L’avis de Samah Karaki, docteure en neurosciences.
Face à elle, Sarah Saldmann, avocate et chroniqueuse sur Les Grandes Gueules.
Retrouvez ce débat : https://youtu.be/c44JXDBAWrw
Face à elle, Sarah Saldmann, avocate et chroniqueuse sur Les Grandes Gueules.
Retrouvez ce débat : https://youtu.be/c44JXDBAWrw
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00:00 On a beaucoup plus de chances d'y arriver quand on a des privilèges
00:03 et beaucoup moins de chances d'y arriver quand on n'a pas ces privilèges.
00:05 Mais du coup, à quoi on juge le mérite selon toi ?
00:07 Quand t'as pas tout qui tombe sur un plateau et que tu dois te bouger par toi-même
00:11 et gagner ton argent toi-même, a priori, c'est que ça tombe pas sur un plateau.
00:14 Moi je connais des enfants, et tant mieux pour eux,
00:17 qui ont absolument tout sur un plateau,
00:19 qui travaillent dans l'entreprise de leurs parents, pourquoi pas ?
00:21 C'est pas une critique.
00:23 Qui n'ont pas forcément réussi leurs études,
00:25 mais on a trouvé une solution pour Contrecarret,
00:27 on a pris une école de commerce très chère et ça s'est bien passé.
00:31 On a fait ce qu'il fallait pour que sur le papier, ça va.
00:34 Eh bien ça, je considère qu'il n'y a pas fondamentalement de mérite
00:37 parce qu'il y a toujours un filet de secours.
00:38 Je considère que quand on s'est bougé soi-même,
00:41 quand on a un environnement culturel,
00:43 on a un carnet d'adresses peut-être qui arrive,
00:44 mais quand on se bouge soi-même,
00:46 moi je considère absolument pas que je ne le mérite pas.
00:47 - Vous avez fait quelque chose de ces privilèges ?
00:49 - Oui.
00:51 - Alors en fait, il y a une métaphore que j'aime bien,
00:53 je ne sais pas si vous connaissez cette métaphore de la course
00:57 avec les personnes qui ont une position de 50 mètres
01:00 et d'autres qui ont de 100 mètres.
01:02 Alors voilà, avec si vous voulez, les 50 mètres entre les deux,
01:05 c'est les privilèges, c'est-à-dire les coups de pouce
01:07 qui ont été donnés par les capitaux d'origine.
01:10 Et en fait, Sarah, si vous n'avez couru que 50 mètres
01:14 par rapport à ceux qui ont couru 100 mètres,
01:15 vous avez quand même couru.
01:17 Et ça vous donne cette illusion que c'est cette course...
01:20 Alors vous êtes arrivé, vous êtes arrivé.
01:21 - Pas encore, pas encore.
01:22 - Ce qui peut donner l'illusion que c'est pas ce que vous avez couru,
01:27 peut-être que vous avez couru très vite.
01:29 En fait, c'est ça qui explique votre réussite
01:30 par rapport à ceux qui ont commencé...
01:32 - Parce qu'on partait pas au même point.
01:34 - Voilà, donc en fait, alors que cette mesure, elle est impossible.
01:37 Ça veut dire qu'en fait, pour revenir à ces études de famille,
01:40 les conditions qui nous écrasent ou qui nous poussent en avant
01:44 nous sont invisibles et sont multifactorielles.
01:48 Ça veut dire que ça peut être votre environnement amical, par exemple.
01:53 Ça peut être l'épreuve que vous avez eu,
01:54 le regard qui a été porté sur vous, votre apparence physique,
01:57 qui a fait de vous une chroniqueuse aujourd'hui en France.
02:00 Parce que c'est pas par hasard.
02:01 - Je ne suis pas là que pour mon physique, quand même.
02:03 - Et donc en Angle, ça se la joue et ça s'est chiffré aussi d'une manière universelle.
02:05 - À la radio, beaucoup moins quand même.
02:07 - Mais je ne dis pas, je ne dis pas que c'est parce que vous êtes
02:10 une belle femme qui vient d'une belle famille
02:13 que vous êtes ce que vous êtes aujourd'hui.
