• il y a 11 mois
des médicaments pas si innocents,

Enquête de santé

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Transcription
00:00 On va parler de tubes digestifs et de brûlure d'estomac.
00:03 Le reflux gastrique est un mal qui empoisonne la vie de nombreux patients.
00:06 Il commence par éviter certains aliments, puis rapidement il passe aux médicaments.
00:10 Il faut dire que c'est très facile de s'en faire prescrire,
00:13 en particulier les inhibiteurs de la pompe à protons, les IPP.
00:17 Les fabricants ont soumis les médecins à une publicité intense
00:20 qui vante une molécule qu'on peut prendre au long cours sans risque.
00:23 Mais il n'y a que dans les contes de fées qu'on trouve un médicament
00:26 vraiment efficace sans aucun effet secondaire.
00:28 Dans la vraie vie, on ne devrait donner un traitement qu'à ceux qui en ont vraiment besoin
00:32 pour éviter de prendre des risques inutiles.
00:34 Avec les IPP, on est très loin de ça,
00:37 comme le montrent l'enquête d'Alain Orange et Jochen Bechler.
00:40 Un reflux gastro-osophagien.
00:45 Cela peut sembler banal quand on ne l'a jamais vécu.
00:48 Mais c'est bien plus qu'une simple régurgitation passagère.
00:52 Ce reflux vous pourrit la vie, jour et nuit.
00:55 On fait un bon dodo et d'un coup d'un seul, on est à l'équerre dans le lit
01:01 avec un reflux et un goût abominables.
01:04 Heureusement, j'ai toujours ma petite boîte de Kleenex à côté de moi pour pouvoir...
01:11 C'est comme un geyser, c'est comme un siphon.
01:14 Voilà, ça sort.
01:15 Il faut pouvoir se tamponner en ravalant.
01:25 C'est abominable.
01:27 Et en plus, ça part parfois dans les voies aériennes supérieures
01:31 puisqu'on est à moitié quand même endormi.
01:34 Il faut vite courir à la salle de bain, se rincer la bouche,
01:38 reboire une goutte d'eau et un peu reprendre ses esprits.
01:45 Ça réveille vraiment toutes les nuits.
01:48 Ça devient fatigant.
01:51 - Vous savez pourquoi ça a commencé ?
01:54 - Alors...
01:56 Les relâchements tessulaires, linge, plus autant de domicile.
02:03 Et probablement que ça vient de là.
02:07 Philippe Luiot, lui, vit avec des reflux depuis les années 60.
02:11 À cette époque, la médecine n'avait pas grand-chose à lui offrir.
02:15 - On est vraiment hors d'ordre cette fois. - On est vraiment hors d'ordre.
02:19 - Et qu'est-ce qu'on vous avait proposé à l'époque ? - Rien.
02:23 - Il n'y avait pas de traitement ? - Bah non, on m'a dit, il faut faire avec.
02:27 On n'opère pas et on m'a dit, ben voilà.
02:30 Et j'ai bouffé pendant une partie de ma vie, pendant 20, 30 ans, ou peut-être plus, des rénis.
02:38 - Ciao, Regens !
02:39 Les rénis sont des pastilles à sucer, vendues sans ordonnance en pharmacie ou droguerie.
02:44 Elles neutralisent ponctuellement l'acidité dans l'estomac.
02:47 Mais les reflux douloureux continuent.
02:50 - Comme si vous allumez un chalumeau dans le bas du tube digestif.
02:56 - Ça remontait et ça brûlait ? - Oui.
03:00 - Et dans ce cas-là, qu'est-ce qui restait à faire ? - Ben bouffer une réni.
03:04 Ou supporter.
03:06 - Et puis il faudra voir le problème d'histoire dans les canvas aussi, hein. - OK.
03:10 - OK. - Tu regardes ça, hein. - Ça marche.
03:12 - Ça fait quand même très mal et vous ne réfléchissez plus.
03:15 Vous ne vivez pas normalement.
03:16 Et puis je ne pouvais pas boire n'importe quoi. Je ne pouvais pas boire un verre de vin, par exemple.
