Ici et maintenant - Au coeur d'une unité de soins palliatifs

  • il y a 7 mois
Parce que la fin de vie est un sujet sensible, presque tabou, peu de Français savent exactement ce qui se passe dans les unités de soins palliatifs. Mais parce qu'un projet de loi sur l'aide active à mourir est en préparation, il apparaît essentiel de s'y intéresser et de comprendre comment ces unités fonctionnent lorsqu'on y met des moyens et de l'humain. Rebecca Fitoussi a passé plusieurs semaines en immersion dans la maison médicale Jeanne Garnier, à Paris, un lieu entièrement dédié à l'accompagnement des malades pour lesquels il n'existe plus aucun traitement. La réalisatrice nous y fait découvrir l'engagement des soignants, l'authenticité des patients, mais aussi l'humanité sans faille des bénévoles et paradoxalement, la vie qui se dégage de l'établissement.
Année de Production : 2023
Transcript
00:00 ...
00:07 -C'est une sacrée vie, ça. -Comment ?
00:09 -C'est une sacrée vie !
00:11 -Ah oui.
00:12 -Que vous me racontez là, par petits bouts, très pudiques.
00:15 -Oui, oui, oui.
00:16 -Très pudiquement, vous êtes en train de me dire
00:19 que vous avez vécu auprès des éminences du pays.
00:23 -Une sacrée vie.
00:24 ...
00:28 -Vous êtes plongé dans vos souvenirs.
00:30 ...
00:33 -C'est dur, tout ça.
00:35 ...
00:37 C'est là où on voit comment on vieillit.
00:39 ...
00:49 -Les gens ne comprennent pas forcément
00:51 ce que c'est, les soins palliatifs,
00:53 parce qu'on n'en parle pas assez.
00:55 La fin de vie, c'est terrible d'aborder.
00:58 C'est un des sujets là, ça fait peur.
01:00 -Il y a encore aujourd'hui une vraie méconnaissance
01:03 de tout ce que peuvent apporter les soins palliatifs,
01:06 et dans le cadre en particulier des débats actuels
01:09 autour de la fin de vie, c'est particulièrement important
01:12 de montrer qu'on a énormément de solutions.
01:15 -Dans les pays anglo-saxons, en réalité,
01:17 la médecine palliative est une spécialité.
01:20 C'est vraiment le traitement de tous les symptômes,
01:23 c'est-à-dire tout ce qui peut gêner le malade
01:25 dans son état de bien-être par rapport à sa vie,
01:29 mais lorsque ce malade est atteint d'une maladie incurable.
01:32 ...
01:44 -Ici, c'est pas des numéros de chambre.
01:47 Il y a un rapport humain qui se fait qui est phénoménal.
01:52 ...
01:55 Il y a comme de l'électricité entre les gens.
01:58 Il y a une telle alchimie à la fois, tu vois.
02:01 Toutes les barrières sont baissées, t'es dans le vrai.
02:04 ...
02:12 -Oh là là !
02:14 -C'est chaud, hein ? -Ah bah oui !
02:16 -C'est du calondre !
02:18 -C'est chaud !
02:19 ...
02:27 -Il y a Florence qui est absente,
02:29 parce qu'elle marie sa fille demain.
02:31 -Solène...
02:32 Elle marie sa fille ou sa fille se marie ?
02:37 Rires
02:38 -Ça, c'est le coup.
02:40 ...
02:48 -Si vous voulez bien partager vos...
02:50 vos expériences sur le détonnement avec...
02:54 avec les malades ou avec les soignants...
02:58 ...
03:05 -La semaine dernière, j'ai eu la surprise
03:07 d'être interrogée par la médecin de mon service,
03:11 qui voulait me parler d'un accompagnement
03:15 que je vous avais partagé d'un monsieur que j'ai accompagné
03:18 trois fois de suite, alors qu'il s'enfermait
03:22 dans la tristesse, dans la nostalgie,
03:25 qu'il voulait plus parler.
03:27 Et moi, je l'ai accompagnée dans le silence,
03:29 dans des grands accompagnements d'une heure.
03:32 C'était quelque chose qui m'avait bien marquée.
03:34 Et donc, l'infirmière, pardon, la médecin,
03:37 qui est une jeune médecin, venait me voir, Florence.
03:40 Ce monsieur est donc décédé, tu le sais.
03:42 Et j'étais... Voilà, j'étais très touchée
03:44 de la façon dont tu l'as accompagnée.
03:47 Et en fait, j'ai compris que... Deux choses.
03:49 J'ai compris que, d'une part,
03:51 elle était intéressée de savoir
03:53 ce qui avait pu se nouer dans la chambre.
03:56 Et deuxièmement, et surtout,
03:59 elle avait cette satisfaction de se dire
04:02 que là où il n'y avait plus d'échanges
04:05 avec l'extérieur, par le biais du bénévolat
04:08 et de la bénévole que j'étais,
04:10 j'allais continuer à créer un petit îlot
04:13 d'humanité, de fraternité,
04:16 quelque chose de notre humanité.
04:18 Donc voilà, c'était...
04:19 C'était... C'était chouette, quoi.
04:21 Je... Voilà, je me suis dit
04:24 qu'on avait vraiment notre place.
04:27 -Oui. -Oui.
04:29 -Oui, donc ça m'a...
04:31 -Ça m'a quand même fait plaisir.
04:32 Rires
04:34 -C'est ça, d'entendre...
04:36 -On va le dire. -En toute féminité.
04:37 -Voilà. -Ca fait...
04:40 Ca alimente encore l'énergie.
04:41 -C'est ça, ouais.
04:43 -C'était chouette.
04:44 -Ce matin, avec Chantal,
04:46 on est rentrées dans une chambre
04:48 d'une dame qu'on avait accueillie
04:51 vendredi dernier,
04:52 pour qui on est entrées
04:54 pour faire une présence silencieuse.
04:56 C'était une première,
04:58 parce que ça m'est déjà arrivé
04:59 d'être silencieuse dans une chambre,
05:02 mais il me semble que j'étais jamais rentrée
05:05 en ayant l'objectif de faire une présence silencieuse.
05:08 J'ai trouvé que dans ce moment,
05:10 on prenait vraiment conscience
05:13 de... du temps, du temps qui passe.
05:17 Il y avait vraiment un décalage
05:19 entre cette respiration,
05:21 parfois lente, parfois avec des pauses respiratoires,
05:24 et au dehors, la fenêtre était entre-ouverte.
