L'interview d'actualité - Matthieu Tordeur

  • il y a 9 mois
À 32 ans c'est un membre éminent de la société des explorateurs français, Matthieu Tordeur est notre invité ce matin. II a traversé 90 pays et à 27 ans est devenu le plus jeune explorateur à rallier le pôle sud à ski en solitaire. 

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Transcription
00:00 Bonjour Mathieu Tordeur.
00:01 Bonjour.
00:01 Lucie vient d'énumérer toutes vos activités.
00:03 Qu'est-ce que vous répondez quand on vous demande quel métier vous exercez ?
00:07 C'est toujours la grande question.
00:08 Moi, j'ai du mal à me définir.
00:09 Je dis que je suis un aventurier
00:10 parce que c'est le seul mot que j'ai trouvé dans le dictionnaire
00:12 pour définir ce que je fais.
00:13 Mais la réalité, en fait, c'est que j'ai autant une casquette de conférencier
00:16 que d'auteur, que de réalisateur de documentaire.
00:19 Mais l'aventure est au centre de mon activité.
00:20 Ça fait quoi d'avoir réalisé son rêve de gamin ?
00:23 Est-ce que l'enfant de Mont-Saint-Aignan s'était imaginé un destin pareil ?
00:27 Moi, j'ai grandi avec les aventures et l'univers de Tintin.
00:31 C'est vrai que j'étais biberonné au BD de Tintin et Milou quand j'étais enfant.
00:34 Et donc, je rêvais de cette vie d'aventure.
00:36 Qu'est-ce que ça fait ? Je ne sais pas.
00:37 Moi, je suis une passion, une voie que je me suis un petit peu auto-créée.
00:41 Et c'est une satisfaction de tous les jours.
00:43 Mais je ne prends rien pour acquis.
00:45 Il y a plein d'aventures encore qui me restent à vivre.
00:47 Alors, dans le détail, vous avez traversé 90 pays.
00:50 Mais l'exploit le plus retentissant, il date de 2019.
00:54 À 27 ans, vous devenez le plus jeune explorateur au monde
00:57 et le premier Français d'ailleurs à rallier le pôle Sud à ski,
01:01 en solitaire, sans ravitaillement.
01:04 Et on a quelques images, on regarde ça ensemble.
01:06 J'ai commencé il y a 2h30, 3h.
01:10 Ah putain, je n'avance pas !
01:14 Je prends la caméra parce que j'en ai ras-le-bol.
01:16 Ce matin, je me suis réveillé, c'est la tempête, il y a 60 km/h de vent dehors.
01:21 Et là, il fait -30.
01:24 Voilà mon bonheur et mon enfer.
01:28 C'est quoi le point de départ de cette folie qui a changé votre vie ?
01:33 L'Antarctique, c'était un rêve, pour remettre les choses dans leur contexte.
01:36 L'Antarctique, c'est bien ce continent qui est le plus au sud du globe.
01:39 C'est un continent qui est gigantesque, qui fait 28 fois la taille de la France,
01:42 qui est recouvert de glace et de neige,
01:43 et qui est un continent encore un petit peu mystérieux.
01:45 On a des bases scientifiques, avec des scientifiques qui travaillent à l'année
01:48 sur ce continent blanc.
01:50 L'envie, c'était vraiment une envie très personnelle, une envie de me confronter
01:53 à la fois à une nature sauvage, mais aussi une envie de me confronter à moi-même,
01:56 une aventure personnelle, un espèce de défi pour rallier le pôle sud,
02:00 l'axe de rotation de la Terre.
02:02 C'était une aventure qui a duré quasiment deux mois.
02:04 C'est combien de kilomètres à skier ?
02:05 1130 au total.
02:07 Il faut avoir un petit niveau ?
02:08 Ce n'est pas très technique, contrairement à ce qu'on pourrait penser.
02:11 Quand on met deux skis au pied et deux bâtons dans les mains,
02:14 on marche comme ça toute la journée.
02:15 Ce qui est difficile, c'est de répéter l'opération tous les jours,
02:17 charger, parce que le traîneau posait 115 kg au départ,
02:20 avec toute la nourriture et tout l'équipement.
02:22 Et puis après, avoir cette volonté d'avancer dans un univers
02:24 qui est très stérile, qui est très monochrome.
02:26 Hostile parfois ?
02:27 Hostile, alors il n'y a pas d'ours.
