Le groupe Nice Matin lance ce vendredi une nouvelle émission en direct de son studio vidéo consacrée aux élections européennes du 9 juin prochain.
Dans ce premier numéro de Face à l'Europe, Denis Carreaux, directeur des rédactions, Christian Huault, rédacteur en chef et Lionel Paoli, reporter politique, reçoivent Raphaël Glucksmann, député européen, co-président de Place publique et probable tête de liste Place publique/PS aux élections européennes.
Au programme : la guerre en Ukraine, la place de l'Europe dans le monde, la transition écologique, la justice sociale et fiscale de l'Europe et la problématique migratoire.
Mais aussi bien sûr des questions d'actualité avec la nomination d'un nouveau Premier ministre et d'un nouveau gouvernement en France.
Dans ce premier numéro de Face à l'Europe, Denis Carreaux, directeur des rédactions, Christian Huault, rédacteur en chef et Lionel Paoli, reporter politique, reçoivent Raphaël Glucksmann, député européen, co-président de Place publique et probable tête de liste Place publique/PS aux élections européennes.
Au programme : la guerre en Ukraine, la place de l'Europe dans le monde, la transition écologique, la justice sociale et fiscale de l'Europe et la problématique migratoire.
Mais aussi bien sûr des questions d'actualité avec la nomination d'un nouveau Premier ministre et d'un nouveau gouvernement en France.
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00:00 (Générique)
00:19 Bonjour à tous, bienvenue dans le studio du groupe Nice Matin pour ce nouveau rendez-vous face à l'Europe
00:24 dans lequel nous recevrons régulièrement des candidats aux élections européennes du 9 juin prochain. Une émission que j'ai le plaisir de présenter
00:32 avec Christian Huot, rédacteur en chef du groupe Nice Matin, et Lionel Paoli, reporter politique. Pour cette première, nous accueillons Raphaël Glucksmann,
00:40 eurodéputé, place publique et essayiste. Bonjour, Raphaël Glucksmann. — Bonjour.
00:44 — Alors avant d'entrer dans le vif du sujet, une première question d'actualité. Christian Huot.
00:48 — Eh oui. Raphaël Glucksmann, grosse actualité nationale. Cette semaine, avec un nouveau Premier ministre, un nouveau gouvernement,
00:53 et un grand coup de barre à droite – on va dire ça comme ça –, que vous inspire cette nouvelle donne gouvernementale française ?
00:59 — Je crois que j'ai lu en venant une réaction de M. Muselier, que vous devez connaître, et qui dit qu'il y a désormais plus de cadres républicains
01:08 de LR au gouvernement que dans le parti LR. Eh bien je pense que c'est un bon résumé. C'est un coup de barre à droite.
01:15 Et au-delà de ça, je pense qu'on est dans une stratégie qui est celle du coup de com' permanent. Et donc après le coup de com' à Tal,
01:22 on a le coup de com' en Rachida Dati. Moi, ce qui m'intéresse, c'est pas tellement le casting. C'est pour faire quelle politique,
01:28 quel changement de cap est-ce qu'il va y avoir un changement de cap. Et je pense qu'il n'y aura pas de changement de cap
01:33 pour une raison simple. C'est que, in fine, celui qui sera ministre de la Défense, ministre des Affaires étrangères,
01:40 ministre de la Culture, ministre de tout, c'est Emmanuel Macron lui-même. Et que donc il n'y aura pas de changement de cap
01:47 sur les questions de solidarité sociale, sur les questions de transformation écologique, sur les questions européennes
01:52 qui sont celles qui moi m'animent et dont je m'occupe. Et je veux savoir, ce nouveau gouvernement, M. le Premier ministre,
02:01 par exemple, est-ce que vous changez la position de la France sur la directive qui criminalise le viol à l'échelle du continent européen ?
02:09 Est-ce que vous arrêtez de bloquer la criminalisation du viol à l'échelle du continent européen ? Est-ce que vous arrêtez de bloquer
02:14 la directive sur les travailleurs des plateformes qui concernent des millions de travailleurs à l'échelle européenne
02:20 et qui permet de donner des droits à ces travailleurs qui sont les esclaves des temps modernes ? C'est ça moi qui m'intéresse,
02:26 c'est les questions de fond. — Je reviens quand même sur le coup de barre à droite. Est-ce que ça répond pas à une volonté
02:30 de l'opinion publique française qui se droitise, on le voit bien dans les sondages ? — Vous savez, le propre du macronisme
02:36 depuis le début, c'est d'être effectivement une sorte d'éponge et donc de suivre les sondages. Et quand les sondages indiquent
02:44 la nécessité d'un coup de barre à droite, eh bien il y a un coup de barre à droite. Moi, je crois à une autre forme de politique.
02:50 Je pense à la puissance des convictions. Je crois qu'on a besoin de cohérence, qu'on a besoin de vision, qu'on a besoin de cap.
02:56 Et donc oui, je pense que c'est un gouvernement qui est le produit d'une lecture des sondages. Mais on peut faire de la politique
03:02 différemment. On peut essayer aussi d'informer l'opinion publique. On peut essayer de fixer un horizon et de s'y tenir.
03:09 Et je pense que quand nos démocraties sont aussi fragiles qu'aujourd'hui, quand les enjeux sont à ce point immenses,
03:16 ce dont on a besoin, c'est d'une vision claire. Et je crois pas que depuis 6 ans, malheureusement, on ait eu cette vision.
03:22 — Alors au mois de juin, il y a l'horizon des élections européennes. Il y a 5 ans, vous étiez à la tête de liste PS,
03:29 place publique aux européennes. Est-ce que vous souhaitez rempiler dans la même configuration ?
03:34 — Je souhaite rempiler dans la même configuration et créer une dynamique profondément nouvelle. Je souhaite aussi
03:40 que le maximum de gens qui ne sont pas encartés nous rejoignent. Je souhaite qu'il y ait une dynamique qui montre
03:46 qu'on a la capacité en France à mobiliser autour des questions européennes. Moi, ce que je souhaite, c'est qu'on parle
03:54 du sujet de cette élection, c'est-à-dire l'Europe. Et c'est pour ça que vous avez raison de créer cette émission et que
03:59 je suis très honoré d'y participer, parce qu'il y a une tradition en France qui est de considérer que les européennes
04:05 sont un sondage entre deux présidentielles. Il y a une tradition qui est d'être obnubilé par la seule question de
04:12 qui sera le locataire de l'Élysée, parce qu'on vit encore dans une monarchie qui pense que la France décide de tout
04:17 toute seule. Or, les grandes décisions qui impactent les Français, les grandes décisions qui font notre avenir
04:24 et leur avenir, elles se prennent aujourd'hui à l'échelle européenne.
04:27 Les Français n'en ont pas forcément conscience.
04:30 Oui, mais vous allez au coin de la rue et vous avez un Starbucks et un café. Et bien, pourquoi le café paye trois fois
04:37 moins d'impôts sur les sociétés que le Starbucks ? C'est très concret, ça. Et bien, parce qu'à l'échelle européenne,
04:42 il n'y a pas de politique fiscale cohérente, parce que le vote à l'unanimité fait qu'on préserve les paradis fiscaux
04:48 sur notre continent. Et donc, chaque décision qui va être prise à l'échelle européenne, chaque avancée ou chaque recul
04:54 des politiques de solidarité à l'échelle européenne, ça a un impact immédiat. Vous savez, c'est à l'échelle européenne
04:59 qu'on décide, par exemple, de la grande transformation écologique de notre économie, de notre manière de produire,
05:05 de notre manière de consommer. C'est des lois, des normes qui vont impacter directement les citoyennes et les citoyens.
05:12 Et donc, on doit décider de manière démocratique, après un grand débat, de quelle politique on veut à l'échelle européenne.
05:19 La question qui nous est posée aujourd'hui, ce n'est pas "Est-ce qu'il faut faire barrage à Marine Le Pen ou est-ce qu'il faut
05:25 sanctionner Emmanuel Macron ?" La question qui nous est posée et qui doit nous animer pendant les mois qui viennent,
05:30 c'est "Quelle Europe voulons-nous dans une situation, et je veux vraiment insister là-dessus, dans une situation
05:37 qui est extrêmement grave ?" C'est sans doute l'élection la plus importante de l'histoire des élections européennes,
05:44 voire l'élection la plus importante de la décennie. Parce que l'Europe est en guerre. Et parce que juste après l'élection européenne,
05:52 vous aurez une élection américaine, qui peut porter au pouvoir Donald Trump, et qui fera que l'Europe sera seule.
05:58 Est-ce que nous sommes capables, aujourd'hui, de vivre seuls ? Est-ce que nous sommes capables de devenir adultes ?
06:04 Est-ce que nous sommes capables de défendre notre continent ? Tout cela n'est absolument pas clair et doit être débattu
06:09 au cours de cette campagne. — On va approfondir ces questions, Lionel.
