• il y a 10 mois
Découvrez la conférence "Le Post Partum : La grande claque" en replay, avec Anna Roy et Camille Froidevaux-Metterie !
Transcription
00:00 [Musique]
00:09 Bonjour à toutes et à tous. Il y a quelques papas peut-être.
00:14 On en voit, oui oui on en voit.
00:16 Merci d'être si nombreux pour assister à cette première conférence de la journée.
00:20 Je me représente, je m'appelle Catherine Haku-Boisise,
00:23 je suis journaliste pour Parents.
00:25 Et donc nous allons ce matin parler postpartum.
00:28 On va essayer de ne pas en parler de façon médicale et détachée.
00:32 On va plutôt être dans l'émotion ce matin et évoquer, comme le disait Anaïs,
00:37 cette période si compliquée pour nous.
00:40 Les chamboulements physiques, psychologiques, le stress,
00:43 la pression que l'on ressent parfois.
00:45 Et donc pour cela on a invité deux grandes expertes de la question.
00:49 Anna Roy, qu'on ne présente plus,
00:52 qui officie depuis de longues années à la Maison des Maternelles,
00:56 qui est auteure d'une grande quantité d'ouvrages sur le sujet,
01:00 dont le célèbre "Le postpartum dure trois ans".
01:04 Voilà, pour celles qui débutent leur postpartum.
01:07 Elles en ont encore pour un moment.
01:09 On a aussi le plaisir d'accueillir Camille Froidevaux-Métry,
01:13 qui est philosophe, qui est chercheuse et professeure en sciences politiques.
01:17 Son dernier essai s'appelle "Un si gros ventre".
01:21 Et il est très très intéressant, il nous renseigne sur le regard en fait
01:25 des femmes sur le regard qu'elles portent sur leur propre maternité,
01:29 mais aussi tout ce que la société fait peser comme injonction encore
01:33 sur notre pauvre petit corps.
01:36 À la fin de cette conférence, on prendra un temps pour écouter toutes vos questions.
01:40 Donc moi je vous conseille de les noter peut-être sur votre smartphone
01:44 ou bloc notes pour ne pas oublier au moment venu.
01:47 Voilà, on va commencer.
01:49 Moi j'avais très envie pour cette première question
01:53 de vous donner un chiffre qu'on a obtenu en faisant une grande enquête chez PARENT,
01:58 qui est le suivant.
02:00 76% des mères ont vécu un postpartum difficile.
02:04 76%.
02:06 Donc comment vous, toutes les deux déjà, vous avez vécu votre postpartum ?
02:12 Laquelle veut prendre la parole en premier ?
02:14 Et nous racontez un peu son expérience personnelle,
02:17 parce que ça me semble important de commencer par là, par du vécu.
02:20 Oui, bonjour à toutes et tous.
02:22 Merci à PARENT de cette invitation.
02:24 Je travaille en effet dans une perspective philosophique,
02:27 mais je fais aussi des enquêtes.
02:29 Mon livre "Un si gros ventre" qui se sous-titre "Expérience vécue du corps enceint"
02:34 m'a permis de rencontrer une trentaine de femmes dans leur dernier trimestre de grossesse.
02:38 Et pour ma part, j'ai vécu quatre grossesses et j'ai eu deux enfants.
02:42 C'est comme ça que j'aime dire les choses,
02:44 parce que c'est les grossesses qui comptent dans une vie de femme aussi.
02:48 Et pour ce qui est des postpartum,
02:52 eh bien je vais commencer un peu dramatiquement,
02:55 puisque suite à un accouchement particulièrement compliqué
02:59 durant lequel j'étais sous anesthésie générale pour mon premier enfant,
03:02 le retour à la maison a été rude.
03:05 Et j'ai, au bout de deux, trois mois, accepté le diagnostic de la médecin qui me suivait,
03:11 qui était un diagnostic de dépression du postpartum,
03:14 que j'ai dû soigner pendant près de deux ans.
03:17 Tout s'est évidemment très bien terminé et très bien passé.
03:21 Mais je crois que c'est en effet très important de parler de la santé mentale des femmes enceintes
03:25 comme des femmes en postpartum.
03:27 Et sans parler de la dimension médicale, mais puisque vous évoquiez les émotions,
03:32 c'était une des choses qui étaient centrales dans le travail que j'ai mené pour mon livre,
03:36 c'était de faire entendre la voix de celles qu'on entend quasiment jamais.
03:41 Donc les femmes enceintes et les femmes au sortir de l'accouchement,
03:44 puisque un tiers des femmes que j'ai rencontrées ont accepté de faire un deuxième entretien après leur accouchement.
03:49 Et quand on entend et qu'on écoute surtout ces voix de femmes,
03:52 ce que l'on recueille, c'est beaucoup de choses très ambivalentes
03:56 et on aura l'occasion d'y revenir pendant cette discussion.
03:58 Et vous Anna, quels ressentis ?
04:00 Alors moi c'est un peu bizarre parce que je pense que j'étais la personne la mieux préparée de France
04:04 parce que ça faisait dix ans que j'accompagnais des femmes et des hommes en postpartum.
04:08 Mais quelque part c'est bizarre parce que je me disais que je serais peut-être un peu la plus forte.
04:15 Et puis en plus en termes de fatigue, je m'étais dit "t'as fait la fête, t'as fait des milliards de gars,
04:19 donc quelque part tu vas performer".
04:22 Et donc moi je me suis pris une grande claque.
04:25 Les deux choses qui ont été les plus difficiles pour moi,
04:28 ça reste des expériences assez positives, mais il y a deux choses qui ont été très difficiles,
04:32 c'est le deuil de la personne que j'étais avant, que j'aimais beaucoup moi,
04:36 c'était la personne qui était légère, qui pouvait agir sans se préoccuper de presque rien d'autre que soi-même.
04:43 Et la deuxième chose que j'ai trouvée très difficile, c'est la fatigue.
04:46 Et moi la fatigue pour moi c'est le nerf de la guerre.
04:49 Après avec mes patients, de toute façon on le voit, chaque expérience de postpartum est différente.
04:54 Mais moi c'était plutôt heureux. Alors par exemple je détestais être enceinte,
04:57 ça a été vraiment une expérience absolument horrible pour les deux grossesses.
05:00 J'ai absolument détesté être enceinte, le facteur limitant.
05:03 J'étais horreur de ça, mais les postpartum ça va, on va dire ça va.
05:07 Dans votre livre, ce qui m'avait frappée, c'est que vous comparez la naissance au deuil,
05:12 au sens où ce serait un moment un peu hors temps, où tout s'arrête.
05:16 Donc quelque chose de là pour le coup d'assez merveilleux ?
05:20 Alors, merveilleux je sais pas, mais saisissant.
05:23 C'est-à-dire voilà qu'il y avait une personne et voilà qu'ils étaient deux, ça c'est pour la naissance.
05:28 Je ne me fais pas à cette idée-là que les femmes se dédoublent.
05:32 Et la deuxième chose qui me saisit aussi particulièrement d'oldeuil,
05:35 c'est que voilà qu'il était un et voilà qu'il est zéro.
05:38 Alors évidemment il y en a qui me disent qu'avec leur croyance etc. c'est pas tout à fait ça.
05:41 Mais en tout cas en tant qu'humain, il y a vraiment une expérience qui est profondément saisissant
05:44 dans la naissance et dans la mort.
05:46 Et oui effectivement, les gens décrivent, parce que j'ai accompagné beaucoup de morts et beaucoup de naissances,
05:49 c'est mon métier, et en tout cas tous décrivent ce truc d'être hors du champ du temps de tous les jours
05:54 et hors de l'espace, hors de tout. Il y a quelque chose de...
05:58 Mais pas forcément merveilleux.
06:00 Non mais c'est pas forcément merveilleux.
06:02 Non non, bien sûr, c'est important.
06:03 Ça dépend des circonstances. Et d'ailleurs la mort, contrairement à tout le monde qui dit que c'est une expérience forcément horrible,
06:07 on voit que certaines morts ne sont pas horribles. Donc en fait c'est très compliqué.
06:11 Mais globalement on va dire que la naissance est plutôt dans le champ du merveilleux
06:14 et le deuil dans la chose la plus difficile, mais ça peut totalement être inversé.
06:17 Les sentiments peuvent se contredire au fil du temps aussi.
06:21 C'est cette ambivalence que vous décrivez Camille dans votre livre.
06:26 Donc vous pouvez nous en dire un peu plus sur ce sentiment d'ambivalence maternelle ?
06:32 Oui, comme Anna a eu la générosité de le dire, elle n'a pas aimé ses grossesses.