05:27 On sortait de voitures klaxonnées,
05:30 de personnes se hailer.
05:31 On se dit "Tout va vite à l'extérieur,
05:33 "et ici, entre deux souffles,
05:35 "tout ce qu'on entend, c'est toujours...
05:38 "Je trouve ça étonnant."
05:40 Et puis...
05:41 À un moment, Chantal s'est approchée d'elle
05:45 et lui a mis doucement la main sur le front,
05:48 et la personne a ouvert les yeux.
05:50 Il y a vraiment eu un échange de regards
05:52 réel, court,
05:54 mais avec une intensité forte.
05:58 Je sais que c'était des moments hyper profonds,
06:01 très épais, très intenses,
06:03 où on était vraiment dans l'intimité des gens,
06:06 quand même on ne disait rien, on ne faisait rien.
06:09 Et en sortant, je me suis dit
06:11 "Je ne pourrais pas retourner dans une autre chambre."
06:15 J'ai compris l'intérêt de la salle des bénévoles.
06:18 Pas forcément parce que c'était trop dur, trop lourd,
06:21 mais pour la personne elle-même de se dire
06:24 "On ne peut pas passer directement au suivant."
06:27 "Ce n'est pas un dossier."
06:29 Et parfois, j'imagine que ça peut être particulièrement lourd
06:33 et qu'il faut prendre du temps aussi.
06:35 L'idée, c'est de s'enrichir mutuellement.
06:38 Du coup, il y a une forte convivialité dans ces groupes
06:42 et qui est très soutenante pour les bénévoles.
06:44 Parce que les bénévoles, ils ont une famille,
06:47 ils ont des amis, on leur renvoie, ce genre de choses.
06:50 Ils ont bien conscience que ce n'est pas forcément évident,
06:53 mais en même temps, ce qui se vit ici, c'est d'une telle richesse,
06:56 parce qu'il y a quelque chose de l'essentiel,
06:58 où il n'y a plus de masques possibles,
07:01 et que du coup, on est dans le vrai de la rencontre,
07:03 et on n'a pas de prix.
07:05 Bonjour, monsieur.
07:14 Je suis Luc Bénévole.
07:16 Est-ce que je vous dérange ?
07:18 Mon objectif, c'est simplement de passer un moment avec vous
07:21 pour papoter, si vous êtes disponibles, si vous voulez bien.
07:25 Moi, je vous vois très...
07:27 Voilà, très serein.
07:29 Oui.
07:31 - C'est beau. - Je suis réaliste.
07:33 Oui, c'est bien.
07:34 Effectivement, ils ne sont pas dans le paraître.
07:38 Ils ne sont plus dans le paraître.
07:40 Ce n'est plus d'actualité.
07:42 Donc c'est ça aussi qui est sympa.
07:44 C'est que...
07:45 Voilà, on se raconte...
07:47 Et puis nous-mêmes, d'ailleurs, aussi, on se raconte un peu,
07:50 pour entretenir le mouvement.
07:52 On ne va pas plus loin que ça.
07:56 Et le simple fait de pouvoir converser avec une personne
08:00 de manière assez libre, assez agréable, etc.,
08:03 c'est lui apporter un peu de vie.
08:05 C'est comme ça qu'on voit notre mission, notre boulot.
08:08 Voilà.
08:09 Ça m'oblige à sortir un peu de moi.
08:12 Quelque part, c'est aussi, je pense,
08:16 une façon d'apprivoiser la mort.
08:18 Alors, là, il y a du monde.
08:22 Le temps moyen de séjour ici, c'est de l'ordre de la semaine.
08:29 Il y a des gens qui restent beaucoup plus longtemps.
08:30 Il y a des gens qui restent deux mois, trois mois.
08:32 Mme Balk.
08:37 On peut essayer, Mme Balk.
08:40 Bonjour, madame.
08:43 Je suis Luc Bénévol.
08:46 Est-ce que je vous dérange ?
08:47 Non, pas du tout.
08:49 Ah, vous êtes trop...
08:50 Est-ce que je peux vous tenir compagnie un instant ?
08:53 Ah, c'est trop gentil.
08:55 La vie est assise, Zakar.
08:58 Elle est finie, tu sais.
09:00 Oui.
09:01 Et moi, je suis dans la finitude.
09:03 C'est un peu une expérience, cette fin de vie.
09:08 C'est pas...
09:10 C'est pas marrant.
09:12 Mais bon, ça fait partie du chemin de nos vies.
09:16 Oui.
09:17 Mais c'est...
09:20 C'est magnifique.
09:21 Vous semblez l'envisager avec beaucoup de sérénité, je trouve.
09:26 Mais attendez, c'est le chemin de tout le monde.
09:28 Oui.
09:29 Oui, mais tout le monde ne l'aborde pas de la même façon.
09:33 Vous en êtes consciente aussi.
09:34 Oui, oui, oui, mais écoutez...
09:37 D'abord, à l'âge que j'ai, j'ai vécu...
09:40 Je suis diose déjà depuis 15 ans,
09:42 donc c'est ce que c'est que le départ.
09:44 Quelqu'un qu'on aime.
09:46 C'est vrai que ce qui est difficile, la fin de vie,
09:48 c'est quand même de voir...
09:51 C'est une souffrance de voir la vieille dame,
09:54 c'est chiquote de voir.
09:57 Ecoutez, je trouve que...
10:00 Vous n'êtes pas franchement une de la mec rouler, Lucie.
10:02 Quoi ? Elle est en mec roulement.
10:07 Mais non, mais vous gardez...
10:08 Vous tenez à vos principes.
10:10 Vous restez droite, vous restez ferme, vous restez...
10:14 La vie est un combat.
10:15 Complètement.
10:16 J'aime la dégrader.
10:21 Ecoutez, j'espère que vous allez montrer
10:24 que la dégrader, c'est du choix de la vie.
10:27 Que vous y allez guère bon.
10:30 Mais avec plein de choses à vivre avant.
10:33 Plein de mêmes choses.
10:34 Oui.
10:36 Elle m'émeut à chaque fois.
10:43 C'est tellement beau, ce qu'elle raconte.
10:46 C'est une belle personnalité.
10:49 Voilà le genre de cadeau qu'on reçoit, tout simplement.
10:53 C'est pas donné à tout le monde de dire,
10:59 "Le monde est ce qu'il est, mais la vie est ce qu'elle est.
