• il y a 10 mois
Retour sur un événement majeur et historique de la France, où se sont déroulées des manifestations et des grèves générales, entrainant une paralysie presque complète du système administratif et économique français.
Reportage illustré de nombreuses images d'archives et de témoignages politiques.

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Personnes
Transcription
00:00 [Générique]
00:10 [Applaudissements]
00:15 Mai 1968 nous avait imposé le relativisme intellectuel et moral.
00:23 Les héritiers de mai 68 avaient imposé l'idée que tout se valait,
00:28 qu'il n'y avait donc désormais aucune différence entre le bien et le mal,
00:32 aucune différence entre le vrai et le faux, entre le beau et le laid.
00:36 Ils avaient cherché à faire croire que l'élève valait le maître,
00:39 qu'il ne fallait pas mettre de notes pour ne pas traumatiser les mauvais élèves
00:43 et que surtout il ne fallait pas de classement.
00:46 [Applaudissements]
00:49 La victime comptait moins que le délinquant
00:53 et ils avaient cherché à faire croire qu'il ne pouvait exister aucune hiérarchie des valeurs.
01:00 D'ailleurs il n'y avait plus de valeurs, plus de hiérarchie,
01:03 ils avaient réussi, il n'y avait plus rien du tout et eux-mêmes ce n'était pas grand-chose.
01:08 [Applaudissements]
01:11 Ils avaient proclamé.
01:13 [Cris de la foule]
01:16 Le mois dernier, tout s'en allait.
01:20 [Musique]
01:22 Mai 68 valait-il 40 ans plus tard autant d'indignité ?
01:25 La droite qui jusque-là s'était tenue silencieuse au gré des commémorations,
01:29 avait-elle décidé de laver ses querelles avec Cohn-Bendit
01:32 qui avait réussi une émeute socioculturelle inégalée,
01:35 bien plus intense que les grèves du Front populaire de 36 ?
01:39 Et pourquoi ce tardif règlement de compte à une semaine d'une élection déjà gagnée ?
01:45 [Musique]
01:49 On a tout dit et le contraire à propos de mai 68,
01:52 cet événement obscur pour reprendre le mot de Sylvain Lazarus.
01:56 Au fond c'était une sorte de mystère, de mal français,
02:00 cette grosse bouffée d'anarchie contestataire.
02:03 Et puis, coup de canif dans le consensus signé Nicolas Sarkozy,
02:07 il faut liquider l'esprit de 68, 40 ans après.
02:11 [Musique]
02:16 J'étais tout à fait sur une autre planète, si je veux dire.
02:20 Personne n'avait rien vu venir et moi pas plus que quiconque.
02:24 J'avais 7 ans.
02:26 Y'a un souvenir ?
02:27 Y'a le souvenir de pas avoir été en classe pendant deux jours.
02:30 Ma conscience politique était un peu étroite sans doute.
02:33 Mai 68, une révolte étudiante, une grève générale, celle des ouvriers, la libération des moeurs.
02:42 J'en garde mon souvenir, mon père est ouvrier.
02:45 Et donc il en parlait en disant que les usines étaient bloquées.
02:49 Donc pour moi c'était un blocage plutôt, c'était une revendication finalement ouvrière.
02:53 Les souvenirs pour moi c'était ça, c'était modification avec la présence des médias à table, la radio.
03:00 C'était ma mère qui avait repris des études qui les interrompaient.
03:05 Et moi dans mon école j'étais en cours primaire, qui était là aussi les cours étaient supprimés.
03:11 Un souvenir très précis, non pas que j'ai eu à 4 ans mais dans les années qui ont suivi,
03:15 d'avoir dans la famille de manière générale des gens qui étaient plutôt dans la catégorie de ceux qui allaient manifester le 30 juin pour soutenir le général de Gaulle.
03:25 Sauf un, l'oncle 68a, c'est à dire celui qui avait 18 ans en 68 et qui lui avait été manifester avec les étudiants.
03:33 Et que son père, mon grand-père avait donc été cherché au commissariat comme il se doit.
03:37 Moi vous savez j'étais boursière, je venais de me marier, j'avais 24 ans.
03:44 Et comme j'étais amoureuse j'avais échoué à mon année de fac, ce qui est assez classique.
03:52 Et donc j'avais rien pour vivre et donc il fallait que je travaille.
03:56 J'avais 19 ans, pas tout à fait 20 ans puisque je suis du mois d'août 48, je suis du 16 août 48.
04:01 J'avais l'âge où on est sensible à tout ce qui se passe autour.
04:08 J'avais 20 ans, un peu plus de 20 ans et j'étais journaliste stagiaire à combat, qui était le journal bien connu de la résistance.
04:18 J'étais à la fois actif, salarié dans une administration contractuelle au ministère de l'industrie.
04:23 D'ailleurs c'est amusant parce que j'ai ensuite dirigé ce ministère longtemps après.
04:27 Je préparais l'ENA et en même temps jeune parce que j'avais commencé la politique très très jeune plutôt à l'extrême droite, à 15 ans, 16 ans au moment de la fin de la guerre d'Algérie.
04:38 Il y avait en moi deux faces, face à ces événements.
04:45 Il y avait le jeune et il y avait le fils de quelqu'un qui avait des responsabilités.
04:54 J'aimais beaucoup mon père.
04:57 Évasion pour la lettre et pour la coiffure de Guita.
05:10 Elle encadre le visage, l'auréole de mèches légères et délicates allant du sable ombré au marron cannelle éclairé d'or.
05:20 La France va bien. Elle affiche même une santé économique à faire palir les experts d'aujourd'hui.
05:25 Pas de chômage, avenir assuré.
05:28 Tradition du 1er mai, tradition de printemps à l'Élysée aussi.
05:32 C'est vrai, le général de Gaulle a pris un coup de vieux.
05:35 Dès l'essent l'intendance, il se préoccupe du sort du monde où les gauches, toutes les gauches, écoutent et apprécient son discours.
05:41 C'est lui l'anti-impérialisme, l'anticolonialisme, le non-aligné.
05:46 Mais la France, l'ingrate, s'ennuie.
05:49 [Musique]
06:05 Vous prenez la photo du gouvernement Pompidou, des ministres de l'époque, des costumes croisés, de l'air compensé, de la télévision d'État, de la radio d'État,
06:17 les journaux, à part si on accepte quelques cas particuliers, Minute ou le Canard enchaîné.
