Le Nouveau Passé-Présent - De l'Illiade à Marioupol : L'Europe, champ de bataille

  • il y a 7 mois
D'Actium à Waterloo, de Bouvines à Stalingrad, de grandes batailles ont scellé le destin des hommes et des nations. Longtemps assimilée à une approche événementielle et superficielle, l’histoire de la guerre fait depuis une dizaine d’années un retour en force. Il s’agit de réconcilier l’histoire-événement et l’histoire longue, l’une n’allant pas sans l’autre. Les batailles font partie de la mémoire collective des peuples, et comme l’écrit notre invité "c’est une évidence, elles ne laissent pas le même souvenir selon que vous serez vainqueur ou vaincu, selon l’évolution de la guerre et son dénouement, selon le temps écoulé aussi, telle ou telle bataille prendra une résonance particulière à chacun". Avec notre invité Laurent Schang, nous allons aborder la place de la bataille, des batailles dans l’histoire et répondre aux questions : Qu’appelle-t-on une bataille ? Pourquoi l’histoire la retient-elle ? Vaut-elle par son nombre de morts, son importance historique ou par ses traces dans la mémoire collective ?

La Revue d'Histoire Européenne : https://bit.ly/3HIZClA

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00:00 *Musique épique*
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00:07 *Musique épique*
00:09 *Musique épique*
00:36 Chers amis téléspectateurs de TVL, bonjour et bienvenue dans "Passé-présent",
00:40 votre émission historique présentée en partenariat avec la revue d'histoire européenne.
00:46 Longtemps assimilée à une approche événementielle et superficielle,
00:50 l'histoire de la guerre fait depuis une dizaine d'années un retour en force.
00:54 Il s'agit de réconcilier l'histoire-événement et l'histoire longue, l'une n'allant pas sans l'autre.
01:00 Les batailles font partie de la mémoire collective des peuples,
01:03 et comme l'écrit notre invité, c'est une évidence,
01:06 elles ne laissent pas le même souvenir, selon que vous serez vainqueur ou vaincu,
01:11 selon l'évolution de la guerre et son dénouement,
01:14 selon le temps écoulé aussi, telle ou telle bataille prendra une résonance particulière à chacun.
01:20 Notre invité c'est Laurent Chang, et nous allons aborder avec lui la place de la bataille, des batailles dans l'histoire.
01:27 Laurent Chang, bonjour.
01:29 Bonjour.
01:30 Vous êtes journaliste, écrivain, vous avez fondé les éditions Le Polémarque, spécialisé dans la littérature militaire,
01:37 et vous avez publié entre autres un remarqué Foyne-Rouche-Tête chez Perrin en 2020,
01:42 et également un opuscule sur Charles le Téméraire en 2022 chez Infolio,
01:49 et vous étiez venu nous en parler il y a quelques semaines.
01:52 Et vous tenez aussi, depuis plus de dix ans, la rubrique Champs de bataille,
01:56 chez notre confrère et ami Elément.
01:59 Depuis plus de dix ans, ça veut dire que le sujet est pratiquement inépuisable.
02:04 Ah oui.
02:05 Oui, là je dois arriver à ma 55e chronique, peut-être.
02:10 J'ai déjà des sujets pour la centième.
02:15 Oui.
02:16 Donc pour les dix prochaines années, vous êtes tranquille.
02:18 Ah oui, là je suis tranquille.
02:19 C'est-à-dire que, en plus, vous cantonnez aux batailles européennes.
02:23 À l'Europe.
02:24 Donc est-ce que ça veut dire que l'Europe est un vrai champ de bataille, on le sait,
02:28 mais est-ce que c'est le plus grand champ de bataille du monde ?
02:31 J'en suis absolument convaincu.
02:34 Il peut qu'ailleurs sur Terre, vous ayez eu des terres, des provinces, des royaumes
02:41 où ça s'est bien battu, mais ça n'a certainement pas laissé le même souvenir.
02:46 Il suffit de regarder, périodiquement, vous avez des sites anglo-saxons qui font cela.
02:54 Ils éditent des cartes sur lesquelles ils pointent les emplacements de bataille.
03:01 À toutes les époques, d'accord ?
03:03 Depuis l'Antiquité jusqu'à aujourd'hui.
03:06 L'Europe est constellée de points lumineux
03:10 comme si elle était photographiée depuis un satellite de nuit.
03:14 C'est le seul espace immergé sur Terre
03:20 à avoir, à ce point-là, été un lieu de concentration de bataille.
03:24 Donc oui, je suis absolument convaincu.
03:26 Que ce soit la plus grande bataille qui ait duré une journée entre 500 bonshommes ou...
03:29 Ou de la bataille monstre de plusieurs mois, comme Verdun, comme Koursk,
03:33 comme l'opération Bagration.
03:36 Oui, bien sûr.
03:38 Dans cette Europe, on va prendre de l'Europe, on voyait avec l'Urle l'Angleterre,
03:42 et l'Irlande, on va aller jusqu'à l'Oural.
03:47 Quels sont ces grands champs de bataille ?
03:50 Est-ce qu'il y a des constantes géographiques récurrentes ?
03:53 On le constate, effectivement, vous avez les zones de frontières.
03:58 Chez nous, ce qu'on appelle aujourd'hui, on ne dit même plus le Nord,
04:03 on dit le Haut de France, mais les frontières avec la Belgique,
04:08 Luxembourg et l'Allemagne sont vraiment des zones
04:12 où on s'est beaucoup battu.
04:15 Et pas seulement, d'ailleurs, depuis le XIXe siècle.
04:20 Vous avez également ce que moi j'appelle le triangle tchèque,
04:27 autour de la Tchéquie, la Tchécoslovaquie, l'ex-Tchécoslovaquie.
04:32 Vous avez aussi une vraie concentration de batailles, dont des batailles importantes.
04:36 En gros, si vous voulez, le long du Rhin et le long du Danube,
04:39 qui forment un angle droit, vous avez beaucoup de batailles.
04:42 Si vous voulez, les batailles, vous les retrouvez essentiellement
04:46 dans des régions où un intérêt économique se présente,
04:50 ou vous les trouvez dans des couloirs naturels de passage.
04:55 Comme par exemple, moi qui suis Lorrain, il va de soi que la Lorraine,
05:00 de par sa configuration géographique, et par la situation de l'Allemagne
05:05 vis-à-vis de la France, c'est le point de passage le plus simple,
05:09 le plus direct vers Paris. Donc là, évidemment,
05:13 si une bataille doit y avoir lieu, autant qu'elle soit le plus près
05:16 de la frontière possible, et donc c'est chez nous qu'elles ont eu lieu.