11:02 "On a beau arriver au bout
11:04 "et être confronté à un moment extrêmement difficile,
11:06 "je reste droite, je reste digne, je reste forte.
11:10 "Je cherche la lumière."
11:12 C'est une leçon.
11:16 Ça me fait pleurer.
11:19 Mais j'ai l'âme facile.
11:20 C'est le bon tempérament.
11:23 ...
11:47 -Hé, Julien...
11:49 ...
12:14 Quand je suis arrivée comme bénévole,
12:17 j'ai appris qu'on fait des bouquets pour les personnes qui arrivent.
12:21 Comme ici, c'est pas interdit,
12:24 puisque les bouquets, en principe, dans les hôpitaux,
12:27 c'est pas souhaité.
12:28 Parce que ça peut avoir une odeur, etc.
12:32 Ici, c'est pas gênant, les personnes sont en fin de vie.
12:36 C'est simplement un geste d'accueil, je pense.
12:40 Nicole m'a demandé si je pouvais faire un bouquet symbolique.
12:46 -Ce n'est pas ces vases-là, parce qu'ils ont un petit goulot.
12:49 On met une demi-fleur dedans, et j'aime pas ça.
12:52 Est-ce que celui-là, ça te va ? -C'est parfait.
12:54 -Il est joli. Bon, très bien.
12:56 Tu peux l'emmener, et après, c'est tout.
12:59 T'en prends un, et c'est tout.
13:00 -Il n'y a qu'une entrée ? -Oui, mais t'as pas de personnes...
13:05 -Bon, très bien.
13:07 -Pourquoi on reste si longtemps bénévole ?
13:09 Parce qu'on apprend quelque chose de la vie,
13:12 et parce que...
13:14 On apprend quelque chose.
13:16 Ca veut pas dire que quand on sera malade, peut-être, nous,
13:19 on sera pas angoissés comme les autres, comme les copains,
13:22 peut-être que oui, exactement pareil,
13:25 mais ça nous apprend quand même.
13:26 À ce jour, aujourd'hui, ça m'apprend beaucoup.
13:29 Voilà, je reçois beaucoup de toutes ces personnes.
13:34 Et c'est vraiment notre vulnérabilité en face de la leur.
13:39 ...
13:46 ...
14:00 -Ce sont les scènes que vous avez lues ?
14:03 -Oui. -Là, comme ça, vous allez le voir.
14:05 -Merci, madame. -Voilà.
14:07 ...
14:13 -Elle est contente.
14:14 ...
14:27 -Non, on a apporté la chute,
14:28 et puis il y a eu l'excuse pour les parlementaires,
14:31 pour les gens qui apparaissent dans la cuisine.
14:34 -On a pas été envoyés.
14:37 -Alors, à la 215...
14:39 Je vous laisse voir.
14:40 215, c'est un monsieur qui est arrivé hier
14:46 dans Boisse-Pavé, un monsieur de 57 ans,
14:49 donc d'un cancer bronchique,
14:51 paraplégique, avec une compression médulaire,
14:55 donc qui l'empêche de...
14:57 de mouvoir les jambes.
15:00 Il a une PCA biomorphine.
15:03 Euh...
15:06 Voilà. La nuit s'est bien passée.
15:09 Il a bien dormi.
15:11 Sinon, il était satisfait.
15:13 Il était un petit peu...
15:15 Il a beaucoup... Un petit peu anxieux.
15:17 Il a pas mal appelé cette nuit, mais il a bien dormi.
15:19 -Tu dis qu'il a pas mal appelé cette nuit ?
15:21 -Pour des babioles, en fait.
15:24 Mais qui masquaient un peu une petite anxiété, sans doute.
15:27 217,
15:30 euh... Eh bien...
15:34 Voilà, une fatigue qui s'installe.
15:36 Euh...
15:38 Il a, en fait, hier bénéficié d'un repas dans sa chambre
15:41 avec ses proches, donc entre côtes frites.
15:44 Euh... Donc c'était assez convivial, un moment assez chouette.
15:48 Mais du coup, qui a occasionné des brûlures gastriques.
15:52 Donc il a eu du gaviscon hier soir.
15:55 Et là, il parlait de nausées cette nuit,
15:57 et donc éventuellement... Je sais pas s'il en est repli, ce matin.
16:00 -Non, ce matin, il était confortable.
16:03 -Ouais, il a rien de... Rien de chaud, moi.
16:05 -Bon, on est en train de partir.
16:27 -C'est un petit voyage olfactif.
16:31 -Oui, oui, oui. -Faut que je passe à la porte.
16:33 Moi, je suis une fille du sud, là.
16:36 Ça me fait penser à plein de choses que j'aime.
16:38 Oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui.
16:47 -Ça, c'est la maison médicale, tu vois ?
16:50 C'est des relations, c'est des gens qui s'entendent bien,
16:53 c'est des soins pensés, c'est du temps avec les gens,
16:56 c'est des mots, c'est des gestes, c'est...
16:59 Tu vois, c'est des bénévoles, c'est des arts thérapeutes,
17:02 c'est de la musique, c'est du piano.
17:04 Dans quel endroit tu profites de quelqu'un
17:07 qui joue du piano comme ça, librement ?
17:09 Tu vois, c'est des moments même pas préparés.
17:12 Il y a pas besoin que ça soit préparé,
17:14 ça arrive tous les jours.
17:15 ...
17:45 -J'ai fait une rencontre assez déroutante la semaine dernière.
17:48 Il y avait un homme qui était sur le banc
17:51 et je me suis assise avec lui,
17:55 et puis il me dit "oui, j'accompagne mon épouse,
17:57 "mon écruse au clair, ça fait trois ans qu'elle est malade,
18:02 "elle veut mourir, en fait, elle veut mourir, on a..."
18:05 Bon, je sais, elle en a marre.
18:08 Et puis il fout en larmes.
18:11 Alors, ça m'a surpris, parce qu'il était pas...
18:14 Et ça l'a surpris aussi.
18:15 Et il m'a dit "mais je comprends pas, j'en parle,
18:18 "ça me fait jamais pleurer."
18:20 Donc...
18:22 Ne vous inquiétez pas, c'est des faits bénévoles.
18:25 On est là pour ça, c'est très aidant.
18:27 ...
18:30 -Merci, toi non plus.
18:32 -Toi non plus.
