• il y a 11 mois
Au Moyen-Âge, les populations juives sont de plus en plus stigmatisées dans les sociétés européennes, qui se christianisent progressivement. Pour mieux appréhender les rapports entre Juifs, Chrétiens et Musulmans à cette époque, Virginie Girod s’entretient avec Sylvie-Anne Goldberg, historienne et directrice d’étude à l’EHESS dans le deuxième épisode de notre série spéciale consacrée aux origines de l’antisémitisme.

La présence juive dans l’Occident médiéval a pu relever du casse-tête pour articuler les communautés juives à des sociétés qui se consolident autour de l’unité de la chrétienté. La tolérance relative envers le judaïsme s’explique "parce que le christianisme considérait, selon ce qu'avait écrit Saint-Augustin, que les Juifs devaient être préservés : ils étaient les témoins authentiques de la vérité du christianisme" souligne Sylvie-Anne Goldberg.

Pour autant, la chrétienté ne se montre pas bienveillante à l'égard du "peuple témoin". "Nous avons des sources antijuives qui commencent très tôt, dès que les Pères de l'Église commencent à rédiger des textes. Un chrétien doit se définir essentiellement par le fait qu'il n'est pas juif" retrace l’historienne. Et au fur et à mesure que se renforce le pouvoir de l’Église, la situation des Juifs devient de plus en plus précaire.

"Il y a un moment de bascule qui succède à l'appel à la croisade", dont les juifs vont aussi être les victimes, "puisqu'ils étaient considérés comme les avant-postes des infidèles en Palestine" poursuit Sylvie-Anne Goldberg.

"Plus l'Église devient forte dans les instances des pouvoirs royaux, plus la place des Juifs est compromise au sein de ces sociétés", résume l’historienne. Les monarchies, devenues "absolument chrétiennes", relaient les consignes du Vatican. Ainsi, après le concile de Latran en 1215, les mesures discriminatoires envers les juifs se multiplient. Accusés de commettre des crimes rituels, caricaturés, on leur impose le port de la rouelle, une étoffe colorée afin de les distinguer facilement. L’accès à certaines professions est également restreint. Suite logique de l’ostracisation, les Juifs sont victimes d’expulsions massives afin d’éradiquer leur présence et d’encourager les conversions.

Thèmes abordés : antijudaïsme, persécution, christianisme, croisade

Category

🗞
News
Transcription
00:00 L'antijudaïsme va bien au-delà de l'antijudaïsme.
00:04 A savoir, tout d'abord, les juifs sont l'image de la différence,
00:08 et dans un domaine particulièrement sensible,
00:10 puisque c'est celui de la métaphysique,
00:11 c'est celui du rapport de chacun à l'au-delà.
00:14 Ensuite, il y a un deuxième aspect,
00:16 c'est l'aspect politique qui est très important.
00:18 On a vu que l'idée d'un État indépendant, d'un État juif,
00:22 d'un État d'Israël, est une notion qui émerge,
00:25 qui se structure également à cette époque-là,
00:27 et Dieu sait si c'est une question d'actualité.
00:30 Bienvenue au Cœur de l'Histoire dans les interviews du vendredi.
00:33 Depuis le pogrom du 7 octobre 2023 en Israël,
00:36 les actes antisémites se sont multipliés partout dans le monde.
00:39 Si cette intensité nous frappe,
00:41 la haine des juifs n'assemble-t-il rien de nouveau ?
00:43 Il faut remonter très loin dans le temps
00:45 pour retrouver les origines de cette hostilité
00:48 et de la persécution du peuple juif
00:50 qui se manifeste à travers les siècles sous différentes formes.
00:53 Au Cœur de l'Histoire vous propose une série spéciale en 5 épisodes
00:57 pour revenir sur les origines de l'antijudaïsme
00:59 et de l'antisémitisme depuis l'Antiquité
01:02 jusqu'à la Shoah au XXe siècle.
01:04 Avant l'antisémitisme, qui est un concept moderne
01:07 dont nous parlerons jusqu'à nos jours,
01:08 il y avait l'antijudaïsme.
01:11 Pour revenir sur cette vision propre à la période de l'Antiquité,
01:14 j'ai le plaisir d'accueillir François Lefèvre,
01:17 professeur d'histoire grecque à l'Université Paris-Sorbonne
01:20 et auteur du livre "Histoire du monde grec antique"
01:23 paru aux éditions Poche.
01:25 Bonjour François Lefèvre.
01:26 Bonjour Virginie.
01:27 Pour commencer, il faut éclairer un petit point de vocabulaire.
01:30 Pourquoi est-ce qu'on parle d'antijudaïsme dans l'Antiquité
01:32 et pas d'antisémitisme ?
01:34 Tout simplement parce qu'antisémitisme suppose la notion de race
01:38 et c'est une notion que les anciens, les grecs et les romains
01:42 n'ont pas clairement formulée.
01:45 Pour les grecs, les juifs sont un ethnos, un peuple.
01:47 Pour les romains, c'est la même chose, ils parlent de gens ou de nation.
01:53 En revanche, ils associent très précocement les juifs à leur religion, à la religio.
01:59 Donc on va raisonner sur des termes culturels et pas du tout sur des termes de race.
02:04 D'ailleurs, le monde antique, c'est un monde qui est païen très majoritairement.
02:07 Alors, est-ce qu'on sait dans quelles conditions apparaît la religion juive ?