06:23 Il y avait un conformisme tel qu'on avait envie de soulever le couvercle.
06:28 Ce qui se disait à l'époque, c'est que la France s'ennuyait. La France s'ennuie.
06:34 Et c'est vrai que les choses allaient bien. Il y avait très peu de chômage.
06:39 L'économie était en plein développement.
06:44 Les choses avaient l'air d'aller bien.
06:47 Mais la société politique n'est pas sûre d'elle parce qu'elle a traversé des épreuves.
06:52 La montée du nazisme, Munich, la défaite de Carante, l'occupation et toutes ces ambiguïtés.
07:01 Alors certes le général de Gaulle sauve l'image de la France, mais les Français ne sont pas dupes.
07:05 Ils savent très bien que ça a été plus compliqué que ça.
07:08 La libération, la France vivait dans une espèce d'oppression, de pression.
07:14 Mais oppression, pression c'est la même chose.
07:17 Culturelle, je veux dire par là que les mœurs étaient bloquées.
07:24 C'est vrai qu'on avait des éducations assez rigides.
07:29 Moi j'avais des parents qui m'ont élevé d'une manière assez rigide.
07:33 N'oubliez pas qu'on n'était majeur qu'à 21 ans à l'époque.
07:36 Le poids des parents pesait très lourdement.
07:39 Donc je crois qu'on avait une aspiration à une liberté dans beaucoup de domaines.
07:44 Et c'est vrai que ce que j'ai lu sur les murs de la Sorbonne ou de l'Odéon,
07:47 où j'allais faire des reportages comme tout le monde,
07:49 bien souvent ça correspondait à mes aspirations personnelles.
07:54 Et cette société actuelle ne correspond absolument plus aux besoins de l'avenir.
08:00 Et c'est cet avenir que nous qui sommes jeunes essayons de créer, essayons de faire progresser.
08:07 Nous ne voulons pas que les choses restent comme elles sont,
08:09 parce que comme elles sont, elles ne sont pas bonnes.
08:12 Besoin de respirer, besoin de liberté, besoin de soulever le couvercle, de voir la vie en couleurs.
08:27 Daniel Cohn-Bendit a l'art de vous faire aimer la révolution, même s'il n'est pas dupe lui-même.
08:37 C'est un gauchiste de bonne humeur, imaginatif et souvent hilare.
08:42 Le plus spectaculaire, c'est cette envie de parler, de se défouler, de vivre.
08:47 Et ce n'est pas une exigence réservée à la jeunesse de gauche.
08:51 Mon mari a passé toute sa vie dans les prisons pour avoir lutté contre les idées en tant qu'intellectuel.
08:56 Alors vous savez, seulement j'ai peur de certains excès et j'ai peur, je vous dis, que vous soyez hypnotisés par des cadres idéologiques.
09:04 Dans mes activités journalistiques, je suivais des cours de sémantique à Nanterre, à la fac de Nanterre.
09:09 Et donc évidemment, je voyais Sauvageot, Cohn-Bendit, j'étais là aux fameuses réunions assemblées générales.
09:18 Dieu sait qu'il y en a eu des assemblées générales à Nanterre comme ailleurs d'ailleurs.
09:21 Et c'est vrai que c'était, comment vous dire, on avait vraiment un sentiment à 20 ans d'une espèce de liberté.
09:29 Je me souviens avoir passé une nuit entière au théâtre de l'Odéon à écouter ces logorées.
09:37 Tout était possible et on montait soit à scène pour dire tout et n'importe quoi.
09:45 Le capital artistique, culturel, scientifique, parce que c'est sur ça que nous ferons la révolution, la vraie, celle qui foutra Pompidou et les autres, celle qui foutra l'état impérialiste, l'état militaire.
10:00 Tout le monde voulait tout démolir, tout mettre à plat. Et moi, je me souviens, j'étais quasiment la seule à me lever au niveau de ces hémicycles, ces amphithéâtres qu'il y avait là, pour dire "mais qu'est-ce que vous voulez, qu'est-ce que vous cherchez ?"
10:13 Et puis au fil des débats, de la pagaille à la faculté de droit, on voit apparaître des personnages, on les croyait les partisans de la liberté, ils deviennent à l'évidence des manipulateurs.
10:31 On voit les plus excités demeurer sur les estrades et surtout on se rend compte que ce souhait, cette inspiration à la liberté, elle a été captée par des gens qui sont souvent intolérants, qui ne croient qu'en leur liberté et pas en la liberté des autres.
10:56 Au quartier latin, ce fut la journée la plus longue.
11:00 La fête des idées, des slogans, des provocations, c'est trouver une alliée, la violence.
11:09 Pouvait-il en être autrement sur la ligne de fracture qui oppose l'autorité de l'époque et cette jeunesse haletante ?
11:16 En tout cas, l'intensité de cette violence, sa spontanéité vont radicaliser la droite.
11:24 Ce qui m'a frappé d'abord, c'est que confronté à la montée de cette agitation et de la violence, puisqu'il y a eu des incidents très graves, dans la nuit du 9 au 10 mai, une série de barricades, ruguets, lussac, d'affrontements très graves avec la police parisienne, etc.
11:45 Là j'ai senti que les choses prenaient mauvaise tournure.
11:48 Quelle est la part du jeu ? Dans 68, il y a une part de jeu. On ne peut pas dire le contraire. Il y a une part de jeu.
11:55 On joue à la révolution, est-ce qu'on la croit vraiment ? On joue pour d'autres, à observer, voir à partir de quelques jours avant la manifestation du 30 mai, la contre-révolution.
12:10 Il y a des affrontements assez musclés, j'en ai été témoin de quelques-uns.
12:14 Vous-même avez participé ?
12:17 Tout à fait, oui, pour reprendre Sciences Po, pour dégager les piquets de grève, c'était un peu physique, viril.
12:23 J'avais des copains avec moi, des copains qui s'appelaient d'ailleurs, dans les jeunes, qui s'appelaient Debré, qui s'appelaient De Gaulle.
12:32 Je me souviens, un jour, on s'est fait arrêter comme ça, dans un véhicule, sur le boulevard Saint-Germain, contrôle dans le véhicule.