18:33 -J'ai eu aussi ce matin un échange avec une dame
18:35 qui m'avait dit la semaine dernière qu'elle voulait l'euthanasie.
18:39 Et puis ce matin, elle me dit...
18:42 En fait, on m'a dit que je pouvais pas rester à Jeanne-Garnier
18:45 parce que je relève plus de cet établissement, j'avais mieux.
18:49 Et du coup, j'ai médité.
18:52 Et en fait, je m'aperçois que j'étais pour l'euthanasie,
18:56 mais je suis plus pour l'euthanasie.
18:57 Parce qu'en fait, comme je vais un peu mieux,
19:00 j'ai envie de vivre.
19:01 Et j'aimerais bien que ce soit plus tard.
19:05 En fait, elle réfléchissait,
19:08 elle essayait de trouver un sens à sa vie.
19:11 Donc voilà.
19:12 Moi, j'avais juste à écouter, peut-être donner une formulation.
19:16 -J'étais dans la salle des bénévoles,
19:21 et donc il y a un soignant de mon étage qui a appris en disant
19:25 qu'il faut absolument que les bénévoles viennent.
19:27 On a le fils d'une patiente qui tourne,
19:29 qui tourne comme un lion en cage dans le service.
19:33 Il me supportait pas.
19:35 L'état de dégénérescence progressive de sa mère.
19:39 Et il me faisait justement la logique du fait
19:42 qu'il fallait que la loi change, que la loi évolue,
19:44 que l'on pouvait avancer lors de la mort,
19:48 que là, sa mère n'aurait pas supporté de se voir dans cet état-là,
19:53 qu'elle n'avait pas fait le directif anticipé,
19:56 parce qu'à cette génération, on n'organisait pas son départ,
19:59 qu'on avait le déni de la mort.
20:01 Et donc, à un moment, je lui dis,
20:03 "Mais en fait, c'est vous qui supportez pas."
20:07 Ce que je peux comprendre, d'ailleurs,
20:09 que votre maman se délite et que la mort arrive trop doucement.
20:14 Donc, en fait, c'est vous qui êtes très mal à l'aise
20:16 avec cette situation.
20:17 Mais votre maman, en fait, elle est dans une situation de confort,
20:21 elle ne souffre pas,
20:22 elle s'achimine tout doucement vers sa fin.
20:24 -Oui.
20:25 -Ici, on monte beaucoup d'escaliers, et on en descend aussi beaucoup.
20:48 C'est un bénévolat un peu sportif.
20:50 ...
20:56 -Je me souviens d'une dame qui était dans une grande colère
20:59 d'être dans cette maison médicale, et rien n'allait.
21:02 J'ai dû rester au moins une demi-heure auprès d'elle.
21:05 Elle déversait sa colère,
21:06 et notamment pour nous dire que l'organisation des bénévoles
21:09 était épouvantable,
21:11 parce que chaque jour, elle voyait une bénévole différente
21:14 ou un bénévole différent,
21:15 et qu'elle n'était pas là pour renouer des relations
21:18 avec les autres.
21:19 On ferait mieux d'avoir un bénévole qui est là toute la semaine.
21:23 C'était très, très fort.
21:24 J'ai senti qu'il fallait l'écouter, et j'ai retransmis après.
21:27 ...
21:29 Il toque à la porte.
21:30 -Bonjour, monsieur.
21:32 -Bonjour, monsieur.
21:33 Je suis Anne-Marie, bénévole.
21:36 Est-ce que vous souhaitez une petite visite ?
21:39 Non ?
21:41 Vous préférez vous reposer ?
21:43 Bon, je vous laisse, alors.
21:48 Au revoir, monsieur.
21:49 Je crois que c'est une phase, il y a un certain nombre de malades.
21:54 Quand ils sont dans une phase de révolte,
21:57 la seule chose à faire, c'est écouter leur révolte.
21:59 Bonjour, monsieur.
22:01 Et là, vous êtes dans les arbres.
22:06 Eh bien, ici, vous avez un platane.
22:10 Celui-ci, vous pensez...
22:11 Moi, je dirais que c'est un platane, mais peut-être vous avez raison.
22:16 Oui, il y a des platanes aussi, là-bas.
22:18 C'est beau, parce que c'est le meilleur moment pour les arbres.
22:23 C'est là qu'ils sont les plus beaux.
22:25 Donc, les malades font un peu partie de ma vie, quoi.
22:29 Je crois que ce que j'apprends beaucoup, à Jeanne Garnier,
22:32 c'est que la mort fait partie de la vie.
22:34 Et qu'en fait, on l'occulte beaucoup dans la société aujourd'hui,
22:37 mais tant qu'on n'accepte pas cette réalité,
22:40 que...
22:41 Nous sommes mortels, nous sommes fragiles.
22:46 Du coup, je crois que c'est une manière d'apprivoiser,
22:48 d'une certaine manière, ce temps de la mort.
22:51 Moi, ça me renvoie à ma propre mort.
22:53 Combien de fois je me dis "Comment je vais mourir ?"
22:55 Et ça, on n'a pas de prise là-dessus.
22:57 Ni quand, ni comment, ni...
22:59 Voilà.
23:01 Je ne pense pas être habitée par une grande peur.
23:06 D'ailleurs, quand je m'accompagne des personnes
23:09 qui sont en situation précaire,
23:11 carrément à la toute fin,
23:14 je trouve que c'est un beau moment,
23:16 c'est très corporel en plus,
23:18 d'accompagner les personnes, c'est très sensoriel.
23:21 Il n'y a plus que la respiration,
23:23 il n'y a plus que le souffle qui anime la personne.
23:26 Et alors, je me surprends souvent
23:28 d'être en une certaine communion avec la personne
23:31 à travers le souffle.
23:33 C'est-à-dire d'essayer de respirer au même rythme qu'elle.
23:37 Il y a quelque chose qui se passe...
23:39 C'est étonnant, ce souffle-là.
23:44 On peut avoir quelqu'un qui est complètement inconscient,
23:47 ou en tout cas, qui ne paraît pas conscient,
23:49 et il n'y a plus que ce souffle qui anime.
23:52 Des fois, la respiration s'arrête, puis elle reprend.
23:55 -Parce que de la musiciocratie, comme M. Emile Deschamps ?
24:12 ...
24:22 -De la pléthore, oui.
24:23 -Non.
24:24 ...
24:28 -C'est pas de la pléthore, mais c'est...
24:30 ...
