• il y a 8 mois
Maya Lauqué reçoit Alice Augustin, journaliste à Elle et spécialiste des questions de société touchant aux droits et à la santé des femmes, ainsi qu'à la sexualité. C'est elle qui a enquêté sur les plaintes d'agressions de viol et d'agressions sexuelles visant le psychanalyste Gérard Miller, ainsi que sur les affaires concernant les cinéastes Benoît Jacquot et Jacques Doillon. Elle nous explique ses enquêtes, son engagement et l'évolution du mouvement #MeToo. 

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00:00 Bonjour Alice Aubustain, merci d'être avec nous ce matin. C'est vous qui avez enquêté sur les accusations de viol et agressions sexuelles visant le
00:05 psychanalyste Gerard Miller. Vous suivez aussi les affaires qui concernent les cinéastes Benoît Jacot et Jacques Douallou.
00:11 Avant d'entrer dans les détails, est-ce que vous pensez que l'on vit une nouvelle phase du mouvement #MeToo en France ?
00:16 Alors moi j'ai même envie de dire on vit presque la première, même si effectivement il y a déjà eu des affaires qui ont explosé
00:22 de par Dieu avec la plainte de Charles Attarnou. On a eu des affaires dans les médias,
00:27 avec l'affaire PPDA etc. ou même Adèle Haenel qui est sortie des Césars, on s'en rappelle, très énervée.
00:33 Et là il y a vraiment une accélération je trouve depuis quelques mois.
00:36 L'affaire de par Dieu a pris une ampleur inédite avec le complément d'enquête diffusée sur France 2.
00:42 Là donc on voit que Judith Gaudrech prend la parole
00:45 de manière très forte. Elle a porté plainte contre
00:49 Benoît Jacot et Jacques Douallou. C'est vous qui avez recueilli ces premières confidences. Oui tout à fait. C'était à la fin de l'année dernière.
00:56 Donc il y a un petit moment.
00:58 Il y a 3-4 mois.
01:00 Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire
01:02 mercredi contre Benoît Jacot. Quels souvenirs gardez-vous de ce moment de confidences finalement ?
01:08 Oui alors c'était intéressant parce que là on voit qu'elle a vraiment tout raconté. Moi quand je l'ai rencontrée c'était en octobre donc deux mois avant la
01:13 diffusion de sa série
01:14 sur Arte et c'était pas du tout du tout du tout la même
01:17 facilité à prendre la parole. Elle avait jamais vraiment parlé à un journaliste de cette histoire.
01:22 Elle était encore très très émue. C'était très douloureux. Elle n'avait pas pu prononcer le nom de Bonheur à Jacot en interview.
01:28 C'est moi qui l'avais prononcé et c'est vrai qu'il y a très peu de questions auxquelles elle a pu répondre en détail sans vraiment être
01:33 prise par l'émotion. Donc c'est moi qui ai beaucoup raconté. Sa série racontait aussi beaucoup pour elle.
01:38 Et c'est très beau je trouve de voir en quelques mois la façon dont elle s'est
01:42 affirmée, dont elle a moins eu peur, dont elle a pris confiance et aujourd'hui pour arriver à cette
01:48 ces révélations qui sont vraiment terribles en fait. Et elle n'est plus seule parce que depuis il y a d'autres actrices
01:53 Julia Roab, Vahina Djokante, Isile de Lebesco, Laurence Cordier qui accuse Benoît Jacot dans Le Monde,
01:59 Anna Muglali, Isile de Lebesco qui porte des accusations contre le réalisateur Jacques Dolan. Alors ce dernier dénonce des mensonges, il se dit à la
02:06 disposition de la justice. On va rappeler que ces mises en cause sont présumées innocentes.
02:10 Ils se sont exprimés. On n'entrera pas dans le détail des dossiers mais l'accumulation des témoignages que l'on lit
02:16 que vous avez recueillis, leur similarité. On a l'impression
02:19 de mettre à jour peut-être l'envers d'un système, celui du Pygmalion et de la muse.
