite, très souvent, c'est les gens.
04:42 Le populisme de gauche, normalement, c'est plutôt le peuple politique,
04:46 c'est une dimension, surtout en France, un peu jacobine du peuple.
04:49 C'est le peuple avant-garde, le peuple qui est conscient politiquement.
04:52 Ce qui n'empêchait pas, pour prendre un cas concret, Jean-Luc Mélenchon,
04:54 de mélanger à la fois le peuple au sens politique,
04:57 moi j'appelle ça le populus en latin, à la plebs,
05:00 c'est-à-dire aux gens, ils combinaient les deux choses.
05:03 Ils ont des différences aussi en termes de sociologie,
05:05 ce n'est pas le même type d'électorat.
05:07 Ils n'ont pas la même conception aussi, très souvent, de la nation.
05:10 Ils se réfèrent tous les deux à la nation,
05:12 mais d'un côté c'est une nation plutôt fermée,
05:14 c'est le populisme de droite et du populisme de gauche,
05:17 c'est une nation ouverte.
05:18 Donc, point commun et divergence.
05:20 – Dans un petit livre qui avait été écrit,
05:22 dirigé par le regretté Daniel Cohen,
05:25 il disait en gros, ils ont en commun leur rapport
05:29 avec la détérioration du bien-être,
05:32 mais ce qui les distingue, c'est que les populistes de gauche
05:34 conservent une vision solidaire de la société,
05:36 par exemple, n'ont pas d'hospitalité aux immigrés,
05:39 alors que les populistes de droite sont méfiants,
05:41 enfin, organisent la méfiance de chacun vis-à-vis de tous.
05:44 – Cette question de défiance est fondamentale,
05:45 elle a été très bien mise en lumière par Daniel Cohen,
05:48 Yann Algan et d'autres chercheurs.
05:50 Les deux populismes partagent une défiance verticale
05:54 contre les élites, contre les institutions,
05:56 mais ils n'ont pas le même type de défiance horizontale.
05:59 À droite, c'est une défiance, je me défie, je me méfie de l'étranger,
06:03 même de mon voisin, tandis que l'électeur du populisme de gauche,
06:06 lui, a une grande confiance à l'égard du voisin
06:08 et même à l'égard de l'étranger.
06:10 – Pascal, est-ce qu'on peut dire d'une manière un peu paradoxale
06:13 qu'au fond, si je compare le populisme de droite,
06:16 Mme Mélanie par exemple, et les partis fascistes italiens d'autrefois,
06:21 ou l'extrême droite traditionnelle, ou en France Marine Le Pen
06:25 et ce qu'était son père, ou à gauche, la nuppesse, si elle est populiste,
06:30 versus ce qu'a été le communiste stalinien,
06:32 est-ce qu'on peut dire qu'au fond, le populisme est un progrès,
06:35 une démocratisation des forces d'opposition ?
06:38 – J'aurais plutôt tendance à répondre de manière un peu lapidaire,
06:40 plutôt oui.
06:42 Si vous voulez, le populisme, ce n'est pas le fascisme.
06:45 Le populisme, ce n'est pas le communisme.
06:48 Si on donne au communisme et au fascisme des définitions sérieuses,
06:52 dans la rue bien sûr, on peut crier FN, F comme fasciste, N comme nazi,
06:57 mais bon voilà, là on cherche à réfléchir.
07:01 Donc je crois que le populisme, à cet égard,
07:04 est très différent du fascisme et du communisme
07:07 parce que quelque part, il a intégré une partie du logiciel démocratique.
07:12 Ces partis ne prétendent pas, par exemple, au parti unique,
07:15 que ce soit le parti communiste ou le parti fasciste,
07:18 ils ne prétendent absolument pas à cela.
07:20 Ils sont très loin, par exemple, des rêves d'une économie corporatiste,
07:24 qu'étaient les rêves de l'économie fasciste,
07:27 ou d'une économie totalement nationalisée,
07:31 comme les communistes ont pu en rêver.