24:59 -Souvent, les personnes sont assez impressionnées.
25:01 Elles disent que c'est triste, déjà.
25:04 -Ca doit être dur. -Ca doit être dur.
25:06 "Vous devez pas beaucoup rigoler."
25:08 Et on est en mode...
25:09 En effet, ça reste quand même triste pour la majorité des gens,
25:13 mais déjà, on est là pour un peu égayer,
25:15 et puis après...
25:17 -C'est pas du tout un service dans lequel on rigole pas.
25:20 -Oui, voilà.
25:21 -C'est une approche différente du soin.
25:23 On crée des liens différents que dans d'autres services de chirurgie,
25:27 où on les accompagne vraiment jusqu'au bout.
25:30 On a un lien plus fort.
25:32 ...
25:37 -Bonjour, madame !
25:39 ...
25:41 Ca vous dit des petits massages, madame ?
25:43 Vous voulez rester au fauteuil ou vous préférez vous installer au lit ?
25:47 -Euh...
25:48 Non, mais M. Plumart.
25:50 -OK, ben allez-y.
25:52 -Je vais enlever mes lunettes, là. -Ca marche, allez-y.
25:55 On va vous mettre de la crème, d'accord ?
25:58 -Chouette, chouette, chouette. -Oh, c'est génial !
26:01 -J'y vais, madame.
26:03 -Ca met un petit peu d'odeur, comme ça...
26:08 Parfait, hein ?
26:09 Pour les beaux jours !
26:11 -Pour les beaux jours ! Allez-y.
26:13 -Allez-y, ça !
26:14 -Vous êtes pas allée dans le jardin, aujourd'hui ?
26:17 -Ah oui. -Les pivoines sont magnifiques.
26:19 -Oui, c'est ce qu'on vous a dit. -Oui.
26:22 -C'est beau, mais c'est fou, les...
26:25 Les fleurs qui sont déjà fanées, hein.
26:28 -Ah oui, déjà, hein !
26:29 C'est un projet de vie,
26:32 parce qu'il y a quand même une vie
26:34 qui est bien présente à la maison médicale Jeanne Garnier.
26:37 Et que, ben voilà...
26:38 Du coup, on peut être étonnés que parfois,
26:41 même il y en a... Après, c'est différent,
26:43 mais il y en a qui vont demander la sédation,
26:46 et après, ils vont changer d'avis.
26:48 Il y en a qui arrivent avec leur demande,
26:50 ils restent avec leur demande jusqu'à la fin,
26:53 donc c'est beau de pouvoir répondre à des demandes
26:55 qui sont pas forcément répondues dans les services
26:58 par manque de temps personnel,
27:00 puis tout, par... Voilà, c'est ça.
27:03 On est vraiment spécialisés dedans, même pour la douleur.
27:06 -J'ai pas fait rendre de rêve, ça.
27:08 -Ah non ! Même là, je sens qu'il fait chaud !
27:11 -Oui, il fait chaud dans votre chambre.
27:13 -Tant que vous êtes bien, c'est ce qui compte, hein.
27:16 -Hm ?
27:18 -Tant que vous êtes bien, c'est ce qui compte, ça.
27:20 -Genre, les suées climat d'avron ?
27:22 -Bah oui. -Eh oui.
27:24 Je suis sur mon chemin de nuit.
27:26 -Votre chemin de ?
27:28 -Je suis sur mon chemin de nuit.
27:30 -Oui, j'avais compris, de nuit ! -Je me souviens pas.
27:33 Musique douce
27:35 ...
27:51 -Il y a pas plus de brosse à brûle, ici.
27:53 ...
27:56 -C'est ce que vous êtes en train de faire.
27:58 ...
28:00 Que voulez-vous que je tienne, si vous avez la main qui fatigue ?
28:04 -Vous l'accrochez, oui.
28:05 ...
28:08 -Jusqu'en haut, jusqu'en haut, jusqu'en haut.
28:11 -À travers les processus de création,
28:14 j'essaie de mettre au travail les difficultés des patients.
28:18 C'est pas une activité occupationnelle,
28:20 c'est vraiment une activité thérapeutique.
28:23 Vous pouvez y aller, vous pouvez prendre la matière.
28:26 -Ah bah, c'est bien, comme ça.
28:29 -Aussi, lui dire que le résultat, ça, ça peut rester entre nous.
28:33 Ca peut être totalement secret,
28:35 et que c'est pas grave.
28:38 L'important, c'est l'expérience en elle-même.
28:42 -Est-ce que vous voulez que je vous montre de loin,
28:44 pour voir déjà ?
28:46 Peut-être pas.
28:49 -Oui.
28:50 -Si vous pouvez diriger ce plus gros,
28:53 jusqu'au bout de la feuille.
28:54 -Jusqu'au bout.
28:56 J'ai mis tant d'argent en marre.
28:59 Rires
29:00 -Bah oui, ça demande de la concentration.
29:03 -Je le connais.
29:04 -Mais c'est pas grave.
29:05 Vous arrêtez quand vous avez envie.
29:08 Vous n'allez pas finir un Van Gogh en une seule séance.
29:14 Rires
29:16 Vous le pensez ?
29:19 -Non, mais je dirais...
29:20 -Oui, ça demande de la concentration.
29:23 Ca fait longtemps que vous êtes pas sortis de votre chambre ?
29:26 Ca fait beaucoup ?
29:27 C'est une façon de laisser une trace, aussi, quelque part,
29:32 de leur passage.
29:33 Musique douce
29:35 ...
29:47 -Les patients arrivent à un endroit, à un moment,
29:50 où ça sert plus à rien de jouer.
29:53 J'ai un patient, un jour, qui est sorti,
29:55 il a franchi la porte et m'a dit "merci pour cet instant de vie".
29:58 Donc là, je me suis dit "bon, je me suis bien faite
30:01 "de me lever ce matin".
30:02 Et il y a presque une urgence à vivre, encore.
30:06 ...
30:15 C'est magique. L'art est magique.
30:18 ...
30:29 ...
30:44 -Et puis, sinon, on peut partager les expériences vécues.
30:57 Ce matin ou la semaine dernière, ou même il y a très longtemps.
31:00 ...
31:07 -Donc, ce matin, je suis descendue au funérarium
31:11 parce que je pensais que c'était le départ d'une dame
31:16 dont je l'avais lu le nom.
31:19 Au tableau, on avait vérifié avec Marie-Astrid.