12:42 Quand le flic a vu un Debré et un De Gaulle, bon, il a dû circuler.
12:47 Quand il ne s'agissait plus de jouer, quand on a senti que, franchement, ce mouvement imprégnait la sensibilité française dans ses différentes composantes,
12:59 oui, quelque chose d'estabilisé qui était la France, dans ses structures-mêmes.
13:04 Si j'avais eu 35 ans en 68, j'aurais eu sans doute une autre réaction.
13:09 Mais j'avais 22 ans, donc je suis d'une droite qui s'amuse. J'aurais eu cinq ans de plus, j'aurais été d'une droite qui s'inquiète.
13:20 Après cette ivresse de la pagaille, cette jouissance de la liberté, il y a le début d'une inquiétude, d'une interrogation.
13:32 Ça, c'est pour le jeune homme d'à peine plus de 20 ans.
13:37 Et ce jeune homme, quand il rentre à la maison, quand il croise ses parents, il voit son père inquiet, nerveux.
13:57 Ce père qui, le but de son engagement politique, c'est le redressement de la France, la résurrection du prestige international de notre pays,
14:08 et qui vous dit à câbler, blanc, blême, tout ce travail pour en arriver là.
14:15 Et donc, en dehors de la maison, c'est l'ivresse, et à la maison, c'est une espèce de tristesse, d'abattement, d'inquiétude, d'angoisse.
14:27 Et on sent bien ce décalage.
14:31 Panne d'essence
14:43 La France présente un encéphalogramme plat.
14:46 La furia étudiante a trouvé du renfort chez les ouvriers, chez les salariés.
14:54 Plus personne ne pense que le monome va rentrer sagement dans les facs et les lycées.
14:59 La France vit une crise. La France, asphyxie.
15:04 Ni la droite, ni la gauche, depuis la fin de la guerre d'Algérie, ne s'était penché sur l'état mental du pays, à part Edgar Morin peut-être, mais c'est un sociologue bien solitaire.
15:15 Le général de Gaulle est ailleurs, à l'étranger.
15:19 Son premier ministre, ancien de Normale Sup, répugne à réprimer plus radicalement encore les émeutes.
15:25 La droite s'enfonce dans le silence.
15:28 C'est probablement ce vide politique sidéral qui, 40 ans plus tard, nourrit le ressentiment d'une droite suractive.
15:35 Ce qui m'inquiétait, c'était l'espèce de délitement des pouvoirs publics.
15:40 On sentait que tout ça n'était pas très solide.
15:44 Ça donnait le sentiment qu'il faudrait pas grand chose pour que ça s'effondre.
15:49 Il y avait une sorte de vacance du pouvoir. On avait l'impression que le pouvoir était ailleurs et que la réalité de la vie était dans la rue.
15:56 Moi j'ai trouvé ça tout à fait scandaleux.
16:00 Qu'un certain nombre de responsables politiques ou de ministres, dont le rôle était d'incarner l'État,
16:06 même si le général de Gaulle était pas là, et le premier ministre non plus,
16:11 qu'il n'y ait pas la réaction qu'il aurait dû y avoir, tout ça me paraissait aberrant.
16:18 C'est vrai, pendant un mois, personne ne réagit.
16:22 Vous avez les CRS d'un côté, les manifestants de l'autre, ça se passe plutôt bien.
16:29 Il n'y a pas de catastrophe humaine et on laisse faire les choses.
16:38 On a senti d'ailleurs que même au niveau des forces de police, à la fin il y avait un peu de flottement.
16:44 C'est la raison pour laquelle nous avons utilisé, j'ai employé beaucoup de jeunes,
16:49 à aller faire un peu d'intox auprès des forces de police,
16:54 distribuer des barres de chocolat pour leur dire "on est avec vous"
16:57 pour qu'ils sentent qu'il n'y avait pas que des jeunes de l'autre côté.
17:00 Mais je me rappelle d'un jour où Jacques Faucas nous a demandé
17:07 si le cas échéant nous pourrions assurer la sécurité du général nous-mêmes à l'Élysée.
17:13 Et ça vous a inspiré ?
17:15 On a répondu "oui, naturellement, nous étions un certain nombre, nous nous serions fait tuer, aucun problème".
17:21 Aucun pays occidental n'a subi un tel choc depuis la guerre.
17:41 Ce qui tente à démontrer d'abord que la classe ouvrière supporte aussi mal que la jeunesse la grisaille du quotidien,
17:48 et ensuite que le PC et sa filiale la CGT sont largement débordés par la maladie honteuse du communisme, le gauchisme.
18:07 Et le général de Gaulle, sur lequel tout le monde compte au fond pour interrompre la partie,
18:11 semble avoir perdu son fluide radiophonique.
18:14 Georges Séguy, le patron de la CGT, vole au secours du pouvoir de façon aussi éhontée qu'historiquement ridicule.
18:24 On sait que la CGT, dès le début, a affirmé sa solidarité avec les étudiants en lutte.
18:31 Vous parliez de solidarité avec les étudiants, je voudrais connaître la position de la CGT vis-à-vis du mouvement du 22 mars de Comte Bendit.
18:37 Je serais prête à te dire "Comte Bendit, qui est-ce ?"
18:40 Je crois que vous me parlez de ce mouvement qui a été créé si récemment à grand renfort de publicité.
18:46 Je n'en dirais rien d'autre qu'à propos de ces dernières démarches et de ces dernières décisions,
18:54 que les travailleurs voient d'un mauvais œil les interventions qui se produisent et qui prétendent se substituer à leurs responsables pour diriger leur lutte.
19:03 La classe ouvrière est majeure, elle n'a nul besoin d'immixion et d'ingérence extérieure pour prendre les responsabilités qu'elle a à prendre dans la période présente.
19:12 Ce qui a, dans une certaine mesure, empêché que les choses aillent trop loin, c'est lorsque les choses ont été reprises à même par les syndicats.
19:23 Parce que là, ça a changé de tournure. On est passé d'un mouvement revendicatif qui caractérisait une certaine subversion,
19:34 on est passé à un mouvement classique, la grève générale, etc.
19:40 Oui, parce que quand il y a eu la jonction avec le monde ouvrier, en fait, les discussions et les accords de Grenelle ont répondu à des attentes qui étaient les attentes des travailleurs.