07:33 Donc il y a, oui, de vraies différences et quelque part,
07:38 le populisme, dans une période de crise de la politique,
07:42 pose la question démocratique à nouveau.
07:44 Il y apporte des réponses que l'on peut considérer
07:47 comme étant tout à fait excessives, maladroites, contestables,
07:51 mais il pose la question démocratique
07:53 parce qu'il pose la question de la place du peuple,
07:57 des gens d'en bas, dans le processus démocratique.
08:00 Et il pose également la question de l'essoufflement
08:03 de la démocratie représentative et de la nécessité,
08:06 peut-être à côté du processus de la démocratie représentative
08:10 et de l'élection, d'inventer d'autres modes d'expression démocratique,
08:15 d'autres modes d'intervention du peuple dans la vie politique.
08:18 – Alors ça nous conduit à un deuxième chapitre qui sont,
08:20 vous les avez abordés d'une certaine manière, les ressorts,
08:24 les ressorts de cette montée du populisme.
08:27 Il y a trois ressorts sur lesquels je voudrais qu'on revienne,
08:30 un ressort matériel, un ressort spirituel ou intellectuel,
08:33 culturel et un ressort démocratique.
08:36 Donc premier point matériel, est-ce que la crise économique
08:41 entre guillemets de l'Occident, qui n'est pas une crise
08:43 mais qui est disons le ralentissement de la croissance,
08:46 le sentiment d'une insuffisance de distribution de pouvoir d'achat,
08:49 est-ce que c'est ça qui est le facteur décisif
08:53 qui explique la montée depuis une vingtaine d'années
08:55 ou une trentaine d'années du populisme ?
08:57 – C'est un des facteurs, ce n'est pas le facteur décisif
08:59 mais c'est incontestablement un des facteurs.
09:01 Il y a évidemment le chômage,
09:04 mais on voit que dans les pays où le chômage est très réduit,
09:07 la Suisse par exemple, où il y a toujours eu
09:09 un parti populiste extraordinairement fort,
09:10 la Pologne il y a quelques années avait un taux de croissance
09:12 très important et un chômage très réduit
09:14 et pourtant il y avait un populisme fort.
09:16 La France actuellement a une grande diminution de son chômage
09:19 et ça n'empêche pas le développement du populisme.
09:20 Mais incontestablement il y a un élément socio-économique
09:24 lié donc au chômage, aux inégalités incontestablement aussi,
09:28 à des poches aussi de pauvreté et puis alors là dans ces dernières années,
09:31 la question du pouvoir d'achat et l'inflation.
09:34 D'ailleurs c'est un des thèmes de préoccupation fondamentale en France,
09:38 c'est une des priorités en général que disent les Français,
09:40 beaucoup plus par exemple que la question de l'immigration,
09:42 même s'ils sont sensibles à la question de l'immigration.
09:44 Je remarque aussi qu'en Italie, très souvent, on a dit en 2022,
09:47 lorsque Giorgia Meloni avec la coalition l'a emporté,
09:50 en France on a dit c'est à cause du thème des migrants et de l'immigration.
09:53 Oui et non.
09:54 L'autre thème fondamental c'était justement la question du pouvoir d'achat,
09:58 de l'inflation et du prix de l'électricité et du gaz
10:00 qui était à l'époque extraordinairement élevé pour l'Italie.
10:04 Donc c'est un des facteurs et j'ajouterais un autre élément
10:06 qui touche notamment les jeunes et notamment les femmes aussi,
10:09 c'est la question de la précarisation du marché du travail.
10:12 Parce qu'on peut très bien dire qu'il y a un faible taux de chômage
10:14 mais ça s'accompagne des petits jobs, des précarisations du marché du travail
10:19 qui suscitent l'inquiétude de ceux qui y sont confrontés, les jeunes,
10:22 et encore plus de leurs parents qui considèrent que leurs enfants
10:25 n'ont pas la même chance qu'eux ont eue à l'époque de ce qu'on a appelé les 30 glorieuses.