31:22 Je suis arrivée un tout petit peu en retard,
31:25 je m'adresse à l'agent funéraire
31:29 pour savoir si c'était bien le départ de madame machin.
31:32 Et il me dit "oui, ils sont dans le salon qui est là".
31:36 Et je rentre et je tombe, visiblement, pas du tout
31:42 sur la personne à laquelle je m'attendais.
31:47 Il y avait son mari et son fils, il n'y avait que deux personnes.
31:51 Ce n'étaient pas du tout les gens que je connaissais.
31:54 Et le monsieur m'accueille en me disant
31:58 "Vraiment, c'est extra, vous êtes venue."
32:01 Il parlait beaucoup, donc...
32:03 Il n'était pas question que je m'en aille, bien sûr,
32:06 mais dans ma tête, je me disais "ce que tu reçois là,
32:08 "ce n'est pas du tout...
32:10 "Ce n'est pas vraiment pour toi, mais nous sommes ici et maintenant,
32:14 "donc tu es là et..."
32:16 Et voilà.
32:18 C'était très touchant.
32:20 J'avais l'impression de recevoir des choses qui ne m'étaient pas dues,
32:23 que je les partagerais après aux soignants
32:26 et aux bénévoles qui, éventuellement, ont été dans ce service.
32:29 Hier soir, j'ai été un petit peu en difficulté interne, personnelle,
32:38 parce que je suis allée dans la chambre d'une dame
32:41 qui demande qu'on lui lise un livre.
32:44 Donc j'ai lu, j'ai commencé à lire le livre,
32:47 et puis les scènes que j'ai lues étaient très érotiques.
32:51 Et...
32:52 C'est une chose de lire des passages érotiques seul,
32:59 avec son bouquin,
33:00 ou de les lire à haute voix, à quelqu'un qui, en plus, est malade.
33:03 Et je n'étais pas très à mon aise.
33:05 Et puis après est arrivé un passage où il y avait une description
33:09 d'un cancer, et puis de tout ce qui se passait, etc.
33:14 Et j'étais carrément pas bien, là.
33:16 Et j'ai d'abord demandé à la dame si elle voulait que je m'arrête,
33:21 parce qu'il y avait un chapitre qui se finissait.
33:23 Elle a dit "Non, vous continuez", donc j'ai continué.
33:26 Et puis là, quand vraiment j'ai pas été très à mon aise,
33:29 au bout d'un moment, j'ai choisi un moment
33:30 qui n'était pas trop mal placé pour lui dire
33:33 "Est-ce que vous voulez continuer ?" Là, elle m'a dit non.
33:35 Et j'ai pas été bien intérieurement en me demandant
33:38 "Est-ce qu'elle me dit non parce que c'est vraiment trop dur ?"
33:40 Est-ce que... Je savais pas, mais c'est vrai que...
33:45 Je sais pas si c'est elle qui a choisi ce livre
33:47 ou si ça a été choisi par quelqu'un d'autre,
33:50 mais je me suis aperçue,
33:52 ça m'est déjà arrivé de lire des livres à quelqu'un,
33:54 mais là, je me suis aperçue que ça créait un malaise
33:58 de lire des choses que...
34:00 C'est pas pareil de les lire tout seul ou de les lire à quelqu'un.
34:04 Elle était malade et j'étais en train de l'étaler.
34:07 Et voilà, j'ai trouvé ça difficile.
34:12 J'ai eu plusieurs visites vraiment émouvantes.
34:18 Et l'une d'elles était une longue visite,
34:21 parce qu'elle était accueillie, semble-t-il, avec bonheur,
34:25 par une dame qui m'a montré
34:29 comment la souffrance cohabitait avec le rire.
34:32 Et c'était étonnant.
34:35 Voilà quelqu'un qui est très conscient
34:37 que, malheureusement, des atteintes cérébrales
34:40 commencent à brouiller l'esprit et en plus l'expression.
34:47 Et alors, elle commence une phrase sans savoir où ça va la conduire.
34:51 Et puis, ça se finit,
34:54 bizarrement, je dirais presque drôlement,
34:57 avec des mots qui n'ont rien à voir avec...
35:01 Mais rien du tout à voir avec le début.
35:03 Et alors, elle s'en rend compte et ça la fait rire.
35:07 Et elle en souffre en même temps.
35:09 Et elle finit par dire, "Bon, c'est pas grave."
35:12 Et puis, elle enchaîne sur autre chose avec le même résultat.
35:17 Mais elle était tellement contente de cette visite
35:20 et d'exposer, j'allais presque dire, sans pudeur.
35:23 On aurait pu imaginer qu'elle soit réservée
35:28 se rendant compte de l'état de sa conversation.
35:32 Mais non. Et moi, j'ai vécu ça
35:35 comme un témoignage de confiance, je dirais presque d'amitié,
35:40 que de se livrer, y compris dans l'état dans lequel elle était,
35:44 dont elle était consciente, qui la faisait rire et souffrir à la fois.
35:49 Et je me dis, on est encore dans un de ces exemples d'ambiguïté
35:54 qui sont dans la nature même des soins palliatifs.
35:58 -C'est quand même un bénévole qui engage.
36:04 Et puis, on est auprès de gens qui sont vulnérables,
36:07 qui sont malades,
36:08 et qui sont dans un moment de leur vie qui est compliqué.
36:12 Donc, il faut... Voilà, il faut...
36:15 Il faut pouvoir être ajusté à ce moment-là aussi.
36:20 ...
36:32 -Bonjour, monsieur.
36:33 Ca vous dérange si je m'installe à côté de vous ?
36:36 Comme ça.
36:41 Moi, je suis bien installée. Et vous ?
36:43 -Ca va. -Ouais ?
36:45 -Ca va. -Comment vous vous sentez aujourd'hui ?
36:47 Vous avez travaillé toute votre vie en Algérie
36:51 ou vous êtes venu en France pour travailler ?
36:55 -Ca fait déjà...
36:57 quelques années que je suis ici, en France.
37:00 -D'accord.
37:02 -J'ai été réuni au Mans.
37:04 Avant d'être hospitalisé,
37:09 j'étais au stade des Ballets.
37:11 J'ai fait le taxi.
37:13 -D'accord. -Pendant 15 ans, dans Paris.
37:16 -Ah. Vous êtes un expert des rues parisiennes.
37:19 -Oui.
37:20 -Toujours, ça m'étonne.