06:38 Et moi je le savais avant de mener l'enquête que certaines femmes n'aiment pas ça, voire même détestent ce moment de leur vie.
06:43 Mais ce à quoi je ne m'attendais pas, c'était à retrouver de façon aussi massive auprès de toutes les femmes que j'ai rencontrées,
06:49 cette restitution d'une forme d'ambivalence.
06:53 Je pense que chacune a un moment ou un autre, et selon les parcours, c'est plutôt au premier, deuxième ou troisième trimestre,
06:59 chaque femme vit une forme de distanciation vis-à-vis de l'expérience qu'elle est en train de traverser,
07:07 qui peut se traduire par des sentiments, disons, mitigés, voire même parfois très intenses,
07:14 de détestation de soi, de grande angoisse aussi, d'inquiétude.
07:19 Et ce qui m'importe, et c'est ce que j'ai ressenti en écoutant ces femmes, c'est de savoir...
07:24 Alors je sais qu'il y a certaines praticiennes, sages-femmes, qui sont dans cette écoute,
07:29 mais on sait aussi que, et pour des raisons malheureusement qui ont trait aussi à l'état compliqué, difficile des services de santé dans les maternités,
07:37 en termes de personnel, etc., il y a des moments où on ne peut pas faire entendre sa voix,
07:44 quand on est précisément dans ce moment d'ambivalence, parce que, alors même qu'en tant que femmes occidentales,
07:50 on a cette chance assez incroyable de pouvoir choisir le moment de nos grossesses,
07:53 de pouvoir éventuellement choisir de ne pas avoir d'enfant ou de ne plus en avoir,
07:57 il n'en demeure pas moins que, socialement, la parentalité, l'horizon de la maternité reste valorisé, pour ne pas dire exalté.
08:06 Et ce qui accompagne cette valorisation sociale de la parentalité, c'est aussi parfois une forme d'exaltation de la condition de gestation,
08:16 qui est censée être ce moment paroxystique d'une vie de femme, d'un accomplissement ultime et d'une espèce d'épanouissement indépassable.
08:27 Or, dans l'expérience vécue, qu'en font les femmes, les choses ne se passent pas de façon aussi idyllique.
08:34 Elles peuvent être merveilleuses, moi, personnellement, j'ai adoré mes grossesses, vraiment,
08:39 comme un moment, notamment, où je pouvais enfin manger et grossir sans que personne ne me le reproche,
08:43 et ça, c'était vraiment un soulagement inouï, et j'en ai profité autant que j'ai pu.
08:48 Mais ce que les femmes que j'ai rencontrées m'ont renvoyé, c'est le soulagement qui était le leur de pouvoir enfin faire part de ces sentiments ambivalents,
08:58 d'avoir un pouvoir, d'une forme de détestation, et de pouvoir, comme si, voilà, c'est pas interdit de dire,
09:04 finalement, là, ce que je suis en train de vivre, c'est pas le pic de mon existence.
09:09 Et donc, je milite, moi, pour quelque chose qui serait comme une sorte de droit à l'indifférence,
09:14 c'est-à-dire qu'on ne fasse pas peser sur les femmes une injonction au bonheur gestationnel, si je puis dire,
09:19 et que certaines qui veulent le vivre de la façon la plus banale, voire indifférente, et continuer leur vie,
09:25 professionnelle, etc., sans en faire forcément toute une histoire, puissent le faire.
09:29 Alors, pour revenir à cette période de postpartum, je crois que toutes les deux, vous avez constaté un peu la même chose,
09:36 grâce à vos études ou expériences professionnelles, une forme d'oubli de soi, en fait, de la part des femmes à ce moment-là.
09:44 Comme le disait Anaïs en introduction, on s'occupe d'abord du bébé, tout le monde s'occupe du bébé, puis on s'oublie.
09:50 Alors, comment est-ce qu'on peut expliquer que nous, les femmes, on soit toujours plus à l'écoute des besoins des autres
09:56 que de nos propres soucis ? Est-ce que vous avez une réponse là-dessus ?
10:02 Alors, non, moi, j'en ai pas, parce que je ne suis pas historienne, ni sociologue, ni philosophe,
10:06 mais en tout cas, c'est un phénomène qui est extrêmement marqué, de détournement de soi-même,
10:10 et qui est tragique pour moi, parce que je les vois, ces patientes, tout d'un coup, l'enfant, sitôt que l'enfant est là,
10:17 vraiment, "ch'tinck", elles se détournent complètement, et bien sûr, elles ne sont pas responsables de cet état.
10:22 Et ça, c'est absolument terrible, parce que quand même, moi, je voudrais rappeler un truc qui est évident,
10:27 mais qui n'est pas tant que ça, c'est qu'en fait, pour qu'un enfant soit heureux, un bébé soit heureux en particulier,
10:32 parce qu'un bébé, il ne sait même pas qu'il est une personne différente de vous, il faut absolument que ses parents soient à peu près heureux.
10:39 Et en fait, donc, essayer de se faire plaisir à soi, investir son bonheur, sa personne, c'est en fait faire plaisir au bébé.
10:46 Et je vois les gens qui se détournent complètement sur le bébé, massage bébé, portage bébé, blabla bébé, bébé, bébé, ceci, etc.
10:52 Avec des femmes à côté qui sont complètement épuisées, etc. Et ça me fait effectivement beaucoup de peine.
10:58 Donc ça, c'est un phénomène qu'on voit énormément, et je ne sais pas tellement... Alors bien sûr, moi, je leur parle,
11:03 et ça va permettre de réorienter la trajectoire, mais c'est un phénomène systématique.
11:07 Et pour le coup, moi, qui étais prévenue, avec mon mec, il en fait d'ailleurs beaucoup plus que moi, il a plus que pris sa part,
11:13 mais j'avais très très peur de ça. Ça, c'était un truc vraiment, j'avais peur.
11:18 Parce que je savais que c'est les enfants qui morfent aussi. Les femmes morfent, mais les enfants aussi.
11:23 Oui, et je crois que ce que décrit Anna Roy, c'est quelque chose qui commence en fait dès la grossesse.
11:29 Et pour ma part, je vais me risquer à une explication. Il se trouve que depuis à peu près l'aube des temps,
11:35 les femmes ont été définies par leurs fonctions corporelles et notamment leurs fonctions maternelles.
11:39 Et que cette assignation à la maternité s'est accompagnée en fait, historiquement, d'une très très longue histoire,
11:47 où les femmes n'étaient vis-à-vis d'elles-mêmes que dans cette posture-là, on va dire pour faire très très court, du soin.
11:53 C'est-à-dire de l'attention à l'autre et du dévouement maternel. C'est une injonction patriarcale, je lâche le mot.
12:00 Vous avez dit que j'étais philosophe, j'ajoute l'adjectif qui m'importe, féministe.
12:05 Et ce que j'ai pu observer en étudiant la façon dont les femmes ont été considérées et traitées tout au long de l'histoire dans nos sociétés,
12:12 c'est ce phénomène de désubjectivation. C'est-à-dire que les femmes, et surtout lorsqu'elles attendent un enfant,
12:19 et encore plus quand elles deviennent mères, socialement ne sont plus que cela.
12:24 Pendant la grossesse, elles ne sont plus que ce si gros ventre. Et puis quand l'enfant est né, elles ne sont plus que ces nouvelles mamans.
12:31 Et en effet, socialement et donc dans leur propre façon d'appréhender ces événements, elles sont désormais complètement dirigées vers,
12:43 pendant la grossesse, le gros ventre, et puis ensuite vers l'enfant. Et c'est quand même quelque chose d'assez ahurissant que d'observer
12:50 que tout d'un coup, pendant 9 mois et quelques autres de plus, les femmes occidentales, dans nos sociétés qui sont censément les plus égalitaires de toutes,
13:00 les femmes cessent d'être des sujets. Elles disparaissent en tant qu'individus. Elles ne sont plus que des machines à prendre soin.
13:09 Et d'ailleurs, moi, pour suivre des femmes de l'âge de 12-13 ans jusqu'à la mort, je suis frappée par ça.
13:16 C'est qu'à chaque fois, les femmes sont réduites, souvent quand même, à leur corps, à leurs fonctions corporelles.
13:21 Chez les très jeunes femmes, ça va être l'attrait sexuel. Chez les femmes ménopausées, elles sortent carrément du champ.
13:26 Alors là, au revoir, ciao. Elles disparaissent. Enfin, elles sont toujours assignées particulièrement à leur corps.
13:31 Je trouve ça absolument tragique. C'est tragique. Parce que ça a des conséquences graves sur leur santé.
