Psychologue du sport, Anthony Mette analyse le monde du football dans un entretien de 20 minutes. Quels sont les secrets de la préparation mentale du sport ?
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00:00 Je pense qu'il y a des clubs, voire même des fédérations, qui ne veulent pas gagner.
00:04 Tu vois au PSG par exemple, franchement je me demande vraiment des fois s'ils veulent gagner.
00:07 Je suis pas sûr, parce que s'ils voulaient vraiment gagner, ils feraient quand même des choix plus radicaux.
00:11 Alors bonjour Anthony.
00:13 Bonjour.
00:14 Est-ce que tu peux, pour commencer, te présenter ?
00:15 Anthony Mette, je suis docteur en psychologie, préparateur mental,
00:19 auteur de pas mal d'ouvrages maintenant en psycho-préparation mentale.
00:22 Tu travailles beaucoup dans le domaine du sport,
00:24 quelle est l'importance et l'impact d'une bonne préparation mentale ?
00:28 En fait il est énorme.
00:30 Et ce que je ne comprends pas, même à mon âge avançant,
00:32 je ne comprends pas pourquoi dans le sport c'est aussi long à venir.
00:35 Quand j'ai débuté, je me disais franchement, on a plein d'outils,
00:40 ce qui marche très bien auprès de plein de joueurs de niveau plus ou moins important, plus ou moins élevé.
00:44 Je me dis, ça va se savoir, j'ai eu pas mal de joueurs pros, ça s'est su aussi, etc.
00:49 Et donc je me dis, les clubs vont le prendre en main.
00:50 Mais malgré l'impact qu'on a sur les joueurs en termes de performance,
00:54 donc de business, quand tu parles de foot, forcément tu parles de business,
00:57 mais quel impact qu'on a sur eux en termes de récupération, de santé mentale, de bien-être,
01:02 ça ne prend pas.
01:03 Donc les clubs ne sont pas structurés sur le plan psychologique,
01:07 ils le sont plutôt bien sur le plan médical.
01:09 Si tu vas au PSG, tu vas avoir la liste longue comme le bras de préparateurs physiques
01:13 et d'intervenants paramédicaux, mais il n'y a pas d'options.
01:17 Et je ne comprends pas...
01:18 Bon, les joueurs que je peux comprendre, parce qu'ils sont un peu fatigués,
01:21 qu'ils disent, c'est bon, j'en fais tellement que je ne veux pas m'en rajouter,
01:24 les clubs, en fait, je ne comprends pas.
01:25 Ils auraient tellement à gagner, ne serait-ce que financièrement,
01:27 que je ne comprends pas.
01:29 Un salaire de psy sur une année,
01:31 c'est rien comparé à ce que ça fait gagner sur une quinzaine de joueurs.
01:36 Par exemple, un mec comme Colomwany, on voit qu'en ce moment au PSG,
01:38 c'est compliqué pour lui.
01:40 Quand tu as 24 ans, déjà la finale de la Coupe du Monde,
01:43 on en parle beaucoup dans les médias,
01:45 et je peux te dire qu'à un moment de la vie, mentalement,
01:47 ce n'est pas un événement dans lequel on se remet comme ça si facilement,
01:50 parce qu'il s'est vu, je pense, demi-héros à rien du tout,
01:53 et ça passe comme ça, en fait.
01:55 C'est très dur de s'en remettre.
01:57 Donc forcément, ce joueur-là, comme tous,
01:59 ce qu'ils font est très dur.
02:00 Je dis "nous" parce que même moi, des fois,
02:02 je me laisse prendre au jeu de "c'est bon, ils gagnent tellement d'argent
02:04 que je ne vais pas le perdre", tu vois.
02:06 Concrètement, ça va.
02:08 Mais non, c'est plus complexe que ça.
02:10 Dans des clubs en crise, par exemple à Manchester United,
02:14 malgré la qualité de l'effectif,
02:17 ils n'arrivent pas à obtenir les résultats qu'ils souhaiteraient.
02:20 On sait que les attaquants ont énormément de mal à marquer.