05:20 – J'imagine aussi qu'il y a des conflits… – J'imagine, je me situe bien…
05:23 – Il y a aussi des configurations géographiques qui se prêtent plus
05:26 à la bataille, les grandes plaines par exemple, ou la France, l'Europe…
05:29 – Oui, bien sûr, absolument, les grandes plaines sont…
05:33 D'ailleurs, c'était bien là, ça rejoint la fameuse théorie
05:37 du modèle occidental de la guerre développée par Hanson,
05:41 qui est que les Européens sont ceux qui ont conçu, théorisé,
05:46 mis en application la bataille rangée sur un espace…
05:50 – C'est-à-dire qu'il y a un modèle occidental de la guerre.
05:52 – C'est ce qu'il prétendait, effectivement, ce qu'il prétend,
05:54 mais d'ailleurs, c'est sa théorie tout à fait intéressante.
05:56 – Il en est d'où, déjà, de la Grèce antique ?
05:57 – Oui, absolument, c'est ça, qui remonterait à la Grèce antique,
05:59 qui pour des raisons diverses, imposait, en particulier le fait
06:04 qu'un soldat était un citoyen, donc il n'avait pas le temps
06:08 de se consacrer à la guerre toute l'année,
06:11 donc il fallait délimiter des périodes, si possible, hors des saisons agricoles.
06:19 Et là, on pouvait faire la guerre, et si possible dans des endroits…
06:23 – Pratiques.
06:24 – Pratiques, pour pouvoir se combattre rapidement,
06:26 sans dévastation, qui plus est, des terres agricoles.
06:30 – Alors, on parlait, je disais en préambule, que justement,
06:34 l'histoire de ces batailles était assez négligée.
06:36 Il y a un terme qu'on retrouve, qui est le terme d'histoire-bataille,
06:40 qui est, je suis même un temps assez péjoratif,
06:44 méprisé par la nouvelle école de la nouvelle histoire.
06:47 Qu'est-ce que c'est que l'histoire-bataille ?
06:49 Est-ce que c'est l'histoire des batailles, ou est-ce que c'est l'histoire d'une bataille ?
06:52 – Justement, c'est-à-dire que c'est un terme ou un concept qui est évolutif.
06:56 Ce à quoi s'en prenaient les tenants de la nouvelle histoire,
07:06 c'était que la bataille racontée depuis le moment où elle se déclenche
07:12 jusqu'au moment où elle se termine et où elle décompte des morts,
07:15 ça n'avait aucun intérêt.
07:17 Donc ça, c'était une histoire, effectivement, des batailles.
07:19 On peut concevoir que, à part d'un point de vue anecdotique,
07:22 ça ne raconte pas grand-chose sur l'époque où elle se situe.
07:28 Mais l'histoire-bataille, c'est au contraire une manière d'aborder la bataille dans son temps,
07:36 sous plusieurs aspects, sous l'aspect, bien sûr, militaire,
07:42 mais aussi l'aspect financier, l'aspect culturel, l'aspect géographique,
07:47 l'aspect, quand je disais militaire, ça peut être aussi bien
07:51 comment recruter les hommes, comment les armer, comment les entraîner,
07:56 qui était leur chef, quelles étaient les doctrines en vigueur à l'époque.
08:00 On ne fait pas la guerre sous les 14 comme on la fera sous le directoire.
08:07 Donc la guerre, la bataille, explique aussi,
08:11 la bataille est expliquée par son époque, mais elle explique aussi son époque.
08:16 Donc de ce point de vue-là, elle est un élément très intéressant,
08:19 je pense, de compréhension de son temps.
08:23 – Donc une bataille, est-ce que ça raconte quelque chose ?
08:26 – La bataille, elle raconte déjà.
08:29 – Quelque chose au regard de l'histoire longue ?
08:32 – Oui, bien sûr, parce que regardez, par exemple,
08:36 les exemples qu'il y a, c'est qu'il y en a tellement.
08:41 Une bataille, c'est la confrontation,
08:44 basiquement on va dire c'est la confrontation
08:46 entre deux chefs de guerre et deux troupes.
08:49 Mais ce qui… vous allez, à travers simplement ces deux personnages,
08:54 vous allez avoir deux conceptions différentes qui vont s'opposer.
08:58 On va pouvoir étudier comment ces personnages se sont développés,
09:03 comment ils en sont arrivés à devenir ce qu'ils étaient
09:06 et comment ils ont conçu leur approche de la bataille.
09:11 En dessous d'eux, vous avez les troupes.
09:14 On va voir comment ces troupes se sont comportées
09:17 et pourquoi elles se sont comportées comme elles l'ont fait.
09:20 Par exemple, on avait évoqué lors d'une précédente venue
09:28 les confrontations entre les bourguignons et les suisses.
09:32 Vous aviez d'un côté des troupes stipendiers,
09:35 très entraînés mais qui n'avaient pas d'initiative
09:41 et qui n'obéissaient qu'aux ordres de leur duc.
09:45 En face, vous avez au contraire des citoyens,
09:47 des hommes qui ne font la guerre que…
09:50 ils la font par plaisir d'ailleurs,
09:52 mais qu'ils la font pour s'enrichir et pour se défendre
09:57 et qui pour beaucoup d'entre eux n'ont pas de tactique
10:01 mais ont une rage de vaincre terrible.
10:04 Vous avez là le choc de deux conceptions
10:06 complètement différentes de la guerre.
10:08 On a vu que ce sont les suisses qui l'ont emportée
10:10 face aux bourguignons qui avaient des mérites
10:12 mais qui ont été totalement dépassés par la furie
10:18 des combattants d'en face.
10:20 – D'ailleurs, on voit que les suisses fonctionnaient
10:23 à peu près de la même façon que l'éoplythe grec.
10:25 – Oui, on retrouve aussi des constantes dans l'histoire.
10:28 Vous avez une époque où c'est la cavalerie,
10:33 qui va dominer et une époque où c'est au contraire l'infanterie.
10:39 Et puis après il y a l'évolution aussi de l'armement
10:42 qui va être déterminant.
10:44 Mais les suisses, effectivement, les carrés suisses,
10:49 comme plus tard les tercios espagnols,
10:52 réhabilitent effectivement le carré romain
10:54 qui lui-même hérite tout en l'améliorant
10:57 la phalange macédonienne qui elle-même est une adaptation,
11:01 une amélioration du carré oplytique des cités-états grecs.
11:05 – Voilà, pour revenir à l'étude…
11:08 – Il y a des constantes si vous voulez.
11:10 – Des constantes.
11:11 Pour revenir à l'étude de la bataille,
11:13 on se dit finalement ce qui est intéressant,
11:15 c'est ce qui s'est passé avant la bataille et après la bataille.
11:18 En quoi c'est intéressant de savoir que machin est arrivé,
11:20 par les droites, par les gauches, qu'est-ce que c'est…
11:22 – Ça, ça intéresse les historiens militaires, on est bien d'accord.
11:25 Ça intéresse les militaires eux-mêmes,
11:27 ça intéresse les historiens militaires.