02:24 Tout à fait, je pense que l'affaire de Judith Godrej elle est vraiment emblématique
02:28 à ce titre là. Elle le raconte tout au long de ses interviews, la façon dont elle a été
02:33 une très très jeune fille complètement sous emprise de cet homme très puissant dans le cinéma. Lui n'a de cesse de dire qu'il l'a
02:40 formé, qu'il l'a révélé et donc vraiment ça raconte une
02:45 dissymétrie en fait de pouvoir entre une toute jeune femme et un réalisateur
02:48 d'émiurge qui aurait créé une sorte de créature
02:52 cinématographique. Mais quand on repense à cette époque là au film L'Amant, Noces Blanches, Les Frontées, il y avait effectivement
03:00 aucune accusation mais sur les images
03:03 le Pygmalion, la muse, on en parlait beaucoup et on travaillait beaucoup. Alors les années
03:08 80-90 ont été une usine à fabriquer des lolitas ou des nymphettes dans le cinéma français. Bien évidemment on pense à
03:15 Les Frontées avec Charlotte Gainsbourg, à La Boum avec Sophie Marceau, il y a pléthore d'exemples. Mais ce duo, ce binôme
03:20 Mus Pygmalion en fait a nourri toute notre histoire culturelle depuis Picasso avec ses muses
03:26 en passant par Gainsbourg avec Jane Birkin.
03:29 Voilà c'est quelque chose qui c'est un archétype qui existe depuis très très longtemps en fait. Pourquoi ces actrices parlent-elles
03:35 maintenant ? Est-ce que c'est l'effet du nombre qui fait qu'on se reconnaît, qu'on ose peut-être prendre la parole ?
03:42 Une forme, alors c'est un mot à la mode, mais de sororité qui n'existait peut-être pas à l'époque ? Est-ce que c'est un peu tout ça ?
03:47 C'est un peu tout ça. Je pense qu'effectivement
03:49 plus les femmes sont nombreuses à parler, moins elles ont peur.
03:52 Une sororité, enfin moi je fais beaucoup, on a fait des grosses enquêtes,
03:57 beaucoup de témoins disent aussi qu'elles parlent pour aider les autres. Vraiment ça revient très très souvent.
04:01 J'appelle même si j'ai pas été agressée mais c'est pour soutenir les femmes qui parlent, pour qu'on les croit. Il y a vraiment quelque chose
04:07 je pense qui se libère dans la parole mais aussi quelque chose qui
04:10 est plus attentif dans l'écoute. C'est-à-dire que là, parce qu'il faut pas oublier que ces femmes,
04:15 certaines ont parlé depuis longtemps puis on les a pas entendues. L'affaire Godrej, la relation de Godrej et Djako, elle est connue depuis
04:21 toujours. Elle était sur sa fiche Wikipedia donc c'est pas un scoop. Donc vous voulez dire que dans le milieu on savait mais on ne le disait pas ?
04:26 Tout le monde savait, toute la société française savait, ça n'a jamais été un secret pour personne.
04:31 L'époque a changé, nous aussi. C'était les Rama qui a fait son mea culpa il y a quelques jours par leurs éloges. Les médias ont leur
04:38 responsabilité dans le système d'emprise qu'ont mis en place des réalisateurs sur de jeunes actrices.
04:41 Est-ce que vous êtes d'accord avec ce constat que dresse Télérama ?
04:45 C'est Judith Godrej qui a fortement dénoncé notamment Télérama sur les réseaux sociaux et qui exhume régulièrement sur son propre Instagram
04:51 tous les interviews assez complaisants de Benoît Djako qui ont été données dans la presse culturelle
04:55 et encore très récemment jusqu'en 2019 dans des journaux culturels.
05:00 Donc bien sûr, aucun de ces journalistes n'a jamais interrogé cette relation
05:05 complètement dissymétrique, même illégale à l'époque a priori.