02:11 Est-ce qu'on a des témoignages historiques qui permettent de retracer son origine ?
02:14 Le peuple d'Israël est connu par les textes pharaoniques depuis la fin du XIIIe siècle.
02:20 Mais pour nous, véritablement, les choses commencent avec le retour de l'exil de Babylone,
02:24 avec Esdras, le scribe qui reconduit à peu près 5000 de ses co-religionnaires en Judée,
02:34 à Jérusalem, depuis Babylone, et qui promulgue le respect impérieux de la Torah
02:41 avec la loi mosaïque, c'est-à-dire les commandements de Moïse,
02:44 et notamment, le plus important d'entre eux, le fait de ne pas se mélanger,
02:48 c'est-à-dire d'avoir des mariages entre juifs.
02:51 Et on est à quelle époque, là ?
02:52 Alors, on est en 4 vers 460 avant notre ère, donc au Ve siècle.
02:56 Au Ve siècle, parce que, évidemment, nous, on a en tête l'épée plume hollywoodienne
03:00 qui raconte la sortie de l'Égypte avec Moïse, la traversée du désert.
03:04 Est-ce que c'est un fondement de réalité ou c'est du cinéma ?
03:07 Alors, personne ne sait véritablement, mais il semblerait que non.
03:10 En tout cas, rien qui corresponde vraiment aux sources dont je vous ai parlé à l'instant.
03:14 C'est une inscription pharaonique de Meremta, le fils de Ramsès II,
03:19 qui se vante tout simplement d'avoir vaincu le peuple d'Israël.
03:22 Donc, difficile à partir de ça de retrouver Yule Briner et Charlton Heston.
03:27 D'une manière générale, les grands textes fondateurs,
03:29 là, c'est ce qu'on appelle l'archéologie biblique,
03:32 mais on pourrait dire à peu près la même chose de l'Iyad et de l'Odyssée.
03:34 Faire correspondre ce qu'il y a dans ces textes fondateurs magnifiques
03:38 avec la réalité historique est une gageure.
03:41 J'imagine bien.
03:42 Alors, justement, vous l'avez dit, ce peuple s'installe
03:44 dans une zone qu'on appelle Israël, qui sera plus tard la province de Judée.
03:48 Est-ce que les peuples qui sont installés là sont homogènes ?
03:52 Est-ce qu'ils ont le sentiment d'appartenir à un tout ?
03:54 Ou est-ce qu'il y a des sous-ethnos, des ramifications ?
03:57 Alors, le peuple juif lui-même est très hétérogène, en fait, dans son faciès.
04:01 Alors, quand on le connaît, quand on commence à le connaître mieux,
04:04 c'est-à-dire justement à partir du 5e, 4e siècle,
04:08 il y a tout un tas de catégories qu'on peut repérer.
04:10 D'abord, reste drâce à enteriner le schisme avec les Samaritains,
04:13 qui eux sont centrés autour du Pentateuch,
04:15 c'est-à-dire les cinq premiers livres de la Bible.
04:19 Et puis après, on repère, par exemple, une classe,
04:24 une aristocratie sacerdotale qui va avoir tendance à être plus ouverte
04:28 sur le monde extérieur, notamment sur les lénismes,
04:30 avec tout en haut le grand prêtre qui, en général,
04:32 qui est pris toujours dans la famille des Zoniades.
04:35 Il y a une aristocratie foncière,
04:37 elle aussi ouverte sur les influences extérieures.
04:41 Il y a des desservants du culte qui sont beaucoup plus modestes,
04:44 ce qu'on appelle les Lévites,
04:45 parce qu'ils viennent de la tribu de Lévis.
04:48 Il y a les scribes, les commentateurs de la Torah
04:51 qui, eux, sont beaucoup plus conservateurs,
04:54 traditionnalistes et qui produisent ce qu'on appelle les assidimes,
04:58 c'est-à-dire les pieux, qui ont sans doute une certaine audience
05:01 auprès du petit peuple qui existe aussi.
05:05 Et finalement, tout cet ensemble va poser beaucoup de problèmes
05:08 parce que lorsqu'il y aura des révoltes,
05:10 il est très difficile pour le pouvoir de tutelle
05:13 d'avoir un interlocuteur en réalité.
05:14 Et beaucoup de problèmes vont venir de cette hétérogénéité.
05:17 - Mais justement, à partir du IVe siècle,
05:19 cette hétérogénéité va être bousculée par un autre peuple qui arrive.
05:22 Ce sont les Macédoniens avec les conquêtes d'Alexandre le Grand.
05:25 Comment se passent ces conquêtes ?
05:27 Comment ils considèrent les Juifs, Alexandre, par exemple ?
05:30 - Alors, semble-t-il, les premiers contacts,
05:33 et même assez durablement, sont tout à fait positifs,
05:36 sont tout à fait bons.
05:38 Alexandre, par exemple, on ne sait pas s'il est venu à Jérusalem.
05:41 Il était en route vers l'Égypte et il a visiblement apprécié,
05:45 il a enrôlé beaucoup de soldats, beaucoup de mercenaires,
05:48 donc auprès des Juifs qui ont la réputation d'être bons combattants
05:50 parce que, croyant à l'immortalité de l'âme,
05:53 ils craignent moins la mort que les autres.
05:56 Et il en a, semble-t-il, emmené beaucoup avec lui,
05:58 dont un certain nombre se sont établis à Alexandrie,
06:01 où on sait qu'ils habitaient dans un quartier, le quartier Delta,
06:04 qui n'était pas du tout un ghetto.