03:21 De fêter avec un verre de champagne, c'était une torture.
03:25 - Parfait.
03:26 Il y a trois ans, son médecin l'envoie consulter un autre gastro-entérologue.
03:30 Il était temps.
03:31 Les examens révèlent que les reflux acides ont causé de graves atteintes à son oesophage.
03:36 - Il était complètement pelé.
03:42 C'était comme une tomate qui a des morceaux de peau qui sont loin, etc.
03:51 C'était vraiment... On aurait dit une plaie ouverte.
03:55 La professeure m'a dit, "Véritablement, c'est le moment de venir,
03:59 parce que vous étiez pas très loin d'un grave ulcère."
04:03 - Est-ce qu'on peut faire la barrière verticale pour le privé ? - Ouais.
04:06 - Il m'a dit, "C'est de l'acidité des gaz qui sortent et qui vous ont bouffé tous vos dents."
04:14 - C'est-à-dire ?
04:15 - Eh bien, j'ai des dents qui sont quand même très carriées.
04:18 Et il m'a dit, "C'est cet acide qui a favorisé la carie dentaire."
04:23 Le sucre gastrique, qui aide à décomposer nos aliments, est d'une acidité extrême.
04:33 Les parois de l'estomac sont prévues pour lui résister.
04:36 Mais en cas de reflux, ni l'osophage ni la cavité buccale ne sont protégés.
04:41 Ils subissent une agression sévère.
04:43 - La principale cause de reflux, c'est une dysfonction du sphincter inférieur de l'osophage.
04:49 C'est vraiment, dans le fond, un muscle qui est au bas de l'osophage
04:52 et qui est, en général, fermé, qui va s'ouvrir lors de la déglutition.
04:57 Et puis, lorsqu'il y a un reflux du contenu gastrique vers l'osophage,
05:00 eh bien, ce muscle va s'ouvrir et puis permettre le passage, on va dire, spontané,
05:05 du contenu gastrique vers la cavité osophagienne.
05:07 Donc, en fait, on pense que la majeure partie des causes de reflux
05:10 est liée à un relâchement, on va dire, intempestif, inapproprié du sphincter inférieur de l'osophage.
05:15 Parmi les personnes à risque, on trouve les obèses et les femmes enceintes
05:22 à cause de la pression exercée sur leur abdomen.
05:26 Il y a aussi ceux qui souffrent d'une hernie de l'estomac ou hernie hiatal.
05:31 L'estomac remonte à travers le diaphragme,
05:33 empêchant le sphincter de fonctionner correctement.
05:37 Les agressions répétées de l'acide gastrique sur l'osophage ont des conséquences dramatiques.
05:43 C'est le fait que les patients ne sont plus capables de manger,
05:48 c'est-à-dire qu'ils n'arrivent plus à avaler,
05:50 parce qu'il y a un rétrécissement dans le front de la lumière de l'osophage.
05:54 Ou alors des gens qui viennent ici en urgence avec une impaction alimentaire,
05:58 une aphagie, on ne peut plus manger, la salive déborde par la bouche et la cavité nasale.
06:03 La paroi de l'osophage peut aussi développer des ulcères,
06:07 qui parfois conduisent à une hémorragie digestive.
06:10 Dans les cas extrêmes, la muqueuse dégénère en cancer de l'osophage.
06:15 La médecine est longtemps restée démunie face à ces risques.
06:22 Tout a changé au début des années 80,
06:25 avec l'arrivée d'un médicament affubé d'un drôle de nom,
06:28 l'inhibiteur de la pompe à protons,
06:31 ou plus simplement l'IPP.
06:34 Ça marche vraiment de façon très efficace,
06:36 avec un comprimé de 20 ou 40 mg, c'est pratiquement la même chose,
06:40 on inhibe 85, 90% de la production acide de l'estomac.
06:44 Donc vraiment des médicaments qui ont révolutionné, je dirais,
06:47 la maladie ulcèreuse et le reflux gastro-oesophagien très certainement.
06:52 J'ai commencé à en prendre tous les matins.