19:50 25% d'augmentation de salaire, 10% de réduction du temps de travail, dont les conséquences étaient assez lourdes sur le plan économique.
19:59 Mais cela, sans doute, a orienté ce mouvement et d'ailleurs, cela a sans doute condamné le fait qu'il y ait eu les accords de Grenelle.
20:09 Le monde ouvrier, à son tour, entre en scène. Les ouvriers de Renault, comme ceux de Sud Aviation à Nantes, occupent les usines.
20:18 Un cortège arrive du quartier latin. Les étudiants veulent établir la jonction avec les ouvriers.
20:26 L'usine restera fermée. Les occupants s'opposent à l'entrée des arrivants à l'intérieur. Ils veulent éviter de créer l'occasion d'une intervention des forces de police.
20:42 Chacun sait aujourd'hui que le Parti communiste et la CGT ne voulaient à aucun prix une révolution en France. On sait pourquoi tout cela a été analysé.
20:51 C'est avéré et que simplement, pour des raisons que je trouve tout à fait respectables, les syndicats ont tenté de récupérer le mouvement dans leur intérêt personnel
21:00 et en même temps pour protéger la France de quelque chose qui pourrait ressembler à une révolution anarchique. Je crois que tout le monde est d'accord maintenant là-dessus.
21:06 Et le Parti communiste sera le gardien de l'ordre. Le Parti communiste et la CGT sont un allié objectif du gaullisme dans la fin des jours de mai pour dire
21:19 "On a conclu un accord, on a signé, on a gagné quelque chose maintenant. Allez, on rentre les uns dans les ateliers, les autres dans les bureaux et les fils de bourgeois, ils retournent au boulot."
21:34 Les français auront donc connu l'étonnement, parfois l'amusement ou le défoulement et souvent l'espérance. Cette fois, ils se sont confrontés à un drôle de sentiment.
21:43 Ils se sont mis à avoir peur, peur des orages portés par ce printemps violent. Une peur que Charles Pasqua va savoir flairer au bon moment.
21:51 Nous nous sommes dit que de toute façon, face à ce qui devenait un mouvement populaire de contestation, il fallait appeler à la mobilisation populaire.
22:06 Ce n'était même pas un parti qui pouvait répondre, etc. Ce n'était plus de ce niveau. Il fallait provoquer une réaction populaire.
22:15 Et c'est ainsi que nous avons eu l'idée de créer ce qui est devenu les Comités pour la Défense de la République.
22:24 Et je me rappellerai toujours une chose, les trois premiers qui sont venus s'inscrire au Comité pour la Défense de la République, quand ils sont rentrés, je n'avais pas besoin de me dire qui ils étaient.
22:37 Mais ils ont dit, il y avait une grande affiche du général de Gaulle dans la salle où nous étions, affiche du général de Gaulle pour les présidentielles.
22:47 Le général de Gaulle disait en 1962, c'est vous qui irez le président Maripéli. Et les trois qui sont rentrés, il y en a un qui dit, vous acceptez n'importe qui ?
22:58 J'ai dit oui. Je lui ai dit, vous savez, on ne demande pas la religion aux pompiers quand il y a le feu.
23:03 Alors il y en a un qui dit, je n'aurais pas cru qu'on se retrouvait une nouvelle fois avec celui-là.
23:08 C'était trois anciens officiers qui étaient plus ou moins, etc.
23:14 [Bruits de foule]
23:21 Ce qui est quand même extraordinaire, et c'est sur le côté paradoxal des Français, mais ce qui est assez sympathique aussi, c'est qu'on est passé d'une situation préinsurrectionnelle du 28-29 mai à la manifestation du 30 mai.
23:39 Et donc à deux heures de l'après-midi, il y avait déjà plus de 100 000 personnes à la place de la Concorde et ça commençait à pousser.
23:48 Et quand le général de Gaulle a pris la parole, c'était je crois quatre heures ou quatre heures et demie.
23:53 Alors là, on aurait dit que les Champs-Élysées, c'était un fleuve et que toutes les rues, c'était des affluents.
24:04 Les gens arrivaient de partout en quantité, etc.
24:08 [Musique]
24:21 Le long week-end de la Pentecôte est commencé.
24:23 Le très beau temps et le retour de l'essence dans les garages ont dissipé chez les Parisiens l'inquiétude et l'angoisse des récents événements.
24:30 La victoire de la droite a donc le parfum de l'essence, des pots d'échappement et du soulagement.
24:36 Bizarrement, un week-end de Pentecôte, au moment où les Français prennent peur parce qu'il n'y a plus d'essence pour partir en week-end, alors là effectivement, ça bascule.
24:47 Puis ça bascule politiquement avec la manifestation du 30 mai où tout d'un coup, la droite ressort, les gens qui s'étaient cachés, qui avaient peur, vont manifester de la Concorde à la rue de Triomphe.
25:00 Et là on s'aperçoit que politiquement, mai 68, c'est une mule. Ça fait pshit, comme dit l'ombre.
25:07 Dès ce matin, les services de la voirie ont commencé à effacer les traces de l'émeute.
25:12 Les barricades, édifiées la nuit dernière par les étudiants, ont été en partie démantelées et les rues ont pu être rendues aux piétons.
25:20 La parole est un fantastique instrument politique depuis la nuit des temps, mais les étudiants, cette fois, ont fini de discuter.
25:28 Le mois dernier, tout s'en allait. Notre pays, scandalisé par l'anarchie universitaire, paralysé par la grève généralisée,
25:48 désemparé par l'incertitude d'un Parlement sans majorité, pouvait penser que la République disparaissait avec la liberté.
26:02 Le 30 mai, cent ans qu'enfin s'éveillait l'instinct national, j'en ai appelé au peuple. Il m'a répondu dans ses profondeurs.
26:18 Du coup, fut rompu le charme maléfique qui nous entraînait vers l'abîme.
26:27 La droite a relevé la tête. La gauche, elle, s'est prise les pieds dans le tapis. Elle s'est trompée dans son analyse et ne pourra que prendre date pour plus tard, beaucoup plus tard.
26:47 De Gaulle est usé, mais l'Odéon n'était pas le palais d'hiver. La droite respire à nouveau et elle pense à son avenir.
