• il y a 10 mois
Le massacre du 7 octobre dans le sud d’Israël, commis par des terroristes venus de la bande de Gaza, a ouvert une crise majeure aux répercussions mondiales. La guerre israélienne contre le Hamas n’en est qu’un des aspects. Cet événement tragique s’inscrit dans un contexte et une histoire qui se mêlent au flot d’informations et d’émotions générées par la guerre. A l’occasion de la publication de son ouvrage « Une terre doublement promise » (Stock), le journaliste Pierre Haski, spécialiste de géopolitique depuis quarante ans et chroniqueur à « l’Obs » , est revenu lors de cette conférence sur le temps long du conflit Israël-Palestine. Voici le replay.

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Transcription
00:00:00 (...)
00:00:29 ...
00:00:43 ...
00:01:12 ...
00:01:42 ...
00:01:49 -Qui ne marche pas. Ah, si, qui fonctionne. Merci.
00:01:52 Bonsoir à toutes, bonsoir à tous.
00:01:55 Je m'appelle Grégoire Lomenager,
00:01:58 je suis directeur adjoint de la rédaction de l'Obs,
00:02:00 et je suis très heureux de voir cette salle
00:02:05 pleine de monde pour écouter quelqu'un
00:02:10 que j'ai souvent plaisir à écouter le matin à la radio.
00:02:14 Ca me signale que je suis un petit peu en retard
00:02:17 et qu'il faut que j'accélère, en général.
00:02:19 J'ai aussi beaucoup de plaisir à lire les chroniques
00:02:24 qu'en général, il m'envoie le dimanche matin
00:02:26 avec une ponctualité absolument irréprochable.
00:02:30 Cette personne, c'est Piraski,
00:02:32 que je vais pas me fatiguer beaucoup à présenter
00:02:36 parce que vous voyez tous à peu près qui c'est.
00:02:40 J'ai le sentiment que c'est quelqu'un qui est capable
00:02:42 de parler d'à peu près tout, de manière claire,
00:02:45 de manière limpide, de manière subtile.
00:02:49 Il est capable de faire des exposés assez remarquables
00:02:54 sur des questions très compliquées.
00:02:56 Il est aussi capable de raconter des...
00:02:57 Ca, on le sait peut-être moins,
00:02:59 il est aussi capable de raconter des anecdotes
00:03:03 qui sont à la fois vivantes et intéressantes
00:03:05 parce qu'il a aussi vécu des choses, il a vu des choses.
00:03:09 Il a eu une longue carrière de journaliste derrière lui.
00:03:15 Qu'est-ce que je peux dire encore ?
00:03:18 Oui, donc il est capable d'expliquer des choses très compliquées
00:03:21 et là, il s'attaque à un sujet qui est peut-être le plus compliqué
00:03:25 d'un point de vue géopolitique,
00:03:28 qui est la question du Proche-Orient,
00:03:31 la question de cette terre doublement promise
00:03:35 à laquelle il consacre un livre que je vous recommande vraiment
00:03:39 sans réserve, qui est paru chez Stock.
00:03:41 Vous avez pu en lire quelques extraits en avant-première
00:03:45 dans l'Obs la semaine dernière,
00:03:48 où il revient sur cette espèce de danse de la mort
00:03:55 que ce livre de peuple, de manière assez tragique,
00:04:00 absolument tragique, même particulièrement en ce moment,
00:04:03 il a une façon de mettre tout ça en perspective
00:04:06 qui est très lumineuse, je trouve.
00:04:08 Et il y a toute une partie du livre qui est aussi,
00:04:11 dans laquelle il a fouillé dans ses archives à lui,
00:04:14 où il raconte des choses qu'il a vues là-bas,
00:04:18 et en particulier un chapitre vraiment formidable
00:04:22 où il raconte qu'il se trouvait à Hébron,
00:04:24 mais ça, il va vous en parler lui-même,
00:04:26 il se trouvait à Hébron, peu après les accords d'Oslo
00:04:31 et peu avant l'assassinat d'Istakrabine,
00:04:34 avec une première flambée de violence
00:04:36 qui laissait augurer le pire.
00:04:38 Il a une manière de raconter ça qui est, encore une fois,
00:04:42 très vivante, très incarnée, et en même temps,
00:04:44 il se débrouille pour citer abondamment
00:04:47 un livre d'Albert Londres que je trouve,
00:04:50 que je considère comme un chef d'oeuvre
00:04:52 qui s'appelle "Le Juif errant est arrivé".
00:04:55 Voilà, il est capable de tout ça,
00:04:57 et donc il est capable de l'écrire,
00:04:59 et il va aussi être capable, je suis convaincu,
00:05:02 de vous le dire à haute voix ce soir,
00:05:04 je suis vraiment très heureux, merci Pierre d'être venu.
00:05:07 Et après, quand il aura fini de parler,
00:05:10 s'il y a un moment où il s'arrête de parler,
00:05:12 ce qui n'est pas évident, il est capable de vous tenir
00:05:14 toute la nuit, je l'ai vu faire,
00:05:16 sur des bottes de paille, notre festival de journalisme à couture,
00:05:19 il est capable de faire des veillées comme ça,
00:05:21 mais au moment où il va s'arrêter de parler,
00:05:23 il oubliera peut-être de vous le dire,
00:05:25 mais il vous donne rendez-vous à l'extérieur
00:05:27 pour boire un verre et signer des livres,
00:05:31 si certains le souhaitent, et poursuivre la causerie.
00:05:36 Merci beaucoup Pierre.
00:05:37 - Merci.
00:05:38 - Bonne soirée à tous.
00:05:39 - Bonsoir à toutes et tous, c'est très impressionnant,
00:05:47 je ne sais pas si le son est bon,
00:05:49 c'est très impressionnant d'avoir cette salle pleine.
00:05:53 Merci Alops, merci Grégoire,
00:05:55 merci d'avoir organisé cette soirée,
00:05:58 et je voudrais avoir une pensée pour Jean Daniel,
00:06:01 le fondateur de ce magazine, qui a beaucoup écrit,
00:06:05 beaucoup pensé, beaucoup espéré,
00:06:08 à propos de la paix au Proche-Orient,
00:06:11 et qui, je pense, aurait beaucoup de choses à dire aujourd'hui
00:06:15 avec tout ce qui s'y passe,
00:06:17 mais c'était difficile de ne pas penser à lui en cet instant.
00:06:21 Et je voudrais commencer en fait par un vrai paradoxe.
00:06:26 Le paradoxe c'est que tout a changé le 7 octobre,
00:06:30 mais rien n'a changé.
00:06:32 C'est un petit peu comme l'empedousa,
00:06:36 vous savez, tout changer pour que rien ne change.
00:06:39 Là, ce n'est pas tout à fait ça,
00:06:41 c'est qu'effectivement tout a changé le 7 octobre,
00:06:43 parce que l'ampleur, la violence, la barbarie
00:06:48 de ce qui s'est passé ce jour-là
00:06:50 a créé chez les Israéliens un traumatisme durable,
00:06:55 profond, important, qui ne disparaîtra pas
00:06:59 quelles que soient les suites éventuellement politiques
00:07:03 de ce qui se passe aujourd'hui.
00:07:05 Mais ce qui s'est passé après,
00:07:07 c'est-à-dire les représailles israéliennes,
00:07:09 la violence, l'ampleur et l'impact
00:07:14 de ce qui se passe aujourd'hui à Gaza,
00:07:16 de la même manière,
00:07:18 va être un traumatisme absolument colossal
00:07:22 pour les Palestiniens.
00:07:23 Donc de ce point de vue, tout a changé effectivement,
00:07:26 parce qu'on est passé dans une autre époque.
00:07:29 Mais en même temps, rien n'a changé,
00:07:31 c'est-à-dire que les fondamentaux de ce conflit
00:07:34 sont les mêmes,
00:07:36 et les racines historiques, les racines humaines,
00:07:40 les racines territoriales, les racines religieuses
00:07:44 du conflit restent les mêmes.
00:07:47 Et c'est très difficile à entendre pour certains.
00:07:51 Dès le 7, moi j'ai dit à la télévision
00:07:55 que l'histoire n'avait pas commencé le 7 octobre,
00:07:58 je me suis pris des, vous l'imaginez,
00:08:01 beaucoup d'insultes sur les réseaux sociaux
00:08:03 parce que ce n'était pas audible ce jour-là,
00:08:06 peut-être que je suis allé trop vite.
00:08:09 Mais quelques jours après,
00:08:10 lorsque le secrétaire général des Nations unies,
00:08:12 Antonio Guterres, a dit que le 7 octobre
00:08:15 ne s'était pas produit dans un vide,
00:08:17 c'était sa formule,
00:08:19 le ministre israélien des Affaires étrangères
00:08:21 a demandé sa démission.
00:08:22 Donc on est dans quelque chose
00:08:25 qui est extrêmement sensible
00:08:29 et plongé dans les racines de ce conflit,
00:08:32 je pense que c'est absolument indispensable
00:08:35 à condition, évidemment, de respecter l'histoire,
00:08:41 de respecter les faits,
00:08:43 et non pas de faire comme on fait dans toutes les guerres
00:08:45 et dans tous les conflits,
00:08:47 quel que soit le contexte et les situations,
00:08:49 picorer ce qui alimente votre narratif
00:08:53 et ignorer ce qui gêne votre version de l'histoire.
00:08:57 Et on est évidemment dans ce contexte aujourd'hui.
00:09:02 Alors moi, il se trouve,
00:09:04 et c'est l'explication de ce livre,
00:09:07 je fréquente professionnellement cette région
00:09:10 depuis très longtemps.
00:09:12 Mon premier reportage, c'était pour Libération,
00:09:15 en 1981.
00:09:16 J'avais été envoyé par le journal
00:09:18 au moment de la mort, de l'assassinat
00:09:20 d'Anwar al-Sadat, le président égyptien,
00:09:22 et j'avais été à Gaza
00:09:25 suivre l'impact chez les Palestiniens
00:09:28 et en particulier, j'ai un souvenir très fort
00:09:31 d'avoir suivi les funérailles de Sadat
00:09:34 à la télévision égyptienne
00:09:36 dans la maison du chef officieux de l'OLP à Gaza,
00:09:39 entouré par tous les cadres du FATA qui étaient chez lui
00:09:44 et tout le monde rigolait parce qu'ils détestaient Sadat
00:09:45 qui avait fait la paix sans eux.
00:09:47 Mais voilà, c'était une plongée dans cet univers
00:09:51 et l'homme qui dirigeait l'OLP,
00:09:54 c'était le président du Croissant Rouge palestinien,
00:09:57 le Dr Abdel Shafi,
00:09:59 qui était considéré comme un dur par les Israéliens
00:10:02 qui se méfiaient beaucoup de lui,
00:10:04 qui l'arrêtaient régulièrement, etc.
