Jean Madiran (1920-2013), dont nous avons commémoré en 2023 le dixième anniversaire de la disparition, était certes un journaliste de combat, fondateur du quotidien Présent en 1981, mais également un intellectuel marqué par l’enseignement de Charles Maurras et de saint Thomas d’Aquin, autant soucieux de la cité terrestre que de la Cité de Dieu. Loin de l’image souvent caricaturale qui est faite de lui, cette émission montre un homme ouvert, ami d’André Frossard et d’Etienne Gilson, lecteur de Péguy et de Chesterton, et lui-même écrivain de talent.
Pour en parler, Yves Chiron, historien, auteur d’une biographie de Jean Madiran parue aux Éditions DMM, et Philippe Maxence, journaliste à L’Homme nouveau, essayiste, qui a notamment consacré un important dossier historique à "L’Hérésie du XXème siècle" de Jean Madiran, dans la dernière édition de ce volume essentiel (Via Romana).
Pour en parler, Yves Chiron, historien, auteur d’une biographie de Jean Madiran parue aux Éditions DMM, et Philippe Maxence, journaliste à L’Homme nouveau, essayiste, qui a notamment consacré un important dossier historique à "L’Hérésie du XXème siècle" de Jean Madiran, dans la dernière édition de ce volume essentiel (Via Romana).
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00:26 Bienvenue dans cette nouvelle émission des "Idées à l'endroit"
00:30 consacrée aujourd'hui à une grande figure de ce que d'aucuns appellent parfois le national catholicisme,
00:36 formulation sujet à caution qui renvoie à des domaines historiques bien différents.
00:43 Néanmoins, il me paraît précieux en ceci qu'elle met l'accent à la fois sur le versant politique,
00:49 le registre national, et sur le versant spirituel ou religieux, bien sûr, le versant catholique en l'occurrence.
00:56 Grande figure, disais-je, qui est celle de Jean Badiran, qui nous a quittés il y a dix ans, en 2013,
01:03 et nous avons donc célébré, il y a à peine quelques semaines, le dixième anniversaire de sa disparition.
01:08 Jean Badiran était un journaliste, c'était un essayiste, à certains égards un philosophe.
01:15 Il a fondé la revue "Itinéraire", qui a eu une très longue existence.
01:19 Il a fondé également le journal "Présent".
01:22 Il s'est engagé dans la vie politique, il s'est engagé également dans la vie religieuse de l'Église catholique,
01:28 et en particulier dans l'Église de France, à travers un certain nombre d'ouvrages, d'articles, d'actions et de réactions, pourrait-on dire.
01:37 Et je vais en parler aujourd'hui avec deux grands connaisseurs de cette grande figure.
01:44 Avec vous, Yves Chiron, vous venez de faire paraître, il y a quelques semaines à peine, ou un ou deux mois,
01:52 une somme biographique consacrée à Jean Badiran, que je montre à la caméra.
01:57 C'est aux éditions Dominique et Martin Morin, DMM.
02:03 Vous avez eu accès aux archives privées, vous avez pu explorer en historien que vous êtes la trame, la courbe de vie de Jean Badiran.
02:14 Vous êtes spécialiste de l'histoire des idées religieuses, de l'histoire des idées politiques, en particulier de l'école contre-révolutionnaire.
02:21 Vous avez publié de très nombreux ouvrages, des biographies.
02:25 Je signalerais simplement, puisque en 2023, nous avons célébré également le centième anniversaire de la mort de Maurice Barès,
02:32 votre biographie de Maurice Barès, qui a été rééditée en 2000 aux éditions Godefroy et de Bouillon.
02:38 Je signale également votre histoire des traditionalistes, qui est beaucoup plus récente, bien sûr, parue aux éditions Talendier en 2022.
02:47 Sera avec nous également, est avec nous également Philippe Maxence.
02:51 – Je suis présent. – Absolument présent, c'est le cas de le dire.
02:53 C'est un mot qui risque de revenir assez fréquemment.
02:55 – Effectivement, oui.
02:56 – Vous êtes journaliste, vous êtes rédacteur en chef de la revue L'Homme nouveau.
03:01 Vous êtes essayiste, vous-même avez publié un grand nombre d'ouvrages, biographiques.
03:07 Et puis il y en a un que je tiens, alors là c'est purement subjectif, mais pas sans lien avec notre émission,
03:13 mais un en particulier que je tiens à signaler, c'est votre ouvrage consacré à Chesterton,
03:17 dont vous êtes un très grand spécialiste, "Pour le réenchantement du monde", une introduction...
03:21 – Je suis un amateur, si je veux rester chestertonien, il faut que je dise que je suis un amateur.
03:25 – En étant fidèle à Chesterton, effectivement, un amateur, donc un grand amateur.
03:29 Donc "Pour le réenchantement du monde", une introduction à Chesterton,
03:32 c'était aux éditions Ad Solem en 2004, je crois.
03:36 Et je signale également, et c'est très important pour ceux qui nous préoccupent aujourd'hui,
03:41 que vous avez publié dans cette édition d'un grand classique de Jean Madiran,
03:46 "L'hérésie du XXe siècle", que je montre également à la caméra, c'est aux éditions Via Romana.
03:53 Vous avez publié un important dossier historique concernant cet ouvrage,
03:58 et au-delà, bien entendu, concernant Madiran, la période d'écriture de l'ouvrage,
04:02 et puis les tenants et les aboutissants de cet ouvrage important dans l'œuvre de Jean Madiran,
04:08 ouvrage préfacé par Michel de Gégère.
04:12 Alors, Yves Chiron, votre biographie...
04:15 Enfin, il me paraît pas anodin, mais vous allez me dire si c'est anodin ou pas,
04:20 c'est vous le spécialiste, évidemment, de commencer par l'onomastique, en quelque sorte, le nom.
04:26 Jean Madiran est né Jean Arfel.
04:29 Il a utilisé donc ce pseudonyme de Madiran auquel il est associé.
04:33 Enfin, on ne parle aujourd'hui que de Jean Madiran, quasiment.
04:36 Il a également, quand il a publié son premier ouvrage,
04:39 qui était consacré à la philosophie poudrie de saint Thomas d'Aquin,
04:42 il avait publié, sous pseudonyme également, sous le pseudonyme de Jean-Louis Lagor,
04:47 et Lagor et Madiran sont des noms de mieux, qui renvoient au grand sud-ouest, disons.
04:54 Et Madiran était un homme d'Aquitaine, c'était un homme du Bordelais et des Hautes-Pyrénées,
05:02 enfin, de cette région-là.
05:04 Dans quelle mesure peut-on dire que cet enracinement provincial de Madiran,
05:11 et cet enracinement tout court, au fond, dans des lieux précis,
05:15 a été déterminant, au moins dans la genèse de sa pensée ?
05:20 Peut-on le dire, d'une part, et d'autre part, en quoi est-ce le cas, le cas échéant ?