10:29 – Alors l'autre thème qui souvent apparaît comme bien plus important,
10:35 c'est le sentiment qu'il donne,
10:36 ce n'est pas la question du regret du niveau de vie d'avant,
10:40 c'est la question du regret du style de vie d'avant,
10:42 c'est la crise de l'identité des sociétés occidentales
10:45 et notamment en raison de la question de l'immigration.
10:48 – Bien sûr, c'est le sentiment qu'un vieux monde se défait,
10:52 un vieux monde que l'on fantasme un petit peu tout de même,
10:57 parce qu'il pouvait être dur le vieux monde aussi.
10:59 Mais un vieux monde sur lequel se développe toute une nostalgie.
11:03 Je crois, et vous le disiez dans votre introduction, Denis, tout à l'heure,
11:06 il y a une dimension mondiale à ce phénomène,
11:08 ce n'est pas simplement la France, l'Europe, c'est une dimension mondiale.
11:11 Vous citiez l'Argentine, on pourrait citer l'Inde de Modi,
11:15 c'est le monde entier qui est saisi par cela.
11:17 Et je crois qu'il y a un nouveau clivage dans les sociétés
11:20 en réponse à cet enjeu massif sur lequel on a beaucoup insisté,
11:24 à juste titre, qu'est la globalisation.
11:26 C'est vrai que nos sociétés sont beaucoup plus ouvertes
11:29 que ce soit à l'Est, à l'Ouest, au Nord ou au Sud,
11:32 qu'elles ne pouvaient l'être il y a encore 30 ans ou 50 ans.
11:35 Cette ouverture est économique.
11:36 On a vu avec Marc, de manière excellente,
11:39 les différents facteurs de cette économie ouverte qui posent de réels problèmes.
11:45 Et en particulier aux gens de peu, comme disait Pierre Sanson.
11:48 Mais l'ouverture a aussi un autre visage.
11:51 Elle a le visage des sociétés qui deviennent de plus en plus mêlées,
11:55 cosmopolites, dans lesquelles les autres sont de plus en plus visibles.
12:01 Et bien sûr, l'autre, la figure essentielle de l'autre, c'est l'immigré.
12:05 Parce que l'immigré, quelque part, pourquoi on parle autant d'immigration ?
12:08 C'est parce que l'immigré, c'est la figure de la société ouverte.
12:12 C'est l'homme qui passe les frontières pour les immigrés clandestins,
12:16 qui va et qui revient.
12:18 C'est le symbole de cette société ouverte
12:20 que certains, en ce moment, de manière massive, sont en train de rejeter.
12:25 Parce qu'ils considèrent qu'on n'a plus à perdre qu'à gagner à cette société ouverte.
12:30 Et qu'ils ne s'y retrouvent pas parce que pour eux,
12:32 la société ouverte, ça dissout ce que l'on était, ça dissout nos racines.
12:38 Et puis aussi, il y a toujours, je crois, dans le populisme, un facteur politique essentiel.
12:43 L'ouverture, sans qu'on s'en rende compte, c'est une ouverture politique.
12:47 La démocratie, elle s'exprime,
12:49 elle s'exprimera dans les décennies qui viennent,
12:50 essentiellement dans le cadre national.
12:52 Mais vous voyez bien qu'au…
12:54 Tous les jours, ceux qui décident de notre sort,
12:58 c'est de plus en plus de la gouvernance supranationale.
13:00 C'est l'Europe, c'est les instruments de gouvernance mondiale, le FMI, etc.
13:06 Et là, les gens ont la pression aussi d'un sentiment, mais phénoménal, de dépossession.
