• il y a 11 mois
Jacqueline Fleury-Marié s’engage dans la Résistance à l’âge de 17 ans en portant et distribuant dans les boîtes aux lettres le journal Défense de la France. Puis elle rejoint le réseau Mithridate comme agente de liaison, suivant son frère Pierre, mais aussi leur père et leur mère. Malheureusement, Jacqueline et sa mère seront toutes deux arrêtées, mises au secret dans la prison de Fresnes, avant d’être envoyées à Ravensbrück, puis au camp de Torgau et de subir les marches de la mort, dernier acte de SS pressés par les Alliés, poussant les déportés sur les routes, les tuant au moindre signe de faiblesse.
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Transcription
00:00 Quand on a pénétré dans un camp de déportés, on n'en sort plus jamais.
00:05 Il y a toujours quelque chose qui tout d'un coup nous ramène à cette période.
00:12 On peut dire que la famille est entrée en résistance.
00:21 Parce que cette famille, tout au moins la famille maternelle,
00:25 avait déjà connu la guerre de 14-18 dans des conditions épouvantables,
00:31 puisque c'est une famille qui avait absolument tout perdu.
00:34 Et donc, si vous voulez, 40, l'arrivée des Allemands, l'occupation de la France,
00:40 pour nous c'était absolument impossible à accepter.
00:43 Et je crois qu'en nous-mêmes, on a décidé que tout ce qu'on pourrait faire contre l'occupant,
00:49 c'est-à-dire pour la liberté de la France, nous ferions.
00:53 Et c'est ce qu'on a fait chacun de notre côté.
00:55 Assez vite, je suis entrée dans le réseau Défense de la France
01:01 pour le transport et la diffusion du journal clandestin
01:04 qui portait ce nom, Défense de la France.
01:07 Et il y a eu beaucoup d'arrestations à un certain moment, en juillet 1943.
01:12 Je rejoins mon frère, qui depuis très longtemps était dans le réseau Mitridat, le renseignement.
01:20 Et j'étais agent de réseau Mitridat.
01:22 [Musique]
01:27 Nous allons être au secret à Frennes.
01:31 Au secret, on est seuls en cellule.
01:33 Nous allons partir dans un transport, dans un convoi.
01:37 Nous sommes dans des wagons à bestiaux, une centaine de femmes.
01:42 C'est-à-dire qu'on ne pouvait pas s'asseoir toutes ensemble.
01:46 Pour la plupart, nous avions été torturées.
01:48 La seule qui avait été la plus marquée par cette torture,
01:52 c'est une de mes compagnes qui avait été cartelée.
01:55 Et dans ce wagon, on avait une espèce de sceau pour nos besoins.
01:59 Alors ma mère n'est pas dans le même wagon que moi,
02:02 donc je vais la retrouver à Rhein-Neuf-Brucq.
02:05 C'est un drame intérieur, on ne le montre pas.
02:10 Ma mère m'avait dit déjà, presque quand nous sommes arrivés,
02:13 on ne pleure pas devant les Allemands.
02:16 D'abord parce qu'elle ne le faisait jamais.
02:19 Et puis, ils auraient été trop contents que nous pleurions.
02:24 Ça aurait été pour eux une espèce de victoire dans leur façon de nous faire vivre.
02:29 Ou plutôt survivre.
02:31 Je pense que si nous n'avions pas eu,
02:34 en tout cas ça a beaucoup pédé,
02:37 cette solidarité qui a été extraordinaire.
02:41 Vous savez, donner un morceau de pain,
02:44 je dis un morceau de pain,
02:46 même pas une mouillette pour manger à Neuf,
02:48 ce que vous pourriez avoir, vous verrez combien ça pèse.
02:52 Eh bien donner un morceau de pain, pas plus grand que ça,
02:54 à quelqu'un qui va mourir et qui dit,
02:57 "maintenant je mange, tant pis, je me laisse mourir,
03:00 je ne reviendrai pas, ce n'est pas important."
03:03 C'est aussi un geste héroïque.
03:07 Et il y en aura quand même pas mal.
03:10 On était là-bas pour mourir, il ne faut pas l'oublier quand même.
03:13 Et s'il y en a qui sont venus, c'est grâce à ça.
03:16 J'ai connu moins de 30,
03:18 moins de 30, avec rien dans le ventre,
03:22 pas grand-chose, quelques rues de tabac,
03:25 du pain qui était un peu infect,
03:28 et puis pas grand-chose sur le dos.
03:30 J'ai encore ma robe, vous auriez vu ce que c'était.
03:34 Et les chaussures, enfin les chaussures,
03:36 les galoches.
03:42 Ma maman et moi, et puis un petit groupe de mes compagnes,
03:45 nous allons aller dans quatre camps.
03:47 Si vous voulez, il y a Ravensbrück, qui est le grand camp
03:50 où vous allez être accueillis,
03:52 c'est un mot que je ne devrais pas dire,
03:55 où arriveront toutes les portées femmes pour la plupart.