06:13 — Oui. Une question chiffre, en fait. En 2019, vous avez obtenu 6,19% des suffrages. Là, vous êtes crédité à peu près
06:19 de 10% des voix. Vous voyez ça de bonne augure ? — Je pense qu'il y a une attente. Il y a une attente, déjà, à ce qu'on parle
06:26 du sujet de l'élection, et que si on est en train de monter, c'est parce qu'on essaye de répondre à la question de l'élection,
06:34 c'est-à-dire l'Europe. Et il y a aussi une attente pour autre chose dans la vie politique française que ce triptyque
06:40 qui domine cette vie depuis des années. Macron, Mélenchon, Le Pen. Le Pen, Macron, Mélenchon, Macron, Mélenchon, Le Pen.
06:49 Il y a autre chose. Il y a un appétit pour autre chose. Il y a des millions de citoyens qui veulent pouvoir voter
06:58 selon leurs convictions et qui, aux dernières élections, se sont scindés et ont choisi une part d'eux-mêmes
07:05 contre une autre. Ils ont peut-être choisi, pour ceux qui, finalement, ont voté Emmanuel Macron, de privilégier
07:12 leur attachement à la démocratie européenne sur leur conviction sociale ou leur volonté de transformation écologique.
07:20 Et à l'inverse, il y en a d'autres, beaucoup, qui ont voté pour Jean-Luc Mélenchon malgré ses positions sur l'Europe
07:26 et sur la géopolitique. Eh bien moi, je veux leur dire aujourd'hui qu'ils ne sont pas obligés de se scinder et qu'ils peuvent
07:32 voter en accord avec leurs convictions. Et les campagnes qu'on lance et qui mobilisent des centaines de milliers
07:37 de citoyennes et de citoyens sur des sujets concrets, ces campagnes qui mobilisent en particulier les jeunes,
07:43 eh bien ces campagnes permettent d'avoir aussi une autre approche de la politique et de ramener à la politique
07:49 des gens qui, finalement, ne se reconnaissent pas dans les partis traditionnels.
07:53 – Et alors justement, est-ce qu'à travers ça, et si on voit le coup d'après les élections européennes,
07:56 est-ce que vous pourriez, vous, incarner ce renouveau d'une gauche démocratique, d'une gauche modérée,
08:01 d'une gauche sociale démocrate qui est aujourd'hui absolument plus incarnée ?
08:04 – Permettez-moi d'être très besogneux, n'est-ce pas ? Et d'être obsédé par une chose, c'est le 9 juin.
08:10 Et déjà par convaincre les gens d'aller voter, de dire une chose très simple, si vous ne votez pas,
08:17 vous laissez les autres décider de votre avenir. Si vous voulez la transformation écologique, votez le 9 juin.
08:22 Si vous voulez de la solidarité sociale en Europe et pas le retour à l'austérité budgétaire,
08:26 votez pour que les sociodémocrates soient en tête à l'échelle européenne et ne fassent pas face
08:31 à une droite extrêmement dominante alliée à l'extrême droite.
08:34 Donc il y a des enjeux qui sont tellement massifs que je n'arrive pas à moi…
08:37 – Vous projetez plus loin.
08:38 – Mon esprit est trop limité, mais je n'arrive pas à me projeter dans l'au-delà.
08:42 Mais ce qui est certain, c'est qu'il y a besoin d'une gauche qui soit profondément démocratique,
08:46 qui soit attachée à la construction européenne, qui s'inscrive dans une tradition aussi,
08:49 qui a fait la grandeur de la gauche française.
08:51 Et ça, je crois que ceux qui ont décrété la mort de la social-démocratie,
08:55 se mordront les doigts dans quelques années quand ils verront que c'est tout sauf mort.
08:59 – Mais concrètement, vous ne pensez pas que la NUPES, d'une certaine façon,
09:02 a dégradé l'idée même d'une gauche de gouvernement ?
09:05 – Je ne pense pas.
09:06 Et je pense qu'il y aura une union de la gauche, mais qui se fera sans les outrances,
09:12 et sans la stratégie du clash permanent et du bruit et de la fureur de Jean-Luc Mélenchon.
09:18 Et donc je ne crois pas que la gauche soit morte, moi.
09:21 Je ne crois pas du tout, parce que tant que vous avez de tels profits du CAC 40,
09:27 et face à cela, des gens qui dorment dans la rue,
09:30 tant que vous avez des queues d'étudiants qui vont à la soupe populaire,
09:35 tant que vous avez une telle inertie sur la grande question qui se pose à nos sociétés,
09:42 qui est la transformation écologique de nos pays,
09:46 eh bien, il y a l'espace pour cette gauche.
09:48 Tant que vous avez aussi de telles menaces qui pèsent sur nos démocraties
09:52 et sur l'état de droit, eh bien, il y a de l'espace pour des gens
09:55 qui sont viscéralement attachés aux libertés publiques et à l'idée démocratique.
10:00 Et donc, moi je pense que, en fait, c'est notre responsabilité.
10:03 Si on est nul, c'est sûr que ça ne marchera pas.
10:06 Mais si on est bon, et si on parle différemment,
10:08 et si on ne se contente pas d'anonner ce que répètent les partis de gauche
10:12 depuis toujours avec une phrase zéologique qui ne fonctionne plus,
10:15 si on adopte de nouvelles manières de faire de la politique,
10:19 eh bien, on arrivera à faire renaître cet espace.
10:22 – Le PS a été nul pour vous ?
10:23 – Mais non, le PS c'est collectivement…
10:27 Enfin, je veux dire, on a tous échoué.
10:30 Et donc, il faut prendre en compte cet échec et retourner,
10:34 prendre son bâton de pèlerin, et même aller se faire engueuler d'ailleurs.
10:38 Aller se faire engueuler quand on…
10:40 Il ne faut pas simplement faire une campagne entre nous.
10:43 Moi, je veux aller dans les fermes, dans les usines,
10:46 je veux aller me faire engueuler par les classes populaires
10:49 qui ont le sentiment d'avoir été abandonnées par la gauche.
10:52 Je veux qu'on me dise "mais votre transformation écologique,
10:55 en fait, c'est que des normes érigées par des technocrates,
10:58 et finalement, ça nous pollue la vie".
11:00 Et je veux essayer d'expliquer que non,
11:02 notre projet de transformation écologique,
11:04 ce n'est pas simplement des normes, c'est aussi des investissements.
11:07 Ce n'est pas moins d'usines, c'est plus d'usines, c'est plus de CDI.
11:11 Et finalement, c'est la seule manière de réindustrialiser
11:14 et notre pays et le continent européen dans son ensemble.
11:17 Et donc, je crois qu'il faut qu'on accepte là
11:20 de prendre le bâton de pèlerin et de faire le tour de France.
11:23 – Raphaël Glucksmann, depuis les européennes de 2019,
11:26 beaucoup de choses ont changé en Europe.
11:28 La guerre s'est invitée aux portes de l'Europe
11:31 avec l'offensive russe en Ukraine.
11:34 Dans votre dernier livre "La grande confrontation",
11:36 vous avez évoqué, je cite, "l'incroyable cécité de l'Europe".
11:39 Alors, pourquoi n'avons-nous pas voulu voir
11:41 ce qui se préparait depuis des années ?
11:45 – C'est un vertige.
11:48 Moi, j'ai présidé la commission spéciale du Parlement européen,
11:51 dont j'ai demandé la création au premier jour de mon mandat,
11:53 commission spéciale du Parlement européen sur les ingérences étrangères.
11:57 Et j'ai passé des années, des centaines d'heures d'auditions,
12:01 des milliers de pages de notes compilées
12:04 des services de sécurité du continent européen,
12:07 à étudier la guerre hybride menée par le régime de Poutine
12:11 contre nos démocraties.
12:12 – C'est quoi une guerre hybride ?
12:13 – Une guerre hybride, c'est un état de "ni peine, ni guerre",
12:17 d'offensive permanente par les réseaux sociaux,
12:21 par les cyberattaques, par la corruption,
12:24 par l'assassinat de gens sur notre territoire,
12:27 contre nos démocraties.
12:29 Et c'est ça que je veux dire.
12:31 C'est que non seulement nos dirigeants ont été aveugles
12:34 face aux risques qui pesaient sur la Georgie, sur l'Ukraine,
12:37 sur les frontières est de notre continent,
12:39 mais nos dirigeants ont été aveugles et apathiques
12:44 face aux attaques contre notre propre sécurité,
12:47 contre notre propre souveraineté.
12:50 Quand les hackers russes attaquent l'hôpital de Corbeil-Essonne en France,
12:54 ce sont des docteurs français
12:56 qui n'ont plus accès aux dossiers médicaux des patients français.
13:01 Quand les milices Wagner ciblent nos soldats en Afrique, au Sahel,
13:06 ce sont des soldats français qui sont mis en danger
13:10 par les offensives russes.
13:12 Quand l'agence européenne du médicament est attaquée
13:14 au moment où elle doit statuer par les services russes,
13:17 au moment où elle doit statuer sur les vaccins,
13:19 c'est la santé des Européens qui est mise en danger.
13:22 Et donc, ce que je veux dire, quand un chancelier allemand
13:25 qui décide d'une politique énergétique folle
13:28 est ensuite engagé par Gazprom,
13:33 c'est l'avenir énergétique du continent européen
13:36 qui est impacté par une offensive de corruption
13:40 de la part du régime russe.
