Agy photographie les sans-abri : "Ce n'est pas juste pour la beauté de l'art"

  • l’année dernière
Avec ses photos, Agy redonne un prénom et une histoire aux personnes sans-abri qu'elle rencontre lors de maraudes dans les rues de Paris. En octobre 2023, elle exposait pour la première fois dans une galerie d'art du 3e arrondissement de la capitale : 10 ans de travail bénévole et 19 regards.
Transcript
00:00 Ces photos qu'on voit autour de moi, c'est souvent le moment le plus difficile de leur vie.
00:04 Je sais que j'ai un bout d'œuf quelque part quand je fais ce petit clic.
00:07 Ce sourire, je vais le capter, cette cigarette qui s'allume,
00:10 ce geste un peu moqueur d'Ivo qui fait ça tout le temps.
00:13 La tristesse dans un regard, c'est pas juste pour la beauté de l'art.
00:16 Je m'appelle Aji, je suis photographe de rue, je photographie des sans-abri et aujourd'hui, j'expose.
00:26 Attention, là, il faut qu'on descende.
00:30 Ça me paraît bien.
00:34 Là, c'est vraiment la première fois où j'en imprime autant dans un format aussi grand.
00:38 Il y en a 19, ça fait quand même 10 ans de travail pour certaines.
00:42 J'ai remarqué là-bas, ça va faire 10 ans que j'ai pris cette photo.
00:45 Je suis assez contente, assez fière aussi parce que, mine de rien, on est dans une vraie galerie d'art,
00:50 avec des beaux murs blancs, avec des éclairages.
00:53 C'est là que je voulais en tout cas faire une première expo.
00:56 On est en train de faire la mise en place des photos, donc on a fini de savoir où on les met.
01:02 Ce qui est cool, c'est que c'est des murs aimantés, donc c'est trop bien.
01:05 Dans cette pièce, il y a des professeurs de lettre, il y a des anciens banquiers,
01:11 il y a des anciens légionnaires, il y a des chercheurs du CNRS.
01:16 Genre, bégaye tellement ça me perturbe.
01:19 C'était nous, en fait.
01:21 Et c'est pour ça que je suis si motivée à faire ce que je fais,
01:24 c'est qu'aujourd'hui, on n'est pas à l'abri de ça, en fait.
01:26 On fait des maraudes dites sociales.
01:39 On va dans la rue, créer du lien avec les sans-abri.
01:42 On s'est dit que c'était une bonne idée de faire un pas de côté sur ce qui existait déjà.
01:45 Et on a un gros volet, justement, avec des portraits comme ceux qui m'entourent là, aujourd'hui.
01:50 J'aime toujours raconter le portrait de Pascal, le premier portrait de l'association.
01:55 À chaque fois que je fais une sensibilisation, j'en parle.
01:57 C'est un des plus marquants, en tout cas.
01:59 Ancien conseiller bancaire qui gérait les plus gros comptes de sa banque à Nancy.
02:06 Pascal, il était là depuis 17 ans sur ce banc.
02:08 C'est des habitants qui nous ont prévenus de son décès.
02:10 Il était mort d'hypothermie.
02:11 Son fils nous a contactés sur les réseaux sociaux pour avoir les dernières photos de son papa.
02:16 Et ça a été un moment assez fort, assez décisif même.
02:20 Généralement, quand je vais vers des personnes que j'ai envie de photographier,
02:28 j'ai mon appareil autour du cou pour déjà donner un signal.
02:31 Évidemment, dans ma tête, je me dis "Purée, cette photo, elle va être géniale".
02:34 Mais je me dis surtout "Cette rencontre doit être géniale".
02:38 Ces photos un peu de loin, de dos, prises à la volée,
02:42 ce n'était pas ce que je voulais.
02:43 Moi, je voulais vraiment aller à la rencontre.
02:45 La murale, elle est cool.
02:46 Ce qui est cool, c'est qu'on a un petit QR code là,
02:49 qui nous emmène sur le site pour lire son portrait.
02:54 Du coup, là, je me trouve devant le portrait de Christophe.
02:56 Il a vécu tout et surtout le pire.
02:59 Il était ancien légionnaire avec son frère.
03:01 Et en fait, il a vu son frère mourir sous ses yeux d'une balle dans la tête.
03:05 Ce qui a fait qu'il a quitté l'armée et qu'il s'est retrouvé à la rue
03:08 comme beaucoup d'anciens légionnaires malheureusement.
03:11 La première fois, on l'a poussé sur les quais, sur les rails du métro.
03:15 Et récemment, en le recroisant il y a un an à peu près,
03:19 il a été tabassé à coups de barres de fer au niveau du crâne.
03:24 Ce qui a fait qu'ils ont dû lui enlever une partie de la boîte crânienne.
03:28 Il faut qu'on s'apporte de la jovialité les uns les autres.
03:37 C'est important.
03:38 Et puis même s'il y a des moments durs,
03:39 c'est pas si mal aussi.
03:40 Mais si on fait pas ça avec cette dynamique-là, c'est compliqué.
03:44 Cette soirée, elle est hyper importante
03:47 parce qu'effectivement, mes photos sont exposées.
03:49 C'est pour moi très important et pour les gens qui vont venir les voir aussi.
03:52 Mais c'est pas que ça.
03:53 C'est surtout une soirée de rencontres avec Josième,
03:55 qui fait des maraudes géniales du côté de République
03:58 et qui distribue des repas et des poèmes, soit qu'elle écrit,
04:01 soit des poèmes de grands poètes, mais toujours des poèmes très positifs.
04:06 Et Bastien, qui est bénévole au Restos du Coeur,
04:09 qui tient la distribution de Saint-Lazare,
04:12 et qui a sorti un livre qui se nomme "Le Ventre Creux".
04:15 Je rappelle qu'un sans-abri à la rue décède à 48, 49 ans.
04:19 Et là, autour de cette pièce, ils ont tous dépassé cette moyenne-là.
04:22 Donc ça peut être leurs dernières images, en fait.
04:24 On essaye en tout cas de redonner un prénom et une histoire
04:27 à ces personnes qu'on voit aujourd'hui trop fréquemment.
04:30 Je vous en prie.
04:31 Sous-titrage ST' 501
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