37:21 Je me dis... On vient de se rencontrer, on se connaît pas,
37:25 et voilà.
37:26 Et ils partagent comme ça, avec beaucoup de joie,
37:30 de se raconter, en fait.
37:32 C'est important.
37:34 Puis moi, je suis cette oreille-là qui recueille ça.
37:37 C'est vraiment un privilège de pouvoir avoir ce genre de conversation.
37:41 Donc ça, à chaque fois, moi, ça me...
37:43 Je trouve ça vraiment... Je sais pas, je trouve ça magique.
37:47 -Mais moi...
37:50 Je vais vous dire une chose. -Dites-moi.
37:53 -Je suis souffert dans ma vie. -Ouais.
37:55 -Beaucoup. Depuis mon jeune âge...
37:58 Depuis mon jeune âge,
38:01 alors...
38:02 Sans arrêt, sans arrêt.
38:04 Sans arrêt.
38:06 -Oui, oui.
38:07 -Après, des moments triches, on en a aussi, évidemment.
38:13 On n'est pas non plus toujours qu'en train de rire et de sourire.
38:17 Et c'est vrai qu'il y a plein de moments vraiment touchants.
38:22 -J'entends dans vos mots que ça a pas dû être facile.
38:25 -Oui.
38:26 -Oui.
38:27 -Oui.
38:28 ...
38:47 -Oui.
38:48 -Merci.
38:50 ...
39:05 -Je me suis aperçue une fois de plus, hier soir,
39:08 de l'importance de l'image qu'on donne quand on est malade.
39:13 J'étais dans la chambre d'une dame
39:15 et j'ai remarqué ses ongles qui étaient faits.
39:20 Jolis, roses, c'était bien, tout ça.
39:22 Et je lui ai dit, "C'est ravissant, vos mains."
39:26 Elle était vraiment heureuse de ce que je lui disais ça.
39:29 Je sentais que c'était...
39:31 Et elle me dit, "Oui", et elle revient la semaine prochaine.
39:35 Et j'ai senti, je me suis dit, "C'est vraiment très important
39:38 "l'image qu'on donne, soit le maquillage, soit la coiffure."
39:42 Et là, elle était vraiment...
39:46 Et c'est vrai, c'est vrai que c'était...
39:48 Je sentais que c'était important.
39:50 Et c'est vrai que dans sa silhouette, très menue, dans son lit,
39:54 ses ongles bien faits, ça ressortait.
39:56 C'était vraiment joli et ça m'a fait plaisir
39:59 que l'esthéticienne qui est venue, je suppose,
40:02 ait pu lui faire cette joie et lui faire ce bien-être.
40:06 -J'ai eu la même satisfaction la semaine dernière,
40:11 mais avec une coiffeuse qui est venue faire un shampoing à une dame.
40:15 Un shampoing au lit, ce qui fait que la soignante
40:18 m'a demandé de l'aider à redresser un petit peu la dame
40:21 pour qu'elle soit confortable.
40:23 Tout le monde lui a dit comme elle était belle,
40:26 ce qui était vrai, en plus, objectivement.
40:29 C'était pas uniquement...
40:31 C'était ressenti, elle a été belle.
40:34 Donc, voilà, tout le monde était autour du lit assez joyeux de ça.
40:39 C'est un peu là.
40:40 -On leur rend leur humanité juste par une jolie coiffure,
40:44 par des ongles faits.
40:46 Ils se font reconnus et c'est important.
40:49 -Bon. -Allez, c'est parti !
40:58 On s'est dit une beauté des mains.
41:01 -Yes. -Oui.
41:03 Alors, donc, qu'est-ce que tu as choisi ?
41:06 Y a pas mal, hein ? -Oui, y a beaucoup de choix.
41:10 -Oui, bah oui. C'est un peu le similaire que vous avez.
41:13 Celui-là ? -Oui.
41:15 -Pour changer de peau. -Oui. Allez, c'est parti.
41:18 -Est-ce que vous voulez que je coupe comment ?
41:24 La forme, plus tard, on me dit ?
41:26 -On peut essayer carré. -On peut essayer carré ?
41:29 -Ca fait longtemps que vous êtes en métier ?
41:40 -Alors, ça fait six ans.
41:43 Je travaille en tant que socio-esthéticienne.
41:47 -Oui, ça passe vite, hein ? -Oui.
41:50 -Mais du coup, après, vous êtes où ?
41:52 Vous êtes en institut ou dans d'autres endroits ?
41:55 -Alors, je travaille qu'au milieu hospitalier.
41:58 -D'accord.
41:59 -Dis-moi, madame, ça va, le longueur ?
42:02 -Oui. C'est parfait.
42:04 -Bon.
42:05 -Du coup, en général, les gens, ils demandent quoi, comme ça ?
42:09 -Ah ! C'est...
42:11 Comme si... Exactement.
42:13 Comme si on était dans un institut du quartier.
42:16 -D'accord. -Des épilations.
42:18 -Ah oui ? -Ah oui !
42:20 Oui, un soin de visage, un massage, du vernis...
42:25 -On devrait penser à des épilations, mais c'est vrai que...
42:29 C'est vrai que ça fait partie aussi...
42:31 -Exactement. -Des soins en institut.
42:34 -C'est important, l'image de soi, l'estime de soi.
42:38 -Hum...
42:39 -Et j'ai une liquide pour le séchage.
42:57 -Oui.
42:59 -Pour que ça sèche vite.
43:01 Mais je sais que vous êtes sage.
43:02 -Ah !
43:04 Je sais, je sais.
43:06 Vous êtes sage.
43:07 -Hum...
43:08 -Ca veut dire beau ?
43:11 -Ca veut dire la couleur ? Je trouve qu'elle est jolie.
43:14 Bon, on peut partir pour un massage ?
43:19 -Ca marche.
43:20 ...
43:50 ...
44:17 ...
44:40 -Salut, Serge.
44:42 -Bonsoir.
44:43 -Bonsoir !
44:44 -Salut, Thierry ! Ca va ?
44:46 -Ca va ? -Ouais.
44:47 -Ca va ?
44:48 -Et...
44:49 Qu'est-ce que je peux te dire sur lui encore ?
44:52 Aujourd'hui, il a verbalisé aussi sur le fait
44:54 qu'il sait qu'il va mourir.
44:56 Donc, sur le plan de Morane,
45:00 il est un monsieur qui aime bien parler,
45:03 donc si tu veux passer pour le voir,
45:05 pas de problème.