02:23 Quelle est ton analyse, en fait, là-dessus ?
02:25 Alors, je connais bien le club.
02:27 En l'occurrence, je vais te dire un truc qui n'est pas très poli,
02:30 qui n'est pas très, pour le coup, correct politiquement.
02:33 On vipera.
02:34 Non, tu peux le garder, j'assume, sans problème.
02:37 Je pense qu'il y a des clubs,
02:38 voire même des fédérations, qui ne veulent pas gagner.
02:41 Je pense qu'il y a des clubs, il y a des présidents de clubs,
02:44 il y a des structures sportives qui, en fait,
02:45 se satisfont de ce qu'elles ont,
02:48 parce que c'est rassurant, c'est cool,
02:50 c'est pépère, ça tourne, tu vois.
02:52 Ça vend un peu de papier.
02:54 On est à la fise dans les médias,
02:55 on a des joueurs sympas, etc.
02:57 Les stades sont à peu près pleins, ça tourne.
02:59 Mais on ne veut pas forcément gagner.
03:01 Parce que pour gagner, il faut être un peu fou, tu vois.
03:04 Il faut faire des efforts de dingue.
03:06 Il faut investir financièrement,
03:08 physiquement, mentalement.
03:10 Il faut prendre des risques.
03:11 Il faut virer des gens aussi.
03:12 Il faut avoir l'envie, en fait, de la gagne.
03:14 Et je constate que cette envie-là,
03:17 tout le monde ne l'a pas.
03:18 Et puis, même quand tu l'as, en fait,
03:20 elle ne tient pas 3, 4, 5, 10 saisons.
03:23 C'est trop dur.
03:23 Donc il y a des clubs qui vont l'avoir sur une, deux saisons.
03:25 Et puis, plouf, ça va retomber.
03:27 Et tu vois, au PSG, par exemple,
03:29 je ne suis pas dedans le PSG,
03:31 mais je sais un peu ce qui se passe
03:32 par rapport à mes collègues, tout ça,
03:33 ce que je dis dans la presse, etc.
03:34 Ça m'intéresse, parce que c'est le meilleur club de France.
03:36 Franchement, je me demande vraiment,
03:37 dès le début, s'ils veulent gagner.
03:38 Je ne suis pas sûr.
03:39 Parce que s'ils voulaient vraiment gagner,
03:40 ils feraient quand même des choix plus radicaux
03:42 et ils prendraient peut-être plus de risques.
03:43 Pas tant sur des joueurs, parce que ça,
03:45 ils font beaucoup d'erreurs,
03:47 mais sur la structuration interne,
03:48 tu vois, le centre de formation,
03:50 la logique qu'ils ont, la politique, tout ça.
03:51 Donc vraiment, je pense qu'il y a des gens
03:55 qui sont à la tête de clubs, de fédérations, de ligues
03:56 qui ne veulent pas gagner.
03:57 Les joueurs le ressentent, tu penses ?
03:58 Parce que ça reste des compétiteurs,
04:00 mais comment ils peuvent se...
04:02 Comment ça ?
04:02 Moi, rien.
04:03 Pas tous ?
04:03 Non.
04:04 En foot, c'est dur, il ne faut pas se mentir,
04:06 mais en foot, la sélection n'est pas non plus folle.
04:10 En tennis, si tu ne veux pas être numéro un mondial
04:12 ou vraiment tout déchirer,
04:13 tu ne seras jamais dans les 10 premiers mondiaux.
04:15 C'est quasiment impossible.
04:15 Je te jure, franchement, la concurrence,
04:17 dans ce sport-là, c'est un truc de dingue.
04:18 En foot, quand tu fais le calcul,
04:20 le nombre de joueurs pros que tu as en Ligue 1, Ligue 2,
04:23 les championnats, tu es un peu intermédiaire,
04:25 pro, mi-pro.
04:27 En France, en Europe, en Afrique, etc.,
04:31 tu as un nombre de joueurs de dingue.