13:12 Et c'est tout cela, si vous la perdent d'un patrimoine,
13:15 comme le dit Dominique Régnier, à juste titre, d'un patrimoine immatériel
13:18 auquel, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, les gens sont attachés.
13:22 Et le facteur commun, vous venez de l'évoquer, on l'a dit tout à l'heure,
13:25 c'est aussi la crise des mécanismes de représentation,
13:29 la crise de la démocratie.
13:32 À la fois la crise de la démocratie, la société de l'information,
13:35 le développement des réseaux sociaux, ce qui nourrit, me semble-t-il,
13:38 mais c'est vous que je voudrais entendre, ce qui nourrit le populisme.
13:42 Vous disiez tout à l'heure l'un et l'autre que le peuple
13:44 ne se sent plus représenté utilement dans la société.
13:48 C'est bien ça qui est le...
13:50 Les mécanismes que nous avons inventés, disons, au XVIIe ou au XVIIIe siècle,
13:54 paraissent ne plus fonctionner, pour donner le sentiment,
13:56 la représentation démocratique.
13:57 - Oui, incontestablement.
13:59 Il y a une fatigue, un épuisement de la force propulsive
14:03 de la démocratie libérale et représentative, incontestablement.
14:06 D'autant plus que ces populistes, il y a une grande différence historique.
14:08 Vous l'avez comparé, on l'a comparé à juste raison au fascisme, au communisme.
14:12 Mais quand on prend les expériences passées du populisme,
14:14 prenons la France, le boulangisme à la fin du XIXe siècle,
14:17 avec le poujadisme dans les années 50.
14:19 Ce sont des populistes qui se prononcent pour des régimes de type autoritaire, de facto.
14:24 Ils veulent un renforcement énorme du pouvoir exécutif,
14:27 voire à travers une personne.
14:28 Aujourd'hui, la grande force de ces populistes,
14:31 c'est de se présenter comme les meilleurs des démocrates
14:33 qui n'ont pas peur du peuple.
14:34 Et ça, c'est un pavé dans la mare des partis traditionnels.
14:38 Donc c'est un élément important.
14:40 Et effectivement, ils jouent sur un autre point,
14:42 c'est effectivement la crise de la représentation,
14:45 qui est amplifiée par la défiance de plus en plus forte
14:49 d'une grande partie de la société à l'égard des politiques.
14:51 Et j'ajouterais aussi, il faut le dire,
14:53 une défiance des élites par rapport au peuple.
14:56 Je ne dis pas qu'on est à la situation du XIXe siècle
14:58 où il y avait la peur des furies populaires,
15:00 mais il y a quand même une défiance aujourd'hui d'une grande partie des élites
15:03 sur "mais qu'est-ce que va faire ce peuple ?"
15:05 Et le tout se joue effectivement à l'heure des chaînes d'information continue,
15:08 des réseaux sociaux, et qui a instauré une nouvelle forme de démocratie
15:12 qui est la démocratie de l'urgence.
15:14 - De l'instant ? - De l'instant.
15:15 Donc c'est plus simplement la démocratie du public,
15:18 comme disait notre ami Bernard Manin, c'est la démocratie de l'urgence.
15:22 Et ça c'est tout à fait fondamental parce que les populistes du coup
15:25 proposent une forme d'absence de médiation
15:28 à travers l'incarnation du leader et à travers l'urgence.
15:32 Comment régler la question de l'immigration ?
15:33 Yaka. Yaka, disait Mélanie, faire un blocus naval.
15:36 Puis elle arrive au pouvoir et résultat,
15:38 elle en accepte 450 000 aujourd'hui parce que le patronat le demande.
15:41 - On va revenir à ça, mais est-ce que ça nous conduit au fond
15:44 au troisième chapitre que je voulais qu'on évoque ensemble,
15:46 qui est "Où ça va ?", où tout ça nous conduit ?