11:29 Le domaine de la tactique est bien beaucoup plus restreint
11:33 que le domaine de la stratégie ou…
11:36 Alors, les domaines opératiques et tactiques,
11:38 on est d'accord que ça intéresse les passionnés,
11:41 comme votre serviteur, ou les militaires,
11:44 qui effectivement ont envie de comprendre…
11:48 – Ou en tirer de l'enseignement.
11:50 – Voilà, comment un tel a pu l'emporter sur tel autre, d'accord ?
11:54 Quels sont les stratagèmes qu'il a employés ?
11:57 Est-ce qu'on peut en tirer des leçons ?
12:00 Est-ce qu'on retrouve dans d'autres batailles un comportement similaire ?
12:05 Là, on est d'accord, on est plutôt…
12:07 on est chez les fanamilies, si vous voulez,
12:10 ce qui n'est absolument pas…
12:11 – Le peuple est pas plus géoratif.
12:13 – Maintenant, effectivement, si on veut élargir le spectre,
12:17 la stratégie intéresse beaucoup plus de monde déjà,
12:20 puisque la stratégie c'est la manière de conduire la guerre,
12:23 ça met en jeu ce que ne montre pas du tout, par exemple,
12:28 le Napoléon de Ridley Scott,
12:30 je ne veux pas y aller moi aussi de mon accusation,
12:33 beaucoup sur cette chaîne l'ont fait avant moi,
12:35 il n'y a pas besoin que j'intervienne dessus.
12:37 – Je ne fais pas d'émission dessus.
12:39 – Bon, Christopher Lannes, ses exprimations…
12:42 – Oui, c'est ça.
12:43 – Mais la stratégie, là, on est au-delà de la bataille,
12:52 parce que la bataille n'est qu'une des conséquences
12:56 des visées politiques d'un État,
13:01 et de la confrontation des ambitions contraires des États entre eux.
13:06 Comme disait Clausewitz quand il dit que la guerre,
13:08 c'est la continuation de la politique par d'autres moyens,
13:11 ce qui ne veut pas dire d'ailleurs que le politique doit s'effacer
13:14 devant le militaire, loin de là,
13:16 là, effectivement, ça intéresse tous les historiens,
13:19 parce qu'on est beaucoup plus dans la politique que dans le militaire.
13:24 Et en même temps, on revient à ce que je disais tout à l'heure,
13:29 cela fait entrer aussi en ligne de compte
13:33 les capacités économiques du pays,
13:37 le niveau intellectuel des hommes,
13:43 les relations qu'entretient un pays avec ses fournisseurs, etc.
13:49 Et puis ses propres ambitions, c'est-à-dire jusqu'où il est prêt à aller
13:53 pour obtenir ce qu'il désire.
13:56 – Donc une bataille, c'est aussi une histoire des mentalités d'une époque.
14:00 – Complètement.
14:01 Une bataille, c'est un instantané, finalement,
14:06 de deux armées et donc de deux pays, ou plus quand il y a des coalitions.
14:11 Exemple typique, la bataille de Jena à Oersted en 1806,
14:16 qu'on ne connaît pas forcément très bien,
14:18 mais qui est une victoire importante, écrasante de Napoléon sur la Prusse,
14:25 qui va être déterminante.
14:27 Première chose, Jena à Oersted, très intéressante,
14:29 c'est deux batailles en une.
14:33 Les Prussiens vont se prendre une véritable déculottée.
14:37 Les Prussiens vont arriver à la bataille,
14:39 un peu comme ils sont arrivés à Valmy d'ailleurs,
14:41 avec des armées organisées à l'ancienne,
14:46 c'est-à-dire comme un demi-siècle plus tôt,
14:49 Frédéric II, Frédéric le Grand les a organisées.
14:54 Mais les généraux prussiens de 1806 ne voient pas
14:59 qu'en phase 2 l'ennemi a changé.
15:05 L'ennemi, c'est l'ennemi révolutionnaire, c'est l'ennemi napoléonien,
15:08 c'est une armée de masse,
15:11 c'est une armée qui se soulève au nom de la patrie,
15:14 et d'idéaux, quoi qu'on en pense par ailleurs.
15:18 L'armée prussienne, elle, c'est une armée qui est engoncée
15:20 dans des principes vieux d'un siècle ou un demi-siècle,
15:23 et dont les généraux sont tellement sûrs que c'est la recette infaillible,
15:28 qu'ils se disent, il suffit qu'on applique à ce fréluquet de Napoléon
15:34 les méthodes qui ont fonctionné avec notre grand Frédéric,
15:37 et on va régler.
15:40 Les prussiens se rétablissent complètement,
15:44 et la Prusse est envahie par Napoléon.
15:47 Et là, c'est la fin, ce sera aussi d'ailleurs la fin du Saint-Empire
15:51 en Moyen-Germanique, mais ça va être une touche froide
15:54 pour les prussiens, ils vont s'apercevoir qu'il faut tout reconstruire,
15:57 y compris d'abord militairement, et c'est là que vont émerger
16:01 les Gneisenau, les Charnors, les Klausowitz,
16:04 et toute une autre, toute une pléiade de penseurs militaires prussiens
16:08 qui vont aboutir à ce qu'on a appelé ensuite l'école militaire prussienne
16:11 et à la rédaction de De La Guerre.
16:13 Et en 1812, le relèvement, le redressement de la Prusse,
16:17 d'abord avec des Allemands qui combattent, des Prussiens qui combattent
16:21 avec les Russes, et ensuite le roi de Prusse qui se retourne contre Napoléon.
16:27 Donc vous voyez, ça va beaucoup plus loin que simplement
16:31 des hommes qui se tirent dessus.
16:33 - Bien sûr. Alors d'ailleurs, est-ce que c'est difficile d'étudier une bataille ?
16:36 Parce qu'on a le plan de bataille prévu à l'avance par les généraux,
16:40 mais une bataille c'est le règne du chaos, de l'entropie,
16:43 rien ne se passe jamais comme prévu dans une bataille.
16:47 - Alors c'est d'autant plus difficile que souvent on n'a pas réellement les plans.
16:53 - Oui.
16:54 - Là...
16:55 J'ai un exemple qui me vient comme ça.
17:00 Jules César raconte Alésia, il le raconte à posteriori,
17:05 et on n'a pas de document écrit par Jules César au moment où il est devant Alésia
17:11 dans lequel il explique ce qu'il va faire.
17:13 Donc souvent on est obligé de croire, en tout cas de s'en remettre,
17:21 au témoignage à posteriori.
17:25 Et bien sûr, il n'empêche que, c'est là qu'est notre travail de critique, d'historien,
17:32 on prend jusqu'à un certain point ce qu'on nous donne,
17:38 et par ailleurs on voit quand même la bataille comme elle s'est déroulée,
17:44 donc on sait tout de même d'abord comment elle a été gagnée,
17:50 comment elle a été perdue, et quels moyens ont employés les chefs des deux côtés.
17:56 Donc on est quand même relativement bien servi.
17:59 Bataille de Fontenoy, par exemple, Maurice de Saxe a écrit à posteriori sur le sujet.