06:05 On sait après qu'il y a des synagogues un peu partout,
06:08 et où donc les choses se sont passées très positivement.
06:11 Alors, on a quelques textes de cette époque-là,
06:13 ou immédiatement postérieurs, quelques textes grecs,
06:16 qui montrent toute la considération que les Grecs ont pour les Juifs.
06:19 Par exemple, Théophraste, le successeur d'Aristote à la tête du lycée,
06:23 considère que ce sont des philosophes nés. Pourquoi ?
06:25 Parce qu'il est impressionné par leur capacité à se recueillir,
06:28 à méditer, à avoir des pensées profondes.
06:31 Et puis, on a un autre historien,
06:34 qui est connu par des auteurs plus récents,
06:36 qui s'appelle Hekate Dabder,
06:39 et qui, lui, considère que Moïse a été un très grand homme d'État, très inspiré.
06:44 Il y a juste une petite graine qui est semée par Hekate Dabder,
06:47 qui dit juste, mais sans le critiquer, c'est simplement un constat pour lui,
06:50 que les Juifs sont, on va traduire, misanthropes et xénophobes.
06:56 C'est-à-dire qu'ils sont à part.
06:58 C'est l'idée de la marginalité qui émerge là.
07:00 Mais c'est un constat.
07:01 Ce n'est pas du tout une critique.
07:03 Et alors après, ça se passe un peu de la même manière,
07:06 parce qu'après Alexandre, on a en Égypte la dynastie des Ptolémées, les Lagides.
07:10 Et Ptolémée II, par exemple, vers 270,
07:15 a cette curiosité de vouloir faire traduire la Bible en grec.
07:18 C'est la fameuse Bible des Septantes,
07:19 à qui il envoie une mission diplomatique à Eléazar, le grand prêtre,
07:23 et il lui demande de lui fournir 70.
07:26 C'est pour ça qu'on parle de Septante.
07:27 En fait, je crois qu'ils étaient 72 traducteurs, spécialistes, érudits
07:31 qui vont traduire en grec, pour la grande bibliothèque d'Alexandrie, la Bible.
07:38 Et ensuite, tout est à l'avenant.
07:40 C'est-à-dire que la Judée est une province autonome sous les Lagides.
07:44 Et puis ensuite, quand elle passe sous le contrôle d'une autre dynastie,
07:48 celle des Célecides, qui règne en Asie, vers 200,
07:52 eh bien, c'est à peu près la même chose.
07:54 Antiochos III promulgue la charte de Jérusalem,
07:57 qui garantit la liberté, alors le grec dit, de "judaïdzein",
08:00 c'est-à-dire de faire les Juifs, d'être Juif, d'avoir leur religion.
08:03 Et même, ils ont un statut très favorable,
08:06 des exemptions fiscales, des dons, etc.
08:09 Donc, tout commence sous les meilleurs auspices.
08:12 Est-ce que malgré tout, c'est à cette période,
08:14 ce qu'on appelle la période hélénistique,
08:15 qu'on voit apparaître les premiers actes d'anti-judaïsme ?
08:19 Et puis, qu'est-ce que c'est que l'anti-judaïsme à ce moment-là ?
08:21 Ça se traduit comment ?
08:22 Alors, l'anti-judaïsme, ce serait le rejet des comportements,
08:27 de ce qui est l'essentiel du comportement des Juifs,
08:30 c'est-à-dire tout ce qui touche à l'observance de leur religion.
08:34 Alors, c'est corrélé à la notion d'hélénisation aussi,
08:40 c'est-à-dire assimilation ou pas assimilation.
08:43 Alors, les élites étaient dans l'ensemble assez hélénisées.
08:49 Ce qui se produit, en fait, et alors ça, c'est un débat,
08:54 enfin une question sur laquelle il vaut la peine de s'attarder.
08:58 Ce qui se produit, c'est un enchaînement malheureux de circonstances.
09:03 C'est-à-dire qu'après ces bons débuts, vers 175,
09:07 se produit justement une querelle très forte à Jérusalem,
09:13 à l'intérieur du peuple juif.
09:14 Il y a les hélénisants, ce qui sont les élites,
09:17 ceux qui sont pour renforcer la dimension grecque,
09:19 et puis les traditionnalistes.
09:21 Et un grand prêtre a voulu prendre un certain nombre de mesures,
09:25 transformer Jérusalem en cité grecque, construire un gymnase.
09:28 Et ça a provoqué une crise qui a amené le souverain
09:31 sélucide de l'époque, Antiochus IV, à intervenir.
09:34 En gros, Antiochus a pris le parti des hélénisants.
09:38 Et il n'y est pas l'ennemi morte,
09:40 c'est-à-dire qu'il a imposé une statue de Zeus olympien dans le grand temple.
09:45 Ce qui, évidemment, n'a pas dû très bien passer.
09:46 Ce qui, évidemment, était intolérable.
09:48 Et à partir de ce moment-là, la révolte est devenue générale.
09:51 Elle est très connue puisque c'est la révolte de Judas Maccabée,
09:54 c'est-à-dire la guerre des Maccabées.
09:56 Et finalement, profitant de la déliquescence de la dynastie sélucide,
10:01 les Juifs ont eu pour la première fois un État indépendant.
10:04 Et pendant jusqu'à 1963, jusqu'à la conquête par Pompée.