05:25 – Oui, c'est un homme du sud-ouest, c'est sûr, du Bordelais,
05:29 très attaché à cette province et aux environs de Bordeaux,
05:34 où il avait une maison de famille qui lui tenait à cœur.
05:39 Les pseudonymes que vous évoquez, Lagor et Madiran,
05:42 et puis d'autres qu'il a utilisés comme Castetis,
05:45 sont en lien direct, eux, avec Henri Charlier, André Charlier,
05:51 et l'école de Maslach où il a enseigné,
05:54 et donc c'est en lien direct avec tout ce qu'il a reçu de Maslach
05:58 qu'il a pris ses pseudonymes.
05:59 Lagor n'est pas très loin de Maslach, il aimait y faire des randonnées.
06:04 Madiran, c'est en lien direct avec un monastère
06:09 où il est allé avec des élèves ou seul, quand il était à Maslach,
06:15 et donc notamment une expérience spirituelle,
06:18 on peut appeler ça comme ça, qu'il a vécue là-bas,
06:20 qui lui a fait choisir ce nom, enfin ce pseudonyme ou ce nom de plume,
06:24 de façon définitive, donc dans les années 50.
06:28 Donc tous les pseudonymes qu'on trouve de façon habituelle chez lui,
06:31 enfin une grande partie des pseudonymes,
06:34 viennent de ce terreau de Maslach qui a été très important pour lui,
06:39 qui a été déterminant dans sa formation intellectuelle
06:42 et dans sa formation spirituelle.
06:44 – Est-ce qu'on peut aller jusqu'à dire, mais c'est peut-être extrapolé,
06:47 que ce choix-là est à certains égards barésien ?
06:51 – On peut toujours, oui, même si Madiran ne peut pas être qualifié de barésien
07:00 comme il est qualifié de maurassien, il est sûr que la terre, les morts,
07:06 l'héritage familial, l'héritage de la province à laquelle on est attaché,
07:12 ont compté pour lui, c'est certain.
07:14 Il a aimé raconter comment il a fait les vendanges,
07:18 quand il était jeune, dans le domaine de sa grand-mère,
07:22 comment il était très lié à la terre, il avait des ancêtres paysans, etc.
07:27 Ce qui est vrai.
07:30 Le lieu qui l'a le plus marqué, c'est le lieu où il passait ses vacances,
07:35 donc dans une propriété de famille à quelques dizaines de kilomètres de Bordeaux,
07:39 et où il a appris beaucoup de choses,
07:43 à la fois au contact de la population locale et au contact de sa grand-mère,
07:49 qui était d'origine italienne.
07:51 – D'accord. Alors vous avez prononcé le nom maurassien,
07:56 le nom de Charles Maurras, donc indirectement,
07:58 lorsqu'on évoque Jean-Madiran, on pense systématiquement à Charles Maurras d'emblée,
08:04 comme on pense à Saint-Thomas d'Aquin,
08:06 vous écrivez dans la biographie que vous avez consacrée à Jean-Madiran,
08:09 qu'il rencontre l'œuvre de Charles Maurras très tôt, il a une quinzaine d'années.
08:12 – Voilà, il n'a pas encore 15 ans.
08:14 – Il n'a pas encore 15 ans, c'est au lycée, Saint-Thomas d'Aquin c'est un peu plus tard.
08:18 – Voilà, il a 18 ans.
08:19 – Voilà.
08:19 – Alors dans les deux cas, ce qui est intéressant à signaler,
08:22 ce ne sont pas du tout ses professeurs qui lui font découvrir
08:26 ou Maurras ou Saint-Thomas d'Aquin.
08:29 Pour Maurras qu'il découvre en premier,
08:34 il emprunte un livre dans une des bibliothèques de Bordeaux qu'il fréquente,
08:38 un livre de Léon Daudet, qui portait sur l'après-guerre.
08:43 Et donc en lisant pour la première fois Léon Daudet, il découvre le nom de Maurras,
08:47 et donc ça va l'amener à lire ce Maurras pour lequel Daudet a tant d'admiration.
08:52 Et le premier livre, si je ne me trompe, qu'il a lu, c'est "L'avenir de l'intelligence".
08:56 – On ne peut plus mal commencer, quand on commence à lire Maurras,
08:59 "L'avenir de l'intelligence", c'est quand même le sommet de l'avoir.
09:02 – Effectivement, donc il découvre Maurras à 15 ans,
09:04 et on peut dire que Maurras ne le lâchera plus, ou alors qu'il ne lâchera plus Maurras.
09:09 Et pour Saint-Thomas d'Aquin, en gros c'est le même processus,
09:14 on se sent que ce ne sont pas du tout ses professeurs qui lui en parlent.
09:17 Donc il a fait toute sa scolarité jusqu'au bac sans lire Saint-Thomas d'Aquin,
09:21 sans connaître même le nom de Saint-Thomas d'Aquin.
09:24 Et en classe préparatoire, la première année,
09:27 on lui demande dans le cadre du cursus de faire un exposé sur Bergson.
09:33 Donc lui, il cherche dans les bibliothèques des essais sur Bergson,
09:37 il tombe sur un essai de Maritain, la philosophie bergsonienne,
09:41 qui date des années 14 ou 15, je ne sais plus.
09:43 Et forcément le Maritain, au mois de cette époque,
09:47 quand il évoque Bergson, cite abondamment Saint-Thomas d'Aquin.
09:52 Et donc le jeune madiran, qui a 18 ans à cette époque,
09:55 se dit "Saint-Thomas d'Aquin, il faut aller lire", et il le lit.
09:59 Et là aussi, il restera un grand lecteur de Saint-Thomas d'Aquin toute sa vie.
10:05 Et l'œuvre de Saint-Thomas d'Aquin va irriguer certains aspects forcément de sa pensée.
10:11 - Voilà, on va reparler de manière très précise,
10:13 et en particulier de l'hérésie du XXe siècle, mais nous allons y revenir.
10:17 Dans cette genèse de la pensée du jeune Jean Madiran,
10:23 il y a un élément important, je me tourne vers vous Philippe Maxence,
10:27 parce que c'est une notice qui a été publiée dans l'Homme Nouveau,
10:31 c'était un numéro de 1967, une notice très synthétique,
10:36 à laquelle Jean Madiran répondait,
10:39 il s'agissait de savoir quels avaient été ses maîtres et ses formateurs.
10:43 Et voici ce qu'écrit Jean Madiran, donc c'est très clair, très bref.
10:47 Né en 1920, études à Bordeaux, licencié S. lettres, entre parenthèses philosophie lettres classiques,
10:55 diplômé d'études supérieures, entre parenthèses idem,
10:58 donc il faut comprendre philosophie lettres classiques également,
11:01 on trouve un certain laconisme de Madiran, bûcheron,
11:04 puis professeur bûcheron, c'est intéressant.
11:07 - Ça m'a souvent interpellé cette... - Et bien c'est vrai.
11:10 - Oui, oui, c'est vrai, bien sûr que c'est vrai, mais je me suis longtemps demandé où il avait pu bûcheronner.