00:10:06 Dix ans plus tard, on est en 1981, donc en 1991,
00:10:09 c'est lui qui dirigera la délégation palestinienne
00:10:13 à la conférence de Madrid qui inaugure en fait
00:10:16 un nouveau cycle qui se conclura
00:10:19 par les accords d'Oslo deux ans plus tard.
00:10:21 Donc l'histoire est pleine de ce genre de bouleversements
00:10:26 dans lesquels le radical d'un jour
00:10:29 peut être le négociateur ou le pacificateur du lendemain.
00:10:34 Je suis retourné dans cette région
00:10:37 comme correspondant de Libération en 1993
00:10:42 et là encore, dans les petits travers de l'histoire,
00:10:45 c'est assez drôle, mais je suis arrivé à Jérusalem
00:10:49 en août 1993.
00:10:52 Et lorsque je suis arrivé,
00:10:54 il y avait un article dans la presse israélienne
00:10:57 qui disait "les correspondants étrangers s'emmerdent",
00:11:00 excusez-moi du mot, "il ne se passe plus rien dans cette région",
00:11:03 "CNN réduit ses effectifs, Intel s'en va", etc.
00:11:07 Et un mois plus tard, vous avez la signature
00:11:10 des accords d'Oslo sur la pelouse de la Maison-Blanche,
00:11:12 la fameuse poignée de main, Rabin Arafat,
00:11:15 sous le regard de Bill Clinton.
00:11:18 Et au mois d'août, quand cet article était publié,
00:11:21 dans le plus grand secret,
00:11:23 et pour une fois, un vrai secret était respecté sur cette terre,
00:11:27 dans le plus grand secret,
00:11:29 les négociateurs israéliens et palestiniens étaient à Oslo
00:11:32 sous les auspices d'un obscur think tank norvégien
00:11:38 pour négocier l'un des actes politiques
00:11:41 les plus courageux du XXe siècle.
00:11:45 Et cette photo de la Maison-Blanche,
00:11:47 de la pelouse de la Maison-Blanche,
00:11:49 où il y a Shimon Peres également,
00:11:51 elle est sans doute l'une des photos
00:11:54 qui resteront du XXe siècle.
00:11:57 Et j'y suis retourné encore et encore,
00:12:00 et le dernier voyage que j'ai fait, c'était en 2019,
00:12:06 pour une plongée à Héberon, dont parlait Grégoire tout à l'heure,
00:12:09 pour une raison sur laquelle je reviendrai tout à l'heure,
00:12:13 mais Héberon, en un mot, c'est l'épicentre de la colonisation.
00:12:17 Et la colonisation, c'est évidemment l'un des problèmes majeurs
00:12:20 de toute cette histoire.
00:12:23 Et cette familiarité avec l'histoire,
00:12:28 avec les lieux, avec certains des personnages,
00:12:32 qui m'a poussé à écrire ce livre,
00:12:35 pour une raison simple, c'est que j'ai eu le sentiment
00:12:38 après le 7 octobre que la familiarité avec laquelle
00:12:42 moi j'ai grandi et ma génération a grandi,
00:12:45 et je pense que certains d'entre vous aussi,
00:12:47 avec le conflit israélo-palestinien, avait disparu.
00:12:51 Je me souviens d'une époque dans les années 80,
00:12:56 Yasser Arafat était à Paris tous les trois jours,
00:12:59 on vivait avec la permanence de ce conflit,
00:13:04 mais Mitterrand était allé à Jérusalem en 81,
00:13:06 il avait prononcé un discours à la Knesset
00:13:08 qui reste mémorable, puisqu'il avait parlé
00:13:12 d'un État palestinien dans l'enceinte du Parlement israélien,
00:13:16 et ça s'est poursuivi avec Chirac.
00:13:20 J'étais dans ce voyage, comme en voyage spécial de libération,
00:13:24 lorsqu'il y a eu cette fameuse scène à Jérusalem
00:13:27 que vous connaissez tous, qui est une scène d'anthologie
00:13:31 où Chirac, excédé par la sécurité israélienne,
00:13:35 dit dans son mauvais anglais "You want me to go back to my plane ?"
00:13:39 Et voilà, ça, ça fait partie des moments
00:13:44 que tous les Français d'une certaine génération connaissent.
00:13:47 Et puis, le conflit a été occulté, a disparu.
00:13:51 C'est difficile de donner une explication simple,
00:13:57 mais je pense que, un, l'échec d'Oslo a découragé
00:14:00 beaucoup de gens à la fois de s'investir dans cette cause
00:14:04 et dans l'espoir qu'on y avait tous mis,
00:14:08 quand je dis tous, c'est-à-dire aussi bien les Israéliens
00:14:11 que les Palestiniens, et que nous, les observateurs extérieurs.
00:14:15 Et la violence qu'avait reprise en 2000
00:14:19 avec la 2e intifada ont détourné, je pense,
00:14:23 beaucoup de gens de suivre avec autant d'intérêt,
00:14:26 de passion, d'entrain, ce qui s'y était passé
00:14:30 dans les années, voire les décennies précédentes.
00:14:33 Et la disparition de cette dimension
00:14:37 dans notre actualité fait qu'aujourd'hui,
00:14:40 des gens qui ont, disons, moins de 40 ans
00:14:43 n'ont pas la familiarité que nous avions
00:14:46 avec les enjeux, avec l'histoire, avec la terre,
00:14:50 avec les personnages, avec la littérature,
00:14:52 avec le cinéma, même si les séries ont pris le relais
00:14:55 dans une certaine mesure. Mais en tout cas,
00:14:58 il m'avait semblé qu'il y avait quelque chose à faire
00:15:02 pour reconnecter une partie
00:15:05 des jeunes adultes français
00:15:08 avec cette histoire qui leur échappait
00:15:11 ou dont ils prenaient conscience
00:15:14 au moment d'un événement dramatique
00:15:18 pour avoir la possibilité peut-être
00:15:20 d'avoir ce recul factuel, historique, etc.
00:15:24 Et je pense qu'on a besoin d'avoir
00:15:28 la familiarité avec l'histoire,
00:15:31 avec la géographie, avec les personnages
00:15:34 pour être le plus près possible des faits.
00:15:38 Et il faut partir de choses simples
00:15:41 qui sont la réalité géographique et historique.
00:15:44 Quand je dis choses simples, c'est une euphémise
00:15:47 parce que c'est pas simple, c'est l'objet même du conflit.
00:15:51 Mais c'est comme ça qu'on peut raisonner.
00:15:55 Et je voudrais démarrer...
00:15:58 J'ai quelques...
00:16:00 Non, ça va pas du tout.
00:16:03 Alors... Ah, zut.
00:16:07 Pardon.
00:16:09 Comment...
00:16:11 Comment revient-on en arrière ?
00:16:14 Voilà.
00:16:16 Je voudrais démarrer avec cette image.
00:16:19 Il se trouve que fin septembre,
00:16:22 un organisme de cartographie
00:16:25 m'a demandé de leur expliquer
00:16:29 à l'occasion d'un congrès qu'ils avaient
00:16:32 l'usage que je faisais des cartes dans mon travail.
00:16:36 Et ça m'a obligé un peu à réfléchir
00:16:39 et à regarder un petit peu autour de moi.
00:16:42 Et je suis tombé sur cette image.
00:16:45 C'était une semaine avant le 7 octobre.
00:16:48 Et on a Benjamin Netanyahou,
00:16:51 que vous reconnaissez à peine, mais la photo est mal cadrée,
00:16:55 à la tribune des Nations unies, le 22 septembre.
00:16:58 Donc c'était 10 jours, 15 jours avant le 7 octobre.
00:17:04 Et il présente ce qu'il appelle "the new Middle East",
00:17:07 donc une carte dans laquelle, en vert, vous avez les pays
00:17:10 qui ont renoué avec Israël dans le cadre des accords d'Abraham.
00:17:14 Donc vous avez le Soudan, l'Égypte depuis bien plus longtemps,
00:17:17 les Émirats arabes unis, etc.
00:17:19 Le Maroc qui n'est pas sur la carte.
00:17:22 Et quand vous regardez cette carte,
00:17:24 il y a quelque chose de frappant,
00:17:26 je ne sais pas si ça vous frappe aussi.
00:17:29 La Palestine n'existe plus.
00:17:32 Et la bande de Gaza en particulier n'existe pas.
00:17:35 Et donc voilà, le Premier ministre israélien
00:17:38 qui va devant les Nations unies,
00:17:40 c'est pas rien, c'est pas un congrès du Likoud,
00:17:43 devant l'ensemble de la communauté internationale
00:17:46 et qui présente une carte dans laquelle
00:17:48 il a rayé les territoires palestiniens.
00:17:52 Et c'est vertigineux parce que moi,
00:17:57 j'ai vu cette carte et ça m'avait frappé
00:18:00 une semaine avant le massacre du 7 octobre.
00:18:04 Et évidemment, ça prend un autre sens
00:18:07 quand vous savez ce qui se passe le 7 octobre
00:18:11 et ce qui se passe depuis dans la bande de Gaza,
00:18:14 de penser que le Premier ministre israélien
00:18:16 l'a simplement effacé de la carte qu'il présente au monde.
00:18:20 Et la symbolique de cette image,
00:18:23 elle est très forte parce qu'elle correspond à la réalité
00:18:27 et elle correspond à ce qu'a fait Netanyahou
00:18:31 depuis 30 ans, c'est-à-dire nier l'existence
00:18:35 de cette entité politique palestinienne.
00:18:37 Et il avait réussi son coup
00:18:41 et un responsable français m'a dit
00:18:44 quelques jours après le 7 octobre
00:18:47 "On a eu tort de croire le discours de Netanyahou
00:18:52 qui était de dire la question palestinienne n'existe plus,
00:18:55 il n'y a plus d'enjeu,
00:18:58 regardez les Émirats,
00:19:01 bientôt l'Arabie saoudite, etc.
00:19:03 Renoue avec nous et il se moque bien des Palestiniens."
00:19:06 Et ce n'était pas totalement faux
00:19:08 puisque c'était la réalité des accords
00:19:10 qui étaient en train d'être conclus.
00:19:12 Mais la réalité politique
00:19:16 qui est celle qu'un peuple n'accepte pas facilement
00:19:20 de disparaître de l'histoire
00:19:22 et que la réalité de ses territoires
00:19:24 ne disparaît pas parce qu'on a décidé qu'il disparaissait
00:19:28 était très forte à ce moment-là.
00:19:32 Et ça m'amène à revenir aux accords d'Oslo
00:19:38 parce que Netanyahou est arrivé au pouvoir
00:19:41 sur les décombres d'une certaine manière
00:19:43 des accords d'Oslo
00:19:44 et il leur a donné le coup de grâce.
00:19:47 Et pourquoi s'intéresser autant aux accords d'Oslo ?
00:19:49 D'abord parce que c'est le seul accord de paix
00:19:54 véritable tentative d'accord de paix
00:19:57 qui est tenté israélien et palestinien
00:20:00 en un siècle d'histoire.