06:55 Alors depuis ce moment, je n'ai plus de brûlure d'estomac,
06:59 j'ai plus besoin de me balader avec des pastilles de ceci ou de cela.
07:04 Je peux vivre à peu près normalement,
07:07 je peux boire un verre de vin blanc, un verre de vin rouge.
07:10 Vous avez essayé parfois d'arrêter le médicament ?
07:15 Non, je ne suis pas masochiste.
07:18 Non, je ne suis pas masochiste à ce point-là.
07:21 La paroi de l'estomac contient des cellules chargées de produire l'acide chlorhydrique,
07:28 un puissant dissolvant qui participe à la digestion.
07:31 La pompe à protons est constituée d'un canal
07:34 qui envoie dans l'estomac les protons H+,
07:37 nécessaires à la formation de l'acide.
07:39 L'IPP inhibe le travail de la pompe.
07:42 Le contenu de l'estomac ne peut plus s'acidifier.
07:45 Mais la digestion reste possible grâce à la bile et aux sécrétions du pancréas,
07:50 déversées plus bas dans l'intestin.
07:53 L'IPP est un médicament efficace et simple à prendre
08:01 qu'on a commencé à prescrire à tour de bras.
08:03 On le donne même à titre préventif,
08:06 par exemple associé à des traitements qui agressent l'estomac,
08:09 comme les anti-inflammatoires.
08:12 C'est très clairement démontré qu'en association avec les anti-inflammatoires,
08:17 les IPP réduisaient le risque d'ulcère
08:21 lié à l'usage des anti-inflammatoires de façon prolongée de moitié.
08:25 Conséquence logique, une explosion des prescriptions.
08:30 Plus de 100 millions de doses d'IPP sont vendues chaque année en Suisse.
08:34 Rien qu'à Genève, leur consommation a augmenté de près de 500 % entre 2000 et 2008.
08:41 Il y a des réflexes qui ont été pris par beaucoup de médecins
08:47 de dire "on donne ceci, on prend des IPP".
08:50 On donne des anti-inflammatoires, on sait que ça irrite un peu l'estomac,
08:53 on donne des IPP en même temps, comme ça les patients seront contents.
08:56 Imaginons une banale chute de vélo.
09:07 Rien à voir à première vue avec un traitement contre le reflux gastrique.
09:11 Et pourtant...
09:12 Ça va ?
09:13 Ça va, aide-moi à juste enlever le vélo.
09:15 Vas-y.
09:17 Monsieur Dupuis est emmené aux urgences.
09:23 Comme on craint un éclatement de la rate, il est admis aux soins intensifs.
09:28 Un service où l'on administre systématiquement un IPP
09:31 pour prévenir ce que l'on appelle l'ulcère de stress.
09:36 Finalement, Monsieur Dupuis s'en tire avec quelques côtes cassées.
09:40 Après trois jours, il peut quitter les soins intensifs
09:49 pour une unité de convalescence.
09:51 Mais comme il prend des anti-inflammatoires qui risquent d'attaquer son estomac,
09:57 il continue à recevoir en plus un IPP, le nexium.
10:05 Bonjour.
10:06 Bonjour, c'est les pilons, on se connaît déjà ?
10:09 Oui, on se connaît déjà.
10:10 Est-ce que c'est envisageable d'arrêter les anti-inflammatoires très vite,
10:15 et aussi le nexium ?
10:17 Le nexium, ce serait plutôt quand on aura enlevé les anti-inflammatoires
10:20 qui sont pour les douleurs de côte.
10:22 D'accord.
10:23 Quinze jours plus tard, Monsieur Dupuis peut rentrer à la maison.
10:31 Il arrête les anti-inflammatoires et l'inhibiteur de la pompe à proton qui va avec.
10:35 Mais après une semaine, de curieux symptômes apparaissent.
10:40 Monsieur Dupuis est victime de reflux gastrique.
10:46 Les IPP sont connus pour provoquer ce que l'on appelle un effet rebond.
10:51 Quand on arrête le traitement, les symptômes réapparaissent,
10:54 souvent encore plus fort.