11:16 - Voilà, parce que ce n'est pas du tout l'image que l'on a a priori de Jean Madiran,
11:20 - De Jean Madiran, effectivement. - Il était un homme de la terre, un homme du travail terrien.
11:24 Donc bûcheron, puis professeur, il poursuit,
11:28 se reconnaît plus ou moins disciple de Boès, le premier des théologiens laïcs, précise-t-il, né en 470,
11:36 Saint Thomas, Bossuet, Péguy, Chesterton, Maurras, Charlier.
11:44 Alors on va revenir sur les frères André et Henri Charlier, bien entendu,
11:48 mais cette libre, Maurras, on comprend, on vient d'esquisser ce mot racisme,
11:54 qu'il faudra peut-être définir, de Jean Madiran,
11:57 mais j'avoue que lorsque j'ai lu dans le dossier historique que vous avez constitué,
12:00 Philippe Maxence, pour cette réédition de l'hérésie du XXe siècle,
12:04 lorsque j'ai lu les noms de Péguy et de Chesterton, j'ai été très étonné.
12:08 Vous qui êtes donc un amateur, grand amateur de Chesterton,
12:13 grand connaisseur de Péguy également, comment expliquer cela ?
12:16 En quoi Madiran a-t-il été éventuellement influencé par Péguy et Chesterton ?
12:22 Alors par Péguy, je pense qu'il a lu, médité et s'est imprégné de l'œuvre de Péguy,
12:31 je pense que c'est par, principalement, le biais des frères Charlier,
12:37 qui ont été des relais directs entre Péguy et lui, si je puis dire,
12:41 et donc il y a une familiarité qui s'est installée entre Madiran et l'œuvre de Péguy,
12:48 qui lui a, à un certain moment, Yves Chiron me corrigera peut-être si je me trompe au plan historique,
12:56 mais dans son rapport avec Maurras, Madiran a eu des évolutions, des allers-retours...
13:05 Comment peut-on les décrire en quelques mots, ces évolutions-là ?
13:08 Parce que ce n'était pas un dissident du Maurracisme, ce n'était pas un orthodoxe du Maurracisme...
13:16 Non, il était contre le psittacisme maurracien, ça c'est très clair.
13:21 Je pense qu'il y a une très forte admiration à partir de la découverte de Maurras et la lecture de Maurras,
13:27 il y a la rencontre avec Maurras et la place que Jean Madiran peut avoir dans l'esprit de Maurras
13:35 comme l'un des éventuels successeurs, il n'est pas le seul évidemment,
13:39 c'est le cas de Pierre Boutan, plus âgé pour le coup,
13:43 c'est le cas à un moment de Jean Housset qui va fonder plus tard la Cité catholique,
13:51 Jean Madiran va écrire dans l'Action Française,
13:55 d'abord dans la Revue Universelle, dans l'Action Française quotidienne,
13:59 va consacrer un certain nombre d'articles,
14:02 donc là il y a une proximité très forte intellectuelle en tous les cas avec Maurras,
14:09 sa rencontre avec les frères Charlier va être,
14:15 alors par le biais de sa rencontre d'abord avec André Charlier,
14:19 – Alors quelques mots sur les frères Charlier.
14:21 – Oui les frères Charlier, il faut peut-être les présenter effectivement,
14:23 puisqu'on en parle d'eux aussi.
14:25 Donc deux frères qui sont, comme aimait à le signaler Jean Madiran,
14:31 qui sont venus du monde moderne au catholicisme,
14:35 c'est-à-dire qui se sont convertis et qui ont fait tout un chemin de conversion.
14:42 André Charlier, le jeune frère étant à la tête de l'école des Roches,
14:48 replié à Maslach pendant la Seconde Guerre mondiale,
14:54 va embaucher comme jeune professeur Jean Madiran,
15:01 et André Charlier avait réussi je pense, selon les témoignages qu'on a pu recueillir,
15:09 à insuffler un esprit très particulier à l'école des Roches à ce moment-là,
15:16 à travers les appels qu'il faisait auprès des élèves,
15:23 des exigences qu'il portait de manière très forte,
15:26 et illustré par une formule qui peut résumer un peu tout ça,
15:31 c'est cet appel à une réforme intellectuelle et morale permanente,
15:35 issue d'ailleurs héritière de l'œuvre de Péguy,
15:39 et ça va profondément marquer Madiran et le faire évoluer dans son approche vis-à-vis de Maurras,
15:47 parce que je n'ai pas oublié Maurras non plus.
15:50 Et par le biais d'André Charlier, Jean Madiran va découvrir, rencontrer Henri Charlier,
15:59 qui est un sculpteur, qui est aussi un écrivain,
16:02 mais qui va faire d'ailleurs écrire de manière plus forte.
16:07 Henri Charlier qui est plus âgé que son frère André,
16:11 qui a été en lien avec Péguy,
16:13 qui a été en lien avec un certain nombre de personnalités du renouveau catholique du début du XXe siècle,
16:20 et qui s'est installé au Ménil-Saint-Loup,
16:23 là où une figure religieuse et bénédictine a profondément marqué cette région,
16:29 le père Emmanuel, et Henri Charlier en est en quelque sorte l'un des héritiers.
16:35 Cet ensemble, cet apport des Charliers, je pense,
16:42 mais là aussi le biographe pourra me corriger,
16:46 va ouvrir en quelque sorte l'esprit du jeune Madiran
16:53 sur un univers spirituel, intellectuel, beaucoup plus large,
16:58 d'où ce rapport aussi avec Péguy.
17:00 C'est un peu cet éloignement de Maurras.
17:03 Les relations avec Maurras ne sont pas très faciles non plus après la Seconde Guerre mondiale,
17:09 parce que, contrairement à la volonté de l'École d'Action française
17:15 de s'en tenir au maître mot qui était "la France seule",
17:19 donc après guerre, l'Action française tient à ne pas être mélangée aux collaborateurs.
17:24 Oui, les collaborationnistes, ni les Anglais, ni les Allemands.
17:28 Je pense qu'avec beaucoup de courage, Madiran, lui,
17:33 prend la défense de ceux, au moins des jeunes qui se sont engagés,
17:40 croyant à la parole du M. Pétain et de tous ceux qui le suivaient,
17:44 se sont engagés jusque dans la milice par exemple,
17:47 estimant qu'ils ne doivent pas être,
17:49 enfin qu'ils doivent être soutenus dans l'épuration qu'ils subissent de manière parfois très forte,
17:57 certains étant donc effusiés.
17:59 Donc là, il y a un éloignement peut-être de Maurras,
18:02 enfin en tout cas un désaccord politique assez fort.
18:06 L'autre éloignement avec Maurras que je vois,
18:10 sur lequel Madiran se détachera ensuite,
18:12 c'est sa rencontre avec Marcel Clément,
18:15 qui va à partir de 1962 diriger le bimensuel "L'Homme nouveau",
18:25 à collaborer au tout début de la revue "Itinéraire".