04:32 Donc si tu veux, tu peux très bien être footballer pro
04:35 sans être vraiment, tu vois, avec un niveau extraordinaire.
04:38 Ou être un compétiteur de fou.
04:39 Juste, tu es bon athétiquement,
04:42 tu as un peu, toi, de feeling du jeu.
04:44 Cette envie de ne pas gagner
04:45 ou cette envie de ne pas forcément faire une grande carrière,
04:48 est-ce que les joueurs qui se blessent très souvent,
04:51 c'est lié à ça ?
04:52 La blessure de répétition, elle est liée à pas mal de facteurs
04:54 qui sont déjà souvent liés quand même à des fragilités physiques.
04:57 Donc le corps ne supporte pas la répétition,
04:59 les entraînements, les matchs, l'effort comme ça répété.
05:01 Et il y a aussi des fragilités un peu plus psychologiques.
05:03 Donc mauvaise gestion du stress, des émotions au sens large,
05:07 sentiment de décalage, toi, par rapport à l'environnement
05:09 dans lequel tu vis au quotidien,
05:10 dans lequel tu es en général.
05:12 En comparaison, le barnard dont on parle beaucoup dans les médias,
05:15 c'est des gens qui ne sont pas bien là où ils sont.
05:17 Donc tu as un peu ça aussi dans le foot.
05:18 Moi, j'ai vu des gamins dans un centre de formation qui étaient très bons,
05:22 mais qui n'aimaient pas le foot.
05:24 C'est ouf.
05:25 Ils subissent presque leur carrière.
05:26 Ton cerveau sait que tu n'aimes pas ce que tu fais,
05:28 que tu n'es pas forcément super heureux.
05:30 Je ne sais pas si tu les croises au quotidien,
05:31 mais quand tu vis un peu avec des joueurs pro foot, rugby,
05:34 ce n'est pas génial.
05:35 Oui.
05:36 Non, vraiment, parce que tu te fais chier.
05:39 Non, vraiment, entraînement, entraînement, entraînement.
05:42 Des fois, tu as des clubs avec des managers où rien ne change.
05:45 Donc, en fait, l'entraînement est le même quasiment tous les jours
05:48 ou du moins chaque semaine.
05:49 Au bout de trois mois, tu deviens chèvre.
05:51 Tu sais, la répétition, en fait.
05:53 Dans un vestiaire, comment on peut gérer les égos entre les joueurs ?
05:56 Parce qu'on sait que c'est un gros problème aussi dans le foot.
05:58 C'est difficile.
05:59 Déjà, l'ego du staff, il faut s'en occuper.
06:01 L'ego du président, alors là...
06:03 Et l'ego des joueurs, oui, c'est pas compliqué et simple.
06:08 Des joueurs que j'ai suivis, que je suis encore, en fait,
06:10 de ce qu'ils me racontent,
06:11 il y a des managers qui sont pour ça exceptionnels.
06:13 Steele, Mourinho, Ancelotti,
06:16 c'est des mecs qui ont un sens de l'humain,
06:18 un sens du management inné, mais aussi très, très travaillé, en fait.
06:21 Et ils savent gérer ça.
06:22 Ils savent soit s'imposer sur un côté très autoritaire et très rude,
06:26 à la Mourinho,
06:27 soit sur un côté très conciliant et rassurant, à l'Ancelotti.
06:31 Mais c'est des mecs qui ont un profil vraiment très affirmé,
06:33 qui ont de la bouteille, qui sont caméléons,
06:35 qui parlent plusieurs langues, qui sont des hyper intelligents,
06:39 des surdoués comme Deschamps,
06:40 des gens qui ont l'air simples, mais qui sont hyper intelligents,
06:43 mais intelligents socialement,
06:44 qui ont un sens du management vraiment du commun.
06:46 Donc ces gens-là savent faire ça, en fait.
06:48 Et en foot, ce que les joueurs apprécient, c'est la qualité et l'expertise.