10:56 Et cela arrive même à des patients qui n'avaient aucun problème de reflux auparavant.
11:01 Oh !
11:02 C'est un peu comme si vous appuyez sur le frein et les gaz en même temps,
11:08 et puis quand vous lâchez le frein, quand vous arrêtez l'inhibiteur de la pompe à proton,
11:12 vous vous retrouvez avec un excès de sécrétion acide.
11:16 Donc des phénomènes de rebond quand on lâche le frein,
11:20 quand on arrête le médicament d'un coup.
11:22 C'est absolument magnifique, un médicament où vous êtes obligé de le continuer
11:26 une fois que vous avez commencé.
11:28 Pour l'industrie qui le fabrique, c'est le rêve.
11:30 En administrant des IPP à tout va, on risque de rendre les patients véritablement accros.
11:36 Bonjour Madame. Bonjour Monsieur.
11:37 S'il vous plaît Madame, j'aimerais ceci.
11:39 Oui, merci. Pardon.
11:41 Les hôpitaux, grands prescripteurs d'IPP, commencent à prendre conscience du problème.
11:46 Quand on examine de près la quantité, le volume d'IPP prescrit dans cet hôpital,
11:53 on est parfois effrayé par les nombres.
11:56 On est proche de 500 000 comprimés administrés par an.
12:01 60% des prescriptions n'étaient pas en harmonie avec ce qui était autorisé, en clair.
12:17 On avait 60% de prescriptions qui n'étaient pas légitimées
12:22 lorsqu'on examinait la quantité d'IPP prescrite.
12:26 Les médecins doivent revoir leur réflexe de prescription.
12:30 Quant aux malades qui reçoivent tout de même un IPP,
12:33 les spécialistes cherchent la meilleure méthode pour les sevrer rapidement.
12:37 La chose la plus importante à discuter avec le patient, c'est de faire avec lui un calendrier
12:44 pour parvenir à une diminution progressive des doses,
12:48 en expliquant pourquoi, quel est le but poursuivi
12:51 et quelle est l'importance de cette diminution graduelle pour parvenir à gérer les symptômes.
12:57 Bref, il faut cesser de prendre les IPP pour des pilules inoffensives qu'on avalerait comme des bonbons.
13:05 Outre le danger d'accoutumance, ils peuvent provoquer de nombreux effets secondaires.
13:10 Catherine Stoffel a dû changer plusieurs fois de molécule pour y échapper.
13:15 Le résultat, je vais dire, de bien-être au niveau de l'estomac était parfait,
13:21 mais 48 heures plus tard, j'ai eu des migraines épouvantables.
13:25 C'est la vraie migraine avec...
13:28 On ne peut plus tenir les yeux ouverts, les pulsations au niveau de la boîte crânienne,
13:33 enfin, c'est vraiment... on n'est vraiment pas bien.
13:36 Mais il y a plus grave.
13:40 On commence à découvrir toute une série d'effets à long terme.
13:43 Par exemple, une augmentation préoccupante des fractures osseuses.
13:47 On s'est rendu compte que les IPP allaient interférer par exemple avec l'absorption du calcium,
13:54 qui est utile pour la bonne formation de l'os,
13:57 et certaines études ont montré qu'à consommation continue pendant deux ans,
14:01 la fréquence dans le fond de la fracture de hanche, par exemple, du vertèbre,
14:05 augmentait de 40 %, ce qui est quand même pas négligeable.
14:07 Depuis à peu près deux ou trois ans, on a mis en évidence quelque chose de beaucoup plus embêtant,
14:12 c'est de dire, de montrer que les IPP interfèrent sur les cellules qui fabriquent l'os,
14:19 sur les ostéoblastes et les ostéoclastes.
14:22 C'est-à-dire que ce n'est pas seulement la matière première de l'os qui serait impliquée dans les prises d'IPP,
14:30 mais également les cellules qui fabriquent de l'os.
14:32 Autre effet constaté, une augmentation des infections gastriques et respiratoires.
14:39 Car l'acidité de l'estomac sert aussi à nous protéger contre les bactéries contenues dans ce que nous avalons.