18:29 Et Madiran lui a confié une enquête sur le nationalisme,
18:34 qui est une mise en cause finalement de la vision nationaliste
18:40 et donc maurassienne pour ce qui concerne la France.
18:42 Et cette enquête sur le nationalisme est préfacée par Madiran,
18:48 qui très clairement à ce moment-là prend ses distances avec le nationalisme et de Maurras.
18:53 Il va à nouveau prendre une distance quelques années plus tard dans "Itinéraire",
18:59 dans un numéro d'"Itinéraire".
19:01 – Donc revue qu'il a fondée en 1956.
19:03 – Voilà, c'est ça.
19:05 Je pense que, si ma mémoire ne me fait pas défaut,
19:08 à la fin des années 80, il prend clairement distance
19:12 avec ce qu'il a pu écrire dans ses années 50 en fait,
19:17 sur le nationalisme, en tous les cas sur l'utilisation du mot nationalisme,
19:22 disant qu'il peut être finalement utilisé, accepté,
19:29 même dans une conception catholique du terme,
19:34 puisque ça avait été l'une des grandes discussions de l'enquête sur le nationalisme
19:38 menée par Marcel Clément et dans "Itinéraire".
19:41 – D'accord, et juste en deux mots, parce que ça n'a pas l'air important,
19:44 "Chesterton", c'est très étonnant.
19:46 Pour quelle raison ?
19:48 – Très clairement, je ne pourrais pas vous répondre.
19:52 Il se trouve que j'ai connu "Chesterton" par Madiran,
19:55 le nom de "Chesterton" m'est venu parce que je lisais "Itinéraire",
20:02 je lisais "Madiran" et que ça a suscité mon interrogation.
20:08 Mais je ne saurais, peut-être qu'Effiron pourra nous répondre,
20:12 mais je ne saurais pas vous dire…
20:14 – Oui, oui, de manière…
20:16 – Madiran a consacré un numéro spécial dit "Itinéraire",
20:19 enfin un dossier spécial à "Chesterton",
20:23 il le cite, je crois en 1957, dans "Ils ne savent pas ce qu'ils disent",
20:30 il cite "Chesterton", mais par quel biais l'a-t-il connu ?
20:34 Quelle est l'influence précise de "Chesterton" sur la pensée de Madiran ?
20:39 – Oui, en tout cas il en était un lecteur.
20:42 – Il en était visiblement, enfin il s'en réclamait comme étant un des lecteurs, oui.
20:47 – Yves Chiron, sur cette relation de Madiran avec Maurras,
20:52 avec les frères Charlier, est-ce que vous souhaiteriez ajouter quelque chose,
20:56 enfin quelque chose qui vous paraîtrait particulièrement important ?
20:59 – Non mais ce qu'a dit Philippe Paxon c'est très juste,
21:02 effectivement on a, on va dire, une sorte de dialogue duel,
21:06 je pense que l'expression est peut-être de Daniel Masson
21:09 qui a consacré un livre à Maurras en 1989, une sorte de dialogue duel
21:15 qui a commencé, on va dire, avant même la rencontre physique avec Maurras.
21:21 C'est-à-dire qu'à cette époque, donc on va dire avant 1943,
21:26 le jeune Madiran, bon il signe Harfel mais enfin,
21:29 le jeune Madiran avait lancé une enquête déjà, il aimait bien les enquêtes,
21:33 ça sera, on va dire, une sorte de méthode de travail qu'il employait
21:39 jusqu'à la fin de l'histoire des enquêtes sur X sujet.
21:42 Donc une enquête sur, qu'il avait intitulée "La bataille de l'intelligence"
21:46 et donc de quelle manière il fallait mener effectivement
21:49 une réforme intellectuelle, voilà.
21:52 Et dans cette enquête, il avait déjà, en quelque sorte,
21:58 contesté certaines positions de Maurras sur des cartes.
22:02 Et donc quand ensuite il rencontre physiquement Maurras en 1943 à Pau,
22:10 lors d'une conférence de Maurras dans la région,
22:14 Maurras lui dit "bah oui mais vous êtes mon contradicteur sur des cartes etc."
22:20 et donc le dialogue s'est poursuivi, y compris dans l'action française.
22:24 Et donc on a ensuite, dans les années 45 jusqu'à la mort de Maurras,
22:34 voilà, des échanges, parfois des controverses, publics ou pas,
22:38 parce qu'il y a eu une grande correspondance Maurras-Madiran,
22:41 où là aussi il continue à dialoguer.
22:44 Alors je pense qu'il y a quelque chose qui a beaucoup marqué Madiran,
22:50 c'est quand Maurras lui a dit "si vous êtes catholique, ne soyez pas à moitié".
22:56 Il a dit exactement la même chose, parce qu'il le pensait pour beaucoup de catholiques,
23:02 il a dit la même chose à Jean Rousset,
23:05 et Maurras a pris au sérieux évidemment cette injonction, si on peut dire,
23:14 et son premier livre écrit, même si ce n'est pas son premier livre publié,
23:19 son premier livre écrit sur la philosophie politique de saint Thomas d'Aquin,
23:24 est justement une tentative, on va dire, non pas de dépasser le mot racisme,
23:31 mais de, en quelque sorte, coroner le mot racisme
23:35 par une lecture attentive de saint Thomas d'Aquin
23:38 et une intégration des vérités thomistes sur la société temporelle à la philosophie de Maurras.
23:46 Donc Maurras va donner une très longue préface à ce livre,
23:50 une préface qu'il a écrite quelques jours avant d'être arrêté à Lyon en 1944.
23:56 Bon, même si ensuite Madiran ne sera plus tout à fait en accord
24:02 avec ce qu'il a écrit en 1944 dans ce livre,
24:06 on voit que c'est le début d'une réflexion personnelle
24:11 qui fera que, on peut dire que Madiran est, non pas un continuateur de Maurras,
24:19 mais on va dire un héritier catholique de Maurras
24:24 qui a pris au sérieux la pensée de Maurras,
24:28 tout en essayant de lui donner une perspective chrétienne plus affirmée
24:34 et de corriger, entre guillemets, si on peut dire,
24:37 ce que pouvait avoir d'inachevé ou d'incomplet ou de contestable
24:43 la pensée maurrasienne sur la cité.
24:46 Alors, oui, ce qui me paraît assez intéressant, c'est qu'on a deux personnages là,
24:51 Maurras et Madiran, qui sont souvent compris comme des gens fermés,
24:58 arrêtés sur des positions très dures, polémiques, combatifs, etc.
25:04 Et on voit cette capacité, je pense notamment à Maurras à ce moment-là,
25:08 parce que c'est quand même le plus âgé, le plus installé, c'est le maître,
25:12 capable de discuter avec un jeune contradicteur,
25:16 entre guillemets et, pardon pour l'expression,
25:19 en quelque sorte un peu prétentieux, mais de le prendre au sérieux.
25:23 Et déjà, cette capacité de prendre au sérieux un jeune interlocuteur,
25:27 ça monte une largesse d'intelligence qui est frappante.