00:20:01 Il n'y en a pas d'autre.
00:20:03 Il y a eu des tentatives,
00:20:04 il y a eu le plan de partage en 1948 à l'ONU,
00:20:07 il y a eu d'autres,
00:20:09 la paix séparée avec l'Egypte, etc.
00:20:12 Mais avec les Palestiniens
00:20:14 et avec cet acte symboliquement fort
00:20:17 qu'était la reconnaissance mutuelle entre les deux peuples,
00:20:20 il n'y a que les accords d'Oslo.
00:20:22 Et donc si on est aujourd'hui au plein cœur du conflit,
00:20:26 il y aura un après-guerre nécessairement
00:20:28 et il y aura des choses à construire, à reconstruire.
00:20:31 Il faut comprendre pourquoi les accords d'Oslo ont échoué
00:20:35 et en tirer des leçons
00:20:38 pour ne pas recommettre les mêmes erreurs.
00:20:42 Et là-dessus,
00:20:44 moi, j'ai une thèse,
00:20:47 je ne sais pas si c'est une thèse,
00:20:49 mais en tout cas une lecture de ces événements.
00:20:52 C'est que, un, les accords avaient des failles.
00:20:56 Il y avait des faiblesses congénitales
00:20:59 à l'intérieur de ces accords
00:21:01 qui étaient majeures.
00:21:03 Le fait que l'issue de la période de transition
00:21:08 de 5 ans qui avait été prévue n'était pas précisée.
00:21:11 On ne parlait pas d'Etat palestinien.
00:21:13 Donc on laissait une ambiguïté
00:21:15 sur la forme politique sur laquelle ça devait déboucher.
00:21:19 Et deuxièmement, et c'est sans doute la plus importante,
00:21:22 il n'y avait pas un mot sur les colonies.
00:21:24 Donc il n'y avait pas de gel des colonies,
00:21:27 au minimum, qui aurait été nécessaire
00:21:30 pour que le processus ait une chance d'aboutir.
00:21:34 Mais à part ça, à part ces faiblesses internes,
00:21:37 il y a aussi des acteurs extérieurs
00:21:39 qui ont tout fait pour que ça capote
00:21:41 et pour qu'il y ait cet échec.
00:21:43 Et ces acteurs sont de deux ordres.
00:21:45 D'un côté, vous avez les extrémistes du côté israélien,
00:21:50 ceux qui ont commis en 1994 le massacre d'Hebron,
00:21:55 puis l'assassinat d'Isaac Rabin en novembre 1995.
00:22:00 Et en replongeant dans mes archives
00:22:03 et notamment les articles que j'écrivais
00:22:05 quand j'étais correspondant,
00:22:07 j'étais frappé parce que je n'avais pas réalisé,
00:22:10 en tout cas dans ma mémoire,
00:22:12 que ça avait été aussi vite.
00:22:14 Mais deux mois après la signature
00:22:16 des accords à Washington,
00:22:18 j'écrivais que certains milieux proches des colons
00:22:23 parlaient d'une OAS juive.
00:22:26 C'était écrit en novembre.
00:22:29 Et c'est cette OAS,
00:22:31 parce que le parallèle n'est pas du tout indifférent,
00:22:36 c'est cette OAS qui a provoqué
00:22:39 le travail de SAP du côté israélien
00:22:44 en s'appuyant sur un environnement porteur
00:22:47 qui était celui du Likoud de Netanyahou.
00:22:52 Il y a une photo historique célèbre
00:22:55 dans laquelle Netanyahou prend la parole
00:22:57 à un meeting contre les accords d'Oslo
00:22:59 et juste devant lui, sur le podium,
00:23:02 il y a une photo d'Isaac Rabin grimé en Hitler.
00:23:08 C'était ça le climat dans lequel on était
00:23:11 dans les mois qui ont suivi
00:23:13 une fois la sidération passée,
00:23:16 le choc dans lequel on était.
00:23:18 Mais ce n'est pas le seul acteur.
00:23:20 Ce n'est pas le seul acteur qui a torpillé
00:23:23 et qui a sciemment tué les accords d'Oslo.
00:23:26 C'est le Hamas.
00:23:28 C'est le Hamas.
00:23:30 Lorsque Rabin a été assassiné,
00:23:34 vous avez eu quelques mois après,
00:23:36 Shimon Peres a assuré l'intérim
00:23:39 et il a hésité à organiser des élections immédiates
00:23:43 en se disant "on va m'accuser de profiter de l'émotion", etc.
00:23:48 Il est allé jusqu'au bout de la législature
00:23:51 et qui était quelques mois plus tard.
00:23:54 Dans la semaine qui a précédé l'élection,
00:23:57 on est en 1996,
00:23:59 trois bus explosent en Israël.
00:24:02 Attentat kamikaze du Hamas.
00:24:05 75 morts.
00:24:07 Ça a fait basculer l'opinion du côté de Netanyahou
00:24:10 parce que c'était Shimon Peres contre Netanyahou
00:24:13 et c'est la première fois que Netanyahou
00:24:16 a vraiment le pouvoir en Israël,
00:24:19 même s'il était un des personnages qui montait depuis quelques temps.
00:24:23 Le Hamas a clairement fait le pari
00:24:26 de faire élire celui qui promettait
00:24:29 de tuer les accords d'Oslo.
00:24:31 Vous avez ces deux forces politiques,
00:24:34 cette extrême droite du côté israélien
00:24:37 et le Hamas du côté palestinien,
00:24:39 qui étaient des forces marginales à l'époque.
00:24:42 Franchement, cette extrême droite du côté israélien
00:24:47 était totalement marginale.
00:24:50 C'était ce qu'on appelait les kahanistes,
00:24:53 les adeptes du rabbin kahan,
00:24:56 qui étaient un groupuscule dans cette époque
00:25:01 et qui sont aujourd'hui au sein de la coalition
00:25:05 au pouvoir en Israël
00:25:07 et qui tiennent Netanyahou
00:25:09 parce que s'ils refusent de le suivre
00:25:12 dans ce qui se passe en ce moment,
00:25:14 notamment les négociations pour la libération des otages,
00:25:17 un cessez-le-feu, etc.,
00:25:19 sa coalition tombe et il se retrouve hors du pouvoir
00:25:23 et sans doute pour toujours.
00:25:25 Et de l'autre côté, le Hamas n'était pas la force principale
00:25:28 du côté palestinien.
00:25:30 C'était une force plus importante
00:25:32 que l'extrême droite du côté israélien,
00:25:34 mais en tout cas, ce n'était pas la force principale.
00:25:37 C'était l'OLP de Yasser Arafat, la force principale,
00:25:40 et il se retrouve aujourd'hui
00:25:42 au centre du jeu politique côté palestinien.
00:25:46 Et on voit le résultat de, en gros, 30 ans de pourrissement
00:25:50 dans lesquels on ne règle pas une question explosive
00:25:55 et on se retrouve avec les extrêmes
00:25:57 qui se retrouvent au centre du jeu
00:25:59 capables aujourd'hui de verrouiller cette situation.
00:26:03 C'est assez sidérant.
00:26:05 Il y a deux photos que je voudrais vous montrer.
00:26:07 Alors, il y en a une, si j'ai bien compris, elle est à l'envers.
00:26:10 Alors, vous allez pencher votre tête
00:26:13 parce que je n'ai pas de moyens de la mettre droite.
00:26:17 Mais ces deux photos, elles ont un auteur célèbre,
00:26:22 c'est l'artiste Sofical,
00:26:24 qui était à Jérusalem à ce moment-là.
00:26:28 On est en 1994.
00:26:30 Et j'étais en train de parler avec elle
00:26:33 et on m'appelle, on me dit,
00:26:35 il y a des affrontements à Gaza
00:26:37 entre le FATA et le Hamas.
00:26:39 Il y avait déjà 15 morts
00:26:41 et ça tournait à l'émeute, etc.
00:26:45 Et je lui dis, je dois partir à Gaza.
00:26:47 Et elle me dit, je viens avec toi.
00:26:49 Donc, elle vient à Gaza avec moi.
00:26:51 Et elle prend deux photos.
00:26:52 Elle n'est pas photographe de presse,
00:26:53 c'est une artiste conceptuelle.
00:26:55 Vous avez peut-être vu son exposition au musée Picasso.
00:26:57 Elle prend deux photos qu'elle n'a jamais montrées.
00:26:59 Et lorsque l'idée du livre a germé,
00:27:02 j'ai repensé à ces photos.
00:27:04 Je l'ai appelée et elle a accepté.
00:27:06 Elles sont dans le livre.
00:27:08 Alors, celles-ci,
00:27:10 je trouve qu'elles sont extrêmement significatives
00:27:13 à voir aujourd'hui.
00:27:15 Le Hamas, à l'époque,
00:27:17 avait kidnappé un soldat israélien.
00:27:18 Vous voyez, Karen Nouveau sous le soleil.
00:27:20 On est il y a 30 ans.
00:27:21 Donc, ils avaient un otage prisonnier,
00:27:24 soldat israélien.
00:27:25 Et ils avaient revendiqué en faisant des bombages,
00:27:28 des peintures, des fresques
00:27:30 sur les murs de la ville.
00:27:32 À Gaza.
00:27:33 Et là, on a le combattant du Hamas debout
00:27:37 et qui a sa botte sur un soldat israélien à terre.
00:27:40 Et c'est sur le chemin d'une école.
00:27:42 Et les enfants passent tous les jours devant cette image
00:27:45 et ils tapent sur le soldat israélien
00:27:47 avec des pierres ou des bâtons
00:27:49 à tel point qu'il y a un trou à la place du soldat israélien.
00:27:52 Et pour moi, cette image,
00:27:54 elle est symbolique d'un cycle qui ne s'arrête pas.
00:27:58 C'est-à-dire que les enfants qu'il y avait de cette époque
00:28:02 qui tapaient sur le soldat,
00:28:03 ils sont en âge aujourd'hui d'être les combattants
00:28:05 et que les enfants d'aujourd'hui sont les combattants dans 30 ans.
00:28:08 Et il y a un moment, il faut arrêter ce cycle.
00:28:12 Mais la reproduction de la haine de génération en génération,
00:28:17 elle saute aux yeux avec cette image.
00:28:22 Et la deuxième est intéressante aussi
00:28:24 parce qu'elle montre aussi la nature du Hamas
00:28:27 et de ce qui s'est joué
00:28:30 dans le fait que le Hamas est aujourd'hui au centre du jeu.
00:28:33 A l'époque à Gaza, c'était l'autonomie palestinienne
00:28:37 puisque Arafat était revenu,
00:28:39 il y avait les accords d'Oslo qui étaient appliqués
00:28:41 et un entrepreneur de Gaza avait rouvert un cinéma
00:28:45 qui était fermé depuis des années.