10:08 Et bien, venons-en justement à cette conquête par Pompée.
10:10 Donc la Judée devient romaine.
10:13 Comment le peuple juif se distingue des Romains et des Grecs à ce moment-là ?
10:16 Vous parliez de l'observance de la religion.
10:19 Les questions que vous posez là sont les questions les plus difficiles,
10:21 parce que ce sont les questions de vie quotidienne.
10:25 Et là-dessus, on est assez mal enseigné,
10:27 puisque ce sont les crises qui sont illustrées le plus souvent.
10:29 Alors, il y a toujours ces différences entre les différentes catégories sociales, bien sûr.
10:33 Mais ce qui choque le plus pour les anciens, les Juifs,
10:38 c'est amixia, le fait de ne pas se mélanger, et ateia,
10:43 qu'il ne faut pas traduire par athéisme.
10:44 L'ateia, c'est le fait de ne pas reconnaître les dieux de la communauté.
10:48 Alors là, on touche le point le plus sensible.
10:51 La religion antique, des Grecs et des Romains,
10:54 est une religion collective, une religion ritualiste.
10:56 Il faut que la communauté soit unie pour se mettre en règle avec les dieux.
10:59 Sinon, il peut y avoir des problèmes.
11:01 C'est pour cette raison, d'une certaine manière,
11:03 je crois qu'on peut faire le parallèle, que Socrate avait été condamné à mort.
11:06 Socrate est accusé d'introduire un nouveau dieu qui est en fait son démon,
11:11 qui est quelque chose de tout à fait personnel
11:12 et qui n'est pas soluble dans la religion collective.
11:16 C'est en quelque sorte sa conscience, ça n'a rien à voir avec le démon chrétien.
11:18 C'est ça, c'est quelque chose de ce genre.
11:20 Et en plus, il y a aussi chez Socrate cette dimension de bouc-émissaire,
11:24 un moment où tout va très mal et qu'on retrouve d'une certaine façon avec les Juifs.
11:29 Et donc, c'est là-dessus que va prospérer l'anti-judaïsme.
11:34 D'ailleurs, les Romains sont plutôt ouverts de manière générale
11:36 avec les religions des autres, de ceux qu'ils ont annexés.
11:40 Ils demandent juste une chose, d'ailleurs, que vous avez souligné,
11:42 c'est qu'il faut quand même faire corps, appartenir à l'Empire romain.
11:46 Et pour ça, il faut juste rendre le culte impérial.
11:49 De quoi s'agit-il à ce moment-là ?
11:50 Est-ce que les Juifs acceptent de rendre le culte impérial ?
11:53 Alors, c'est quelque chose de totalement politique, le culte impérial,
11:56 c'est-à-dire qu'il s'agit en fait de montrer sa fidélité à l'empereur.
12:00 Les Juifs ont une exemption,
12:03 c'est-à-dire qu'ils doivent simplement adresser des prières
12:06 pour le salut de l'empereur, etc.
12:07 Mais il n'y a pas de statut du prince dans le temple.
12:11 Alors, ils ont obtenu toutes ces faveurs
12:14 grâce au fait qu'après la conquête de Pompée,
12:17 ils ont su entretenir les meilleures relations avec deux personnages clés,
12:21 César et Auguste.
12:23 Alors, ça vaut la peine d'en dire juste deux mots.
12:25 César vaut une reconnaissance éternelle aux Juifs
12:28 parce que lorsqu'il est à Alexandrie
12:31 et qu'il noue cette idylle fameuse avec Cléopâtre,
12:34 il est en très mauvaise posture.
12:35 C'est ce qu'on appelle la guerre d'Alexandrie.
12:36 Alexandrie est une cité très tumultueuse qui se révolte facilement.
12:40 Et ce sont les Juifs qui dépannent César
12:42 en lui envoyant des troupes, en lui envoyant des subsides.
12:45 Et César ensuite a multiplié les générosités envers les Juifs par reconnaissance,
12:49 si bien que les Juifs de Rome,
12:51 qui avaient été ramenés comme esclaves, ensuite affranchis par Pompée,
12:55 sont, paraît-il, entrés dans un immense deuil à la mort de César.
12:58 Et Auguste a continué sur le même registre,
13:00 multipliant les faveurs, les exemptions fiscales pour pouvoir financer le temple,
13:04 le droit d'avoir des marchés séparés pour respecter les interdits alimentaires.
13:08 Et même une chose étonnante, vous savez qu'à Rome,
13:10 il y avait périodiquement des distributions de grains, de blé,
13:13 ce qu'on appelle une frumentatio.
13:15 Eh bien, Auguste avait donné la consigne que lorsque ces frumentationes
13:20 avaient lieu un samedi, le jour du sabbat,
13:22 eh bien, on garde, on réserve la part des Juifs
13:25 pour qu'ils puissent venir la prendre le lendemain.
13:27 Donc, dans l'Empire romain, ça se passe plutôt bien,
13:29 les rapports entre les Romains et les Juifs.
13:32 Et cependant, c'est pendant ce premier siècle de notre ère
13:35 que va avoir lieu ce qu'on pourrait qualifier de manière anachronique
13:38 de premier pogrom. De quoi s'agit-il ?
13:40 Voilà, alors c'est la fameuse histoire de 38 de notre ère,
13:45 qui démarre un peu sur un incident.