25:33 Donc ces deux personnages, encore une fois, qui sont souvent caricaturés,
25:38 là se révèlent de manière, comme des personnes très ouvertes,
25:43 au moins intellectuellement.
25:46 Et il y a un troisième personnage qu'on peut faire rentrer dans le lot,
25:50 dans ce saint Thomas de, comment dire, de Edema-Diran, c'est Étienne Gilson.
25:58 – Absolument, ça c'est très important.
26:00 – Étienne Gilson est la cible de Madiran dans ce livre,
26:06 enfin de Jean-Louis Lagorne, qui deviendra Madiran.
26:12 Et il le conteste de manière très forte, très précise,
26:18 d'autant plus que Gilson est un démocrate chrétien.
26:22 – Je précise qu'Étienne Gilson a été un grand maître de la Sorbonne,
26:25 un grand spécialiste de la Scholastique,
26:27 un grand écrivain, qui a beaucoup écrit sur ce qu'on appellera,
26:30 à toi au moins raison, la "philosophie chrétienne",
26:33 et qui était en effet apparemment très éloigné de Jean-Madiran,
26:37 alors qu'il y a eu entre eux, je crois qu'on peut dire, une véritable amitié.
26:42 – Quelques années plus tard, et Yves Chiron va pouvoir nous le préciser, je suppose,
26:47 mais enfin quelques années plus tard, effectivement,
26:50 les deux hommes sont en correspondance, des liens vont se nouer entre eux,
26:56 au point que Madiran va republier dans "Itinéraire" un ouvrage de Gilson,
27:04 et que Gilson va soutenir en quelque sorte la contestation philosophique de Madiran,
27:13 au moment où l'Église traverse une crise importante.
27:21 Mais peut-être que Yves Chiron, sur ce rapport avec Gilson, pourrait…
27:24 – Oui, mais effectivement, à partir de la fin des années 60,
27:29 les liens entre les deux hommes sont étroits.
27:32 Alors il y a deux choses, il y a d'une part le fait que Gilson s'est trouvé en pointe
27:38 à propos de la traduction déficiente du crédo,
27:42 et à propos de la traduction déficiente du "Notre Père".
27:46 – Consubstantielle et de même nature, voilà, sur quoi porte le débat.
27:50 – Donc là il a mené bataille de façon, on va dire, courageuse et incisive,
27:55 et Madiran l'a rejoint dans ce combat-là.
27:59 Effectivement, Madiran propose à Gilson de rééditer un de ses livres dans "Itinéraire",
28:05 et Gilson ne trouve pas scandaleux d'être édité par "Itinéraire".
28:11 Et puis, justement à propos de l'hérésie du XXème siècle,
28:15 que Maxenss a réédité et commentée,
28:18 quand Gilson découvre, enfin parce que Madiran lui envoie les premières pages du livre,
28:25 il en est tout à fait émerveillé, tout à fait d'accord.
28:28 Il pense que Madiran a pointé la vraie nature, si on peut dire,
28:34 du problème philosophique et théologique de l'hérésie des évêques.
28:41 – C'est la première phrase de l'hérésie du XXème siècle.
28:45 – Et là, l'accord est compris entre les deux hommes sur le diagnostic porté sur,
28:50 en fait, la crise intellectuelle de l'Église à cette époque.
28:54 Et donc là, on a un accord qui, aujourd'hui encore,
28:59 passe mal chez les Gilsoniens de "strict observance".
29:02 – Ça passe très mal, oui.
29:04 – Qui pensent que Gilson a été instrumentalisé par Madiran, etc.
29:10 Alors qu'en fait, il y a un accord certain,
29:12 là aussi la correspondance Gilson-Madiran établit très clairement que
29:19 un, Gilson n'a pas peur de frayer avec Madiran et d'être plus blédé à l'infiniraire,
29:25 deux, est en accord avec lui, et trois, même sur certains points,
29:30 est encore plus sévère que Madiran.
29:33 – Alors on voit dans la discussion que vous avez autour de Madiran
29:37 qu'en effet, c'était un homme beaucoup plus complexe que l'image
29:40 que l'on peut avoir de lui de prime abord,
29:42 exactement comme celle de Charles Maurras, ou là, les souvenirs,
29:44 Philippe Maxence, dans le même registre.
29:46 J'ai été surpris d'apprendre dans votre ouvrage, Gilles Chiron,
29:49 qu'il avait eu des liens avec André Frossard, par exemple.
29:51 Voilà encore, Gilson, c'est surprenant, mais André Frossard, ça l'est tout autant.
29:57 – Il se rencontre dans les milieux, on va dire, littéraires et journalistiques parisiens
30:03 du début des années 50.
30:06 Alors il y a un livre de Frossard sur les ordres religieux
30:11 qui frappe beaucoup Madiran, il en fait l'éloge dans un article,
30:15 et donc c'est de cette façon que les liens entre eux se nouent,
30:19 parce que notamment, Frossard dit son admiration pour les bénédictins, etc.
30:26 Donc ils ont des liens étroits, et même s'ils n'écrivent pas
30:30 dans les mêmes publications, il y a une entente, on va dire,
30:34 intellectuelle entre eux, et au point que Madiran va essayer d'intéresser
30:44 Frossard à son projet de revue, qui sera itinéraire,
30:48 et au point d'envisager de lui en confier la direction.
30:54 Et puis finalement, on va dire que, pour résumer, pour faire bref,
31:00 on va dire que Frossard s'est défaussé, n'a même pas fait partie
31:04 de l'équipe d'origine, et que donc d'autres, notamment Louis Salron,
31:09 vont inciter Maurras, Madiran, le lapsus est fréquent,
31:13 vont inciter Madiran à lancer cette revue, et donc cette revue
31:17 se fera sans Frossard, et avec des piliers solides,
31:21 tels que Charlier, Henri Charlier, Salron, etc.
31:25 Et les relations entre les deux hommes vont finalement
31:31 durer un peu, mais se dégrader assez vite.
31:34 Mais enfin, en 1955, Frossard, par exemple, est le témoin de la rencontre
31:41 entre le directeur du Monde, Boeuf-Méry, Madiran, et, on va dire,
31:46 quelques ténors de la presse progressiste.
31:48 Donc il est le témoin, parce que Madiran lui a dit,
31:51 "Le directeur du Monde m'a invité à déjeuner, je veux bien y aller
31:55 pour discuter avec lui et avec les patrons de la presse progressiste,
31:59 mais il me faut un témoin, et Frossard va accepter.
32:02 Après, après, il oubliera l'épisode, mais..."
32:05 – Ce qui en dit beaucoup sur les mœurs de l'époque, quand même,
32:08 de devoir discuter avec un témoin pour être sûr que...
32:13 – Voilà, que les propos ne soient pas trahis ou déformés.
32:16 – Ne soient pas trahis ou déformés, effectivement.
32:18 Alors, ceci dit, chacun s'était engagé à ne pas révéler la rencontre le déjeuner,
32:24 mais évidemment, ça n'a pas duré longtemps.