05:08 Donc bien sûr qu'on a une responsabilité, nous les médias, et c'est aussi je pense pourquoi il est très important que
05:14 des journalistes comme nous s'emparent de ces thèmes, enquêtent, investiguent et décryptent aussi ces phénomènes
05:20 de domination.
05:22 Qu'est-ce que vous répondez à celles et ceux qui vont dire
05:26 "c'est le tribunal médiatique qui est en train de remplacer la justice" ?
05:30 Pour moi c'est un peu une expression aussi baillon, c'est-à-dire c'est une façon de museler la parole des femmes.
05:35 Je pense aussi que le rôle des médias est d'enquêter, de faire des révélations.
05:39 C'est un sujet d'intérêt général, les violences sexistes et sexuelles, qui touchent un nombre incalculable de femmes en France et dans le monde.
05:45 Donc c'est de notre devoir d'enquêter.
05:47 Après nous bien sûr, on est toujours très content de voir que la justice s'empare des révélations qu'on fait.
05:53 C'est le cas par exemple dans l'affaire de Pardieu, les témoins dans Mediapart ont témoigné à la justice.
05:57 Nous dans l'enquête qu'on vient de faire sur Gérard Miller, il y aura peut-être des suites judiciaires.
06:02 On va en parler parce qu'il nous reste peu de temps, mais vous avez sorti une première enquête
06:08 qui a entraîné des coups de fil que vous avez reçus.
06:12 41 femmes qui racontent des viols, des agressions sexuelles.
06:19 Des approches aussi, des tentatives.
06:21 Gérard Miller a récusé de la façon la plus catégorique qu'il soit toute agression sexuelle et à plus forte raison tout viol.
06:26 Il affirme s'être rassuré du consentement des femmes, même s'il parle de dissymétrie dans la relation liée à l'âge
06:32 et qui serait rédhibitoire aujourd'hui.
06:35 C'est tout à fait son droit de se défendre.
06:37 Il est tout à fait libre.
06:39 Nous, bien évidemment, quand on a fait l'enquête, on l'a contacté avec des faits détaillés pour qu'il puisse réagir.
06:44 Est-ce que vous continuez à recevoir des coups de fil ?
06:46 Oui, on a reçu encore à nouveau des témoignages qu'on va rappeler la semaine prochaine,
06:52 parce que c'est sorti il y a très peu de temps.
06:54 Moi, je ne suis pas juge, c'est pas à moi de juger de la culpabilité de Gérard Miller.
06:59 Nous, on rapporte des témoignages, on recoupe, on vérifie.
07:01 Je veux dire, notre travail, on a passé des semaines et des semaines à rappeler toutes ces femmes,
07:05 tout leur entourage, collecter des preuves matérielles, des vidéos, des mails.
07:09 Donc voilà, notre travail, c'est de s'assurer de la solidité de ces témoignages.
07:13 Après, la justice s'en empara peut-être.
07:15 Et bien sûr, il a le droit de se défendre.
07:17 Moi, en tout cas, de consentement, ces femmes ne parlent pas.
07:21 En un instant, vous dites que c'est en train d'exploser, ce phénomène #MeToo.
07:29 Ça veut dire qu'il y a d'autres révélations ? Vous enquêtez sur d'autres ?
07:31 Je ne vous demande pas les noms, évidemment.
07:33 Non, mais nous, on n'a pas une liste des courses avec les hommes qu'on veut faire tomber.
07:37 Mais c'est aussi important de leur rappeler.
07:39 Après, bien évidemment, nous, on est ouvert aux femmes qui veulent apporter leurs témoignages,
07:44 ou aux hommes d'ailleurs, on encourage aussi les hommes dans les entourages de ces femmes à parler.
07:47 C'est très important.
07:49 – Et bien sûr, on continuera à enquêter, bien sûr.
07:51 – Merci Alice Augustin. – Je vous en prie.

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