13:49 C'est le nouveau roi de Judée, qui en fait, est un homme de paille,
13:54 envoyé par Caligula, héros d'Agrippa, qui fait halte à Alexandrie,
13:59 une escale en quelle sorte à Alexandrie avant d'aller en Judée.
14:02 Et on dira que ça se passe de manière un petit peu voyante
14:06 et ça irrite la population.
14:08 Et il faut dire que les Juifs, à ce moment-là, ont une position,
14:11 en fait, qui est un petit peu délicate parce qu'à Alexandrie,
14:13 il y a en fait trois strates.
14:15 Les Grecs, qui sont les seuls citoyens, mais un peu aigris vis-à-vis des Romains
14:20 parce qu'Auguste s'est vengé de Cléopâtre et de Marc-Antoine
14:24 en faisant une province romaine impériale.
14:25 Alors en faisant une province et en même temps en supprimant à Alexandrie
14:29 son conseil, son conseil des citoyens.
14:31 Et ceux-là, ils sont au-dessus des Juifs.
14:34 Et puis en dessous, il y a les Égyptiens, qui, eux,
14:37 depuis la plus haute antiquité, n'ont jamais été amis avec tout ce qui venait
14:41 de la Palestine, de la Syrie, etc.
14:43 Donc ils sont pris un peu en étau.
14:45 Et cette occasion est donc le prétexte.
14:47 Les Grecs et les Égyptiens se mettent en fait ensemble pour organiser au théâtre
14:52 une parodie, une satire d'Agrippa.
14:57 Et les Juifs, évidemment, se mettent en colère.
15:00 Et à partir de ce moment-là, c'est un déchaînement de violence.
15:03 Alors ce qui est très intéressant, c'est qu'en fait, un personnage,
15:08 on sait que c'est là l'éclatement d'une colère qui, nous dit-on,
15:14 couvait depuis longtemps.
15:15 Alors en réalité, les premiers germes de la littérature anti-juive,
15:21 anti-judaïque, il faut les faire remonter à l'épisode précédent.
15:25 Les épisodes du IIe siècle, dont on a parlé tout à l'heure,
15:27 ont donné un coup d'éclairage.
15:29 Et c'est là, coïncidence ou lien logique, qu'apparaissent notamment avec un grand
15:34 penseur de l'époque qui a formé Cicéron, par exemple, qui s'appelait
15:37 Poseidonios d'Apame.
15:40 Donc Apame, en Syrie, quelqu'un qui connaissait,
15:43 a pour la première fois développé des idées.
15:46 Par exemple, les Juifs dans le temple honorent un âne à tête d'or.
15:51 Les Juifs, chaque année, prennent un Grec, l'engraissent dans le temple
15:55 pour le sacrifier.
15:56 Et en cette occasion, ils prêtent un serment contre les Grecs.
16:01 Bon, alors oui, c'est l'image du Juif idolâtre, comploteur, qui apparaît.
16:05 Et vous retrouvez ça chez Cicéron.
16:06 Cicéron, dans un plaidoyer, le prof Laco, parle à propos des Juifs parce que
16:11 les Juifs sont mêlés à cette affaire.
16:12 Il parle devant des Juifs et il parle des Juifs.
16:14 C'est une turba suspiciosa, c'est-à-dire une foule inorganisée et suspiciosa.
16:21 On forcerait à peine le terme en le traduisant par parano, en réalité.
16:26 Et il parle aussi de, il évoque aussi la barbara superstitio,
16:30 la superstition barbare des Juifs en parlant de leur religion.
16:34 Et en fait, c'est tout ça qui a couvé, semble-t-il, et qui ne demandait qu'à
16:38 éclater à l'occasion d'une circonstance.
16:39 Cette circonstance, elle arrive en 38.
16:41 Alors, qu'est-ce qui se passe pendant cette année en 38 ?
16:44 Parce que l'un des agitateurs, c'est Apion, un intellectuel d'Alexandrie.
16:47 Alors, Apion, c'est un héritier de ce courant de pensée.
16:50 En réalité, un érudit, un réteur, un intellectuel.
16:54 On a en fait l'affrontement de deux intellectuels, Apion du côté anti-juif
16:58 et puis Philon d'Alexandrie du côté juif.
17:01 Et c'est par Philon qu'on est renseigné par ces choses.
17:03 Alors, c'est une gradation, c'est une escalade.
17:07 C'est-à-dire que ça commence par le pillage des biens des Juifs.
17:11 Et puis ensuite, on les enferme dans le quartier d'Alexandrie,
17:15 le quartier Delta, dans un réduit.
17:16 On peut commencer à parler de ghetto, là, véritablement, pour les affamer.
17:20 Et puis ensuite, pour essayer de les exterminer, on brûle les synagogues, etc.
17:24 Tous ne sont pas exterminés parce qu'après, il y a une phase de vengeance des Juifs.
17:28 Et finalement, ça va se solder par deux ambassades contradictoires à Rome.
17:32 D'abord auprès de Caligula.
17:34 Ensuite, Caligula meurt et c'est finalement Claude qui va régler le problème
17:38 avec une espèce de jugement de Salomon, c'est-à-dire maintenir les Juifs
17:43 dans leur position en le recommandant bien, en faisant bien comprendre
17:47 qu'ils ne peuvent prétendre en aucun cas à la citoyenneté à Alexandrie.
17:50 Donc, les maintenir dans une position intermédiaire.