18:09 On a beaucoup de témoignages de part et d'autre.
18:13 On sait que ce qu'il dit était crédible.
18:19 Donc chacun a exercé son esprit critique ensuite.
18:22 Il y a une chose qui m'a toujours frappé, même lorsque je lis vos chroniques,
18:25 ou lorsqu'on lit des livres sur des batailles,
18:28 et surtout avec les schémas où on voit représenter les régiments,
18:31 les bataillons avec des petits carrés, avec des symboles suivant l'arme qu'ils représentent,
18:36 tout ça c'est très désincarné.
18:39 Et je dirais, j'employais un terme un peu à la mode,
18:42 quid du facteur humain, c'est-à-dire que la guerre, comme je disais, c'est le chaos,
18:45 mais c'est aussi la peur, c'est le courage, bien évidemment, qui motive.
18:50 C'est ça aussi qui fait le succès d'une bataille.
18:53 Ce n'est pas forcément des petits carrés qu'on met sur une carte.
18:55 - Bien sûr, mais il faut bien qu'on schématise ensuite, ou même avant d'ailleurs,
18:58 quand on veut préparer.
18:59 Quand les Alliés préparent le débarquement de Normandie,
19:05 pour représenter les centaines de milliers d'hommes qu'ils ont sous la main,
19:08 il faut bien qu'ils utilisent des pions.
19:11 Les Allemands vont faire la même chose aux batailles des Ardennes.
19:14 Enfin, toutes les armes fortes, tout le monde.
19:16 - On sait tout sur le bac à sable encore aujourd'hui.
19:18 - Tout à fait ça.
19:19 Maintenant, effectivement, si on fait un zoom avant, de manière cinématographique,
19:24 les pions vont se transformer en unité.
19:27 Et là, bien évidemment, c'est là qu'on entre…
19:33 Clausewitz parle beaucoup de ce facteur-là.
19:35 Il explique que la psychologie, le moral, est un des piliers à la guerre.
19:43 Mais Arden du Pic, Charles Arden du Pic, son fameux livre sur l'étude sur le combat,
19:48 c'est ça, c'est sa volonté.
19:50 Lui qui avait étudié en école les guerres du passé,
19:55 pour s'être battu, il a vu les deux aspects.
20:00 Il a vu l'aspect théorique et il a vu l'aspect pratique, concret.
20:03 Il a su ce que c'était de se faire dessus, d'avoir peur, d'avoir mal,
20:08 de voir des hommes autour de lui mourir, etc.
20:11 Il a vu que c'était le chaos en réalité, que Clausewitz aussi explique très bien d'ailleurs.
20:16 Clausewitz explique que ce qu'il y a de plus difficile chez le chef de guerre,
20:21 c'est de réussir à garder son sang-froid et de réussir à maîtriser ses troupes
20:26 et maîtriser sa compréhension de ce qui se passe sur le champ de bataille
20:32 au moment où la bataille se déroule.
20:36 Et Ardent Dupic écrit un très très beau texte justement sur tous ces aspects
20:41 qui interviennent et qui peuvent complètement faire changer le cours d'une bataille.
20:47 – On a des exemples de batailles par exemple où un DB digérant supérieur en nombre,
20:54 en équipement, peut craquer complètement parce que tout d'un coup,
20:57 il y a un phénomène de peur collective qui…
21:00 parce qu'il y a un courage, le courage il est collectif sur une bataille.
21:03 – Le courage il est entretenu aussi par les voisins,
21:07 le courage il est aussi entretenu par le fait qu'on ne veut pas…
21:09 – Voilà, c'est pas le mec tout seul qui parle, c'est les copains à côté.
21:11 – Le courage il est aussi entretenu par le fait qu'on ne veut pas être démérité
21:16 vis-à-vis de ses camarades, qu'on veut aussi montrer l'exemple.
21:21 – Mais quand ça crasse, ça craque.
21:23 Donc est-ce qu'on a des exemples de batailles comme ça
21:25 où finalement c'est la peur qui a fait gagner le camp de classe ?
21:28 – J'en ai pas qui me viennent à l'esprit.
21:30 J'ai des batailles où il est clair que la peur a déterminé le sort de la bataille,
21:41 mais ça ne voulait pas dire que…
21:43 Par exemple à Sedan, en mai 40, c'est à la fois le matraquage de l'aviation allemande
21:53 sur les troupes françaises qui sont sur la Meuse,
21:57 mais aussi l'accumulation de rumeurs qui vont faire que les français vont finir par se débander.
22:02 Néanmoins ils ont combattu, on ne pourra pas leur retirer ça.
22:05 Je n'ai pas d'exemple d'une armée qui se soit véritablement délitée.
22:10 – Au Moyen-Âge, on entend souvent le terme, effectivement l'armée se débande.
22:14 – En tous les cas, dans mes chroniques d'éléments,
22:17 je n'ai jamais écrit une chronique sur une non-bataille finalement.
22:21 – Voilà un défi.
22:23 – La bataille ça peut être aussi souvent un événement matrice
22:27 qui va provoquer un bouleversement, changer le cours de l'histoire.
22:34 Pour vous, quelle est la période les plus importantes ?
22:38 Celles qui ont vraiment fait basculer l'histoire ?
22:41 – C'est relatif quand même, c'est relatif parce que la bataille décisive,
22:46 celle qui change tout, d'abord au fil du temps,
22:55 on s'aperçoit et de la modernisation des armées,
22:58 et de l'amplification des armées,
23:03 ces batailles décisives deviennent de plus en plus rares.
23:06 Il n'y a plus de bataille décisive.
23:08 – Avant la petite bataille décisive, c'était un peu finalement
23:10 comme un grand ring de boxe.
23:11 – Voilà, la bataille décisive, c'est exactement ça.
23:13 Si la guerre était un duel entre des petites armées,
23:15 une bataille pouvait être décisive.
23:17 Mais vous voyez par exemple que les grosses défaites
23:19 des Français pendant la guerre de Cent Ans,
23:22 Poitiers, Cressy, Azincourt, sont des normes dégelées,
23:28 mais ce ne sont pas des batailles pour autant décisives.
23:31 Parce que finalement après il n'y aura pas T, etc.
23:34 Donc ce sont des batailles qui marquent leur temps,
23:37 ce sont des batailles qui vont…
23:39 parce qu'aussi les Anglais ne sont pas en mesure après de les exploiter.
23:42 Donc la bataille n'est décisive qu'à partir du moment où elle est exploitable.
23:45 Pendant la Première Guerre mondiale, pendant la Deuxième Guerre mondiale,
23:48 est-ce qu'on a vraiment des batailles décisives ?
23:50 Ludendorff disait le 8 août 1918 que c'était pour lui la fin,
23:54 quand effectivement le front a craqué face à l'offensive.
23:59 Mais cette bataille n'a pas été décisive parce que finalement
24:02 les Alliés se sont arrêtés avant d'entrer en Allemagne,
24:06 comme le souhaitait Foch.