14:45 En neutralisant cette barrière acide, les IPP permettent aux bactéries de proliférer.
14:51 Imaginez que vous prenez deux populations, une population sous IPP et une population sans IPP,
14:56 que vous envoyez dans des pays touristiques.
14:59 Eh bien, une bonne fraction des gens qui sont sous IPP vont malheureusement faire des choses assez simples.
15:05 Tourista, c'est-à-dire une gastro-enterite banale,
15:07 mais il y a des gens qui vont faire des gastro-enterites beaucoup plus sévères
15:10 ou être colonisés par des germes qui peuvent potentiellement prêter à leur qualité de vie, même leur vie.
15:15 Ces bactéries peuvent aussi remonter dans l'osophage et même infecter les bronches.
15:22 La prise chronique d'IPP devrait donc être bannie.
15:25 Malheureusement, les solutions alternatives font défaut.
15:30 Par exemple, pour les gens souffrant d'une hernie de l'estomac.
15:34 On a envie de dire "on va opérer, comme ça il n'y aura plus besoin de prendre des IPP".
15:38 Hélas, non.
15:39 Quelques années après, on réalise que les patients sont toujours contents d'avoir été opérés du point de vue de leurs symptômes,
15:46 mais qu'un peu moins de la moitié d'entre eux sont de nouveau sous IPP.
15:50 C'est-à-dire qu'on les a opérés, on leur a donné du confort,
15:53 mais on n'a pas réussi à les débarrasser de la prise chronique d'IPP.
15:57 L'industrie pharmaceutique, elle, ne semble pas disposée à remettre en cause un médicament
16:03 dont le chiffre d'affaires annuel se compte en milliards.
16:06 Suite à notre demande d'interview, AstraZeneca, le principal fabricant d'IPP du marché suisse,
16:13 n'a pas souhaité entrer en matière.
16:15 Merci pour votre demande. Nous ne sommes pas intéressés à vous accorder une interview.
16:20 Meilleure salutation.
16:22 L'industrie pharmaceutique a une part de responsabilité dans cette énorme prescription des IPP
16:30 pour avoir tenu le message de "on a un médicament très efficace, absolument non dangereux".
16:35 On a quand même un petit peu l'impression d'être devant l'espèce de dialogue de sourds
16:41 qu'il y avait à l'époque de la lutte contre le tabac,
16:44 où vous aviez des articles qui disaient "le tabac c'est nocif"
16:47 et vous aviez en même temps des articles qui disaient "mais non, le tabac c'est pas nocif,
16:50 c'est la façon de faire l'étude qui donne ses résultats".
16:54 On est devant le même type de contradiction.
16:57 Les inhibiteurs de la pompe à protons font partie des 5 classes de médicaments les plus vendus au monde.
17:21 Ce n'est pas étonnant puisqu'on en devient dépendant.
17:24 Mais surtout, les fabricants ont poussé avec force les médecins à prescrire.
17:28 Ils les ont bombardés de publicités, insistant sur les vertus et la sécurité de leurs produits.
17:33 Ils ont su habilement faire parler des IPP,
17:36 si bien que les patients eux-mêmes les réclament lors des consultations.
17:40 Comme si elles n'avaient rien appris de l'histoire, des déboires passés,
17:43 les entreprises pharmaceutiques prennent le risque d'un nouveau scandale dans cette affaire.
17:47 Les IPP sont vraiment utiles contre les reflux gastriques sévères.
17:51 Mais ça ne fait pas assez de monde, ça ne suffit pas à satisfaire l'appétit des pharmas
17:55 qui cherchent à tout prix à élargir la clientèle,
17:58 y compris en s'attaquant au marché pédiatrique et donc aux enfants.
18:02 "Là-bas, il y a même papa qui est resté un petit coup encore.
18:05 Ouais, t'as mis un doigt ? Tu voudrais boire quelque chose ?
18:08 Alors ça s'est manifesté environ vers 3 semaines de vie.
18:12 Un bébé pas du tout paisible, qui se réveillait en hurlant, les yeux écarquillés.