13:35 Donc évidemment, moi, ça ne me plaît pas du tout.
13:37 - Alors, donnez-nous des conseils pour savoir comment on peut reprendre le dessus, si je puis dire. Enfin, revenir.
13:44 - Alors moi, de façon... Alors, prendre soin de soi, pour moi, à chacune sa définition.
13:51 Il y en a, ça va être de prendre un bain. D'autres, ça va être d'être avec des potes. D'autres, j'en sais rien. De boire des coups. Je ne sais pas ça.
13:57 Je ne veux pas rentrer dans le développement personnel et dire qu'il faut faire 4 séries de pompes pour prendre soin de ça.
14:02 Ça, j'en sais rien. - D'injonctions. - À chacune de définir.
14:05 Et après, de faire l'exercice de vraiment, de se dire, ben voilà, dans ma semaine, ça va être 3 fois 1 heure.
14:11 Et au départ, si c'est difficile, je pense qu'il faut le faire. Et moi, j'invite les femmes aussi à mentir, parfois, quand ce n'est pas possible autrement.
14:20 À mentir à la personne avec laquelle elles vivent. Moi, c'est une patiente qui m'a donné ce conseil et qui a été le meilleur conseil de ma vie.
14:26 C'est-à-dire, elle m'a dit, ben tu dis que tu rentres à 18h30 et en fait, tu rentres à 17h30.
14:30 Pourtant, j'ai un bon niveau de communication avec mon mec. Il en fait beaucoup. Mais, je ne sais pas, j'avais besoin de ça.
14:35 Sinon, je me sentais coupable. Il y avait un truc de l'ordre de la culpabilité. Donc, prenez soin de vous, oui.
14:40 Mais même si vous voulez juste prendre soin de votre enfant, parce qu'il dit, m'en s'en fout de moi, etc.
14:44 D'accord, moi, je vous dis, ok. Mais pour prendre soin de votre enfant, il faut en fait prendre soin de vous.
14:48 Alors, je crois que ce qui est très dur, c'est qu'on n'est pas préparé du tout à vivre tout ça, comme on l'a dit déjà.
14:53 Et on a une image très lisse, très rose de ce qui va se passer alors que finalement, l'accouchement a pu être difficile, comme vous l'avez évoqué.
15:02 L'allaitement peut avoir du mal à se mettre en place. La relation avec le bébé aussi n'est pas toujours fluide tout de suite.
15:08 Comment ça se fait qu'on a si peu prévu les choses, qu'on est si peu informé, alors qu'il y a parents pour le faire ?
15:18 Je vais bien répondre et puis ça me permettra de répondre aux deux dernières questions.
15:22 Parce que dans mon enquête, il y a une première phase que j'ai menée à la maternité de l'hôpital Bichat, qui est aussi celle où mes enfants sont nés.
15:30 C'était une jolie coïncidence. Et puis une deuxième phase où j'ai lancé des appels sur mes réseaux sociaux,
15:34 parce que j'avais besoin de rencontrer des femmes qui menaient à bien des projets de maternité un peu différents.
15:39 Et j'ai été très frappée. J'ai reçu énormément de demandes d'entretien de mamans qui entamaient un projet de maman en solo.
15:46 Elles disent parfois en "sola", pour féminiser. Et j'en ai rencontré cinq, puis j'ai dû m'arrêter parce que statistiquement, ça devenait beaucoup plus.
15:52 Et ces femmes-là ont été très précieuses dans mon enquête, parce que ce sont des femmes qui, du fait même de la particularité de leur projet,
16:00 d'être seules, développent et anticipent peut-être davantage encore que les femmes, les autres.
16:07 Elles savent que quand elles vont rentrer à la maison, elles seront seules. Et donc elles mettent en amont, en place des stratégies.
16:13 Et notamment, ça m'a beaucoup frappée, et je pense que c'est un conseil qui peut s'adresser à toutes les femmes, bien sûr.
16:19 Elles organisent en amont une répartition de l'aide dans leur entourage, mais pas seulement familial, amical aussi.
16:26 Tel ami va s'assurer de faire des courses alimentaires, tel autre s'occupera un peu de son linge.
16:32 La troisième viendra une fois par semaine pour qu'elle puisse sortir, aller au cinéma ou aller voir des amis, etc.
16:39 Et l'une d'entre elles m'a dit, et je pense qu'elle avait raison, "je suis certaine que je serai beaucoup plus entourée et beaucoup mieux aidée
16:46 à mon retour de la maternité que bien des femmes qui sont en couple". Et je crois qu'en effet, d'anticiper et de mettre en place...
16:53 - Déléguer. - Déléguer, oui, mais c'est plus que déléguer, c'est-à-dire c'est aussi se projeter en tant que sujet,
17:01 justement, et se dire, "mais quelles sont les choses que finalement j'aimerais continuer de faire en même temps que ma nouvelle maternité
17:07 et les rendre possibles". - Tout à fait. Alors, par rapport à ce que je disais, parce que vous êtes revenue un petit peu en arrière,
17:12 mais c'était très bien et très juste, comment on fait quand ça ne s'établit pas comme on l'avait prévu, et pourquoi il y a un tel gap
17:21 entre ce qu'on avait imaginé et ce qui arrive, en fait ? - Il ne peut pas ne pas y avoir de gap, c'est impossible, parce que c'est tellement inouï
17:30 l'arrivée de quelqu'un, le décentrement qu'on a à faire soi-même. Et puis moi, j'aime bien rappeler ces chiffres très factuels
17:37 de deux chercheuses de l'Inède, enfin, elles sont plusieurs derrière, mais Clara Champagne et Anne Solas, qui disent que ça fait,
17:45 pour une femme en moyenne, 6 heures de travail supplémentaires, 3 heures de temps domestiques et 3 heures de temps parental,
17:50 ce à quoi, moi, j'ajoute, et ça j'en avais discuté avec une colline charpentier, 2 heures de charge mentale. Donc ça veut dire qu'on a,
17:59 moi, c'est ce que je dis à mes patientes, c'est le premier cours de préparation à naissance, je leur dis, aux parents, souvent,
18:03 quand ils sont deux, ou à la femme seule, je leur dis, voilà, il va falloir absorber 8 heures de travail supplémentaires.
18:08 Savoir ça, ça change tout, parce que sinon, on se sent vraiment merdique. Moi, je ne savais pas ça, malheureusement, quand je suis devenue mère,
18:13 et je me suis dit, on se disait d'ailleurs avec mon mec, mais on est vraiment des merdes, en fait, on s'en sort pas, on coule,
18:19 on est dépassés, et on ne comprenait pas pourquoi. Alors que quand on sait ça, ça change tout. Il y a 8 heures à absorber,
18:25 qui va absorber ces 8 heures ? Nous, on n'avait pas les moyens d'avoir du personnel de maison, pas du tout, même, ni pour le ménage,
18:30 ni pour la garde d'enfants. Donc il faut juste se répartir, être très factuel, et oser faire de la comptabilité à froid, dire,
18:37 ben voilà, il y a ça à absorber, il va falloir faire ça, ça, ça, ça, ça, moi, je liste les tâches, et se les répartir équitablement,
18:42 je pense que c'est fondamental. Sinon, de toute façon, on coule, et même, ça peut aller plus loin, avec des conséquences
18:48 dramatiques sur la santé mentale. Donc il faut être osé faire de la comptabilité à froid. Alors, c'est pas romantique du tout,
18:54 mais moi, je n'ai pas touché au linge depuis, je ne sais même pas, le circuit d'une culotte sale, je ne sais même pas comment
19:00 elle se déplace, je la jette, et je vois qu'elle est dans mon armoire propre. À l'inverse, il ne touche jamais au plan de travail,
19:08 ce que je veux dire, c'est vrai que c'est un peu, vous allez dire, ben c'est pas très romantique, chez eux. En fait, si,
19:14 parce que justement, on s'est déchargé de tout ça. - Donc, il faut accepter que rien ne sera plus jamais comme avant, en fait.
19:21 - Ben oui ! - Une forme de réalité. - Une réalité absolument, pof ! Je veux dire, il faut être très, les pieds au sol, très terre à terre,
19:29 c'est 8 heures en moyenne, il va falloir les absorber, mais ça n'empêche pas que c'est une aventure merveilleuse que de voir
19:35 un enfant grandir pour la plupart des gens. Bon, mais c'est vrai que c'est un peu fatigant, hein. Vache !