06:54 Donc quand le joueur voit en toi que tu es un manager hyper bon,
06:58 peu importe que tu aies été joueur avant ou pas,
06:59 juste si tu es un manager qui saura la gérer,
07:02 qui voit dans tes yeux et ta façon de faire
07:04 que tu sauras les emmener en haut de l'affiche, ils te suivent.
07:07 Par contre, si tu es brinque-ballant et que tu fais des conneries "faciles",
07:12 là, ça va être difficile.
07:13 Qu'est-ce qu'ils font de différent, Mourinho et Ancelotti ?
07:15 Mourinho, il rentre dans une équipe,
07:17 déjà il observe quelques semaines, voire quelques mois,
07:20 et après il vire.
07:20 Dans le staff, dans le système même du club,
07:24 et voire dans l'équipe, il va en prendre un qui va être un peu sa tête de Turc,
07:28 qui est un peu souvent à la grande gueule,
07:29 tu vois, un peu le beau gosse de l'équipe, tu vois.
07:31 Il le prend en partie,
07:32 puis il lui montre son autorité de façon très animale, en fait.
07:35 Donc lui, il a un rapport qui est vraiment, tu vois, animal,
07:37 qui est dans la confrontation quasiment aux joueurs,
07:39 tout en étant très, très, très dans l'affect.
07:41 Ancelotti, il est beaucoup plus conciliant,
07:43 il va écouter les joueurs,
07:45 et il dit "je ne suis pas leur papa, je ne suis pas leur grand frère,
07:48 mais je suis un peu tout ça à la fois, en fait.
07:49 Je suis dans un rôle comme ça, d'écouter, de supporter,
07:52 par contre, quand j'ai tranché, j'ai tranché."
07:54 Voilà.
07:54 Il n'y a pas d'ego possible.
07:56 Et il a aussi une façon de faire qui est plus démocrate,
07:59 dans le sens de quand même laisser aussi beaucoup les joueurs...
08:02 Tu vois, je dis ça en rugby, là, chez moi, à Bordeaux, par exemple.
08:04 On avait avant un manager qui était hyper autoritaire.
08:07 Pourquoi pas ?
08:08 Mais ça a le défaut de ce que j'ai constaté au bout de trois ans.
08:12 Les joueurs sont cramoisis.
08:13 Tu les as ruinés émotionnellement et psychologiquement,
08:16 et ils n'ont plus la force de se battre pour toi, en fait.
08:19 Ils n'y croient plus, ils sont trop fatigués.
08:21 Alors que quand tu arrives à être plus comme Wenger ou Ancelotti,
08:26 toi, sur la durée, ils tiennent,
08:27 parce qu'ils sont aussi structurés, ils sont assez stables émotionnellement,
08:30 ils sont très posés et puis, tu vois, ils sont par petites touches, quoi.
08:34 C'est plus précis, c'est plus fin, c'est plus individualisé.
08:37 C'est, je dirais, presque plus intelligent, en fait, dans le management.
08:39 Vraiment.
08:39 Dans le très très haut niveau sportif,
08:41 même si les joueurs sont ultra déterminés, sont ultra forts,
08:45 il y a quand même dans leur motivation, à un moment donné,
08:47 l'envie de se faire mal pour le coach.
08:49 Donc ça, il faut que le coach soit vraiment au niveau.
08:53 Et je n'ai pas vu ça souvent.
08:54 Franchement, je n'ai pas croisé beaucoup de coachs hyper compétents.
08:56 Ils sont tellement là, en fait, par copinage et par lien, par réseau,
09:00 que la compétence, elle est secondaire, en fait, dans leur choix et dans leur positionnement.
09:06 Et oui, c'est fou.
09:07 Franchement.
09:08 On va revenir un peu plus tôt dans les carrières de footballeurs.
09:14 En ce moment, il y a un gros boom de ce qu'on appelle les projets Mbappé.
09:17 On voit qu'il y a énormément d'éducateurs qui se font harceler par des parents.
09:20 À quel point ils peuvent faire du mal, en fait, à leurs enfants et même à leur carrière ?
09:24 Écoute, moi, j'ai bossé dans des sports où c'était bien pire que ça, en fait.
