La dernière lettre de Manouchian lue par Patrick Bruel
Le chanteur Patrick Bruel, membre du comité de soutien à la « panthéonisation » de Missak Manouchian, a ouvert la cérémonie par la lecture de la lettre d’adieu à Mélinée, qui inspira dans les années 1950 Aragon et Léo Ferré, faisant entrer le résistant dans la légende.
Category
🗞
NewsTranscript
00:00 Le lundi 21 février 1944, il est 13 heures.
00:13 Misak Manouchian, de sa cellule de freine, écrit une lettre à Méliné, son épouse.
00:20 "Ma chère Méliné, ma petite orpheline bien-aimée, dans quelques heures je ne serai plus de ce
00:39 monde.
00:40 On va être fusillés cet après-midi à 15 heures.
00:44 Cela m'arrive comme un accident dans ma vie.
00:47 Je n'y crois pas, et pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais.
00:52 Que puis-je t'écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.
00:58 Je m'étais engagé dans l'armée de la libération en soldats volontaires et je meurs à deux
01:03 doigts de la victoire et du but.
01:05 Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la liberté et de la
01:10 paix de demain.
01:12 Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer
01:17 notre mémoire dignement.
01:19 Au moment de mourir, je proclame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand et
01:25 contre qui que ce soit.
01:27 Chacun aura ce qu'il mérite, comme châtiment et comme récompense.
01:32 Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la
01:37 guerre qui ne durera plus longtemps.
01:40 Bonheur à tous.
01:43 J'ai un regret profond de ne t'avoir pas rendu heureuse.
01:47 J'aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours.
01:52 Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d'avoir un enfant pour mon
01:57 honneur et pour accomplir ma dernière volonté.
02:01 Marie-toi avec quelqu'un qui puisse te rendre heureuse.
02:04 Tous mes biens et toutes mes affaires, je les lègue à toi, à ta sœur et pour mes
02:10 neveux.
02:13 Après la guerre, tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que
02:17 ma femme, car je meurs en soldat régulier de l'armée française de la libération.
02:22 Avec l'aide des amis qui voudront bien m'honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits
02:27 qui valent d'être lus.
02:29 Tu apporteras mes souvenirs, si possible, à mes parents en Arménie.
02:34 Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l'heure, avec le courage et la sérénité d'un homme
02:40 qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n'ai fait de mal à personne,
02:46 et si je l'ai fait, je l'ai fait sans haine.
02:50 Aujourd'hui, il y a du soleil, et c'est en regardant le soleil et la belle nature que
02:56 j'ai tant aimé que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes
03:02 bien chers amis.
03:08 Je pardonne à tous ceux qui m'ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal, sauf
03:15 à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus.
03:21 Je t'embrasse bien fort ainsi que ta soeur et tous les amis qui me connaissent de loin
03:24 ou de près, je vous serre tous sur mon cœur.
03:28 Adieu, ton ami, ton camarade, ton mari.
03:34 Manouchian, Michel.
03:37 Liané Götz.
03:40 Post scriptum, j'ai 15 000 francs dans la valise de la rue de Provence.
03:45 Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armen.
03:51 Merci.