19:40 Donc, il vaut mieux faire de la comptabilité. Moi, je suis une grande amoureuse de la comptabilité à froid,
19:46 alors que j'étais une spécialiste de la comptabilité à chaud, de hurler, partir avec ma valise, etc. Mais c'est pas très malin, ça sert à rien.
19:53 - Alors, parlons maintenant un peu du corps et de cette injonction de la société à vouloir qu'on retrouve notre corps d'avant.
20:02 On voit souvent cette phrase où les copines le disent, enfin voilà, c'est bien, t'as minci, est-ce que t'as retrouvé ta taille de jean ?
20:09 Enfin voilà, il y a beaucoup cette idée-là. Camille, est-ce que vous voulez nous en parler et nous dire pourquoi c'est impossible, surtout ?
20:16 - Oui, alors, dans une perspective aussi, une fois encore, féministe, ce que l'on sait, c'est que nos corps sont le lieu d'injonctions incessantes,
20:26 que l'inventivité des grands groupes du monde de la mode et de la beauté est sans limite et que, quel que soit son âge,
20:33 on est toujours confronté à de nouvelles normes relatives à ce que nous devons faire de nos corps.
20:39 Et parmi ces normes, il y en a une qui me semble être l'une des plus résistantes, c'est celle qui regarde nos ventres précisément
20:45 et l'injonction à ce qu'ils redeviennent plats et minces après une grossesse. J'ai pu observer que les stars de la pop culture aujourd'hui
20:53 avaient rendu possible et imaginable quelque chose qui n'était absolument pas quand j'étais ado, par exemple,
20:58 le fait pour les jeunes femmes d'avoir des grosses cuisses, des grosses fesses, pourquoi pas des gros seins.
21:03 En revanche, la zone de la taille et du ventre demeure un endroit de dictate inouï, comme on témoigne par exemple,
21:10 le retour en grâce et en force des corps sèches chez les toutes jeunes femmes, c'est quelque chose qui me sidère.
21:15 Pourquoi ? Parce que, socialement, le gros ventre des femmes n'est acceptable que quand il est plein.
21:22 Plein d'imbibés, j'entends, bien sûr, pas plein de nourriture. Et que tous les autres gros ventres, le gros ventre des femmes grosses,
21:29 le gros ventre des femmes en postpartum, le gros ventre des femmes ménopausées, sont des ventres inacceptables socialement.
21:35 Et ça nourrit, donc, cette injonction à retrouver son hashtag "corps d'avant", qui est la plus grande mystification de l'histoire de l'humanité,
21:43 puisque toutes les femmes qui ont été enceintes le savent, il n'y aura jamais plus de corps d'avant.
21:48 En revanche, il y a un corps d'après qui n'est pas le même. Et j'en ai eu une illustration tout à fait frappante
21:53 avec une jeune femme enceinte que j'ai rencontrée, qui est une circassienne, artiste de cirque, trapéziste,
22:00 qui avait donc une conscience très, très aiguë de son corps, mais vraiment très intime même,
22:04 et que j'ai revue après son accouchement, et qui m'a fait la liste de tous les endroits de son corps
22:10 dont elle avait repéré, en reprenant sa pratique circassienne, à quel point ils avaient changé l'élargissement de ses hanches,
22:17 même elle me disait que ses ligaments étaient devenus plus laxes et que manifestement il le resterait.
22:23 Et en fait, pour elle, l'idée d'un corps d'avant, ça n'avait aucun sens. Alors même qu'elle a plutôt rapidement retrouvé,
22:30 enfin voilà, elle avait aussi des exigences de son métier en termes de musculature et d'entraînement,
22:35 qui faisait que pour ce qui est du poids, bon voilà. Mais on le sait toutes, ça c'est aussi quelque chose que je trouve pesant,
22:42 et c'est le cas de le dire, il y a quelque chose qui se cristallise sur la question du poids et puis du ventre gros,
22:51 qui peut devenir obsessionnel et qui fait qu'en plus de tout le reste et de ces 8 heures supplémentaires de charge,
23:00 alors peut-être que tu l'inclus dans la charge mentale de devoir retrouver son corps d'avant, mais c'est quand même, ça fait beaucoup.
23:07 Ça fait beaucoup. Il y a la vie professionnelle qui est chamboulée aussi, il y a la vie intime qui est chamboulée aussi.
23:13 Quand on parle du corps, justement, ça a des implications. Alors là-dessus, Anna, est-ce que vous voulez nous dire un mot sur cette vie intime ?
23:19 Sur cette vie intime, il y a beaucoup de fantasmes, beaucoup pour le coup de pression. Les gens s'imaginent qu'au bout de 3 semaines,
23:26 ils vont retrouver une sexualité digne de celle de je ne sais pas quoi d'ailleurs. Donc je ne sais pas combien, qu'est-ce qu'ils disent les statistiques
23:34 où il faut avoir 12 rapports sexuels par mois. Donc ils sont là au bout de 3 semaines, putain, on n'est pas normal, on n'est pas normal.
23:39 Alors là, on va détendre tout le monde sur la question. Moi, j'aime bien ramener les chiffres de la recherche, je trouve que ce sont très bien pour ça.
23:44 Au bout de 3 mois, seulement un couple sur 2 aura repris une sexualité y compris non pénétrative. Donc c'est très peu.
23:50 Et à un an, ça y est, 97% des gens ont repris une sexualité non pénétrative ou pénétrative. Ça veut dire quoi ?
23:57 Ça veut dire qu'on se détend sur la question et qu'on reprend bien d'abord quand on veut. Il y a des couples, ça va être très tôt.
24:02 Puis des couples, ça sera très longtemps après et que ce n'est pas grave et que ça n'a aucune importance.
24:06 Mais c'est la même pression qui s'exerce sur la sexualité des couples qui s'exerce sur le corps des femmes.
24:10 Moi, elles me font trop de peine, les femmes. Je suis là, je me bats toute la journée parce qu'elles sont là,
24:15 « Ah, mais Anna, mon ventre, mes mêmes fesses, mon truc, etc. » Alors que c'est vrai que moi, ça m'est complètement étranger
24:20 puisque j'avais pris 55 kilos avant même d'être enceinte. Donc moi, je me fous de… Enfin non, ça fait souffrir un corps qui change.
24:26 Mais je veux dire par là que vraiment, le corps, là encore, on réduit les femmes à leur corps, ça me gonfle. Vraiment, ça me gonfle.
24:32 Oui, et puis j'ajouterais que dans une perspective féministe, une fois encore, ce qui est important, c'est de permettre aux femmes
24:39 à peu près tous les choix possibles. C'est une chance que nous avons dans nos sociétés de pouvoir faire à peu près tous les choix.
24:46 La question de la sexualité, elle est importante aussi pendant la grossesse. C'est pour ça que j'ai consacré un chapitre à ce sujet.
24:52 Et ce que j'ai observé, c'est que là encore, toutes les options sont possibles. Il y a des femmes et des couples qui cessent toute sexualité
24:58 pendant la grossesse. Et d'autres, j'ai rencontré une femme qui a commencé avec son compagnon une pratique de libertinage
25:08 pendant sa grossesse. Je suis restée complètement estomaquée à l'écouter me raconter ça. Je prends ces deux extrêmes pour dire qu'en fait,
25:16 dans la matière, il n'y a aucune règle, donc aucune pression. En tout cas, oui, il faut dire que la maman et la putain qui quand même
25:24 restent bien collées dans nos têtes, ça c'est terrible. Ça, il faut bien se dire que dans la réalité, ça n'existe pas. Dieu merci.
25:30 Je dirais même qu'il y a beaucoup de femmes qui en devenant mère, se deviennent... Je ne sais pas ce qui se passe dans leur tête,
25:36 je n'en sais rien. Mais en tout cas, voilà. Et à l'inverse, pour le coup, et ça on le dit très peu, les hommes par contre, qui sont...
25:43 Je suis désolée pour ces termes un peu crus, mais la bandaison en l'occurrence est sensible à la fatigue, à la maladie, etc.
25:50 Et donc en fait, il y a des femmes qui sont étonnées parce qu'elles disent "mais mon mec ne me désire plus du tout".
25:55 Parce qu'en fait, les hommes peuvent être très sensibles à la fatigue. Et en fait, comme on a ce truc, c'est les femmes qui ne veulent pas,
26:00 les hommes qui veulent. Voilà. C'est pour dire qu'il n'y a vraiment aucun schéma attention. Et c'est pareil d'ailleurs au moment où les gens vieillissent.
26:07 C'est exactement la même histoire qui se produit. Donc il faut vraiment s'enlever toute idée reçue de la tête et voir comment on se rassoie.