18:18 On voyait qu'il avait mal et qu'il souffrait.
18:21 Puis bon, 3 semaines, on se dit c'est l'écolie, qu'on va chez le pédiatre,
18:25 mais il a une bonne prise de poids, donc on ne s'inquiète pas, ça va passer madame, et puis on attend."
18:31 Mais la situation ne fait qu'empirer.
18:34 Les parents se décident à emmener Keo aux urgences.
18:37 Il a une inflammation sévère de l'osophage.
18:40 On lui prescrit d'emblée un IPP, un inhibiteur de la pompe à protons.
18:44 "Est-ce que ce traitement a été efficace ?"
18:47 "Alors, pas du tout.
18:49 On s'est dit, voilà, on a enfin quelque chose pour le soulager,
18:53 et puis non, alors rien à faire.
18:55 Bon, on a essayé sur...
18:57 Le pédiatre nous a dit, vous essayez sur une dizaine de jours,
19:00 puis vous verrez si ça fait effet ou pas.
19:02 Et puis en l'occurrence, ça n'a pas fait effet."
19:05 C'est que la cause du reflux est tout autre.
19:08 Keo souffre d'une intolérance au lactose.
19:11 Ses parents finiront par le découvrir après des mois de déboires et de tâtonnements.
19:16 En prescrivant d'office un IPP, on n'a fait que perdre du temps.
19:21 "Je crois que petit à petit, on a banalisé leur utilisation.
19:25 On s'est dit, bon, un bébé qui pleure, ça vaut toujours la peine d'essayer un IPP,
19:29 même si les symptômes ne sont pas tout à fait là.
19:31 Et puis en fin de compte, de plus en plus aussi,
19:34 plutôt que faire un examen complémentaire chez un spécialiste, etc.,
19:37 on va directement essayer un traitement d'épreuve.
19:40 Et donc, il y a énormément de patients maintenant qui sont sous IPP."
19:44 Avec la naissance du cadet, Aiden, le cauchemar de la famille recommence.
19:49 Il souffre de régurgitations encore plus sévères que son frère.
19:53 "Alors un jour, le padiatre m'a dit, écoutez, vous les comptez,
19:55 pour que je puisse un peu me rendre compte.
19:57 À la fin d'une journée, j'en compte une centaine.
20:00 Donc c'est des grosses flaques, c'est énorme.
20:03 C'est des habits trempés, des bodies dans la machine à laver,
20:08 ça tourne tout le temps tellement il y a des choses à laver.
20:11 Moi-même, je vais me changer cinq, six fois par jour.
20:14 Il y a un certain isonement social qui se fait.
20:21 On ne sort pas trop de chez soi ou en tout cas pas trop dans les lieux publics,
20:25 que ce soit dans des magasins ou chez une amie.
20:29 Ça peut tâcher les canapés, les flaques par terre dans le magasin.
20:32 Il faut être super équipé pour pouvoir gérer ce genre de situation.
20:39 C'est vrai que j'avais mis pile de pâtes par jour,
20:42 et puis par heure, je ne sais pas, il devait régurgiter peut-être une vingtaine de fois.
20:48 Aiden commence un traitement à l'IPP, qui cette fois se révèle justifié.
21:00 Ses régurgitations diminuent, sans toutefois disparaître complètement.
21:04 Il faut surveiller constamment son régime.
21:07 On regarde les aliments qui sont acides, ceux qui sont alcalins,
21:12 classés plutôt dans les acides ou dans les alcalins,
21:15 pour faire un régime alimentaire pour Aiden,
21:18 afin que son taux d'acidité dans le corps ne soit pas trop élevé.
21:22 Typiquement, s'il mange du poulet, je vais peut-être essayer de mettre du brocoli avec,
21:27 pour réguler le taux de pH.
21:35 Pour partager son expérience, Laura a créé un groupe d'échange sur les réseaux sociaux.
21:40 Je me suis dit, peut-être qu'il y a des mamans qui auraient besoin de soutien,
21:51 que nous, on n'aurait pas forcément trouvé à ce moment-là.