13:41 Et donc, ce que je veux dire,
13:42 c'est que quand on dit qu'il faut résister à Poutine,
13:45 c'est pas simplement par solidarité avec les Ukrainiens,
13:48 c'est parce qu'en réalité, Poutine se vit comme étant en guerre
13:51 contre nos nations, contre nos démocraties.
13:54 Ça veut dire que la guerre en Ukraine,
13:55 c'est la partie visible d'une guerre qui nous est faite par Poutine
14:00 et qui est préparée depuis des années.
14:01 Et qui n'a pas commencé le 24 février 2022.
14:04 Et c'est cela que nous avons analysé méthodiquement
14:07 au Parlement européen pendant quatre ans.
14:10 C'est là-dessus que j'ai travaillé.
14:11 Et c'est des questions de sécurité, de souveraineté pour nos nations,
14:15 pas simplement pour l'Ukraine, la Georgie
14:18 ou les pays voisins de la Russie.
14:20 Et comment vous expliquez de ne pas avoir été écouté,
14:22 alors, si vous avez, pendant tant d'années,
14:24 tant de pages, tant d'heures d'audition,
14:25 expliquer qu'il fallait se méfier ?
14:28 Je pense que... Vous savez, il y a un texte de Romain Garry
14:31 qui me suit depuis l'adolescence.
14:33 C'est un texte où Romain Garry se questionne sur
14:38 pourquoi les élites françaises n'ont-elles pas suivi
14:42 le général de Gaulle à Londres ?
14:44 Et il se demande, est-ce que c'est parce qu'elles étaient
14:47 profondément antisémites ? Non.
14:50 Profondément pro-allemandes ? Non plus.
14:52 Profondément nazis ? Non plus.
14:54 Alors c'est quoi, se demande Garry.
14:57 Eh bien c'est simplement, répond-il,
14:59 qu'elles aimaient trop leurs meubles.
15:01 Et je pense que ce...
15:03 cet amour des meubles, ce culte du confort,
15:06 cette idée que finalement, plus rien de grave n'allait arriver...
15:09 - Que plus rien ne vous arrivait, surtout.
15:10 - Voilà. Etait extrêmement ancré.
15:13 On a vécu, au sein des élites européennes,
15:16 dans le mythe de la fin de l'histoire.
15:18 Et donc toute nouvelle,
15:20 tout lanceur d'alerte qui arrivait et qui disait "attention,
15:23 quelque chose d'immense et d'extrêmement grave
15:26 va se produire. Nous avons un régime
15:29 aussi puissant que le régime russe qui se vit
15:31 et qui le dit à sa population depuis 20 ans,
15:33 comme étant en guerre contre nous,
15:35 ça ne peut produire qu'un chaos sécuritaire
15:37 sur le continent européen."
15:38 Tout cela était mis de côté.
15:40 Quand vous aviez des services de sécurité français
15:43 qui alertent le président de la République,
15:46 à l'époque c'était Nicolas Sarkozy,
15:48 et qui lui disent "ne laissez pas construire
15:51 ce centre culturel orthodoxe
15:53 dans le 7e arrondissement de Paris
15:54 parce que ça va être une station d'écoute
15:56 contre nos institutions."
15:58 Et que vous avez le président de la République
15:59 qui s'assoit sur les notes de ses propres services de sécurité
16:03 pour faire plaisir à son copain Medvedev.
16:06 Et bien quand vous avez cela qui se produit,
16:08 vous avez ensuite une démoralisation
16:10 dans les services de l'État.
16:11 Vous avez un abaissement de la garde
16:14 et vous avez une responsabilité immense du politique
16:18 qui a préféré son propre confort,
16:19 ses propres illusions,
16:21 à la sécurité de l'ensemble du continent européen.
16:23 Et donc il faut sortir de cela.
16:25 Aujourd'hui il y a une prise de conscience, ou pas ?
16:29 À moitié.
16:31 Oui, les gens qui nous dirigent
16:34 ont compris que quelque chose de dangereux arrivait.
16:37 Oui, ils ont décidé d'une politique de soutien à l'Ukraine,
16:40 mais cette politique est extrêmement limitée.
16:44 On fournit à l'Ukraine de quoi ne pas totalement perdre la guerre,
16:49 mais pas de quoi la gagner.
16:51 Et vous avez des chiffres qui sont aujourd'hui extrêmement inquiétants.
16:57 L'aide américaine et l'aide européenne est en train de se tarir.
17:01 Donc Ola Schultz a raison cette semaine
17:03 quand il dit que le soutien est insuffisant ?
17:05 J'allais y venir.
17:06 Vous vous rendez compte, vous avez un chancelier allemand.
17:08 Ça devrait faire réfléchir tous les Français.
17:10 Vous avez un chancelier allemand
17:12 qui au départ était extrêmement lent
17:15 dans sa réaction à l'invasion de l'Ukraine,
17:18 qui s'inscrivait dans une tradition pacifiste allemande
17:22 et philo russe en réalité,
17:26 et qui progressivement a changé.
17:28 Et aujourd'hui ce chancelier-là
17:30 alerte sur la faiblesse de l'aide apportée par la France.
17:34 La France est aujourd'hui l'avant-dernier pays
17:38 rapporté à son PIB en matière d'aide à l'Ukraine en Europe.
17:43 Et je pense que les élites françaises
17:46 n'ont pas encore compris ce qui se jouait en Ukraine.
17:49 Le risque de défaite aujourd'hui en Ukraine, il est réel ?
17:53 Il est réel si nous ne changeons pas de braquet.
17:55 En juin 2022, le président Macron a dit
17:59 qu'il fallait passer en mode économie de guerre
18:01 pour reproduire à nouveau des armes.
18:04 Il ne s'est quasiment rien passé depuis.
18:06 Les institutions européennes ont essayé,
18:08 le commissaire breton a essayé.
18:10 On a voté en toute urgence un plan
18:13 pour relancer la production en Europe,
18:16 de munitions en particulier.
18:17 Ce plan qui s'appelait ASAP, As Soon As Possible,
18:20 aussi vite que possible,
18:22 devait fournir un million d'obus, par exemple,
18:26 de munitions à l'Ukraine.
18:28 Nous n'y sommes pas. Pourquoi nous n'y sommes pas ?
18:30 Pas parce que l'Europe n'a pas fait son travail,
18:32 les fonds y sont arrivés pour relancer la production.
18:34 Mais parce qu'à Paris, on décide par exemple
18:36 qu'on va vendre cette production
18:41 aux Émirats Arabes Unis, à l'Arabie Saoudite,
18:43 au lieu de les livrer à l'Ukraine.
18:45 Et donc, ça veut dire qu'on n'a pas saisi
18:47 ce qui était en jeu et qui n'est pas simplement
18:49 le destin de l'Ukraine,
18:51 qui est le destin du continent européen dans son ensemble.
18:55 Et il faut rompre avec cette forme de somnambulisme.
19:00 D'autant plus, je le répète,
19:02 qu'il est possible que l'aide américaine s'arrête,
19:05 que le parapluie américain disparaisse,
19:07 et que donc, ce soit notre responsabilité
19:09 en tant qu'Européens d'assurer la sécurité
19:12 de notre continent.
19:14 Et est-ce que nous sommes prêts à le faire ?
19:16 Eh bien, je crois malheureusement
19:18 qu'aujourd'hui, nous ne sommes pas prêts à le faire
19:20 et que Paris porte une grande responsabilité là-dessus,
19:23 puisque finalement, en fait, si vous voulez,
19:27 Emmanuel Macron aurait dû devenir le leader
19:30 du front de résistance européen à Vladimir Poutine.
19:34 Il avait tout pour le faire.
19:35 Notre économie était beaucoup moins connectée
19:37 à l'économie russe que l'économie allemande.
19:40 Nous n'avions pas fait le choix du gaz russe.
19:42 Nous étions libres de le faire.
19:45 Nous vous avons en plus une armée,
19:47 une tradition de sécurité.
19:49 C'était l'opportunité pour la France, si vous voulez,
19:51 de prendre un leadership en Europe
19:53 qu'elle a perdu il y a bien longtemps.
19:54 Les enjeux principaux n'étaient plus en Europe
19:58 votre production industrielle, votre économie,
20:01 votre puissance commerciale.
20:03 C'était devenu des enjeux géopolitiques et sécuritaires.
20:05 Et là-dessus, on avait quelque chose à dire
20:07 de différent de l'Allemagne.
20:09 On avait quelque chose à dire au continent européen.
20:12 Et Emmanuel Macron a décidé de ne pas prendre ce rôle.
20:15 Et c'est sa responsabilité face à l'histoire.
20:17 Et il est plus qu'urgent qu'il y ait un changement de braquet.
20:22 Et donc, quand on interroge le nouveau Premier ministre,
20:25 le nouveau gouvernement sur ce qu'ils veulent faire,
20:29 je pense qu'une des premières questions
20:30 qu'on doit leur poser, c'est quand est-ce que vous devenez
20:34 leader en Europe dans l'aide à la résistance ukrainienne ?
