« Pour moi, il y avait le monde de la maison et le monde de l'école » Sans filtre avec Grace Ly
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ÉducationTranscription
00:00 Chez moi, dans la famille dans laquelle je grandis,
00:02 c'était beaucoup plus simple de mettre nos émotions dans une assiette
00:05 que de les dire à table.
00:06 On avait une forme de timidité ou de pudeur, ça se faisait pas.
00:10 Je m'appelle Grassley, je suis autrice, podcasteuse et activiste.
00:14 Je suis la scénariste de livre pour enfants "Est-ce que tu as faim ?"
00:17 qui est illustrée par Melody Oong.
00:19 C'est l'histoire d'Anahi et sa grand-mère.
00:22 Sa grand-mère ne lui dit jamais "je t'aime"
00:24 mais elle commence toujours par lui demander "est-ce que tu as faim ?"
00:26 Moi j'ai grandi en France avec ma grand-mère qui est d'origine du sud de la Chine.
00:34 Elle parlait une langue différente,
00:36 je savais que c'était une langue que je ne parlais pas à l'école.
00:38 Elle faisait aussi à manger pour nous à la maison
00:41 et je savais aussi que c'était des plats que je ne retrouvais pas à la cantine.
00:45 Cette histoire est un peu en son honneur, à sa mémoire.
00:49 J'ai mis beaucoup de temps à comprendre que tout ce qu'elle faisait
00:52 c'était des manières de nous dire qu'elle nous aimait.
00:54 Ce n'était pas les mêmes manières d'expression
00:58 que je pouvais voir dans des livres, dans des films,
01:01 ou même à la sortie de l'école.
01:03 Mais ce n'était pas moins fort de sa part.
01:06 Je pense qu'il y a plein d'autres manières de dire "je t'aime".
01:09 Quand moi-même je suis devenue mère,
01:11 je n'étais pas en train de dire "je t'aime, je t'aime, je t'aime"
01:13 à chaque fois que je faisais quelque chose.
01:14 Mais c'est évidemment de l'amour que j'exprime à leur endroit.
01:16 En France, comme dans beaucoup de pays,
01:19 comme en Chine et le Cambodge, d'où sont venus mes parents,
01:22 s'unir par la nourriture, c'est un moment qui est vraiment essentiel.
01:27 C'est beaucoup plus simple de mettre nos émotions dans une assiette
01:30 que de les dire à table.
01:31 On avait une forme de timidité ou de pudeur, ça ne se faisait pas.
01:34 Il peut y avoir une forme de barrière de la langue.
01:36 Moi, je ne parlais pas la même langue que ma grand-mère.
01:38 Je ne comprenais pas exactement ce qu'elle voulait dire.
01:40 Il n'y a pas de hiérarchie, il n'y a pas une manière qui serait la meilleure.
01:44 En fait, chacun, chacune, va composer avec sa personnalité,
01:49 l'environnement dans lequel elle ou il vit.
01:52 C'est ça qui est bien aussi, c'est comme un énorme buffet à volonté
01:55 où on pourrait se servir de ce qui nous plaît, ce qui nous convient.
01:58 Je pense que c'est vraiment un moment magique, le moment de la lecture du soir.
02:02 Mais au-delà de la lecture plaisir, je pense que le message que porte ce livre,
02:07 c'est aussi un message, c'est une forme d'acceptation
02:10 de toutes les composantes de notre société.
02:12 Je pense que la question de la représentation est très importante.
02:15 Ce livre met en avant des personnages qui sont d'origine est-asiatique.
02:19 Quand mes enfants grandissaient, j'ai cherché des livres qui pouvaient
02:23 non seulement ouvrir leur imagination, les faire voyager,
02:27 mais aussi les représenter, leur offrir un reflet de leur propre image,
02:32 et une image qui ne soit pas déformée.
02:35 Ça commence dès les lectures pour enfants du plus jeune âge,
02:40 qu'on doit prendre le soin de montrer le monde tel qu'il est aujourd'hui.
02:43 Ce qui est beau avec la question de la littérature et des arts en général,
02:48 lorsqu'on la partage avec nos enfants, c'est qu'on regarde ensemble une partie du monde.
02:53 C'est une vision qu'ils gardent, c'est une vision qui va façonner leur manière
02:57 d'appréhender leur environnement.
02:59 Et lorsque l'on choisit des livres, on les choisit parce qu'ils ont un sens pour nous.
03:04 Le monde dans lequel nos enfants vivent, c'est un monde où il y a énormément de diversité,
03:09 où il y a énormément de richesse.
03:11 Quand on est parent, on est prescripteur pour nos enfants.
03:13 Ce qu'il y a après, c'est le dialogue qu'on peut nouer autour du livre,
03:16 les réflexions que nos enfants peuvent mûrir.
03:18 Dans le livre, il y a une scène où Anaïs se retrouve au milieu de ses camarades,
03:24 et les camarades lui posent des questions sur sa grand-mère,
03:27 pourquoi elle fait un baiser par le nez plutôt qu'un baiser avec les lèvres.
03:32 C'est un baiser respiré, comme ma grand-mère me faisait.
03:35 Et on voit que le personnage d'Anaïs est gêné, elle rougit,
03:40 peut-être qu'elle est mal à l'aise.
03:42 Cette scène est là aussi parce que ça peut être un support de discussion pour nos familles,
03:48 de dire "Est-ce que ça t'est arrivé ? Qu'est-ce que tu penses qu'elle ressent à ce moment-là, Anaïs ?
03:54 Est-ce que tu as déjà vu quelqu'un dans cette situation-là ?
03:56 Est-ce que toi, tu as été dans cette situation-là ?"
03:58 Juste pour ouvrir le dialogue et pour ensuite éviter que ce malaise-là ne s'installe.
04:03 Parce que c'est un sujet difficile, la question de la différence.
04:07 Bien sûr que nous sommes toutes et tous différents, mais le traitement de la différence n'est pas la même.
04:11 Je pense que très petite, j'avais conscience qu'il y avait le monde de la maison et le monde de l'école.
04:19 Je les croyais imperméables, en fait.
04:21 À travers le regard de mes camarades, j'ai peut-être eu des réactions, des moqueries,
04:28 qui prenaient pour objet les langues que je parlais à la maison ou la nourriture que je mangeais.
04:34 Et ça a pu créer un malaise pour moi.
04:37 Je me souviens que je n'en ai pas parlé quand j'étais plus petite,
04:40 parce que je croyais que mes parents ne pouvaient pas comprendre.
04:42 Ça a généré de la honte, une forme de rejet de mes origines.
04:45 C'est-à-dire que mes parents me parlaient en chinois et je répondais en français.
04:48 C'est une richesse de pouvoir parler plusieurs langues.
04:52 Mais petite, je ne saisissais pas l'importance de ces multiples cultures qui composaient mon identité.
04:57 Et le travail que je mène aujourd'hui, il vise aussi à soulager mes propres enfants
05:01 pour ne pas qu'elles nous pèsent, pour ne pas qu'elles soient une charge sur nos épaules
05:06 et qu'il n'y ait pas de forme d'isolement.
05:08 La différence, elle est partout et il faut pouvoir en parler avec les gens qui peut-être l'auraient vécue
05:14 ou peut-être qui auraient des solutions à proposer.
05:17 [Sous-titres réalisés par la communauté d'Amara.org]