• il y a 10 mois
“Il a fallu que je me voie déformée pour prendre conscience.”
Judith Chemla, actrice et autrice, raconte les violences conjugales qu’elle a subies pendant des années de la part de ses anciens conjoints. Prise de conscience tardive, écriture de son livre, suivi pénal : elle témoigne.
Son livre, “Notre silence nous a laissées seules”, aux éditions Robert Laffont, est disponible.

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Transcription
00:00 Dans le milieu du cinéma aussi, on est beaucoup en fait,
00:02 d'avoir subi des choses intolérables.
00:03 Il faut que la trace de la violence, elle monte jusque là,
00:07 que je me vois dans ce miroir déformé,
00:11 pour me dire, maintenant, plus jamais, plus jamais.
00:15 Quand j'ai pris la parole en juillet 2022 publiquement,
00:21 je l'ai fait sur un réseau social pour dire stop, voilà la réalité.
00:27 Il y a un an, mon visage a été blessé.
00:28 Je me suis vu déformée.
00:29 Il y a un an, j'ai regardé mon visage dans la glace
00:31 et j'ai su que je ne pourrais plus me voiler la face.
00:33 Le père de ma fille.
00:34 Ceux qui sont capables de faire ça, il faut qu'ils soient hors d'état de nuire.
00:37 Maintenant, est-ce qu'on peut me laisser tranquille ?
00:39 On ne tombe pas sous emprise comme ça.
00:42 Ce qu'il y a de noir est dissimulé au début.
00:45 Puis on s'accroche des fois, même quand on vit des choses dures,
00:47 parce qu'il y a des belles choses dans toute relation, j'imagine.
00:51 La fusion amoureuse, c'est la drogue la plus puissante
00:55 qui vous fait accepter des choses inacceptables.
00:57 L'amour, on le confond avec la fusion, avec l'effacement de soi.
01:02 C'est facile pour des psychismes destructeurs.
01:05 En fait, eux-mêmes, ils confondent l'amour et la domination,
01:10 l'appropriation d'un être.
01:12 Ce n'est pas du tout de l'amour.
01:14 Je n'avais pas accès à tous mes sens.
01:16 Je n'avais pas accès à l'intégralité de mon être.
01:19 Aussi parce que je croyais complètement
01:21 au discours de l'égalité des sexes dans notre société.
01:25 Je croyais à la victoire.
01:27 Je croyais que c'est bon, c'était gagné.
01:28 Il y avait des femmes avant moi qui avaient lutté pour nos droits.
01:31 Et c'est bon, on les a.
01:32 C'est ok.
01:32 Cette inconscience, cette ignorance
01:35 que les rapports de force et de domination sont à l'œuvre
01:39 d'une manière très, très, très, très puissante dans nos sociétés.
01:43 Encore aujourd'hui, vraiment.
01:44 Personne, enfin tout le monde, a dit "ah non, la violence".
01:46 On la condamne chez les autres, mais chez soi-même,
01:49 c'est très, très dur de la regarder en face.
01:51 À cette époque, toujours, j'avais une haute idée
01:55 de ce que doit être une relation,
01:57 du respect qu'on est censé avoir.
02:00 Et pourtant, dans la réalité,
02:03 je vis des choses qui dégradent ma dignité en fait.
02:07 On reçoit toujours des signaux.
02:08 Il y a des signaux partout.
02:10 Mais on choisit souvent de les minimiser, de les ignorer.
02:14 Je croyais.
02:15 Le discours que beaucoup d'agresseurs ont,
02:17 c'est que déjà ça minimise, les filles sont un peu folles,
02:20 ça va, elles ont aussi des "wow", des pètes au casque.
02:22 Donc, tu achètes le discours
02:24 parce que tu as envie d'aimer aussi.
02:26 Tu n'es pas encore alignée,
02:28 tu ne sais pas encore tous ces mécanismes-là,
02:31 comment ils se mettent en place.
02:32 Mais il faut que ça m'arrive en plein visage,
02:34 comme le nez au milieu de la figure.
02:37 Il faut que la trace de la violence,
02:39 elle monte jusque-là,
02:42 que je me vois dans ce miroir déformé,
02:47 pour me dire maintenant, plus jamais, plus jamais.