03:58 Et ensuite, il va y avoir des transports
04:01 vers les différents endroits de l'Allemagne
04:04 où se trouvent des commandos,
04:06 où nous sommes envoyés en principe pour travailler.
04:09 Et pour nous, je vous ai dit qu'on était
04:12 des groupes très serrés de résistants.
04:14 Travailler pour l'armée allemande,
04:17 c'était nous demander de nous suicider, pratiquement.
04:21 Alors, on a fini par s'organiser, si vous voulez, à Torgau,
04:25 où on nettoyait des obus dans des bagues d'acide.
04:30 Et c'était quelque chose d'extrêmement dangereux,
04:33 on n'avait aucune protection.
04:36 Et on s'est rebellés, on a refusé,
04:39 et puis c'était quelque chose pour l'armée allemande.
04:42 Et pour nous, nous nous considérions comme des militaires.
04:46 Alors nous, les Françaises, on avait une réputation
04:49 d'être les plus mauvaises travailleuses du monde,
04:53 ce qui nous réjouissait à un point extraordinaire.
04:58 Alors là, on n'a pas duré non plus, pas très très longtemps,
05:01 étant donné le travail formidable qu'on réalisait,
05:04 parce qu'on ne comprenait rien,
05:06 nous étions une bande de débiles.
05:08 Il va mourir dans ces marges de la mort,
05:18 plus de déportés que dans les camps.
05:21 Pourquoi ? C'est très simple, on est nés nourris,
05:24 on ne nous donne pas à boire,
05:26 on marche, on a les pieds en sang,
05:27 on marche, on marche, on marche, on marche,
05:31 on marche jusqu'à la mort.
05:33 Beaucoup vont mourir, évidemment.
05:35 Beaucoup ne pourront plus marcher,
05:38 abandonneront la colonne.
05:40 Quand on abandonnait la colonne,
05:43 on recevait une balle dans la rue.
05:44 Pour survivre,
05:47 je sais que les dernières fois où j'ai été témoignée,
05:50 les enfants devaient dire "elle est quand même pas bien cette dame,
05:53 elle serait vieille, elle a perdu la tête".
05:55 Je leur disais que nous partageions un brin d'herbe.
06:00 Pourquoi partager un brin d'herbe ?
06:02 C'est la seule chose qu'on avait sur ces chemins qu'on a empruntés.
06:07 Et quand on suce un brin d'herbe, on a moins soif.
06:12 Et partager un brin d'herbe, écoutez-moi bien,
06:15 et ne l'oubliez jamais ce que je vais vous dire.
06:18 Partager un brin d'herbe,
06:20 vous avez tous vu un brin d'herbe quand même,
06:22 c'était héroïque.
06:24 Et là, maman ne pouvait plus marcher,
06:27 et donc pour elle c'était à peu près la mort du futur.
06:32 Et nous avons essayé de nous évader avec deux de nos compagnes.
06:37 Nous avons réussi à nous cacher dans une cabane d'ouvriers.
06:43 Et c'est là que les Français qui travaillent dans l'endroit où nous nous trouvons,
06:48 vont nous découvrir et nous sauver.
06:50 Ah ben ça, elle allait me demander à De Gaulle.
07:02 On lui en aurait donné des noms.
07:05 Sans les femmes, la Résistance n'aurait pas été ce qu'elle a été.
07:07 J'ai connu Geneviève De Gaulle, j'ai connu Coury,
07:10 Coury c'est Germaine Tillion,
07:11 mais j'ai connu tellement de femmes extraordinaires.
07:14 J'ai eu la chance de rencontrer les infirmières du Guercourt,
07:19 les parachutistes franco-britanniques,
07:22 des postières, parce que le rôle des postières a été extrêmement important.
07:26 Et on n'en parlait pas beaucoup, même au retour.
07:29 On n'a pas parlé beaucoup de nous.
07:30 On a eu une association solide,
07:34 qui a été fondée par Irène Delmas,
07:36 qui avait eu la chance de ne pas être emmenée en déportation,
07:39 et qui au moment où elle est libérée de prison,
07:42 va monter cette association de femmes.
07:45 Et c'est la seule association qui va préparer le retour de nous.
07:51 Elles vont préparer notre retour.
07:53 Comment on reprend une vie normale, c'est extrêmement difficile.
07:56 On a eu la chance d'avoir un médecin humaniste.
08:01 C'est quelqu'un qui venait à 2h du matin par mon père,
08:04 parce qu'il l'a sauvée,
08:05 parce qu'il est resté un petit peu en vie,
08:08 c'est grâce à ce médecin.
08:09 Et ça aussi, ce sont des belles figures,
08:12 je ne peux pas oublier.
08:13 Sous-titrage ST' 501
08:16 Sous-titrage Société Radio-Canada

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