32:28 Et les biographes du fondateur du Monde, Boeuf-Méry, évoquent l'épisode,
32:34 mais de façon pas très exacte parfois, mais enfin, ça c'est des détails.
32:38 – Alors, vous avez évoqué le propos de Maurras à destination de Madiran,
32:46 si vous êtes catholique, ne le soyez pas à moitié.
32:48 Effectivement, l'image que l'on a de Madiran, c'est plus qu'une image,
32:51 c'est l'intégralité de sa personnalité et de son âme, pourrait-on dire,
32:54 puisqu'il a été également Oblat, bénédictin.
32:58 C'était un homme, donc, disons religieux, spirituel,
33:02 d'engagement religieux, d'engagement spirituel,
33:04 et également d'engagement philosophique et métaphysique.
33:07 On l'a vu lorsqu'on a évoqué cette question de traduction consubstantielle,
33:12 de même nature.
33:15 Jean Madiran, dans "L'hérésie du XXe siècle",
33:18 reproche à l'Église catholique, singulièrement à l'Église de France,
33:24 un certain nombre de faits, un certain nombre de conceptions,
33:28 et met en avant, à rebours, à contrario,
33:31 ce que l'on pourrait appeler la doctrine catholique,
33:33 enfin de toujours, disons, ou en tout cas la plus classique ou la plus thomiste.
33:37 Et en particulier, et il insiste énormément,
33:40 c'est un point peut-être qui rassemble, qui unit à la fois Maurras et saint Thomas,
33:45 sur la question de la nature, de l'ordre naturel,
33:49 comme pilier central de la foi.
33:52 Est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus sur cette insistance
33:56 que met Madiran à renouveler,
34:00 enfin à renouveler ce qui est de toujours,
34:03 au fond, d'un point de vue catholique en tout cas,
34:05 autour de cette notion d'ordre naturel ou de loi naturelle.
34:09 Entendant ton parla, en quoi est-ce aussi fondamental
34:13 pour la foi chrétienne aux yeux de Madiran et puis en soi, bien entendu ?
34:18 – Maxence pourra en parler mieux que moi,
34:21 par l'étude qu'il a faite de l'hérésie,
34:24 mais donc c'est un ouvrage que Maurras… – Que Madiran !
34:28 – Que Madiran ! – Si vous pouvez me permettre la correction !
34:31 – On rectifie de manière mécanique.
34:34 – Auquel Madiran tenait beaucoup,
34:36 il considérait cet ouvrage comme son ouvrage le plus important,
34:39 paru en 68, on peut le rappeler.
34:41 – En plus, date quand même importante.
34:43 – Et alors c'est un ouvrage qui en fait,
34:47 cherche à discerner les causes fondamentales de la crise de l'Église.
34:52 Bon, on peut faire des descriptions sur différents événements,
34:56 différents textes scandaleux, différentes initiatives très malheureuses,
35:00 voire profanatoires, etc.
35:03 Mais Madiran va au cœur du problème,
35:06 et il considère que ce qu'il appelle l'hérésie du XXe siècle,
35:11 ou l'hérésie des évêques,
35:13 donc n'est pas une hérésie, on va dire, doctrinale,
35:16 comme il y en a eu dans les siècles passés sur la Trinité ou sur l'Eucharistie.
35:20 – L'alternation.
35:21 – Mais c'est une hérésie, si on peut dire, philosophique,
35:24 en ce sens que les évêques de France considèrent,
35:28 et là il y a des textes indiscutables qui existent,
35:32 les évêques de France considèrent qu'au XXe siècle,
35:35 dans la situation où se trouve la civilisation, la France, mais d'autres pays,
35:40 on ne peut plus concevoir de la même manière la nature et l'ordre du monde,
35:50 et que la notion de personne,
35:54 que ces notions de nature et de personnes qui doivent être réévaluées, conduisent,
35:59 et c'est là où on débouche sur l'hérésie,
36:02 conduisent à une nouvelle conception du salut,
36:05 une nouvelle conception si on peut dire de la religion,
36:08 du salut apporté par le Christ,
36:11 et donc on pointe précisément cette négation des notions traditionnelles de nature et de personnes,
36:19 cette négation en fait de la loi naturelle,
36:21 la loi naturelle étant la loi divine inscrite dans le cœur de l'homme,
36:25 dans la nature de l'homme.
36:27 Et donc ça c'est un des axes majeurs de la pensée de Madiran,
36:32 avant bien sûr le concile, et pendant le concile, et après le concile,
36:37 c'est le fait que, selon lui, en France,
36:42 mais même aussi dans le magistère pontifical à certaines périodes,
36:47 on a oublié, négligé, laissé de côté cette notion de loi naturelle.
36:53 Et donc quand ensuite d'autres papes chercheront à réhabiliter cette notion de loi naturelle,
37:00 il y sera on va dire attentif, même s'il jugera que c'est insuffisant.
37:05 - Philippe Maxence, sur la question également de la liturgie,
37:09 qui est une question bien sûr centrale dans le culte religieux,
37:14 Madiran a été vigilant à cet égard, enfin, quel est...
37:19 - Je crois que vigilant est un terme...
37:21 - Faible. - Faible.
37:23 Il a été combatif. - Voilà, il a été combatif.
37:25 - Ça fait partie de ces trois réclamations célèbres portées par Jean Madiran,
37:33 c'est adressé au pape, donc à l'époque à Paul VI,
37:38 je ne vais pas les citer de ce que j'ai cite de mémoire, donc peut-être pas dans l'ordre,
37:43 mais c'est "Rendez-nous la Sainte Écriture",
37:46 c'est-à-dire l'intégralité et la non-déformation de la Sainte Écriture, de la Bible,
37:52 "Rendez-nous le catéchisme", le catéchisme catholique,
37:55 puisqu'il avait subi nombre de déformations,
37:59 et donc aux yeux de Madiran ne transmettait plus l'intégralité de la foi,
38:03 et "Rendez-nous", j'en viens à votre question, "Rendez-nous la messe catholique",
38:08 à savoir qu'en 69-70, il y a une réforme liturgique au sein de l'Église catholique,
38:16 avec la mise en place de ce qu'on a appelé la "nouvelle messe",
38:22 dont la partie la plus visible et la plus sensible pour les catholiques
38:27 a été le fait que la messe était désormais dite en langue vernaculaire,
38:32 donc en français, que le prêtre n'était plus obligatoirement tourné vers Dieu
38:39 comme à la tête de son troupeau, mais face au peuple.
38:46 Donc ça, c'était les éléments les plus visibles,
38:51 mais ça portait, dans l'analyse de Jean Madiran,
38:57 une transformation importante de ce qu'est profondément la messe,
39:02 c'est-à-dire le renouvellement non sanglant du sacrifice du Christ
39:07 par des traductions qui n'étaient plus adaptées,
39:11 enfin qui n'étaient plus aussi fines et aussi précises que le texte latin.