45:06 Mais au moins, il a verbalisé aujourd'hui
45:09 sur le plan de son avenir,
45:12 qu'il se rend compte que ça sera un jour...
45:15 Donc, c'est...
45:17 Donc, il n'est pas tranquille,
45:20 il a besoin de la présence, quoi.
45:22 -D'accord. -Oui.
45:24 -L'équipe de soir, c'est important,
45:26 parce que le soir, c'est important pour le malade.
45:29 Les gens sont un peu plus angoissés,
45:31 il y a l'angoisse de la nuit,
45:32 et c'est pour ça que la présence d'un bénévole de soir
45:35 est nécessaire.
45:36 Comment ça va ?
45:38 -Oh !
45:39 -C'est moi !
45:40 ...
45:43 Comment vous vous sentez, cette semaine ?
45:45 -J'ai eu quelques soucis.
45:47 -Ah, avec moi.
45:48 -Déjà, on me tuerait une clé à partir,
45:51 et ça m'a collé au moins trois jours d'angoisse.
45:55 -Vous m'aviez déjà parlé.
45:57 On est là, on est là pour eux,
45:59 quelle que soit la situation,
46:01 et que ça soit en présence silencieuse,
46:03 parce que pour des gens qui sont déjà dans une...
46:06 une certaine agonie,
46:08 un certain départ, quoi,
46:11 ou pour des gens...
46:13 ...
46:15 stressés par la nuit, par une image de la mort,
46:19 ça arrive, ça arrive quand même pas non plus très souvent.
46:23 Et quand on arrive à calmer cette angoisse,
46:26 c'est super, mais ça arrive aussi, de temps en temps,
46:29 qu'on n'y arrive pas, donc après,
46:31 c'est le job du soignant, éventuellement,
46:36 de calmer cette angoisse
46:39 par éventuellement une médicamentation
46:41 qui soit appropriée, mais...
46:43 -Vous avez en plus peur de l'isolement.
46:45 -Absolument, absolument.
46:48 -C'est juste leur tenir la main,
46:51 les caresser l'avant-bras,
46:53 leur dire qu'on est là et que ça peut se faire dans le silence.
46:57 Enfin, voilà, il y a plein de...
47:00 Il y a plein de façons de soulager ou de calmer quelqu'un.
47:05 -Mais je n'ai pas pu faire quelque chose dans le genre d'angoisse.
47:08 Ça, c'est presque une privation.
47:12 Mais un bénévole, s'il veut bien me sortir, il accepte.
47:15 -Généralement, il faut que vous demandiez au bénévole.
47:18 Je pense pas qu'il y ait un bénévole qui refuse de vous sortir au jardin.
47:23 Vous avez profité un peu de la fête de la musique, aujourd'hui ?
47:26 -Mais non. Malheureusement, il y a quelqu'un au piano.
47:30 La deuxième fois que ça m'arrive, j'ouvre la porte et hop !
47:33 -Il n'y a plus de piano. -Pas de piano.
47:36 Et pourtant, là, j'ai ouvert très vite.
47:38 -Oui. C'est le docteur
47:41 qui a voulu s'essayer au piano
47:45 et qui a joué pendant cinq minutes.
47:47 -Il ne paye pas plus. -Oui, pas plus.
47:49 C'est très lointain.
47:50 Mais bon, j'ouvre... J'entr'ouvre.
47:52 De toute façon, après, il y a l'aide-soignante qui...
47:56 -Vous vouliez sauter, là.
47:58 -Non, je me penchais un peu pour essayer de voir d'où venait la musique.
48:02 -D'accord.
48:03 ...
48:15 Sonnerie.
48:17 -Allô ?
48:18 Oui.
48:19 Oui.
48:20 Oui, j'arrive.
48:32 Je fais un peu ma petite visite,
48:34 c'est-à-dire je vois tout le monde,
48:36 tous les quatre patients.
48:38 Mais souvent, je suis appelée à droite à gauche
48:42 parce qu'il y a quelqu'un en détresse respiratoire
48:46 ou quelqu'un d'autre qui a des douleurs,
48:50 qui se sent réveillée,
48:51 ou quelqu'un d'autre qui a besoin d'une relecture de la journée
48:55 ou de tout ce qu'il a entendu la journée.
48:57 Je me bats dans le dos.
48:59 Je peux peut-être vous emmener vite fait,
49:01 c'est une poche chaude, vous savez,
49:04 qu'on peut mettre juste là autour.
49:06 -Je veux bien. -Je vais vous emporter.
49:09 -Oh ! -J'arrive.
49:11 Je vais la chercher tout de suite. -Pardon ?
49:13 -Je vais la chercher tout de suite, la poche, et j'arrive.
49:16 -C'est gentil. -À tout de suite.
49:18 ...
49:25 ...
49:30 -Hop.
49:32 Et voilà, c'est reparti.
49:36 ...
49:45 La nuit, je pense, il y a...
49:47 On va dire, il y a la douleur physique,
49:51 qui est une sorte de douleur,
49:54 particulièrement la douleur inflammatoire,
49:57 qui peut être plus importante la nuit,
49:59 qui peut se réveiller la nuit.
50:01 Donc là, ça peut être important de réajuster les traitements
50:05 ou d'utiliser tout autre moyen,
50:08 la thermothérapie, la cryothérapie, la rhumathérapie,
50:12 ou aussi les massages, la prison,
50:15 enfin tout ce qui peut entourer le patient
50:19 et aider à passer cet épisode de douleur.
50:23 ...
50:28 -Vous allez mal ?
50:29 ...
50:55 ...
51:04 -Tant qu'on n'est pas mort, on est vivant.
51:07 Ça paraît bête comme ça,
51:08 mais donc, en fait, j'accompagne les vivants.
51:11 C'est pas du tout...
51:12 Pour moi, c'est un endroit, en fait,
51:15 plein de vie.
51:16 ...
51:20 -On est vraiment dans le temps présent.
51:22 C'est l'ici et maintenant.
51:24 Et puis, ici, on n'a rien à prouver.
51:26 Je n'ai rien à prouver, je suis là.
51:29 Je prends les choses comme elles viennent.
51:31 ...
51:32 -Quand on ne peut plus ajouter des jours à la vie,
51:36 on ajoute de la vie au jour.
51:38 ...
51:43 ...
52:10 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org

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