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00:00 Quand on s'installe en tant que femme agricultrice,
00:01 qu'un fournisseur qui débarque sur la ferme,
00:04 il va me voir, il va voir une jeune femme.
00:06 De manière générale, il va demander où est le patron.
00:09 Il n'y a pas une agricultrice qui n'a pas vécu ça une fois dans sa vie.
00:11 J'ai 33 ans et je suis agricultrice en polyculture élevage
00:15 dans l'Orne, en Normandie.
00:16 Je suis aussi consultante en stratégie pour les états alimentaires.
00:20 Je suis sur ma ferme quand elle a besoin de moi,
00:22 quand il y a des naissances,
00:23 ou sur Paris, quand mes clients ont besoin de moi.
00:26 J'avais 22 ans quand je suis devenue agricultrice.
00:29 Mes parents m'avaient toujours dit
00:31 "Anne-Cécile, tu feras de grandes études
00:32 et surtout tu ne seras pas agricultrice."
00:34 Mon père était agriculteur et il n'aimait pas vraiment le métier.
00:37 Donc vraiment, il faisait tout pour que j'en sorte.
00:39 J'étudie à Boston et ma mère m'appelle et me dit
00:42 "Anne-Cécile, il faut que tu rentres à la maison
00:44 parce que ton père ne va pas très bien."
00:45 L'idée c'était plutôt de le voir.
00:46 Elle ne m'a jamais dit "il faut que tu t'occupes de la ferme."
00:48 Il y avait à l'époque 400 âmes, 400 bovins à nourrir tous les jours
00:53 et plus personne pour le faire parce que mon père était à l'hôpital.
00:56 Et c'est à ce moment-là en fait que
00:58 j'ai commencé à mettre un pied dans la ferme
01:00 mais je ne savais absolument rien faire.
01:02 Et c'est qu'après, quand mon père est décédé,
01:05 j'ai progressivement fait le choix de devenir agricultrice.
01:08 D'abord, c'était juste un réflexe de survie en me disant
01:11 "j'ai perdu mon père, je ne peux pas perdre sa ferme."
01:13 Et puis après, très progressivement,
01:15 je me suis prise de passion pour ce métier.
01:17 J'ai été agricultrice et j'étais en fin d'études en école de commerce.
01:22 J'ai tenté le concours de Sciences Po à Paris que j'ai vu.
01:24 Quand j'ai voulu m'installer, là c'était la catastrophe.
01:26 Le banquier historique de mon père, qui est un homme,
01:28 qui suivait la ferme depuis 10-20 ans,
01:30 me ferme du jour au lendemain à la portonnée
01:32 et me dit clairement "en fait, je n'ai pas confiance dans votre projet."
01:35 Ce qui m'a permis de m'installer en tant qu'agricultrice,
01:37 c'est de croiser la route d'une femme, d'une conseillère bancaire.
01:40 C'est vrai que je n'ai jamais su si c'était vraiment le fait que je sois femme,
01:43 agricultrice, sans études vraiment sur l'agriculture parisienne,
01:46 c'est sur... jeune.
01:48 Quand j'étais à Sciences Po, j'ai fait un stage en préfecture.
01:50 La préfète me présente à Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture,
01:53 et lui dit "je te présente Anne-Cécile, elle est agricultrice
01:57 et elle a un stage avec nous à la préfecture."
02:00 Il lui répond "impossible".
02:02 Ça s'est vraiment stoppé là, il est parti.
02:03 On me revoyait le cliché à la fois de l'agriculteur ou de l'agricultrice,
02:08 qui ne peut pas mettre un tailleur et des talons,
02:10 et à la fois le fait qu'en fait,
02:13 parce que j'avais des tailleurs et des talons,
02:14 je n'étais pas légitime à être agricultrice.
02:16 En tant que femme, au quotidien sur une exploitation,
02:18 c'est vrai qu'on peut avoir plusieurs freins très concrets, très physiques.
02:21 Quand je monte sur mon gros tracteur,
02:23 il y a une petite manette pour manipuler la fourche,
02:25 et en fait je n'ai pas une main assez grosse,
02:27 des choses toutes bêtes comme ça.
02:28 On n'a pas de côtes qui sont vraiment pour femmes.
02:30 Le moment où je pense que le bas blesse dans l'agriculture,
02:33 c'est qu'en tant qu'agricultrice,
02:35 quand on veut accéder à des postes de responsabilité dans les champs de l'agriculture,
02:39 en fait on ne côtoie quasiment exclusivement que des hommes.
02:41 J'ai pris la direction d'une coopérative agricole,
02:43 milieu très très masculin, et c'est pareil,
02:46 j'ai vraiment senti qu'on pariait mon échec avant même que j'arrive.
02:51 J'avais des négociations avec des fournisseurs qui étaient un peu houleuses.
02:54 C'était vraiment à qui parlerait le plus fort.
02:55 Clairement avec ma voix, c'est physique, je ne peux juste pas courir la leur.
02:59 Le moment de ma grossesse, c'était un moment de choc pour moi
03:03 par rapport à mon métier d'agricultrice.
03:06 J'ai eu beaucoup de chance dans la manière dont j'ai passé cette grossesse-là.
03:09 On ne devrait rien devoir au hasard sur la conciliation entre son métier et la maternité.
03:14 On a de manière très structurante un problème de remplaçant.
03:18 Je me suis retrouvée face à des situations assez incongrues,
03:20 j'étais à un mois de l'accouchement et je devais veiller une vache.
03:24 Veiller une vache, ce n'est pas rien, c'est physique.
03:26 Je rentre de ma césarienne avec ma cicatrice trois jours plus tard,
03:29 un taurillon s'échappe, c'est un mini-taureau là,
03:32 et je suis obligée de le rentrer, de courir après dans la cour avec ma cicatrice.
03:38 C'est une folie.
03:38 Il y a eu une espèce d'opinion générale que l'agricultrice avait toujours un mari pour la remplacer.
03:44 Et moi, ce n'était pas mon cas, parce que mon mari travaille à l'extérieur,
03:46 il n'est pas du tout agriculteur, je ne lui ai jamais demandé de travailler sur l'exploitation.
03:49 En ruralité, on a très peu d'accompagnement, de la petite enfance,
03:54 très peu d'assistantes maternelles, de moyens de garde.
03:57 Donc c'est un gros sujet de la ruralité en général qui n'est pas spécifique aux agricultrices à mon avis.
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