02:15 Je dis que tout cela rajoute des points de privilèges.
02:19 - Le beauty privilège pour vous existe.
02:21 - Bien sûr qu'il existe.
02:22 - Non, non, mais c'est une question.
02:23 - Non, non, mais je vous pose la question à vous.
02:25 - C'est pas pour moi qu'il existe.
02:26 C'est au niveau du recrutement, c'est au niveau même des notes
02:28 que nous donnons aux élèves.
02:29 - Parce que moi, je pense qu'il existe.
02:31 - Très bien.
02:32 Donc ça, ça nous fait un point en commun.
02:34 - Un point de convergence.
02:35 - Mais ça ne signifie pas qu'on n'arrive que par ce privilège-là.
02:40 C'est toujours beaucoup plus complexe et beaucoup plus multifactoriel.
02:43 - Ce qui est intéressant, c'est de se demander
02:46 est-ce que si je laisse tomber la fiction d'être arrivée par moi-même,
02:51 est-ce que ça enlève le mystère de mon parcours ?
02:53 Parce que dans ce que nous sommes,
02:56 il y a quand même des choses qui ne s'expliquent pas.
02:59 Nos préférences, nos désirs, cette audace que nous pouvons avoir des fois
03:03 de laisser tomber des parcours de réussite.
03:05 Donc en fait, cette liberté individuelle, je ne nie pas son existence.
03:10 Je dis juste qu'elle est là dans des petits coins de notre vie.
03:14 Elle a du mal à surgir chez la majorité des gens du monde autour de nous
03:19 parce qu'on est conditionné par beaucoup d'éléments.
03:21 En tant que neuroscientifique, je peux dire que tout ce que nous sommes
03:24 est conditionné par ce passé, non plébiscite à Sartre,
03:27 mais on est conditionné par tout ce que nous avons appris,
03:30 par tout ce que nous avons vécu, par tous les chagrins,
03:33 par tous les bonheurs aussi.
03:35 Et en fait, ce n'est pas un problème parce que là,
03:37 ce que je suis en train de vivre avec toi, Sarah, conditionne ma pensée
03:41 dans une heure.
03:43 Et donc en fait, si on est façonné par cette trajectoire
03:45 qui est singulière et unique et impossible à démêler complètement.
03:49 Il faut juste qu'on soit juste réaliste et en regardant les chiffres de la société
03:53 et en dire on a beaucoup plus de chances d'y arriver quand on a des privilèges
03:56 et beaucoup moins de chances d'y arriver quand on n'a pas ces privilèges.
03:59 Et du coup, de réfléchir collectivement de comment rendre ce monde
04:03 plus tendance vers l'égalité sans prétendre au fait qu'on soit égaux
04:09 ou qu'on sera égaux.
04:10 Je vous le dis juste, s'il y a une égalité parfaite,
04:13 il n'y a plus les riches, les pauvres, il n'y a plus tout ça.
04:16 Je vous le dis, le système ne fonctionne plus.
04:18 C'est une réalité économique.
04:20 Est-ce que du coup, il n'y a pas aussi dans le discours que vous portez
04:24 une forme de désincitation, on va dire, à la prise de risque,
04:29 au fait de se battre, parce que de toute façon, les forces sont externes
04:32 et de toute façon, on n'y peut rien devant la masse de statistiques
04:36 très factuelles sur lesquelles vous avez très bien travaillé,
04:39 mais qui du coup, nous empêchent de voir notre propre chemin
04:42 au sein de tout ça ?
04:43 Et c'est là en fait que je refuse de considérer qu'avoir un regard critique
04:50 sur les inégalités sociales signifie qu'on n'a rien à faire pour les démanteler.
04:55 Au contraire, c'est pas juste non, on peut, non.
04:58 Au contraire, c'est quand on prend conscience des inégalités,
05:01 c'est quand les ouvriers ont pris conscience de leurs conditions
05:03 de travail inégales qui se sont organisées et qu'aujourd'hui,
05:06 nous avons les lois de travail qui nous permettent de travailler
05:08 d'une manière un peu plus digne, c'est pas gagné.