26:13 Il y a des gens qui ont une sexualité dès le lendemain de l'accouchement, je l'ai vu, et d'autres, plus jamais. Et puis tant que ça leur va, ça leur va.
26:19 D'ailleurs, vous allez même jusqu'à conseiller la masturbation, la recommander, si on en a envie en tout cas, et oser se regarder aussi,
26:26 oser se regarder ce corps qui a pas fait.
26:29 Les femmes font évidemment bien ce qu'elles veulent, mais c'est vrai que souvent, je ne sais pas pourquoi, elles s'imaginent que là est devenu un champ de bataille,
26:35 alors que non, souvent pas du tout. Donc c'est une façon de se reconnecter à soi. Bien sûr, elles font ce qu'elles veulent, mais ça peut être une solution.
26:44 C'est comme elles veulent.
26:46 Je sais pas s'il nous reste encore du temps. J'ai pas de timer du tout. Il me reste des questions. Oui, il nous reste du temps.
26:53 Oui, alors moi, j'avais aussi noté que pour toutes les deux, finalement, c'était le postpartum un bon moment, d'après vous, pour avoir une forme de sursaut féministe.
27:05 Je crois que Camille, pour vous, ça a vraiment été un déclencheur dans votre parcours professionnel, cette maternité.
27:11 Ça a été un moment où vous vous êtes rendu compte qu'il y avait beaucoup encore de combats à mener. Donc est-ce que vous pouvez nous en parler un peu ?
27:17 Oui, je suis entrée en féminisme par la maternité, puisque les hasards de la vie ont fait que mon fils est né au moment même où j'étais recrutée à l'université pour la première fois.
27:25 Et ça, en l'espace de quelques mois, l'audition du recrutement, j'étais enceinte de sept mois. J'ai commencé mes cours. Mon fils avait six semaines.
27:31 Je l'allaitais. Et je me souviens très bien de l'avoir dans le bras gauche et de la main droite monté mon service, comme on dit, c'est-à-dire rédigé mes cours.
27:39 C'était un moment de grande déflagration. Et ce qui m'a surtout frappée à ce moment-là, c'est que ces deux événements que j'attendais par ailleurs l'un et l'autre depuis un moment,
27:47 autour de moi, on trouvait ça absolument merveilleux. Tout arrive en même temps. C'est super. Et moi, j'étais complètement sous l'eau.
27:53 Et surtout, j'observais que dans le monde professionnel, évidemment, mes étudiants se souciaient comme d'une guigne de ce que mes nuits étaient très courtes et hachées par les tétés.
28:03 Mon fils, évidemment, n'avait aucune conscience de quoi que ce soit et de tous ces cours que j'avais à préparer. Mais ce qui m'a frappée, c'est que je devais assumer aux yeux du monde,
28:13 en quelque sorte, ce fameux épanouissement censé m'arriver à ce moment-là. Et c'est donc cette déflagration de vivre simultanément des événements aussi importants dans ma vie
28:25 et puis d'être dans une forme de difficulté aussi qui m'a fait m'intéresser à tous ces sujets. Et c'est là que j'ai découvert, on était au début des années 2000,
28:32 parce que le petit bébé dont je parle, il a maintenant 22 ans. C'est là que j'ai découvert que cette question de la maternité était très peu appréhendée,
28:41 que ce soit dans la sociologie, dans les écrits féministes, que c'était un non-sujet. Et j'ai compris que pour les femmes de ma génération, en fait, qui avions bénéficié de la conquête des droits reproductifs,
28:52 notamment, ce dont ils s'étaient agis dans les années 80, 90, 2000, c'était de devenir des hommes comme les autres, dans le monde du travail notamment.
28:59 Devenir un homme comme les autres, ça veut dire faire totalement abstraction de nos corps et notamment de nos corps maternels.
29:04 Et c'est ce que j'étais en train de vivre. C'est-à-dire que, voilà, c'est comme si, à l'université, c'est comme si je n'étais pas une mère et à la maison, c'est comme si je n'avais pas de travail.
29:12 Et donc ça, c'est une condition tout à fait inédite qu'il faut réfléchir. Et ce qu'on fait ensemble ce matin, il contribue et c'est bien.
29:19 Et Anna, vous aussi, vous voyez la maternité et le postpartum en particulier comme une occasion de gagner en puissance, de se réveiller, d'être dans une forme de revendication ?
29:29 Mais non, mais bien sûr. Moi, j'ai commencé mes études en 2005. Et là, ça a été ça, la grande claque. C'est-à-dire que j'ai vu, mais je me suis dit, mais attends, les femmes, elles vivent tout ça.
29:39 Tout ça, elles vivent ça, c'est complètement dingue. Et tout ça, elle tue. C'est-à-dire que moi, j'avais cette vision de la maternité qui avait été donnée par mes cousines,
29:46 les femmes de ma famille, les amis, je ne sais pas quoi. C'était la femme au sommet de sa féminité, comme ça, etc. Et en fait, c'était une sorte de mensonge généralisé.
29:55 Et donc en voyant les femmes à l'hôpital, dans leur domicile, j'ai dit, mais qu'est-ce que c'est que ça ? Donc l'engagement est venu immédiatement.
30:01 Parce que je me suis dit, non, on va arrêter de taire ça. Je n'ai eu de cesse que de raconter ça, raconter ça, raconter ça, raconter ça, raconter ça, raconter ça.
30:07 Ce que je voyais, à la fois les expériences très positives, à la fois les expériences très négatives. Enfin, de raconter ce que vivaient les femmes dans le silence de leurs alcôves.
30:15 C'est ça qui est fou. Et qui est fou.
30:17 Justement, il y a des revendications qui sont fortes pour vous aujourd'hui encore, pour soutenir les femmes dans ce moment de la vie.
30:24 Il y en a un nombre, j'imagine, incalculable. Mais est-ce que vous citez ce qui est le plus important ?
30:29 Moi, je dirais que dans l'expérience quotidienne d'une grossesse ou d'un postpartum, ne pas avoir peur de faire entendre sa voix.
30:38 C'est-à-dire de faire entendre les choses que l'on éprouve, les choses que l'on ressent, le désarroi, voire même la panique que l'on peut ressentir.
30:46 Auprès des professionnels de santé ?
30:49 C'est surtout ça. Parce qu'évidemment, dans l'entourage, on peut imaginer que ce ne soit pas si compliqué que ça.
30:53 Mais là où ça devient plus compliqué, en effet, c'est auprès des professionnels de santé. Non pas tant parce qu'ils ne sont pas attentifs, une fois encore.
30:59 Mais c'est parce que c'est une question de temps, c'est une question de disponibilité.
31:02 Et puis c'est une question aussi qui a encore une fois à voir avec cette assignation des femmes à leur fonction maternelle.
31:09 Comme c'est quelque chose qui est de l'ordre, d'une forme d'évidence naturelle, que ces processus sont vécus par toutes les femmes depuis l'aube des temps,
31:19 il y a cette idée un peu, disons, qui imprègne les mentalités, que ce qu'elles vivent doit être vécu.
31:27 Les douleurs sont normales, par exemple ?
31:29 Oui, ça, la question de la déconsidération, très largement partagée dans le monde médical de la douleur.
31:37 Moi, j'ai toujours pensé que le temps que nous avons mis à rendre publique et à appréhender médicalement l'endométriose,
31:48 s'explique par le fait que les femmes qui ont leurs règles souffrent. C'est normal de souffrir pendant ces règles.
31:56 Pour moi, c'est une préfiguration des douleurs de l'accouchement.
31:59 C'est comme si les femmes doivent apprendre à souffrir en silence chaque mois au moment de leur cycle menstruel,
32:06 pour ensuite continuer d'apprendre à serrer les dents au moment de l'accouchement.
32:12 Et pareil en postpartum, parce qu'il reste des douleurs.
32:15 Moi, je voudrais dire ce qu'on m'a appris, moi, c'était en 2007, à la fac de médecine.
32:21 Je venais d'avoir un cours sur la douleur, comme quoi le signal douloureux, c'était un signal d'alarme qu'il fallait prendre en compte.
32:27 Une heure après, cours sur les règles et les problématiques de règles.
32:33 Un gynéco, qui nous fait cours, nous dit que c'est strictement normal d'avoir mal pendant ces règles.
32:38 Donc, c'est la superposition des deux. Et je me rappelle très bien, quelle que soit l'intensité de la douleur.
32:44 Et moi, je ne comprenais pas, parce que j'étais là, mais moi, je n'ai jamais eu mal.
32:47 Et il disait en plus, l'utérus, c'est simplement un muscle qui se contracte.