00:28:47 Et il avait acheté des beaux fauteuils en sky rouge,
00:28:50 il avait acheté un beau projecteur,
00:28:52 il avait acheté un stock de films égyptiens.
00:28:55 Et donc c'était la grande fierté de Gaza
00:28:58 de recréer une vie culturelle avec ce cinéma.
00:29:03 Et le Hamas fait cette manifestation
00:29:05 après les affrontements dont je parlais,
00:29:07 il passe devant le cinéma et il détruise le cinéma.
00:29:10 Il sort les pellicules
00:29:12 et il fait un autodafé des films égyptiens
00:29:15 devant le cinéma.
00:29:17 Et nous, on passe quelques instants après,
00:29:19 on voit les pellicules par terre.
00:29:21 Et c'est aussi quelque part la nature de ce mouvement
00:29:26 qui transparaît, c'est-à-dire c'est un mouvement fondamentaliste.
00:29:30 Et il est très important, je pense, de comprendre
00:29:34 à quel point le Hamas et les Palestiniens,
00:29:38 ça n'est pas nécessairement la même chose.
00:29:40 Et on entend beaucoup de raccourcis,
00:29:42 soit de gens qui, pour soutenir les Palestiniens,
00:29:44 se mettent à soutenir le Hamas,
00:29:46 ce qui pour moi est une aberration,
00:29:48 parce que le Hamas est tout sauf un mouvement de libération
00:29:54 auquel nous, en tout cas à l'étranger,
00:29:58 on peut s'identifier.
00:30:00 Je ne me prononcerai pas pour les Palestiniens,
00:30:02 mais je ne le leur souhaite pas.
00:30:04 Et de l'autre côté,
00:30:06 c'est ne pas considérer que les Palestiniens
00:30:13 et ce parti issu des frères musulmans
00:30:17 qui a une longue histoire
00:30:19 à la fois dans les racines des frères musulmans
00:30:23 qui remontent aux années 1920 en Égypte
00:30:25 et dans la réalité violente de cette époque,
00:30:29 il a une responsabilité dans ce qui s'est passé,
00:30:33 parce qu'il a fait le choix de l'échec
00:30:36 de cette tentative d'Oslo.
00:30:38 Et la question, c'est comment faire
00:30:41 qu'aujourd'hui, ces gens qui ont saboté la paix
00:30:45 il y a 30 ans, aussi bien cette extrême droite
00:30:48 du côté israélien que le Hamas du côté palestinien,
00:30:50 et qui se retrouvent aujourd'hui dans des positions
00:30:53 qui contiennent une partie de la clé du règlement,
00:30:56 comment faire pour qu'ils ne soient pas
00:30:58 de nouveau en mesure de tout empêcher
00:31:00 si jamais les circonstances font
00:31:03 qu'un processus politique peut être relancé.
00:31:07 Et il faut bien être clair,
00:31:08 les conditions de la paix sont beaucoup plus difficiles
00:31:11 aujourd'hui qu'elles l'étaient déjà à l'époque.
00:31:14 Alors il y a une partie psychologique
00:31:16 qui avait été réglée dans les années 1990
00:31:19 et qui, d'une certaine manière,
00:31:22 nous a réglé aujourd'hui,
00:31:23 c'était la reconnaissance mutuelle
00:31:26 qui était le pas que les uns comme les autres
00:31:30 devaient franchir.
00:31:31 Goldamer disait "c'est quoi les Palestiniens ?
00:31:34 On ne m'a jamais présenté les Palestiniens,
00:31:36 ça n'existe pas."
00:31:38 Et les Palestiniens niaient l'existence d'Israël
00:31:42 et donc cette partie-là, elle est passée
00:31:46 d'une certaine manière.
00:31:47 Il y a encore des gens qui pensent comme ça,
00:31:49 mais le pas psychologique a été franchi
00:31:52 par des pans considérables
00:31:56 des sociétés des deux côtés.
00:31:58 Après, la question centrale
00:32:02 et la plus compliquée,
00:32:03 c'est la question des colonies, évidemment.
00:32:06 Alors ça, c'est l'évolution des frontières,
00:32:10 mais je la laisserai tout à l'heure
00:32:11 pour que, si jamais vous voulez revenir.
00:32:14 Mais cette carte qui est très compliquée
00:32:17 à voir, je l'ai piquée au monde
00:32:21 et elle sort mieux dans les pages du Monde
00:32:25 que sur écran,
00:32:26 c'est la carte des colonies.
00:32:29 En 1981, lorsque j'étais allé
00:32:31 pour la première fois en reportage
00:32:33 dans cette zone,
00:32:34 j'avais un contact, un professeur,
00:32:38 un enseignant palestinien à Ramallah
00:32:41 en Cisjordanie, qui avait fait ses études en France
00:32:44 et on m'avait donné ses coordonnées.
00:32:46 Il avait un peu fait visiter toute la région
00:32:49 et il m'avait emmené un soir,
00:32:51 on avait attendu que la nuit tombe
00:32:52 et on était montés au sommet d'une colline
00:32:54 et il m'avait montré la différence
00:32:56 entre les lumières.
00:32:57 Les lumières vives, c'était les colonies,
00:32:59 les lumières faibles,
00:33:00 c'était les villages palestiniens.
00:33:02 Et à l'époque,
00:33:03 c'était déjà un problème pour lui,
00:33:04 il y avait 20 000 colons.
00:33:06 En 1993, au moment des accords d'Oslo,
00:33:09 il y en avait 120 000.
00:33:11 Aujourd'hui, il y en a 700 000.
00:33:15 C'est-à-dire que la croissance a été exponentielle,
00:33:19 elle ne s'est jamais arrêtée
00:33:20 et elle a même été délibérément accélérée
00:33:24 à certains moments.
00:33:25 Lorsque Netanyahou était en colère
00:33:27 avec les Américains qui avaient fait une déclaration
00:33:29 qui leur déplaisait,
00:33:30 il ajoutait 4 000 logements quelque part.
00:33:33 Il y a eu ce jeu permanent du fait accompli
00:33:38 qui fait qu'aujourd'hui,
00:33:39 avec 700 000 personnes,
00:33:41 ça devient très compliqué à gérer.
00:33:44 Il y avait en 1993,
00:33:48 au moment où les accords d'Oslo se mettaient en place,
00:33:50 il y avait un géographe
00:33:52 qui travaillait avec l'autorité palestinienne.
00:33:55 Il s'appelait, il s'appelle toujours,
00:33:58 je pense, Khalil Toufakji.
00:34:00 C'était un type qui adorait les cartes.
00:34:05 C'est la deuxième fois que je parle de cartes,
00:34:07 ça doit être un signe.
00:34:09 Il faisait des projections
00:34:12 et il expliquait,
00:34:14 il en a fait un livre d'ailleurs
00:34:15 qui a été traduit en français.
00:34:17 Il expliquait que si on laissait la progression se poursuivre,
00:34:22 un État palestinien deviendrait complètement impossible.
00:34:25 Il avait fait cette démonstration à Yasser Arafat un jour
00:34:28 et tout le monde avait l'air consterné
00:34:30 parce qu'il n'avait pas pris conscience.
00:34:32 Arafat était arrivé de l'étranger,
00:34:35 il n'avait pas cette connaissance du terrain récente
00:34:40 et Toufakji était absolument convaincu,
00:34:43 il montrait ces cartes.
00:34:44 Je l'ai retrouvé, Toufakji,
00:34:46 il y a 3 ou 4 ans,
00:34:47 dans un documentaire de Charles Anderlin.
00:34:49 Et devant la caméra de Charles Anderlin,
00:34:53 il compare ces cartes des années 90
00:34:58 à la réalité d'aujourd'hui,
00:35:00 enfin, il y a 3 ou 4 ans.
00:35:02 Et effectivement, les courbes qu'il avait,
00:35:04 les projections qu'il avait faites
00:35:06 sont à peu près réalisées,
00:35:09 mais on va pouvoir aggraver dans certains secteurs.
00:35:12 Donc on a une situation qui est absolument terrifiante
00:35:18 de ce point de vue-là
00:35:19 parce que c'est un obstacle majeur
00:35:22 dans la continuité géographique,
00:35:24 dans la question de la violence
00:35:27 et du voisinage, tout simplement.
00:35:31 Et il faut comprendre d'où ça vient.
00:35:35 Et donc, d'abord,
00:35:38 c'est une photo que...
00:35:40 celle-là, c'est moi qui l'ai prise.
00:35:42 Je ne peux pas m'empêcher de vous la montrer.
00:35:46 C'est le mur, le fameux mur de séparation
00:35:48 entre Israël et la Palestine.
00:35:49 Et ça, c'est du côté palestinien.
00:35:51 Et l'auteur de ce graffiti formidable,
00:35:54 "Make Homos Not Walls",
00:35:56 c'est Banksy, l'artiste Banksy.
00:35:58 Banksy a ouvert un hôtel à Bethléem
00:36:02 et...
00:36:04 qui est un hôtel surréaliste
00:36:07 dans le contexte de tensions
00:36:10 et de conflits qu'on connaît,
00:36:13 mais qui est...
00:36:15 Tout est baroque.
00:36:17 Et donc, quand j'y suis allé,
00:36:19 il n'y avait pas d'autres clients.
00:36:21 Et donc, on m'a donné la meilleure chambre.
00:36:23 Et lorsque j'ai ouvert mes fenêtres,
00:36:25 je suis tombé...
00:36:26 J'étais nez à nez avec le mur
00:36:28 et ce magnifique...
00:36:31 Je ne sais pas comment l'appeler, graffiti.
00:36:36 C'est un art très noble.
00:36:38 Il y a peut-être un meilleur terme.
00:36:40 Peu importe.
00:36:41 Et dans cet hôtel,
00:36:43 vous aviez...
00:36:45 Tout était pensé de cette manière.
00:36:49 Dans le salon, la décoration,
00:36:52 c'était des caméras de surveillance, etc.
00:36:54 Enfin, tout était...
00:36:56 On inversait toutes les propositions.
00:36:58 C'était le seul lieu un peu ludique
00:37:01 autour de cette situation dramatique.
00:37:05 Là, je vous emmène à Hébron.
00:37:08 Et Hébron, pour moi,
00:37:10 c'est un lieu extrêmement important
00:37:13 qui n'est pas aujourd'hui au centre de l'actualité
00:37:16 puisque c'est à Gaza que ça se passe.
00:37:18 Mais Hébron, c'est à à peine 30 km
00:37:20 au sud de Jérusalem,
00:37:22 en Cisjordanie.
00:37:24 Le bâtiment que vous voyez,
00:37:26 qui est grand comme l'église de la Madeleine,
00:37:29 c'est gigantesque,
00:37:31 il a 2 000 ans.
00:37:33 Et c'est le tombeau des patriarches
00:37:35 où Abraham et d'autres patriarches
00:37:38 sont censés être enterrés.
00:37:41 Et il a une signification absolument centrale.