09:27 Il y en a qui est connu, en fait.
09:28 Par exemple, tu vois, en FA, Merchtapen,
09:30 il se trouve que je l'ai croisé sur les paddocks petits pour différentes raisons.
09:34 Le papa n'est vraiment pas sympa.
09:36 Il y a des sports comme ça, en sport méca,
09:39 où les pères, souvent, sont violents avec les enfants,
09:42 physiquement, en fait, verbalement et physiquement.
09:45 En foot, il y a beaucoup ça, parce que l'argent, en fait,
09:47 fait que ça tourne les têtes de tout le monde.
09:48 Mais de toute façon, dès qu'un sport a un peu de...
09:52 Il y a peu d'argent en jeu, les parents deviennent présents.
09:54 Si les entraîneurs, si les clubs, les ligues et les fédérations jouaient leur rôle,
09:58 mettaient en place des règles de comportement à avoir ou pas en match,
10:02 prenaient des sanctions radicales de virer des parents.
10:04 Comme ça, il n'y a pas de rallage, de machin.
10:07 Hop, tu vois.
10:08 Et souvent, je dis aux parents, je dis, laissez l'entraîneur gérer.
10:12 Je leur dis, écoute, tu n'es pas coach.
10:14 Tu n'as pas de B.E.
10:15 Tu n'as pas de je ne sais quoi dans ton sport.
10:16 Tu as juste une idée, mais tu n'es pas pro.
10:18 Ce n'est pas ton métier, en fait.
10:19 Donc laisse le mec qui est pro gérer ça, en fait.
10:22 Quels sont les principaux thèmes qu'il faut aborder en psychologie dans le football, par exemple ?
10:26 Alors, ça a un peu changé parce que quand j'ai commencé, il y a déjà une quinzaine d'années,
10:30 franchement, on travaillait essentiellement autour de la recherche de performance avec les sportifs.
10:34 Et donc, on travaillait autour de notions comme la concentration, objectifs, motivation, le stress aussi, tout ça.
10:41 Et là, il y a un petit basculement, je trouve, qui s'opère,
10:44 notamment du fait du témoignage de sportifs pros dans les médias.
10:47 Beaucoup témoignent de leur santé mentale, plus ou moins stable et vacillante.
10:53 Et donc, il y a une demande des joueurs, des agents, voire des clubs, voire des fédérations,
11:00 mais là, c'est encore plus lointain, pour essayer de faire en sorte que les joueurs se sentent mieux
11:05 et qu'ils aient une santé, on va dire, optimale, une santé mentale optimale ou du moins assez stable dans le temps,
11:12 ce qui relève de la mission impossible vu les fréquences des matchs qu'ils ont
11:15 et l'intensité de tout ça autour, c'est quasi impossible.
11:18 Mais bon, on essaie.
11:19 Pourquoi c'est quasi impossible pour toi ?
11:20 Parce que, en fait, ce que les gens ne voient pas à la télévision ou de façon globale,
11:26 c'est que le sport de très haut niveau, c'est intensif à un niveau extrême tout le temps.
11:32 Je suis des joueurs qui sont en Ligue 1, en championnat étranger, notamment en Angleterre,
11:36 même qu'ils soient en équipe de France, les internationaux, ils jouent tout le temps, toute la saison.
11:40 Ils ont peut-être une semaine, 15 jours de repos max dans l'année et ils jouent tout le reste du temps.
11:45 Quand les autres sont en vacances, ils partent en équipe de France ou en équipe nationale.
11:48 Ils n'ont jamais de repos.
11:50 Et si tu veux être bon en foot, il faut jouer tous les matchs quasiment à 100%.
11:53 C'est impossible aussi, mais ils essayent en tous les cas.
11:55 Et donc, jouer tous les matchs à 100%, votre corps est épuisé,
11:59 votre cerveau n'arrive pas à récupérer, vos émotions sont trop up
12:03 et ont du mal à retrouver une sorte de tranquillité.
12:05 C'est très difficile, vraiment.