32:51 Oui, si c'est simplement un muscle qui se contracte, pourquoi ferait-il mal ?
32:54 Donc, il faut voir de là où on vient. Et ça, je suis sûre que vous allez retrouver plein de facs de médecine où on nous apprend ça encore.
32:59 Donc, on vient de loin, vraiment de loin, loin, loin, loin, loin.
33:02 Et la prise en charge de la douleur en maternité, elle était très, très insuffisante.
33:06 La prise en charge de la douleur, c'est aussi l'accompagnement du retour des femmes de maternité, l'accompagnement à la maison.
33:12 Le système est insuffisant, selon vous ?
33:14 Oui, il y a des choses qui ont évolué. En juillet dernier, une loi a été votée.
33:20 Et ça, on le doit aussi aux mobilisations des femmes qui se saisissent de ces sujets corporels et notamment maternels.
33:26 Donc, une loi relative aux arrêts naturels de grossesse, donc avec un congé désormais sans jour de carence et un accompagnement psychologique des parents.
33:34 Mais il faudrait imaginer aussi, moi, je me souviendrai toujours, je suis restée après mon accouchement plus de deux semaines à la maternité Bichat.
33:41 Donc, après avoir souffert d'une pathologie assez grave et rare de fin de grossesse.
33:48 On s'est très, très bien occupé de moi quand j'étais à la maternité. Je suis sortie, on m'a dit au revoir, madame.
33:53 Et ça s'est arrêté là. Et je suis rentrée avec mon nourrisson dans un état de détresse inouï.
33:58 Et ce n'est pas le cas dans tous les pays. Au Pays-Bas, il y a un métier, il y a un nom qui qualifie une profession qui consiste à visiter.
34:06 Je n'ai plus les... C'est toutes les semaines pendant, je ne sais pas si c'est deux, trois mois ou même plus.
34:13 C'est-à-dire qu'il y a un métier qui consiste précisément à accompagner les femmes dans ce moment du postpartum.
34:17 Ça existe dans certains pays. Pourquoi pas en France ?
34:20 C'est extrêmement important à mettre en place. Mais le problème, c'est qu'il y a mille mesures à mettre en place.
34:24 Mais celle-là, on fait partie, évidemment. Et en fait, ça ferait gagner de l'argent.
34:28 Même si on est dans une logique comptable, mettre en place des professionnels comme ça, en plus du suivi sage-femme, ça permettrait de faire baisser les coûts.
34:35 De toute façon, parce que ça réduirait la dépression du postpartum, etc. Mais c'est parce qu'on est dans des politiques très court-termistes.
34:41 On va peut-être passer aux questions. Si certains d'entre vous ont des questions pour nos experts, n'hésitez pas.
34:47 Certaines personnes sont inscrites à des ateliers.
34:49 Oui, j'ai compris.
34:51 Effectivement, vous pouvez y aller dans ce cas-là. Et sinon, on va passer à la séquence de questions-réponses.
34:57 Oui ?
35:02 Est-ce qu'il y a un micro qui circule ?
35:03 Oui, je vais vous le donner.
35:05 Bonjour à toutes. Je suis ravie de retrouver Anna. J'ai eu la chance, l'occasion de déjà la rencontrer. Anna, tu es formidable.
35:22 Alors, première question. À quel moment on peut se dire qu'on est enfin sorti du postpartum ? Est-ce qu'il y a un déclic ?
35:30 Alors, pour moi, c'est une durée variable selon les femmes. Effectivement, le postpartum dure 3 ans. C'est un peu la formule choc.
35:36 Mais elle correspond quand même à une certaine forme de réalité. Ce qui est sûr, c'est que c'est entre 2 et 4.
35:42 Et après, peut-être pas un déclic, mais à un moment, on a le sentiment, enfin chez mes patientes, je le vois quand même,
35:48 qu'il y a quelque chose qui s'allège. Je parle bien du dernier enfant. C'est-à-dire que si bien sûr vous avez de nouveau un enfant en bas âge,
35:53 ça prolonge de temps. Après, on remet le truc. Mais il y a vraiment un sentiment d'allègement qui survient à peu près aux 3 ans de l'enfant.
35:59 Et c'est assez amusant parce que vous savez, on est en train d'étudier les cerveaux des femmes et des mères en particulier.
36:04 Et on s'aperçoit que les modifications cérébrales intenses s'arrêtent aux 3 ans de l'enfant à peu près.
36:12 Et donc, il y a 2 chercheurs, 2 psychiatres vraiment spécialisés de cette question-là qui m'ont dit "Mais écoute, Anna, ton intuition clinique est la bonne."
36:18 Effectivement, le postpartum, en tout cas, ça dure à peu près 3 ans. Oui, c'est à peu près ça.
36:23 Et après, c'est pas un déclic. Il y a des femmes chez qui, moi, c'était un déclic. Je me rappelle très bien, je sortais de la gare Montparnasse,
36:27 j'ai fait "Ca y est, c'est bon, je suis redevenue normale." Et il y a des gens chez qui ça va être progressif.
36:32 Ce sentiment de "Ah..."
36:36 Merci beaucoup. Bonjour. M'entend ? Moi, justement, on parlait de ce fameux accompagnement.
36:45 J'ai en pleine formation pour être accompagnante postnatale. Qu'est-ce que vous pensez de...
36:51 Parce que c'est un accompagnement où il n'y a rien de médical, en fait. C'est pas comme les Cram's Org, justement.
36:55 C'est vraiment un accompagnement émotionnel, psychologique, logistique et un relais un peu pour le bébé.
37:01 Je voudrais savoir un peu ce que vous pensez de ces nouveaux métiers qui arrivent.
37:05 Moi, je suis en pleine formation à distance. Je suis passionnée par ce que je fais.
37:09 Qu'est-ce que vous pensez de ça ? Le fait qu'il n'y ait rien de médical, est-ce que c'est un peu dangereux ?
37:16 Je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire. Oui, je vois très bien ce que vous voulez dire.
37:18 C'est marrant parce qu'il y a un grand entretien dans le journal Le Monde. Ils m'ont interviewé là-dessus, il y a 2 jours.
37:23 Moi, j'y suis très favorable. Je pense que les parents ne sont vraiment pas assez accompagnés après la naissance d'un enfant.
37:30 C'est dramatique et ça a des conséquences dramatiques.
37:33 Imaginez que seule une pauvre petite sage-femme que je suis, qui vient une heure par-ci, une heure par-là,
37:38 va pouvoir pallier à tout ce dont ils ont besoin. C'est totalement faux.
37:42 Donc, on n'est pas assez nombreux en postpartum. Il faut qu'on soit beaucoup plus nombreux.
37:45 En plus que la PMI, en plus que les sages-femmes, en plus que tout ce qui existe déjà, qui est déjà beaucoup trop maigre.
37:49 Après, par contre, moi, je crois que ça, il faut légiférer là-dessus pour pas que se développent des pratiques ou des courants
37:56 qui peuvent être vraiment, disons-le, ça m'est arrivé, dangereux pour les femmes.
38:00 Et donc, je trouve que l'État, là, n'est pas en responsabilité de ne pas légiférer en urgence là-dessus.
38:05 Il faut absolument inventer cette profession, urgentement, d'accompagnante périnatale.
38:12 On peut l'appeler de cramzorgue, de doula. Je ne sais pas comment on peut l'appeler, j'en sais rien.
38:15 Je ne suis pas politique, mais en tout cas, c'est urgent parce que je vois se développer des pratiques.
38:20 Et puis après, donc, les femmes, c'est au petit bonheur la chance. Et de tomber sur quelqu'un qui est super, ou des fois moins bien.
38:26 Et puis en plus, je trouve ça dommage parce que ça coûte cher, bien sûr. Et c'est normal que vous soyez payés.
38:32 Et donc, tout le monde ne peut pas se permettre. Et ça, ça m'embête beaucoup.
38:36 Donc, moi, je trouve en tout cas qu'on n'est pas assez nombreux. Ça, c'est sûr.
38:39 Et j'attends avec une impatience folle qu'on puisse travailler conjointement.
38:44 Merci.
38:47 Bonjour. Excusez-moi, moi, je vous rejoins effectivement sur le postpartum dure 3 ans.
38:53 Quand j'avais lu votre livre à Narwa, la BD aussi, ma soeur me l'avait offerte sur votre histoire.
38:59 Alors que j'étais enceinte, quand j'avais lu les premières pages, je lui avais dit, c'est pas le moment.
39:03 Et en fait, j'avais trouvé ça génial de l'avoir enceinte parce que ça m'avait beaucoup aidé.