24:07 Foch souhaitait une nouvelle offensive en novembre 1918
24:10 pour rentrer en Allemagne, ce qui aurait tout changé.
24:12 Là, elle aurait été décisive la bataille.
24:14 On ne peut pas dire que ça a été le cas.
24:16 Nancy, c'est une bataille aussi en 1477.
24:20 – Charles Temer, elle est rentrée les suivies.
24:22 – Voilà, Charles Temer, Nancy, c'est une bataille qui est décisive
24:24 parce que Charles Temer y trouve la mort.
24:27 Mais là on entre dans l'Ukrainie,
24:29 aurait-il pu se relever ?
24:32 Comment aurait-il fait ensuite si ça avait été une énième défaite ?
24:37 Donc, bataille décisive…
24:40 Je pense que bataille décisive, en tout cas effectivement à l'époque moderne,
24:45 même à partir déjà de la Renaissance, il y en a très peu.
24:49 Marignan ne va pas empêcher Pavie.
24:52 Les batailles napoléoniennes ne vont pas empêcher les Napoléons
24:56 d'échouer à la fin.
24:58 – Ou Waterloo est une bataille décisive.
25:00 – On peut dire que Waterloo est effectivement une bataille décisive.
25:04 – Est-ce que même Stalingrad est une bataille décisive ?
25:07 – Stalingrad est une bataille décisive certainement en ce que
25:12 là les alliés comprennent qu'ils ont repris le dessus.
25:17 Et que là vous avez une armée allemande complète qui a été éliminée,
25:22 qui a été anéantie, ce qui n'avait encore pas été le cas.
25:26 Et que là les alliés comprennent que les soviétiques ne reculeront plus désormais.
25:32 Et que la guerre a pris un nouveau tournant.
25:35 Donc oui on peut dire que c'est une bataille décisive.
25:37 Tout dépend de ce que vous entendez aussi par le mot décision.
25:39 – Mais non mais qu'il change vraiment, c'est-à-dire que si la bataille n'avait pas eu lieu,
25:42 les choses auraient continué.
25:43 – On peut dire que Waterloo dans ces cas-là met un terme au retour de Napoléon.
25:51 Effectivement, vous avez raison.
25:53 – Après il y a des batailles qui sont, j'allais dire des méga-batailles
25:58 à l'intérieur des petites batailles.
26:00 Par exemple la bataille de Normandie par exemple,
26:02 après le débarquement, elle n'est faite que de petites batailles.
26:05 – Oui mais parce que là aussi justement,
26:06 on entre vraiment dans l'ère du gigantisme avec le XXe siècle.
26:10 Bataille de la Marne, Bataille de la Somme, plus loin,
26:17 donc Bataille de Normandie, sur le front de l'Est,
26:21 alors là c'est gigantesque.
26:23 C'est une bataille de pays si vous voulez, que les opérations se déroulent.
26:27 Donc là effectivement, ça ne peut pas être une seule grande bataille,
26:31 mais vous avez une myriade, d'autant plus que ce sont des batailles
26:34 qui se déroulent sur des semaines voire des mois.
26:36 Donc la bataille de Verdun, février, octobre 1916,
26:41 vous avez plein de petites batailles à l'intérieur de la bataille.
26:45 Normandie, bien évidemment c'est pareil, la prise de camps,
26:47 vous avez des falaises, vous avez aussi, ne serait-ce que la prise des plages.
26:51 – Par plage, par blé, de l'ier et de l'eau.
26:53 – La prise des plages, bien entendu.
26:54 Plus vous avez d'hommes de toute façon à commander,
26:56 plus vous avez d'hommes à diriger et plus vous devez scinder les combats,
27:02 vous compartimenter les combats, même si l'objectif reste le même,
27:07 c'est quand même bien de vaincre, repousser l'ennemi
27:10 et là, dans ce cas présent, de s'implanter sur le territoire français.
27:13 – Alors, a contrario, est-ce qu'il y a des batailles historiquement neutres,
27:17 mais qui restent dans les mémoires ?
27:20 Quand je dis historiquement neutres, c'est-à-dire peu décisives finalement.
27:24 Des morts pour rien, presque.
27:26 – Moi, je n'en vois pas.
27:29 Là, à brûle pour poing, je n'en identifie pas.
27:32 Je n'ai pas le souvenir en tous les cas d'en avoir traité.
27:34 Des batailles qui n'aient pas été suffisantes,
27:36 oui, des batailles qui étaient presque des victoires à la Pyrrhus,
27:42 on en a beaucoup.
27:44 Chez moi, en Lorraine, la guerre de 1870, la guerre franco-prussienne,
27:48 on a fourni une bonne série d'exemples.
27:53 Ce sont des victoires allemandes, prussiennes allemandes, prusso-allemandes,
27:58 mais qui parfois ont coûté presque plus cher aux vainqueurs qu'aux vaincus.
28:04 Mais là, à l'arrivée, vous avez quand même Metz qui est assiégé,
28:10 vous avez quand même l'empereur qui se rend à Sedan,
28:13 et puis après vous avez la deuxième partie de la guerre
28:16 qui va se passer dans l'Ouest, où en fait la République…
28:19 Les prussiens ne s'en inquièteront pas à outre mesure.
28:24 Donc, neutre point que si vous voulez,
28:28 tout le monde se soit bien écharpé et que ça n'ait rien donné,
28:32 j'en ai pas qui me viennent à l'esprit comme ça.
28:34 – Alors, je disais en préambule, les batailles sont très peu enseignées,
28:41 mais est-ce que ce n'est pas une façon, finalement,
28:43 ça ne serait pas la bonne façon, une façon vivante,
28:45 d'intéresser les jeunes et de nous faire rentrer dans l'histoire,
28:49 à l'étude de la bataille ?
28:50 – Moi je crois, je crois vraiment, sincèrement,
28:52 si je prends mon propre cas, je m'excuserais,
28:55 mais je me souviens, ce qui a fait que je me suis passionné pour ça,
28:58 c'est que au collège, une fois, il a fallu que j'aille au tableau
29:03 parce que la professeure de français m'a demandé de lire ma rédaction,
29:08 devant la classe, et c'était une…
29:13 j'y parlais de la bataille de Verdun,
29:16 puisque j'y avais habité quelques années auparavant,
29:21 et pour moi ça a été le déclic d'ailleurs,
29:23 c'est là que je me suis dit, tiens, peut-être que j'ai quelque chose
29:27 du côté de l'écriture, donc oui, je suis absolument persuadé,
29:31 personne ne raconte plus une bataille qu'un écrivain, finalement,
29:33 si, vous avez bien sûr des historiens qui ont magnifiquement raconté les batailles,
29:37 vous avez John Keegan, vous avez Georges Duby,
29:41 qui ont très bien, vraiment magnifiquement raconté les batailles,
29:45 mais dans l'ensemble, ce sont quand même les écrivains qui racontent le mieux.