12:07 Et c'est ça qu'on ne voit pas quand on est vraiment devant la caméra,
12:10 c'est qu'on ne... Enfin, derrière la caméra plutôt, en tant que spectateur,
12:13 c'est qu'on ne se rend pas compte que le haut niveau, en fait, c'est dingue.
12:17 C'est dingue. Et ce n'est pas que du sport, ce n'est pas que du physique,
12:19 c'est aussi beaucoup d'émotions, beaucoup d'intellectuels, donc c'est quasi impossible.
12:24 On a vu une interview de Thierry Henry récemment,
12:26 qui parlait que tout au long de sa carrière, il est passé dans une phase de dépression.
12:31 Tu me dis qu'il y a des clubs, des grands clubs comme le PSG, qui n'ont pas de psy.
12:35 Pourquoi il y a ce tabou-là autour de la dépression, autour de la santé mentale des joueurs ?
12:38 Il y a au moins deux choses, je pense, qui peuvent expliquer ça.
12:40 Il y a au moins deux facteurs. Le premier, c'est l'argent.
12:42 On se dit que mon gars, quand tu es riche, tu te débrouilles et tu ne te plains pas.
12:47 Tu avances. Et quand tu es ultra riche, tu te plains encore moins.
12:50 Et comme les footeurs sont ultra riches, on ne veut pas entendre qu'ils se plaignent,
12:54 on ne veut pas entendre leur malheur, etc. Ça n'intéresse pas forcément le public.
12:58 Et je trouve d'ailleurs raison, parce que comme on les met au statut de demi-héros,
13:03 un héros, ça ne pleure pas. Même si ça pleure, ça se remet très vite
13:06 et ça retrouve la force pour aller de l'avant.
13:08 C'est ça qu'on veut d'un héros, qu'il soit quand même assez costaud.
13:10 Il y a des fragilités, il y a des failles, mais on veut qu'il ait la capacité de s'en remettre
13:14 ou du moins de faire appel à des gens qui lui permettront de très vite s'en remettre.
13:17 Donc le premier élément pour moi, c'est l'argent.
13:18 Et le deuxième, il est inhérent aux sportifs de tous ordres.
13:21 C'est que pour un sportif, avouer que tu stresses, avouer que tu as mal, avouer que tu as peur,
13:26 avouer que tu es en difficulté mentale, c'est avouer une part de faiblesse.
13:29 Et ils n'aiment pas ça. Donc les sportifs n'aiment pas, avouer qu'ils sont faibles.
13:33 Et ce qui est très marrant, moi je bosse beaucoup dans le rugby et dans le foot.
13:36 Au rugby, c'est des mollos. Franchement, j'ai des gars qui font 2m10 de haut, ils font 130kg.
13:40 Franchement, physiquement, c'est impressionnant.
13:42 Donc on dirait que les rugbymen seraient peut-être plus costauds et feraient plus de crainte.
13:48 Mais pas du tout en fait.
13:49 Peut-être qu'il y a des sports qui sont culturellement plus craintifs que d'autres.
13:53 Est-ce que tu as des anecdotes, que ce soit des anecdotes un peu folles,
13:57 quand tu es arrivé dans des clubs ou avec des joueurs, ou drôles ?
14:00 Je peux te raconter mon expérience en Guinée, par exemple.
14:02 Ça, c'était ouf. Franchement, j'en parle, ça me choque toujours.
14:06 J'ai fait la Cannes 2021 avec la sélection de Guinée.
14:11 C'était, je pense, l'expérience la plus ouf de ma life en tant que préparateur mental.
14:15 Vraiment, c'était incroyable.
14:16 C'est une équipe qui a des bons joueurs, tu vois.
14:17 Il y a vraiment des pépites là-bas en fait.
14:19 Mais tu as des joueurs de niveau, vraiment pépite, à niveau des joueurs de championnat polonais.
14:23 Donc tu sais, il y a un gros écart.
14:24 Et ils m'embauchent parce que c'est une équipe qui a quand même du potentiel.