39:09 Je suis d'accord qu'il y a très peu d'accompagnement pour les parents après l'accouchement.
39:15 Moi, j'ai malheureusement eu un postpartum horrible parce que mon compagnon a fait une dépression du postpartum.
39:22 Et du coup, ça m'a entraîné au plus haut bar puisqu'il n'y avait rien pour lui et rien pour moi.
39:30 On a demandé de l'aide. On nous a dit, démerdiez-vous.
39:33 Mais il y a quand même de l'accompagnement jusqu'au 1 an de l'enfant.
39:39 Vous avez quand même des rendez-vous pédiatiques réguliers, vous avez la PMI, il y a des choses qui sont en place.
39:44 Le postpartum dure 3 ans, mais au-delà des 1 an, je trouve qu'il y a de moins en moins d'accompagnement.
39:49 Et on se retrouve vraiment face à ce grand vide où on est toujours en postpartum, ça reste compliqué.
39:55 Et il n'y a plus rien. Déjà, il n'y avait rien, mais là, il n'y a plus rien.
39:59 Qu'est-ce que vous, vous recommandez sur ces 2 ans qui restent ?
40:03 Comment est-ce qu'on peut faire ? Comment est-ce qu'on peut se faire aider ? Comment on peut se faire accompagner ?
40:07 J'ajoute juste une chose parce qu'on ne l'a pas vraiment évoqué et ça rejoint la question.
40:11 C'est par rapport à la durée du congé maternité et paternité qui me semble aussi important.
40:18 Je veux bien intervenir. C'est vrai. Merci de l'évoquer parce qu'en fait, je crois que la réponse à la question que vous avez posée,
40:25 je ne réponds pas à ta place, Anna, mais c'est tellement important. Il a été rallongé récemment, mais il demeure non obligatoire.
40:34 Il demeure très peu pris. Il est plus rémunéré aussi. Oui, alors ça, c'est le congé parental.
40:40 Il y a deux choses. Il y a le congé parental, c'est-à-dire cette proposition qui a été faite éventuellement congé de naissance,
40:46 qui dure moins longtemps, mais qui serait rémunérée davantage. On sait très bien à quoi il correspond ce congé parental.
40:50 Il concerne des femmes qui ont de petits revenus pour lesquels c'est plus avantageux de s'arrêter de travailler,
40:56 de toucher ce congé. C'est quelque chose comme 400 ou 500 euros par mois plutôt que de... 423 euros.
41:05 C'est vraiment pas grand-chose. Et donc, ça fait d'un point de vue... Pour la vie de ces femmes, c'est souvent aussi un moment problématique
41:14 puisqu'elles vont s'arrêter de travailler pendant deux, trois ans et puis après revenir sur un marché du travail.
41:18 Donc, elles auront quitté... Enfin, ça produit des effets aussi très inégalitaires entre femmes en fonction de leur niveau de revenu.
41:24 C'est très grave. Et puis après, le congé de parentalité, pourrait-on peut-être l'appeler ?
41:29 Ça serait une bonne chose, c'est-à-dire cette idée, comme dans certains pays scandéables notamment, d'un congé qui est partagé
41:34 également entre les deux parents avec des durées longues et avec surtout cette idée que le soin aux nourrissons et à l'enfant en bas âge
41:44 n'est pas une exclusivité maternelle. C'est-à-dire que ces enfants, généralement, ils ont des papas et que les congés de paternité,
41:51 c'est quelque chose de crucial. Moi, je trouve que c'est un des combats les plus importants et j'observe qu'il est bizarrement...
41:57 Enfin, voilà, qu'il ne suscite pas beaucoup d'engagement et d'initiative.
42:00 C'est comme accompagnement par rapport à la réaction qu'on a eu de la maman qui nous expliquait qu'elle s'était sentie seule au-delà d'un an.
42:06 Et même avant, la réponse, c'est ça en fait. C'est de pouvoir rester auprès de son bébé. Déjà, de ne pas avoir ce principe.
42:13 Il faut vraiment faire un grand plan national sur cette histoire de parentalité. Je crois que c'est tout.
42:20 Il y a un grand plan national. C'est con parce qu'on n'est pas passé loin. C'est-à-dire qu'il y avait une commission des 1000 jours qui a été saisie.
42:27 Bon, ils ont nommé des gens très bien, mais qui ne sont pas auprès des parents. Donc, c'est pas assez. Comment ?
42:33 Non, pas du tout. Du coup, c'est des recommandations. C'est presque hallucinant de lire ces recommandations
42:39 quand on est soi-même dans le pratico-pratique. C'est complètement délirant. Donc, en fait, il faut un grand plan national de la parentalité.
42:46 Mais ce que vous dites, c'est vrai. Moi, les femmes... Mais c'est là où les femmes sont le plus en difficulté.
42:50 Moi, je dis que c'est aux 18 mois de l'enfant. Il y a un cap entre 3 et 6 mois. Et après, un deuxième cap 18 mois, 2 ans.
42:56 Je suis d'accord. Mais là, effectivement, vous êtes... Allô ? Il y a quelqu'un ? Il y a personne ?
43:00 Et plutôt que de parler de réarmement démographique, en dissimulant ça derrière aussi une proposition de lutte contre la fertilité,
43:09 parler de parentalité et d'égalité dans la parentalité, ce serait quand même un peu plus bienvenu.
43:16 Et peut-être une réaction aussi par rapport à ce témoignage de dépression du postpartum du père. On commence à en parler un petit peu, mais ça existe aussi.
43:23 Oui, ça concerne 1 coparent sur 10. Donc, c'est quand même beaucoup. Et ça, c'est très intéressant.
43:28 Les études montrent que plus ils sont impliqués auprès des enfants et plus le risque de dépression est grand.
43:33 Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le travail parental est, à mon avis, un des travails les plus équivalents et les plus difficiles.
43:40 Et donc, je trouve ça très intéressant, cette histoire de dépression des pères qui n'est absolument pas prise en charge.
43:45 Alors là, c'est vraiment... C'est ça. Moi, ça m'est arrivé de prendre... Je ne savais même pas vers qui les envoyer parce que... Voilà.
43:52 Donc, j'étais vachement emmerdée, même en termes de trouver un psychiatre périnataliste, mais qui sache s'occuper d'un homme, d'un coparent.
43:59 Ça n'a pas été simple. Donc, oui, je vois très bien la phase horrible par laquelle vous êtes passée. J'imagine très, très bien.
44:05 Bonjour. Moi, je rejoins votre point au niveau du congé maternité. Pour ma part, je suis en profession libérale.
44:11 Et comme mon entreprise avait moins de 3 ans, j'ai eu exactement 6 euros par jour pendant mon postpartum.
44:17 Donc, pareil, je trouve qu'on n'est pas du tout représenté, étant donné que des autres entrepreneurs, femmes, il y en a beaucoup.
44:23 Et chez les hommes, c'est pareil. J'ai un ami qui est père et qui a dû reprendre le boulot en rentrant de la maternité. Donc, voilà.
44:30 Oui, ça, c'est très, très désagréable, effectivement, parce que pour les coparents, il y en a énormément qui sont indépendants.
44:37 Je dis n'importe quoi. Boulanger, artisan, taxi, agriculteur, toutes ces professions, et Dieu sait qu'elles sont présentées,
44:42 qui sont effectivement dans l'incapacité de poser un congé. Et d'ailleurs, moi, ça a été très compliqué de poser un congé aussi,
44:48 parce que j'étais indépendante. Non, c'est vrai que c'est une... Et on n'est absolument pas représenté. Cette catégorie-là n'existe pas.
44:53 Et c'est très douloureux pour les gens qui sont dans ces professions-là. Oui, c'est vrai.
44:59 Bonjour. Alors, moi, ce que je regrette beaucoup, c'est que les pères, justement, ne sont pas assez informés de l'état dans lequel on va être en postpartum.
45:08 C'est-à-dire qu'on ne leur dit pas "Messieurs, vos femmes, elles vont trinquer, elles vont avoir les chutes d'hormones,
45:14 elles vont avoir potentiellement une dépression du postpartum, et c'est votre rôle à vous aussi de les aider, de déceler les signes, etc."
45:23 On ne leur dit pas "Vous aussi, messieurs, vous pouvez très bien avoir d'un seul coup votre morale qui se casse la figure, etc."
45:29 Je dis "Messieurs, le coparent", excusez-moi. Mais voilà, on ne dit pas assez "Prévenez-les."
45:36 Nous-mêmes, on n'est déjà pas trop prévenus, mais alors eux encore moins.