21:55 On ne se prétend pas du tout médecin, ce n'est pas du tout le but,
21:59 mais des petits conseils qu'on n'a pas forcément,
22:01 et que d'autres mamans ont expérimenté, et des fois, ça suffit.
22:05 Échanger entre parents, c'est un bon moyen de soulager une pression qui peut devenir insoutenable.
22:11 C'est sûr qu'un enfant qui se réveille 4-5 fois par nuit,
22:14 le manque de sommeil, etc., c'est très épuissant.
22:17 Vous voyez arriver des parents épuisés qui vous disent "j'en peux plus".
22:21 Absolument, on voit des parents épuisés, parfois d'ailleurs qu'on hospitalise,
22:25 pour que tout le monde se tranquillise, pour que tout le monde puisse avoir une fois une bonne nuit.
22:30 Oui.
22:31 Les problèmes de reflux concernent 80% des très jeunes enfants.
22:36 Ils sont le plus souvent modérés, et disparaissent spontanément vers l'âge d'une année.
22:41 À cause de leur non-maturité, c'est la même chose à l'intérieur,
22:46 ils ne savent pas marcher, à l'intérieur non plus.
22:48 L'intestin doit apprendre à avoir les bons mouvements et bien se coordonner.
22:52 Et donc, ça ne remonte pas particulièrement facilement,
22:55 ça remonte dans la bouche, mais enfin, il n'a pas l'air d'être inconfortable ni rien.
22:59 En cas de reflux sévère, l'IPP peut s'avérer indispensable.
23:03 Mais il constitue trop souvent une solution de facilité.
23:07 Nous avons contacté 80 pédiatres dans tous les cantons romands.
23:10 Notre enquête révèle que 30% d'entre eux commencent par prescrire systématiquement un IPP.
23:16 Or, il existe des examens, certes pas toujours agréables,
23:20 mais qui permettent un diagnostic plus précis.
23:23 La maman d'Elias, qui a été enceinte, a été enceinte en septembre.
23:27 La maman d'Elias, 5 ans, a découvert les reflux de son fils un peu par hasard.
23:32 Je l'ai vue dans la cuisine en train de mâcher quelque chose et on n'était pas en train de manger.
23:38 Je lui ai demandé ce qu'il mangeait et puis il m'a dit que c'était la nourriture du repas d'avant.
23:44 Et il m'en montrait en fait, je pensais que c'était du maïs.
23:48 Et je trouvais ça bizarre et là je lui ai posé la question,
23:52 mais est-ce que tu fais ça tout le temps ? Il me dit mais oui, ça m'arrive tout le temps.
23:57 Ça va être juste une radio, juste pour voir si la sonde est bien mise.
24:06 Tu sais ce qui va se passer aujourd'hui ?
24:13 On va être un petit tué dans le nez.
24:15 Ça fait pas mal, ça chatouille et puis des fois ça fait achoumer.
24:18 T'es d'accord ? On fait ça ?
24:22 Alors, je vais t'nutrir.
24:24 Divers examens ont déjà permis d'éliminer l'hypothèse d'un problème infectieux ou d'une hernie de l'estomac.
24:30 On pose une sonde à Elias, une technique invasive,
24:34 mais qui permettra peut-être d'éviter des médicaments inutiles.
24:38 Il s'agit de mesurer le degré d'acidité du reflux.
24:41 Et maintenant tu dois avaler.
24:43 Vas-y, tu prends la paille, avale, avale.
24:47 S'il est très acide, ça pourrait abîmer un peu son oesophage.
24:51 T'es un champion.
24:53 Ça pourrait aussi avoir une action sur ses dents.
24:55 Et puis c'est désagréable d'avoir cette sensation acide, même s'il ne se plaint pas.
24:59 On va faire la photo.
25:01 Bravo, hein ?
25:03 On voit assez souvent ça chez les enfants qui ont des reflux depuis tout petit,
25:07 où en fin de compte, ils n'ont pas connu autre chose et donc ils ne se plaignent pas,
25:11 parce que d'avoir quelque chose qui remonte, que des fois ça brûle, etc.,
25:14 pour eux c'est la norme de tous les jours.