14:27 Ils visent loin, tu vois, par rapport à la Cannes en question.
14:30 Et sauf qu'ils perdent beaucoup de matchs en fin de match.
14:32 Sur des questions, tu vois, un peu de flippes, de stress, etc.
14:36 Et donc je suis arrivé là-bas.
14:37 On n'avait pas de planning en fait, à la semaine.
14:39 On avait un planning qui arrivait la veille pour le lendemain.
14:43 Il arrivait le soir sur nos WhatsApp respectifs pour le lendemain en fait.
14:46 Moi, j'étais là, bon, demain on fait ça, ils font ça, etc.
14:49 J'ai rien de trop d'une demi-heure pour voir un joueur d'heure.
14:50 J'ai une demi-heure pour voir un joueur ou deux.
14:52 Donc en fait, tu bricoles et tu comprends qu'avec eux, tu ne peux faire que du bricolage.
14:55 Ils sont hyper cools, hyper talentueux.
14:57 Ils ont vachement de cœur dans ce qu'ils font.
14:59 Ils sont généreux de ouf.
15:01 Mais ils ont une impréparation, une instruction qui, pour du foot pro, tu vois, est quand même très compliqué.
15:06 Mais c'était cool.
15:07 J'ai croisé des joueurs vraiment intéressants.
15:08 J'ai vu la canne de l'intérieur.
15:10 C'était intéressant, mais c'était un sketch quotidien.
15:13 Vraiment, j'ai une liste comme ça longue d'anecdotes de quoi faire un bouquin sans problème.
15:17 C'est quoi celle que tu retiens vraiment la plus folle ?
15:21 Je ne peux pas tout dire parce que vraiment, des fois, c'est les très loins en fait.
15:23 Mais on a failli être calés une fois à l'aéroport parce qu'un des gars était bourré.
15:27 Un des joueurs ?
15:28 Du staff.
15:28 Il est très connu.
15:29 Donc c'était après une victoire et du coup, il y a eu...
15:32 Non, c'était entre, tu sais, en fait, on arrive en Guinée, après on part en Rwanda pour la préparation, etc.
15:37 Après, on repart en Cameroun.
15:38 Ça se joue au Cameroun.
15:39 Donc tu sais, c'est dans les transferts, tout ça, machin, les changements d'aéroport.
15:42 Je crois que je n'ai pas assisté à un staff avec le staff en question sans s'engueuler.
15:47 Ah ouais ?
15:47 Roh, c'était ouf.
15:48 Ils sont tellement impulsifs.
15:49 Et les joueurs, pareil, il y a eu des bagarres dans le mestiaire, en fait, après les matchs.
15:53 Même quand ils gagnent.
15:54 Mais ils s'entendaient bien quand même à cause de ça.
15:55 Bah, c'est compliqué.
15:56 Tu vois, je ne savais pas en arrivant là-bas, en fait.
15:58 J'aurais dû d'ailleurs m'enseigner avant auprès de mes collègues, en fait.
16:00 C'est des équipes nationales, en fait, mais composées de plusieurs groupes de nationaux.
16:05 Tu as les locaux qui ne parlent que la langue locale.
16:08 Tu as les binationaux qui parlent la langue du pays où ils sont immigrés et un petit peu la langue locale.
16:13 Et tu as les autres binationaux qui, en fait, ne parlent quasiment que la langue d'où ils sont immigrés depuis déjà deux générations, en fait.
16:19 Donc si tu veux, tu as trois comme ça catégories de joueurs.
16:21 Ils ne parlent pas tous la même langue.
16:22 Ils ne se comprennent pas tous.
16:23 Tu as des différences de salaire mais abyssales.
16:27 Des différences aussi de star, de star system, tout ça, de médias qui sont énormes.
16:31 Donc c'est des joueurs qui jouent ensemble parce qu'ils ont une fierté nationale de dingue.
16:35 Alors ça, pour le coup, on ne peut pas le renlever.
16:36 Franchement, c'est un moteur de motivation vraiment incroyable.