29:49 Patrick Rambaud raconte magnifiquement justement…
29:53 – La bataille.
29:54 – La bataille de… je ne sais plus laquelle c'est d'ailleurs…
29:56 – C'est pas Friedland ?
29:57 – Je crois, c'est ça, Friedland, vous avez raison,
30:00 Michel Bernard raconte magnifiquement aussi la campagne de 1812,
30:03 la campagne de 1814, pour rester dans le napoléonien.
30:07 La bataille c'est quelque chose de vivant,
30:11 c'est quelque chose qui effectivement fait entrer en jeu des intérêts froids,
30:21 des intérêts économiques, des intérêts financiers,
30:23 mais aussi, là c'est ce que vous disiez tout à l'heure,
30:27 c'est la confrontation d'hommes,
30:29 donc c'est le commerce le plus extrême qui soit,
30:33 à savoir où je reçois la mort, où je la donne.
30:37 Donc raconter une bataille c'est aussi effectivement…
30:40 on rejoint les grands textes…
30:42 qu'est-ce que finalement… c'est quoi l'Iliade ?
30:44 Si c'était une bataille développée sur 300 pages, jusqu'à d'ailleurs plus soif,
30:50 c'est exactement ça.
30:52 Et on continue de lire aujourd'hui l'Iliade,
30:55 on lit peut-être plus l'Odyssée, je ne sais pas,
30:57 c'est bien l'histoire d'une grande bataille.
30:59 Donc oui, je pense effectivement que ça peut être un moyen
31:02 de faire venir les jeunes vers l'histoire,
31:06 à condition qu'on leur montre après…
31:11 il ne faut pas s'arrêter à la bataille.
31:14 – Non, il faut montrer effectivement,
31:16 réaliser ce qui s'est passé avant.
31:18 Et alors pour vous, quel est le meilleur moyen aussi
31:20 de rentrer dans la bataille ?
31:21 Est-ce que c'est les musées,
31:22 ce sont les champs de bataille, les monuments commémoratifs ?
31:25 – Les cimetières, les reconstitutions historiques.
31:29 – Moi, les reconstitutions historiques, je ne suis pas…
31:32 – C'est vrai que parfois c'est surprenant.
31:36 – Oui, c'est-à-dire que ce sont des gens qui ont beaucoup de mérite,
31:39 mais qui souvent… enfin non, parce que j'en ai rencontré,
31:42 mais qui ont souvent dépassé l'âge limite autorisé
31:46 par le port de l'uniforme.
31:49 Donc, bon, peu importe, c'est exactement comme des simulations,
31:55 c'est comme des films.
31:56 En fait, on se donne l'impression de revivre,
31:59 mais bien sûr qu'on ne revit pas.
32:01 Vous pouvez vous promener en uniforme dans une tranchée de Verdun,
32:04 tant que vous n'entendrez pas siffler les balles,
32:06 tant que vous n'aurez pas les…
32:07 – On vous voit à côté un peu indécent même.
32:08 – Voilà, tant que vous n'aurez pas les…
32:10 Maintenant, quand c'est de la reconstitution,
32:12 quand c'est fait avec l'envie de commémorer, de rendre hommage,
32:16 non, je ne veux pas dire que ce soit indécent.
32:18 Mais quand on a envie de jouer à la guéguerre, là oui.
32:20 En plus de ce qui se passe en ce moment…
32:22 – J'avais rencontré une fois des gens qui jouaient…
32:24 – Au paintball peut-être.
32:25 – Au paintball à Verdun.
32:26 – Au softair, oui.
32:27 – Là, c'était indécent.
32:28 – Là, c'est indécent, là on est complètement dans l'indécent, oui.
32:30 Donc moi, non, la reconstitution ne m'intéresse pas plus que ça.
32:33 Par contre, bien sûr, oui, ça,
32:35 et d'ailleurs c'est la base de ma chronique dans "Eléments",
32:38 c'est d'abord on voit sur place.
32:41 D'abord, chaque article est une forme de rétex.
32:44 Et d'abord, on voit le champ de bataille, le musée, le Caïchéan, les cimetières.
32:50 Et on y va avec les livres, les cartes.
32:55 Et puis après, au retour, on grossit encore d'autres lectures
33:01 qu'on peut faire dans les bibliothèques ou dans les archives militaires.
33:07 Et puis après, un article vient.
33:09 Donc oui, je pense qu'il faut aller sur place.
33:11 – D'ailleurs, on s'aperçoit qu'il y a des lieux qui ont très peu changé, finalement, parfois.
33:14 – Ah oui ?
33:15 – On retrouve toujours les mêmes petits bois, les mêmes champs, les mêmes routes.
33:17 – Ah oui, oui, soit là, la Montagne Blanche, par exemple,
33:20 qui est la première grande bataille de la guerre de 30 ans,
33:24 qui est à côté de Prague.
33:27 C'est toujours là, vous avez toujours effectivement la même plaine,
33:31 avec la même colline, rien n'a bougé.
33:34 Chez moi, en Lorraine,
33:36 bon, le site de Verdin, c'est une nécropole nationale,
33:38 donc évidemment, ça ne bouge pas.
33:39 Mais les champs de bataille de Reusenville, Gravelotte, Saint-Privat, Mars-la-Tour,
33:45 pareil, ce sont toujours des champs.
33:47 Effectivement, ça n'a pas bougé.
33:49 Turquheim, en Alsace, ce sont toujours les mêmes vignes, etc.
33:57 Je peux les multiplier à l'infini.
33:59 C'est assez rare, finalement, que, en tous les cas,
34:02 depuis que je tiens cette chronique,
34:04 il est assez rare que j'ai été déçu en trouvant,
34:10 autre exemple très intéressant, Wagram.
34:12 Parce que Wagram, là, vous êtes déjà dans un champ de bataille
34:15 où les généraux n'embrassent plus la totalité du champ de bataille.
34:21 C'est tellement vaste, c'est 1809,
34:24 c'est tellement vaste qu'il faut des estafettes pour leur indiquer,
34:29 et puis bien sûr des binoculés,
34:31 des longues vues pour qu'ils puissent embrasser la totalité du champ de bataille.
34:35 C'est pratiquement resté identique.
34:37 C'est resté des terres agricoles.
34:41 C'est vraiment rare que je sois déçu en tombant sur une zone industrielle et commerciale
34:47 ou sur des lotissements.
34:49 Ça m'est arrivé, mais là, je n'en ai pas...
34:52 - Ça arrive presque pour la bataille de Nancy.
34:54 - Oui, ben voilà. Merci de venir à mon secours.
34:57 Parce qu'effectivement, là, bataille de Nancy,
35:01 aujourd'hui, tout est effectivement recouvert par des lotissements,
35:04 des lotissements ou des quartiers d'habitation.
35:07 - Alors nous allons conclure cette émission avec une question.
35:10 Avez-vous une bataille préférée ?
35:12 Il faut m'expliquer pourquoi, également.
35:16 - Vous citiez la bataille de Nancy.