02:51 Là, je ne peux plus le nier, je ne peux plus le cacher au monde.
02:56 Ça se voit, je marche dans la rue, ça se voit.
02:59 C'est violent.
03:01 Je le vois, je ne peux plus minimiser et me dire que ce n'est pas grave.
03:05 Ce qui me pousse à agir, en fait,
03:08 à me dire qu'il faut le mettre hors d'état de nuire,
03:11 c'est que j'apprends en effet qu'il y a une autre femme
03:14 qui est menacée par lui.
03:16 Ce n'est pas juste s'arrêter sans sortir.
03:19 La première relation, je m'en suis tirée aussi en faisant ma vie.
03:22 Là, je m'en tire une deuxième fois en disant "je pars".
03:26 Mais c'est aussi stopper.
03:27 Là, je me tourne vers la justice.
03:29 Mes interlocuteurs dans la chaîne pénale,
03:31 j'en ai eu de très bons au début,
03:33 donc j'ai eu de la chance au début, j'ai été vraiment protégée.
03:38 Après mon témoignage, j'ai reçu un flot tellement immense
03:43 de femmes, de mères qui ont subi de la violence dans leurs histoires
03:47 et qui, comme 80% des plaintes sont classées sans suite,
03:51 ne sont pas reconnues comme ayant été victime,
03:55 ne peuvent pas ni se protéger, ni protéger leurs enfants.
03:58 Et le retournement de discours de les pauvres hommes accusés à tort
04:03 est très prégnant dans les institutions.
04:07 On ne peut pas tolérer que dans ce beau pays,
04:09 beaucoup de décisions judiciaires, finalement,
04:12 criminalisent les victimes.
04:14 Ce n'est pas possible, on ne peut pas tolérer ça.
04:17 Tous les témoignages que j'ai, ça fait peur, ça fait peur.
04:21 Il n'y a pas de principe de précaution.
04:23 Et puis le système judiciaire n'aide pas,
04:26 enfin là pour l'instant, ne veut pas prendre en compte l'unité d'une situation.
04:31 Il y a en effet l'acte pénal grave,
04:35 mais il y a le père et ça c'est différent.
04:37 Non, c'est une seule personne,
04:39 c'est une seule personne qui doit être responsable de ses actes.
04:42 Voilà, le père et l'homme, il est un.
04:45 Il faut qu'on ait des responsabilités en tant qu'homme.
04:48 Respecter sa femme, c'est respecter son enfant.
04:51 On peut être un homme qui a fait des violences,
04:54 mais être un bon père.
04:55 On est dans une société qui vous dit ça.
04:57 Donc moi, j'étais absolument empreinte de ça
04:59 et c'est comme ça que j'ai appliqué.
05:01 Comme je vois beaucoup d'amis, on est beaucoup,
05:04 dans le milieu du cinéma aussi on est beaucoup,
05:06 avoir subi des choses intolérables
05:08 et avoir dû gérer des maternités avec des hommes violents.
05:12 C'est très très dur et ça rend fou et c'est une torture.
05:16 Et l'enfant est mis au centre et instrumentalisé
05:19 pour continuer à nuire.
05:20 C'est terrible et ça, il faut que ça soit reconnu
05:23 parce que les enfants souffrent de ça.
05:25 Ils ne sont pas protégés de ça du tout.
05:27 Je ne sais pas comment faire pour qu'on applique la loi
05:29 et pour qu'on réforme notre système.
05:31 Ça demande beaucoup de travail et d'investissement.
05:33 Moi, je ressens le fait d'avoir écrit ce livre
05:37 comme si j'avais récupéré mon corps.
05:41 C'est comme une reconquête de soi-même en fait.
05:43 J'ai retrouvé mes forces en écrivant.
05:45 En fait, je m'inquiète parce que je me dis,
05:47 moi, j'ai mis tant d'années à me réveiller.
05:49 Donc la société, ce grand corps social,
05:52 combien de temps il va mettre pour oser
05:56 regarder le monde tel qu'il est
05:57 et oser se dire qu'on mérite mieux.
06:01 Voilà.
06:01 COMMUNIS !
06:03 à suivre.

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