20:38 Alors, on leur posera quand on les rencontrera.
20:40 En attendant, on va revenir à quelque chose
20:43 qui vous inquiète aussi sur l'Europe,
20:44 c'est la montée des populistes.
20:45 Mais d'ailleurs, il y a un lien aussi direct
20:46 avec Poutine, bien sûr.
20:48 L'Europe est aujourd'hui confrontée à cette montée,
20:50 notamment avec des majorités dirigeantes,
20:51 en Italie avec Giorgia Meloni,
20:53 en Hongrie avec Victor Orban,
20:54 mais aussi avec des participations
20:56 de partis d'extrême droite dans des gouvernements,
20:58 par exemple dans le nord de l'Europe, en Scandinavie.
21:00 Là où il y avait une vraie tradition de social-démocratie,
21:03 comment on explique ce revirement ?
21:06 Déjà, merci de le souligner, c'est massif
21:09 et c'est à travers toute l'Europe.
21:12 Il n'y a plus un pays qui est immunisé.
21:16 On a longtemps pensé que l'Allemagne,
21:17 par son histoire, était préservée.
21:20 En réalité, quand vous regardez les sondages d'aujourd'hui,
21:22 l'AfD, le parti de l'extrême droite allemande,
21:24 est extrêmement haut.
21:26 Et donc, vous avez cette vague qui balaye
21:29 le continent européen.
21:31 Pourquoi ? Parce qu'il y a un sentiment d'impuissance
21:35 qui se retrouve partout en Europe.
21:38 Il y a une baisse extrêmement nette
21:41 de l'attachement au consensus démocratique,
21:44 aux institutions démocratiques.
21:46 Il y a cette idée, si vous voulez,
21:48 que la démocratie telle qu'elle fonctionne aujourd'hui
21:51 est impuissante et faible.
21:53 Et donc, face à ce sentiment d'impuissance,
21:56 face à ce sentiment de déclassement aussi
21:58 des nations européennes,
22:00 il y a une réponse toute faite qui est proposée,
22:02 qui est celle de l'extrême droite.
22:04 Et cette réponse toute faite,
22:05 elle se décline dans toutes les langues européennes.
22:08 Et d'ailleurs, au-delà de l'Europe,
22:09 elle se décline aussi aux États-Unis
22:11 et dans toutes les démocraties occidentales.
22:13 Et donc, si nous ne répondons pas
22:15 à ce sentiment d'impuissance,
22:17 si nous ne montrons pas que l'Union européenne
22:18 peut reprendre en main le destin de l'Europe,
22:22 que finalement, la démocratie ne rime pas
22:24 avec la faiblesse,
22:26 eh bien, il faut s'attendre à réellement perdre
22:30 ce que nous pensions acquis,
22:32 c'est-à-dire le cadre démocratique
22:33 dans lequel nous vivons depuis que nous sommes nés.
22:35 Est-ce qu'on peut se retrouver au lendemain du 9 juin
22:37 avec un Parlement populiste,
22:39 quand on voit que, par exemple,
22:40 Bardella en France est largement en tête des sondages,
22:42 10 points devant la liste future du gouvernement,
22:45 par exemple,
22:46 il y a un vrai risque ?
22:48 Il y a un risque
22:49 qu'il y ait une force dominante d'extrême droite.
22:52 Il y a un risque, et c'est bien pour cela
22:53 qu'il faut se battre
22:54 et que ces élections sont absolument vitales.
22:57 Il y a un risque, et il faut rappeler partout
22:59 ce que ce risque veut dire,
23:01 et ce n'est pas sans lien avec la discussion
23:03 qu'on vient d'avoir.
23:04 Vous avez là des patriotes,
23:06 qui sont des...
23:07 Enfin, qui se disent patriotes,
23:08 qui sont en réalité des patriotes de Pakotie,
23:10 qui, pendant des années,
23:12 se sont mis au service partout en Europe.
23:14 C'est vrai du RN,
23:16 c'est vrai de l'AFD,
23:17 c'est vrai du FPO en Autriche,
23:18 qui se sont mis au service d'une tyrannie étrangère,
23:22 hostile à nos intérêts
23:24 et à nos principes,
23:25 aux intérêts stratégiques de nos nations,
23:27 d'une tyrannie étrangère qui menaçait
23:29 notre souveraineté et notre sécurité.
23:31 Et donc, il faut leur dire aussi
23:34 ce qu'ils ont fait et ce qu'ils font.
23:38 Et au Parlement européen,
23:39 eh bien ces extrêmes droites
23:41 votent contre tout ce qui nous permet
23:43 de réarmer l'Europe,
23:44 contre tout ce qui nous permet
23:46 de retrouver une puissance productive en Europe.
23:48 Et finalement, leur idéologie
23:51 est d'abord anti-européenne
23:53 et hostile aux démocraties libérales,
23:55 et bien plus que
23:57 dans la volonté de défendre
23:59 les intérêts des peuples européens.
24:01 Mais je vais être un peu l'avocat du diable,
24:02 est-ce que vous ne croyez pas finalement
24:03 que ça correspond un peu à l'état de l'opinion publique,
24:06 qui n'en a cure de ce qui se passe en Ukraine,
24:07 et qui ne s'inquiète que de son pouvoir d'achat ou autre chose ?
24:09 Je parle de l'opinion publique européenne.
24:11 Mais vous voulez défendre le pouvoir d'achat.
24:13 Vous voulez réindustrialiser votre pays.
24:17 Vous voulez enfin ne plus dépendre
24:21 de décisions prises par des grands groupes
24:23 aux Etats-Unis d'Amérique,
24:25 pour savoir si la manière dont vous pouvez communiquer
24:28 ou la manière dont vous pouvez vivre.
24:30 Vous avez besoin de l'Union Européenne,
24:32 et vous avez besoin de donner plus de pouvoir
24:35 à l'échelle européenne.
24:37 Et l'extrême droite s'oppose à tout cela.
24:40 En fait, ce sont les idiots utiles à la fois du poutinisme
24:42 et des grandes multinationales,
24:44 parce qu'ils empêchent l'Europe de devenir
24:46 un acteur politique puissant.
24:47 Et ça, tout le monde veut reprendre en main les choses.
24:51 Tout le monde veut rompre avec cette apathie du politique,
24:55 avec ce sentiment d'impuissance.
24:58 Mais la seule manière de le faire,
25:00 c'est de le faire à l'échelle européenne.
25:01 Détricoter l'Union Européenne aujourd'hui,
25:04 c'est assurer le triomphe des multinationales.
25:06 Détricoter l'Union Européenne aujourd'hui,
25:08 c'est être certain que vous ne pourrez plus avoir d'impact
25:13 ni sur la question migratoire,
25:15 ni sur la question de la sécurité,
25:17 ni sur la question de l'industrie,
25:19 ni sur la question de l'emploi et du pouvoir d'achat.
25:22 Et cela, c'est quelque chose qu'il faut marteler partout.
25:26 Parce que moi, j'ai vu au Parlement européen ce qu'ils font.
25:30 Et ce qu'ils font, c'est profondément hostile
25:34 aux intérêts des citoyennes et des citoyens français.
25:36 - Alors malgré tout, il n'y a rien d'inéluctable.
25:38 Parce qu'on vient de le voir en Pologne,
25:39 le gouvernement populiste a été balayé,
25:41 enfin pas balayé, mais en tout cas renversé
25:43 par Donald Tusk, qui est relié au pouvoir
25:44 et qui lui incarne une vision plus centriste européenne.
25:46 - Il n'y a rien d'inéluctable.
25:48 - Ça vous réjouit, j'imagine ?
25:50 - Oui, bien sûr.
25:51 Ça me réjouit ce qui s'est passé en Pologne.
25:53 C'est d'ailleurs le retour de la Pologne au cœur de l'Europe
25:56 et ce sera une nation fondamentale de l'avenir européen.
26:00 Mais il n'y a aucune fatalité en politique.
26:04 Simplement, ce qu'il faut, c'est aller dans le débat,
26:09 dans le combat politique,
26:10 avec au moins autant de foi que nos adversaires,
26:15 avec au moins autant de passion que nos adversaires d'extrême droite.
26:18 Pourquoi ?
26:19 Parce que cette attitude qui considérerait en gros
26:22 que faire du fact-checking des discours des leaders populistes suffirait,
26:28 est une attitude perdante.
26:30 Le côté "Oh, il ne faut pas penser comme ça,
26:33 c'est dangereux, ça ne suffit pas."
26:35 Il faut réinventer un récit européen et démocratique.
26:39 Il faut en fait, vous savez, on a été collectivement,
26:43 et ça ce n'est pas simplement les politiques,
26:44 c'est aussi les médias, c'est aussi les élites culturelles,
26:49 on a été des démocrates par habitude, par inertie,
26:53 par leg, par héritage.
26:55 Et maintenant, il faut redevenir des démocrates de combat
26:57 parce que rien de ce que nous pensions acquis ne l'était en réalité.
27:02 Et finalement, tout est extrêmement fragile.