02:28 Les ours sont au nord, en Arctique.
02:30 Les dangers qu'il peut y avoir en Antarctique, on le voyait,
02:33 c'était surtout le froid, la mauvaise météo et puis évidemment la présence de crevasses,
02:36 ces grandes trous qui se forment sur les calottes polaires et les glaciers.
02:40 Et qu'il faut éviter. Cette aventure a duré 50 jours et 3 heures.
02:44 Qu'est-ce qu'on apprend sur nous-mêmes quand on est dans un environnement,
02:47 on le disait, parfois hostile ?
02:49 Déjà, on se sent tout petit.
02:50 Comme je le disais, l'Antarctique, c'est un continent qui est vraiment
02:53 au-delà de tout ce qu'on peut imaginer.
02:55 C'est colossal, la quantité de glace qui peut exister.
02:58 C'est le plus grand désert du monde.
02:59 Et donc forcément, quand on fait cette expérience un petit peu du vide,
03:02 parce que là-bas, il y a des animaux, mais ils sont sur la côte du continent.
03:06 Moi, je n'ai fait que m'éloigner de la côte pour aller vers le pôle sud.
03:08 Et donc quand on fait vraiment cette expérience du vide,
03:10 ça décuple véritablement un peu ce qu'on a à l'intérieur de soi,
03:13 donc l'intériorité, et donc on se découvre sous de nouvelles facettes.
03:16 Et donc moi, j'ai découvert plein de choses que j'ignorais un petit peu de moi,
03:19 comme des choses très personnelles, très intimes,
03:21 que je raconte dans un livre d'ailleurs, mais qui m'ont montré
03:24 qu'on n'avait pas forcément besoin d'aller à l'autre bout du monde
03:26 pour expérimenter une sensation de dépaysement ou d'intensité
03:30 qu'on peut retrouver aussi proche de chez soi.
03:32 Et puis moi, ça m'a rapproché de ma famille, de mes amis, de mes proches,
03:35 curieusement, le fait d'être éloigné d'eux, ça m'a montré que...
03:37 - Qu'est-ce que disent vos parents, par exemple, quand vous leur dites
03:39 que vous partez à l'aventure dans ces conditions si extrêmes ?
03:42 Il y a de l'inquiétude ?
03:43 - Il y a de l'inquiétude, forcément.
03:44 Je pense que l'inverse serait étonnant.
03:46 Je crois qu'ils tiennent à moi, donc il y a une forme d'inquiétude.
03:48 Après, ils savent la manière dont je prépare ces expéditions.
03:51 Ce n'est pas des coups de tête, ce n'est pas des choses
03:52 que je prépare sur un coin de table.
03:54 Il y a beaucoup de préparation, je suis très entouré.
03:56 Et donc, ils ont bien vu la manière dont je prépare et tout ça.
03:58 Et plutôt que de m'empêcher de partir dans mes jeunes années,
04:01 ils m'ont plutôt encouragé à suivre cette voie-là.
04:03 Aujourd'hui, si j'ai pu faire tout ça, c'est aussi grâce à leur soutien moral dès le début.
04:06 - Parce que l'aventure, c'est parfois aussi la mort.
04:09 Certains ne reviennent jamais.
04:11 Est-ce que vous y avez pensé ?
04:12 Est-ce que vous vous y êtes préparé ?
04:13 - Non, pas tellement.
04:16 Enfin, moi, je ne suis pas à la recherche du grand frisson ou à la recherche du risque.
04:20 C'est vrai que quand on se dirige vers ces terrains, il y a une part de risque.
04:23 Mais mon métier, ma manière de voir les choses,
04:26 c'est plutôt d'apprendre à contrôler ce risque.
04:28 Donc ça, ça passe par de la préparation, ça passe par de l'entraînement.
04:31 Et donc, évidemment, il y a toujours une part de danger,
04:33 mais on apprend à les contrôler, à les maîtriser.
04:36 - Votre première aventure, c'était en 2011.
04:39 Vous venez d'avoir le bac, vous traversez l'Europe de l'Est jusqu'à Istanbul en Turquie.
04:43 C'était à vélo, je crois ? - À vélo, exactement.
04:45 - On a des images d'ailleurs.
04:46 Vous êtes donc depuis 12 ans aux premières loges pour constater les changements climatiques,
04:51 pour constater que le monde évolue, que la planète se réchauffe, qu'elle se fragilise.