00:37:45 Après Jérusalem, c'est le 2e lieu en Terre sainte,
00:37:50 à la fois pour les chrétiens, les musulmans et les juifs.
00:37:54 Donc, le tombeau des patriarches à Hébron.
00:37:58 Et pourquoi je me suis intéressé à Hébron ?
00:38:02 Il se trouve que lorsque j'étais correspondant,
00:38:05 un jour, on m'appelle à 5h du matin,
00:38:08 mon informateur côté israélien,
00:38:12 qui était un journaliste israélien
00:38:14 qui me tenait au courant de ce qui se passait,
00:38:17 me dit "il se passe quelque chose de dramatique à Hébron,
00:38:20 on ne sait pas quoi,
00:38:22 mais toute l'armée est en effervescence
00:38:24 et il se passe des choses".
00:38:27 Et donc, je décide d'y aller.
00:38:31 Et donc, je pars à 5h30 du matin vers Hébron.
00:38:36 Et au moment où j'arrive,
00:38:38 l'armée est en train de boucler toute la zone.
00:38:40 Et donc, il y a un checkpoint qui m'empêche de passer.
00:38:44 Et comme c'est Israël, les soldats sont sympas
00:38:47 avec les journalistes, parfois, en tout cas à l'époque.
00:38:51 Et le soldat me dit, il voit bien que je suis journaliste,
00:38:54 il me dit "je ne peux pas vous laisser passer,
00:38:57 mais si vous faites 1 km, il y a une route
00:38:59 qu'on n'a pas encore fermée".
00:39:01 Et je me retrouve à passer,
00:39:03 et je me retrouve au cœur de la ville
00:39:05 sans trop savoir ce qui s'y passe,
00:39:07 mais je sens une effervescence inhabituelle, évidemment,
00:39:10 pour l'heure.
00:39:12 Ce qui s'est passé, c'est que pendant la nuit,
00:39:14 enfin à l'aube plutôt,
00:39:16 enfin au petit jour, tout petit jour,
00:39:18 on est en plein ramadan,
00:39:21 un colon d'origine américaine,
00:39:24 médecin, le docteur Baruch Holstein,
00:39:27 a mis son uniforme de l'armée,
00:39:30 puisqu'il était médecin militaire,
00:39:32 il a soigneusement pris ses armes,
00:39:35 il a pris son laissé-passer,
00:39:37 il a pris sa voiture
00:39:39 et il s'est rendu au tombeau des patriarches.
00:39:41 Le tombeau des patriarches est séparé en deux,
00:39:43 d'un côté c'est mosquée, l'autre côté c'est synagogue.
00:39:46 Et donc il est allé du côté mosquée,
00:39:48 il a monté les marches, il est rentré
00:39:51 et il s'est mis à tirer sur les fidèles en prière
00:39:53 au moment du ramadan.
00:39:55 Et il a tiré, il a fait
00:39:58 26 morts et 150 blessés,
00:40:01 jusqu'au moment où il a fallu qu'il recharge ses armes,
00:40:05 et là les survivants l'ont écrabouillé
00:40:09 à coups d'extincteur,
00:40:11 et il n'en restait plus rien.
00:40:13 C'est un des moments comme ça absolument tragiques
00:40:16 de cette histoire.
00:40:18 Et au moment où je suis arrivé dans la ville,
00:40:21 donc c'était à peu près deux heures après,
00:40:24 la ville commençait à savoir ce qui s'était passé
00:40:28 et les jeunes étaient comme des fous.
00:40:30 Ils voulaient en découdre de rage
00:40:34 de ce qui s'était passé
00:40:36 et ils se précipitaient sur les soldats, la poitrine en avant,
00:40:38 sans même de cailloux ou rien du tout,
00:40:40 et il y a eu encore 40 morts dans la journée.
00:40:42 Donc ça a été une journée absolument tragique.
00:40:45 Et je voulais retourner,
00:40:49 donc en 2019 je suis retourné là-bas,
00:40:51 mais Grégoire a fait allusion
00:40:53 au livre d'Albert Londres.
00:40:55 Albert Londres, vous savez, c'est le père du journalisme français,
00:40:58 il y a un prix qui porte son nom.
00:40:59 Et Albert Londres faisait dans les années 20 et 30
00:41:03 des très longues séries d'articles.
00:41:06 À l'époque, on feuilletonnait le reportage
00:41:09 puisque les gens voyageaient peu,
00:41:10 il n'y avait pas la télévision, etc.
00:41:11 Et il s'était lancé dans une série de 45 articles
00:41:16 sur la question juive.
00:41:19 Et donc il était parti,
00:41:22 il se posait la question
00:41:26 des trois courants, en gros,
00:41:28 qui partageaient l'opinion
00:41:30 des communautés juives en Europe,
00:41:32 qui étaient les religieux,
00:41:34 le sionisme et le boundisme.
00:41:36 Alors le sionisme, on connaît,
00:41:38 le boundisme, on connaît moins
00:41:39 parce qu'il a disparu politiquement,
00:41:42 il reste un petit peu culturellement.
00:41:45 Les boundistes, c'était des révolutionnaires juifs
00:41:50 qui disaient la question juive,
00:41:53 donc les discriminations, etc.
00:41:55 seront réglées par la révolution socialiste.
00:41:57 Et donc les sionistes disaient
00:42:00 la question juive sera réglée par un État juif,
00:42:02 donc on ira créer, c'est Théodore Herzl,
00:42:05 l'État des Juifs en Palestine.
00:42:08 Et les religieux disaient,
00:42:10 il faut qu'on attende le Messie
00:42:11 pour bouger, en gros.
00:42:14 Et Albert Londe, qui avait un flair
00:42:17 pour les sujets, commence un long voyage
00:42:21 au sein des communautés juives d'Europe
00:42:24 et il est à Paris, il va à Londres,
00:42:27 il va à Berlin, on est en 1929,
00:42:30 il n'y a pas encore Hitler.
00:42:32 Il tombe sur des communautés juives
00:42:35 qui sont totalement intégrées,
00:42:36 les juifs allemands lui disent
00:42:38 "mais la culture allemande c'est nous,
00:42:39 de quoi nous parlez-vous ?"
00:42:41 Et ensuite il passe en Europe centrale.
00:42:43 Là il arrive en Pologne, etc.
00:42:45 Il tombe sur les ghettos,
00:42:47 sur les discriminations,
00:42:49 sur les pogroms, etc.
00:42:51 Il va jusqu'à Odessa
00:42:52 et ensuite il va en Palestine britannique.
00:42:55 Et il arrive à Tel Aviv,
00:42:58 qui était une ville qui avait été créée
00:42:59 quelques années auparavant seulement,
00:43:01 et il décrit des juifs qui se tiennent droit,
00:43:05 qui sont chez eux, etc.
00:43:09 Et il est extrêmement élogieux en disant
00:43:13 "ils ne descendent pas",
00:43:15 je me souviens de cette phrase,
00:43:16 "ils ne descendent pas du trottoir
00:43:18 pour laisser passer le Roumain
00:43:20 ou le Polonais comme il l'avait vu
00:43:23 dans les villes d'Europe centrale".
00:43:28 Il rentre en France
00:43:30 et il commence à écrire ses articles.
00:43:31 Et tout d'un coup,
00:43:32 il y a un massacre à Hebron.
00:43:34 Déjà Hebron,
00:43:36 première effusion de sang
00:43:38 entre juifs et arabes
00:43:39 en terre palestinienne britannique.
00:43:42 Il y a une soixantaine de morts
00:43:45 sur la base, c'est intéressant aussi,
00:43:47 d'une fake news,
00:43:48 une information qui fait état
00:43:51 d'exactions, d'affrontements à Jérusalem
00:43:54 qui n'ont pas eu lieu,
00:43:55 mais l'information arrive déformée à Hebron
00:43:57 et les Palestiniens se vengent
00:43:59 sur la communauté juive.
00:44:01 Il y a une soixantaine de morts.
00:44:03 Et Albert Londres retourne là-bas
00:44:07 et la dernière partie de sa série d'articles
00:44:10 qui donne lieu à ce livre
00:44:12 qui s'appelle "Le Juif errant est arrivé"
00:44:14 que vous pouvez trouver chez 10-18,
00:44:16 qui est un livre vraiment formidable,
00:44:18 et il le fait à chaud à Hebron
00:44:23 pour essayer de comprendre ce qui s'est passé.
00:44:25 Et il y a cette phrase d'un cher,
00:44:29 d'un dirigeant palestinien religieux
00:44:32 qui lui dit "Les Britanniques ont proposé
00:44:36 un foyer national au peuple juif",
00:44:38 c'est la déclaration Balfour en 1916
00:44:40 lorsque les Anglais,
00:44:42 pendant la Première Guerre mondiale,
00:44:44 étaient en train d'essayer de retourner
00:44:46 tous les sujets de l'Empire ottoman
00:44:48 contre les Turcs
00:44:52 et ils promettaient tout et n'importe quoi
00:44:55 à tout le monde.
00:44:57 Et donc ils avaient promis,
00:44:59 il y a cette déclaration Balfour
00:45:01 qui est très connue,
00:45:03 qu'ils promettent un foyer national
00:45:05 au peuple juif.
00:45:06 On oublie, c'est comme la déclaration de Rocart
00:45:08 sur la misère du monde,
00:45:09 il y a une deuxième partie de la phrase
00:45:11 et la deuxième partie de la phrase c'est
00:45:13 "Étant entendu qu'il n'y aura pas
00:45:15 de conséquences négatives sur les peuples
00:45:17 et les religions existantes".
00:45:19 Mais bon, ça c'est autre chose.
00:45:21 Et donc ce vieil homme dit à Albert-Londres,
00:45:25 il dit "Les Anglais ont promis un foyer national
00:45:27 au peuple juif,
00:45:28 regardez autour de vous,
00:45:30 il y a déjà un foyer national,
00:45:31 deux foyers nationaux pour la même terre,
00:45:33 c'est la guerre".
00:45:35 1929, cette phrase,
00:45:37 elle est toujours valable aujourd'hui
00:45:39 et c'est celle qui m'a inspiré le titre du livre.
00:45:42 C'est deux promesses,
00:45:45 l'une de...
00:45:47 Alors après on peut y voir beaucoup de choses
00:45:49 avec les promesses divines et autres,
00:45:51 peu importe,
00:45:52 mais deux peuples qui considèrent
00:45:55 que cette terre est la leur.
00:45:56 Et 1929, l'équation elle est déjà sur la table,
00:46:01 elle est connue,
00:46:04 et les paramètres n'ont pas changé,
00:46:06 c'est pour ça que je disais au début,
00:46:08 tout a changé et rien n'a changé,
00:46:10 on est à peu près...
00:46:13 tout a changé concrètement autour,
00:46:17 mais l'équation de base, elle reste celle-là.
00:46:21 Et c'est quelque chose d'assez étonnant.