35:18 Je veux bien avouer que...
35:20 D'ailleurs, j'en ferai un livre, tout à l'heure.
35:24 Bataille de Nancy, c'est vraiment une bataille que j'aime beaucoup.
35:27 Pourquoi ? Parce que d'abord, j'habite à Nancy.
35:30 Et j'ai qu'à sortir de chez moi.
35:32 Et en moins de 10 minutes, je suis sur ce qui fut le champ de bataille.
35:36 - Oui.
35:37 - Donc j'ai l'impression...
35:38 - Vous vous représentez, quand même.
35:39 - Ah oui, ça, par contre, évidemment, il faut faire un effort.
35:41 Je suis d'accord avec vous.
35:43 Mais je suis parmi mes héros, quoi.
35:46 René II, Charles Temeraire.
35:48 Donc cette bataille-là m'intéresse beaucoup.
35:51 Et sinon, je dirais la bataille de Gravelotte-Saint-Privat.
35:54 Ou la bataille de Verdun.
35:56 En fait, c'est très subjectif, parce que ce sont des lieux où j'ai habité.
36:00 Moi, si je suis venu à ce sujet, c'est parce que...
36:05 Durant toute mon enfance, au gré des déménagements de mon père,
36:08 je me suis retrouvé...
36:10 Nous, nous sommes retrouvés sur des champs de bataille,
36:12 à Joux-de-Cité des cimetières militaires.
36:14 Et donc, dès l'âge de 6 ans, 7 ans, au lieu d'aller jouer au foot,
36:18 je suis allé me promener et j'ai ramassé un éclateau bu par-ci,
36:21 un bouton de cuivre par-là.
36:23 C'est comme ça que c'est né.
36:25 Donc je dirais, oui, Verdun, certainement.
36:27 Gravelotte-Saint-Privat, puisqu'en France, on sépare souvent les deux.
36:30 En Allemagne, ils ont raison, c'est la même bataille.
36:33 Parce que la bataille de Gravelotte-Saint-Privat,
36:35 ça commence à Gravelotte, ça se détermine à Saint-Privat.
36:39 Et puis sinon, la bataille de Nancy.
36:41 Donc trois époques complètement différentes.
36:43 Mais je dirais que ce sont mes préférées et elles sont chez moi.
36:45 - Bien. Alors, Jean-Luc, merci.
36:47 Je renvoie nos téléspectateurs à vos chroniques dans "Eléments"
36:49 tous les deux mois.
36:51 Et puis, au livre, toujours des ouvrages en prévision ?
36:56 - Alors, j'ai un nouveau général allemand qui est sur le feu.
37:00 Sur "Perstitions", je ne vais pas lire lequel.
37:02 - D'accord.
37:04 - Comme je vous disais, je travaille véritablement
37:06 à une bataille de Nancy.
37:08 Et à la nouvelle librairie, nous réfléchissons à...
37:11 Il y a un recueil de nouvelles d'histoire militaire qui va paraître.
37:14 Et nous réfléchissons à la publication d'un premier volume
37:20 des 50 premières chroniques.
37:22 Je voulais aller jusqu'à 100, mais ça ferait un trop gros...
37:26 Trop gros tome.
37:28 Donc ils m'ont dit, peut-être, voilà.
37:30 Mais à déterminer encore la date. C'est pas prévu.
37:32 - Bien. Eh bien, écoutez, merci infiniment.
37:34 Vous allez retrouver maintenant Christopher Lanne
37:36 et la petite histoire, peut-être une bataille.
37:38 Et puis, n'oubliez pas de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo
37:42 et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
37:44 Merci et à bientôt.
37:46 - Je vais vous parler aujourd'hui d'une bataille importante,
37:54 qui a été très importante, capitale dans l'histoire de l'Europe,
37:58 dans l'histoire de la chrétienté.
38:00 Il s'agit d'une grosse, une bien grosse bataille navale,
38:03 la bataille de Lépente,
38:05 qui a opposé la flotte de la Sainte Alliance
38:08 à celle de l'Empire Ottoman.
38:10 À l'époque où l'Europe se défendait encore.
38:12 Mais bon, voilà, ça c'est autre chose.
38:14 C'est parti !
38:16 [Générique]
38:42 Comme d'habitude, commençons évidemment par le contexte
38:45 qui a amené à cette bataille.
38:47 Parce que la bataille de Lépente engage la 4ème guerre vénéto-ottomane
38:51 entre la République de Venise et l'Empire turc ottoman.
38:56 C'est une bataille pour le contrôle de la Méditerranée orientale,
38:59 puisque, après la prise de Constantinople par les Turcs,
39:03 Venise, la République de Venise, était la seule grande puissance chrétienne
39:07 qui régnait encore dans cette région.
39:09 La République de Venise comptait alors un certain nombre de places fortes,
39:12 de comptoirs commerciaux,
39:14 mais la puissance commençait à être affaiblie par l'expansion ottomane.
39:18 Parlons justement de l'Empire ottoman.
39:20 L'Empire ottoman est gonflé à bloc à l'époque,
39:22 puisqu'il est encore sous le coup de sa victoire à Djerba
39:26 contre la flotte catholique en 1560.
39:28 Le prochain objectif des Ottomans dans leur conquête de la Méditerranée,
39:32 c'est Chypre.
39:33 Et c'est pourquoi dès 1570,
39:35 l'Empire turc se lance à la conquête de cette île.
39:38 La capitale Nikosie est rapidement prise,
39:41 mais une place forte résiste jusqu'en 1571,
39:44 Famaguste.
39:46 Et après négociation de la rédition de la ville,
39:48 les troupes vénitiennes qui étaient en garnison à l'intérieur
39:51 vont être lâchement massacrées par les Turcs,
39:54 et c'est là notre point de départ de la formation de la Sainte Ligue.
39:58 La Sainte Ligue est formée l'année même, en 1571,
40:02 et son but officiel est de lutter contre la menace turque
40:05 et contre l'expansion ottomane.
40:07 Elle est le fruit des négociations diplomatiques
40:10 menées par le pape Saint-Pycinque,
40:12 qui regroupe les états pontificaux,
40:14 les états de Habsbourg d'Espagne,
40:16 de Naples, de Sicile,
40:18 les cités-états de Gênes et de Venise,
40:20 le duché de Savoie,
40:22 et les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem,
40:24 souverain de Malte.
40:25 La France ne participe pas à cette bataille
40:27 pour au moins trois raisons.
40:29 La première, c'est qu'elle sort tout juste d'une guerre civile
40:31 entre catholiques et protestants,
40:33 donc il y a d'autres priorités.
40:35 La seconde, c'est que la flotte française en Méditerranée
40:37 est quasiment inexistante,
40:39 et la troisième, c'est que la France
40:41 mène depuis François Ier
40:43 une politique anti-Habsbourg,
40:45 qui a vu d'ailleurs François Ier
40:47 s'allier avec le Grand Turc, si vous vous rappelez
40:49 de l'épisode de la petite histoire sur le sujet.