27:05 Et donc, si nous ne reprenons pas, si vous voulez, le bleu de chauffe
27:09 et nous ne sommes pas capables de montrer autant de passion
27:11 dans le débat public que M. Bardella, Mme Mélanie
27:16 ou M. Strauch en Autriche, eh bien nous perdons.
27:21 Vous parlez de la démocratie européenne,
27:24 précisément le fonctionnement de l'Europe, en tout cas vu de France,
27:26 est souvent mal compris et souvent opaque.
27:28 Est-ce que vous pensez qu'il faut simplifier les choses
27:30 ou mieux les expliquer ?
27:32 Il faut faire les deux.
27:33 Et il faut rendre l'Europe démocratique et politique.
27:36 Elle ne l'est pas.
27:38 On a délégué à l'Europe un rôle qui est celui d'être une technostructure
27:42 qui émet des normes.
27:44 Donc au bout d'un moment, il y a une révolte contre les normes
27:47 qui sont émises à l'échelle européenne.
27:49 Prenons un exemple concret, parce que là, ça reste très abstrait.
27:53 La transformation écologique.
27:55 Vous avez le pacte vert européen.
27:57 Le pacte vert européen, c'est un ensemble de règles
28:01 qui sont nécessaires,
28:03 mais qui sont simplement des règles, des normes, des limitations.
28:07 Plus de voitures thermiques, neuves, 2035, par exemple,
28:12 ou toutes les normes environnementales.
28:14 Si vous n'avez que ça,
28:17 alors ça sera vécu comme une restriction
28:20 et une limitation insupportable par les peuples.
28:23 Il faut, en plus de cela, donner à l'Europe les moyens
28:27 d'avoir un grand plan d'investissement,
28:29 d'avoir une politique industrielle de la transition.
28:33 Finalement, quand vous comparez ce que font les Européens,
28:36 parce qu'ils n'ont pas d'autres moyens, en réalité, à l'échelle européenne,
28:40 et ce que font les Américains ou les Chinois,
28:42 qui embrassent aussi aujourd'hui, et c'est nouveau,
28:45 la transformation écologique.
28:46 En Chine, c'est un grand projet qui vise à légitimer le régime.
28:50 C'est un grand projet politique d'investissement.
28:52 Et aux États-Unis, c'est l'Inflation Reduction Act de Biden,
28:55 c'est-à-dire un immense projet de réindustrialisation
28:59 dans les industries vertes.
29:02 Et ça se fait à coût d'investissements massifs.
29:05 Sauf qu'en Europe, il n'y a pas le budget pour faire ça.
29:08 Et il n'y a pas non plus le discours politique qui fixe le cap.
29:11 Et comment on change ça, concrètement ?
29:13 On assume enfin de construire l'Union européenne.
29:16 On est resté dans un entre-deux pendant si longtemps.
29:19 Et les États-nations ont fait en sorte, le Conseil a fait en sorte,
29:24 le Conseil, donc les États membres,
29:25 que l'Europe n'ait pas de pouvoir politique,
29:29 n'ait pas même de discours politique.
29:31 Et donc, si on ne sort pas de ça, on n'y arrivera pas.
29:35 Il faut une réforme des traités.
29:37 Il faut sortir, par exemple, de la règle de l'unanimité
29:42 sur les questions fiscales ou sur les questions géopolitiques.
29:44 Il faut passer au vote à la majorité qualifiée.
29:46 Il faut assumer de construire réellement l'Europe.
29:49 En réalité, aujourd'hui, on est dans un décalage démocratique
29:52 complètement lunaire, c'est-à-dire qu'à l'échelle européenne,
29:55 on prend des décisions qui impactent la vie de tout le monde.
29:57 Et en même temps, ici, on pense encore que la politique
30:01 est réservée à l'échelle nationale.
30:03 Et donc, ce décalage-là, si on n'y répond pas maintenant,
30:07 en réalité, on va avoir l'extrême droite au pouvoir.
30:10 On va avoir une insurrection nationaliste et populiste
30:12 partout en Europe.
30:14 Et donc, c'est le moment de la confrontation de deux projets.
30:16 En fait, face à la gravité du moment,
30:20 il n'y a que deux projets qui soient réellement cohérents.
30:22 Un projet qui assume un saut dans la construction européenne
30:28 et un projet qui propose de détruire ce qui a été construit
30:31 et de revenir à l'échelle nationale.
30:34 Le reste, c'est de l'entre-deux, c'est du "et en même temps",
30:39 c'est du statu quo, c'est du surplace.
30:42 Et il faut assumer ce saut dans la politique européenne.
30:47 Concrètement, comment l'Europe peut devenir le leader
30:50 du combat écologique mondial ?
30:55 En construisant la deuxième étape de ce pacte vert européen,
31:04 en changeant ses politiques commerciales
31:07 et en menant une grande politique industrielle en Europe,
31:12 sur toutes les technologies de la transition.
31:16 Aujourd'hui, ce n'est pas fait.
31:18 Et c'est ce qui manque pour qu'on devienne vraiment
31:20 le leader européen.
31:21 Vous savez, nous sommes encore le premier marché du monde.
31:25 Donc il faut utiliser ce marché comme levier.
31:29 Et parce que nous refusons les investissements,
31:32 parce que nous avons ce culte du libre-échange,
31:34 ce culte de la concurrence libre et non faussée,
31:37 ce culte de l'austérité budgétaire à l'échelle européenne,
31:40 eh bien nous sommes incapables d'avoir réellement
31:42 une politique industrielle.
31:43 Or, tout se joue là.
31:44 Dans notre capacité à devenir le leader faussé,
31:47 on avait en Europe des champions de la production
31:50 de panneaux photovoltaïques.
31:53 Ils ont été ratiboisés.
31:56 - C'est uniquement en Chine maintenant.
31:57 - Ratiboisés par la concurrence chinoise.
31:59 Une concurrence qui repose sur l'esclavage des Ouïghours
32:02 pour la production du polysilicium,
32:06 sur des subventions, sur des ventes à pertes
32:09 totalement illégales.
32:10 Donc une concurrence absolument déloyale,
32:12 mais qui a ratiboisé notre production
32:14 à cause de l'imbécilité de nos politiques commerciales
32:18 et du fait qu'on ait considéré que l'ouverture des frontières
32:21 aux produits venant de l'extérieur
32:23 était en soi une chose magnifique
32:25 et un dogme auquel on ne pouvait pas toucher.
32:28 Et donc ce qu'il faut, c'est revenir sur ces politiques-là.
32:31 C'est développer une forme de protectionnisme écologique
32:34 qui favorise la production en Europe
32:37 de ce qui est stratégique pour notre avenir.
32:39 C'est empêcher que la même chose qui est arrivée
32:43 aux panneaux solaires arrive à la production d'éoliennes.
32:48 C'est faire en sorte qu'on saisisse l'opportunité
32:52 de cette grande transformation de notre production,
32:55 de notre consommation, qu'est la transformation écologique,
32:58 pour en faire un accroissement de la puissance industrielle européenne,
33:01 un retour à l'industrie en Europe.
33:04 Vous savez, quand on prend la transition énergétique,
33:08 les sociétés européennes se vivent comme étant quasiment en décadence
33:13 depuis le premier choc pétrolier.
33:15 Parce que soudainement, on s'est rendu compte que notre avenir
33:18 ne dépendait plus de nous, que nous étions assujettis
33:22 aux décisions de gouvernements, par exemple de l'OPEP.
33:26 Et là, cette transition énergétique,
33:29 c'est pas simplement sauver le climat et sauver le monde.
33:32 Cette transition énergétique, c'est retrouver notre souveraineté,
33:35 passer au renouvelable, accepter, contrairement au dogme écolo,
33:42 du nucléaire dans notre mix énergétique.
33:44 Eh bien, c'est récupérer de la souveraineté.
33:47 Mais il faut des investissements massifs dans les renouvelables,
33:50 ce que les Français n'ont absolument pas fait.
33:54 Et c'est profitable du point de vue écologique,
33:57 mais c'est aussi profitable du point de vue géopolitique,
34:00 du point de vue de la souveraineté et du point de vue du pouvoir d'achat.
34:03 Et donc, il y a là, si vous voulez, un tournant
34:06 qu'il ne faut absolument pas qu'on rate et qui se décide,
34:08 notamment le 9 juin avec ces élections.
34:11 Si vous avez une majorité conservatrice et d'extrême droite
34:14 au Parlement européen, il n'y aura pas ce tournant.
34:17 Il n'y aura pas cette bascule.
34:18 Si vous avez par contre une majorité sociale démocrate
34:22 au Parlement européen, cette bascule sera au cœur
34:25 du mandat du Parlement et au cœur des politiques européennes.
34:29 Donc, on définit notre avenir pour des décennies en réalité.
34:35 Et si on rate cette bifurcation, ce ne sera pas simplement
34:38 une catastrophe écologique, mais ce sera une catastrophe
34:40 économique et une catastrophe politique.
34:42 On ne doit pas aller forcément vers une Europe de la sobriété.
34:46 Et la sobriété, en fait, est un argument réaliste.
34:50 Ce n'est pas un truc de Hamish ou ce n'est pas un truc de Zadiste.