00:46:26 1929, les Juifs évacuent donc Héberon,
00:46:30 les Anglais les font évacuer,
00:46:32 et la ville reste 100% arabe
00:46:38 jusqu'à 1967.
00:46:41 Et donc, je vais revenir à la carte,
00:46:44 là vous avez les différentes phases
00:46:51 de l'histoire d'Israël.
00:46:53 Et donc vous avez 1967, la guerre des six jours,
00:46:56 où l'armée israélienne
00:46:59 fait la conquête du Sinaï égyptien,
00:47:02 de la bande de Gaza,
00:47:04 donc en bas à gauche d'Israël,
00:47:08 et de la Cisjordanie,
00:47:10 qui appartenait à la Jordanie,
00:47:12 comme son nom l'indique,
00:47:14 et du plateau du Golan,
00:47:17 qui était syrien.
00:47:20 Et ce jour-là,
00:47:23 l'armée israélienne arrive à Héberon,
00:47:26 et il y a une scène qui a été racontée
00:47:29 dans des livres de l'époque,
00:47:31 Moshé Dayan, le ministre de la Défense,
00:47:34 le chef de guerre,
00:47:36 qui est le grand stratège
00:47:38 qui a mené cette victoire en 1967,
00:47:41 arrive, et qui est un laïc,
00:47:43 la religion, c'est pas son truc,
00:47:46 il arrive devant le tombeau des patriarches,
00:47:49 et il dit "on ne rentre pas,
00:47:51 c'est pas à nous,
00:47:53 il faut le respecter,
00:47:55 et on le laisse aux musulmans".
00:47:58 Et le...
00:48:01 je sais pas comment on dit
00:48:04 pour les juifs dans l'armée,
00:48:07 l'aumônier, ça se dit aussi ?
00:48:10 Juif de l'armée israélienne,
00:48:12 arrive et convainc Moshé Dayan
00:48:16 en lui disant "mais ce sont nos ancêtres,
00:48:19 c'est une partie de notre histoire,
00:48:21 on peut pas rester indifférents devant ce lieu".
00:48:24 Et Moshé Dayan cède,
00:48:26 il se cadena, et on rentre,
00:48:29 et c'est un grand moment,
00:48:32 parce que c'est le début
00:48:34 d'un réveil messianique absolument considérable
00:48:37 qui a des conséquences jusqu'à aujourd'hui.
00:48:40 Et après ça,
00:48:43 il y a ce jugement de Salomon qui est intéressant,
00:48:46 où on sépare le lieu en deux,
00:48:48 donc une entrée pour les juifs,
00:48:50 une entrée pour les musulmans,
00:48:52 il y avait pas de chrétiens à Héberon,
00:48:54 ils n'ont pas d'accès,
00:48:56 et avec une dimension intéressante,
00:48:59 c'est qu'il y a une paroi coulissante
00:49:01 entre les deux parties,
00:49:03 et lorsque c'est une fête juive,
00:49:05 on prend un peu plus de place du côté musulman,
00:49:08 et quand c'est une fête musulmane,
00:49:10 on prend un peu plus de place du côté juif.
00:49:12 Donc il y avait une sorte de modus vivendi
00:49:14 assez intéressante qui s'est mis en place
00:49:17 dans ce lieu.
00:49:19 Et donc ça, c'est la partie juive,
00:49:24 de prière,
00:49:26 et ça, c'est la partie musulmane.
00:49:28 C'est-à-dire que vous avez cette paroi qui sépare
00:49:31 et vous avez des gens qui prient
00:49:34 des deux côtés,
00:49:36 à quelques mètres les uns des autres,
00:49:39 dans le même bâtiment,
00:49:41 avec les mêmes prophètes qu'ils vénèrent,
00:49:44 mais sans l'esprit de la paix.
00:49:49 Et ça, c'est la tombe de Baruch Goldstein,
00:49:53 l'homme dont je parlais tout à l'heure,
00:49:56 et donc l'auteur du massacre d'Hebron.
00:50:00 Quand il y a eu le massacre,
00:50:05 Rabin a hésité,
00:50:08 il ne savait pas quoi faire.
00:50:10 Et Eoud Barak, qui était à l'époque
00:50:13 le chef d'état-major,
00:50:15 a dit qu'ils étaient prêts,
00:50:17 il y avait des plans,
00:50:19 ils attendaient le feu vert de Rabin
00:50:21 pour tuer les colons d'Hebron.
00:50:23 Et Rabin n'a pas eu le courage,
00:50:25 il a cru que ça allait déclencher
00:50:28 une guerre civile ou une résistance trop forte,
00:50:31 et il ne l'a pas fait.
00:50:33 Et Baruch Goldstein est enterré
00:50:36 dans la colonie de Kériat Arba,
00:50:39 qui est adjacente à Hebron.
00:50:41 Donc Hebron, il faut comprendre,
00:50:43 c'est une ville de 200 000 habitants palestiniens,
00:50:46 dans laquelle
00:50:49 il y a deux systèmes de colonisation.
00:50:54 Il y a une ville satellite qui est Kériat Arba,
00:50:58 qui a aujourd'hui 5 000 ou 6 000 habitants,
00:51:00 voire plus,
00:51:02 et dans laquelle se retrouve la tombe.
00:51:04 Il y a écrit dessus
00:51:06 "Mort pour le peuple juif",
00:51:08 quelque chose comme ça.
00:51:09 Donc il est vénéré par les habitants de Kériat Arba.
00:51:11 Et de l'autre côté,
00:51:13 vous avez un petit noyau qui s'est installé
00:51:16 quelques jours après la victoire de 1967,
00:51:19 des gens qui sont venus,
00:51:24 qui ont obtenu l'autorisation
00:51:26 de célébrer la Pâque juive à Hebron.
00:51:28 Et ils n'en sont jamais partis.
00:51:30 Et ils ont pris la rue principale d'Hebron,
00:51:34 qui était autrefois juive,
00:51:38 jusqu'en 1929,
00:51:40 en disant "On revient chez nous".
00:51:42 Et l'armée a commencé à sécuriser ce périmètre,
00:51:46 et donc vous aviez à cette époque
00:51:48 60, 70 personnes, pas plus,
00:51:50 et des dizaines, des centaines de soldats
00:51:53 pour les protéger.
00:51:54 Ça devenait une sorte d'abcès de fixation
00:51:57 au centre de la ville.
00:51:59 J'ai un souvenir.
00:52:00 Un jour, j'étais aller voir un colon dans cette rue
00:52:05 qui était d'origine russe.
00:52:07 Les colons n'aimaient pas trop les journalistes.
00:52:09 Lui, il avait accepté de me parler
00:52:11 parce que c'est quand même les hasards de la vie, parfois.
00:52:14 Il avait fait une grève de la faim à Saint-Pétersbourg
00:52:19 pour pouvoir quitter l'URSS.
00:52:21 Et le correspondant de Libération à Moscou,
00:52:24 à l'époque, s'appelait Bernard Cohen.
00:52:26 Et il était allé le voir.
00:52:27 Il avait fait un article sur lui.
00:52:28 Et cet article avait participé, disons,
00:52:30 à des pressions internationales.
00:52:32 Et il avait obtenu l'autorisation de partir.
00:52:34 Donc Libération, pour lui, c'était un journal
00:52:37 qui lui avait permis de quitter l'URSS.
00:52:40 Et donc il avait accepté de me parler
00:52:42 parce que c'était une raison parfois paradoxale
00:52:45 des méandres des situations.
00:52:49 Et donc on était en train de prendre le thé chez lui.
00:52:52 Et tout d'un coup, on entend des coups de feu à l'extérieur.
00:52:54 Et tout d'un coup, cet homme affable qui me parlait
00:52:57 se lève et il devient un Cossac
00:53:00 qui met ses bottes, qui met une veste en cuir,
00:53:02 qui prend sa mitraillette
00:53:03 et qui va aider les soldats dehors
00:53:05 à faire le coup de feu contre les Palestiniens.
00:53:08 Et ça, c'était le début.
00:53:12 Quand j'y suis retourné en 2019,
00:53:13 je ne m'attendais pas à ce que j'ai vu.
00:53:16 Un tiers de la ville a été interdit aux Palestiniens.
00:53:22 Un tiers de la ville.
00:53:23 Un tiers d'une ville de 200 000 habitants.
00:53:25 Je ne sais pas si vous voyez ce que ça représente.
00:53:27 Et les habitants ont été chassés, les magasins fermés.
00:53:32 Et à la place, il y a 1 500, 2 000 colons juifs,
00:53:37 des écoles religieuses, des hôpitaux,
00:53:41 des quartiers d'habitation, des jardins d'enfants,
00:53:45 avec un périmètre de sécurité absolument colossal,
00:53:48 à tel point que les maisons palestiniennes
00:53:50 qui donnent sur ce quartier-là
00:53:53 ont interdiction d'ouvrir les portes
00:53:56 et les fenêtres de ce côté.
00:53:58 Et donc, il y a des familles qui descendent
00:54:00 de l'autre côté par une échelle
00:54:02 parce qu'elles n'ont pas de porte de l'autre côté.
00:54:04 C'est quelque chose, c'est inimaginable,
00:54:07 la situation qu'il y a là-bas,
00:54:09 qui est une bombe à retardement permanente.
00:54:13 Et depuis 30 ans,
00:54:17 ça n'a fait que grandir, que grandir, que grandir,
00:54:20 et ça a créé une situation qui est aujourd'hui
00:54:23 intenable dans un contexte de confrontation assez général.
00:54:29 Et donc, ce courant messianique,
00:54:33 parce que c'est un courant qui s'appuie
00:54:37 sur une foi religieuse,
00:54:40 sur le fait que cette terre
00:54:43 a été donnée par Dieu, etc.,
00:54:46 a pris le...
00:54:49 Il n'a pas pris le contrôle du pays,
00:54:52 mais il a un poids suffisant pour imposer sa loi
00:54:55 et faire qu'il y ait une tolérance aveugle
00:55:00 face à tous ces excès, toutes ces demandes,
00:55:04 toutes ces exactions, parce qu'il y en a beaucoup.
00:55:07 Et vous savez, moi, j'ai passé trois jours à Héberon
00:55:12 qui m'ont ébranlé.
00:55:15 Je ne pensais pas voir ça sur cette terre,
00:55:18 parce que c'est pire que tout ce que j'avais pu voir précédemment.
00:55:22 Et c'est encore le cas aujourd'hui.
00:55:24 Et lorsque je suis allé...
00:55:27 J'ai quitté Héberon,
00:55:30 je suis parti à Tel Aviv.
00:55:33 C'est une heure de route, c'est rien, évidemment.
00:55:36 Les distances dans ce pays sont petites.
00:55:40 Et donc, vous quittez l'enfer,
00:55:43 vous faites une heure de route et vous allez à Tel Aviv
00:55:46 où les gens prennent des piña coladas à la plage
00:55:49 et c'est l'endroit le plus gai de la terre, etc.
00:55:53 Les gens font la fête.