26:59 C'était les prémices du départ de De Gaulle qui devenaient inévitables. On ne court pas après les réformes. On impose ces réformes.
27:13 Alors que le gaullisme, c'était une volonté d'imposer sa marque et non pas de se laisser imposer sa marque, là, ils avaient été mauvais puisqu'ils avaient été dominés par les événements.
27:26 D'abord, on s'est rendu compte que le général de Gaulle était vieux, qu'il n'était pas incontournable, que le vrai patron, c'était Pompidou, qu'il y avait une nouvelle génération qui apparaissait, y compris Chirac d'ailleurs, dont on parlait peu, mais on voyait bien une nouvelle génération.
27:38 Et dans la reprise en main, Charles Pasquoie, et dans la reprise en main par la droite, il y a une rédification de toutes les droites. Je dirais que l'antigaullisme devient caduque.
27:50 La machine infernale de mai 68 est maîtrisée. Après la dissolution de l'Assemblée décidée par de Gaulle, c'est Pompidou qui est à la manœuvre.
28:01 La politique à droite et à gauche semble avoir repris son allure d'antan. On est passé tout près de la rupture, peut-être tout près de la guerre civile.
28:10 Personne n'est pressé d'analyser ses échecs. Pour l'instant, on négocie. C'est Grenelle.
28:16 C'est le caractère extraordinairement sérieux de la crise actuelle qui seul a permis d'aboutir à des concessions aussi importantes.
28:27 À travers ce que j'ai vu de mon père, du général de Gaulle, de ceux qui étaient au pouvoir, il m'a semblé que 68, c'était un décalage fantastique entre ceux qui étaient au pouvoir et qui avaient des responsabilités
28:49 et qui avaient une action totalement louable de redressement de la France et l'aspiration d'un certain nombre de personnes, aspiration à la liberté.
29:01 Moi, je suis très détendu vis-à-vis de 68. J'en garde les éléments de vitalité et de jeu. J'en garde la leçon de la fragilité de l'État et des systèmes publics.
29:14 Et dans les deux sens, d'ailleurs. J'en garde aussi la fragilité des foules. Parce qu'on a à la fois les foules de manifestants et puis, quand on vote, on a ce résultat, ce raz-de-marée bleu, ce raz-de-marée républicain qui était simplement totalement imprévisible.
29:31 Oui, c'est un peu l'échec des politiques, qu'ils soient de droite ou de gauche, à anticiper le mouvement de la société. Sans doute, le pouvoir gaulliste n'avait-il rien vu venir.
29:43 Mais parallèlement, l'échec de Charletti, l'échec de Mendès France, l'échec de François Mitterrand, à comprendre ses aspirations, était spectaculaire.
29:54 C'est donc pas le monopole de la famille politique qui était au pouvoir à ce moment-là. Donc ça, c'est un signal. Est-ce qu'il y a des leçons, des évolutions ?
30:04 Sans doute une grande vigilance, oui, à avoir quand il y a un mouvement dont les jeunes sont à l'origine.
30:09 [Musique]
30:28 Que la droite le veuille ou non, la société française va se modifier radicalement dans les années à venir. L'école, la jeunesse, la famille, les comportements, les désirs, les loisirs, la liberté d'expression.
30:42 Avant, s'il voulait, c'était chiant. Et après, c'était drôle.
30:47 J'avais connu une autre époque où il y avait des barricades, mais en face, il y avait les Allemands. Ce n'était pas tout à fait la même chose.
30:56 Tout était accessible, on pouvait tout dire, il n'y avait plus de sujet tabou.
31:03 Et cette jouissance de croire qu'enfin, tout est possible pour arriver à l'égalité et à la fraternité, qu'il n'y a plus de différence entre les uns et les autres,
31:19 qu'il n'y a plus de misère, qu'il n'y a plus de pauvreté, qu'il n'y a plus de... Enfin, ce monde merveilleux que l'on attend, que l'on espère et auquel on croit, d'autant plus qu'on est jeune.
31:32 J'ai plutôt perçu ce moment-là comme étant une espèce de crise de la bourgeoisie, de jeunes, qui avaient plutôt de la chance, alors que moi, je me battais pour survivre.
31:46 Je retiens ça de 68. La liberté. La liberté de penser, de dire, d'agir, de ne pas être d'accord avec le courant général, le mainstream, comme on dit maintenant pour faire chic,
32:01 le sanir, le pénurgisme. On avance avec les moutons. Non. Il y a des moments où il faut savoir dire, les moutons, ils ne vont pas forcément dans le bon sens, et même généralement dans le mauvais.
32:12 Mais 68, c'est d'une certaine façon, même si les idées sont totalement confuses et totalement désordonnées, c'est le retour en force des idées, c'est le retour de la parole.
32:22 Au début était le verbe, au début était la parole, des mots, pas d'action, dirais-je.
32:26 [Musique]
32:44 Au bout du compte, personne, pas même le premier des français, n'échappera à cette sauvage liberté individuelle qui va se développer sur la champignonnière de mai 68.
32:55 Avec le bon, et avec le moins bon.
32:58 [Musique]
33:09 Mais pour la droite traditionnelle, 40 ans plus tard, l'addition reste tout de même très lourde, trop lourde.
33:18 [Musique]
33:25 On a oublié que finalement, les enfants vont à l'école pour apprendre et pas pour faire n'importe quoi.
33:33 On a considéré que les instituteurs, les profs devaient être les camarades des gens qu'ils étaient chargés d'instruire, et tout ça a eu des résultats déplorables.
33:44 En voulant abattre les murs, on a abattu tout ce qui faisait la hiérarchie d'une société, l'organisation d'une société.
33:54 Et l'université reste aujourd'hui un immense foutoir qui est la production de ce sentiment.
34:00 On conteste l'état et l'autorité, donc en gros on explique que tout se vaut, l'adulte, l'enfant, que tout le monde a sa part de raison, qu'on doit pouvoir en discuter.
34:10 Après tout, quand on s'est présenté comme ça, pourquoi pas ? C'est aussi la famille, cette idée que la notion d'autorité parentale a-t-elle encore du sens ?
34:18 Qu'est-ce qui ressort de la près mai 68 ? Il y a eu une forte législation concernant la famille.