17:51 Et d'ailleurs, à partir de là, on voit que des intellectuels de Judée,
17:55 je pense notamment à Flavius Joseph,
17:56 entretiennent des liens assez étroits avec le pouvoir impérial romain.
18:00 Il était proche de l'impératrice Popée, notamment.
18:02 Voilà. Alors ça, ça pose la question d'une manière générale des relais
18:04 que les Juifs peuvent avoir à Rome.
18:05 Ils en ont eu d'excellents, sous César, sous Auguste.
18:08 Là, les choses commencent à changer.
18:09 Alors, on sait que par exemple, Philon a eu maille à partir
18:12 quand il est arrivé dans son ambassade à cause d'un Égyptien
18:15 qui était un affranchi et qui, évidemment, faisait du lobbying anti-juif.
18:19 Lui, Flavius a pu entrer en contact avec un favori de Néron,
18:23 qui était un Juif, un acteur qui s'appelait Alitourus.
18:25 Et peut-être a-t-il eu, effectivement, de bons contacts avec Popée
18:29 dont on soupçonne qu'elle était sympathisante.
18:31 Il faut bien comprendre que c'est une phase de grand essor,
18:35 de grand prosélytisme du côté des Juifs.
18:38 Et certains ont même envisagé que près de 10% de la population de l'Empire,
18:42 à ce moment-là, était gagnée par un appétit religieux,
18:46 c'est-à-dire des soucis d'eschatologie.
18:49 Après tout, le judaïsme propose un avenir après la mort, une vie après la mort.
18:53 Que la religion romaine ne promène pas.
18:55 Absolument. Mais le Talmud parle de Juifs de la porte.
18:57 C'est-à-dire que ce n'est pas de gens qui se convertissent,
18:58 ils ont des sympathies.
18:59 C'est peut-être d'ailleurs parmi eux que se recrutent beaucoup de chrétiens.
19:02 Et malgré tout, même si on a une classe intellectuelle et aristocratique juive
19:06 qui est proche de l'Empire romain, il y a des révoltes.
19:09 Et je pense notamment à la grande révolte de la Judée,
19:11 qui va être jugulée par Vespasien, par Titus,
19:14 et qui va mener à la destruction du Temple de Jérusalem.
19:17 Il faut voir la destruction de ce Temple comme un acte anti-judaïque,
19:20 selon vous, ou comme un pur acte impérialiste romain ?
19:23 Alors, moi, je dirais même comme un acte de police et de rétablissement de l'ordre.
19:28 Il s'agit essentiellement de cela.
19:31 Ça a été très compliqué.
19:32 Ça ne s'est pas fait tout seul.
19:33 Et puis, il y a cet épisode spectaculaire à la fin qui est assez connu de Massada,
19:38 où les zélotes, c'est-à-dire les plus extrémistes...
19:40 Parce que c'est là que les Romains ont rencontré les difficultés
19:42 que j'évoquais au début, dues à l'hétérogénéité du peuple juif.
19:46 Donc, Massada, c'est un suicide collectif.
19:47 Les Juifs qui refusent de se rendre.
19:50 Et c'est un site très important, puisque je crois qu'aujourd'hui,
19:52 Tzahal a des cérémonies officielles,
19:56 cérémonie de prestation de serment à Massada.
19:58 C'est quelque chose qui est très, très important.
20:00 J'aurais presque envie de dire que la conséquence la plus importante de cette révolte,
20:05 c'est la mesure que Vespasien prend à la fin.
20:07 Vous savez, Vespasien avait toujours besoin d'argent.
20:08 C'est bien connu.
20:10 Il n'a pas d'odeur.
20:11 Il instaure un impôt spécial, le fiscus judaicus,
20:17 très modeste, mais qui était une capitation qui touchait tout le monde
20:20 et qui, en fait, détourne les dons au temple qui n'existe plus
20:25 au profit de Jupiter capitolain.
20:28 Et en fait, si vous voulez, c'est un impôt discriminatoire.
20:31 C'est à dire que j'aurais presque envie de dire que c'est une étoile jaune fiscale,
20:34 en quelque sorte.
20:35 C'est un geste humiliant, indépendamment du fait qu'il rapporte de l'argent.
20:39 Mais par ailleurs, on connaît la fabuleuse histoire d'amour entre Titus et Bérénice.
20:43 Titus, futur empereur romain, et Bérénice, princesse juive.
20:47 Mais ils ne pourront jamais se marier.
20:48 Et ça montre bien que finalement, même s'il y a des collusions dans l'aristocratie,
20:52 on ne peut pas arriver à unir ces deux peuples.
20:54 Ils vivent côte à côte.
20:55 Oui, c'est ça. Alors là, j'aurais envie de vous répondre en disant
20:58 "Pour jamais, Seigneur, songez-vous en vous-même,
21:00 combien ce mot cruel est affreux quand on aime, etc."
21:02 Et en plus, vous connaissez les vers, c'est parfait.
21:03 Ce serait trop facile.
21:05 Alors, pour revenir à nos moutons,
21:08 est-ce que c'est à ce moment-là qu'on voit émerger, petit à petit,
21:11 dans l'Empire romain, des actes anti-judaïsme,
21:13 une pensée anti-judaïque qui se renforce ?
21:15 Alors, toujours pareil, on suit les petites graines
21:19 qui ont été sommées à l'époque grecque.
21:21 Alors, on peut citer Sénèque.
21:23 Sénèque, c'est intéressant parce qu'il renverse la perspective.