25:16 Ça n'exclut pas le fait qu'ils puissent avoir des douleurs.
25:19 Ça n'exclut pas le fait qu'ils puissent avoir des douleurs, exactement.
25:22 Et ça ne s'exclut surtout pas le fait qu'ils puissent avoir des conséquences de ce qui se passe.
25:26 La sonde est introduite jusque dans l'oesophage.
25:31 Elle est munie de deux capteurs
25:33 afin de vérifier jusqu'à quelle hauteur remonte le contenu gastrique.
25:36 Elle me paraît absolument parfaite.
25:40 Les capteurs sont reliés à un boîtier
25:42 qui enregistre leurs données en continu pendant 24 heures.
25:46 Si les reflux ne sont pas trop acides,
25:48 Elias pourra se passer d'un IPP.
25:50 Trop d'enfants reçoivent ce médicament d'office.
25:53 Pire, leur banalisation conduit à des prescriptions prolongées
25:57 sans aucune justification.
25:59 Je vois arriver des patients
26:02 où un ORL a prescrit un traitement il y a une année et demie en arrière
26:06 parce qu'il avait un reflux,
26:07 il n'a jamais eu le contrôle et puis il reste sous ce traitement.
26:10 Est-ce que ça vous arrive de sevrer des patients
26:12 que vous recevez ?
26:13 Très souvent, j'essaye.
26:15 Et puis si on n'arrive pas à sevrer,
26:16 d'au moins donner la dose minimale,
26:18 donc de titrer comme on dit,
26:20 pour donner le moins de médication nécessaire
26:22 si celle-ci reste nécessaire.
26:24 Car un IPP pris à long terme représente chez l'enfant
26:29 des risques encore plus grands que chez l'adulte.
26:31 Par exemple, celui d'une dangereuse prolifération bactérienne dans l'estomac.
26:36 Et on parle d'infections qui peuvent avoir des conséquences
26:40 graves.
26:41 Absolument.
26:42 Absolument.
26:43 Donc les bactéries dont je vous parle dans le tube digestif,
26:46 en particulier chez les enfants,
26:48 peuvent être évidemment très délétères.
26:50 La même chose dans les voies respiratoires,
26:52 menées à des pneumonies graves,
26:54 dans des contextes bien particuliers.
26:56 Plus préoccupant encore,
26:59 les effets délétères sur les cellules qui produisent les os.
27:02 Nous avons une population d'enfants
27:07 qui est en train de fabriquer son squelette.
27:10 Un enfant fabrique son squelette,
27:12 fabrique sa masse osseuse de 0 à 20 ans.
27:14 Et si nous lui donnons à long terme des médicaments
27:17 qui interfèrent avec la fabrication de son squelette,
27:20 qu'est-ce qui va se passer ?
27:22 Actuellement, personne n'en sait rien.
27:24 Le petit Elias du reportage n'a pas subi en vain la pose de sa sonde.
27:27 L'examen a révélé que ses reflux n'étaient pas extrêmement acides.
27:30 Un IPP aurait donc été inutile dans son cas.
27:33 S'il en avait pris,
27:35 il n'aurait eu que les risques sans les bénéficier.
27:38 Il a donc été obligé de faire un test.
27:40 Le test a été fait en 20 ans.
27:42 Il a été testé en 20 ans.
27:44 Il a été testé en 20 ans.
27:46 Il a été testé en 20 ans.
27:48 Il a été testé en 20 ans.
27:50 Il a été testé en 20 ans.
27:52 Il n'aurait eu que les risques sans les bénéfices.
27:54 Or, les pédiatres les prescrivent souvent d'emblée, encore aujourd'hui,
27:58 alors qu'il faudrait les réserver à ceux qui en ont réellement besoin.
28:01 L'information a toujours du mal à contrecarrer des années de marketing agressif
28:05 sur les vertus et la sécurité d'un produit.
28:08 A ce propos, les résultats complets de notre enquête auprès des pédiatres
28:11 sur leur pratique ainsi que des publications scientifiques
28:14 sont à disposition sur rts.ch/santé.