34:54 La sobriété, quand on est une nation qui importe
34:57 des hydrocarbures, quand on est une nation qui...
35:00 un continent dans son ensemble, qui s'est lié à des puissances
35:05 tyranniques, simplement parce qu'elles étaient productrices
35:08 de gaz et de pétrole, la sobriété, c'est le réalisme.
35:12 Ça ne veut pas dire qu'on va vivre avec des chandelles.
35:14 Ça veut dire qu'en fait, on peut faire des économies d'énergie,
35:16 qu'on peut lancer un grand plan de rénovation thermique
35:20 des logements, des bâtiments, qui va nous permettre
35:22 non seulement de gagner du pouvoir d'achat,
35:25 mais aussi de moins dépendre de puissances hostiles.
35:29 Donc moi, ce que je veux, c'est qu'on arrive à reformuler
35:32 cette transformation écologique dans le langage du réalisme.
35:34 Ce n'est pas une idéologie.
35:36 Ce n'est pas simplement un horizon messianique de sauver le monde.
35:42 C'est profondément nécessaire d'un point de vue réaliste
35:46 pour nos pays.
35:48 - Oui, vous appelez de vos voeux une Europe plus sociale,
35:51 mais est-ce que c'est possible alors que l'Union a été fabriquée,
35:54 structurée sur des impératifs économiques ?
35:57 - Pour ça, il faut sortir de trois dogmes
36:01 qui ont structuré les politiques européennes
36:03 pendant des décennies.
36:06 Le libre-échange généralisé comme étant une valeur en soi,
36:08 moi, je ne suis pas contre l'échange,
36:10 mais le commerce doit servir des intérêts stratégiques,
36:14 des ambitions.
36:16 C'est un moyen et pas une fin.
36:18 On doit sortir de la concurrence libre et non faussée
36:20 vécue comme un absolu.
36:23 Et on doit sortir des règles d'austérité budgétaire.
36:27 Si on fait ça,
36:29 eh bien, c'est possible de développer une politique sociale.
36:31 Mais pour cela, il faudra que l'Europe soit dotée
36:35 de ressources propres, d'un budget européen.
36:38 Et c'est pour ça que, finalement,
36:40 quand on dit "l'Europe n'est pas sociale",
36:43 oui, mais qui donne à l'Europe les moyens d'aide sociale ?
36:46 Si vous voulez faire des grands fonds d'aide, par exemple,
36:49 comme les fonds de cohésion,
36:50 aujourd'hui, c'est limité parce que
36:54 toutes les ressources de l'Europe
36:55 proviennent de ce que donnent les États membres.
36:58 Et donc, finalement, c'est la France, l'Allemagne,
37:00 c'est ça qui décide si l'Europe est sociale ou pas.
37:03 Moi, ce que je veux et ce que nous proposons,
37:06 c'est qu'il y ait désormais des ressources propres.
37:08 Nous avons lancé une grande initiative citoyenne européenne.
37:10 Des centaines de milliers de citoyens européens se mobilisent
37:13 pour avoir, par exemple,
37:15 un impôt sur les grands patrimoines en Europe
37:19 pour financer une transition écologique juste.
37:22 Vous avez le mécanisme d'ajustement carbone,
37:26 aussi appelé "taxe carbone" aux frontières,
37:29 qui va rapporter de l'argent et il faut l'étendre.
37:31 Vous avez des ressources propres à aller chercher
37:35 pour faire en sorte que l'Europe puisse
37:38 avoir des politiques sociales.
37:40 Et c'est ça l'enjeu de ces élections aussi.
37:42 Au cœur du projet que les sociodémocrates européens vont porter,
37:46 c'est cette idée simple qui était d'ailleurs
37:48 l'idée portée par Jacques Delors après son départ de la Commission.
37:51 C'est que nous ne sommes pas contre le marché européen.
37:55 Nous pensons que c'est une immense avancée.
37:57 Mais que cette avancée doit être un levier
38:00 pour développer une politique sociale.
38:02 Si nous ne le faisons pas,
38:04 alors tout sera détricoté.
38:06 Mais on peut le faire à 27 ?
38:07 Il y a 27 pays absolument différents,
38:09 comment on fait pour harmoniser tout ça ?
38:11 On peut le faire à 27.
38:13 On peut avoir des fonds pan-européens à 27.
38:18 Et de toute façon, si on n'arrive pas à le faire à 27,
38:20 on n'arrivera pas à le faire à 4 non plus.
38:21 Parce qu'en réalité, les pays qui bloquent,
38:23 ce n'est pas nécessairement les pays qui viennent d'entrer.
38:26 Dans les pays fondateurs,
38:27 il y a des pays dits "frugaux" qui bloquent
38:31 et qui font de l'austérité budgétaire un totem.
38:34 Donc le problème de la discussion,
38:36 il n'est pas tellement là avec l'Estonie.
38:38 Le problème, là, il est avec les Pays-Bas.
38:41 Ce que je veux dire,
38:42 ce n'est pas l'élargissement qui rend impossible
38:44 le développement de politique sociale.
38:47 C'est là où il peut y avoir l'utilité d'un vote à la majorité aussi.
38:49 C'est exactement ça l'enjeu.
38:51 C'est qu'en fait, il faut rendre le débat politique.
38:54 Tant qu'on est dans un face-à-face, soyons clairs,
38:56 tant qu'on est dans un face-à-face
38:58 entre la France et l'Allemagne
39:00 comme leader des pays frugaux,
39:01 on n'y arrivera pas.
39:02 Par contre, si on passe à une décision à la majorité qualifiée
39:05 dans une Europe large, justement,
39:07 eh bien, on aura beaucoup plus de chances
39:09 de développer des politiques qui soient moins dominées
39:12 par l'idéologie pure de l'austérité et du libre-échange.
39:16 Et donc là, on aura une opportunité plus grande.
39:19 Mais pour ça, il faut qu'on arrive, encore une fois,
39:21 à gagner le débat politique.
39:22 Parce que quand on dit "l'Europe, elle est libérale",
39:26 oui, enfin, l'Europe, elle est ce qu'on veut qu'elle soit.
39:28 Donc à un moment, moi, j'entends une part de la gauche française
39:32 qui dit "mais jamais vous ne pourrez faire quelque chose en Europe
39:35 parce que l'Europe, elle est dominée par des politiques libérales".
39:38 Oui, ben, dans ce cas-là, investissez la question européenne,
39:41 gagnez les élections, et on aura des politiques social-démocrates.
39:44 Je veux dire, quand on a à la tête de la présidence de la commission
39:49 Jacques Delors ou Barroso,
39:51 c'est pas la même politique, c'est pas la même chose.
39:53 Donc, en fait, il faut comprendre que, comme en France,
39:56 en France, vous pouvez avoir des politiques libérales,
39:59 des politiques socialistes, des politiques conservatrices,
40:02 vous voyez, mais c'est vous qui décidez, non ?
40:04 Enfin, vous faites une élection, et après, vous avez une majorité politique.
40:07 Et bien, c'est la même chose en Europe.
40:09 Si on a une majorité politique de gauche, on aura une politique beaucoup plus sociale.
40:12 Même chose pour la fiscalité, j'imagine ?
40:14 Mais la fiscalité, c'est un enjeu fondamental.
40:19 Je reviens toujours à cet exemple du PMU et du Starbucks,
40:24 au coin de la même rue.
40:26 Pourquoi ils paient pas les mêmes impôts sur la société ?
40:28 Parce qu'il n'y a pas de cohérence fiscale.
40:30 Et pourquoi il n'y a pas de cohérence fiscale en Europe ?
40:32 Pourquoi il n'y a pas de lutte contre les paradis fiscaux ?
40:35 - Parce que certains, peut-être, profitent de certaines règles ?
40:37 - Parce que, par exemple, vous avez un pays,
40:39 alors, c'est pas un pays de l'Est, là, c'est des Pays-Bas,
40:41 qui décident de se comporter, ou l'Irlande,
40:43 comme un paradis fiscal.
40:45 Donc, la seule solution, là aussi,
40:48 passage à la majorité qualifiée,
40:50 où on décide de politiques fiscales
40:52 qui ne détruisent pas,
40:54 ne détricotent pas,
40:56 les solidarités européennes.
40:58 - Mais il n'y a pas un risque d'avoir plein de petits Brexit,
41:00 si on arrive à ça,
41:02 pour ces pays qui veulent garder leur souveraineté, là-dessus ?
41:04 - Mais vous pouvez pas, à la fin...
41:06 Vous comprenez, il y aura toujours un risque.
41:08 Mais si on reste dans cet entre-deux,
41:10 on est dans une contradiction totale.
41:12 Vous faites un marché commun.
41:14 Vous faites la libre circulation au sein d'un marché commun,
41:16 et dans le même temps, vous n'avez pas d'harmonisation fiscale.
41:19 Le résultat, c'est nécessairement
41:21 le fait que certains vont chercher
41:23 à tirer l'ensemble des sièges sociaux,
41:25 pour une raison très simple.
41:27 C'est que ça leur apporte de l'argent,
41:29 même si c'est au détriment des autres pays européens.
41:31 Et donc, vous avez besoin de passer à cette étape.