00:55:56 Et j'avais rendez-vous à dîner avec un ami architecte
00:56:00 que j'avais connu quand j'y habitais.
00:56:03 Et on s'assoit à une terrasse,
00:56:06 on ouvre une bonne bouteille de vin, etc.
00:56:09 Et je commence à lui raconter ce que j'ai vu.
00:56:11 Et il m'a arrêté, il m'a dit "je ne veux pas savoir".
00:56:14 Il me dit "nous, on ne veut plus savoir ce qui se passe là-bas.
00:56:16 On regarde la mer, on s'occupe de nos familles,
00:56:19 de nos amis, de notre travail.
00:56:22 On ne veut plus savoir".
00:56:24 Et en fait, ça a été une partie du problème.
00:56:27 C'est qu'une partie de cette population éclairée, libérale,
00:56:30 laïque, qui avait tout ce monde-là
00:56:35 de la violence, de la colonisation,
00:56:38 de la conquête messianique en horreur,
00:56:42 a laissé faire.
00:56:44 Parce qu'elle a perdu espoir après l'échec d'Oslo,
00:56:47 parce que les autres étaient mieux organisés,
00:56:51 mieux conscients, mieux disciplinés.
00:56:54 Et ça a donné la situation qu'on a vécue
00:56:59 avant le 7 octobre, où vous aviez ces deux Israëls face à face,
00:57:03 où tout d'un coup, les gens se sont réveillés.
00:57:05 Et cet ami dont je parle, qui était resté silencieux,
00:57:10 m'a envoyé un jour un texto
00:57:13 quand les manifestations ont commencé à Tel Aviv
00:57:15 contre Netanyahou, contre les réformes judiciaires.
00:57:17 Et il m'a dit "tu vois, tu ne me croiras pas,
00:57:20 mais je suis à la manif ce soir".
00:57:22 Et en fait, ces gens qui ne voulaient plus savoir,
00:57:25 cette majorité silencieuse,
00:57:28 ont compris que si elle restait silencieuse,
00:57:31 on lui changeait le pays,
00:57:33 on changeait la nature même de cet état, de cette société.
00:57:37 Et donc il y a eu tous ces mois de bras de fer
00:57:41 entre cette société ouverte, laïque, libérale,
00:57:47 et de l'autre côté, ce monde coalisé autour de Netanyahou
00:57:53 avec cet extrême droit de politique
00:57:55 et ce jeu extrêmement intolérant.
00:57:58 Et maintenant, parce que j'ai envie de dire
00:58:04 qu'est-ce qu'on fait, qu'est-ce qui se passe
00:58:07 après cette...
00:58:09 ça c'est juste pour le plaisir esthétique,
00:58:11 c'est une belle photo.
00:58:13 Voilà.
00:58:16 Il est où l'espoir, à part sur les graffitis ?
00:58:19 Moi, je suis tombé il y a quelques jours,
00:58:24 et c'est si vous avez le numéro de l'Obs qui était devant,
00:58:27 j'en ai fait ma chronique cette semaine
00:58:29 sur un sondage extrêmement intéressant
00:58:32 qui est publié par une organisation
00:58:34 qui est basée à Genève, qui s'appelle l'Initiative de Genève,
00:58:37 qui a été montée par des Israéliens et des Palestiniens
00:58:40 qui sont les héritiers d'Oslo,
00:58:43 qui essayent de faire revivre l'esprit d'Oslo.
00:58:47 Et ce sondage est quand même très intéressant,
00:58:50 il a été fait en janvier, donc en pleine guerre,
00:58:52 chez les Israéliens.
00:58:53 Et on leur demande quelle est la solution
00:58:55 la plus viable au conflit israélo-palestinien.
00:58:58 Et ce qui arrive en tête,
00:58:59 c'est les deux États pour les deux peuples, 31,7%.
00:59:03 Deuxième proposition, l'expulsion en masse
00:59:06 des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, 26% quand même,
00:59:09 l'annexion de ces territoires
00:59:11 sans accorder la citoyenneté aux Palestiniens, 19%,
00:59:14 et il n'y a que 2,9% des Israéliens
00:59:18 qui sont favorables à l'annexion avec des droits égaux,
00:59:21 un seul État avec droit égaux pour tous.
00:59:24 Donc cette proposition, elle est quarte.
00:59:27 Et il y a quand même 20% des gens qui ne savent pas,
00:59:29 ce qui est quand même beaucoup.
00:59:31 Et ensuite, on demande aux gens
00:59:35 s'il y a un accord patronné par les États-Unis,
00:59:38 c'est un phénomène, c'est un aspect important,
00:59:40 parce que les États-Unis sont le seul pays
00:59:43 qui reste crédible auprès des Israéliens
00:59:45 comme garantie de sécurité éventuelle.
00:59:49 S'il y a un accord patronné par les États-Unis
00:59:52 prévoyant le retour des otages,
00:59:54 un État palestinien démilitarisé
00:59:57 et la reconnaissance israéle par l'Arabie saoudite,
00:59:59 puisque ce sont en fait les éléments
01:00:01 qui sont sur la table aujourd'hui,
01:00:03 51,3% des Israéliens sont favorables.
01:00:07 Ça fait une courte majorité.
01:00:09 Le hic, le petit bémol de ce sondage,
01:00:13 qui n'est pas négatif si on le regarde comme ça,
01:00:16 le petit bémol, c'est qu'on ne distingue pas
01:00:20 dans ce sondage juif et arabe.
01:00:23 Alors, nous, ça ne nous choque pas en France
01:00:25 de considérer que tous les habitants d'un pays
01:00:27 sont des citoyens égaux,
01:00:29 sauf qu'en Israël, ce n'est pas le cas.
01:00:31 Et Yitzhak Rabin, à l'époque d'Oslo,
01:00:35 mettait un point d'honneur en permanence
01:00:37 à s'assurer qu'il avait une majorité juive derrière lui.
01:00:40 Pas seulement une majorité, une majorité juive.
01:00:43 Il pensait que sa légitimité
01:00:45 en tant que Premier ministre d'un État juif
01:00:47 ne passait que par une majorité juive.
01:00:50 Et ça a été un facteur paralysant pour lui
01:00:53 parce qu'à chaque étape, et notamment
01:00:55 au moment de cet événement d'Hebron,
01:00:59 il a hésité parce qu'il se disait
01:01:02 qu'il allait perdre cette majorité juive.
01:01:04 Et là, on a évidemment un sondage.
01:01:06 Et tous les sondages en Israël,
01:01:08 quand vous regardez dans la presse,
01:01:09 vous disent 50% des Juifs
01:01:12 et 60% des Arabes israéliens
01:01:15 pensent que...
01:01:16 Et donc, on distingue clairement les deux communautés.
01:01:20 Et là, on ne le fait pas.
01:01:23 Et si vous enlevez le fait que 20%
01:01:26 des citoyens israéliens,
01:01:27 donc des électeurs israéliens, sont Arabes,
01:01:30 sont Palestiniens d'Israël,
01:01:31 des Palestiniens qui sont restés en 1948,
01:01:33 au moment de la partition,
01:01:35 vous avez évidemment un pourcentage
01:01:38 qui baisse considérablement
01:01:40 si vous cherchez à connaître les chiffres
01:01:42 uniquement du soutien juif.
01:01:44 Donc, on a une position aujourd'hui
01:01:47 qui n'est pas très encourageante,
01:01:49 il faut bien le dire,
01:01:50 pour une solution politique,
01:01:51 si tant est que cette solution soit possible
01:01:53 à cause de la question de la colonisation.
01:01:55 Moi, je m'attache à deux choses
01:02:00 pour ne pas perdre totalement espoir.
01:02:02 Le premier, c'est que
01:02:04 ce que disent les gens,
01:02:05 ce que pensent les gens
01:02:06 quand on est au milieu d'une guerre,
01:02:08 qu'il y a encore des otages,
01:02:09 qu'il y a des soldats qui meurent
01:02:10 et qu'on est si près de ce qui s'est passé le soir
01:02:14 et le soir passé, le 7 octobre,
01:02:16 ne sera pas exactement le même
01:02:18 si demain, il y a l'arrêt des combats,
01:02:22 je ne parle pas de paix,
01:02:23 l'arrêt des combats,
01:02:24 la libération des otages,
01:02:25 en tout cas de ceux qui sont encore vivants,
01:02:27 plus de soldats qui meurent
01:02:29 et une perspective politique
01:02:33 que les Américains ont un intérêt à pousser.
01:02:38 Pourquoi les Américains ont un intérêt à la pousser ?
01:02:41 Parce qu'on le voit en ce moment aux États-Unis,
01:02:45 Joe Biden a été bousculé
01:02:48 par le fait que son soutien très fort,
01:02:50 très puissant, très visible,
01:02:52 avec des portes à avions, etc., à Israël,
01:02:55 lui vaut un retour de bâton très fort
01:03:00 chez une jeunesse démocrate
01:03:02 dont il n'avait pas prévu
01:03:03 qu'elle soit aussi sensible à la cause palestinienne
01:03:06 ainsi que chez les Noirs.
01:03:09 Et donc, il a aujourd'hui,
01:03:11 chaque fois qu'il apparaît dans un meeting électoral,
01:03:13 il y a des jeunes qui arrivent avec des pancartes
01:03:15 complices du génocide, etc., etc.
01:03:18 Et donc, Joe Biden a un intérêt vital politique aujourd'hui,
01:03:23 à montrer que certes, il a été à côté d'Israël
01:03:25 parce qu'il y a eu cette agression barbare du 7 octobre,
01:03:28 mais qu'il est aussi attaché,
01:03:30 et il est aujourd'hui,
01:03:32 il ne prononce pas un discours
01:03:34 sans parler des deux États,
01:03:36 mais il est aussi attaché à l'idée d'une option politique.
01:03:40 Le problème, c'est que la fenêtre de tir,
01:03:43 si je peux dire, elle est très courte
01:03:45 parce que dès qu'on arrivera à l'été,
01:03:48 la campagne électorale américaine va être lancée
01:03:50 et va commencer à battre son plein
01:03:53 et ce n'est plus le temps
01:03:55 des grandes initiatives diplomatiques.
01:03:56 Donc, il lui reste même pas six mois,
01:03:59 cinq mois, six mois peut-être,
01:04:01 pour mettre fin au conflit armé
01:04:05 et lancer une initiative politique
01:04:07 dans un contexte où les deux partis,
01:04:10 c'est-à-dire les Israéliens et les Palestiniens,
01:04:12 vont devoir redéfinir qui parle en leur nom,
01:04:15 qui sont les dirigeants légitimes des deux côtés
01:04:18 pour pouvoir signer éventuellement un accord politique.
01:04:22 C'est absolument géant
01:04:27 et impossible d'imaginer
01:04:29 que tout ça sera possible en l'espace de six mois.
01:04:31 Et si Trump est élu,
01:04:33 vous pouvez oublier tout ça.