15:49 Mais est-ce que cette exigence de l'immédiateté,
15:53 de l'action immédiate et de la représentation immédiate du peuple
15:56 n'est pas radicalement incompatible avec la gestion
16:01 et la transformation d'une société,
16:02 et la gestion des sujets qui lui sont posés ?
16:05 - Tout à fait. Il y a une question de rapport au temps.
16:08 La représentation c'est du temps long.
16:11 Le populisme c'est du temps extrêmement court.
16:14 Ils sont adaptés à l'urgentisme, au temps immédiat.
16:20 Voilà, il y a un malaise, le leader va dire le malaise du peuple, etc.
16:24 Il y a un problème, l'immigration, faisons un référendum, etc.
16:27 Donc c'est vrai que la performance populiste est très liée
16:33 à cette accélération du temps sur lequel des tas d'intellectuels
16:38 ont dit des choses extrêmement intéressantes dans la période récente.
16:41 Et puis, il faut bien reconnaître que la crise de la politique
16:45 a débouché maintenant sur un vrai phénomène,
16:47 ce n'est plus d'indifférence, c'est de la haine de la politique.
16:51 On l'a vu très bien dans ce populisme social
16:54 qu'a été le mouvement des Gilets jaunes.
16:55 Parce que le mouvement des Gilets jaunes, qu'est-ce que c'est ?
16:57 On a parlé du populisme politique stricto sensu,
17:00 mais c'est le mouvement social saisi par le populisme.
17:03 Plus aucune organisation syndicale,
17:05 une espèce de spontanéité de la base,
17:07 le refus de toute représentation,
17:10 le vieux tempérament rousseauiste qui consiste à dire au fond
17:13 "mais la souveraineté nationale, elle ne peut pas être représentée".
17:17 Il n'y aurait qu'une seule démocratie qui vaille,
17:19 c'est la démocratie directe.
17:20 Vous savez, en France, c'est un tempérament de longue durée cette affaire.
17:24 Et là, il faut reconnaître, les populistes sont plus adaptés à cela,
17:29 et tout cela est réactivé par l'atmosphère de crise,
17:32 de multi-crise dans laquelle nous sommes,
17:34 les populistes sont beaucoup plus adaptés à ça
17:37 que les partis classiques et traditionnels,
17:39 qui sont très empêtrés,
17:41 qui ne savent pas s'adapter à la nouvelle donne.
17:44 Mais du coup, est-ce que, c'est une question que je vous pose à tous les deux,
17:48 est-ce que du coup, il n'y a pas une contamination de ce populisme
17:53 aux partis et aux gouvernements traditionnels
17:55 qui eux-mêmes s'engagent dans une tentative
17:59 pour gérer à très court terme, de manière immédiate,
18:03 les questions qui appellent pourtant des solutions de long terme ?
18:06 - Exactement, c'est tout ce qui se passe en ce moment.
18:08 Je crois qu'il ne faut plus analyser simplement les mouvements populistes
18:10 ou les partis populistes en eux-mêmes,
18:12 mais sur l'impact qu'ils ont dans tout le reste de la société,
18:15 dans la vie politique, c'est-à-dire qu'ils imposent leur tempo,
18:17 ils imposent leur climatique, ils imposent leur agenda,
18:20 et ils mettent les partis traditionnels,
18:22 ou les hommes ou les femmes politiques traditionnels,
18:25 ou représentants de ces partis, dans une situation très compliquée,
18:27 parce que, ou on utilise un certain style populiste pour gagner,
18:30 on a deux exemples, je vais vous en donner,
18:32 ou alors on fait exactement l'opposé.
18:34 Deux exemples de styles populistes, Emmanuel Macron en 2016-2017,
18:37 c'est un style, ça ne veut pas dire qu'il est populiste sur le fond,
18:40 mais il se présente comme un candidat nouveau, anti-système,
18:43 qui contournera les organisations syndicales, les mairies, etc.,
18:47 qui défendent leurs propres intérêts,
18:48 et lire le chapitre dans Révolution, son livre sur les partis politiques, par exemple.