34:24 L'autorité parentale conjointe, il n'y a plus de chef de famille. 1970, la majorité a 18 ans. Nous sommes en 72, 74.
34:34 L'adultère n'est plus une faute pénale. Ensuite, vous avez l'intervention volontaire de grossesse.
34:42 Vous avez l'égalité entre les enfants, les enfants légitimes et les enfants naturels.
34:46 Donc toutes ces avancées de nature de justice, c'est-à-dire qu'on met des cadres là où il n'y en avait pas, finalement.
34:52 Ils ont dit "élection piège à cons". Mais non, l'élection, c'est pas un piège à cons.
34:58 Moi qui m'occupe des droits de l'homme, qui vois partout dans le monde ces millions de gens qui se battent pour les élections,
35:04 pour avoir le droit d'élire leurs représentants, qui meurent pour cela. Non, c'est pas des cons, ceux-là, c'est des héros.
35:11 68, c'est une fantastique prise de conscience de nos concitoyens pour qu'ils soient entendus, qu'ils soient compriss,
35:26 et qu'ils aient le sentiment que le message, l'appel qu'ils lancent remonte jusqu'au sommet.
35:38 Que l'on sache, il y a à peu près autant de femmes de gauche que de droite dans ce pays.
35:42 Alors se sont-elles libérées ? Et à quel prix ? Y a-t-il eu des excès ? Peut-être.
35:48 Faut-il en accuser mais 68, moins sûr. Après tout, le goût de vivre irrigue tout le monde.
35:55 Le collectif tout de même va céder la place à l'individuel avec la réussite personnelle comme unique horizon.
36:06 Quelle a été la différence de 68 ? Alors qu'a priori, il se dit opposé, ça a été le développement de la consommation.
36:13 Ça a été le débridement du fric. La réussite, ça a été le fric.
36:18 Y a dans mai 68, y a à la fois du collectif, y a les communautés qui vont se former, mais y a aussi un profond individualisme,
36:28 le bonheur étant moi, je suis responsable de mon bonheur. On n'est pas du tout dans la logique de l'immigrante après-guerre, du militantisme.
36:35 Y a une démarche extrêmement individuelle.
36:37 Sur les notions d'individualisme et d'individualité, à l'évidence, 68 a libéré cela, le droit de jouir sans entrave.
36:46 C'était aussi un des slogans. Est-ce que pour autant ça conditionne le mode de vie ?
36:52 D'autres arrêtements, non. C'est pas ça qui... J'ai pas eu de traumatisme infantile ou pré-adolescent dans ce domaine.
37:01 En 40 ans, la France a été principalement présidée par la droite, à la très notable exception de François Mitterrand.
37:07 Seul Nicolas Sarkozy a cru bon de revenir sur ce sujet, car mai 68 est un boulet qui depuis 4 décennies complique la vie des partis de droite
37:16 et affiche leur supposé anti-modernisme. Nicolas Sarkozy, sans complexe, a manifesté le désir de se réapproprier le débat.
37:24 Après tout, il est interdit d'interdire.
37:28 Le problème de savoir si mai 68 a profité à la droite dans la mesure où elle lui aurait permis de se défaire de ses complexes, est un vrai problème.
37:40 C'est une question très très intéressante. Ça aurait pu être ainsi. Ça n'a pas, à mon avis, été ainsi.
37:47 Ça n'a pas été, en tout cas comme ça aurait dû l'être. La droite, une fois de plus, a raté une occasion.
37:52 Jusqu'en mai 68, en réalité, la droite s'était pétain. Ceux qui se réclamaient de droite, qui affichaient "je suis un responsable politique de droite",
38:02 ont été, y s'inspiraient d'une filiation de la guerre. A partir de mai 68, il y a eu progressivement une évolution,
38:13 et cela aboutit d'ailleurs à ce qu'on voit ces dernières années, c'est-à-dire une affirmation non excessive, claire, sans doute équilibrée,
38:25 de mon point de vue, et lisible, en disant qu'on peut être de droite sans que ça soit honteux.
38:29 Mais à l'époque, ça c'était... Moi j'étais une femme de droite, bien sûr, j'étais centre-droite. C'était difficile de dire qu'on était de droite.
38:38 On était disqualifiés, quoi.
38:40 Oui, c'est ça. Du reste, il y avait aussi dans ces discussions, parce qu'il apparaissait naturellement que ce que je défendais
38:47 étaient des valeurs plutôt dites de droite, que ça n'avait pas de droite citée, que c'était complètement archaïque, que ça n'avait absolument aucun sens.
38:55 Ce qui est vrai, c'est qu'on a, pour beaucoup d'entre nous, pendant trop longtemps, pas assumé d'être de droite,
39:00 alors qu'on avait en face de nous des gens de gauche, qui commençaient par dire qu'ils étaient de gauche,
39:04 et qu'à leurs yeux valaient à soi tout seul discours politique et crédibilité politique,
39:10 alors que c'était pour tenir des discours, excusez-moi, d'un autre monde, et d'un autre temps.
39:15 Le mur de Berlin est tombé, et il n'y a plus cette espèce qu'on avait à l'époque, cette guerre froide entre le monde, non pas de gauche,
39:25 le monde communiste et le monde libéral.
39:28 Ce qui a changé foncièrement, c'est que vous avez en Europe des pays qui sont dirigés par la gauche, mais c'est une gauche libérale.
39:38 Ce sont des sociodémocrates.
39:41 A l'époque, ce n'étaient pas des sociodémocrates qu'on avait en face de nous, c'étaient des communistes, le couteau entre les dents.
39:47 Vive la France !
39:52 Il était donc urgent, entre les deux tours de la campagne présidentielle, d'en finir avec la permissivité de 68,
39:59 ce goût forcené et malsain pour la jouissance sans entrave,
40:02 et ce dédain des codes à la maison, au bureau, à l'école, et même dans l'isoloir.
40:07 Mais voyez tous ceux qui se réclament de l'héritage de mai 68, vous les reconnaîtrez certainement.
40:19 Ils donnent aux autres des leçons qui ne s'appliquent jamais à eux-mêmes.
40:23 Ils veulent imposer aux autres des comportements, des règles, des sacrifices qui ne s'imposent jamais à eux-mêmes.
40:33 Voyez-les, écoutez-les. Ils proclament toujours "faites ce que je dis, ne faites surtout pas ce que je fais".