21:25 Les Juifs étaient sous Alexandre des combattants courageux.
21:28 Sénèque lui insiste sur le sabbat en disant
21:30 qu'est-ce que c'est que ces gens qui se mettent en grève
21:32 un jour par semaine et qui refusent de combattre.
21:34 Et il parle de "gens sceleratissima", scelerat.
21:38 Quintilien, lui, évoque une population pernicieuse.
21:45 Et quant à Tacite, alors il y a une page tout à fait extraordinaire de Tacite
21:48 qui utilise un auteur égyptien du IIIe siècle qui s'appelait Manetton
21:51 qui a écrit une histoire de l'Égypte qu'on a perdue.
21:54 Et Tacite lui insiste sur le fait que les Juifs font tout au contraire des autres.
21:57 Il emploie le terme "absurdus", c'est-à-dire qu'ils ne comprennent pas.
22:01 Et c'est aussi parmi ce peuple juif que va apparaître une nouvelle religion,
22:05 le christianisme.
22:06 Et ce sont les Juifs qui vont demander à ce que ce fauteur de trouble qu'est Jésus
22:10 soit crucifié par l'autorité romaine.
22:13 C'est le Sanhedrin, le conseil juif qui demande cela.
22:15 Est-ce que, dès le départ, les premiers chrétiens vont s'opposer aux Juifs
22:19 en les voyant comme des déicides ou c'est une construction qui va venir plus tard ?
22:22 C'est un peu plus tard.
22:24 On attribue cette distinction, ce mythe tendancieux,
22:29 comme dira Jules Isaac, du fameux manuel d'histoire.
22:33 On attribue ça à un personnage qui s'appelle Justin de Naplouse,
22:37 en Cisjordanie, c'est-à-dire de Néapolis, c'était une colonie romaine.
22:41 À la fin du Ier siècle, en charnière entre le Ier et le IIe siècle,
22:44 c'est une manière de se distinguer, de marquer la différence,
22:47 parce que les chrétiens ont du mal à exister par eux-mêmes.
22:50 On peut en trouver une illustration dans un texte très pittoresque des Actes des Apôtres,
22:53 qui raconte quand Paul est arrivé à Éphèse, qu'il a mis toute la foule en émoi,
22:57 parce qu'à Éphèse, il y avait une des sept merveilles du monde antique,
23:00 le temple d'Artémis, il y avait tout un tas d'artisans qui vendaient des petits temples,
23:03 en modèle réduit, un peu comme on trouve des petites tours Eiffel, ce genre de choses,
23:06 et qui sont totalement catastrophés.
23:08 Et on voit bien de l'anecdote, dans l'anecdote,
23:11 que les gens ne font pas la différence entre les premiers chrétiens et les Juifs.
23:16 Ça reste des religions orientales vues de Rome.
23:18 Mais malgré tout, cette religion va connaître un certain succès,
23:21 puisque en 313, l'empereur Constantin se convertit au christianisme.
23:26 Quelle est la position du peuple juif à ce moment-là ?
23:29 Elle ne change pas beaucoup.
23:31 Depuis 212, il est dit de Caracalla qui accorde la citoyenneté romaine à tous les gens libres de l'Empire,
23:38 les Juifs sont citoyens romains.
23:40 Et en fait, il faut bien avoir conscience du fait que Constantin
23:44 proclame le christianisme comme religion d'État,
23:47 mais en même temps, il reste grand pontife de la religion traditionnelle.
23:50 Donc, en fait, c'est un peu un statu quo.
23:53 On peut même citer le fameux édit de Cologne en 321,
23:56 qui nous apprend qu'il y avait des Juifs dans la colonie romaine de Cologne.
24:00 Et par cet édit, Constantin réaffirme le droit des Juifs
24:05 à participer à l'administration de la colonie, c'est-à-dire à avoir des responsabilités.
24:09 Et justement, les chrétiens vont devoir se distinguer de ces Juifs,
24:12 y compris dans les premiers siècles de notre ère.
24:14 Et il y a la pensée de Saint Augustin, qui est l'un des pères de l'Église.
24:17 Qu'est-ce qu'il pense des Juifs ?
24:19 Alors, Saint Augustin, qui est lui-même converti un petit peu sur le tard,
24:23 lorsqu'il rencontre Ambroise de Milan,
24:26 exprime sa pensée dans la cité de Dieu,
24:28 qui va rester un des textes fondateurs jusqu'à saint Thomas d'Aquin.
24:32 En fait, lui, son idée, c'est que les Juifs doivent être préservés,
24:36 ont le droit d'exister, en gros, mais à titre d'archiviste,
24:40 c'est-à-dire de témoin des premiers temps du christianisme.
24:44 C'est-à-dire qu'ils existent, mais dans une position inférieure.
24:48 Ils doivent être humiliés, au sens latin du terme.
24:51 Humilis, ça veut dire en bas.
24:53 Tout à fait.
24:54 Est-ce que la condition du peuple juif va changer au fur et à mesure
24:58 où l'Empire romain devient significativement chrétien ?
25:01 Je pense au Code de Théodose en 438.
25:04 Est-ce qu'on commence à distinguer les Juifs d'un point de vue légal ?
25:07 Alors, oui. D'abord, il faut bien voir que cette promiscuité,
25:11 enfin proximité avec les chrétiens, ne change guère pour l'instant.