39:17 Donc il va porter pendant de très nombreuses années ce combat,
39:23 qui va l'amener d'ailleurs à soutenir ensuite l'évêque qui se dresse
39:28 pour conserver cette messe, et qui va faire à son tour des prêtres,
39:33 à savoir Mgr Lefebvre.
39:36 Jean Madiran va être un des soutiens de Mgr Lefebvre,
39:40 qui représente pour lui justement cette espérance catholique
39:46 de la continuation du sacerdoce catholique, de la messe catholique,
39:52 de l'enseignement catholique dans toute son intégralité.
39:56 – Alors Yves Giron, je ne sais pas si vous souhaitez rajouter un point
40:01 sur cette question plus directement ecclésiale, disons.
40:06 – Ce que dit Maxence est juste, avec cette idée qu'à l'époque,
40:12 premièrement, je dirais que ce sont les laïcs,
40:16 et bien sûr les prêtres de paroisses à titre individuel,
40:19 qui ont mené le combat, on va dire, contre la Nouvelle Messe
40:22 ou pour la messe traditionnelle, et Madiran de ce point de vue
40:25 a été un fer de lance, un rassembleur, un initiateur,
40:31 à travers d'abord la revue itinéraire, et puis effectivement
40:36 la réclamation publique qu'il fait auprès de Paul VI en 72.
40:41 Mais avec l'idée que, et c'est ça qui le différencie
40:44 d'autres "traditionalistes", à la même époque,
40:48 on a l'abbé de Nantes qui aujourd'hui est un nom plutôt oublié,
40:52 mais enfin qui à l'époque était un homme, un prêtre d'église très influent,
40:55 avec une revue très diffusée, lui avait choisi ce que Madiran appelle
41:00 la voie d'accusation, donc il accusait Paul VI d'hérésie, de schisme, de scandale.
41:05 Madiran, lui, choisit la voie de ce qu'il appelle la réclamation,
41:09 d'où le titre de son texte et du livre qu'il a suivi,
41:12 et donc cette réclamation, il va la porter, on peut dire jusqu'à sa mort.
41:16 Donc quand Benoît XVI finalement rétablit la messe traditionnelle,
41:20 pour lui c'est un événement considérable dont il ségré au pape Benoît XVI.
41:27 Lorsque le catéchisme de l'église catholique paraît sous Jean-Paul II,
41:33 il considère aussi que c'est une avancée considérable,
41:36 puisque la doctrine est réaffirmée de façon traditionnelle,
41:41 ordonnée et synthétique, et à la portée de qui veut s'en saisir.
41:45 Même s'il le regrette, il le regrettera jusqu'à la fin de sa vie,
41:48 même s'il regrette qu'il n'y ait pas eu en même temps la publication par homme
41:53 d'un catéchisme pour les familles, pour les enfants,
41:56 qui soit accessible et soit diffusé dans toutes les paroisses et fasse référence.
42:02 Donc il s'avégrerait au pape de ce qu'ils ont fait, même s'il les incitait à faire plus.
42:09 Alors il y a un point qui me paraît très important que l'on ne souligne pas
42:14 en règle générale concernant Jean Madiran et auquel j'avais été très sensible
42:18 lorsque je l'ai lu, d'une manière d'ailleurs pas du tout cursive,
42:21 mais j'avais eu l'occasion de le lui dire d'ailleurs.
42:24 Il y a un côté écrivain chez Madiran, je veux dire par là qu'il y a un style de Madiran.
42:30 Il y a un usage de la langue française chez Madiran qui me paraît très beau, très juste.
42:35 Et Michel de Gégère d'ailleurs dans la préface à l'hérésie du XXe siècle
42:39 le souligne d'une manière très heureuse.
42:42 C'est anecdotique mais c'est révélateur du personnage.
42:45 Je l'ai rencontré à Madiran qu'une seule fois, très brièvement,
42:48 et je lui faisais part, c'était il y a des années,
42:51 je lui ai fait part de cet intérêt que j'avais pour son style.
42:56 Et je lui ai dit c'est très curieux que vous n'ayez pas envisagé
43:00 peut-être une autre modalité d'écriture.
43:03 Et il m'a répondu d'une manière à la fois laconique et assez sèche.
43:07 On ne peut pas tout faire.
43:09 Voilà à quoi s'est borné mon dialogue avec Madiran.
43:12 Peu importe.
43:14 Madiran a publié, c'était en 2012, donc très peu de temps avant sa mort,
43:19 des dialogues du pavillon bleu aux éditions Via Romana.
43:23 Qui est ce qu'on va essayer de montrer en quelque sorte l'usage de notre Madiran.
43:28 Qui est un livre qui n'a rien à voir avec ses essais philosophiques,
43:33 politiques, journalistiques, militants.
43:36 Donc qui est un essai de fiction, enfin un essai de fiction,
43:39 qui est une fiction, et une tentative de fiction en quelque sorte.
43:42 Est-ce que vous êtes, vous, en tant que véritable lecteur de Madiran,
43:46 est-ce que vous êtes sensible au style de Madiran ?
43:49 Est-ce que vous pensez qu'il y avait en lui un écrivain également ?
43:54 Je ne dis pas du tout un écrivain contraint, etc.
43:56 Ce n'est pas du tout le problème.
43:58 Il a eu une vie d'action et de publication considérable.
44:00 Mais c'est assez rare cette conjonction, de mon point de vue en tout cas.
44:04 J'allais presque dire du styliste et du combattant.
44:07 De l'homme religieux, de l'homme politique.
44:12 C'est quelque chose de quoi vous êtes sensible ou pas du tout ?
44:14 – Effectivement, je pense qu'il y a un style Madiran qui s'appuie sur
44:21 les exigences qu'il portait en lui, qui est l'extrême précision.
44:27 – Oui, oui. Grande clarté de la langue également.
44:31 – Qui conduit à une grande clarté de la langue.
44:33 Une exigence de définition toujours très poussée à tel point que
44:41 on a pu dire de lui qu'il prêtait à ses adversaires des pensées qu'il n'avait pas.
44:47 Parce que lui tirait à fond le vocabulaire, en tirait les conséquences à fond
44:53 que certainement beaucoup de ses adversaires n'avaient pas en tête.
44:58 Et ça, ça conduit à un style.
45:01 Le père Bouk Berger, je ne sais plus à quel endroit il le dit exactement,
45:07 mais voit, ça revient un peu au début de notre conversation,
45:11 voit en Jean Madiran un héritier, l'héritier de Péguy.
45:16 Non pas l'héritier de Maurras, les rapports de Bouk Berger avec Maurras
45:19 expliquent peut-être le fait, mais voit vraiment…
45:23 – Bouk Berger écrit ça, littéralement.
45:26 – Voilà, il le voit comme héritier de Péguy.
45:30 Et je pense qu'il y a quelque chose de péguiste,
45:33 je ne sais pas si le terme est approprié, dans l'écriture de Madiran.
45:39 Et François Brignot écrira dans le numéro 300 d'Itinéraire
45:43 qu'il faut que Madiran se présente à l'Académie française,
45:48 ce qui aurait fait honneur à l'Académie française, effectivement.