40:41 Je ne crois pas un instant à la sincérité de Nicolas Sarkozy quand il a fait ça.
40:45 Je comprends parfaitement que Nicolas Sarkozy ait ouvert la boîte de mai 68, au dernier jour de sa campagne électorale.
40:51 Mais je relativise les choses. Nicolas Sarkozy a ouvert toutes les boîtes.
40:56 Le président de la République avait compris une chose d'abord.
41:00 C'est que pour être élu président de la République, il faut se souvenir que la majorité se gagne à droite.
41:12 Il ne se gagne pas au centre, comme on nous l'a dit, pas dans des lustres.
41:16 Et donc il a mené une campagne de droite, il a vidé le Front National de son électorat.
41:24 Mais dans le même temps, il a tiré un certain nombre de leçons.
41:28 Diriez-vous que le chef de l'État, par exemple, est un produit de mai 68 ?
41:33 Quelque part, dans un certain sens, oui. Ce doux modernisme, ce que j'appelle.
41:39 Modernisme apotoque, oui. Dans un sens, oui.
41:44 En le refusant, paradoxalement, il en est le pur produit.
41:48 Moi, je me réfère à son discours d'investiture. Quand il dit "je suis libre, j'ai changé",
41:52 il demande à ses amis politiques d'ailleurs de le laisser libre, d'aller bien au-delà de son parti,
41:58 pour pouvoir rassembler tous les Français, dans le cadre d'un engagement politique.
42:02 Alors, cette revendication de liberté, dans le respect de sa famille politique,
42:09 c'est une forme d'héritage de mai 68.
42:13 Je pense qu'au contraire, c'est un héritier du gaullisme qui a rendu cette fierté de la France,
42:22 cette fierté d'être Français.
42:24 On pourrait penser qu'au-delà d'un mouvement social ou étudiant, ou de Meurs,
42:29 on peut penser que c'est aussi une attitude, celle de la remise en cause d'un ordre établi.
42:36 En ce sens, je pense que le premier d'entre nous est peut-être un 68ard,
42:44 parce que le 68ard, c'est celui qui considère qu'il n'y a pas d'ordre établi,
42:49 il faut ouvrir les champs du possible.
42:51 Ils avaient proclamé, les héritiers de 68, que désormais tout était permis,
42:57 que la majorité s'était finie.
42:59 C'est de bon ton de faire la régie de mai 68, n'est-ce pas ?
43:06 Parce que chacun rêve de participer à un grand mouvement populaire,
43:17 de changer profondément la société, etc.
43:21 Surtout quand ça se fait sans grand risque.
43:24 Quand il s'agit de risquer sa peau, c'est une autre histoire, il y a moins de volontaires.
43:29 On est resté avec cette liberté.
43:32 Moi j'associe mai 68 au mot liberté.
43:36 Liberté de penser, liberté de parler, liberté d'écrire.
43:40 J'ai gardé cet esprit-là. Dans ce sens-là, je suis peut-être un peu post-68ard.
43:44 Pas moi. Pas moi.
43:48 Les 68ards ont eu le droit de vivre pleinement, de jouir sans entrave, comme ils disaient.
43:55 Et nous, nous n'avons que des entraves, donc nous ne jouissons pas, malheureusement.
44:02 Et sans doute parce que ce souffle de liberté continue à exister pour eux-mêmes, mais moins pour nous.
44:13 Ils ont eu le plein emploi, la croissance économique, des retraites bien payées.
44:20 Ils ont eu le droit de s'amuser, il n'y avait pas le sida.
44:24 Aujourd'hui, il y a le sida, il y a la crise économique, on vit encore chez papa, maman,
44:31 parce qu'on n'a pas les moyens, on a peur de l'avenir.
44:33 On n'est pas dans l'insouciance, ni dans la légèreté. Notre génération.
44:38 Qu'est-ce qui a bougé ? Est-ce que la justice a progressé ? Est-ce que l'égalité a progressé ?
44:42 Est-ce que la liberté a progressé ? Absolument pas. Nous en sommes à l'état de 1968.
44:46 Ce qui a progressé et ce qui a changé, c'est l'évolution des moeurs.
44:50 Que tout le monde voulait, que même les électeurs de Nicolas Sarkozy, aujourd'hui, approuvent,
44:56 et dont ils ont profité, et dont Nicolas Sarkozy lui-même a profité.
45:00 C'est en cela qu'il est un enfant, à sa façon, sans le savoir, une sorte de bâtard.
45:05 Ça ne sait pas d'où ça vient, un bâtard. C'est lui-même à profiter de 1968.
45:10 Bien sûr, lorsqu'on est jeune, on aime toujours occuper la rue.
45:21 Une obligation de jeunesse, une sorte de must.
45:24 Et comme tout le monde se plaît à le souligner, c'est plutôt un signe de bonne santé démocratique.
45:30 Et puis, à quelques exceptions près, nos poussées de fièvre semblent moins furieuses, plus décontractées qu'il y a 40 ans.
45:44 Les générations passent, ce qui n'implique pas qu'elles se comprennent davantage.
45:50 Il y a une anecdote familiale qui m'a beaucoup marqué, que m'a raconté mon oncle, 68 ans, justement.
45:58 Mon oncle a été embarqué au commissariat avec ses copains, et mon grand-père est allé le chercher le lendemain matin au commissariat.
46:06 Lui, il l'a convoqué, le mot a son sens, avec 7 ou 8 autres de ses copains.
46:11 Il les a affichus dans la même salle de chez lui, de son appartement, ou je ne sais pas d'où.
46:16 Et il leur a dit "Maintenant, je vous enferme là, vous écrivez sur un bout de papier pourquoi vous êtes 68 ans, pourquoi est-ce que vous faites toutes ces revendications."
46:24 Et mon oncle m'en raconte encore en se marrant, il n'avait vraiment rien compris.
46:28 Il pensait que ça pouvait se résumer à une copie que le père de famille allait exiger d'avoir de ses enfants,
46:34 pour qu'ils disent sur papier ce qu'ils pensaient, était une parfaite illustration du malentendu profond qui existait.
46:40 C'est vrai que ces années-là, c'était des années où à table, les gosses, ils ne parlaient pas, qu'il n'y avait pas de dialogue,
46:46 qu'il y avait une autorité, point, et que c'était tout match. Je suis persuadé que c'était ça.