05:10 C'est quand les femmes ont pris conscience des inégalités
05:12 qui se sont organisées, qu'on a eu le droit au vote, à l'avortement
05:15 et encore, il faut quand même qu'on reste vigilant pour ne pas perdre nos droits.
05:18 C'est quand les minorités ont pris conscience des inégalités
05:21 qui se sont organisées et qu'ils ont récupéré des lois
05:24 qui permettent qu'il n'y ait pas de discrimination à leurs égards.
05:26 Et donc non, c'est au contraire, c'est quand on prend conscience
05:29 des inégalités que l'action est possible.
05:31 Mon travail, il est centré sur l'analyse de ce qui fait
05:35 que nous avons des possibilités différentes pour qu'on se réalise
05:39 en tant qu'être humain. Et je ne prétends pas que l'ascension sociale
05:42 est la seule façon avec laquelle on peut se réaliser.
05:44 Il faut aussi qu'on ait une diversification des voies.
05:47 Ça veut dire que qu'est-ce qui fait dans la société que nous allons
05:50 être valorisés beaucoup plus que les autres, c'est aussi une question
05:52 à se poser. Une fois que les barrières, les inégalités sont levées,
05:57 on peut aussi se demander pourquoi il y a juste une jauge unique
06:01 qui définit qui réussit et qui échoue, qui est le battant
06:05 et qui est le battu. Et donc, quels sont les métiers de prestige
06:09 et les métiers qui sont les derniers de corvée ?
06:12 Et puis, on va considérer, par exemple, que les entrepreneurs
06:15 sont aujourd'hui les premiers de cordée. Pourquoi ?
06:18 Parce que si on revient 100 ans en arrière, ça a été...
06:21 - Ce qui ne l'était pas. - Voilà. En fait, c'était...
06:23 C'est le rêve américain aussi, avec les pères fondateurs,
06:26 de considérer que s'enrichir avec la loi du marché, c'est la seule façon
06:30 de ruisseler sur la société. Et donc, on peut aussi supposer
06:34 qu'avec les problématiques que nous avons aujourd'hui
06:36 par rapport à la technologie, que dans 50 ans, ça serait autre chose
06:39 - qu'on voudra. - Oui, bien sûr.
06:40 Et donc, avec l'absurdité et la fluidité de ce système,
06:44 est-ce qu'on ne devrait pas aussi réfléchir l'hierarchie de l'estime
06:48 qu'on accorde à certains en considérant que, eux, ils ont le parcours en or
06:54 et d'autres qui l'ont en... je sais pas, en aluminium.
06:58 Non, mais là, vous avez un discours qui est plutôt positif,
07:02 de se dire "on va réfléchir globalement". Mais la réalité, c'est que
07:05 quand on regarde, par exemple, les gilets jaunes, quand on regarde
07:07 plutôt des individus, ils ont juste la haine. La haine de voir que
07:11 certains ont des privilèges qui, selon eux, sont immérités ou démérités
07:15 et ça leur crée plus de la haine, l'envie de tout casser,
07:18 on l'a vu avec les Black Blocs, plutôt que de se dire
07:20 "eh bien, on va tous s'asseoir et réfléchir collectivement".
07:23 Ça, c'est un mythe. Je crois que ce n'est pas possible.
07:26 Ils attendent des aides, ils attendent de se dire
07:29 "c'est à M. Arnault de nous faire un chèque en blanc".
07:31 Ils attendent plus de l'aide plutôt que de se dire
07:33 "bon, faut pas attendre quelque chose de l'État, c'est à moi de me lever
07:37 et de me dire je vais m'en sortir". Et si moi, je peux pas m'en sortir
07:40 parce que j'ai un travail à 1 200 euros, j'ai 4 enfants,
07:43 pour moi, c'est pas possible. Eh bien, je vais le faire pour mes enfants.
07:45 Et je crois que c'est vraiment au niveau de l'individu que ça se joue.
07:48 Tout ne peut pas se résoudre à l'échelle collective.
07:51 Si on attend que la collectivité se réveille, je crois qu'on va attendre longtemps.