16:40 Mais faire team avec tout ça, c'est compliqué.
16:43 Plus les enjeux, les arts politiques, parce que c'est des pays qui sont très politisés.
16:47 Et là-bas, le sport, c'est très politisé.
16:48 Donc ouais, c'est une challenge vraiment.
16:50 C'est intéressant en même temps.
16:51 Non, c'est hyper intéressant.
16:52 Après, si je le referais, je le ferais vraiment dans des contextes différents.
16:55 Déjà, on irait plusieurs.
16:56 J'y suis allé seul là-bas.
16:57 Si j'avais dû y aller avec deux, trois collègues à moi.
16:58 Parce que 25 joueurs au quotidien, un staff de 15 personnes, des déplacements non-stop.
17:03 Et puis, tu sais, je ne me rendais pas compte, mais quand tu pars dans une équipe nationale,
17:06 quand tu prends l'avion avec 25 joueurs, tout un staff,
17:09 mais tu as un bus rempli de tes valises.
17:12 S'il en manque une, le bas de combat, quand tu décharges tout ça,
17:15 enfin bref, la logistique, c'est ouf, vraiment, c'est impressionnant.
17:18 Et puis quand tu es sur le terrain, tu as 25 joueurs.
17:21 Donc, tu travailles avec un peu les attaquants, un petit peu les gardiens,
17:24 des moments clés, corner, etc.
17:26 Tout ça, c'est vraiment très technique.
17:27 Donc, il faut être plusieurs.
17:28 Il faut un peu de caméra, un peu de matériel.
17:31 Comme les kinés qui viennent avec des valises entières de matos,
17:34 parce qu'en fait, ils savent que pendant un mois,
17:35 ils vont faire ce qu'ils font sur six mois en cabinet.
17:38 Donc, ça demande d'envoyer du lourd.
17:41 Pour finir, pour toi, qu'est-ce qu'il faudrait ?
17:43 C'est quoi la prochaine étape dans la santé mentale, dans le sport, pour enfin avancer ?
17:47 Tu disais qu'on n'avance pas assez dans le foot.
17:48 Oui, je pense qu'on est aussi un peu en tour.
17:51 Je ne veux pas mettre tous les torts sur les autres et sur les clubs, etc.
17:53 On est un peu en tour en nous, c'est-à-dire que nous,
17:55 on ne parle pas assez dans les médias, les psychos, les préparateurs,
17:57 on ne montre pas assez comment on travaille.
17:58 Souvent, on a l'impression qu'on fait un peu du travail de gourou,
18:00 un travail un peu comme ça, un peu flou,
18:02 alors qu'en fait, c'est très scientifique, c'est très posé,
18:03 c'est très rationnel dans la démarche.
18:06 On bosse comme les préparateurs physiques, pareil.
18:08 Début de saison, test psychologique, mental évalué,
18:12 tu arranges chiffres avec des datas très sérieuses.
18:15 Mise en place d'un protocole, entraînement, fin du protocole, réévaluation,
18:19 et on voit la progression.
18:20 Vraiment, c'est "tac, tac, tac", c'est calibré.
18:22 Ça, on ne l'explique pas assez dans les médias,
18:23 et du coup, ça ne se fait pas,
18:24 et ça maintient le flou par rapport à comment on travaille.
18:27 Et c'est aussi le fait que, moi, longtemps,
18:29 je n'ai pas voulu mettre en avant mes gars
18:31 pour qu'ils restent un peu dans l'aspect confidentiel, secret médical.
18:35 Bon, c'est cool, mais ça ne permet pas de vulgariser,
18:39 de ne pas informer les gens sur ce qui se passe.
18:41 Donc, le jour où un sportif comme Kilian ou un mec du top niveau mondial dira
18:45 "moi, j'ai un préparateur mental, je bosse comme ci, comme ça, je fais ça",
18:48 tu peux être sûr que là, ça ouvre tout.
18:51 C'était Anthony Met pour COPFOOTBALL, n'hésite pas à t'abonner à la chaîne.
18:55 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
18:58 [Musique]