04:55 Qu'est-ce qui vous a le plus choqué sur ces 12 années ?
04:58 - C'est vrai qu'au début, quand je pars à vélo après mon bac, j'ai tout juste 19 ans.
05:02 Je pars parce que je suis mu par une envie d'aventure, de découverte, de voyage.
05:05 Ça, je ne le cache pas.
05:06 Et puis après, au fur et à mesure de faire des aventures,
05:08 c'est vrai qu'on se retrouve confronté à des bouleversements,
05:10 on se retrouve confronté à des terrains qui changent,
05:13 notamment dans les mondes polaires, que je connais bien,
05:15 pour être allé en Arctique et aussi en Antarctique.
05:17 Et c'est vrai que moi, je n'ai pas l'expérience d'un Jean-Louis Etienne
05:20 que vous avez reçu il n'y a pas très longtemps.
05:21 Et je ne peux pas dire, voilà, ça fait 20 ans ou 30 ans ou 40 ans
05:24 que je vais dans ces milieux-là, je les vois changer moi-même.
05:26 Parce que comme vous l'avez dit, j'ai 32 ans.
05:27 Mais en revanche, les gens qui vivent en Arctique,
05:29 quand on les sollicite, quand on les interroge,
05:31 ils vous disent que la banquise, elle est de moins en moins solide,
05:35 que les phoques, il faut aller de plus en plus loin pour venir les chercher.
05:37 Moi-même, quand j'étais en Antarctique pour aller rejoindre le pôle sud,
05:40 je me suis confronté à des températures qui étaient anormalement élevées fin 2018.
05:44 - Pas besoin d'aller à l'autre bout du monde.
05:45 On voit que la situation évolue en France aussi,
05:47 avec les conditions climatiques catastrophiques dans le nord de la France particulièrement.
05:51 Que vaut cette prise de conscience si elle n'est pas généralisée,
05:54 mondialisée, avec des actes politiques forts ?
05:57 Est-ce que vous avez, vous qui avez visité 90 pays,
06:00 constatez que nous avions tous la même prise de conscience à l'échelle mondiale ?
06:04 Pas du tout.
06:05 - Malheureusement, non.
06:05 Je crois que quand on va dans des pays qui ont plein de soucis économiques,
06:09 de développement, des problèmes sociaux,
06:11 le problème du réchauffement climatique, ce n'est pas la priorité.
06:15 Et on peut bien le comprendre.
06:16 En revanche, c'est vrai que le problème, il est global, comme vous l'avez dit.
06:19 Et je pense qu'on a besoin des scientifiques qui alertent avec des rapports,
06:22 avec des COP, avec des études scientifiques.
06:27 Mais on a aussi besoin de la communauté, je dirais peut-être de l'aventure,
06:31 des gens qui sont capables d'incarner ces causes-là pour toucher le grand public au cœur.
06:35 Parce que quand on fait des documentaires, quand on fait des conférences,
06:37 eh bien ça permet d'apporter ce sujet avec un prisme un petit peu nouveau
06:41 qui peut paraître peut-être un peu plus séduisant
06:43 qu'un professeur avec un tableau qui monte des graphiques.
06:45 Alors l'avenir pour vous, quelle expérience ?
06:47 Déjà, vous avez utilisé plein de moyens de transport, vélo, ski, voile, kayak,
06:51 - appuyer évidemment. - Je ne suis pas un spécialiste de rien.
06:53 Alors justement, le prochain moyen de transport, ce sera quoi ?
06:56 Eh bien, ce sera certainement le kite.
06:59 Vous connaissez tous le kitesurf.
07:00 Là, la discipline que je pratique, c'est le snow kite.
07:03 Donc c'est exactement pareil, sauf qu'on a des skis au pied.
07:05 Et ça permet de parcourir des grandes distances dans des mondes polaires
07:08 puisque avec l'énergie du vent, eh bien on peut être autonome
07:11 sur plusieurs centaines de kilomètres.
07:12 Le kite alors, et ce sera où précisément ?
07:14 Alors je ne sais pas encore, mais ce sera dans un monde polaire,
07:17 donc certainement en Arctique ou en Antarctique.
07:20 Merci Mathieu Tordeur de nous avoir fait voyager par procuration.
07:23 Je rappelle que votre livre "Le continent blanc"
07:26 est toujours évidemment en vente aux éditions Robert Laffont.
07:29 - Merci. - Merci.

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