01:04:36 Donc, ça rend pas très optimiste,
01:04:39 mais malgré tout, on a cette expérience
01:04:42 et je terminerai là-dessus,
01:04:43 mais on a cette expérience
01:04:46 que des catastrophes naissent parfois
01:04:49 des choses positives.
01:04:51 De la guerre de 1973,
01:04:52 qui a été sans doute la guerre
01:04:54 pendant laquelle Israël a le plus craint.
01:04:57 Ça a été la guerre qui a véritablement menacé
01:05:00 l'existence d'Israël.
01:05:02 Personne n'aurait parié un Shekel
01:05:06 sur le fait que Sadat serait en train de prononcer
01:05:09 un discours à la Knesset quatre ans plus tard
01:05:11 et serait le premier et le plus grand pays arabe
01:05:14 à faire la paix avec Israël.
01:05:15 Il l'a payé de sa vie par la suite,
01:05:17 mais ça reste...
01:05:21 Voilà, d'une catastrophe peut sortir quelque chose de positif.
01:05:24 Et pareil en 91, lorsque vous avez eu
01:05:28 la première guerre du Golfe,
01:05:30 en janvier 91,
01:05:32 les Palestiniens ont pris le parti de Saddam Hussein.
01:05:35 Et en particulier, il y a une scène connue
01:05:39 où lorsque Saddam Hussein a lancé des missiles
01:05:42 contre Israël,
01:05:43 parce qu'il les a lancés,
01:05:44 ils n'ont rien fait,
01:05:45 ils sont tombés dans le vide,
01:05:47 mais à l'époque, on ne savait pas
01:05:48 et les Israéliens avaient tous le masque à gaz
01:05:50 parce qu'ils craignaient qu'il y ait des charges chimiques
01:05:52 à l'intérieur de ces missiles,
01:05:54 on ne savait pas ce qu'il y avait dedans.
01:05:55 Les Palestiniens étaient sur les toits à Ramallah
01:05:58 et hurlaient de joie de voir passer les missiles de Saddam Hussein.
01:06:01 Donc il y avait un climat quand même
01:06:03 qui n'était pas particulièrement propice à la paix.
01:06:05 Le Premier ministre israélien à l'époque était Yitzhak Shamir,
01:06:08 donc un dur du Likoud.
01:06:10 Et malgré tout, la même année, en 91,
01:06:14 il y a eu la conférence de Madrid organisée par les Américains.
01:06:17 Shamir était là.
01:06:19 Les Américains lui ont dit
01:06:21 "Écoute, si tu veux qu'il ne se passe rien, viens.
01:06:24 Tu pourras bloquer, mais au moins, viens."
01:06:27 Et il est venu. Et en face, il avait le Dr Abdel Shafi,
01:06:31 dont je parlais tout à l'heure, le patron de l'OLP à Gaza.
01:06:35 Donc il n'y a même pas un an entre les deux événements.
01:06:39 Et Shamir perd les élections l'année suivante,
01:06:41 c'est Rabin qui les gagne,
01:06:43 et vous avez en 93 les accords d'Oslo.
01:06:46 Donc on est dans des dynamiques
01:06:49 qui sont totalement imprévisibles.
01:06:52 Et le climat international aujourd'hui
01:06:55 ne porte pas particulièrement à l'optimisme,
01:06:58 mais il porte en lui la possibilité de l'imprévisible.
01:07:05 Et l'imprévisible, le pire n'est jamais sûr,
01:07:09 pour employer une formule un peu simple,
01:07:14 c'est qu'on ne peut pas exclure
01:07:17 que de tout ça sorte une solution
01:07:20 parce qu'il y a un intérêt de beaucoup de gens.
01:07:23 Il y a l'intérêt des États-Unis, c'est clair.
01:07:26 Il y a l'intérêt de l'Arabie saoudite,
01:07:28 acteur majeur aujourd'hui sur la scène internationale
01:07:31 et au Proche-Orient.
01:07:33 Le prince héritier MBS,
01:07:35 que je ne porte pas dans mon cœur
01:07:37 depuis qu'il a découpé un journaliste à la scie
01:07:40 il y a quelques années,
01:07:43 mais malgré tout, il est un modernisateur par le haut.
01:07:49 Il est en train de faire dans son pays
01:07:52 un choc de modernisation assez phénoménal
01:07:56 imposé par en haut,
01:07:58 dans lequel on ne tolère aucune contestation politique
01:08:01 mais on transforme la société.
01:08:03 Et il a fait le pari de l'après-pétrole
01:08:06 avec des investissements considérables,
01:08:10 notamment dans le tourisme.
01:08:12 Il y a un énorme projet dont vous avez peut-être entendu parler
01:08:15 qui s'appelle Alula.
01:08:17 Vous connaissez Petra en Jordanie,
01:08:19 c'est l'équivalent en Arabie saoudite.
01:08:21 Les Français sont très impliqués dans le développement d'Alula.
01:08:26 Et le prince MBS
01:08:29 n'a aucune envie que la région soit en guerre.
01:08:32 C'est lui qui a fait le plus de guerres
01:08:34 au cours des années précédentes.
01:08:36 Il a quand même détruit le Yémen.
01:08:38 Et aujourd'hui, il se permet,
01:08:40 lorsque les Américains ont bombardé le Yémen l'autre jour
01:08:43 en représailles aux attaques des bateaux,
01:08:45 il a fait un communiqué pour appeler à la retenue.
01:08:47 C'était extraordinaire.
01:08:49 Il a été en Yémen pendant 5 ans pour rien,
01:08:51 parce qu'il n'a rien obtenu.
01:08:53 Et aujourd'hui, ça ne rentre plus dans ses calculs.
01:08:56 Il s'est réconcilié avec les Iraniens.
01:08:58 Il veut attirer les touristes et les investissements chez lui.
01:09:01 Et il n'a pas envie d'une guerre.
01:09:03 Et il était sur le point de signer avec Israël
01:09:05 juste avant le 7 octobre.
01:09:07 Et donc, vous avez aujourd'hui
01:09:09 un deal possible sur la table.
01:09:14 J'y ai fait allusion à la fin du livre,
01:09:18 à la fin de la première partie du livre.
01:09:20 Un peu par routine,
01:09:24 il y a des vieux plans diplomatiques qui reviennent.
01:09:29 Comme ça, tous les 10 ans, 15 ans, 20 ans,
01:09:33 vous avez quelqu'un qui ressort un plan diplomatique.
01:09:36 Il y en a un qui s'appelle le plan Fad.
01:09:38 Fad, c'est l'oncle du prince héritier actuel,
01:09:42 qui était le roi dans les années 80.
01:09:45 Et en 81, il était encore prince.
01:09:47 Il avait fait un plan de paix.
01:09:49 En gros, qui était simple, qui était une offre à Israël.
01:09:52 Vous rendez les territoires, tout le monde arabe vous reconnaît.
01:09:56 Et Israël avait refusé à l'époque.
01:09:58 Et aujourd'hui, je termine là-dessus,
01:10:01 qui était, est-ce que l'Arabie saoudite
01:10:04 peut être porteuse d'un remake du plan Fad ?
01:10:08 Et tout d'un coup, on apprend qu'en fait,
01:10:10 c'est exactement ce qui est en train de se passer.
01:10:12 Je ne le savais pas quand je l'ai écrit,
01:10:14 mais c'est la chance de ces...
01:10:18 Voilà, peut-être de la mémoire.
01:10:21 C'est ce que propose aujourd'hui l'Arabie saoudite
01:10:25 et les pays du Golfe,
01:10:27 c'est-à-dire une main tendue à Israël.
01:10:30 Le monde arabe vous accepte, vous reconnaît,
01:10:33 vous considère comme un pays de la région,
01:10:36 mais vous donnez un État aux Palestiniens.
01:10:39 C'est compliqué, ce n'est pas simple.
01:10:43 Les Israéliens, aujourd'hui, ne sont pas capables d'entendre ça
01:10:46 parce qu'ils sont encore dans la phase de la rage
01:10:48 et de la revanche après le 7 octobre,
01:10:51 mais dans quelques semaines, quelques mois,
01:10:54 si la guerre s'arrête
01:10:55 et que les bonnes fées se remettent au travail...
01:11:00 Et parmi ces bonnes fées, et ce sera mon dernier mot,
01:11:03 il y en a une qui manque, c'est la France ou l'Europe,
01:11:06 qui est aux abonnés absents dans toutes ces affaires.
01:11:09 Alors j'exagère un tout petit peu,
01:11:12 mais l'Europe ne compte pas
01:11:15 dans les affaires du Moyen-Orient aujourd'hui,
01:11:17 ce qui est dommage parce qu'on en subit les conséquences,
01:11:21 on l'a vu dans la société française
01:11:23 où ça a pas mal tangué à un certain moment après le 7 octobre,
01:11:27 mais on n'est pas aujourd'hui capables,
01:11:33 cohérents pour peser dans ces affaires.
01:11:36 Au niveau européen, c'est logique
01:11:38 parce que l'Allemagne a le poids de l'histoire
01:11:40 et l'Allemagne ne fera rien qui puisse déplaire à Israël,
01:11:45 mais c'est pas le cas des autres, et en particulier de la France,
01:11:49 mais on n'a pas cette capacité aujourd'hui
01:11:53 de proposition et d'action
01:11:56 et donc ce sont les Américains qui sont à la manœuvre.
01:11:59 Anthony Blinken arrive encore samedi,
01:12:01 5e voyage depuis le 7 octobre,
01:12:03 5e voyage en Israël pour essayer de pousser
01:12:06 cet accord de cesser le feu qui est sur la table,
01:12:09 qui a été négocié à Paris d'ailleurs.
01:12:11 Le week-end dernier, vous aviez à Paris,
01:12:14 je ne sais pas s'il savait qu'il y avait les agriculteurs
01:12:17 qui encerclaient la ville,
01:12:19 mais il y avait le chef du Mossad, le chef de la CIA,
01:12:22 le chef des services secrets égyptiens
01:12:24 et le Premier ministre Qatari.
01:12:26 Je ne sais pas où ils étaient réunis,
01:12:28 mais en tout cas, ils étaient à Paris.
01:12:30 Voilà. Merci.
01:12:32 (Applaudissements)
01:12:44 -Grégoire avait raison, j'ai trop parlé.
01:12:48 Donc je vous propose de continuer si vous le voulez.
01:12:50 En sortant, en haut des marches,
01:12:53 il y a un verre et pour ceux qui le voudraient, le livre.
01:12:58 En tout cas, je suis à votre disposition
01:13:00 pour continuer cette conversation.
01:13:02 -On vient de me dire qu'en fait, Julie Joly,
01:13:17 qui est la directrice de l'Obs, vient de me dire
01:13:19 qu'il y avait beaucoup de monde en ligne
01:13:21 et que les gens étaient très contents.
01:13:23 (Rires)
01:13:25 ...
01:13:32 ...

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