40:51 La Sainte-Ligue va donc se mettre en place
40:53 et se former dans le but de détruire
40:55 la flotte ottomane en Méditerranée.
40:58 La flotte catholique rencontre
41:00 la flotte ottomane aux environs de Lépente,
41:02 elle est commandée par Don Juan d'Espagne,
41:04 quant à la flotte ottomane,
41:06 elle est commandée par Ali Pacha.
41:08 Concernant les forces en présence,
41:10 les Turcs ont la supériorité numérique,
41:12 230 galères environ,
41:14 et environ 120 navires légers,
41:16 et la Ligue catholique compte
41:18 208 galères et 6 galéas.
41:20 On va y revenir.
41:22 Parce qu'avant de vous parler de la bataille,
41:24 j'aimerais vous parler des galères
41:26 et de comment se déroulait ce genre de bataille.
41:28 Pour dire un mot des flottes de l'époque,
41:30 ce qui est intéressant, c'est qu'elles n'avaient pas
41:32 beaucoup changé par rapport à l'Antiquité,
41:34 et d'ailleurs la bataille de Lépente peut être mise en parallèle
41:36 avec la bataille de Salamine
41:38 qui avait été menée en 480 avant J.-C.
41:40 Les embarcations dont on se sert
41:42 sont des galères,
41:44 donc des navires à rame,
41:46 c'est beaucoup plus manœuvrable qu'avec les voiles,
41:48 et elles sont similaires à celles
41:50 dont les Grecs et les Perses
41:52 se sont servis pour s'affronter à Salamine.
41:54 L'abordage reste le moyen de combat principal,
41:56 et comme dans l'Antiquité,
41:58 on combat en ligne, une aile flanquant la côte,
42:00 le but est de briser le centre
42:02 de l'adversaire pour
42:04 envelopper son aile côté large.
42:06 Pour dire un mot des galères,
42:08 à la fin du XVIe siècle, elles mesurent
42:10 environ 47 mètres de long sur 6 de large,
42:12 c'est une moyenne.
42:14 Elles comprennent 250 hommes de churme,
42:16 c'est-à-dire les rameurs,
42:18 120 matelots et environ 50 soldats.
42:20 Elles disposent d'entre
42:22 3 et 5 canons de proue
42:24 tirant de chasse, c'est-à-dire
42:26 vers l'avant. Alors la vie à bord d'une galère
42:28 est épouvantable,
42:30 du fait de l'exiguïté des lieux,
42:32 le churme dort, mange
42:34 et même défèque sur son banc.
42:36 Et c'est dire, à l'époque,
42:38 on disait qu'on sentait une galère
42:40 arriver avant de la voir.
42:42 Mais ça, cette anecdote, c'est cadeau.
42:44 Je vous ai parlé tout à l'heure de la Galleas.
42:46 La Galleas, c'est un navire plus gros
42:48 que la galère, donc il est moins manœuvrable,
42:50 mais il compense sa faible
42:52 manœuvrabilité par une puissance de feu
42:54 extraordinaire pour l'époque.
42:56 Car il a également des canons de proue
42:58 comme les galères, sauf que lui, il en a
43:00 8, mais il a également des pièces
43:02 latérales, qui est une innovation
43:04 majeure pour l'époque. La Galleas
43:06 est plus haute qu'une galère ordinaire,
43:08 ce qui la rend plus difficile
43:10 à aborder et plus efficace dans les
43:12 abordages. A les pentes,
43:14 la flotte catholique compte
43:16 6 galleas, et ça va jouer un rôle
43:18 décisif dans la bataille. D'ailleurs,
43:20 on va parler de la bataille tout de suite. Cette bataille
43:22 va durer 5 heures. Côté
43:24 flotte catholique, eh bien, on a mis
43:26 les galères en ligne et les 6 galleas
43:28 en avant. Et les turcs, qui sont
43:30 en supériorité numérique, je le rappelle,
43:32 vont s'évertuer, durant
43:34 toute la bataille, à essayer de contourner
43:36 ces galleas. Sans succès,
43:38 elles vont leur infliger des dégâts considérables.
43:40 Les 6 galleas
43:42 vénitiennes vont détruire
43:44 près de 70 galères turques.
43:46 Les turcs, qui sont de très bons marins,
43:48 se sont très bien battus malgré tout,
43:50 et d'ailleurs, on peut mettre à leur tableau
43:52 d'honneur la capture de la galère
43:54 des chevaliers de l'ordre de Malte.
43:56 A 15h, les chrétiens sont
43:58 victorieux et Ali Pacha,
44:00 commandant de la flotte turque, est mort.
44:02 Il y a plusieurs facteurs qui
44:04 expliquent cette victoire
44:06 catholique sur les turcs, alors
44:08 qu'ils étaient en infériorité numérique.
44:10 On peut citer les galleas, je vous l'ai
44:12 dit, qui ont eu un rôle décisif,
44:14 la dotation en artillerie, qui est supérieure
44:16 côté catholique, l'équipement
44:18 individuel, qui est aussi supérieur
44:20 du côté de la Sainte-Ligue,
44:22 et enfin, la supériorité
44:24 des fantassins espagnols qui ont été
44:26 décisifs dans les abordages.
44:28 Au final, c'est une victoire écrasante
44:30 pour les catholiques, qui n'auront eu
44:32 à déplorer que 8000
44:34 morts contre 30 000 côté turc.
44:36 Un témoin oculaire de l'époque
44:38 dira "la mer était entièrement couverte
44:40 non seulement de mâts, de vergues,
44:42 de rames brisées, mais aussi
44:44 d'innombrables cadavres qui
44:46 rendaient l'eau rouge comme du sang."
44:48 Pour prévenir la reconstitution d'une flotte
44:50 ottomane, tous les marins turcs
44:52 capturés ont été exécutés.
44:54 Sans amalgame, hein, mais...
44:56 Voilà. C'est une victoire pour les catholiques,
44:58 je l'ai dit, une victoire écrasante
45:00 même, mais son succès reste limité.
45:02 D'ailleurs, Chypre va rester aux mains des
45:04 turcs. Néanmoins, ça va marquer
45:06 un coup d'arrêt décisif
45:08 à l'expansion ottomane en
45:10 Méditerranée. Voilà, j'espère avoir
45:12 résumé et bien résumé cette bataille
45:14 de l'Epente, qui a été une bataille décisive
45:16 et importante dans l'histoire de l'Europe
45:18 et de la chrétienté. Là, je vous parle d'une
45:20 époque où l'Europe se défendait encore, hein.
45:22 On peut en parler, il ne nous reste plus que ça.
45:24 Merci de m'avoir écouté. Si ça vous a
45:26 plu, le partage, le pouce
45:28 bleu, comme d'habitude, et je vous dis à
45:30 bientôt pour un nouvel épisode sur
45:32 TV Liberté.
45:34 [Musique]
45:53 [Musique]

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