45:52 – Tout à fait. – Et Vichyran ?
45:54 – Oui, effectivement, Brignot a porté cette candidature, si on peut dire,
46:00 l'a incitée à poser cette candidature,
46:03 a ensuite présent, le journal présent a soutenu cette incitation,
46:09 mais Madiran finalement, on en est sûr, n'a pas donné suite,
46:13 en se disant peut-être que c'était une bataille perdue.
46:16 – Certainement.
46:17 – Il n'a pas posé sa candidature, c'est certain,
46:19 les archives de l'Académie française témoignent
46:21 qu'il n'y a pas de candidature officielle de Madiran.
46:25 Mais effectivement Péguy et le style de Madiran,
46:31 la volonté de Madiran d'aller au fond des choses,
46:34 de pousser dans leur tranchement les auteurs qu'il conteste,
46:38 qu'il critique ou qu'il commente, sont en lien direct avec son style.
46:44 Donc il y a une acribie sur le plan intellectuel
46:47 qui se traduit dans les formulations, dans l'écriture,
46:51 par une exigence qui parfois est exagérée,
46:55 parce qu'il va contester un mot ou passer trois pages à décortiquer une phrase.
47:00 Mais on le voit bien dans la rédaction du XXème siècle,
47:04 en gros toute l'argumentation du livre
47:07 tient sur la contestation de trois lignes publiées par les évêques.
47:11 Mais sur le fond, il a quand même raison,
47:13 parce que ces trois lignes sont significatives d'un état d'esprit,
47:17 d'une pensée et même d'une volonté de réforme
47:23 qui est dommageable pour la foi, c'est certain.
47:27 Alors il nous reste très très peu de temps,
47:30 on ne peut pas ne pas évoquer le journal présent d'une manière plus directe,
47:36 hélas de manière très très rapide.
47:38 Pour les plus jeunes générations,
47:39 Maliran est associé au journal présent, bien sûr,
47:42 qu'ils fondent en 1981, je crois.
47:44 Que peut-on dire de cet engagement politique de Jean Maliran,
47:50 engagement journalistique certes, mais engagement politique,
47:53 donc soutien au Front National, soutien à Jean-Marie Le Pen.
47:57 Quelles ont été, en très peu de mots hélas, il nous reste peu de temps, je le répète,
48:01 quelles ont été ces relations-là,
48:03 que peut-on en dire de ce dernier Maliran, entre guillemets,
48:07 ou de ce Maliran directement politique et engagé dans le débat politique français ?
48:13 Maliran fonde présent en 1981, donc il a 61 ans,
48:18 donc il est dans une grande maturité on va dire,
48:22 et il fonde ce journal, mais c'était une idée très ancienne chez lui.
48:26 Dans les années 47-48 déjà, d'un bouquin signé Lagorre,
48:32 il déplore qu'il n'existe pas de quotidien,
48:37 on va dire nationaliste ou national et catholique,
48:41 et il dit pour ça il faudrait un milliard.
48:44 Et donc l'expression "un milliard" va se retrouver sous la plume de Brugnaud
48:49 au moment du lancement de présent.
48:51 Donc l'idée c'est un journal qui puisse quotidiennement porter la contradiction,
48:58 défendre des combats, mener des campagnes, la notion de campagne est importante.
49:03 Alors à l'origine c'est certainement pas un journal en soutien au Front National.
49:09 Oui ce n'est pas un journal militant.
49:11 Voilà, le Front National existe, mais n'est pas encore le parti important qu'il deviendra.
49:17 C'est un journal qui est à la fois patriote, catholique,
49:23 anti-moderne pour ce qui est des dérives qu'on peut observer dans certaines lois, etc.
49:29 l'avortement et d'autres.
49:31 Et il va devenir, non pas le journal du Front National,
49:35 parce que le Front National inversement n'a jamais soutenu le présent,
49:39 mais il va se mettre au service de Le Pen à partir du milieu des années 80,
49:45 et donc avec une formule contestable, mais une formule de main d'Iran,
49:51 qui dit soit on soutient et à 100% soit on ne soutient pas.
49:55 Et donc pendant quelques années au moins, on va dire une dizaine d'années,
49:59 jusqu'à la rupture du Front National et de Maigret,
50:03 ça va être un journal qui soutient à fond le Front National,
50:08 qui suit ses candidats, suit les campagnes présidentielles,
50:12 même si encore une fois la réciproque n'est pas vraie, n'est pas établie.
50:18 Le Front National n'a jamais soutenu le présent, malheureusement, pour le journal.
50:22 Et donc c'est, on va dire, un soutien à sens unique,
50:26 avec l'idée que bien sûr, pour Madiran, qui reste monarchiste de cœur
50:32 et de conviction un parti politique dans le système démocratique français,
50:40 n'a pas beaucoup de chance de pouvoir appliquer un programme complet de restauration,
50:47 de la France en général, mais avec l'idée qu'il faut soutenir le Front National
50:53 parce que c'est la seule voie pour aboutir au moins à des changements partiels,
50:59 ponctuels ou temporaires.
51:03 – Il avait une espérance dans l'ordre temporel Jean-Madiran ?
51:08 – Est-ce qu'il croyait en l'arrivée au pouvoir de Le Pen pour dire des choses clairement ?
51:14 – Ou en tout cas, à un horizon, indépendamment de l'aspect plus politicien,
51:18 mais à un horizon qui, temporellement, pourrait être différent,
51:22 dans le sens positif bien entendu.
51:24 Il était animé par une espérance temporelle ou pas du tout ?
51:27 – Je pense que oui, parce qu'on ne peut pas combattre plus main à main tous les jours
51:31 sans espérer que les idées qu'on soutient, les combats qu'on mène,
51:37 aboutissent au moins, soit à faire reculer une décadence,
51:41 soit à renverser cette décadence.
51:46 Mais je pense qu'il n'y avait pas non plus d'illusion,
51:49 y compris avec des personnalités catholiques qui soutenaient son combat
51:56 et pour lesquelles il a parfois été déçu.
51:59 – Merci beaucoup Yves Chiron, merci beaucoup Philippe Maxence.
52:03 J'espère que nous vous aurons donné envie de découvrir ce Jean Madiran presque buissonnier,
52:09 pour reprendre un terme qui renvoie au début de notre émission,
52:13 avec le vent dangeur et le bufferon en tout cas,
52:15 un Jean Madiran qui n'est pas du tout, dans le portrait,
52:18 n'est pas du tout conforme aux restrictions, aux préventions
52:22 que l'on peut, à tort ou à raison, nourrir à l'endroit de sa personne et de son itinéraire.
52:27 Un Jean Madiran complexe, nuancé, méticuleux, précis et en même temps très ouvert,
52:35 en tout cas beaucoup plus ouvert que bien de nos contemporains à certains égards.
52:40 Merci à vous deux, merci à vous et à très bientôt.
52:44 [Musique]