18:52 Ou Matteo Renzi en Italie, centre-gauche,
18:54 qui essaye, par ce style d'appel direct au peuple,
18:56 de prendre des voix au moins en cinq étoiles.
18:57 Et puis il y a l'opposé, qui consiste à dire,
18:59 ben on ne va pas rentrer là-dedans,
19:00 et moi je vois deux exemples en Europe historique,
19:03 alors Angela Merkel, alors bien sûr elle n'avait pas le même type de challenge populiste,
19:06 de défi populiste face à elle, mais qui dit "je ne céderai pas,
19:09 je continuerai en fonction de ce que je crois".
19:12 Et puis l'autre en Italie, celui qui a battu deux fois Berlusconi,
19:15 et qui est Romano Prodi, qui a tout fait pour ne pas jouer
19:18 sur le terrain de Silvio Berlusconi parce qu'il savait qu'il serait perdu.
19:21 Donc il jouait au professeur, peut-être un peu ennuyeux,
19:24 mais sur lequel il affirmait à chaque fois ce qu'il pouvait dire
19:27 et ce qu'il pouvait faire, et il a gagné deux fois.
19:29 – Pascal, vous considérez que l'erreur des partis traditionnels
19:32 a été précisément de ne pas se différencier ?
19:35 – Il y a une espèce de course à l'échalote,
19:38 dans laquelle ils perdront toujours, jouer au populiste,
19:42 on n'y croit pas quand Macron joue au populiste,
19:45 étant donné ce qu'il est, un homme issu de la haute fonction publique, etc.,
19:50 passé par les meilleures écoles, mais ce n'est pas crédible,
19:53 vous voyez, ça sent le pastiche.
19:56 Quand Éric Ciotti joue au populiste, on n'y croit pas non plus,
20:01 donc ils sont perdants avant même d'avoir commencé.
20:05 Et donc il faudrait que les partis traditionnels trouvent un style.
20:10 Alors ce style, est-il le style d'une certaine rigueur,
20:14 par exemple que Prodi a pu incarner en Italie ?
20:18 Mais regardez ce qui vient de se passer,
20:19 parce que, vous voyez, prenons le titre de votre émission,
20:22 "L'irrésistible montée du populisme, point d'interrogation".
20:26 Oui, il y a une montée, elle est peut-être résistible,
20:31 elle semble irrésistible statistiquement,
20:33 mais il y a des pays qui y échappent.
20:35 Regardez ce qui vient de se passer en Pologne.
20:37 En Pologne, on a Donald Tusk,
20:40 un homme qui a acquis beaucoup d'expérience dans les institutions européennes,
20:44 un homme qui est d'une grande sérénité, d'un bon niveau intellectuel,
20:49 qui ne joue pas du tout au populiste.
20:51 Eh bien, Donald Tusk a emporté à la tête d'une coalition les élections.
20:55 Regardez l'Espagne, où tout de même les partis traditionnels,
20:59 que ce soit le Parti populaire, et en l'occurrence là,
21:02 le Parti socialiste qui cherche à bricoler,
21:05 en effet, mais nous sommes dans une démocratie parlementaire.
21:07 Voilà, les Français ne sont pas habitués à ça, mais ils devraient.
21:11 D'ailleurs, peu à peu, ils vont découvrir les charmes de la démocratie parlementaire.
21:15 Voilà, le Parti socialiste,
21:17 les partis en Espagne relativement classiques se défendent.
21:20 Et Vox, qui est le principal parti populiste,
21:22 a connu tout de même un coup d'arrêt.
21:24 Donc, irrésistible, c'est peut-être résistible.