25:14 L'archéologie a montré dans les nécropoles, notamment en Thessalonique,
25:17 au IVe siècle, qu'une tombe juive se distingue guère d'une tombe chrétienne,
25:21 qu'il y a beaucoup de porosité, des conversions, des reconversions,
25:24 d'un ensemble à l'autre, des débats théologiques assez poussés aussi.
25:28 Les Juifs savent très bien ce que font les chrétiens,
25:30 les chrétiens savent très bien ce que font les Juifs, etc.
25:33 Mais alors, après Constantin, on prend tout de même un certain nombre de mesures
25:36 au fur et à mesure que progresse le christianisme.
25:38 Par exemple, on interdit aux Juifs d'avoir des esclaves chrétiens,
25:41 on interdit aux Juifs de construire de nouvelles synagogues,
25:44 on leur interdit un certain nombre de métiers, de professions, par exemple avocat, tout ça.
25:48 Alors, tout ça se fait progressivement et c'est effectivement Théodos II, en 438,
25:52 qui formalise et qui regroupe tout cela.
25:55 Finalement, on commence à voir des discriminations à l'encontre des Juifs
25:58 à ce moment-là, au Ve siècle, sur la fin de l'Empire romain.
26:02 Est-ce qu'on peut commencer à parler de minorité ou est-ce que ce serait totalement anachronique ?
26:06 Alors oui, c'est cela. Vous m'invitez là à prendre un petit peu de recul par rapport à cette question.
26:11 Je crois que l'antijudaïsme, en fait, va bien au-delà de l'antijudaïsme.
26:17 Et il nous invite à réfléchir à différentes choses qui apparaissent à cette époque.
26:23 A savoir, tout d'abord, les Juifs, en fait, sont l'image de la différence.
26:27 Et dans un domaine particulièrement sensible, puisque c'est celui de la métaphysique,
26:30 c'est celui du rapport de chacun à l'au-delà.
26:33 Ensuite, il y a un deuxième aspect, c'est l'aspect politique qui est très important.
26:37 On a vu que l'idée d'un État indépendant, d'un État juif, d'un État d'Israël,
26:43 est une notion qui émerge et qui se structure également à cette époque-là.
26:47 Et Dieu sait si c'est une question d'actualité.
26:49 Et enfin, au-delà même, bien sûr, je crois que c'est la grande entrée dans l'histoire de la notion de minorité,
26:56 avec cette dualité, altérité, infériorité,
27:01 et l'idée qu'en réalité, une minorité ne peut pas exister si elle n'est pas protégée.
27:07 C'est le sens des mesures de César, d'Auguste, etc.
27:10 Bref, dans ce domaine comme dans tant d'autres, l'Antiquité a beaucoup à apprendre.
27:14 Et ça c'est certain. Ce n'est pas moi qui vous dirais le contraire.
27:17 Alors l'Empire romain d'Occident chute en 476, c'est la fin de cet empire,
27:22 mais il continue en Orient, centré sur Byzance.
27:24 Quelle est la place des Juifs dans ce monde romain qui s'écroule ?
27:28 Alors on connaît des cas assez agressifs.
27:31 Par exemple, Justinien, au VIe siècle, a procédé à des conversions forcées.
27:35 Il s'attaquait aussi aux païens.
27:37 Il s'attaquait aussi aux païens.
27:40 Les Juifs ont souvent une position tout à fait favorable.
27:44 Par exemple, les médecins juifs sont extrêmement réputés,
27:46 comme ils le seront d'ailleurs en Occident,
27:48 puisqu'on va leur interdire les professions manuelles.
27:51 Et donc ils deviennent soit des financiers en Occident, soit des intellectuels.
27:56 D'une manière générale, la position des Juifs en Orient est restée beaucoup plus favorable
28:00 que ce qu'elle devient en Occident, même si, mais c'est une autre époque,
28:03 sous les Mérovingiens et les Carolingiens, ils ont un statut assez privilégié,
28:08 parce qu'on a besoin d'eux.
28:09 Justement, on en parlera dans le prochain épisode de cette série.
28:11 Merci beaucoup François Lefèvre pour cet éclairage passionnant sur l'Antiquité
28:15 qui permet de comprendre les prémices de ce que deviendra plus tard l'antisémitisme.
28:19 Je rappelle que votre livre "Histoire antique, histoire ancienne"
28:22 est paru aux éditions Passé Composé.
28:24 Merci à tous de nous avoir écoutés pour le premier épisode de cette série exceptionnelle
28:28 sur les racines de l'antisémitisme.
28:31 Je vous donne rendez-vous très bientôt pour la suite qui se passera au Moyen-Âge.
28:34 Si vous avez aimé cet entretien, n'hésitez pas à le partager, à en discuter,
28:39 à nous mettre des étoiles aussi, ça nous fera plaisir.
28:42 Au cœur de l'Histoire est un podcast Europe 1 Studio,
28:45 à la production Camille Bischler avec l'aide de Nathan Laporte,
28:48 à la réalisation Pierre Casalo, à la direction artistique Julien Tharaud,
28:52 à la composition des musiques originales Julien Tharaud et Sébastien Guidis,
28:57 à la communication et la diffusion Kelly Decroix et Nathan Laporte.
29:00 Et pour cette émission qui est filmée, nous avons en plus Thomas Bourgeois-Muller
29:03 à la réalisation et pour les moyens techniques Thibaut Desrobert.
29:07 Merci à tous de votre fidélité, à bientôt au cœur de l'Histoire.
29:10 [Musique]

Recommandations