46:50 Est-ce que finalement, ceux qui sont les avocats de 68 aujourd'hui, n'ont pas fait la même erreur que les gaullistes de l'époque ?
46:57 C'est-à-dire pas voir que les jeunes d'aujourd'hui attendent du sens, attendent un certain esprit de responsabilité,
47:04 et finalement, les événements de 68 leur paraissent comme un ancien combat,
47:09 comme le combat des gaullistes sur la résistance et sur ce qui s'était passé pendant la guerre était apparu dépassé par la génération de 70 qui espérait autre chose.
47:18 Donc, est-ce que finalement, on n'a pas simplement une évolution générationnelle tous les 30 ans, un passage,
47:25 qui se fait peut-être plus difficilement en France, parce que le système français est tellement oligarchique,
47:30 tellement figé, qu'une fois qu'une génération a le pouvoir, elle a tendance à le garder.
47:35 On leur doit beaucoup, d'un côté, mais d'un autre côté, il faut qu'ils nous laissent vivre.
47:40 Il faut que nous coupions le cordon ombilical, que nous tuions le père,
47:45 et d'autant plus que le père n'est plus le libertaire d'avant, il est devenu un conservateur à bien des égards.
47:53 Cette génération est un peu étriquée dans cet héritage.
47:58 Il a besoin aussi d'apporter sa pierre à l'histoire, comme eux l'ont fait.
48:09 La droite n'a pas oublié l'affront de 68. Elle n'avait pas vu le coup venir dans une France toute fière,
48:15 et à juste titre, de ses 30 glorieuses.
48:18 La droite a eu peur, elle a entrevu la chute de ses institutions, aperçu le spectre de la subversion et le visage de l'anarchie.
48:25 Et elle a vu son délitement instantané. Plus jamais ça.
48:30 Mais tout de même, un autre mai...
48:34 Si on oublie pourquoi 68 est arrivé, ce décalage entre les responsables politiques et le peuple,
48:42 si on oublie que certains en avaient assez, que les élites captent tout,
48:48 et captent non seulement le pouvoir, mais la parole, et bien on retrouvera mai 68.
48:54 Ne comptez pas sur moi pour vous dire que ça ne se reproduira jamais.
48:59 Ce qui est sûr, c'est que les conditions qu'avait fait mai 68, la prospérité,
49:05 est une évention fondamentale. Quand tout va bien, on peut se permettre de faire la révolution.
49:11 Et deuxièmement, une société qui quand même était extraordinairement bloquée,
49:16 ces deux conditions ne sont pas là. Donc, il n'y a aucune raison d'avoir à nouveau mai 68.
49:22 Maintenant qu'il puisse y avoir des agitations, c'est autre chose.
49:26 Il y a des mouvements de protestation. Je trouve que c'est un signe de bonne santé
49:30 de pouvoir protester, manifester, revendiquer.
49:33 Donc, justement, il faut rendre grâce d'être dans un pays libre, démocratique,
49:40 où on peut manifester, contester, ne pas être d'accord. Et c'est ça, être libre.
49:46 Je trouve qu'on devrait beaucoup plus, aujourd'hui, être sur les barricades,
49:50 quand on voit la jungle de la mondialisation, qui est mille fois plus choquante,
49:55 aujourd'hui, quand on voit qu'on a rétabli l'esclavage dans le monde, en fait, quelque part,
50:00 et qu'on vit de ça, que nos entreprises vivent de ça.
50:03 Enfin, ça me paraît être source de mille fois plus d'indignation que ce qui s'est produit à l'époque.
50:10 [Cris de la foule]
50:18 Rien n'est incontestable, même pas mai 68, sinon c'est renier l'esprit de cette parenthèse enchantée.
50:24 Quand la France s'ennuie, à ce moment-là, tout est possible.
50:27 Il faut qu'il y ait des objectifs, il faut qu'il y ait des causes collectives,
50:31 il faut qu'il y ait des perspectives humaines, il faut qu'il y ait des défis.
50:37 Et aujourd'hui, on se dit, peut-être que face aux événements du monde, à cette mondialisation,
50:45 il y a deux attitudes, où c'est la fatalité, on laisse faire, où on réinvestit, les politiques réinvestissent le champ de l'action.
50:56 Et 68 pour ça est un peu un modèle, avec ses erreurs, avec ses utopies, avec ses manipulateurs,
51:05 mais c'est au nom de l'idéologie, c'est au nom d'une libération, c'est au nom d'une volonté,
51:11 d'une politique faite pour l'homme, autour de l'homme, autour de sa liberté, autour de son égalité,
51:16 de cette recherche de fraternité, que des gens se sont mobilisés.
51:20 Paradoxalement, j'allais vous dire, ce que j'en retiens de tout ça, c'est la capacité pour les jeunes de s'enflammer.
51:38 Même si les idées sont contestables.
51:42 Et je pense que quand on est jeune, il faut garder, il faut avoir un capital d'indignation, une capacité de mobilisation, etc.
51:55 Mais il ne faut pas se tromper de combat.
51:57 Mais, mais, mais Paris, mais, mais, mais, mais Paris !
52:04 Mais, Paris !
52:13 Je ne veux plus cracher dans la gueule à papa, je voudrais savoir si l'homme a raison ou pas.
52:22 Je dois endosser cette vérité droite, avec sa manche gauche, avec sa manche droite,
52:30 ses pâles horizons, ses hymnes grimoisis, sa passion du futur, sa chronique amnésie.
52:38 Le père Legrand dit à son petit gars, mais enfin bon sang, qu'est-ce qu'il y a ?
52:45 Qu'est-ce que tu vas faire dans la rue, fiston ?
52:47 Je vais aller faire la révolution !
52:51 Mais Safristi, bon sang de bon sang, je te donne pourtant pas assez d'argent.
52:54 Qu'on te la société, qu'on soit une nation, je vais aller faire la révolution !
52:59 La révolution !
53:05 La révolution !
53:10 La révolution !
53:15 La révolution !
53:20 La révolution !
53:25 La révolution !
53:30 La révolution !
53:36 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
53:39 "La Revolution, c'est la vie ! La Révolution, c'est la vie !"

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