21:29 – Est-ce que ça n'est pas, bonne nouvelle,
21:30 est-ce que ça n'est pas, Marc, parce que l'expérience du pouvoir
21:35 transforme les populistes, une fois qu'ils sont confrontés,
21:38 on a l'exemple de l'Italie, vous connaissez bien,
21:40 une fois qu'ils sont confrontés au réel, est-ce qu'ils ne cessent pas,
21:45 est-ce qu'ils ne deviennent pas à leur tour des partis gestionnaires ?
21:48 – On a deux cas de figure en Europe.
21:50 En Europe, le cas hongrois,
21:52 et là, c'est le bouleversement des institutions,
21:54 c'est la démocratie libérale de M. Orban,
21:57 consistant à gagner les… – Illibéral, pardon.
22:00 – Merci, ça prouve que vous suivez.
22:03 [Rires]
22:04 – Je vous confirme.
22:05 [Rires]
22:06 – Et la démocratie libérale qui consiste à dire,
22:08 je fais voter les populations,
22:10 sachant que la compétition électorale est biaisée,
22:12 mais une fois obtenue la majorité des suffrages,
22:15 je prends le contrôle des médias, de la cour constitutionnelle,
22:18 j'impose un certain type de programme,
22:20 par exemple dans les manuels d'histoire,
22:21 dans les établissements secondaires,
22:23 je relis complètement l'histoire de la Hongrie,
22:25 même chose, des atteintes à la liberté académique
22:27 dans les universités, etc.
22:29 Et puis vous avez le cas italien, il est en cours,
22:32 mais on a eu l'expérience des gouvernements Ligue Mouvement 5 étoiles,
22:35 et là, moi ce qui me frappe,
22:36 c'est la capacité de résilience des démocraties,
22:39 parce qu'on vient d'insister sur la crise de la démocratie,
22:42 mais il y a des capacités de résilience de la démocratie,
22:45 la preuve c'est que ces formations populistes aujourd'hui
22:47 ne sont plus comme les formations populistes du passé,
22:50 et dans le cas italien, c'est très intéressant,
22:52 c'est la capacité, moi que j'appelle, d'absorption
22:54 du choc protestataire et populiste.
22:57 Ça a été le cas avec la Ligue Mouvement 5 étoiles,
22:59 et c'est peut-être le cas,
23:00 c'est pas gagné, mais c'est peut-être le cas de Giorgia Meloni.
23:03 On va voir, l'enjeu, c'est la réforme constitutionnelle qu'elle engage,
23:06 avec une volonté d'élire au suffrage universel le Premier ministre,
23:10 avec une loi électorale qui donnerait 55% des sièges
23:14 à la coalition arrivée en tête,
23:15 quel que soit le pourcentage obtenu par cette coalition,
23:18 qui fait étrangement penser à des lois électorales
23:21 qu'avait instauré le fascisme.
23:22 Je ne dis pas qu'elle est fasciste, mais là il y a un enjeu.
23:25 Mais oui, c'est pour ça que moi je parlerai,
23:27 puisque vous avez employé l'expression "irrésistible ascension",
23:29 évidemment je pense à la pièce de Brecht,
23:31 "La résistible ascension" d'Arthur Howey,
23:33 qu'il écrit lorsqu'il est à New York,
23:35 s'interrogeant sur les raisons pourquoi Hitler est arrivé au pouvoir.
23:39 Donc il y a une résistible ascension,
23:40 mais ça dépendra aussi de la réponse des démocraties.
23:42 – Voilà, excellente conclusion de cette émission,
23:45 d'un côté "oui, résistible", de l'autre "oui, résistible".
23:49 Merci à vous deux, cette émission est arrivée à son terme.
23:51 J'espère que nous aurons éclairé nos téléspectateurs
23:54 sur cette question complexe et à certains égards inquiétante.
23:58 Je vous remercie de vos lumières, je remercie ceux qui nous ont suivis,
24:01 qui peuvent nous revoir d'ailleurs sur la plateforme publicsénat.fr.
24:08 Merci à vous tous et bonsoir.
24:10 [Musique]

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