41:33 Vous avez besoin,
41:35 sinon l'ensemble va être détricoté.
41:37 Et je crois qu'en ce moment,
41:39 c'est possible,
41:41 pour une raison simple.
41:43 C'est que la pandémie, d'abord,
41:45 puis la guerre,
41:47 et l'invasion de l'Ukraine,
41:49 ont bouleversé
41:51 les manières de penser
41:53 à l'échelle européenne.
41:55 Je veux dire, avant la pandémie,
41:57 est-ce que vous auriez imaginé
41:59 que les contribuables allemands
42:01 allaient se porter garant
42:03 des emprunts italiens ?
42:05 Est-ce que vous aviez imaginé
42:07 la mutualisation des dettes ? Non.
42:09 Est-ce que
42:11 on aurait pu imaginer,
42:13 avant la pandémie, avant qu'on se rende compte
42:15 qu'on était en Europe plus capables
42:17 de produire des masques,
42:19 de produire des médicaments,
42:21 qu'on était plus capables de produire quoi que ce soit, quasiment,
42:23 eh bien,
42:25 de nouvelles politiques commerciales qui visent
42:27 à protéger les productions européennes contre tout
42:29 ce qui avait été fait pendant 30 ans ? Non.
42:31 De la même manière, est-ce que vous auriez pensé
42:33 que la facilité européenne
42:35 pour la paix,
42:37 qui était une sorte de petit bidule,
42:39 devienne une grande centrale
42:41 d'achat d'armement en faveur
42:43 de la résistance ukrainienne ? Non.
42:45 Et donc, les mentalités sont en train
42:47 de changer, et ce qu'on décide maintenant,
42:49 c'est notre capacité
42:51 à faire un saut ou pas.
42:53 Et ça, ça dépendra des urnes.
42:55 On vit en démocratie.
42:57 On n'a pas encore perdu ça.
42:59 Et donc, si on ne se mobilise pas,
43:01 eh bien, rien ne se produira. Mais je crois qu'aujourd'hui,
43:03 on est vraiment, et ce n'est pas
43:05 l'intelligence des dirigeants européens, c'est simplement
43:07 l'histoire qui a frappé à la porte à nouveau dans sa dimension
43:09 la plus tragique, et aujourd'hui,
43:11 on a un moment plastique de notre histoire.
43:13 Donc, on peut soit avancer, soit s'effondrer.
43:15 Alors, un des gros enjeux aussi, et on en terminera
43:17 avec ce chapitre des élections
43:19 européennes, c'est l'immigration.
43:21 On sait que les Européens sont très sensibles
43:23 à ça. On est dans une région frontalière,
43:25 aux portes de l'Italie, avec des centaines de migrants
43:27 qui se présentent chaque jour.
43:29 La montée du populisme en Europe, elle est surtout liée à cette politique
43:31 migratoire, parfois jugée trop laxiste.
43:33 Est-ce que c'est un faux procès ?
43:35 Surtout,
43:37 ceux qui exploitent cette question,
43:39 on va parler maintenant
43:41 clairement, par exemple, la montée
43:43 de l'extrême droite, les partis de l'extrême droite.
43:45 J'aimerais juste que l'on fasse un exercice.
43:47 On se projette.
43:49 On a l'extrême droite qui gagne en Italie
43:51 et l'extrême droite qui gagne en France.
43:53 Qu'est-ce qui se passe ?
43:55 Vous croyez qu'il y a un accord sur une politique commune ?
43:57 En deux jours,
43:59 il y a la guerre entre la France et l'Italie.
44:01 Parce qu'en réalité,
44:03 l'extrême droite en Italie va nous dire
44:05 "Mais les gens qui arrivent en Italie,
44:07 ils ne veulent pas aller en Italie, ils veulent aller en Europe."
44:09 Donc c'est un problème européen.
44:11 L'extrême droite en France va nous dire "Mais nous,
44:13 on va fermer les frontières en Française."
44:15 Et donc, vous avez là, non pas une alliance politique,
44:17 vous avez la recette
44:19 pour un affrontement.
44:21 Pourquoi ? Parce que profondément, ce que proposent
44:23 les extrêmes droites est irréaliste.
44:25 Ce n'est pas simplement dangereux,
44:27 c'est irréaliste.
44:29 Les gens qui viennent
44:31 veulent aller en Europe.
44:33 Donc c'est une question européenne.
44:35 Et donc, vous n'avez pas une politique européenne
44:37 sur l'accueil, sur la protection
44:39 des frontières, sur
44:41 l'asile, sur
44:43 la répartition.
44:45 Eh bien, vous aurez le chaos
44:47 en Europe. Et donc en fait,
44:49 les nationalistes, sur cette question,
44:51 ils préparent le chaos.
44:53 Et autre chose,
44:55 moi je ne suis pas un "no border", donc il faut contrôler
44:59 nos frontières.
45:01 Par contre, dire que
45:03 on peut avoir une immigration zéro,
45:05 c'est une fable.
45:07 C'est pas vrai.
45:09 C'est un mensonge. Et on le voit
45:11 d'ailleurs en Italie, où
45:13 Mélanie se fait élire sur la promesse
45:15 de tout bloquer, et finalement,
45:17 fait appel à des voies d'immigration légale.
45:19 Il y aura une immigration légale,
45:21 il faut avoir le courage de le dire.
45:23 - Mais objectivement, il n'y a pas quand même
45:25 quelque chose à faire de nécessaire
45:27 quand on voit sur l'année 2023, l'agence Frontex
45:29 qui prétend avoir enregistré plus de 355 000
45:31 personnes qui traversaient les frontières extérieures de l'UE,
45:33 une hausse de 17% d'une année sur l'autre.
45:35 Les demandes d'asile, qui devraient atteindre
45:37 plus d'un million à la fin 2023,
45:39 selon l'agence de l'Union Européenne pour l'asile.
45:41 Comment on fait face à tout ça ?
45:43 - On augmente les moyens, et on fait en sorte
45:45 de traiter plus rapidement les dossiers.
45:47 Et surtout,
45:49 on ne sait pas ce qu'on est en train
45:51 de faire, c'est-à-dire
45:53 on ne détricote
45:55 pas une réponse
45:57 européenne à un problème européen.
45:59 Et donc la multiplication dans tous les pays
46:01 de lois sur l'immigration, ce ne sera pas la solution.
46:03 La solution, elle se joue à l'échelle européenne,
46:05 et encore une fois, ça sera décidé pendant ces élections.
46:07 Je vais vous dire une chose.
46:09 Par exemple, la tentation qui existe, c'est l'externalisation.
46:11 C'est-à-dire,
46:13 parce qu'on trouve que les processus
46:15 sont trop lents en Europe,
46:17 on va externaliser la question migratoire.
46:19 L'externalisation,
46:21 c'est un danger, pas simplement
46:23 parce que ça ne respecte pas nos propres lois,
46:25 mais c'est un danger parce que
46:27 ça nous met dans les mains
46:29 d'Erdogan, du président tunisien,
46:31 qui vont utiliser
46:33 cette question-là comme moyen de pression permanente
46:35 pour soit avoir de l'argent, soit pour déstabiliser
46:37 nos sociétés.
46:39 Et donc, il faut assumer d'avoir
46:41 une politique qui soit
46:43 européenne de gestion des flux.
46:45 Et bien sûr qu'il y a
46:47 des gens qui n'ont pas le droit
46:49 à l'asile et qui doivent repartir.
46:51 Mais il y a aussi des gens
46:53 qui viennent travailler, et il faut
46:55 utiliser les moyens de venir légalement.
46:57 Légalement.
46:59 - Le pacte asile et migration qui a été voté
47:01 au Parlement européen en fin d'année...
47:03 - Il n'a pas encore été voté.
47:05 - Proposé, en tout cas, les situations sont mises d'accord...
47:07 - On n'a même pas encore le texte.
47:09 - Alors, ce qui se préfigure,
47:11 vous semble-t-il proportionné et justifié ?
47:13 - Alors moi, j'ai des gros points d'alerte
47:15 sur ce qui est proposé,
47:17 mais franchement,
47:19 j'ai un principe en politique, c'est de lire
47:21 les textes avant de
47:23 prononcer un vote ou même une condamnation
47:25 a priori. Donc là,
47:27 on va avoir le débat. On n'a
47:29 toujours pas les textes finalisés.
47:31 Donc en fait, on ne sait pas de quoi on parle.
47:33 Il y a des gros points d'alerte.
47:35 - Par exemple ?
47:37 - Sur la détention
47:39 des mineurs. Je veux dire, il y a
47:41 des points qui,
47:43 moi, me semblent complètement
47:45 à côté de la plaque et insupportables.
47:47 Maintenant, on va étudier
47:49 ces textes et définir
47:51 une position parce que fondamentalement,
47:53 je pense que c'est un sujet tellement important qu'on ne peut pas être
47:55 simplement dans la posture.
47:57 Et c'est plusieurs paquets,
47:59 en fait, le paquet. - C'est quoi la galerie exacte ?