45:40 Et c'est vrai que quand on est seul à la maison et qu'ils nous retrouvent après le boulot, complètement à la ramasse, fatigués, avec du lait partout, séchés, du vomi, etc.,
45:49 et qu'ils ne comprennent pas pourquoi on pète un plomb parce qu'ils nous demandent juste un truc,
45:52 il faut expliquer aussi la normalité du postpartum et de tous les effets que ça peut faire sur nous physiquement, mentalement, etc.
45:59 Ça c'est fondamental, j'espère que ça va changer, c'est du travail de fourmi.
46:02 Mais déjà, en préparation à la naissance, personne ne vous parle de ça alors qu'en fait c'est le truc le plus énorme.
46:08 L'accouchement, je ne dis pas que ce n'est pas énorme, mais en tout cas sur 8 séances, il faut qu'il y en ait au moins 2,
46:12 à mon sens, qui soient complètement dévolues au postpartum, et effectivement présents, si possible obligatoires, du coparent.
46:18 Et les coparents, il faut leur dire les choses telles qu'elles sont, effectivement, et là je pense que de plus en plus de sages-femmes,
46:23 et puis aussi tout ce qui est inondé dans la société civile, où on décrit toujours les femmes,
46:28 cette idée de congé maternité où on s'imagine au fond que vous êtes en train de chiller sur votre canapé,
46:33 en train de siroter une margarita, alors qu'en fait ça ne peut pas être plus difficile, donc oui, bien sûr, mais c'est du travail de fourmi ça.
46:40 Bonjour, moi je voudrais juste réagir avec vous par rapport au deuil périnatal et au postpartum.
46:50 J'ai eu 3 enfants, 2017, 2020, 2023, ça fait que 1 an et demi qu'on me parle de dépression postpartum,
46:59 parce que mon premier enfant est décédé. Et on a du mal, je trouve, quand il y a un deuil périnatal,
47:04 à mettre en avant la dépression postpartum et le deuil de l'enfant d'un côté.
47:10 Et je pense qu'il y a aussi un vrai travail qui devrait être fait, parce que moi j'ai été suivie pour le décès de ma fille,
47:14 le deuil est fait, voilà, j'ai un enfant, j'ai aucun souci à ce niveau-là, j'ai aucun tabou,
47:19 mais je trouve ça quand même très dérangeant qu'on m'ait parlé de deuil, de dépression postpartum,
47:26 au 1 an et demi de mon deuxième enfant, alors que je pense que depuis, puisque je suis devenue mère en 2017,
47:32 je ne sais pas si ma fille soit là ou non, mais on n'a pas parlé de dépression,
47:37 et je pense qu'on a du mal, si l'enfant n'est pas là, à mettre la dépression postpartum sur le tapis.
47:42 Parce que clairement, moi je pense que j'ai été très bien suivie, très bien traitée pour le deuil de ma fille,
47:47 mais très très mal accompagnée pour la dépression, qui est seulement là maintenant, après la naissance de mon 3e fils,
47:52 pris à bras le corps, avec un vrai suivi, mais quand même c'est comme derrière, j'ai 6 ans de dépression non traitée,
48:00 je pars d'un gouffre qui est énorme, et je trouve que c'est dommage que dès qu'il y a un deuil périnatal,
48:05 la dépression postpartum ne peut pas exister, il n'y a pas d'enfant, le rôle de mère est entre guillemets,
48:10 je trouve ça fou, c'est fou, et je vais vous dire, il n'y a même pas que cette histoire de dépression,
48:14 c'est-à-dire qu'on ne suit même pas vos cicatrices, en fait vous n'existez pas, vous disparaîtez de la prise en charge médicale,
48:21 vous êtes laissé seul et sans filet, heureusement qu'il y a des associations qui existent pour vous rattraper,
48:25 souvent par les cheveux, juste vous tenir la tête hors de l'eau, mais je suis d'accord avec vous,
48:29 le postpartum sans enfant, personne n'en parle, alors qu'il est fou, absolument, absolument, je suis tout à fait d'accord avec vous.
48:40 Et moi je veux bien rebondir sur quelque chose de très beau et important que vous avez dit,
48:43 à savoir que vous êtes devenue mère en 2017, j'ai rencontré dans mon enquête une femme qui a vécu ce que vous avez vécu,
48:50 et qui tenait absolument à témoigner et à être considérée pour ce qu'elle est, c'est-à-dire une mère,
48:56 dont l'enfant est mort en périnatalité très précocement, mais qui me disait, et c'est pour ça aussi que moi je tiens par exemple à dire
49:05 que j'ai quatre grossesses et deux enfants, c'est-à-dire que ma première grossesse, enfin je suis devenue mère à ma première grossesse,
49:11 quand bien même elle n'a pas été à son terme, et de la même façon il y a des femmes qui perdent des enfants,
49:16 et voilà on est mère à partir du moment où on porte un enfant, quelle que soit la façon dont ensuite ce projet se passe,
49:24 c'est très important parce que ça croise des tabous de différents ordres, et notamment le tabou autour du deuil,
49:34 que j'ai aussi un peu travaillé sur les arrêts naturels de grossesse, c'est-à-dire que Judy Taquin appelle des deuils sans reconnaissance ni rituel,
49:42 moi je me souviens que pour mon premier arrêt naturel de grossesse, j'ai commencé à m'en sortir quand j'ai mis en place un petit rituel avec mon mari,
49:51 où on a brûlé ensemble une photo d'éco... Excusez-moi, je ne m'attendais pas à raconter cette histoire, et donc ça m'émeut évidemment toujours,
49:58 mais on a dû inventer dans le désarroi qui était le nôtre, des choses pour tenir le coup, parce que rien n'est prévu,
50:05 et qu'il n'y a pas de reconnaissance sociale, là encore les choses sont en train de changer, mais ça fait partie des choses qui sont vraiment importantes.
50:11 Merci pour votre question du coup, qui était vraiment très intéressante, on n'en avait pas parlé.
50:17 J'ai un anniversaire tous les ans avec mes enfants, moi évidemment je leur mets pas la pression, mais je leur explique qu'il y a une grande soeur,
50:22 qu'est-ce que c'est son anniversaire, on fait un gâteau, parce que quand elle existait, je trouvais dans cette société,
50:28 au lieu de la mère, la femme que j'ai écrite, comme vous Anna, je vais adorer, insouciante, courée, et le mieux pour moi,
50:35 c'est que j'ai vu la création, on n'est pas accompagné, parce que je me suis pas même, les associations vont dire "oui vous êtes une maman",
50:41 et la société va me dire "non, absolument". Pour la classe je suis mère, oui, j'ai eu des projets à l'école, des projets maternités,
50:48 j'ai eu une allocation, il n'y a pas de soucis, sur le papier, et puis comme vous le dites, on n'a pas le droit de faire des fermes,
50:54 on n'a pas le droit de faire des cérémonies, l'enfant n'a même pas de famille, on a vite appelé le social et on l'a retenu.
51:00 Donc je pense que la défaite contre le spartan devrait être liée à ça.
51:05 [inaudible]
51:24 Je crois qu'on va malheureusement devoir s'arrêter, on va conclure, peut-être que vous avez envie de dire un mot de conclusion avant,
51:32 parce que là on finit sur un constat assez dramatique, vraiment un manque de prise en charge.
51:37 Est-ce qu'il y a un conseil à donner, ultime ? Crie au secours ?
51:41 Non, moi je trouve qu'on a quand même cette chance de disposer désormais d'un certain nombre d'outils qui n'existaient pas,
51:47 par exemple pendant mes grossesses, des podcasts, des ouvrages, des émissions de radio, des groupes Instagram, de soutien, etc.
51:56 Toutes femmes, en fonction de son propre parcours et des singularités de sa grossesse et de son spartan,
52:03 peuvent trouver désormais un peu d'aide et de soutien et de savoir, parce que c'est ça peut-être la clé,
52:10 c'est l'accès au savoir sur notre propre corps.
52:13 Et ce savoir fonctionne beaucoup aussi dans la mise en partage et dans la mise en commun de récits.
52:19 Et ça on le trouve beaucoup sur des comptes Instagram où les femmes se racontent les unes aux autres.
52:24 Et de faire cette démarche-là, ça peut être quelque chose de très précieux.
52:27 Merci beaucoup pour votre écoute. Merci à nos deux expertes que vous pouvez retrouver en dédicaces.
52:34 (Applaudissements)
52:44 Donc elles sont toutes les deux en dédicaces dans quelques minutes juste à côté.
52:48 Si vous avez envie d'acheter leur livre, je pense que ça peut être une bonne occasion.
52:55 (Musique)
53:04 [SILENCE]

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