48:01 - Asile et immigration, c'est dans
48:03 les trois mois qui viennent,
48:05 il y aura les votes du Parlement. Et c'est plusieurs paquets
48:07 et paquet par paquet,
48:09 il va falloir faire
48:11 une critique fine
48:13 de ce qui est proposé.
48:15 Ce que je veux dire, c'est que c'est pas
48:17 en
48:19 cédant à la tentation
48:21 de la fermeture absolue
48:23 qu'on est réaliste.
48:25 Et ça, il va falloir avoir le courage de le dire.
48:27 Je vois l'état de l'opinion.
48:29 Il va falloir avoir le courage de le dire.
48:31 On ne va pas fermer les frontières
48:33 de l'Union européenne.
48:35 On doit reprendre le contrôle.
48:37 Mais reprendre le contrôle,
48:39 ça ne veut pas dire fermer les frontières.
48:41 Et encore une fois,
48:43 on a
48:45 des sociétés européennes
48:47 qui vont vivre dans une
48:49 forme de culte, de mur qu'on
48:51 pourrait ériger. Et
48:53 à l'intérieur de ces murs, elles vont périr.
48:55 On a besoin
48:57 d'immigration. - Mais est-ce que le courage,
48:59 à gauche en tout cas, c'est pas aussi de dire que l'immigration
49:01 pose réellement des problèmes
49:03 concrets dans la vie des gens, dans le quotidien
49:05 des gens ? On n'entend pas ce discours à gauche.
49:07 Et quelles sont les réponses qu'on peut y apporter ?
49:09 Vous nous dites, l'Europe
49:11 doit s'en occuper, c'est un problème européen, certes, mais
49:13 concrètement, pour la croix... - Mais un problème français,
49:15 c'est celui de l'intégration.
49:17 - Est-ce qu'il y a un problème d'intégration ?
49:19 - Mais regardez,
49:21 à quoi vous voulez concentrer ? On n'est plus
49:23 capable de dire qui nous sommes.
49:25 On n'est plus capable d'avoir un récit
49:27 sur ce que veut dire la France. Moi, j'entends
49:29 les gens qui disent, vous savez,
49:31 "Regardez, les
49:33 vagues d'immigration sous la Troisième République
49:35 se sont parfaitement intégrées."
49:37 Déjà, à l'époque, ça avait créé des problèmes
49:39 et des tensions, et vous êtes bien placé dans cette région pour le savoir.
49:41 Mais,
49:43 au-delà de ça,
49:45 il y avait des structures collectives,
49:47 il y avait des syndicats
49:49 de masse, des partis de masse,
49:51 le service militaire, il y avait des institutions
49:53 qui façonnaient
49:55 un peuple à partir d'origines différentes.
49:57 Aujourd'hui,
49:59 ces institutions, soit elles sont en crise,
50:01 soit elles ont été supprimées.
50:03 Il y avait un récit sur ce que ça voulait dire
50:05 être français.
50:07 Et donc, on s'intégrait à ce récit.
50:09 On pouvait le combattre, on pouvait le refuser, on pouvait faire tout ce qu'on
50:11 voulait, mais on disait quelque chose sur nous-mêmes.
50:13 Et donc, ce que je pense,
50:15 c'est que la question migratoire, ça va être une question
50:17 européenne, par contre, chaque
50:19 nation doit être capable de façonner
50:21 un processus d'intégration.
50:23 Et c'est ça qui a été
50:25 battu en brèche, qui a été
50:27 abandonné. Vous savez,
50:29 moi-même,
50:31 quand le service militaire a été
50:33 supprimé, par exemple, j'ai été
50:35 spontanément, totalement d'accord
50:37 avec le fait qu'on supprime le service militaire,
50:39 c'est un truc ancien, à quoi ça sert ?
50:41 De toute façon, c'est pour aller éplucher des patates,
50:43 ça sert à rien. Et en plus, de toute façon,
50:45 c'était devenu trop
50:47 facile pour les bourgeois de plus y aller.
50:49 Mais, en réalité,
50:51 quand on l'a supprimé, on s'est
50:53 même pas posé la question de par quoi on le remplace.
50:55 Or, comment vous voulez faire une société
50:57 quand un jeune
50:59 qui naît à Trappes,
51:01 dans la banlieue parisienne,
51:03 un jeune qui naît dans un quartier chic
51:05 et bourgeois de Paris, et un jeune
51:07 qui naît à 100 bornes de là,
51:09 dans une zone
51:11 périurbaine, ne se croisent
51:13 jamais, ne se connaissent
51:15 pas, ne sont intégrés à aucune
51:17 structure collective... - Vous militez pour le retour du service militaire.
51:19 - Non, je ne milite pas pour le retour du service militaire.
51:21 Ce que je dis,
51:23 c'est qu'en fait, on a
51:25 zappé les
51:27 structures collectives qui permettaient
51:29 de créer un peuple et
51:31 d'intégrer, et que
51:33 on l'a fait d'une manière totalement
51:35 légère. Mais pourquoi ?
51:37 Mais ça rejoint le début de la discussion.
51:39 Parce qu'en fait, on pensait que tout ça
51:41 était acquis, en fait, c'était facile,
51:43 c'était évident. Mais non !
51:45 Une nation, c'est pas acquis. La démocratie,
51:47 c'est pas acquis. La république, c'est pas acquis.
51:49 C'était des structures, c'était un discours
51:51 général. Et aujourd'hui, il reste quoi ?
51:53 Il reste que l'école. Et donc, on n'en a pas parlé là, mais la
51:55 crise de l'école, c'est lié largement
51:57 à ça. C'est
51:59 le fait que l'école, désormais,
52:01 doit tout gérer.
52:03 On demande tout à l'école, puisqu'il reste que l'école.
52:05 Y'a plus
52:07 les partis de masse, y'a plus les syndicats de masse,
52:09 y'a plus le service militaire,
52:11 y'a plus toutes les institutions collectives qui façonnaient
52:13 un peuple, et donc l'école doit répondre
52:15 à tous les problèmes de la société. Mais si vous avez que
52:17 l'école et TikTok,
52:19 ça va pas fonctionner,
52:21 en fait, une société. Et y'aura pas
52:23 d'intégration. - Vous dites que chaque pays doit aussi
52:25 prendre en charge sa propre intégration, sa propre
52:27 question migratoire. La loi migration
52:29 de Gérald Darmanin, vous n'y souscrivez pas, j'imagine ?
52:32 - Ah, j'y souscris pas du tout. Et d'ailleurs,
52:34 je dois dire que malgré toutes les contorsions
52:36 qu'on peut faire
52:38 dans les médias, quand on appartient à la majorité ou quand
52:40 on est président de la République, la vérité
52:42 de cette séquence, ça restera toujours
52:44 le sourire de Marine Le Pen.
52:46 C'était ça, le moment vrai. C'était
52:48 Marine Le Pen qui remercie l'ensemble de la classe
52:50 politique française pour le triomphe idéologique
52:52 qui fut le sien. Et moi, je
52:54 pense que on va le payer
52:56 longtemps, politiquement.
52:58 Comment vous allez faire
53:00 pour expliquer qu'il faut faire barrage
53:02 à la personne dont vous reprenez
53:04 les concepts même
53:06 dans votre loi ?
53:08 Et une autre chose que j'ai
53:10 trouvé incroyable,
53:12 vous avez un ministre
53:14 de l'Intérieur qui vient porter sa loi
53:16 devant le Sénat
53:18 et qui explique "oui, bien sûr,
53:20 il y a
53:22 toute une série de
53:24 mesures anticonstitutionnelles
53:26 dedans, mais le Conseil constitutionnel
53:28 va s'en occuper". Et donc, ça va être
53:30 la nouvelle séquence, maintenant.
53:32 C'est le politique qui se
53:34 déresponsabilise, qui dit "oui, oui, votez
53:36 une loi anticonstitutionnelle et
53:38 de toute façon, les juges
53:40 trancheront". Mais vous vous rendez compte
53:42 de ce que ça va produire comme débat ?
53:44 Ça veut dire qu'ensuite,
53:46 si le
53:48 Conseil constitutionnel décide de censurer
53:50 les articles anticonstitutionnels,
53:52 vous allez avoir l'extrême droite
53:54 qui va venir et qui va dire "contre
53:56 la majorité des représentants,
53:58 contre la majorité du peuple, vous avez
54:00 la République des juges".
54:02 Moi, je trouve que la manière
54:04 dont ce gouvernement joue
54:06 avec les institutions est
54:08 extrêmement dangereuse.
54:10 Extrêmement dangereuse, puisque ça va nourrir
54:12 là aussi
54:14 le discours
54:16 de l'extrême droite et des populistes.
54:18 Merci beaucoup, Raphaël Glucksmann.
54:20 Merci à tous.
54:22 Merci à Sophie Toncé et
54:24 Philippe Bertigny pour la réalisation de cette
54:26 émission, à Chloé Wargare
54:28 et Karine Mottier pour sa préparation.
54:30 On se retrouve prochainement
54:32 pour un nouveau rendez-vous face à l'Europe.
54:34 Bonne journée à tous.
54:36 (Générique)
54:51 (...)
54:53 (...)
54:55 [SILENCE]